Mme Éliane Assassi. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il faut bien commencer par un bout !
M. Jacques Mézard. Le Sénat pourra-t-il faire en sorte que cela soit le commencement de la fin d’une réforme imposée à marche forcée en vertu du principe selon lequel qui veut la fin veut les moyens ?
Nombreux dans le groupe du RDSE, et même très nombreux, sont ceux qui souhaitent une évolution de l’administration territoriale, de l’organisation de nos collectivités autour d’une clarification et d’une simplification des compétences, cœur du débat au niveau tant financier qu’administratif, et il y a dans le discours présidentiel certains éléments qui pouvaient convenir à des sensibilités diverses.
Mais quel gouffre entre les discours et les actes ! Quelle déception sur la méthode utilisée et les objectifs réels des projets de loi qui nous sont soumis ! Et, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, si vous raccourcissez les mandats, je ne suis pas sûr que vous ayez élargi le débat…
Si j’ai bien entendu, le présent texte n’aurait pas tellement de liens avec la réforme relative aux conseillers territoriaux. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.) Je vous demande cependant de relire la troisième ligne de l’exposé des motifs, où il est clairement, et loyalement, indiqué qu’il s’agit de mettre en place lesdits conseillers territoriaux.
M. Yves Krattinger. Eh oui !
M. Jacques Mézard. Nous n’avons pas dû lire le Discours de la méthode de la même manière. Entre stratégie politique et loi fondatrice, il existe un immense fossé, incompatible avec la large adhésion que requiert une telle réforme.
Nous considérons, nous, que la logique eût été, d’abord, de clarifier et de simplifier les compétences, ensuite, de rationaliser l’organisation territoriale, puis, d’adapter la fiscalité locale et, enfin, le cas échéant, d’ajuster le calendrier électoral, le tout pouvant être appréhendé de manière globale.
Vous avez décidé d’opérer à l’inverse pour des raisons non de logique d’aménagement du territoire mais de stratégie autour de deux axes.
En premier lieu, il vous fallait supprimer la taxe professionnelle en priorité, dans des conditions sur lesquelles nous nous sommes déjà exprimés, et, en second lieu, créer le conseiller territorial avec un scrutin uninominal à tour unique, pour nous inique.
Par ces méthodes, vous désespérez, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d'État, ceux qui ne sont pas de votre sensibilité mais ne redoutent pourtant pas de voter des textes leur paraissant conformes à l’intérêt général et au respect de leur sensibilité.
La lecture de l’étude d’impact jointe au texte du projet de loi est révélatrice ; il s’agit en fait d’appliquer selon vous les conclusions du rapport du comité pour la réforme des collectivités locales, dit « comité Balladur », intitulé Il est temps de décider, rapport qui, je vous cite, « a conclu à la nécessité de renforcer le rôle des régions et des départements, d’une part, en rapprochant ces deux collectivités et, d’autre part, en modernisant le mode d’élection ».
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est ce que nous faisons !
M. Jacques Mézard. Pourtant, je note que les préconisations du comité Balladur sur le système électoral n’ont pas été suivies par vous, car vous reprochez à ce système quatre inconvénients dont le premier serait que l’identité souhaitée entre les deux catégories d’élus ne pourrait être satisfaite.
L’étude d’impact – au demeurant intéressante mais qui n’a pas forcément un lien direct avec le projet de loi sur la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux, puisqu’il y est essentiellement question du projet de réforme des collectivités territoriales – repose principalement sur le rapport Balladur ; vous rappelez ensuite que « la préparation à cette réforme a fait l’objet d’échanges nombreux avec les associations d’élus locaux, les partis politiques et les parlementaires », mais il n’y a pas une ligne sur le contenu des déclarations desdits partis, des associations d’élus et des parlementaires.
Bien mieux, sauf erreur de ma part, ni dans l’exposé de motifs, ni dans l’étude d’impact, il n’y a point trace du rapport de la mission temporaire du Sénat sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, dite « mission Belot », rapport intitulé Faire confiance à l’intelligence territoriale. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est passé à la trappe !
M. Jacques Mézard. Qu’avez-vous fait de cette confiance ?
Certes, tout à l’heure, avec beaucoup de diplomatie, vous avez rappelé le travail de cette mission.
Comme d’autres nouveaux parlementaires, j’ai participé avec confiance à cette mission, où la liberté d’expression, les auditions, la volonté d’écouter l’autre et de rechercher un consensus – dans le bon sens du terme – furent exemplaires.
Plusieurs mois de réunions hebdomadaires, une volonté d’aboutir à des propositions concrètes, dynamiques : tout ce travail a été en grande partie balayé par l’arrivée impromptue et tardive du non-invité de la dernière heure, le conseiller territorial, et davantage encore par celle du scrutin relatif à son élection. Donc, feue la mission Belot, feu le conseil régional des exécutifs et, surtout, le sentiment que beaucoup d’énergie et de bonne volonté ont été piétinées...
Vous nous demandez aujourd’hui de raccourcir les mandats des conseillers régionaux à élire en 2010, pour une durée de quatre ans, et ceux des conseillers généraux à élire en 2011, pour une durée de trois ans. Reconnaissez que c’est tenter de faire avaler le plat de résistance avant l’entrée, ce qui, en tout état de cause, laissera un goût amer.
Au-delà de la forme, au travers de ce projet de loi, et concomitamment à la suppression de la taxe professionnelle, vous allez vraisemblablement figer l’action politique des départements et des régions pour les quatre ans qui viennent : celle des élus pour quatre ans au conseil régional et de la moitié des élus pour trois ans au conseil général avec, pour horizon, l’élimination mathématique de la moitié d’entre eux, avant l’élimination d’une bonne moitié de la moitié restante par les mécanismes habituels. Est-ce le moyen de mener une politique progressiste, dynamique, au moment où la France en a tant besoin ?
Il ne s’agit plus des constituants s’interdisant l’accès à l’Assemblée législative une fois leur mission accomplie, selon le vœu de Robespierre, qui déclarait : « Une loi prohibitive de réélection est le plus sûr moyen de conserver la liberté. » Il s’agit d’élus qui risquent d’expédier les affaires courantes. Ce sont quatre ans de stagnation qui peuvent se profiler pour la période 2010-2014.
Mme Maryvonne Blondin. Bien sûr !
M. Jacques Mézard. À ce stade, monsieur le secrétaire d’État, permettez-moi de vous adresser un message personnel. Vous vous définissez comme un adepte de la concomitance des élections au conseil régional et au conseil général. Il est dommage que vous ne pratiquiez pas cette concomitance lors des élections cantonales partielles que vous faites accélérer dans votre département. Vérité à Paris n’est point forcément bonne en province ! (Applaudissements et exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.) Est-ce au nom de la logique et de la simplification ?
Le rapporteur a déclaré que ce texte sur la concomitance était sans influence sur les textes suivants.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Tout à fait !
M. Guy Fischer. C’est faux !
M. Jacques Mézard. C’est vrai en la forme, mais le Parlement a toujours autorité pour défaire ce qu’il a fait...
Ne nous leurrez pas en soutenant que ce projet de loi sur la concomitance se suffit en lui-même : c’est là une argumentation spécieuse, alors que tout le rapport et l’étude d’impact portent sur le conseiller territorial et le texte à venir.
Nous ne pouvons, par conséquent, approuver ce projet de loi, dont nous contestons avec force les modalités inacceptables de discussion. La grande majorité du groupe du RDSE s’y opposera et défendra deux amendements de suppression pour chacun des deux articles. (Applaudissements sur les travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Éliane Assassi.
Mme Éliane Assassi. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme l’a dit justement ma collègue Nicole Borvo-Cohen Seat, votre réforme représente un véritable coup de force contre l’institution parlementaire, contre les départements et les régions, et contre les citoyens.
Vous avez décidé d’en finir avec ce particularisme français qu’est la proximité de centaines de milliers d’élus au service et au contact des citoyens.
Le texte qui nous est soumis, intitulé – pour ne pas froisser ! – « Projet de loi organisant la concomitance des renouvellements des conseils généraux et des conseils régionaux » vise à réduire les mandats des conseillers régionaux, qui seront élus en mars prochain, et des conseillers généraux, qui seront élus en mars 2011.
Mais personne n’est dupe : ce texte anticipe, au mépris du Parlement, la réforme des collectivités territoriales, qui prévoit, entre autres, la création de conseillers territoriaux. J’invite donc celles et ceux qui, sans état d’âme, osent encore nous dire qu’il n’y a là aucun lien, à faire preuve d’un peu plus d’honnêteté. Bien évidemment, ce lien existe ! Sinon, pourquoi proposer cette procédure accélérée, sauf à entériner par avance la création des conseillers territoriaux ?
Pour imposer votre projet de loi, vous usez aussi d’un certain nombre d’arguments, que je veux ici faire tomber.
Tout d’abord, les élus coûteraient trop cher, et il faudrait donc en réduire le nombre. Je ne reviendrai pas ici, à titre de comparaison, sur les cadeaux fiscaux offerts par votre majorité à ceux qui détiennent déjà beaucoup trop de richesses. De toute évidence, là encore, vous n’avez pas beaucoup d’états d’âme.
Soyons un peu sérieux ! L’énorme majorité des 500 000 élus sont des bénévoles, et il faut rendre hommage à la fois à leur dévouement et au rôle fondamental qu’ils jouent dans l’exercice de la démocratie. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Même le président Larcher ne partage pas votre point de vue. Selon lui, les indemnités des élus ne représentent que 28 millions d’euros chaque année, alors que la dépense publique locale s’élève à 220 milliards d’euros. Ces indemnités ne représentent ainsi que 0,04 % du budget des collectivités territoriales. C’est donc un argument qui tombe.
Vous affirmez, ensuite, que le regroupement des élections cantonales et régionales va permettre une plus forte participation des citoyens aux élections.
Ainsi donc, nous apprenons que l’abstention serait simplement due à un mécontentement portant sur l’empilement des structures institutionnelles. J’avoue que je n’avais pas donné ce sens à l’abstention ! Comme beaucoup, je croyais que cet acte était plutôt l’expression d’une colère, fondée le plus souvent sur le non-respect de promesses électorales, ou encore sur une défiance vis-à-vis de ceux qui méprisent les résultats sortis des urnes, à l’instar du sort réservé à la victoire du « non » au traité constitutionnel européen, ou encore que cette abstention était une façon de dire que les politiques mises en œuvre ne répondaient pas aux attentes, aux besoins, voire aux espoirs populaires.
Enfin, selon vous, cette concomitance rapprocherait les élus des citoyens.
Sincèrement, j’avoue ne pas comprendre cet argument. Je l’ai dit, Nicolas Sarkozy veut en finir avec ce particularisme français qu’est la proximité entre élus et citoyens. Il vous faut donc distendre ces liens. La proximité vous est insupportable, car elle représente aussi la possibilité de construire des poches de résistance, des poches de propositions alternatives aux choix politiques qui sont les vôtres et qui sont contraires à l’intérêt des gens, à l’intérêt des territoires, au développement et à la modernisation des services publics. Vous profitez également, pour mener à bien ce projet, d’une période particulière, durant laquelle nos concitoyens sont préoccupés davantage par la crise, qui les frappe de plein fouet, que par une réforme que vous ne vous efforcez pas vraiment, par ailleurs, de rendre visible et lisible.
De plus, sans doute par peur, vous usez d’arguments populistes et manipulez l’opinion publique, en renvoyant aux seuls élus la responsabilité de la situation catastrophique dans laquelle vous avez plongé notre pays.
La réduction des mandats des conseillers généraux et régionaux que vous nous demandez de voter va paralyser les collectivités territoriales jusqu’à leur probable disparition, annoncée par la réforme des collectivités territoriales, avec des spécificités concernant celles de la région parisienne.
En effet, ces élus ne prendront pas le risque de se lancer dans de grands projets, puisqu’ils n’ont aucune certitude concernant leur avenir. Avec cette réduction de mandat et les incertitudes qui pèsent sur les finances et les compétences, nous allons ouvrir une période d’immobilisme. Les élus vont se contenter de gérer les affaires courantes, alors même que nous avons besoin, plus que jamais, de collectivités locales réactives pour répondre aux attentes de nos concitoyens.
Votre projet, qui laisse d’ailleurs planer le doute sur les compétences des collectivités territoriales, complique encore plus leur travail. C’est là que réside le risque de voir s’éloigner les citoyens des urnes. En effet, quelle crédibilité auront ces élus lorsque les citoyens prendront conscience qu’ils ne seront sûrement pas en mesure de faire ce qu’ils disent ou ce qu’ils promettent ?
Si ce projet de loi est adopté, les conseillers territoriaux cumuleront donc, en 2014, les fonctions de conseillers généraux et régionaux. Êtes-vous conscients de la charge de travail que représentent ces fonctions ? Il semble ainsi peu crédible de confier à une seule et même personne le soin d’exercer deux fonctions aussi prenantes, sauf à vouloir, comme je l’ai déjà dit, les éloigner des citoyens.
Par ailleurs, comme vous êtes friands de révision générale des politiques publiques, la fameuse RGPP, je signale que la construction ou la reconstruction de bâtiments destinés à accueillir les nouvelles assemblées entraîneront des dépenses qui, bien sûr, ne sont pas contenues dans l’étude d’impact.
Ainsi, tout ce dispositif ne tendra pas à réaliser des économies, mais augmentera considérablement les coûts. Comprenne qui pourra !
On peut signaler, en outre, que nous ne sommes toujours pas informés du nombre de conseillers territoriaux attribués à chaque département. Cela me semble renforcer le peu de visibilité que nous avons de cette réforme.
Tout démontre, en fait, que nous nous engageons vers une professionnalisation de l’activité des élus qui, pour exercer correctement leur mandat, devront y consacrer un temps plein. Ce mandat leur laissera peu de temps pour être proches de la vie quotidienne des citoyens, ce qui portera, là encore, un coup fatal à la démocratie représentative. Ce recul est proprement sidérant !
Votre projet de loi est en parfaite contradiction avec l’idée que nous nous faisons de la démocratie et qui, au contraire de la vôtre, est basée sur une plus grande participation des citoyens à la vie politique, voire sur un partage du pouvoir.
Il faut conserver les conseillers généraux et les conseillers régionaux, tout en leur permettant de travailler en plus étroite collaboration. Cela participera inévitablement à l’amélioration de l’exercice de leurs compétences, sans parler des substantielles économies qu’il sera possible de réaliser.
Quant au mode de scrutin que vous avez imaginé pour l’élection des conseillers territoriaux, il démontre, si c’était encore nécessaire, votre peu d’attachement à la diversité, à la place et au rôle des minorités.
En effet, le mode de scrutin uninominal à un tour, à l’instar de ce qui se passe chez nos voisins anglais, va réduire au silence les petites formations politiques, la « dosette » de proportionnelle que vous injectez – et que, bien sûr, vous mettez en avant ! – ne servant qu’à cautionner votre système. Ainsi, des candidats pourront être élus sans jamais avoir été majoritaires. Nous n’avons décidément pas la même définition du mot démocratie !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C’est ça, la proportionnelle !
Mme Éliane Assassi. Votre système conduit inévitablement à la disparition de la diversité culturelle et sociale, et met en place une vie politique bipartisane. Il remet également en cause le principe, pourtant constitutionnellement garanti, de l’égal accès des hommes et des femmes aux fonctions politiques. Nous savons pertinemment, en effet, que les premières victimes de ce mode d’élection sont et seront les femmes. (Mme Gisèle Printz applaudit.)
Le projet porté par le Président de la République ne vise nullement à « renforcer la démocratie locale ». Nous y sommes donc fortement opposés car, sur le fond, il s’attaque aux valeurs de notre République.
Par conséquent, nous voterons contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Muguette Dini.
Mme Muguette Dini. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, mes collègues de l’Union centriste ont exprimé la position de notre groupe sur ce texte. Aussi vais-je directement évoquer ce qui m’indigne, même si ce n’est pas encore à l’ordre du jour : je veux parler du mode de scrutin de ces élections territoriales, qui a été conçu au mépris du respect de la parité. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Vous ne pourrez pas dire, messieurs les ministres, quand le sujet viendra en débat, que vous n’avez pas été informés de la révolte des femmes élues et aussi, sans doute, des autres. Je me permets de vous rappeler que l’article 1er de la Constitution dispose : « La loi favorise l’égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et fonctions électives [...] ».
Je dois vous féliciter pour toutes les dispositions qui concernent les élections municipales : enfin, dans les conseils municipaux et les exécutifs locaux, les femmes auront suffisamment de poids pour faire valoir et mettre en œuvre leurs compétences, différentes et complémentaires, dans la gestion de nos communes et de nos villes.
Il en va tout autrement des conseillers territoriaux qui vont gérer les départements et les régions. Je vous le dis tout net : les dispositions que vous envisagez sont scandaleuses. (Nouveaux applaudissements sur les mêmes travées.)
Je rappelle quelques chiffres : on compte 986 femmes sur 1 880 conseillers régionaux et 571 femmes sur 4 152 conseillers généraux. Vous allez réduire le nombre des élus territoriaux, dont l’effectif est de 6 032, pour arriver à quelque 3 000 conseillers territoriaux. On peut imaginer la bagarre qui va s’ensuivre... On peut imaginer aussi que de nombreux conseillers généraux sortants, connus dans leur canton, voudront garder la main ; or ce sont des hommes à 87 %.
Restent 20 % des candidats élus à la proportionnelle : devinez qui sera tête de liste ? Des hommes, bien sûr ! (Murmures d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
La projection optimiste pour 2014, qui donne 81 % d’hommes et 19 % de femmes élus, est donc totalement surréaliste.
Je fais le pari que, dans ces conditions, c’est 12 % à 15 % de femmes qui seront élues. Vous avez déclaré, monsieur le secrétaire d’État : « Personne n’est propriétaire de ses électeurs et il appartient aux partis de choisir des femmes ». Comment accepter une telle affirmation alors que l’UMP, votre parti, a présenté aux législatives de 2007, dans le Rhône, un homme dans chacune des 14 circonscriptions que compte ce département ? (Huées sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
On évoque aussi des sanctions financières accrues pour les partis qui ne présenteraient pas assez de femmes. Mais qu’est-ce que cela signifie « assez » ? Arrêtez, une bonne fois pour toutes, de nous prendre pour de la marchandise ! (Bravo ! et applaudissements sur les mêmes travées.)
La vérité, monsieur le secrétaire d’État, est que vous ne vous êtes pas donné les moyens de respecter la Constitution.
Ou bien, au moment de la rédaction de ce projet de loi, vous n’avez pas pensé que c’était un problème. Ou bien, vous vous êtes dit que cela n’avait pas d’importance, et je ne sais pas laquelle des deux positions est la plus grave.
Et pourtant, il y a certainement des solutions.
J’en avais suggéré une avec la mise en place du bulletin paritaire, dans une proposition de loi que j’avais déposée le 6 janvier 2006 sur la parité. Je proposais que soient présentés sur le même bulletin non pas un titulaire et un suppléant, mais un homme et une femme, les électeurs choisissant le titulaire et le suppléant en rayant le second.
Bien sûr, la parité ne serait peut-être pas assurée, mais au moins les électeurs auraient le choix et on verrait si nos concitoyens sont aussi misogynes que les partis politiques. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Cette solution, parfaitement réalisable d’un point de vue technique, semble poser problème aux partis politiques et aux candidats : nombre d’entre eux ont sûrement peur de se voir préférer la femme qui sera sur leur bulletin et ne sont pas d’accord pour prendre ce risque.
Peut-être cette solution est-elle anticonstitutionnelle,…
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Il y a un petit risque !
Mme Muguette Dini. … mais on peut modifier la Constitution, on le fait chaque année… Dans tous les cas, si ma solution du bulletin paritaire n’est pas la bonne, il y en a sûrement une autre que vous devrez trouver pour mettre fin à ce scandale. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, comme vous l’avez constaté, le vote conforme, autrement dit le refus d’exercer son pouvoir d’amendement est désormais la routine de notre assemblée, au point, comme on l’a vu hier, que même le destin ne saurait y faire obstacle sans scandale.
Aujourd’hui, le Sénat est prié non seulement de persévérer dans son conformisme, mais d’aller encore un peu plus loin dans la servitude volontaire en approuvant par le vote un projet qu’il ne connaît pas. Plus exactement, il s’agit du vote d’un texte créant les conditions d’application d’une réforme qui n’est pas votée, dont on ignore des pans essentiels et, pour ce que l’on en connaît, soulève des doutes quant à sa constitutionnalité.
Le Sénat s’est tellement modernisé ces derniers temps que le voici devenu une chambre virtuelle : pouvoir virtuel d’amender des textes réels, pouvoir réel de voter des textes virtuels ! Demain, il ne sera même plus nécessaire de voter, il suffira de constater en début de cession qu’existe une majorité soutenant le Gouvernement.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce ne serait pas mal !
M. Pierre-Yves Collombat. Nous sommes déjà engagés dans cette voie.
Je passe sur les problèmes de constitutionnalité, déjà abordés par de nombreux orateurs, et qui seront développés lors de l’examen de l’exception d’irrecevabilité, pour m’arrêter un instant sur l’un des vices, à mon sens rédhibitoires, de ce projet de loi : l’absence d’indication quant au nombre de conseillers territoriaux et de « nouveaux cantons » par département.
Que l’on ne vienne pas me dire qu’il s’agit d’un problème mineur, réglé traditionnellement par voie d’ordonnance ou de règlement. Il s’agit d’une question majeure.
Pour un département de 150 000 habitants, conserver ses 30 conseillers généraux et ses 30 cantons actuels, les voir réduits à 20 et à 16 cantons, à 15 et 12 cantons, à 8 et 6 cantons, suivant le mode de calcul choisi, n’est pas un détail. En tous cas, cela devrait peser lourd dans le vote de ses représentants au Sénat.
En l’espèce, nous ignorons même les règles de calcul. Pour l’heure, on doit se contenter de bonnes paroles et du rappel de principes, incompatibles pour un certain nombre de régions : représentativité « essentiellement » démographique, prise en compte des territoires, réduction de moitié du nombre d’élus actuels, gouvernabilité des assemblées régionales.
Je vous fais la démonstration quand vous voulez que, dans les régions composées de départements démographiquement très hétérogènes, soit les conseils généraux des départements les moins peuplés seront squelettiques, soit les conseils régionaux et les conseils généraux des départements les plus peuplés seront pléthoriques.
En fait, avec ce texte s’ouvre et s’achève la discussion du projet de réforme des collectivités locales.
Les péripéties intermédiaires, qui débuteront en janvier et s’étaleront sur plusieurs mois, se dérouleront selon la dramaturgie désormais bien réglée, dont on a pu apprécier l’efficacité lors de l’examen du projet de loi de finances.
Acte I : le Sénat accepte l’essentiel. Hier, c’était la réduction du montant de l’impôt économique et l’idée que c’est sur la taxe professionnelle, plutôt que sur tout autre impôt - l’impôt sur les sociétés par exemple - qu’il faut faire porter cet effort. Aujourd’hui, c’est la consécration du principe de l’administration de la région et des départements par les mêmes élus. Voilà ce qui est en question aujourd’hui.
Actes II, III, IV… autant qu’il en faudra : on discute, on chipote les détails ; certains sont de taille, comme le mode de scrutin, mais beaucoup sont petits. Autant d’occasions de psychodrames politico-médiatiques où chaque composante de la majorité montre alternativement sa combativité ou sa bonne volonté. Je vous renvoie à ce qui vient de se passer avec la taxe professionnelle.
Pas besoin d’être devin pour imaginer les débats futurs sur la place laissée aux communes et à leur pouvoir de décision dans les intercommunalités, sur le mode de désignation des conseillers territoriaux, sur la taille et les compétences des métropoles, etc.
L’essentiel étant acquis aujourd’hui, si nous votons ce texte, le Gouvernement pourra se montrer compréhensif sur tout ce qui ne compromettra pas le bénéfice attendu de la réforme : la reconquête des départements et des régions.
Dernier acte : vote solennel du dernier projet gouvernemental. Le président du Sénat se félicite de la qualité d’un débat qui a pris tout le temps nécessaire, et de la place essentielle qu’y a tenue la Haute Assemblée, dont l’importance est ainsi soulignée. La majorité et le Gouvernement se félicitent mutuellement de leur bonne volonté, pour le plus grand bien de nos collectivités et la modernisation du pays. Les dissidents temporaires rentrent dans le rang.
Peu importe que le résultat soit cohérent ou qu’il ne le soit pas, qu’il soit un gage de dynamisme ou de paralysie pour nos collectivités, il est là : le projet de réforme est voté.
Voter ce projet de loi dit de « concordance », c’est accepter le cœur de la réforme. C’est donc réduire ce qui devrait être la substance du travail parlementaire à un spectacle dont on connaît déjà la fin, à quelques détails près. Ce travail a été fait, mes chers collègues, avec votre aide à tous, avec la mission temporaire sur l’organisation et l’évolution des collectivités territoriales, présidée par M. Belot et dont Mme Gourault et M. Krattinger étaient les rapporteurs.
Ce qui en a été retenu dans ce projet, ce n’est pas l’esprit, ce sont simplement les quelques détails qui étaient « balladuro-compatibles », si vous me permettez l’expression.
Dans ces conditions, monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, vous comprendrez que nous ne puissions nous associer à cette mystification. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)