M. René Vestri. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, ce débat sur l’évolution des droits de la défense au cours de l’instruction intervient alors que le système de garde à vue fait l’objet de critiques, qu’il s’agisse de son fonctionnement ou du nombre de personnes concernées : environ 800 000 gardes à vue ont été prononcées en France en 2009, chiffre reconnu par le ministère public.
Le Premier ministre s’est dit « choqué du nombre des gardes à vue dans notre pays et de la manière dont ces mesures sont utilisées comme des moyens de pression pour obtenir des aveux alors même que ce n’est pas le but de la garde à vue. […] Parce qu’il ne faut pas confondre l’usage de la garde à vue encadrée et justifiée avec les abus qui peuvent l’entourer, il est en effet apparu nécessaire, évident, de repenser ses conditions d’utilisation et son utilité. »
Comme en réponse à cette indignation, une formation du tribunal correctionnel de Paris vient de déclarer irrégulières plusieurs gardes à vue pour non-conformité de notre droit aux normes européennes découlant de l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, en référence aux arrêts Salduz du 27 novembre 2008 et Dayanan du 13 octobre 2009 rendus par la Cour européenne des droits de l’homme. Le tribunal correctionnel de Paris relève ainsi que « l’avocat ne peut pas remplir les tâches essentielles qui sont le propre de sa profession puisqu’il n’est pas autorisé à assister aux interrogatoires dès la première heure et ignore les éléments récoltés par les enquêteurs ».
Parmi tous les thèmes, fort nombreux, d’une nécessaire réforme de la procédure pénale, celui de la garde à vue doit être mis en exergue. Cette mesure, qui s’analyse comme une immobilisation physique temporaire de la personne concernée, est prise par un officier de police judiciaire. Au stade de ce que l’on appelle une enquête de flagrance, la garde à vue se justifie par l’existence de soupçons centrés sur une personne qui, pour l’avancement de l’enquête, doit rester à la disposition des services.
Cependant, étant donné sa nature et compte tenu de l’abus dont il fait incontestablement l’objet, de l’aveu même du Premier ministre, j’affirme d’emblée et solennellement que le recours à la garde à vue doit être limité à des cas de figure dans lesquels une peine d’emprisonnement serait encourue. Il n’en est pas ainsi à l’heure actuelle.
Au cours des derniers mois, des gardés à vue inhabituels, en ce sens qu’il s’agit non pas de délinquants ordinaires mais d’enseignants, d’avocats ou de mères de famille, ont, les uns après les autres, raconté à quel point la garde à vue les a placés en situation d’infériorité, car ils se sont trouvés isolés, matériellement et psychologiquement, devant des enquêteurs totalement maîtres de l’instant et à la déontologie variable.
« Les gardes à vue en France sont un scandale. J’ai été fouillée à nu, photographiée comme un bandit, on a pris mes empreintes qui vont servir à nourrir je ne sais quel fichier. J’ai dû me déshabiller totalement pour la fouille. Puis j’ai été poussée dans une cellule souillée d’excréments. »
Ce témoignage est de maître Caroline Wasserman, une jeune avocate qui a connu une garde à vue dans un commissariat de notre pays, il y a quelques mois. Permettez-moi de le compléter par d’autres :
« On est venu me chercher à 6 heures du matin, j’étais réveillée avec mes deux enfants dont ma fille handicapée âgée de huit ans et mon petit garçon âgé de dix-huit mois. On a prévenu le père du petit garçon pour qu’il vienne récupérer son fils, mais ma petite fille, choquée, a été abandonnée seule, sans assistance, errant dans la rue car il lui était interdit de parler à qui que ce soit, de peur de dévoiler le secret de l’interpellation. » Pour la petite histoire, les journalistes locaux étaient, eux, informés du déroulement de toute l’opération… « Amenée en cellule, on m’a donné un cachet. J’ai demandé un verre d’eau. On m’a dit : “ vous n’avez qu’à avaler comme ça ! ” […] Les questions étaient incessantes […], mes réponses étaient toujours les mêmes, invariables. Mais cela ne convenait pas aux attentes des policiers, alors, on m’a balancé : “ elle est folle, il faut la mettre sous tutelle ! ” »
La personne concernée est suivie par des médecins. Mère célibataire, fragile psychologiquement – elle a failli perdre son enfant, qui reste malheureusement handicapé à vie –, elle n’avait jamais eu affaire à la justice avant cette garde à vue. Cela, les policiers le savaient ! Mais la déshumanisation des lieux gagne chacun et fait perdre conscience d’être sur le territoire de la patrie des droits de l’homme. Je ne voudrais pas opposer ici les impératifs de la sécurité publique à la nécessité d’un respect scrupuleux des droits de l’homme. Les temps sont compliqués, et nos policiers, qui luttent contre la violence, le crime, la délinquance astucieuse ou encore le terrorisme, ont besoin de moyens et de certitudes, parmi lesquelles celle de notre soutien.
Néanmoins, je vais prendre le risque d’une certaine imprudence dans mes propos, car lorsque la prudence est partout, le courage n’est nulle part.
Oui, moi, René Vestri, maire de Saint-Jean-Cap-Ferrat, j’ai connu une garde à vue, pendant laquelle j’ai signé n’importe quoi pour que l’on me libère au plus vite après un passage par la souricière, où l’on m’avait expédié sur un geste dédaigneux d’un parquetier méprisant. J’ai dû ensuite me rendre à l’hôpital pour des prises de sang. À cette époque, je devais suivre scrupuleusement un traitement contre un cancer. Je devais uriner souvent, accompagné alors d’un policier qui ne me quittait pas d’une semelle, au cas où il me serait venu à l’idée de m’évader, peut-être par la fenêtre des toilettes… On m’a dit : « Avouez, signez et vous ressortirez libre ! » Alors, éreinté, j’ai accepté de signer.
Force est de constater que les personnes placées en garde à vue subissent souvent, seules et sans l’assistance d’un avocat, des interrogatoires oppressants dont les seuls comptes rendus sont les procès-verbaux rédigés unilatéralement par les policiers eux-mêmes. Est-il besoin de faire subir aux prévenus des traitements dégradants, de les humilier afin d’obtenir des aveux ou leur coopération ?
Le 7 janvier 2009, le Président de la République avait défini l’esprit d’une réforme de la procédure pénale selon plusieurs axes : la substitution d’une culture de la preuve à une culture de l’aveu ; la présence de l’avocat le plus tôt possible pendant l’enquête ; l’instauration de l’égalité des armes entre l’accusation et la défense, sous le contrôle d’un juge d’instruction.
Toutefois, le rapport Léger, remis le 1er septembre 2009, ne répond pas à l’ambition affirmée par le chef de l’État et ne tient pas compte, loin de là, de la jurisprudence européenne. D’ailleurs, les avocats du barreau de Paris, bâtonnier en tête, ont lancé un appel en faveur de la suppression de la garde à vue telle qu’elle est autorisée et pratiquée en France. Ils s’appuient sur la législation européenne : un jugement de condamnation qui serait fondé sur des déclarations recueillies au cours d’une garde à vue hors la présence d’un avocat doit être considéré comme nul. Autrement dit, on ne peut condamner sur la base de déclarations auto-incriminantes recueillies sous la contrainte.
En outre, Me Henri Leclerc, qui fait partie d’un groupe de travail à la chancellerie sur la garde à vue, a rappelé que cette question avait déjà été posée par la commission Delmas-Marty et que les policiers avaient affirmé, à l’époque, qu’une telle disposition détruirait leur métier, à la stupéfaction de commissaires venus de plusieurs pays européens, qui avaient expliqué que, pour leur part, ils tentaient de mener à bien leurs enquêtes avant toute arrestation, au lieu de bâtir une affaire à partir d’aveux recueillis dans leurs locaux.
De ce fait, je soutiens la proposition de loi déposée par le député Manuel Aeschlimann et plusieurs de ses collègues, le 21 décembre dernier, tendant, pour toutes les infractions punies d’une peine d’au moins cinq ans d’emprisonnement, à instituer la présence de l’avocat durant tous les actes de la procédure établis au cours de la garde à vue, à permettre à l’avocat d’assister le gardé à vue durant tous les interrogatoires et auditions dès le début de la garde à vue et tant qu’elle n’a pas été levée, enfin à ce que soit notifié à la personne retenue le droit de garder le silence, droit institué en 2000 avant d’être supprimé deux ans plus tard.
En libérant tous les acteurs de l’enquête pénale du carcan procédural que constitue le système actuel de la garde à vue pour des délits mineurs, en désengorgeant nos commissariats, hôpitaux, salles d’écrou de centaines de milliers de gardes à vue inutiles, nous permettrons à nos forces de l’ordre de se concentrer sur l’essentiel, avec une compétence accrue, des moyens supplémentaires dégagés et la conscience nouvelle de servir la patrie des droits de l’homme.
Aussi les propositions du comité Léger d’interdire le placement en garde à vue d’une personne soupçonnée de faits pour lesquels une peine d’emprisonnement inférieure à un an est encourue et de créer une nouvelle mesure coercitive d’une durée plus limitée méritent-elles d’être précisées, car si elles reviennent à créer une garde à vue bis, avec maintien des actuelles restrictions d’accès au dossier pour l’avocat, alors autant ne pas modifier les dispositions en vigueur !
La création d’une « retenue judiciaire », d’une durée maximale de six heures pour toute personne majeure soupçonnée d’une infraction punie d’une peine d’emprisonnement inférieure à cinq ans, nécessite également plus d’explications : si l’avocat n’avait pas un droit d’accès immédiat au dossier, où serait l’innovation ?
Mme la présidente. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. René Vestri. Madame la ministre d’État, la France, premier pays à entrer dans la modernité juridique grâce à la Déclaration des droits de l’homme de 1789 et au code civil de 1804, s’est laissée entraîner vers le fond de la classe européenne en matière de modernisation de sa procédure pénale. Dans un pays des droits de l’homme où tout prévenu est présumé innocent tant qu’il n’a pas été jugé coupable par un tribunal compétent, est-il concevable que les gardes à vue se déroulent dans des conditions inhumaines ? Locaux insalubres, fouilles corporelles poussées, humiliations et intimidations de toutes sortes : qu’attend donc la France pour se conformer à la jurisprudence européenne, notamment aux deux arrêts rendus par la Cour européenne des droits de l’homme de Strasbourg que j’ai évoqués, dont l’un précise qu’un accusé doit bénéficier, pour organiser sa défense, d’un avocat dès qu’il est privé de liberté ? (MM. Robert Badinter et Jean-Pierre Michel applaudissent.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Madame la présidente, madame la ministre d’État, mes chers collègues, la garde à vue est une mesure grave, le code de procédure pénale précise qu’elle doit être limitée aux nécessités de l’enquête. Or, en pratique, elle est devenue, dans le cadre des enquêtes pénales, un outil d’une banalité affligeante, permettant de garder une personne à disposition alors que sa présence n’est plus réellement nécessaire à la poursuite de l’enquête en cours.
Cette banalisation de la garde à vue est attestée par les statistiques disponibles. Je ne reviendrai pas sur les chiffres, mon collègue Alain Anziani les ayant déjà donnés.
L’inflation dramatique du nombre de gardes à vue trouve également sa source dans le fait que ce dernier est utilisé comme un indicateur de performance de l’activité des autorités de police. Sommés de « faire du chiffre », les officiers de police judiciaire recourent plus largement au placement en garde à vue afin d’atteindre les objectifs fixés par le ministère de l’intérieur.
L’instrumentalisation de cette mesure est une évidence : plus de 200 000 gardes à vue concernent des délits routiers déjà constatés, or, dans ce cas, la garde à vue n’est pas nécessaire à l’enquête, mais on l’utilise tout de même pour augmenter facilement le taux d’élucidation des affaires…
Il est intolérable qu’une mesure de privation de liberté puisse ainsi se transformer en indicateur de performance, en critère d’évaluation de l’efficacité des services de police, sans qu’aucune limitation ne soit aujourd’hui imposée à son recours. Non seulement la garde à vue s’est banalisée, mais elle est devenue, ce qui est pis encore, un outil de gestion sécuritaire entre les mains de la majorité, destiné à terroriser ceux qui, par exemple, ont eu le malheur de recharger la batterie du téléphone portable d’un étranger sans papiers.
Conçue comme une mesure grave, la garde à vue s’est transformée, entre les mains de ce gouvernement, en gadget sécuritaire servant à alimenter artificiellement les statistiques des ministères de l’intérieur et de la justice, pour atteindre les objectifs chiffrés imposés par le Président de la République.
À ces considérations pratiques s’ajoute l’incompatibilité juridique de la garde à vue avec la Convention européenne des droits de l’homme. La circulaire diffusée par la chancellerie pour tenter de nier la réalité ne doit pas nous abuser : notre système est contraire à la Convention européenne des droits de l’homme. C’est malheureux, mais c’est une réalité !
Les considérants de l’arrêt Dayanan rendu par la Cour européenne des droits de l’homme sont très clairs. Madame la ministre d’État, vous affirmez souvent que l’on fait dire à la Cour européenne des droits de l’homme ce qu’elle n’a pas voulu dire. Je citerai donc cet arrêt, pour vous prouver que je ne l’interprète en aucune manière : « l’avocat doit non seulement être présent dès le début de la garde à vue, mais il doit également pouvoir exercer toute la palette des droits de la défense ».
Les parlementaires Verts en ont immédiatement tiré une conséquence, en déposant sur le bureau du Sénat une proposition de loi portant réforme de la garde à vue. Comme l’a dit Me Christian Charrière-Bournazel, ancien bâtonnier de l’ordre des avocats du barreau de Paris, « cette réforme est urgente : elle ne saurait attendre une réforme plus globale de la procédure pénale ». En effet, à l’heure actuelle, des centaines de gardes à vue illégales sont décidées chaque jour.
À cet instant, j’évoquerai l’actualité : le 28 janvier dernier, le tribunal correctionnel de Paris a annulé cinq gardes à vue en raison de l’absence de l’avocat et de l’impossibilité pour lui de préparer correctement la défense de ses clients. Permettez-moi, dans ces circonstances, de vous exposer les points fondamentaux qui pourraient faire l’objet d’une réforme.
Premièrement, il est impératif de mieux encadrer la décision de placement en garde à vue, afin d’éviter les dérives constatées aujourd’hui. Parce que c’est une mesure privative de liberté, elle doit être réservée aux infractions les plus graves, sans toutefois être absolument exclue pour toutes les autres infractions. C’est pourquoi nous proposons qu’une garde à vue ne puisse être décidée que si l’infraction dont la personne est suspectée est passible de cinq ans de prison au moins. Pour les autres infractions, le placement en garde à vue devra être autorisé par l’autorité judiciaire.
Deuxièmement, notre droit devra, tôt ou tard, inscrire –ou peut-être réinscrire – parmi les droits du gardé à vue celui de se taire et de ne pas participer à sa propre incrimination. Il s’agit là d’un principe reconnu et consacré par de nombreuses législations européennes. La France fait office de dernier de la classe en la matière.
Troisièmement – c’est le point le plus important à mes yeux –, le rôle de l’avocat, dans le cadre de la garde à vue, devra évoluer vers une meilleure prise en compte des droits de la défense. L’avocat doit non seulement être présent dès le début de la garde à vue, quelle que soit l’infraction, mais aussi pouvoir exercer un certain nombre de prérogatives, ce que la Cour européenne des droits de l’homme appelle la « palette des droits de la défense ».
Il s’agit, en premier lieu, de sortir de l’hypocrisie consistant à faire semblant de croire qu’il serait possible de communiquer réellement avec son client en trente minutes. L’entretien est aujourd’hui une visite de courtoisie, ce qui relègue l’avocat dans un rôle de figurant. Il convient, en conséquence, d’allonger sa durée, qui devrait raisonnablement atteindre au moins deux heures.
Il s’agit, en deuxième lieu, de permettre à l’avocat d’accéder au dossier pénal. C’est là une exigence fondamentale si l’on souhaite qu’il puisse préparer la défense de son client et trouver des éléments à décharge. Elle est d’ailleurs mentionnée dans le rapport du comité Léger ; nous en reprenons le principe, mais nous souhaitons que cette mesure soit applicable dès le début de la garde à vue, de manière que l’avocat dispose d’éléments suffisants pour préparer l’interrogatoire.
Il s’agit, en troisième lieu, d’autoriser l’avocat à assister aux interrogatoires. Là encore, la Cour européenne des droits de l’homme a été claire : cette présence devrait être un principe.
Enfin, il conviendra également de revoir le régime de la garde à vue applicable aux mineurs, sans attendre la réforme de l’ordonnance de 1945. L’actualité, malheureusement, nous donne là encore raison : une jeune fille de quatorze ans est restée en garde à vue pendant neuf heures, en pyjama, pour une dispute avec des camarades d’école. La garde à vue était-elle indispensable dans un tel cas ? L’enquête en cours nous le dira certainement.
Madame la ministre d’État, il est impératif de ne jamais oublier qu’un mineur de seize ans reste un mineur et qu’il convient de lui conférer des droits renforcés. Or notre système assimile le mineur de seize ans à un majeur, ce qui rend facultatifs la présence de l’avocat et l’examen médical, alors qu’ils devraient être obligatoires dans un tel cas.
Si nous voulons que notre droit soit conforme au droit européen, toute réforme de la garde à vue devra prendre en compte les exigences que je viens d’exposer et que nous avons inscrites dans une proposition de loi qui sera examinée prochainement en séance publique. N’oublions pas une page récente de notre histoire : c’est à cause d’une garde à vue que la France a été, voilà quelques années, condamnée pour acte de torture par la Cour européenne des droits de l’homme.
Nous attendons du Gouvernement qu’il réagisse, non pas dans six mois, mais tout de suite, car nous sommes le seul pays européen à avoir encore un système de garde à vue archaïque, où les droits des personnes concernées sont réduits à leur plus simple expression ! Madame la ministre d’État, nous vous demandons donc de mettre fin à un scandale, à une aberration honteuse pour notre pays, en intégrant toutes les garanties d’un procès équitable dans le système français de la garde à vue. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d’abord remercier M. Mézard de son initiative et saluer le fait qu’il ait choisi d’adopter un ton exempt de polémique.
En effet, la question de la garde à vue mérite d’être étudiée et analysée avec objectivité et dans un esprit constructif, afin de rechercher des solutions permettant de concilier le besoin de sécurité de nos concitoyens et le respect de la liberté de chacun.
Comme tous les intervenants, j’estime nécessaire de faire évoluer à la fois le statut juridique de la garde à vue et les conditions matérielles de son déroulement.
Vous l’avez signalé, monsieur Mézard, le nombre des placements en garde à vue figure non pas dans les statistiques du ministère de la justice, mais dans celles du ministère de l’intérieur, puisque la décision de placer une personne en garde à vue est une prérogative des officiers de police judiciaire. Quoi qu’il en soit, nous nous accordons tous, dans cet hémicycle et au-delà, pour estimer que le nombre des gardes à vue est trop élevé dans notre pays.
On peut certes considérer, monsieur Badinter, que l’augmentation du nombre des gardes à vue à partir de 2003 correspond à la baisse importante de la délinquance que nous avons enregistrée durant la même période, mais ces deux séries de chiffres n’ont pas évolué dans la même mesure. Si l’on veut établir une corrélation avec une autre statistique, sans doute faut-il retenir celle qui concerne le taux d’élucidation des crimes et des délits, puisque, entre 2002 et 2008, celui-ci est passé de moins de 25 % à 40 %. On peut donc peut-être en déduire que l’augmentation du nombre des gardes à vue a en partie permis d’obtenir ce résultat, auquel sont sensibles les victimes, puisque la première justice que l’on peut rendre à celles-ci, c’est de retrouver les auteurs des faits. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est de la polémique !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. C’est vous qui avez voulu établir des comparaisons de chiffres ! Si l’on veut être tout à fait objectif, il convient sans doute, dans cette optique, de considérer le taux d’élucidation des affaires plutôt que les chiffres de la délinquance.
En tout état de cause, nous sommes d’accord pour reconnaître que le recours à la garde à vue est certainement devenu trop systématique, ce constat ne remettant nullement en cause le travail des policiers et des gendarmes. Comme j’ai déjà eu l’occasion de le dire, la garde à vue est un instrument d’enquête devant contribuer à la manifestation de la vérité, ni plus ni moins. De ce point de vue, la décision de placement en garde à vue ne saurait être arbitraire ; Mme Escoffier a d’ailleurs très bien rappelé que le code de procédure pénale offre un certain nombre de garanties à la personne qui fait l’objet d’une telle mesure, dont l’usage, c’est un point essentiel, doit être limité aux nécessités réelles de l’enquête.
Tel sera bien l’un des objets de la réforme du code de procédure pénale qui vous sera soumise d’ici à l’été. Afin d’écarter tout soupçon d’arrière-pensée, je ferai en sorte que vous puissiez très prochainement travailler sur le texte, qui comportera notamment, bien entendu, des dispositions relatives à la garde à vue.
Avant même que cette concertation, que je souhaite très large, ne soit engagée, je puis d’ores et déjà vous indiquer les deux idées-forces qui sous-tendent ma réflexion en la matière.
Je souhaite d’abord réaffirmer le caractère exceptionnel de la garde à vue. Dans cette perspective, la décision de placement en garde à vue doit prendre en compte le degré de gravité des faits et la durée de la peine d’emprisonnement encourue.
Je souhaite ensuite accroître les droits de la personne gardée à vue et la latitude d’intervention de l’avocat.
Entrons maintenant davantage dans le détail du dispositif du texte.
En ce qui concerne la limitation du champ du recours à la garde à vue, celui-ci ne sera possible que dans le cas de crimes ou de délits punis d’une peine d’emprisonnement. Aujourd’hui, je le rappelle, une personne qui vient d’être interpellée doit être placée en garde à vue. Aux termes de la réforme que je suis en train de préparer, cette mesure ne sera plus systématique. Ainsi, pour des affaires ne présentant pas un caractère de particulière gravité, la personne concernée pourra, sous réserve de son accord, être entendue librement. Elle sera alors retenue quatre heures au maximum dans les locaux des services de police ou de gendarmerie, ce qui sera suffisant, dans bon nombre de cas, pour recueillir les éléments utiles à l’enquête. Néanmoins, si elle le souhaite, cette personne pourra demander à être entendue sous le régime de la garde à vue, qui ouvre en effet un certain nombre de droits : prévenir des proches, être assisté par un avocat, voir un médecin, connaître la nature de l’infraction reprochée.
En ce qui concerne l’accroissement des droits de la personne gardée à vue, bien entendu, l’ensemble des droits actuellement inscrits dans le code de procédure pénale seront non seulement conservés, mais encore réaffirmés.
S’agissant du droit d’accès à un avocat, sur lequel, mesdames, messieurs les sénateurs, vous avez tous insisté, il est exact que la Cour européenne des droits de l’homme a affirmé, au travers de l’arrêt Dayanan, le droit pour toute personne, dès lors qu’elle est privée de liberté, à pouvoir s’entretenir avec un défenseur.
Je tiens à souligner que le droit français en vigueur satisfait à cette exigence précise, puisqu’il autorise le gardé à vue à s’entretenir confidentiellement, dès le début de la garde à vue, avec un avocat. À cet égard, l’interprétation de la jurisprudence européenne faite par certaines juridictions me paraît totalement erronée : si la Convention européenne des droits de l’homme est d’application directe, sa jurisprudence ne s’impose qu’aux États parties à l’affaire jugée. D’ailleurs, cette analyse est partagée par de nombreuses juridictions, tant du premier que du second degré, comme en témoigne ce qu’ont décidé le tribunal correctionnel d’Angers hier et la chambre de l’instruction de Paris aujourd’hui même. Il appartient maintenant à la cour d’appel de se prononcer.
En tout état de cause, nos pratiques ne contreviennent pas à la Convention européenne des droits de l’homme, et la France n’a pas été condamnée par la Cour européenne des droits de l’homme, les arrêts en question concernant la Turquie et le droit de ce pays. D’ailleurs, en 2007, la Cour de cassation a admis la conformité du droit français à la Convention européenne des droits de l’homme.
En ce qui concerne les cas particulièrement sensibles du terrorisme et de la criminalité organisée, leur spécificité justifie incontestablement, à mon sens, un régime de garde à vue différent, permettant d’assurer réellement l’efficacité des investigations. Si notre pays a été épargné par le terrorisme au cours de ces dernières années, monsieur Anziani, c’est en partie grâce à notre procédure pénale et à la possibilité de recourir à la garde à vue et à différentes mesures d’enquête dans ce domaine. De toute façon, l’existence de dispositions spécifiques en la matière n’est nullement propre au droit français : le Royaume-Uni et l’Espagne, par exemple, qui sont les deux pays d’Europe les plus menacés par le terrorisme, sont dotés de législations tout à fait similaires à la nôtre.
S’agissant de l’intervention de l’avocat, je voudrais d’abord rappeler que c’est la loi du 15 juin 2000 renforçant la protection de la présomption d’innocence et les droits des victimes, dite « loi Guigou », qui a déterminé les principaux mécanismes actuellement en vigueur. Nous ne faisons aujourd’hui qu’appliquer ce texte, qui a défini les modalités d’intervention de l’avocat au cours de la garde à vue, notamment en limitant à trente minutes la durée de l’entretien confidentiel entre la personne placée en garde à vue et son avocat, sans que ce dernier puisse avoir accès au dossier ni être présent lors des interrogatoires, cet entretien pouvant en outre être différé dans le cas de certaines infractions graves – jusqu’à soixante-douze heures après le début de la garde à vue en matière de terrorisme et de trafic de stupéfiants. C’est bien la loi de Mme Guigou qui a instauré ces dispositions ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Thierry Repentin. Quelle était la législation antérieure ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Nous ne faisons qu’appliquer la loi du 15 juin 2000 que Mme Guigou a portée. Je remarque d’ailleurs que les équilibres issus de ce texte ont été entièrement maintenus dans la loi dite « Lebranchu » du 4 mars 2002, qui complétait ce texte et qui aurait donc pu le modifier.
M. Jean-Pierre Sueur. On a compris !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Or, les principes de la Cour européenne des droits de l’homme auxquels vous faites référence ont été énoncés dès l’arrêt Murray de 1996.
Par conséquent, si, à l’époque, on avait estimé nécessaire d’appliquer un droit différent du droit actuellement en vigueur, on aurait peut-être choisi de se conformer aux principes contenus dans l’arrêt Murray.
Si nous voulons rester dans un climat constructif,…
M. Jean-Pierre Sueur. Voilà !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. … il faut éviter de jeter l’anathème contre tel ou tel, ou de soupçonner tel ou tel de vouloir porter atteinte aux libertés,…
M. René-Pierre Signé. Qui le fait ?
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. … surtout quand la personne visée ne fait que s’appuyer sur des décisions dont vous avez pris l’initiative.
M. Jean-Pierre Sueur. Mme Guigou, on le sait. (Sourires.)
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. En tout état de cause, par rapport au texte de 2000, conforté en 2002 par Mme Lebranchu, la réforme de la procédure pénale que je prépare présente un certain nombre d’avancées.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Premièrement, le texte prévoit expressément qu’en matières criminelle et correctionnelle aucune condamnation ne pourra être prononcée sur le seul fondement de déclarations faites par un gardé à vue qui n’aurait pu bénéficier de l’assistance d’un avocat ; je remercie MM. Courtois et Zocchetto d’avoir mentionné cette avancée.
Une telle disposition répond également aux attentes, ou aux critiques – je ne sais quel terme choisir ! – de Mmes Escoffier et Borvo Cohen-Seat.
Sans attendre l’examen de cette future loi, j’ai déjà appelé l’attention des parquets sur ce point au travers de deux dépêches datées du 18 novembre et du 30 décembre 2009.
Deuxièmement, pendant la première période de garde à vue, l’avocat pourra recevoir une copie des procès-verbaux des auditions de son client dès que ceux-ci auront été réalisés.
Si les auditions sont prolongées au-delà de vingt-quatre heures, ce qui est possible dans un certain nombre de cas, le gardé à vue pourra être assisté par son avocat lors des auditions durant toute la durée de la prolongation. L’avocat du gardé à vue pourra en outre poser des questions et faire des observations, monsieur Badinter. C’est également une avancée par rapport aux dispositions actuellement en vigueur.
Le problème ne concerne pas seulement la situation juridique – situation que nous aurons l’occasion d’étudier d’une façon encore plus détaillée –, il a également trait aux conditions matérielles de la garde à vue.
Vous m’avez interpellée à propos des recommandations du contrôleur général des lieux de privation de liberté sur l’état des locaux et sur les mesures de sécurité qui peuvent être prises à l’occasion d’une garde à vue. Je suis particulièrement attentive à tous les rapports qui me sont remis. Je pense en effet, comme la plupart d’entre vous, que, si la garde à vue est une nécessité de l’enquête, elle ne doit en rien porter atteinte à la dignité de la personne humaine.
En outre, il importe de rappeler que les locaux de garde à vue relèvent de la responsabilité non pas du ministère de la justice mais du ministère de l’intérieur. Étant passée de celui-ci à celui-là, j’assume parfaitement ce problème.
Vous l’avez sans doute constaté, la situation s’améliore, notamment grâce à la construction de nouvelles gendarmeries et de nouveaux commissariats. Depuis 2002, un grand effort a été réalisé sur ce plan, et des crédits très importants ont été alloués pour ces constructions, permettant la mise à disposition de locaux dont l’état et les conditions matérielles et sanitaires respectent la dignité de la personne humaine.
Et si scandale il y a, monsieur Badinter – car certains aspects de la garde à vue sont un sujet de scandale ! –, c’est peut-être parce que n’ont pas été prises plus tôt les mesures, notamment les mesures financières, qui auraient permis la rénovation des locaux des commissariats et des gendarmeries. J’ai en effet vu beaucoup de bâtiments dans lesquels les conditions de travail des gendarmes et des policiers n’étaient guère meilleures que les conditions de détention provisoire des gardés à vue.
M. René-Pierre Signé. Ce sont les conseils généraux qui ont bâti les gendarmeries !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Parfois, le scandale est non pas dans ce que l’on dénonce, mais dans le fait de ne pas mettre ses actes en accord avec ses paroles ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Il en va de même des mesures de sécurité qui visent à éviter que les gardés à vue ne portent atteinte à leur propre intégrité physique. Certaines précautions sont nécessaires, car nous avons aussi des devoirs vis-à-vis de ces personnes. Dans certains cas, les mesures sont excessives. Certains d’entre vous ont dénoncé des pratiques qui sont tout à fait réelles. Même si celles-ci ne relèvent pas strictement de la loi, il importe que l’ensemble de nos textes permettent un plus juste respect de la personne.
M. Jean-Patrick Courtois. Très bien !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Je suis en effet particulièrement attentive à ce que les conditions de garde à vue ne portent pas atteinte à la dignité des personnes. Une telle position vaut pour ce domaine comme pour beaucoup d’autres.
Monsieur Vestri, je ne suis pas ici pour analyser des situations particulières mais pour fixer des règles qui puissent s’appliquer à chacun. Il ne s’agit pas simplement de fixer des règles ; il faut assumer un principe et les conséquences qui en découlent. Cette exigence sera inscrite explicitement dans le futur code de procédure pénale.
Sans attendre, j’ai rappelé aux procureurs généraux par une circulaire du 1er novembre 2009 l’importance des visites régulières et, en toute hypothèse au moins une fois par an, des locaux de garde à vue par les procureurs de la République.
Je note que, malgré tout, il y a eu des améliorations.
Le rapport public annuel du garde des sceaux pour 2008 montre d’abord une bonne tenue générale des registres – il y a toujours des exceptions –, une bonne notification des droits, mais, c’est vrai, une indignité de certains locaux, dont la liste a été communiquée au ministère de l’intérieur.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous constatez d’ores et déjà que, dans le cadre de la future réforme de la procédure pénale, l’amélioration des conditions de garde à vue est une priorité très clairement affirmée.
Je souhaite que ce projet de réforme, que je soumettrai très prochainement à la concertation, soit l’occasion d’une discussion approfondie permettant de rénover dans le détail toute notre procédure pénale, notamment notre système de garde à vue, dans un double souci d’efficacité dans la lutte contre la délinquance, mais aussi de protection des libertés individuelles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Mme la présidente. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à dix-sept heures pour les questions cribles thématiques.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures cinquante-cinq, est reprise à dix-sept heures.)
Mme la présidente. La séance est reprise.