Mme Nicole Bricq. Farfouillis ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Chevènement. L’argument de la compétitivité avancée par le Président de la République dans son discours de Saint-Dizier ne tient pas la route. Vous le savez si bien, madame la ministre, que vous avez déclaré qu’il fallait enlever aux entreprises qui délocalisent cet alibi selon lequel la taxe professionnelle handicaperait la compétitivité. Faites leur confiance, elles en trouveront d’autres !
Vous nous dites également qu’il ne faut pas décourager l’investissement des entreprises. Mais le montant de la taxe professionnelle n’est pas la principale motivation de l’investissement ; toutes les enquêtes ont démontré que la taxe venait en septième ou huitième position dans les motivations des chefs d’entreprises.
L’allègement au bénéfice des entreprises s’élèvera, si j’ai bien compris, à un peu plus de 4 milliards d’euros, quand nos exportations annuelles atteignent 400 milliards d’euros. Le regain de compétitivité ainsi obtenu est donc vraiment minime. Que représente-t-il au regard des dévaluations compétitives du dollar, du yuan accroché au dollar, de la livre britannique ? Plus de 30 % de dévaluation et on crie au protectionnisme ! Mais le protectionnisme monétaire existe !
Je crains donc que prétendre lutter ainsi contre les délocalisations industrielles ne soit qu’un effet de manche. L’entreprise mondialisée investit dans les pays à bas coûts, là où se trouvent les marchés du futur, et la France fait de moins en moins partie de son horizon. Voyez Renault, qui fabrique plus des deux tiers de ses voitures à l’étranger, et Peugeot, qui en réalise encore la moitié en France, mais qui vient d’annoncer la suppression de 6 000 emplois. Est-ce là la contrepartie du plan de soutien à l’automobile qui a alloué 3 milliards d’euros de crédits publics à ces deux entreprises, soit plus que la taxe professionnelle ?
Seul le rétablissement d’une concurrence équitable entre l’Europe et ses concurrents américain et asiatique est de nature à restaurer la compétitivité de nos entreprises et à redynamiser notre économie, par une réforme du système monétaire international et par des clauses anti-dumping en matière sociale et environnementale.
Cette suppression de la taxe professionnelle est revendiquée comme une décision personnelle par le Président de la République. Mais, depuis très longtemps, j’entends que cette revendication émane du MEDEF. Or, même du point de vue des entreprises, elle n’est pas très judicieuse.
La cotisation territoriale constituera un lien beaucoup plus ténu entre l’entreprise et le territoire que ne l’était la taxe professionnelle. Les entreprises ont besoin de services publics de qualité. Est-il bien opportun de pénaliser les entreprises de service et le développement du secteur tertiaire, qui est le plus créateur d’emplois ?
Il n’est pas convenable, madame la ministre, monsieur le ministre, de vouloir supprimer la taxe professionnelle sans avoir au préalable assuré aux collectivités territoriales un juste système de remplacement. Il est trop facile de remettre à plus tard la définition précise des règles fiscales en fonction des compétences qui seront ou non transférées et de laisser au Parlement le soin de préciser les mécanismes de répartition entre les différents niveaux de collectivités.
Vous avez dit vous-même, monsieur le ministre, que la répartition entre niveaux de collectivité n’est pas, à compétences inchangées, arrivée à son terme.
M. Jean-Pierre Chevènement. Vous avez ajouté que la loi sur les compétences viendra après et qu’il faudra alors faire jouer le curseur des compétences. Ai-je bien entendu ?
M. Jean-Pierre Chevènement. Mais comment mieux établir que votre projet marche sur la tête ? En effet, vous faites dépendre les compétences de ressources que vous ne connaissez pas encore ?
Mme Nicole Bricq. Voilà !
M. Jean-Pierre Chevènement. Ainsi, le Gouvernement prend le gage, supprime la taxe professionnelle et renvoie au Parlement le soin de définir à quelle sauce les collectivités vont être mangées. Mais, les collectivités ne veulent pas être mangées du tout ! Avec cette méthode, elles ne manqueront pas de se déchirer et vous pourrez alors vous frotter les mains !
Cette méthode est peu respectueuse de la dignité des élus et du consensus qu’il eût fallu rechercher, aux dires mêmes du Président de la République, pour réussir cette réforme. C’est pourquoi, comme nous l’ont suggéré deux anciens Premiers ministres, MM. Juppé et Raffarin, nous voterons contre cette réforme, en l’état.
M. Jean-Pierre Chevènement. Faut-il associer, comme le propose le Président de la République, les collectivités territoriales à l’effort de maîtrise budgétaire entrepris, selon lui, par l’État ? Laissez-nous rire, madame la ministre, monsieur le ministre ! Comment pouvez-vous parler d’effort de maîtrise budgétaire avec un déficit de 140 milliards d’euros ? La dette des collectivités locales n’est que le dixième de la dette publique totale. Celles-ci votent leur budget en équilibre. Faut-il casser, pour un si médiocre résultat prévisible, comme l’a souligné Yvon Collin, l’investissement des collectivités locales, qui représente 75 % de l’investissement public ?
M. Jean-Pierre Chevènement. Cet investissement contribue à la compétitivité du territoire français, à la qualité de vie et même à notre bon taux de natalité, notamment au travers des maternelles, des crèches et des haltes garderies.
La suppression de la taxe professionnelle ne sera pas intégralement compensée, pour un ensemble de raisons que je n’ai pas besoin de développer. M. Juppé vient de le confirmer ; je m’abrite donc derrière son autorité.
L’intercommunalité, en mettant en commun les compétences stratégiques des communes, a donné à ces dernières les moyens d’exercer ces compétences. Le Président de la République s’est étonné, dans son discours de Saint-Dizier, que les effectifs des EPCI aient crû de 64 % depuis dix ans, c’est-à-dire depuis le vote de la loi de 1999. Mais c’est une preuve de succès, parce que, à l’époque, l’intercommunalité urbaine n’existait quasiment pas, en dehors d’une douzaine de communautés urbaines et de cinq communautés de ville. Depuis cette date, se sont créées pas moins de 174 communautés d’agglomération et trois communautés urbaines de plus de 500 000 habitants : Marseille, Nantes et Nice.
Ces communautés exercent aujourd’hui dans des domaines stratégiques – le développement économique, l’habitat, les transports – des compétences que les communes adhérentes n’exerçaient pas ou exerçaient mal. Simplement, vous allez les priver de la ressource correspondante, la taxe professionnelle unique, qui représentait la quasi-totalité des ressources des intercommunalités très intégrées. Le dispositif qui va la remplacer – c'est-à-dire la cotisation foncière et 20 % de la cotisation sur la valeur ajoutée – représentera une recette notablement inférieure. Comment imaginer que les dynamiques engagées puissent se poursuivre, sinon par le recours accru à la fiscalité additionnelle pesant sur les ménages ? Ils seront les grands perdants de la réforme !
Il est donc tout à fait légitime de s’interroger sur la pertinence de certains cadeaux supplémentaires octroyés aux entreprises. Pourquoi avoir voulu substituer au taux unique de la taxe professionnelle, dans le ressort de l’intercommunalité, un taux progressif qui laissera 90 % des entreprises en dehors du champ d’application du nouvel impôt ? Pourquoi ne pas vouloir abaisser, comme l’avait proposé l'Assemblée nationale, le seuil d’exonération de cotisation complémentaire à 152 000 euros pour élargir l’assiette du nouvel impôt ? Pourquoi vouloir plafonner le montant de la cotisation économique à 3 % de la valeur ajoutée et l’assiette taxable à 80 % du chiffre d’affaires ? Et pour la taxe foncière, pourquoi la commission des finances veut-elle diminuer, par amendement, de 15 % la valeur locative des immobilisations industrielles ?
Toutes ces dispositions devraient être supprimées, car elles sont autant de cadeaux fiscaux arbitraires faits à certaines catégories. Oui à l’effort, madame la ministre, monsieur le ministre, à condition qu’il soit équitablement partagé !
La suppression de la taxe professionnelle n’est pas opportune, pour toutes les raisons qu’a fort bien développées Yvon Collin. En début d’année, le Gouvernement a lancé un plan de relance de l’économie et, maintenant, c’est un formidable coup de frein qui est donné !
Il est paradoxal de voir le Gouvernement et sa majorité proposer à la fois un budget en déséquilibre massif, bouclier fiscal et exonérations abusives aidant, et prononcer des vœux de continence à perpétuité à l’usage des collectivités locales. Il faut vous en rendre sinon hommage, du moins témoignage : seule la droite peut agir ainsi ; la gauche ne pourrait procéder de cette façon, et je parle d’expérience.
Le péché et la contrition se donnent en spectacle simultané ; les prédications en chaire de MM. Arthuis et Marini couvrent les affreux dérèglements au regard de l’orthodoxie de Mme Lagarde et de M. Woerth. C’est vraiment du grand Mauriac ! (Applaudissements sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Chatillon.
M. Alain Chatillon. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, l’organisation prioritaire d’un débat sur les recettes des collectivités territoriales et la suppression de la taxe professionnelle, immédiatement après la discussion générale sur le projet de loi de finances pour 2010, nous place directement au cœur des préoccupations des élus alors que s’achève le congrès de l’Association des maires de France.
Nous nous félicitons de ce qu’un accord ait été trouvé pour séparer le vote de la fin de la taxe professionnelle pour les entreprises du financement des collectivités territoriales, dont nous débattrons ultérieurement.
De même, nous sommes heureux que le président de notre groupe ait accepté qu’un amendement fixe une période probatoire avant l’adoption définitive du texte : la simulation, l’évaluation et la correction des données sont indispensables.
J’organiserai mon propos autour de deux grands axes : la fiscalité des entreprises et les ressources des collectivités territoriales. Ces deux thèmes correspondent aux deux temps de la réforme, telle qu’elle a été récemment redéfinie par le Gouvernement.
Nous examinerons donc dès à présent la suppression proprement dite de la taxe professionnelle et son remplacement par deux nouvelles cotisations pour les entreprises, tandis que le débat sur la compensation transitoire pour les collectivités en 2010 est reporté au mois de décembre.
La réforme de la taxe professionnelle ne sera définitive qu’après la réforme des collectivités et de leurs compétences, ce qui n’est que bon sens. Avec nombre de mes collègues, nous attendions ces décisions logiques et indispensables.
Permettez-moi de faire quelques remarques en tant que chef d’entreprise.
Pour les entreprises, la réforme de la taxe professionnelle doit permettre un allégement de charges d’environ 4,3 milliards d’euros. Il est nécessaire de maintenir ce niveau d’allégement pour que la réforme contribue à l’amélioration de la compétitivité de l’économie française. Mais je tiens à souligner que la taxe professionnelle n’est que l’un des éléments du parcours en faveur de la compétitivité des entreprises ; ce n’est pas l’essentiel pour éviter le risque de délocalisation.
Il y a quelques mois, Carlos Ghosn, patron ô combien ! emblématique, indiquait que la problématique de son entreprise pour la production d’un nouveau modèle était un écart de 1 400 euros par voiture, selon qu’elle était fabriquée en France ou dans un pays de l’est de l’Union européenne : 240 euros sont liés à la taxe professionnelle et 1 160 euros aux charges sociales.
Depuis l’après-guerre, la France a fait le choix de faire supporter l’excès de charges sociales et fiscales par les entreprises en plombant leur croissance.
Il faut savoir que l’autofinancement des entreprises françaises représente à peine la moitié de celui des entreprises allemandes et britanniques, soit un manque de 120 milliards d’euros.
Les prélèvements obligatoires, par rapport au PIB, s’établissent ainsi à 44 % pour les entreprises françaises, à 37 % pour les entreprises britanniques et à 36 % pour les entreprises allemandes.
Comme vous le voyez, contrairement à certaines idées reçues, ce sont les entreprises et non pas les ménages qui assurent l’essentiel des prélèvements supplémentaires français. Voilà pourquoi, depuis un demi-siècle, nos entreprises n’ont pas la croissance de leurs voisins. Voilà pourquoi nous avons un parc d’entreprises vieillissant et atteint de nanisme.
On n’échappera pas, si l’on veut rétablir la compétitivité de nos entreprises, à une opération vérité sur les charges sociales. Le président Jean Arthuis avait évoqué la solution de la TVA sociale, que je reprends à mon compte.
Pour en revenir à la réforme de la taxe professionnelle pour les entreprises, je m’inquiète de la suppression du lien entre le taux de la cotisation foncière des entreprises, qui est basée sur les valeurs locatives foncières, et le taux des impôts locaux des ménages. Or ce lien est un élément indispensable de la réforme, destiné à éviter le renouvellement des conséquences de la déliaison des taux de la taxe professionnelle qui a conduit, dans un passé récent, à des augmentations substantielles de l’imposition locale des entreprises. Dans ce cas, on ne peut parler de compétitivité !
Si la possibilité pour les collectivités locales d’augmenter plus fortement les taux sur les entreprises était maintenue, l’allègement procuré par la réforme serait réduit dès 2010 et conduirait rapidement à effacer les effets de cette réforme.
En abordant le deuxième point de mon intervention, les recettes des collectivités territoriales, je tiens ici à réaffirmer solennellement mon attachement au principe de la décentralisation et à son corollaire, l’autonomie financière de nos collectivités locales.
J’ai, bien entendu, écouté avec attention le Premier ministre il y a deux jours et j’ai pris bonne note de ses propos rassurants quant à l’éligibilité au Fonds de compensation de la TVA des investissements 2009 non réalisés à la fin de cette année, la reconduction en 2010 du remboursement du FCTVA, la compensation intégrale de la taxe carbone versée par les collectivités, avec la création d’un fonds géré par l’ADEME, et l’appui aux territoires ruraux pour la couverture numérique à 100 %. Mais ces mesures conjoncturelles ne doivent pas nous faire oublier l’essentiel.
Pour le bloc communal – j’ai procédé à des simulations dans mon secteur –, il faut absolument maintenir le lien avec les entreprises et continuer à voter localement les quatre taxes, notamment la cotisation locale d’activité et la cotisation complémentaire sur la valeur ajoutée.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Absolument !
M. Alain Chatillon. Vivant au cœur du Lauragais, berceau du catharisme, vous comprendrez mon opposition au pouvoir central, que le gouvernement soit de droite ou de gauche. Il faut poursuivre la décentralisation, ce qui n’exclut ni le contrôle ni l’animation par le Gouvernement.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Très bien !
M. Alain Chatillon. Au vu des premières simulations, conserver au bloc communal 35 % de la cotisation complémentaire s’avère, de mon point de vue, indispensable. Ce taux correspond à la marge moyenne que j’ai pu constater, avec l’appui du ministère, dans mon secteur.
C’est en effet la cotisation complémentaire, recette dynamique ayant un bon levier fiscal, qui apportera logiquement et naturellement au bloc communal le bénéfice des sacrifices et investissements qu’il aura réalisés pour accueillir les entreprises et les accompagner. Il est donc légitime que ce soit le bloc communal qui profite du dynamisme de cet impôt.
De même, le parc d’activités du bloc communal, particulièrement en milieu rural, étant constitué le plus souvent de PME et de TPE, une cotisation complémentaire de base s’impose, ainsi que, au-delà de 500 000 euros, une cotisation progressive et non en paliers, en fonction du poids des entreprises.
Mes chers collègues, je m’interroge vraiment sur la situation qui serait la nôtre si l’État décidait seul de répartir cette ressource. Au-delà d’une recentralisation difficile à accepter, nous souhaitons le strict respect du principe constitutionnel de l’autonomie financière des collectivités territoriales et la reconnaissance de la primauté du bloc communal exprimée par l’attribution d’une part significative de cette cotisation complémentaire sur la valeur ajoutée. À défaut, ce serait nier le lien indispensable et historique entre les entreprises et leur territoire.
Madame la ministre, monsieur le ministre, je vous fais confiance, mais sachons prendre ensemble les bonnes décisions pour éviter, dans quelques mois, des regrets lourds et graves pour nos collectivités territoriales et notre pays ! (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Vera.
M. Bernard Vera. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, la taxe professionnelle est un impôt efficace et intelligent dans son principe, puisqu’il pousse à l’utilisation efficace des facteurs de production. C’est en ces termes que, dans un élan d’analyse objective de la réalité, Michel Pébereau, président du conseil d’administration de BNP Paribas, a pu parler du sujet qui fait aujourd’hui débat.
Ce qui prédomine évidemment dans le débat fiscal, et singulièrement dans le débat fiscal local, c’est bien la suppression de la taxe professionnelle, qui ne fait nullement consensus, comme une certaine presse ou la plupart des grands médias audiovisuels tentent de le faire croire.
Le consensus, s’il en est un, ne figure pour l’heure que dans les rangs de la majorité parlementaire, et marque d’ailleurs, dans les franges de cette majorité, quelques difficultés à être totalement partagé.
Nous pouvons, mes chers collègues, nous entendre sur une chose. La suppression de la taxe professionnelle va rapporter 11,7 milliards d’euros aux entreprises, soit à peine 0,5 à 0,6 point de PIB, mais coûtera beaucoup plus aux collectivités locales.
Nous pourrions aussi comparer ces 11,7 milliards donnés aux entreprises aux perspectives de croissance inscrites dans la loi de finances, qui avoisinent 15 milliards d’euros, ce qui montre le très faible effet de levier de la mesure qui nous est proposée. Ces 15 milliards d’euros pourraient provenir autant d’une consommation des ménages marquée par la baisse du taux d’épargne que des effets de la suppression de la taxe professionnelle !
Mais au-delà du débat sur le devenir de la contribution des entreprises au financement du développement local se pose la vraie question, celle qui consiste à se demander ce que les élus locaux ont bien pu faire, dans leurs pratiques quotidiennes, dans leurs politiques d’investissement, souvent menées en lieu et place de l’Etat, dans leur dévouement à l’intérêt général, pour mériter d’être autant maltraités dans ce projet de loi de finances.
Nous pouvons, sans trop exagérer, affirmer que le pacte fondateur de la décentralisation est rompu par cette loi de finances, qui place la majeure partie des ressources des collectivités locales hors du champ de la pleine autonomie financière des élus.
La décentralisation était déjà particulièrement mise à mal. Mais l’annonce de la réforme des collectivités territoriales, avec son cortège de textes autoritaires, semble vouloir ranger les lois de décentralisation de 1982 et même de 2004 au rayon des souvenirs.
Cela fait déjà quelque temps que l’Etat se défausse sur les collectivités locales, ce que nous n’avons eu de cesse de dénoncer. Ainsi en est-il, pour ne donner qu’un exemple récent, de l’autonomie des personnes âgées, appréhendée au travers d’une allocation de plus en plus difficile à payer par les départements les plus touchés par le vieillissement démographique, alors même qu’un cinquième risque aurait dû être créé au sein de la sécurité sociale.
De la même façon, le revenu de solidarité active, destiné à se substituer au RMI, est devenu une source remarquable d’économies pour l’État. En effet, grâce à d’habiles dispositions légales, le RSA génèrera en 2010 un moindre coût au titre de la prime pour l’emploi et permettra à l’État de moins rembourser au titre des allégements de taxe d’habitation.
Ces sommes, pourtant, ne viendront certainement pas alimenter le fonds de développement pour l’insertion, ni compenser le reste à charge des départements : elles serviront uniquement à réduire le déficit de l’Etat.
Cette défausse se nourrit donc aujourd’hui de la contrainte renforcée, une contrainte qui vise notamment, sans le moindre respect ni de l’autonomie des collectivités locales ni des dispositions législatives contenues dans le code général des collectivités territoriales, à encadrer toujours plus le montant des concours et dotations.
Tout est mis en place, aujourd’hui, pour que l’État puisse ajuster à la baisse l’ensemble des concours apportés aux collectivités locales, y compris ceux qui découlent de ses propres choix politiques. Contrairement à ce que disent certains, la situation des finances locales ne peut manquer d’inquiéter les maires et, plus généralement, les élus locaux. J’ai eu l’occasion de le vérifier encore récemment, dans l’accomplissement de mon mandat d’élu. Réunissant les élus de mon canton, toutes sensibilités politiques confondues, j’ai pu entendre leur inquiétude, leurs interrogations et souvent aussi leur colère face à ce mauvais tour joué à la décentralisation et aux efforts que les élus locaux accomplissent pour le vivre ensemble et le développement de leurs territoires.
Cet indispensable dialogue républicain n’a, hélas ! pas présidé à la définition de la loi de finances pour 2010. Devant la manière autoritaire, peu respectueuse des droits du Parlement et sans écoute de la société civile, dont sont conduites les affaires du pays, nous devons faire entendre cette voix de la conception républicaine. Le pacte républicain, pourtant, fait partie intégrante de l’identité nationale.
II faut clairement rendre aux élus locaux, à ceux-là même qui, dans leur très grande majorité, font non pas de la politique un métier mais de l’accomplissement de leur mandat une mission de service public, toute faculté pour proposer, agir et construire.
Nous devons, dans le cadre d’une véritable réforme des collectivités locales, y compris son indispensable volet fiscal, mener une réflexion précise sur les compétences et les moyens dédiés à l’exercice de ces compétences et rendre possibles la consultation la plus large de la population, la définition des choix de gestion au plus près des besoins réels et la facilitation de la mise en œuvre des mesures adoptées.
II est grand temps que nous fassions le bilan réel de la décentralisation, de la pertinence des compétences dévolues aux uns et aux autres – communes, intercommunalités, départements, régions, État – comme des mesures d’ordre financier qui ont pu être mises en œuvre.
Au-delà du cas de la taxe professionnelle, les dispositions prises depuis plusieurs décennies en matière de dotations, notamment de DGF, appellent tout à la fois observations, critiques et inflexions.
Il suffit d’observer ce que représente aujourd’hui la DGF pour un budget communal « ordinaire » au regard de ce qu’elle était en 1979, lors de la naissance de la dotation. Bien que demeurant le premier concours de l’État aux collectivités locales, la DGF ne constitue souvent qu’une recette accessoire, en baisse constante, des budgets communaux.
Demandons-nous également s’il n’y a pas lieu de mettre en œuvre une réelle politique d’allégement des contraintes financières pesant sur les collectivités locales, d’autant que le regroupement des Caisses d’Épargne et des Banques Populaires, comme les difficultés durables de Dexia, semblent montrer que l’espérance de financements peu coûteux risque fort de ne rester qu’une espérance !
Quant à la réforme de la fiscalité locale, elle doit aussi intégrer, bien plus qu’aujourd’hui, la double dimension de la justice, indispensable du fait de l’inadaptation des valeurs cadastrales, et de l’efficacité. Dire que cela n’en prend pas le chemin est une évidence. Il importe cependant que nous rappelions ici quelques principes.
Le premier de ces principes est que nous ne devons pas faire du revenu, comme certains auraient tendance à le souhaiter, la base d’imposition de la fiscalité locale. Remplacer des impôts locaux fondés sur une base surannée par une poll tax à la française, mettant à contribution, par exemple, les jeunes salariés qui ne trouvent pas à se loger, ne serait pas un bon signe pour les citoyens.
La réalité de la capacité contributive doit servir à ajuster l’apport de chaque contribuable aux budgets locaux. Le revenu doit rester la variable d’ajustement du niveau des contributions demandées.
Nous avons eu l’occasion d’indiquer, dans la première intervention, celle de Marie-France Beaufils, ce que nous attendions d’une véritable réforme de la taxe professionnelle. Mais nous devons garder clairement à l’esprit cette donnée majeure : donner aux collectivités locales, dans le respect des principes républicains, les moyens de répondre aux besoins des populations et de participer par là même au développement du pays, constitue la seule finalité de tout effort budgétaire en leur direction.
Rendre leur autonomie et leur efficacité à l’ensemble des concours et dotations, en profiter pour réformer durablement et équitablement la fiscalité locale, voilà qui devrait constituer la feuille de route de ce débat budgétaire ! Mais ce n’est pas cette route qui semble être suivie pour le moment, sauf si la raison l’emporte sur les considérations de court terme.
Nous tenions à le rappeler ici et c’est ce qui conduira les membres de mon groupe à voter contre le volet « collectivités territoriales » de ce projet de loi de finances. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Hervé Maurey.
M. Hervé Maurey. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur général, mes chers collègues, la suppression de la taxe professionnelle est assurément la mesure emblématique de cette loi de finances. Nous sommes à peu près tous convaincus, sur l’ensemble des travées de cette assemblée, de son bien-fondé.
La taxe professionnelle avait été qualifiée d’« impôt imbécile » par le Président François Mitterrand il y a plus de vingt-cinq ans. Elle a été réformée vingt fois en trente-cinq ans sans que personne ait eu le courage d’aller au-delà.
En cette période de crise économique, cet impôt est particulièrement malvenu puisqu’il pénalise l’investissement, donc la compétitivité. Le Président de la République et le Gouvernement ont donc raison de vouloir sa suppression, même si celle-ci ne réglera pas par enchantement les difficultés que rencontre l’économie française.
Par conséquent, ce n’est pas la suppression de la taxe professionnelle qui pose problème : c’est la perte de recettes – 22,6 milliards d’euros – qu’elle engendre pour les collectivités. La taxe professionnelle représente, vous le savez, la moitié des recettes fiscales des communes ; ce n’est donc pas une recette négligeable.
Par ailleurs, force est de reconnaître qu’en annonçant la suppression de la taxe professionnelle en février dernier sans préciser par quel dispositif elle serait remplacée, le Président de la République a créé une immense inquiétude parmi les élus de droite, de gauche et du centre. Or cette inquiétude n’est pas levée, comme l’a montré le congrès de l’Association des maires de France cette semaine.
Il a en effet fallu attendre le mois d’août pour connaître les propositions du Gouvernement, que l’Assemblée nationale a été conduite à modifier fortement, dans le bon sens, me semble-t-il, en donnant une part de la cotisation complémentaire aux communes et en territorialisant cet impôt.
Le dispositif peut-il pour autant être voté maintenant, ou dans quelques jours à l’occasion de la seconde partie de la loi de finances, comme on semble désormais nous le proposer ? Très honnêtement, je ne le crois pas. Pour une raison très simple : personne ne mesure l’impact du dispositif proposé sur nos territoires ; nous ne le connaissons pas pour 2011 et encore moins au-delà.
Est-il envisagé, par exemple, d’indexer les dotations de compensation, qui représentent 4 milliards d’euros, sur l’évolution des autres dotations, dont la hausse de 0,6 % demeure très inférieure à celle des charges, surtout celles qui sont transférées par l’État?
Quelles seront les conséquences sur les finances des collectivités territoriales d’un impôt assis sur la valeur ajoutée et dont l’assiette est, par définition, susceptible de varier fortement ?
Le seuil de 500 000 euros ne défavorisera-t-il pas, une fois de plus, les territoires ruraux qui disposent de petites entreprises?
Est-il logique que le taux d’un impôt sur la valeur ajoutée soit fonction du chiffre d’affaires, et non de la valeur ajoutée ? Pourquoi ne pas appliquer un taux unique, quelle que soit l’entreprise ?
La répartition actuelle de la cotisation complémentaire entre les différentes collectivités est-elle pertinente ou doit-elle être modifiée ?
Le curseur entre territorialisation et mutualisation est-il bien positionné ?
Surtout, qui financera, au final, le coût de la réforme ?
Mme la ministre nous a dit l’autre jour que l’État financerait cette réforme. Mais, compte tenu de l’ampleur des déficits publics, il y a fort à parier que le coût de la réforme pèsera, en définitive, soit sur les entreprises, soit sur les ménages, soit sur les collectivités.
N’y a-t-il pas, en réalité, une volonté d’encadrer les ressources des collectivités territoriales pour maîtriser leurs dépenses, dont le Gouvernement ne manque pas de souligner la trop forte évolution ? Nous sommes nombreux à nous poser cette question.
En augmentant la part des dotations, ne veut-on pas réduire l’autonomie financière des collectivités locales et, plus généralement, leur autonomie ? Si tel était le cas, il vaudrait mieux nous le dire franchement et courageusement!
De nombreuses questions se posent encore, et nous ne pouvons pas, nous qui représentons les territoires, voter à l’aveuglette. Je fais partie de ceux qui pensent que la logique aurait été de se pencher sur les ressources des collectivités après avoir modifié leurs compétences, et non l’inverse.
Je crois également que c’est l’ensemble de notre fiscalité locale qui doit être revue, notamment la DGF, afin d’en faire un instrument de péréquation efficace et réel.
J’observe que lorsqu’on interroge les services de l’État pour savoir comment est calculée la DGF et pourquoi l’on perçoit telle somme, personne n’est capable de répondre, ce qui montre bien la nécessité de la réforme.