Mme Catherine Troendle. Monsieur le président, madame le ministre d’État, mes chers collègues, la discussion que nous engageons aujourd’hui sur la proposition de loi organique, présentée par le groupe socialiste et portant application de l’article 68 de la Constitution, nous confronte à deux types de problèmes, tant sur la forme que sur le fond.
En premier lieu, cette proposition de loi, loin de n’aborder que des questions de mécanismes procéduraux, aurait, si elle était adoptée, une réelle incidence sur la stabilité institutionnelle de notre pays. Or, cette dernière doit faire l’objet d’une réflexion à laquelle nous souhaitons que le Gouvernement soit associé.
En effet, nous ne saurions mettre à l’écart le Gouvernement dans un domaine qui implique l’équilibre de nos institutions et qui intéresse tout autant le Parlement que le pouvoir exécutif.
En second lieu, nous soutenons la position de M. le rapporteur, qui a mis en relief de nombreuses lacunes dans cette proposition de loi. Sur chacun des articles se pose un problème majeur. Pour ma part, j’en relèverai cinq qui ont retenu particulièrement notre attention.
Premièrement, aux termes de l’article 1er du présent texte, pour être recevable une proposition de résolution tendant à réunir la Haute Cour doit être déposée par soixante députés ou sénateurs et être motivée.
Or nous estimons que les auteurs de ce texte ne sont pas allés assez loin pour garantir qu’il ne soit fait aucun usage abusif des propositions de résolution. Tant la commission Avril que le professeur Guy Carcassonne ont suggéré une troisième condition de recevabilité, dont les modalités devraient, selon nous, faire l’objet d’une réflexion approfondie.
Deuxièmement, ce texte prévoit, en son article 2, que le rejet éventuel de la proposition de résolution par l’une des deux assemblées mettrait un terme à l’initiative. Là encore, nous estimons que doit être étudiée la possibilité de mettre en place une navette entre les deux chambres, dans le cas où la motion tendant à réunir la Haute Cour n’aurait pas été adoptée dans les mêmes termes.
Troisièmement, les dispositions de la présente proposition soulèvent deux interrogations essentielles sur l’article 3, quant à la composition du Bureau de la Haute Cour, d’une part, et à la forme de ses prises de décision, d’autre part.
Tout d’abord, les auteurs de cette proposition de loi ayant choisi de réunir les Bureaux des deux assemblées pour composer le bureau de la Haute Cour, ce dernier serait constitué de quarante-huit personnes ! Un tel effectif nous paraît bien trop important au regard du rôle que l’on entend confier à cette instance.
De plus, les auteurs de cette proposition de loi ne nous semblent pas avoir suffisamment approfondi leur réflexion sur le processus de prise de décision du bureau. En effet, ils ne tranchent pas le problème de la forme que devraient revêtir lesdites décisions : doivent-elles être prises au cas par cas ou faire l’objet d’un règlement ?
Ici encore, nous soutenons la position de notre rapporteur, visant à permettre que cette question essentielle des règles applicables devant la Haute Cour soit débattue dans le cadre de la commission.
Par ailleurs, en ce qui concerne la mise en place de la commission ad hoc prévue en son article 4, la proposition de loi présente une réelle lacune. Alors que les vice-présidents des deux assemblées doivent concourir à la composition de cette commission, la présente proposition n’a pas prévu que leur nombre serait inégal. Or le Sénat compte huit vice-présidents, contre six pour l’Assemblée nationale.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce serait bien ! Pour une fois, les sénateurs seraient aussi nombreux que les députés ! (Sourires.) Mais nos collègues de l’Assemblée nationale risquent de ne pas être d'accord…
Mme Catherine Troendle. Enfin, au sujet de l’organisation des débats devant la commission ad hoc, l’intervention d’un représentant du chef de l’État n’a pas été envisagée.
Surtout, la notion de « conseil », employée à l’article 5 pour la représentation du Président de la République devant la Haute Cour ne nous paraît pas pertinente, au vu de sa proximité avec celle d’avocat. Nous préférons la neutralité du terme « représentant », qui ne comporte aucune connotation judiciaire sous-jacente.
Pour conclure, le groupe UMP soutient la position de M. le rapporteur, qui propose un renvoi à la commission, dans l’attente de la présentation d’un projet de loi organique. Je tiens d'ailleurs à souligner que nous attendons ce texte depuis plus d’un an, et que nous regrettons cette situation.
Madame le garde des sceaux, vous nous avez annoncé que ce projet de loi serait présenté au cours du second semestre de 2010, ce qui est positif, mais vous comprendrez aisément qu’une discussion de ce texte au cours du premier semestre aurait bien davantage répondu à notre légitime impatience !
Pour conclure, compte tenu des lacunes juridiques que j’ai relevées et de notre volonté d’associer le Gouvernement à cette réflexion majeure pour nos institutions, le groupe UMP votera en faveur de la motion de renvoi à la commission. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, madame la ministre d’État, mes chers collègues, je regrette d’avoir à constater le caractère quelque peu théorique des exposés de la commission et du Gouvernement, ...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. C’est la loi du genre !
M. Jean-Pierre Michel. ... alors que l’actualité récente jette une lumière crue sur le statut constitutionnel du chef de l’État.
Ainsi, un ancien Président de la République est renvoyé en correctionnelle pour abus de confiance et détournement de fonds publics. Ce n’est pas rien ! Rompant avec la tradition en vigueur depuis l’instauration de la Ve République, un Président de la République en exercice se constitue partie civile tous azimuts : ...
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Pour des faits commis avant qu’il ne soit Président de la République !
M. Jean-Pierre Michel. ... contre la compagnie aérienne Ryanair, qui a utilisé une photo le montrant avec l’une de ses compagnes – elle n’était pas encore son épouse, personne ne savait d’ailleurs alors qu’elle le deviendrait –, contre un fabricant de tee-shirts, contre l’ancien directeur des renseignements généraux, contre le rédacteur en chef du Nouvel Observateur, etc. Et jusqu’à une affaire dont les dimensions politiques sont évidentes.
Contrairement à ce qu’a affirmé Jean-Pierre Bel, le chef de l’État ne porte pas plainte.
M. Jean-Pierre Bel. C’est vrai !
M. Jean-Pierre Michel. Il se constitue partie civile. Ce faisant, il intente une action civile concurremment avec le parquet, sur lequel, par votre entremise, madame le garde des sceaux, il a des pouvoirs. Il s’agit là d’un déséquilibre majeur et inquiétant.
Il est vrai que cette question est complexe et que la révision constitutionnelle a eu lieu dans un contexte passionnel qui n’a pas permis d’apporter les clarifications nécessaires. Je le dis comme je le pense : cette révision constitutionnelle est très mauvaise, à tous points de vue.
Depuis l’adoption de ce texte, le Président de la République n’est plus un justiciable comme un autre : le statut dont il bénéficie est totalement déséquilibré. Or, la procédure dite « de destitution » ou impeachment qui devait rééquilibrer l’inviolabilité totale du chef de l’État n’est toujours pas applicable, faute d’initiative gouvernementale. Madame la ministre d’État, vous n’en êtes pas responsable : vous n’occupez les fonctions de garde des sceaux que depuis quelques mois et cela fait trois ans que cette réforme aurait dû avoir lieu.
L’actualité récente a révélé une rupture d’égalité des armes et du procès équitable que garantit la Convention européenne des droits de l’homme. Le statut actuel du Président de la République est en contradiction totale avec ce texte, j’y reviendrai tout à l’heure. Elle a également montré une rupture de l’unité de temps judiciaire. Peut-on en effet prétendre qu’une procédure qui concerne des faits vieux de plus de vingt ans se déroule « dans un délai raisonnable » ? Non, même s’il est impossible de se prévaloir de sa propre turpitude et même si c’est parce que l’intéressé lui-même s’était à l’époque opposé à toute convocation par le juge d’instruction.
Monsieur le rapporteur, j’étais d'ailleurs l’un des parlementaires signataires que vous avez tout à l’heure stigmatisés, et je m’en flatte.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Pas stigmatisés, pointés !
M. Jean-Pierre Michel. En effet, s’il venait à être condamné, l’ancien Président de la République serait inéligible pour cinq ans, par l’effet de l'article L. 7 du code électoral, mais il pourrait continuer à siéger au Conseil constitutionnel et serait donc juge de l’élection des parlementaires !
Pour cette raison mais aussi pour celles qu’a, à juste titre, soulevées Jean-Pierre Bel, une réforme s’impose : les anciens présidents de la République ne doivent plus pouvoir siéger au Conseil constitutionnel.
Mme Michelle Demessine. C’est sûr !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Je l’ai toujours dit !
M. Jean-Pierre Michel. Tout s’y oppose.
L’unité d’action judiciaire est également remise en cause. En effet, si le Président de la République peut utiliser ses prérogatives constitutionnelles, ce que personne ne conteste, il peut également utiliser les droits réservés à tout justiciable. Est-ce légitime ? La question se pose. La cour d’appel de Versailles, qui a pourtant jugé que le Président de la République pouvait être partie civile, reconnaît que cela aboutit à une rupture d’égalité des armes dans les procédures.
Le Président de la République actuel a plusieurs fois usé de son droit à saisir la justice. À chaque fois, il est partie à un procès dans lequel il a nommé des magistrats – certes, en conseil des ministres et après avis conforme du Conseil supérieur de la magistrature – et dans lequel il a, comme le souligne la juridiction versaillaise, une proximité avec le chef du parquet. Tout cela ne manque pas d’être troublant.
D’ailleurs, dans le cadre de la contestation du décret du 31 octobre 2008 par M. Dominique de Villepin, le rapporteur public du Conseil d’État, Mme de Silva, est convenu qu’il y avait une rupture structurelle dans le statut de l’égalité des parties et qu’un procès pénal ne pouvait totalement se dérouler alors que l’une des parties civiles disposait d’une immunité radicale. Par ailleurs, en cas de relaxe ou de non-lieu, l'article 67 de la Constitution empêchera le Président de la République d’être poursuivi pour dénonciation calomnieuse, ce qui se produit pourtant toujours dans ces cas-là.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Ce n’est pas toujours le cas !
M. Jean-Pierre Michel. C’est souvent le cas !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !
M. Jean-Pierre Michel. Là encore, cette situation soulève une difficulté grave et révèle que le statut du chef de l’État introduit un déséquilibre grave.
Si elle est relaxée, la partie qui a été attraite a le droit d’attaquer devant la juridiction pour dénonciation calomnieuse celui qui est à l’origine de la procédure. Or ce droit ne peut être exercé contre le Président de la République, alors qu’il a usé du droit reconnu à tout citoyen de déférer quiconque devant le tribunal correctionnel.
À l’évidence, depuis la révision constitutionnelle de 2007, le Président de la République n’est pas un citoyen comme les autres devant la justice. J’en veux pour preuve la contestation juridique qu’a entraînée son divorce. Pouvait-il divorcer ? Au regard tant de la Convention européenne des droits de l’homme que des droits individuels, la réponse est incontestablement oui. Comment interdire à quelqu’un de divorcer ? Comment l’en empêcher ?
En revanche, le Président de la République ne peut agir devant aucune juridiction. Or, en cas de divorce, même par consentement mutuel, le juge doit vérifier la réalité des consentements. L’a-t-il fait ? Où ? Comment ? Dans quel cadre ? Toujours est-il que le Président de la République a pu divorcer. C’est heureux pour lui, pour le citoyen qu’il est, pour sa nouvelle épouse et peut-être plus encore pour sa précédente femme. (Sourires.)
La rédaction de l’article 67 de la Constitution qui a pour objet de fixer le statut pénal du chef de l’État est beaucoup trop large et pose de nombreux problèmes. Par conséquent, sa révision s’impose. C’est d’ailleurs ce que la cour d’appel de Versailles, dans l’arrêt qu’elle a rendu voilà quelques jours, souligne expressément. L’organisation judiciaire française et la Convention européenne des droits de l’homme se révélant incompatibles, seule une réforme de la Constitution serait en mesure de résoudre cette contradiction.
Madame le garde des sceaux, je connais votre longue pratique des institutions de la République en tant que parlementaire comme en qualité de ministre : je ne doute pas que votre réflexion sur cette question sera beaucoup plus large que celle que le groupe socialiste propose aujourd'hui avec ce texte. Je sais que, en raison des fonctions éminentes de gardienne des lois constitutionnelles et de leur bonne application que vous exercez, vous aurez à cœur de résoudre ces contradictions dans l’intérêt du bon fonctionnement des institutions, notamment de l’institution judiciaire, et dans l’intérêt du Président de la République lui-même, qu’il s’agisse du chef de l’État actuel ou de ceux qui lui succéderont. Aujourd'hui, en effet, il se trouve dans une situation tout à fait contestable au regard de l’égalité des droits devant le procès public, je n’y insiste pas.
Monsieur le rapporteur, la commission des lois n’a pas commencé par le commencement, c’est-à-dire par les dispositions bien modestes que contient cette proposition de loi organique. Rendons applicable cette procédure de destitution qui est un peu le complément et le contrepoint de l’immunité totale dont bénéficie le Président de la République.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Vous mélangez tout, le pénal et le politique !
M. Jean-Pierre Michel. Quelle prudence, quelle crainte révérencielle vous ont enveloppés, mes chers collègues ? Je dois avouer que vous m’avez surpris, monsieur le rapporteur : la motion tendant au renvoi à la commission que vous avez déposée est une mascarade.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non !
M. Jean-Pierre Michel. La commission a discuté assez longuement de cette proposition de loi organique : vous avez présenté des arguments sérieux et formulé des propositions qui auraient permis d’amender judicieusement le texte. Pourquoi ne l’avez-vous pas fait ?
Mme le garde des sceaux affirme qu’une vaste réflexion a lieu dans son ministère : elle aussi aurait pu déposer des amendements au nom du Gouvernement, que ce soit en commission ou en séance publique. Une telle initiative aurait permis d’aboutir à l’adoption d’un texte qui aurait ensuite été examiné par l'Assemblée nationale, et vous auriez d’ailleurs pu à tout moment interrompre le processus législatif. Vous avez préféré l’arrêter d’emblée.
Tout cela n’est pas satisfaisant. Par vos atermoiements, vous aggravez encore la situation, alors que nous aurions pu, aujourd'hui, la clarifier au moins sur un point. Cela aurait été le mérite du Sénat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?…
La discussion générale est close.
La parole est à Mme la ministre d'État.
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Monsieur le président, je répondrai rapidement aux remarques formulées par les différents intervenants.
Monsieur Bel, vous vous êtes étonné de la lenteur du processus. Alors que la modification constitutionnelle avait été déclarée urgente en 2002, vous avez souligné que rien n’avait changé en 2010. Pourtant, un certain nombre de propositions ont été formulées et un projet de loi a même été élaboré par Pascal Clément, lorsqu’il exerçait les fonctions de garde des sceaux. Les différentes échéances électorales et les changements de gouvernements n’ont pas permis d’aller au bout du processus.
Certes, nous pouvons regretter de nous trouver encore dans la situation de 1958, mais je ferai remarquer que le groupe socialiste a exercé des responsabilités pendant une quinzaine d’années et qu’il aurait eu tout le temps de prendre des initiatives en la matière.
La démonstration à laquelle vous vous êtes livré, monsieur Bel, témoigne d’une faiblesse que j’ai déjà relevée dans les interventions de vos collègues socialistes, c'est-à-dire la confusion entre la responsabilité judiciaire du Président de la République ou sa non-responsabilité et ce que l'article 68 de la Constitution tend à instaurer.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. C’est exact !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Les exemples concrets de mise en jeu de la responsabilité du Président de la République qui ont été évoqués...
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Ne sont pas bons !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. ... montrent bien que le risque d’une instrumentalisation politicienne de la procédure à des fins qui seraient contraires à l’objectif visé est grand.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oui !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. C’est ce que nous devons éviter, car c’est du fonctionnement de nos institutions et de la garantie de stabilité de nos institutions qu’il est question. Il nous faut faire très attention.
Le fait qu’un Président de la République décide d’aller non pas contre l’esprit d’un texte mais contre la tradition de ne pas saisir un tribunal suffirait-il à déclencher cette procédure ?
M. Jean-Pierre Bel. Ce n’est pas ce que j’ai dit !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Il faudra veiller à ce que cette procédure conserve bien le caractère exceptionnel qu’elle doit avoir, car les conséquences, tant internes qu’externes, sont trop graves pour notre pays.
Mme Escoffier a souligné que le groupe RDSE s’abstiendrait, car il souhaite que la question soit approfondie et qu’un travail en commun ait lieu pour que soient mises en place des structures et une procédure qui soit le plus à même de répondre aux cas de responsabilité graves mais qui ne soit limitée qu’à eux seuls. Je la remercie donc de son engagement et de sa volonté de trouver un texte commun qui soit le meilleur possible.
Mme Borvo Cohen-Seat a évoqué plusieurs éléments. Certains correspondent sans doute à ses convictions profondes mais contredisent exactement sa démonstration.
Mme la sénatrice, vous parlez d’un pouvoir absolu du Président de la République mais, depuis la modification constitutionnelle, jamais les assemblées n’ont eu autant de pouvoirs. Ainsi, pour la première fois de toute notre histoire institutionnelle, il est désormais prévu dans la Constitution – et cette disposition va très prochainement entrer en application– que les nominations les plus importantes seront soumises préalablement à un avis des commissions de l’Assemblée nationale et du Sénat. C’est une avancée considérable qui va exactement à rebours de vos affirmations.
Vous évoquez également, madame Borvo Cohen-Seat, l’irresponsabilité pénale du Président de la République pendant son mandat. Comme je l’ai dit au début de mon intervention, c’est un principe que l’on retrouve dans toutes les grandes démocraties. Par ailleurs, cette irresponsabilité se limite à protéger la fonction du Président de la République et non sa personne. Lorsque la fonction prend fin, le Président de la République peut donc être poursuivi.
Nous discutons d’une proposition de loi portant application de l’article 68 de la Constitution. Or, madame Borvo Cohen-Seat, vous avez essentiellement évoqué, dans votre démonstration, l’article 67. Vous étiez donc hors sujet !
Mme Troendle nous a fait part de cinq réflexions sur cette proposition de loi, auxquelles je souscris totalement. Cependant, madame Troendle, il ne s’agit en aucun cas d’adopter une procédure dilatoire. Comme je l’ai précisé, je compte proposer un projet de loi organique d’application de l’article 68 non pas au cours du second semestre mais au cours du deuxième trimestre de 2010, l’ordre du jour du premier trimestre étant déjà bien chargé, sans parler de la coupure des élections régionales.
Monsieur Michel, vous avez – et je vous remercie de votre courtoisie – souligné qu’il y avait inégalité entre le citoyen et le Président de la République au motif que, lorsque celui-ci se porte partie civile, il a tous les moyens de déclencher l’action publique. Mais toute plainte avec constitution de partie civile, formulée par n’importe quel citoyen, déclenche l’action publique. Le Président de la République, contrairement à ce que vous affirmez, est considéré comme un citoyen comme les autres : tout citoyen a autant de pouvoirs que le Président de la République en la matière. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
Par ailleurs, tous les exemples que vous avez cités, monsieur Michel, outre qu’ils relèvent davantage du champ de l’article 67, notamment du risque pénal, font apparaître un risque d’instrumentalisation à des fins politiciennes de l’article 68 et montrent la nécessité de prévoir des barrages juridiques pour le déclenchement de cette procédure.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Eh oui !
Mme Michèle Alliot-Marie, ministre d'État. Tous vos arguments portent essentiellement contre l’article 67 de la Constitution et non contre l’article 68. Cela démontre que le débat sur la proposition de loi organique portant application de l’article 68 n’est pas mûr, même dans les rangs de l’opposition.
En conséquence, un renvoi de ce texte à la commission me paraît judicieux, car il nous permettrait de continuer à échanger nos arguments afin d’aboutir à un texte conforme à la volonté du constituant et raisonnable pour nos institutions. Je remercie M. le rapporteur d’avoir exprimé cette demande au nom de la commission des lois. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par M. Hyest, au nom de la commission, d'une motion n° 1.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du Règlement et d'administration générale, la proposition de loi organique portant application de l'article 68 de la Constitution (n° 69, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. En conclusion de mon intervention dans la discussion générale, j’ai insisté sur la complexité des problèmes non résolus par ce texte, ce qui justifie la demande de renvoi à la commission.
En conséquence, cette motion ayant été largement défendue, je n’y insisterai pas davantage.
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Michel, contre la motion.
M. Jean-Pierre Michel. Le groupe socialiste votera contre la motion tendant au renvoi à la commission, pour les raisons que j’ai exprimées tout à l’heure.
Madame la ministre d’État, garde des sceaux, ministre de la justice et des libertés, je vous précise, avec courtoisie, comme toujours – il n’y a pas lieu de s’insulter – que les articles 67 et 68 sont intimement liés.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Non !
M. Jean-Pierre Michel. D’ailleurs, l’article sur l’impeachment a été introduit pour contrebalancer l’inviolabilité totale du Président de la République devant toutes les juridictions.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Il faut nuancer cette affirmation !
M. Jean-Pierre Michel. Par ailleurs, madame la ministre d’État, vous déclarez que le Président de la République agit devant les juridictions comme tout citoyen, en se constituant partie civile. Je suis d’accord avec vous. Mais là où vous n’avez pas très bien compris mes propos – peut-être me suis-je mal exprimé –, c’est quand je souligne que, dans cette situation, le Président de la République a un double pouvoir.
D’une part, il a le pouvoir de tout citoyen de se constituer partie civile, c’est-à-dire de mettre en mouvement l’action publique et non pas seulement de déposer plainte. D’autre part, il a le pouvoir du Président de la République, supérieur hiérarchique du parquet, par votre entremise. Il peut donc vous demander – et vous l’accepterez vraisemblablement – de faire enclencher l’action publique par un magistrat du parquet. (Mme la ministre d’État fait un signe de dénégation.) S’agissant d’une infraction supposée, on ne voit pas pourquoi le parquet n’enclencherait pas l’action publique et ne déférerait pas aux ordres du garde des sceaux.
Tel est bien le statut du parquet. Nous en reparlerons ultérieurement, à l’occasion de la réforme de la procédure pénale. Lorsque le garde des sceaux donne l’ordre au parquet de poursuivre, il n’y a aucune discussion : le parquet doit poursuivre ! Permettez-moi de rappeler que, dans l’affaire qui a eu lieu il y a quelques années, le garde des sceaux, malheureusement, avait demandé au parquet de ne pas poursuivre alors que des infractions étaient déclarées.
Le Président de la République dispose de deux voies pour mettre en mouvement l’action publique, celle du citoyen ordinaire et celle du Président de la République.
M. Jean-Pierre Michel. Il aurait été opportun, aujourd’hui, de discuter sérieusement de cette proposition de loi.
Nous sommes d’accord avec vous, madame la ministre d’État : il ne s’agit pas de faire dériver ces débats vers des finalités politiciennes. Cela n’a aucun sens ! Il s’agit de respecter l’équilibre délicat des pouvoirs et l’intégralité des pouvoirs du Président de la République tels que vous les avez énumérés au début de votre première intervention, et qui sont inscrits dans la Constitution.
De tout cela nous sommes, comme vous, les garants, car, comme vous, nous croyons aux institutions, en espérant qu’un jour l’un des nôtres en sera le garant, comme cela a déjà été le cas durant quatorze ans. Ce point ne fait pas discussion.
En revanche, vous déclarez, madame la ministre d’État, qu’un délai est encore nécessaire. Près de trois ans après la révision constitutionnelle, permettez-moi d’en douter ! Nous savons que des études ont déjà été réalisées au sein de votre ministère en vue de l’élaboration d’une loi organique et qu’il existerait même un projet préparé par l’un de vos prédécesseurs. Il est tout à fait normal, dans le cadre d’une révision constitutionnelle, que les services compétents soient mobilisés afin de préparer les diverses lois organiques qui doivent en permettre l’application.
C’est ce que fait le Gouvernement aujourd’hui pour la dernière révision. La commission des lois est saisie de textes de loi organique qui se succèdent dans un ordre qui n’est peut-être pas celui que l’opposition aurait souhaité, mais, quoi qu’il en soit, le Parlement est saisi.
Le facteur temps n’est donc pas en cause aujourd’hui. Vous ne pouvez pas dire qu’il nous faut encore réfléchir. Mais, paraît-il, le Président de la République craint toujours qu’on ne l’aime pas, qu’on lui en veuille, et sans doute redoute-t-il d’être attaqué personnellement à l’occasion de l’examen de cette proposition de loi ! Ce n’est absolument pas le cas, sa personne n’est pas en cause, elle n’est rien au regard de sa fonction constitutionnelle qui, seule, compte aujourd’hui.
Pour toutes ces raisons, madame la ministre d’État, nous voterons contre cette motion tendant au renvoi à la commission, dont nous regrettons profondément le dépôt. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Oh là là !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant au renvoi à la commission.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 121 :
Nombre de votants | 339 |
Nombre de suffrages exprimés | 324 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 163 |
Pour l’adoption | 187 |
Contre | 137 |
Le Sénat a adopté.
En conséquence, le renvoi à la commission est ordonné.
Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures quarante-cinq, est reprise à dix heures cinquante.)
M. le président. La séance est reprise.