Mme la présidente. La parole est à Mme Nicole Bricq, sur l'article.
Mme Nicole Bricq. Avec l’article 2, nous entrons dans le cœur du sujet. Cet article vise en effet à supprimer la taxe professionnelle, sans que cette suppression prenne rang dans une réforme de la fiscalité locale que nous appelons de nos vœux.
Je souhaite expliquer dans quel état d’esprit les sénateurs socialistes abordent cette discussion fondamentale et exposer le chemin critique qu’ils vont suivre.
De nombreux débats ont eu lieu au sein de la commission des finances et hors de cet hémicycle. Les élus locaux ont, à l’occasion de la réunion des conseillers généraux et du congrès de l’Association des maires de France, prouvé leur mobilisation et exprimé leurs inquiétudes.
Il est de notoriété publique que des débats, voire des divisions, agitent la majorité parlementaire face à un projet gouvernemental improvisé, dont les conséquences sont mésestimées faute de simulations.
Nous pourrions ici même établir la liste – et elle est longue – des réticences exprimées publiquement par diverses personnalités, et non des moindres : il s’agit aussi bien d’anciens Premiers ministres que, tout dernièrement, du président du groupe UMP à l’Assemblée nationale.
La suppression de la principale ressource fiscale des collectivités locales et son remplacement par une nouvelle contribution économique territoriale entraînent une perte de recettes de plus de 10 milliards d’euros. Les modalités de compensation sont éminemment contestables. Mais ce n’est pas notre seul grief.
Cette perte de recettes est, pour nous, le point principal de ce qui est non pas une réforme, mais purement et simplement la suppression de l’impôt économique des collectivités locales.
En effet, l’allégement général de la fiscalité des entreprises, qui a été décidé par le Gouvernement et accepté par la commission des finances, revient à acter la chute des recettes fiscales pour les collectivités territoriales ; c’est plonger ces dernières dans une insécurité financière inadmissible ; c’est les placer sous la tutelle financière de l’État, par l’augmentation des dotations budgétaires – or le passé a montré que ces dotations étaient en baisse constante et, eu égard à la situation des comptes publics, l’avenir est très incertain – ; c’est faire basculer sur les ménages la charge de l’impôt local, donc le financement de l’action locale ; c’est creuser encore le déficit de l’État qui devra, à terme, être financé par une hausse des impôts dus par les ménages qui supportent déjà une part importante de l’impôt sur les revenus, c’est-à-dire les ménages des couches moyennes ; enfin, et surtout, c’est signer l’acte de décès de l’investissement public local sollicité par ailleurs.
La majorité est divisée, mais à la liste des nombreuses réunions de la commission des finances, il faudrait ajouter la venue, mardi matin, du Premier ministre devant le groupe UMP, qui a dégonflé l’amorce de rébellion d’un groupe organisé dit « groupe des vingt-quatre » !
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Nous n’avons plus le droit de nous réunir ?
Mme Nicole Bricq. Il est cependant un point sur lequel l’ensemble de la droite s’est accordé : l’allégement général accordé aux entreprises. M. Raffarin l’a dit lui-même : « le volet “allègement fiscal” pour les entreprises ne nous pose pas de problème et peut donc être voté rapidement ».
Mes chers collègues, comment être, dans le même temps, favorable à l’allégement général pour les entreprises et critique sur le volet territorial ? S’il y a deux volets, monsieur le président de la commission des finances, il s’agit d’une même fenêtre.
Le financement des collectivités territoriales n’est pas une conséquence secondaire de la suppression de la taxe professionnelle : c’est le point essentiel !
Vous avez recours à un artefact de procédure, mais ce leurre ne trompe personne, et nous nous associons aux propos que notre collègue Thierry Foucaud a tenus lors de son rappel au règlement.
Sous couvert du respect de la Constitution et de la loi organique relative aux lois de finances, la commission des finances propose de scinder la réforme en deux mouvements, en adoptant dès maintenant l’allégement fiscal pour les entreprises, puis en reportant en seconde partie les simulations, c’est-à-dire en renvoyant à plus tard le sujet qui nous préoccupe.
En appelant aujourd’hui en priorité l’amendement de M. le rapporteur général, vous privez le Sénat d’un débat indispensable. La majorité n’aura pas à se positionner sur les propositions de l’opposition, puisque nos amendements au texte de l’Assemblée nationale, si nous les avions déposés, n’auraient pas été discutés.
La confrontation démocratique est reportée, alors que nous ne connaissons ni les orientations ni, a fortiori, les propositions exposées en seconde partie. Et il faudrait tout de même, dès aujourd’hui, voter la chute des recettes des collectivités territoriales, qui condamne les parlementaires à répartir la pénurie financière.
Le but est peut-être de diviser les collectivités territoriales entre elles. Mais les élus sont tous unis pour sauvegarder les libertés locales et le service public local, et cette union ne pourra être brisée.
Mme la présidente. Madame Bricq, veuillez conclure !
Mme Nicole Bricq. Je conclus, madame la présidente.
Puisque le volet « entreprises » est pour nous primordial, parce que de lui seul dépendent les recettes fiscales des collectivités territoriales, les sénateurs socialistes ont choisi de déposer des propositions tendant à augmenter les recettes de collectivités territoriales et à renforcer leur autonomie fiscale.
Puisque le Gouvernement, soutenu par sa majorité, refuse de revenir sur ce cadeau fiscal,…
Mme la présidente. Ma chère collègue, il est temps de conclure !
Mme Nicole Bricq. … qualifié par le Premier ministre de « ligne rouge » mais que nous appelons « hold-up », les sénateurs socialistes refusent le piège consistant à répartir, plus tard, la pénurie financière entre les collectivités territoriales.
C’est le Gouvernement et sa majorité qui assumeront de porter le coup mortel aux collectivités territoriales. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. Jean-Pierre Sueur. C’était très intéressant, madame la présidente !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’était nouveau par rapport à ce que nous avons entendu !
Mme la présidente. La parole est à M. François Marc, sur l'article.
M. François Marc. Nous avons eu hier un débat très intéressant sur les conséquences de la suppression de la taxe professionnelle, qui seront parfois dramatiques pour certaines collectivités ; nous en sommes tous convenus, sur l’ensemble des travées. Mais je ne souhaite pas m’appesantir sur cet aspect de la question ; j’évoquerai l’argumentation qui a été la vôtre, madame la ministre, tout au long de la soirée d’hier : cette réforme vaut la peine d’être entreprise, même si elle a des effets pervers redoutables, parce qu’elle améliorera la compétitivité économique du site « France » et permettra de lutter contre les délocalisations. C’est sur ce point qu’il existe entre nous un profond désaccord. En effet, nombreux sont les économistes à nous alerter aujourd’hui sur les risques d’effets pervers du dispositif envisagé.
Je voudrais aborder ici six conséquences du dispositif envisagé.
Première conséquence : la baisse prévisible du pouvoir d’achat des ménages. Il est clair que, moins on taxera les entreprises, plus la contribution à laquelle seront soumis les ménages sera forte, et plus le pouvoir d’achat diminuera. Il s’agit incontestablement d’une mesure « anti-relance » économique par la consommation, mais tout le monde connaît votre aversion pour la relance par la consommation. C’est une réalité que l’on ne peut oublier.
La deuxième conséquence est plus grave : c’est un mauvais coup pour l’emploi et une mesure contre-productive en matière de délocalisation.
En faisant le choix d’un nouvel impôt assis sur la valeur ajoutée, le Gouvernement réintroduit les salaires dans le dispositif. Déjà, en 2004, le rapport de la commission Fouquet, du nom de son président, avait évoqué l’inconvénient majeur d’un tel choix comparable à la taxation de l’emploi. C’est donc en partie un retour à la situation qui prévalait avant le retrait des salaires de l’assiette, sous Jospin, en 1999. Il s’agissait alors de rendre « moins imbécile » l’impôt honni. Au travers de cette mesure, on voit toute la contradiction dont peut faire preuve le Gouvernement ! La cotisation sur la valeur ajoutée devient une réelle incitation à la délocalisation, puisqu’elle réintroduit la part salaire dans l’assiette imposable.
La troisième conséquence porte sur le secteur industriel, qui, en définitive, n’est pas favorisé, comme cela est annoncé.
Le Gouvernement mettait en avant la nécessité de combler le gap de compétitivité industrielle avec l’Allemagne. Pourtant, le secteur de l’industrie, cible principale de la réforme, n’arrive qu’à la quatrième place des secteurs gagnants, avec une diminution de son imposition de 36 %.
Quatrième conséquence : une nouvelle cotisation économique peu favorable aux entreprises les plus exportatrices. On nous dit que l’on veut favoriser la compétitivité, donc l’exportation. Or les entreprises qui vont être le plus taxées par le nouveau dispositif, ce sont les grandes entreprises et les PME importantes, qui sont, par nature, les plus exportatrices. Il y a là une contradiction évidente.
Cinquième conséquence : le système fiscal est ressenti comme très injuste par nombre d’acteurs économiques. La question ne manquera pas de créer un climat malsain dans la sphère économique. Même les professions libérales s’interrogent aujourd’hui sur les modalités de cette réforme difficile à comprendre. On ne peut ignorer les effets pervers de ce système en matière d’optimisation fiscale.
Enfin, sixième conséquence : un risque de rupture des chaînes de valeur localisées, donc un risque d’accroissement des coûts de production des entreprises.
On sait que, pour être pleinement efficaces, les entreprises ont besoin de trouver dans leur proximité locale de production le maximum de maillons amont et aval de leur chaîne de valeur industrielle. À cet égard, la taxe professionnelle constitue un élément motivant pour les acteurs publics locaux. Qu’en sera-t-il demain si, comme le prévoit le projet du Gouvernement, on supprime tout lien entre la démarche d’accompagnement des collectivités et la recette fiscale issue de leur investissement économique ?
Le désengagement probable des collectivités de la dynamique de développement économique local aura comme inéluctable conséquence le renchérissement prévisible des coûts de production, sans oublier l’effet « carbone » dû aux transports de plus en plus distants. En matière de compétitivité, l’effet attendu pourrait donc se révéler totalement contre-productif.
L’article 2 révèle, par ses fondements mêmes, des orientations qui vont à l’encontre de l’objectif visé. Il nous paraît donc souhaitable de le supprimer et d’entamer une réflexion plus approfondie sur les conséquences de cette réforme. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Madame la ministre, messieurs les ministres, mes chers collègues, depuis le début des discussions sur la suppression de la taxe professionnelle annoncée par le Président de la République en février dernier, on nous ressort régulièrement le refrain usé selon lequel la taxe professionnelle aurait supprimé jusqu’à 500 000 emplois dans notre pays !
Toute analyse économique, toute analyse du marché de l’emploi doit être appréhendée en mesurant bien que c’est un faisceau de causes qui produit toujours les effets que l’on peut observer dans le fonctionnement d’un système.
Aussi, quand vous essayez de nous prouver que seule la taxe professionnelle est la cause de tous nos maux, et qu’elle est à l’origine de la saignée d’emplois que notre pays à connue depuis trop longtemps, c’est plus une affirmation qu’une démonstration avec études d’impact à l’appui.
Ce refus d’utiliser les outils de la science et de l’analyse montre en partie le caractère de la réforme et le refus ou l’impossibilité de faire partager les raisons qui président à cette décision.
Vous voulez absolument prouver que la taxe professionnelle doit être supprimée ; comme le dit le proverbe : « qui veut noyer son chien l’accuse de la rage ».
Tenir un tel raisonnement, aux limites du discours idéologique au sens premier du terme, c’est-à-dire inexact au regard de l’analyse objective de la situation concrète, est donc au mieux une erreur, au pire une tromperie.
Nous savons bien que ce sont les choix mêmes d’investissement des entreprises, la stratégie des groupes, la recherche continue de la rentabilité maximale des capitaux qui ont occasionné des suppressions d’emplois, des plans sociaux, des délocalisations.
Les milieux économiques savent parfaitement que cette taxe n’a rien de confiscatoire ni de véritablement coûteux.
La taxe professionnelle, ce sont 22 milliards d’euros à la charge des entreprises assujetties, une somme d’ailleurs réduite mécaniquement d’un tiers par simple application du principe de déductibilité de la taxe au titre de l’impôt sur les sociétés ou de l’impôt sur le revenu.
Même en retenant la base des 22 milliards d’euros, le prélèvement se situe aux alentours de 1 % du produit intérieur brut marchand.
Si nous établissons une comparaison avec les autres impositions locales, nous constatons que le taux de plafonnement de la taxe d’habitation se situe à un niveau bien plus élevé : 3,44 % du revenu imposable en moyenne.
Pour nombre de ménages, l’ensemble taxe d’habitation plus taxe foncière plus taxe d’enlèvement des ordures ménagères représente une somme importante par rapport à leur revenu, et ce sont les ménages les plus modestes qui ont la charge la plus lourde.
En outre, à la différence de la taxe professionnelle, les impositions locales dues par les particuliers ne sont pas déductibles des impôts dus, sauf à appliquer le bouclier fiscal.
On peut s’interroger sur le fait qu’aucune voix, dans les rangs de la majorité sénatoriale, ne demande que l’on évalue les effets antiéconomiques de la taxe foncière comme de la taxe d’habitation. Ces deux impôts pèsent pourtant lourdement, notamment en cette période de l’année, sur le revenu disponible des ménages, avec les conséquences économiques, mais aussi sociales, qui en résultent.
Aujourd’hui, vous nous proposez de supprimer la taxe professionnelle et de la remplacer par un nouvel impôt, la cotisation économique territoriale, dont on ne sait pas, faute de simulation, si elle sera capable de répondre aux besoins financiers des collectivités territoriales.
L’assiette de l’impôt économique doit évoluer. Nous avons formulé des propositions hier soir, pour assurer une plus grande équité des entreprises face à cet impôt, quel que soit le secteur économique ; mais nous n’avons entendu aucune réponse à ce sujet.
Vous le savez bien, ce débat sur l’impôt économique ne peut se tenir en dehors d’une réforme d’ensemble de la fiscalité locale. Cela me semble d’autant plus indispensable que l’intérêt général, celui des entreprises installées sur nos territoires, qui sont très exigeantes, y compris au sujet des infrastructures dont elles ont besoin pour fonctionner, comme celui de nos habitants, mérite que la contribution des uns et des autres soit étudiée avec la même rigueur. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. Mes chers collègues, les demandes de parole continuent d’affluer. Maintenant, la liste est close.
La parole est à M. Alain Lambert, sur l’article.
M. Alain Lambert. Madame la présidente, j’étais inscrit depuis hier ! (Sourires.)
J’ai suivi, sans y participer, les deux discussions générales qui se sont tenues hier. Cette réforme m’incite, comme président de la nouvelle délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, sous la forme d’une parole sur l’article, à formuler quelques remarques, à poser quelques jalons et à soulever quelques questions.
D’abord, monsieur le rapporteur général, je soutiens la démarche que vous avez engagée en dissociant la suppression de la taxe professionnelle de l’application de la réforme des finances locales.
Ensuite, il convient de reconnaître les contradictions – il faut avoir la loyauté et l’honnêteté de le faire – dont nous sommes parfois menacés comme élus locaux : en réclamant des recettes dynamiques, donc liées au cycle économique exclusivement quand il est favorable, nous entrons inévitablement dans une logique de dotation contre laquelle nous luttons généralement.
Permettez-moi de souligner que le dynamisme tant attendu des recettes n’est en réalité qu’une tentative de réponse à l'accroissement de nos dépenses obligatoires, dont, madame, messieurs les ministres, vous n’êtes pas suffisamment informés. En matière de dépenses, les administrations centrales échappent à votre contrôle, contrairement à ce que, probablement, vous pensez. Leurs services prescrivent en permanence des dépenses que vous attribuez injustement aux élus locaux.
De retour de nos circonscriptions dans la nuit de dimanche dernier, le président Jean Arthuis et moi-même avons constaté que les administrations centrales du ministère de la famille avaient imposé des dépenses supplémentaires aux départements.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. C’est scandaleux !
M. Alain Lambert. Vous n’en savez pourtant rien à l’heure où nous parlons !
Je vous recommande également la lecture des pages 52 et 53 du rapport de M. Marini, qui décrivent la mort annoncée et inévitable de la taxe professionnelle, depuis que la suppression de la part salaire en a fait un impôt assis à 80 % sur les équipements et biens mobiliers, les EBM. La taxe professionnelle devenait ainsi d'autant plus lourde que l'investissement était important et utilisé longtemps.
Mardi dernier, lors de son audition par la délégation sénatoriale aux collectivités territoriales et à la décentralisation, M. Hoorens a ainsi rappelé que, si le PIB avait été multiplié par quatre de 1981 à 2008, la valeur locative des matériels et outillages avait augmenté sept fois plus que cet indicateur au cours de la même période.
En définitive, le dispositif de plafonnement a conduit l'État à prendre en charge 9,5 milliards des 32 milliards d'euros de recettes encaissées par les collectivités locales. Les entreprises n’acquittent plus que 55% du produit de taxe professionnelle perçu par les collectivités locales. À bout de souffle, cet instrument fiscal ne peut plus fonctionner dans sa forme actuelle.
J’en viens aux alertes.
Comme le signale M. le rapporteur général à la page 46 de son excellent rapport, le plus grand nombre de perdants est constaté chez les entreprises de moins de 500 000 euros de chiffre d'affaires. Méfions-nous des dommages collatéraux !
À la page 74, vous rappelez, monsieur le rapporteur général, que, même si l’assiette de l’imposition des titulaires de bénéfices non commerciaux, les BNC, reste inchangée, la réforme se traduira toutefois par une perte de compétitivité par rapport à leurs concurrents actuellement placés sous le régime de l’impôt sur les sociétés. Le passage en société s’imposera à tous, à ceci près que ce statut est interdit à certains d’entre eux.
Enfin, comme vous l’indiquez à la page 31, et j’insiste sur ce point, la taxe foncière sur les propriétés bâties, acquittée à la fois par les entreprises et par les ménages, deviendra le premier impôt local. Cet impôt ne prévoit à ce jour aucun dispositif amortisseur, et ses bases sont aujourd'hui obsolètes. Si l'on n'y prend garde, il deviendra donc non soutenable à très court terme.
Je voudrais, enfin, exprimer de sérieux doutes au sujet des impositions forfaitaires sur les entreprises de réseau, les IFER. Elles me semblent porter en germe des effets secondaires, ce qui nous conduira à les réexaminer rapidement.
Je souhaiterais enfin dire quelques mots de la péréquation, sujet qui nous obsède s’il en est. Dans le domaine de la valeur ajoutée en effet, contrairement aux composantes de l’assiette actuelle de la taxe professionnelle, il me semble paradoxalement plus facile de mettre en œuvre la péréquation selon une logique de mutualisation que de territorialisation. Cela suppose toutefois de définir le bon panier de critères.
J’en viens à ma conclusion, afin de respecter la règle des cinq minutes à laquelle vous nous rappelez légitimement, madame la présidente ! La taxe professionnelle était, hélas, moribonde. Nous l’avions tellement transformée qu’elle avait en effet perdu toute son efficacité. Faisons en sorte que le Sénat procède à son remplacement avec le génie qui est le sien. Il ne doit pas en douter. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Gérard Collomb, sur l’article.
M. Gérard Collomb. Madame la ministre, comme vous m’y avez invité hier, je suis présent aujourd'hui afin de poursuivre avec vous cette discussion.
Je tiens d’abord à souligner combien – mais nous ne nous en étonnons plus – les remarques de notre collègue Alain Lambert sont pertinentes.
Permettez-moi de revenir sur les problèmes de fond. Vous nous avez expliqué hier l’importance de nous situer dans un contexte macroéconomique. Vous avez ainsi souligné que le niveau de croissance française n’était pas, en comparaison de celui des autres pays européens, si alarmant. Cela est certes vrai, mais vous oubliez, madame la ministre, que, dans le même temps, les déficits de la France se sont accrus de manière extrême, et que nos collègues européens s’en inquiètent. Si, avec ces déficits abyssaux, nous ne constations pas un début de reprise de croissance, la situation serait extrêmement grave.
Le montant de ces déficits a d’ailleurs amené la commission présidée par MM. Rocard et Juppé à limiter le plan de relance à 35 milliards d’euros plutôt qu’à prévoir 60 milliards ou 100 milliards d’euros, comme un certain nombre de parlementaires l’estimaient nécessaire.
L’état de nos finances publiques implique effectivement de cibler très précisément les dépenses de l’État, de manière à ce qu’elles soient efficaces pour l’économie nationale. Au final, il existe un différentiel de 5 milliards d’euros entre les dépenses engagées par le Gouvernement au titre de la réforme de la taxe professionnelle, et le montant des nouvelles taxes que vous nous proposez d’adopter aujourd'hui. Au regard des 35 milliards d’euros sur lesquels le Gouvernement s’est engagé pour de longues années, à moins qu’il ne diminue le montant des recettes compensatoires destinées aux collectivités, 5 milliards d’euros, ce n’est pas tout à fait anodin.
Dans ces conditions, comment concentrer les aides de l’État ?
La suppression de la taxe professionnelle concerne plus ou moins la quasi-totalité des entreprises. Madame la ministre, pour quelques-unes d’entre elles, cela constituera un effet d’aubaine. En effet, certaines entreprises ne sont pas aujourd'hui dans une situation défavorable et cette suppression représentera pour elles un gain supplémentaire.
En revanche, un certain nombre de sociétés éprouvent aujourd'hui de véritables difficultés. Je pense ici aux PME affectées par la crise, ou à des secteurs, comme celui des poids lourds et plus généralement des transports, qui font face à une situation catastrophique.
Par ailleurs, nous connaissons tous les lacunes de l’appareil économique français. Notre économie est positionnée sur des produits de basse ou de moyenne gamme, et subit en conséquence la concurrence des pays émergents, qu’il s’agisse du Brésil, de la Chine ou encore de l’Inde. N’aurait-il pas mieux valu concentrer nos efforts sur l’amélioration qualitative de nos PME, afin qu’elles deviennent de « moyennes-grandes » entreprises, à l’exemple de l’Allemagne ?
N’aurait-il pas mieux valu consacrer ces 5 milliards d’euros à un accroissement de l’investissement dans les technologies de pointe pour positionner nos PME sur des produits technologiques majeurs et instaurer cette culture de l’innovation que le plan de relance entendait favoriser ? Peut-être aurions-nous pu mieux utiliser l’argent public. J’aimerais avoir votre sentiment à ce sujet, madame la ministre. Pouvez-vous nous dire quelle est la part de l’effet d’aubaine et quelle est la part de l’effet directement productif pour le système économique français ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Mézard, sur l’article.
M. Jacques Mézard. Madame la présidente, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, je rappellerai tout d’abord que ce qui se conçoit bien s’énonce clairement. Jean Arthuis a montré hier avec pertinence que la rédaction de l’article 2, même amendée, était difficilement intelligible, sauf peut-être pour de rares spécialistes. Nous sommes pourtant censés le voter ! Quant à l’expliquer à nos concitoyens, sauf pour ceux qui sont assistés d’un expert-comptable, cela relève de la chimère. Or un impôt incompréhensible n’est jamais un bon impôt.
Par ailleurs, on nous assène depuis quelques semaines que la suppression de la taxe professionnelle ne changera pas le montant des ressources des collectivités. Sa disparition aura ainsi pour conséquence essentielle de limiter la charge fiscale des entreprises de production et d’éviter les délocalisations. Mes chers collègues, sommes-nous sourds ou amnésiques ? J’ai sous les yeux une déclaration du secrétaire d’État aux collectivités territoriales. Celui-ci déclarait, dans la Gazette des communes, que « l’objectif à terme est de dégager des économies substantielles ». Il ajoutait que « les chevauchements de compétences entre départements et régions représentent 20 milliards, les syndicats intercommunaux pèsent 16 milliards » !
Ces économies considérables seront-elles consacrées aux compétences obligatoires ? Dans le cas inverse, les collectivités locales seront-elles contraintes de réduire leur budget d’un montant équivalent à ces dizaines de milliards d’euros ? Bien sûr, il faudra faire des économies et lutter – vous avez raison, madame la ministre – contre certaines féodalités qui existent dans toutes les sensibilités politiques. Mais je ne pense pas qu’il faille adopter une démarche hypocrite et se cacher derrière de faux-semblants.
Je noterai également que ce projet de loi est à géométrie variable, sauf sur le principe de la suppression de la taxe professionnelle. Dès lors, il appartient au Parlement de réguler le conflit entre les différents niveaux de collectivités. En l’absence de simulations crédibles en amont, le Parlement sera donc contraint d’assumer les conséquences de choix hasardeux.
Mme Nicole Bricq. C’est le but !
M. Jacques Mézard. Chacun a d’ailleurs pu constater, au cours de ces dernières semaines, l’évolution considérable, par exemple, de la distribution de la cotisation complémentaire selon le niveau de collectivité. Est-ce là ce que l’on appelle « une politique prospective » ?
Nous nous apprêtons ainsi à remettre fondamentalement en cause l’équilibre financier des intercommunalités, et leurs relations avec les communes. En éludant les questions de l’attribution de compensations et de la dotation de solidarité communautaire, la DSC, nous remplacerons une usine à gaz qui fabriquait du gaz par une autre, qui en produira moins.