Mme la présidente. La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat rituel sur la dette publique prend, cette année, un relief tout particulier, avec l’annonce de l’émission du grand emprunt, qui a déjà fait couler beaucoup d’encre, alors même que son montant, 35 milliards ou 36 milliards d’euros, en fait finalement un emprunt assez ordinaire.
Pour aborder ce débat, nous ne pouvons que nous reporter à l’actuelle situation de la dette publique, par examen des données figurant sur le site de l’Agence France Trésor, tout en précisant que cette dette est singulièrement affectée par les moins-values fiscales et l’approfondissement de la crise économique.
Fin 2008, la dette de l’État avait dépassé les 1 000 milliards d’euros, avec un montant de 1 017 milliards d’euros, décomposé entre 681 milliards d’euros d’obligations assimilables du Trésor, les OAT, 198 milliards d’euros de bons du trésor à intérêts annuels, les BTAN, et 138 milliards d’euros de bons du Trésor sur formule.
Fin septembre 2009, l’encours de la dette a particulièrement augmenté, atteignant en effet 1 134 milliards d’euros, dont 715 milliards en titres obligataires, 209 milliards en BTAN et 211 milliards en bons du Trésor sur formule, c’est-à-dire des titres de court terme.
La variation des bons du trésor de court terme atteint donc, pour l’heure, 73 milliards d’euros, alors qu’il était envisagé dans l’article d’équilibre de la loi de finances de 2009 une variation nette de 21 milliards d’euros, et une variation globale de la dette de 24 milliards d’euros sur le moyen et le long terme.
On voit que l’objectif a été atteint, bien au-delà de toutes les espérances, et que l’État ne s’est jamais trouvé autant endetté qu’aujourd’hui !
Un tel endettement provient en particulier des moins-values de recettes fiscales, qui ont profondément détérioré les comptes publics, mais aussi et surtout de choix fiscaux qui, mis bout à bout, font porter par l’État ce qui devrait procéder, bien souvent, de la seule responsabilité des entreprises ou des autres agents économiques.
Le paquet fiscal instauré par la loi en faveur du travail, de l’emploi et du pouvoir d’achat, dite loi TEPA, c’est 15 milliards d’euros de dette publique de plus chaque année depuis 2007. L’extinction du système d’imposition séparée des plus-values, c’est 20,5 milliards d’euros de perdus, au seul motif de renforcer la structure de nos groupes, qui ont ainsi pu trouver, grâce à l’action du Gouvernement et de la majorité sénatoriale, les moyens financiers de leur croissance externe et, parfois, de leur délocalisation.
Le crédit d’impôt recherche, qui a coûté cette année 4 milliards d’euros, sans la moindre progression des dépenses éligibles, c’est encore de la dette publique en plus !
Ce sont ces dispositions fiscales dérogatoires, avantageant certains revenus ou certaines stratégies industrielles, qui sont à la base de la croissance exponentielle de la dette publique. Et 36 000 emplois publics de moins, c’est aussi 36 000 emplois perdus pour les demandeurs d’emploi, avec l’ensemble des moins-values de recettes fiscales et d’activité qui en découlent.
Le processus de formation de la dette est donc toujours à l’œuvre, et il n’est guère vertueux.
Dans ce contexte, le grand emprunt ne constitue finalement qu’une petite augmentation de l’endettement global, qu’on tente de faire passer pour utile et vertueux.
Ce grand emprunt serait affecté à quelques priorités – transports, recherche, universités – et son encours serait mobilisé à partir de l’affectation du remboursement anticipé des « aides » du plan de sauvetage, pour un tiers et, pour les deux tiers restants, par sollicitation des marchés financiers. Cela revient de fait à faire persister, dans notre paysage, les deux entités créées dans le collectif d’octobre 2008 : la société de prise de participation de l’État, la SPPE, et la société de financement de l’économie française, la SFEF.
Mais l’appel au soutien des investisseurs privés, prévu pour le solde des 60 milliards d’euros que l’on s’apprête à mobiliser, montre le sens donné au grand emprunt : nous passerons rapidement de la dette publique vertueuse à celle destinée à couvrir le financement d’opérations de partenariat public-privé particulièrement coûteuses, in fine, pour les deniers publics.
Nous ne nous réjouissons donc pas des perspectives offertes par les diverses annonces, car nous sommes convaincus que la voie du désendettement de l’État passe par l’abandon des politiques d’allégements fiscaux, qui ont échoué, et dans des choix nouveaux de dépenses publiques, porteurs de croissance durable. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.
M. Jean-Jacques Jégou. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, récemment, un grand hebdomadaire titrait ainsi l’un de ses articles : « La dette, nouvel opium du peuple » ! Personnellement, je trouve qu’il serait plus juste de parler de « nouvel opium des élites », le peuple subissant beaucoup plus, à cet égard, l’irresponsabilité des gouvernements successifs depuis vingt-cinq ans !
Les Français ont d’ailleurs pris conscience ces dernières années, avec les travaux de la commission Pébereau et l’élection présidentielle, des dangers des dérapages chroniques de nos finances publiques et du niveau abyssal de nos dettes. Ils savent bien qu’un jour il faudra payer la facture, et donc qu’il faudra payer plus d’impôts.
Au-delà du bon mot, il faut reconnaître que la France s’est accoutumée depuis 1980, date du dernier budget en équilibre, à la drogue des déficits et de la dette publique, laquelle a été multipliée par cinq depuis cette même année. Alors que la dette atteignait à cette époque 20 % du PIB, tout le monde craint qu’elle ne dépasse les 100 % en 2012 ! De ce point de vue, notre pays se distingue d’ailleurs nettement de ses partenaires européens en étant le pays d’Europe dont le ratio de dette publique s’est le plus accru ces dix dernières années. Et, avec le grand emprunt, qui va ajouter de la dette à la dette, le gouvernement actuel cède, comme nombre de ses prédécesseurs, à son penchant dépensier. La France aime vivre à crédit !
En outre, et c’est le plus malheureux, l’augmentation de la dette résulte, comme l’a montré la commission Pébereau, du fait que, depuis 1975, nos administrations publiques sont en déficit. Cette dette n’a même pas servi à financer un effort structuré en faveur des dépenses les plus utiles à la croissance et à la préparation de l’avenir : elle ne sert à financer que les dépenses courantes de l’État. Elle est considérée comme une ressource publique à part entière ! Autant dire que le recours à l’endettement a été le choix de la facilité.
Mais le pire est à venir : le niveau des déficits publics va entraîner l’explosion de la dette. Avec un déficit budgétaire qui atteindra 8,5 % du PIB en 2010, la dette publique, qui est passée de 63,8 % de ce même agrégat en 2007 à 68,1 % en 2008, va en représenter 77,1 % cette année et 84 % l’année prochaine. Alors qu’en 2005 la commission sur la dette publique tirait le signal d’alarme à propos du niveau très préoccupant de cette dette, depuis trente ans, jamais nous n’aurons connu une progression aussi rapide que ces trois dernières années : de plus de 20 points ! L’évolution est vertigineuse.
Comme l’avait dit le Premier président de la Cour des comptes au mois de juillet dernier, à ce niveau de déficit, la dette publique devient incontrôlable. À ce stade, pour citer un proverbe auvergnat, si je ne m’abuse, « les dettes, c’est souvent le commencement de la ruine ».
Mme Michèle André. Oui, c’est bien un proverbe auvergnat !
M. Jean-Jacques Jégou. Depuis 1980, la dette a explosé à trois reprises, au cours de périodes marquées par des crises économiques et par la récession, à savoir les années 1980-1983, 1991-1993 et actuellement. Soit ! Mais, contrairement à ce qui se passe dans d’autres pays, quand la dette explose en France, parallèlement, en raison d’une sorte d’effet de cliquet anti-retour, lorsque des marges de manœuvre apparaissent de nouveau, nous ne les utilisons pas au désendettement. Peut-être est-ce aussi parce que nous sommes incapables de créer des richesses nouvelles…
Malheureusement, dans notre pays, la diminution de la dette publique n’a pratiquement jamais été un objectif prioritaire des gouvernements. Les périodes de croissance ou de taux d’intérêt bas n’ont pas été mises à profit pour la réduire.
Dans ces conditions, nous devons craindre que l’alourdissement rapide de la dette publique ne place notre pays dans une situation de très grande vulnérabilité. Combien de Français savent que les frais financiers, les intérêts de la dette, représentent 43 milliards d’euros en 2009, autant de sommes qui ne peuvent être affectés à des investissements ou à des politiques publiques ? Or 43 milliards d’euros, c’est plus que le futur grand emprunt ! Du moins si le Président de la République s’en tient à la somme raisonnable proposée par MM. Rocard et Juppé, et rien n’est moins sûr !
Certes, aujourd’hui, le financement de la dette publique reste très attractif dans le monde puisqu’une épargne est disponible pour les dettes souveraines des pays que l’on dit « bien gérés ». Pour le moment, nous bénéficions de taux à court terme extrêmement faibles, donc favorables, comme cela a été rappelé à plusieurs reprises. Cependant, cette capacité de notre pays à financer facilement sa dette sur les marchés ne doit pas avoir pour effet de ne pas regarder la situation en face et de nous conduire à ne pas traiter les déficits et la dette.
Car notre vulnérabilité est liée à une augmentation des taux qui, aux dires des économistes, ne manquera pas de se produire dès que l’économie mondiale redémarrera, le rapporteur général a été parfaitement clair sur ce point. Les intérêts de la dette augmenteront alors considérablement et pèseront encore plus qu’aujourd’hui sur le budget de l’État, rognant encore davantage les marges de manœuvre du Gouvernement. Le risque d’asphyxie financière serait réel.
Nous le savons, la France, parce qu’elle a de plus en plus recours aux marchés financiers, est sous surveillance. Elle ne peut emprunter plus que l’Allemagne et doit continuer à donner des gages pour conserver la confiance des marchés. Comme le disait Louis-Ferdinand Céline, « on ne meurt pas de dettes, on meurt de ne plus pouvoir en faire. »
Je terminerai mon propos en citant quelques lignes du rapport de la commission Pébereau sur la dette publique de 2005 pour déplorer le temps perdu sur ce sujet. « Ce n’est donc pas en poursuivant la facilité de l’endettement que nous renforcerons notre croissance économique, notre niveau de vie et notre cohésion sociale. C’est au contraire en abandonnant les comportements de ces vingt-cinq dernières années que nous pourrons relever les défis du futur et préserver le modèle de société dynamique, fraternel et généreux auquel aspirent les Français. »
Cette politique, monsieur le ministre, n’est ni de droite ni de gauche. Elle est dans l’intérêt de tous les Français et elle est totalement d’actualité. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le ministre, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, chômage massif, déficits abyssaux, dette publique vertigineuse : voilà une « trilogie » qui va marquer durablement les lois de finances des prochaines années.
Dans un contexte de croissance faible, l’emballement de la dette réduit à néant les marges de manœuvre budgétaires. En cas de remontée des taux d’intérêt, à quoi il faut évidemment s’attendre, le remboursement de la dette deviendra le premier poste des dépenses publiques.
À ce titre, le « petit emprunt », que le Président de la République voulait « grand », mais qui s’est rabougri au fil des semaines…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Ce n’est tout de même pas mal !
M. François Marc. Monsieur le rapporteur général, on annonçait 100 milliards d'euros !
M. François Marc. Ce « petit emprunt », dis-je, est un symptôme de l’état calamiteux de nos finances, particulièrement de celles de l’État.
Ces derniers jours, nous avons d’ailleurs eu l’occasion de signaler que l’évolution à la baisse de la dette des collectivités locales, quoique satisfaisante pour ces dernières, est une réalité.
La dette devient ainsi l’un des principaux écueils à une sortie de crise pour notre pays. Certains observateurs et acteurs de la vie publique évoquent un montant de dette équivalent à 100 % du PIB à la fin de ce quinquennat. Je pense – je l’espère en tout cas – que la résorption de la dette sera, avec la fiscalité, un élément central du prochain débat électoral.
À ce niveau exceptionnel d’endettement et compte tenu de son rythme actuel de progression, une croissance de 3 % serait nécessaire pour seulement stabiliser la dette. Un tel scénario, pour être pessimiste, n’en est pas moins probable, ne nous voilons pas la face.
Il est vrai que la crise financière a pesé sur l’envolée de la dette. Cependant, il faut noter que, de 2002 à 2007, celle-ci était repartie à la hausse d’un demi-point de PIB en moyenne chaque année – et cette donnée intègre la baisse de l’endettement public enregistrée en 2006, sans que la situation des finances publiques s’en trouve pour autant améliorée.
Mais, aujourd'hui, nous sommes confrontés à une phase inédite, à une sorte de nouvel âge de la dette. Certes, cela n’est pas propre à la France : au sein de l’Union européenne, l’injection de liquidités par la Banque centrale européenne comme l’intervention des États pour parer à la crise financière étaient nécessaires. Malheureusement, ces interventions ont nourri une nouvelle bulle : celle des dettes publiques.
Une telle situation suppose que la sortie de crise fasse l’objet d’une stratégie coopérative, au moins au sein de la zone euro, à l’inverse de ce qui s’est passé pour le plan de relance.
La France ne pourra pas, une nouvelle fois, se comporter en passager clandestin. Elle doit chercher les voies et moyens de cette stratégie avec notre partenaire principal qu’est l’Allemagne. À cet égard, emprunter encore 20 milliards d’euros supplémentaires sur les marchés financiers est un très mauvais signal, voire une provocation, au moment où notre pays est rappelé à l’ordre au sujet de la trajectoire qu’il suit en matière de réduction des déficits.
La seule question qui vaille est non pas : « quelle est l’ampleur de la dette ? », mais : « avons-nous les moyens de la rattraper ? » Une dette annoncée de 1 450 milliards d'euros alors que la France produit à peu près 30 milliards d’euros supplémentaires de richesse par an : on voit l’effort à fournir et le temps que pourrait prendre le rattrapage !
Se trouve donc posé, outre le problème de nos finances publiques, celui du redressement de notre pays. En cas d’échec, la France s’appauvrira durablement. Or, mes chers collègues, nous savons bien que, lorsque le riche maigrit, le pauvre meurt ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Fourcade. Ça, c’est vrai !
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Chevènement.
M. Jean-Pierre Chevènement. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’an dernier, M. le rapporteur général et moi-même étions d’accord pour distinguer la bonne dette et la mauvaise dette. Or, aujourd'hui, seule demeure la mauvaise dette, et M. Fourcade a ouvert, reconnaissons-le, des perspectives peu réjouissantes.
Ma plaidoirie sera un peu différente de celle de la plupart des orateurs qui m’ont précédé. Même si j’ai beaucoup apprécié votre rapport, monsieur le rapporteur général, je veux introduire une nouvelle idée dans notre débat. En fait, notre pays est confronté à un problème de compétitivité. Il est pris en étau entre les pays à bas coût salarial, au premier rang desquels figure la Chine, et le dollar, monnaie des États-Unis, sur laquelle le yuan est indexé. Et il ne peut pas sortir de cette tenaille dans l’Europe des Vingt-sept, dans l’Europe de Lisbonne, avec un euro qui s’envole et qui pèse sur sa compétitivité.
Cette mauvaise dette, qui résulte très largement du cumul du déficit budgétaire et des amortissements de dette, reflet des déficits passés, la France ne peut pas la résorber faute d’afficher le taux de croissance qui le lui permettrait.
Au total, la dette de l’État atteindra 1 142 milliards d'euros à la fin de cette année et probablement 1 258 milliards d'euros à la fin de 2010. Si l’on ajoute à cette dette tous les éléments devant être pris en compte, elle représente aujourd'hui 77 % du PIB et en représentera 84 % en 2010.
Dans l’histoire de la dette publique, c’est le deuxième envol spectaculaire, après celui qui avait suivi la réunification allemande et la signature du traité de Maastricht, période à laquelle, pour s’aligner sur le mark au prix de taux d’intérêt assassins, la France a, en quelque sorte, cassé sa croissance et permis l’ascension de sa dette de 26 points de PIB. Cette fois-ci, en trois ans, nous en sommes à 17 points.
Ce deuxième envol spectaculaire, dû pour l’essentiel à la récession et aux moins-values fiscales, doit inspirer trois choix clairs.
Tout d’abord, un peu de courage, une remise en cause vigoureuse des niches fiscales,…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Très bien !
M. Jean-Pierre Chevènement. … des exonérations abusives, du bouclier fiscal, véritable défi à l’esprit de justice. Notre pays doit être convié à l’effort et il y répondra si, naturellement, la condition élémentaire suivante est remplie : que l’effort soit équitablement partagé.
Aujourd'hui, la France s’appauvrit ; il y a de plus en plus de riches très riches, mais surtout de plus en plus de pauvres très pauvres. La solidarité manque au rendez-vous, signe que quelque chose ne tourne pas rond dans notre République et, plus largement, dans l’Europe de Lisbonne, où la première des libertés est celle des capitaux et la dernière, celle des travailleurs.
Au moins 50 milliards d'euros manquent à l’appel. Naturellement, prisonnier du système euro, notre pays est contraint de subventionner les charges sociales des entreprises. Tout cela traduit bien le dérèglement général du système.
Bien évidemment, il ne s’agit pas de casser la reprise. Il faut laisser agir les grands programmes de soutien à l’économie. La reprise n’est pas assez affermie aujourd'hui pour qu’on se lance dans des politiques de réduction de la demande publique, comme nous y incitent des doctrinaires à courte vue, empressés de remonter sur le piédestal d’où la crise les avait fait tomber l’hiver dernier.
J’évoquerai rapidement la Commission européenne, les « clous » de Maastricht, M. Trichet, la remontée prochaine des taux d’intérêt, mais regardons la situation : la France n’est pas encore sortie de la crise. Sa dette est faramineuse, même si celle des États-Unis est bien supérieure, s’élevant à plus de 12 000 milliards de dollars, c'est-à-dire huit ou neuf fois celle de notre pays. Et, au sein de la zone euro, la France est largement dépassée par l’Italie, la Belgique, la Grèce.
Sa situation risque de se dégrader vis-à-vis de l’Allemagne. J’observe toutefois que, en ce qui concerne les primes de risque, nos deux pays sont à peu près au même niveau. Néanmoins, le Premier ministre n’a pas eu tort de rappeler que nous ne pouvions pas laisser se créer un écart excessif d’endettement avec l’Allemagne.
Je constate cependant que c’est ce pays qui impose ses choix et je rappelle qu’il a adopté un amendement constitutionnel tendant à limiter à 0,35 % du PIB le déficit budgétaire à compter de 2016.
Il y a tout de même là la marque d’une cruelle absence de politique économique au niveau de la zone euro.
Ne cassons pas la reprise à peine entamée. Au contraire, et c’est le troisième choix qui me paraît s’imposer, l’État ne doit pas restreindre le grand emprunt à 17 milliards d’euros une fois déduits les remboursements des banques. Le grand emprunt peut, en effet, être de la bonne dette, à condition qu’il soit bien utilisé !
Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Jean-Pierre Chevènement. J’ai lu le rapport de MM. Juppé et Rocard. Je ne suis pas satisfait. Il contient beaucoup de préconisations dont le « retour » économique n’est nullement assuré. Je n’y trouve rien pour renforcer la compétitivité industrielle du pays, rien sur le fonds stratégique d’investissement, rien qui permettrait de consolider nos points forts : l’énergie, les transports, les industries agroalimentaires. Il mentionne par ailleurs deux mesures pour les PME, mais elles sont insuffisantes.
Ce n’est pas ainsi que l’on armera nos entreprises pour la course en haute mer, c'est-à-dire pour la conquête de parts de marché à l’exportation ! Nous sommes loin d’une grande politique de salut public qui ferait un peu plus de bonne dette et prendrait vraiment les moyens de réduire la mauvaise ! (Applaudissements sur les travées du RDSE et de l’Union centriste, ainsi que sur plusieurs travées du groupe socialiste. – M. Jean-Pierre Fourcade applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. Éric Woerth, ministre du budget, des comptes publics, de la fonction publique et de la réforme de l'État. Madame la présidente, monsieur le rapporteur général, mesdames, messieurs les sénateurs, je remercie tous ceux d’entre vous qui se sont exprimés avec beaucoup de compétence sur un sujet à la fois technique, aride et terriblement politique.
La dette est la somme des déficits accumulés par l’État depuis bien longtemps, sans compter le rehaussement brutal dû à la crise qui alarme à juste titre M. Fourcade, auquel chacun s’accorde à reconnaître une parfaite maîtrise de ces sujets. J’ai également entendu l’inquiétude de M. Jégou, qui l’avait d’ailleurs déjà clairement exprimée lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2010 et dans la discussion générale du présent projet de loi de finances. Je ne sous-estime pas non plus celle du rapporteur général et de Charles Guené.
Le Gouvernement, d’une certaine façon, partage cette inquiétude, car on ne peut manquer de l’éprouver face à une crise énorme. Cela étant, l’inquiétude peut être stérilisante ou constructive, selon qu’elle débouche sur l’immobilisme ou sur le dynamisme. Nous avons fait, pour notre part, le choix d’une réactivité très forte. Combattre la crise, c’est mettre en place les outils nécessaires pour repartir.
J’ai lu l’interview de Dominique Strauss-Kahn publiée aujourd’hui dans Le Figaro. Son opinion en tant que directeur du FMI est intéressante dans la mesure où il tient un peu toutes les manettes sur le plan international et où il a accès à de nombreuses informations. Selon lui, il ne faut pas relâcher l’énergie que nous mettons à sortir de la crise, car nous n’en sommes pas encore sortis. Si nous cessons l’effort, nous multiplierons la dette actuelle. Cela nous coûtera au final beaucoup plus cher et nous aggraverons la situation par une sorte d’effet « boule de neige ».
Évidemment, la dette n’est pas satisfaisante pour l’État français, qu’il s’agisse de la dette sociale, cher Jean-Jacques Jégou, ou de la dette de l’État. Mais avons-nous le choix ? La succession des plans de relance dans le monde provoque un endettement très important des économies publiques.
La dette publique en France atteindra 84 % du PIB en 2010, soit la moyenne de la zone euro, ce que peu de personnes savent. Au demeurant, le faire savoir est un exercice très délicat, car on donne l’impression de s’excuser ou de chercher à rassurer en mettant en avant que nous faisons comme les autres…
M. Jean-Pierre Chevènement. C’est la bien-pensance !
M. Éric Woerth, ministre. … et que nous ne sommes donc pas plus mauvais qu’eux. En l’occurrence, mon intention est d’éclairer sur la réalité de notre situation, car nos compatriotes ont l’idée, solidement ancrée dans leur tête, que leur pays est infiniment plus endetté que les autres. Or la France est endettée, oui, mais pas plus que ses partenaires. Elle est plutôt moins endettée que les pays de la zone euro et beaucoup moins endettée que les pays de l’OCDE. Notre pays est, par exemple, beaucoup moins endetté que les États-Unis, le Royaume-Uni, le Japon, etc.
Cette dégradation de la dette au sein de l’ensemble des économies est uniquement due à la crise. Elle n’est pas due, en France en tout cas, à l’excès de dépense. Elle est due au plan de relance. Or le plan de relance n’est pas un excès de dépense : c’est une arme contre la crise, une arme voulue, votée et dont le poids financier était parfaitement appréhendé.
Je vous rappelle que, dans cet hémicycle, certains ont affirmé que 1 point de PIB, 1,5 point de PIB, 2 points de PIB, ce n’était pas suffisant. On a déploré le « manque d’ambition » de ce plan de relance ! Ce plan était simplement ajusté, comme on le constate aujourd’hui.
Si les déficits publics et la dette ont explosé, c’est donc bien en raison de la crise, je tenais à le rappeler.
Je remercie également Charles Guené d’avoir évoqué la maîtrise de la dépense. Cette maîtrise n’est pas une réponse à l’endettement sur le très court terme. C’est une réponse sur le moyen terme. Pour résoudre l’endettement français, il faut d’abord mettre fin à l’hémorragie financière engendrée par le déficit public.
Nous avons montré, dans le cadre du projet de loi de finances pour 2010, que nous réduirions le déficit de l’État l’an prochain. Nous avons dans le même temps apporté la preuve que nous abaisserions le déficit public de 1,5 point, puis de 1 point de PIB dans les années à venir.
C’est un exercice très difficile, auquel on peut ne pas croire, mais sur lequel le Gouvernement sera totalement mobilisé, car le ministre du budget ne peut pas agir seul.
La dette française, monsieur Fourcade, a conservé à peu près le même type de composition. Nous avons, il est vrai, fait appel à de l’endettement à court terme pour profiter du prix de ce dernier. Mais nous ne l’avons pas fait davantage que les Allemands, nous l’avons même fait plutôt moins. L’Allemagne n’a-t-elle pas financé son déficit budgétaire en 2009 à 70 % par des titres d’une durée inférieure à un an ? Pour la France, cette proportion n’atteint pas 50 % et la durée de vie moyenne de la dette n’a pas beaucoup évolué : elle s’est établie à 6,8 ans en 2009 et elle était du même ordre les années précédentes. En effet, 40 % du déficit supplémentaire ont été financés par des titres de moyen et de long terme, dont les émissions sont passées de 135 milliards à 165 milliards d’euros dans le projet de loi de finances rectificative.
Nous avons donc utilisé les moyens de court terme parce qu’ils étaient moins onéreux. Nous aurions eu tort de nous en priver !
Évidemment, contracter de la dette à court terme, c’est s’exposer au risque de taux ; mais au moins nous en sommes conscients, ce qui signifie que nous restons lucides. En outre, le budget pour 2010 prévoit bien une augmentation des taux. Nous passons d’un taux moyen sur les émissions de BTF d’environ 0,7 % à un taux de 1,3 % en 2010. La charge de la dette a donc été augmentée. Il est certain que, si les taux d’intérêt augmentent beaucoup, les années 2011 et 2012 seront très difficiles, et pas uniquement en France.
Je suis en train de préparer le budget pour 2011 : celui-ci inclut des hypothèses de dette qui nécessitent une réduction supplémentaire des dépenses de fonctionnement. Car c’est bien de cela qu’il s’agit.
J’en arrive au grand emprunt, qui a été très largement décrit et commenté par le rapporteur général, par Jean-Pierre Fourcade, par François Marc et par Jean-Pierre Chevènement.
Le grand emprunt ne doit pas être source d’inquiétude, car il ne s’agit pas d’une dette ordinaire.
Nous savons que nous sommes endettés, que chaque année beaucoup d’argent est emprunté sur les marchés et que nous sommes plutôt bien notés. Mais ce grand emprunt n’est pas un emprunt comme les autres en ce qu’il permet à la France d’engager un débat sur l’investissement qu’elle n’avait pas eu depuis bien longtemps.
Investir, au fond, c’est croire en l’avenir. C’est vrai pour les particuliers que nous sommes : si nous achetons une maison à crédit, c’est que nous pensons avoir dans les années futures les moyens de rembourser l’emprunt. De même, quand un chef d’entreprise acquiert une machine, c’est qu’il espère un retour sur son investissement. Cela vaut également pour un État. L’État doit faire naître de la confiance, et ce sera le cas avec ce grand emprunt s’il est conduit intelligemment.
La commission Rocard-Juppé a émis des conclusions intelligentes, très éloignées du florilège auquel nous avons eu droit jusqu’à présent. Ce sont des conclusions carrées, argumentées et qui contiennent le mode d’emploi du grand emprunt tel que le Président de la République l’a souhaité.
Je n’éprouve donc aucune inquiétude sur une éventuelle dégradation de notre situation financière par le grand emprunt, bien au contraire.
Je ne redoute pas plus un affaiblissement de la signature française du fait de cet emprunt, à condition que celui-ci soit du niveau proposé par Alain Juppé et Michel Rocard. Il nous permettra de conserver la hiérarchisation du niveau des emprunts par rapport à d’autres pays, comme l’Allemagne, à laquelle il est extrêmement important de pouvoir se comparer.
Par ailleurs, des exigences de rentabilité seront posées.
J’ai lu dans un journal que, pour une agence de notation, 35 milliards d’emprunt représentaient 1,8 point de PIB et qu’un emprunt d’un tel montant allait augmenter d’autant le déficit. Vous savez bien que ce n’est pas le cas. En effet, 60 % du grand emprunt, s’il est structuré comme MM. Juppé et Rocard le préconisent, comprendront des contreparties en actifs, des fonds de dotation, des avances remboursables, etc., ce qui ne pèse pas sur le déficit public au sens maastrichtien du terme. Il faut bien se comparer avec les autres pays et adopter les mêmes règles comptables ! Évidemment, cet emprunt pèsera en termes d’endettement, mais il faut se garder de se livrer à des analyses trop rapides !
Enfin, la commission a retenu pour ma plus grande joie une de mes suggestions, qui ne laissera pas indifférents M. le rapporteur général et sans doute aussi Jean-Jacques Jégou, à savoir qu’il faut gager les charges supplémentaires du grand emprunt par une diminution supplémentaire de nos dépenses de fonctionnement.
Il me semblait que ce principe, au moins, était vertueux...