Mme Jacqueline Gourault. Oui !
M. Christian Poncelet. Effectivement !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Le taux de cotisation foncière des entreprises s’appliquera aux entreprises. Dans ce cas, la révision des bases ne pose pas de problème.
En revanche, le taux de l’autre impôt foncier bâti sera le même pour le foncier détenu à des fins professionnelles et le foncier résidentiel.
Or, si les bases n’ont été révisées que pour le foncier professionnel et pas pour le foncier résidentiel, je ne vois pas comment vous pourrez appliquer le même taux.
Monsieur le ministre, pourriez-vous apaiser mes craintes et répondre à mon interrogation concernant cette difficulté pratique ?
M. le président. La parole est à M. le ministre, pour apaiser M. Arthuis.
M. Éric Woerth, ministre. Je ne sais pas, monsieur le président, si je parviendrai à apaiser totalement M. Arthuis.
Nous avons noté cette difficulté, nous l’évoquerons, mais nous ne pouvons pas entrer dans le débat aujourd’hui.
Les révisions des bases avec des taux identiques peuvent en effet conduire à des difficultés très importantes. Mais il est logique de commencer par les locaux commerciaux puis d’examiner le cas des locaux d’habitation.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Bien !
M. Éric Woerth, ministre. Il ne s’agit pas, loin s’en faut, d’un point de détail.
Mais la révision des bases pose également beaucoup d’autres problèmes. C’est d’ailleurs pourquoi cette révision n’a jamais été réalisée. Nous commencerons par inventorier l’ensemble des problèmes puis nous tenterons d’y répondre ensemble. (Très bien ! au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Lagarde, ministre de l'économie, de l'industrie et de l'emploi. Monsieur le président, monsieur le rapporteur général, monsieur le président de la commission, mesdames et messieurs les sénateurs, je reviendrai d’abord sur certaines propositions évoquées par M. le rapporteur général, portant en particulier sur la première partie de nos débats. J’évoquerai ensuite des orientations générales, portant davantage sur la deuxième partie de nos débats, sachant que M. le rapporteur général n’est pas alors entré dans le détail des propositions qu’il a formulées.
L’ensemble de ces propositions sont les bienvenues. Je vous remercie, monsieur le rapporteur général, ainsi que tous les membres de la commission des finances, au premier rang desquels, son président, pour le temps considérable que vous avez déjà passé à la compréhension de ce texte, qui, je le reconnais, monsieur le président de la commission des finances, est compliqué, ardu, imbriqué, émaillé de références à de multiples autres morceaux de textes et strates successives venues s’ajouter et se surajouter à la construction de cet édifice. Tout cela n’a certainement pas facilité le travail de rédaction effectué pour assurer une grande innovation tout en garantissant les différents niveaux de financement.
Dans notre approche de ce texte, notamment dans sa première partie, nous devrons nous attacher à respecter ses grands équilibres, tout en revenant néanmoins sur certains points, comme ceux que vous avez évoqués.
Nous avons eu de nombreux débats sur la question du barème, qui a été défini, calibré et pesé au trébuchet, pour nous assurer de l’objectif que nous poursuivons.
Il s’agit d’alléger la charge fiscale des entreprises qui localisent et fabriquent en France, en particulier dans le secteur industriel – mais pas seulement. Il n’est absolument pas question de sanctionner lourdement les petites et moyennes entreprises.
Je comprends néanmoins tout à fait l’intérêt de cette cotisation minimale de 250 euros pour faire en sorte que les entreprises dont le chiffre d’affaires est supérieur à 500 000 euros puissent cotiser, si j’ose dire, nonobstant le mécanisme d’exonération de 1 000 euros qui a été mis en place.
La règle de la liaison des taux est un autre principe important de cette réforme. Cette règle doit être suffisamment stricte pour éviter des abus, comme ceux qui ont parfois été constatés depuis 2003 et qui ont entraîné un écart important entre les taux applicables aux impôts « entreprises » et aux impôts « ménages », fondés pourtant sur des assiettes identiques.
Nous devons aussi veiller à fixer la compensation-relais des collectivités en 2010 à un niveau raisonnable. Nous avons débattu sur le mécanisme de garantie. La garantie sera égale à, soit, au minimum, la taxe professionnelle de 2009, soit les bases de 2010 multipliées par les taux de 2008.
Un autre mécanisme est envisagé, plafonnant l’augmentation des taux de 2009 à trois points de plus qu’en 2008, pour éviter l’application d’un taux trop élevé en 2009.
Là aussi, j’en suis persuadée, le Sénat saura trouver une règle juste et qui fasse preuve d’esprit de responsabilité à l’égard de l’ensemble des finances publiques de l’État.
Concernant la deuxième partie, je ne suis pas très étonnée du résultat auquel nous aboutirons peut-être si nous suivons vos propositions.
Nous avons proposé une clé « macro » qui utilisait un facteur de péréquation pour effectuer la réallocation de la cotisation complémentaire. Lorsque nous avons eu un débat opposant cette clé « macro » et la clé « micro » suggérée par l’Assemblée nationale, j’ai imaginé un instant que nous arriverions à une clé « méso ».
C’est un peu ce que vous proposez, avec un principe de mutualisation pour les départements et pour les régions, et un principe beaucoup plus innovant pour les intercommunalités. Pour ce dernier, la valeur ajoutée serait taxée à un taux progressif et répartie ensuite selon un taux moyen afin d’éviter la pénalisation des secteurs ruraux et des tissus de petites entreprises, notamment celles qui ont un chiffre d’affaires inférieur à 500 000 euros.
M. François Marc. C’est un travail de commission, ça !
Mme Christine Lagarde, ministre. Ce travail a abouti à une formule « méso », plutôt qu’à une formule tout « micro » ou tout « macro » ; nous y reviendrons sans doute plus en détail. Cette formule n’est pas simple mais elle est particulièrement créative et intéressante.
J’y vois en particulier la perspective d’un équilibre entre les objectifs rappelés ce matin : le lien fiscal entre le territoire et l’entreprise – tout à fait indispensable à mes yeux – et l’adéquation entre les recettes et les dépenses, qui est évidemment un impératif pour garantir une bonne dose de péréquation.
Reste la dernière question que vous avez évoquée, monsieur le rapporteur général, dans votre intervention liminaire : la répartition des différentes ressources fiscales entre les niveaux de collectivités territoriales.
De ce point de vue, comme vous le savez, le texte initial du Gouvernement concentrait les assiettes foncières sur le bloc « communes » et répartissait entre les départements et les régions l’ensemble de la valeur ajoutée.
L’Assemblée nationale a décidé de réexaminer ce principe de spécialisation et d’affecter 20 % de la cotisation sur la valeur ajoutée aux établissements publics de coopération intercommunale, les EPCI, en contrepartie – puisqu’il s’agit d’une enveloppe fermée – d’une augmentation de la taxe foncière rapatriée vers les départements, auxquels ces 20 % sont retirés.
Vous avez indiqué, monsieur le rapporteur général, que des débats avaient lieu sur ce sujet au sein de la commission des finances, certains souhaitant le maintien de la clé de répartition selon les modèles actuellement en vigueur, d’autres étant plus prompts à innover, à modifier voire à anticiper sur des répartitions de compétences.
Il faudra, en toutes choses, préserver un bon équilibre, s’assurer que les régions, les départements et les communes disposent de ressources suffisantes et équilibrées. Lors de l’examen définitif, c’est-à-dire après la deuxième partie, nous parviendrons, je n’en doute pas, à cet équilibre. Le réexamen du texte au mois de juin, lors de l’application de la clause de revoyure, permettra d’apporter quelques corrections si, compte tenu de la répartition des compétences adoptée à l’occasion du vote de la loi sur les collectivités territoriales, quelques ajustements s’avéraient nécessaires.
Monsieur le président de la commission des finances, vous avez regretté l’absence de représentants du ministère de l’intérieur ; je ne doute pas qu’ils participent à nos débats, d’une manière ou d’une autre.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Sûrement.
Mme Christine Lagarde, ministre. Les représentants les plus éminents de la Direction générale des collectivités locales ont participé à nos travaux et ont été tenus informés de manière très régulière de leur élaboration, ils nous ont guidés dans certains cas et nous continuons à travailler en étroite collaboration avec ceux d’entre eux qui ont participé à ces travaux initiaux.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Oui !
Mme Christine Lagarde, ministre. J’ai commenté le caractère très complexe du texte, que vous avez illustré par une citation tout à fait appropriée de l’article 2. C’est effectivement un texte touffu. Cependant, dans la mesure où les ordinateurs de la DGCL devront pouvoir en faire l’application, l’ensemble de ces dispositifs suit une logique, qui peut néanmoins sembler obscure au commun des mortels, surtout s’il n’est pas un familier du code général des impôts. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP et au banc des commissions.)
M. le président. La parole est à M. Yves Détraigne.
M. Yves Détraigne. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis qu’avait été supprimée la part salariale de la taxe professionnelle, ou TP, et, plus encore, depuis que le Président de la République avait annoncé la non-imposition à cette taxe des investissements nouveaux, nous savions qu’elle était en sursis et condamnée à disparaître.
Le problème, c’est que l’on a reçu le faire-part de décès sans qu’ait été étudiée préalablement la succession de feu la taxe professionnelle ! En réalité, nous ne sommes pas surpris par cette manière de faire puisqu’il semble que ce soit devenu un mode de gouvernance de plus en plus utilisé.
Je pense, par exemple, à la suppression de la publicité sur la télévision publique ou à l’annonce du grand emprunt qui, comme aujourd’hui, la suppression de la TP, ont été décidés sans concertation et sans que l’on se soit posé auparavant la question de leur mise en œuvre la plus appropriée ou de leur remplacement.
De plus, on nous annonce la suppression de la TP et, par voie de conséquence, la réforme de l’impôt local qui pèse sur les entreprises sans inclure cette réforme dans une refonte globale de la fiscalité locale, réclamée depuis des années par la totalité des associations représentatives des élus locaux.
Si l’on ajoute que cette réforme, du moins telle qu’elle nous est parvenue au Sénat – car la commission des finances fait, me semble-t-il, du bon travail –, doit fixer pour la fin de cette année les ressources fiscales et les compensations dont disposeront les diverses strates de collectivités territoriales pour exercer leurs responsabilités futures alors que ce n’est que l’an prochain voire en 2011 que sera fixée la répartition de ces responsabilités entre les diverses collectivités, on a un peu l’impression de marcher sur la tête !
En conséquence, si l’on n’y prend garde et si l’on ne se donne pas le temps de peser toutes les conséquences du nouveau système qui nous est proposé, de l’adapter autant que nécessaire pour éviter que les collectivités ne fassent un marché de dupes, on risque de remplacer une usine à gaz, maintes fois modifiée, par, hélas ! une autre usine à gaz,…
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances. Plus petite !
M. Yves Détraigne. …que l’on devra à nouveau modifier, année après année.
Il est donc indispensable que, dans l’examen de cette réforme, nous n’éludions pas les questions importantes que se posent la plupart des élus locaux. Je n’en citerai que quelques-unes, je ne doute pas qu’un certain nombre d’intervenants après moi compléteront la liste.
Tout d’abord, comment maintenir un lien fiscal entre les collectivités et toutes les entreprises qu’elles accueillent ?
Madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, n’avez-vous pas été frappés par la réaction spontanée de l'ensemble des élus locaux à l’annonce de la suppression de la taxe professionnelle ? Qu’ils soient ou non spécialistes de la fiscalité locale, tous ont réclamé le maintien de ce lien, non seulement avec les entreprises aujourd’hui imposées à la taxe professionnelle, mais aussi avec celles qui viendront à l’avenir s’installer chez eux.
Si ce lien n’est pas maintenu, la crainte d’avoir à supporter des nuisances supplémentaires dues à l’installation de nouvelles entreprises, comme l’augmentation du nombre de poids lourds en circulation, risque de l’emporter sur l’intérêt de les accueillir et de contribuer ainsi à la relance de notre industrie, qui est pourtant l’objectif affiché par le Gouvernement pour justifier la suppression de la taxe professionnelle.
Ensuite, qu’en sera-t-il des ressources des très nombreuses collectivités sur le territoire desquelles ne sont implantées que des entreprises ayant un chiffre d’affaires inférieur à 500 000 euros, dans l’hypothèse où elles ne bénéficieront plus d’une ressource économique évolutive ?
En outre, comment assurer la répartition de la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises entre les différentes collectivités qui accueillent, chacune, un établissement d’une même société, sachant que la valeur ajoutée se détermine au niveau de la société et non des différents établissements ?
De même, comment assurer la péréquation des ressources entre des collectivités locales qui doivent faire face à des charges comparables, sans disposer pour autant des mêmes moyens ?
Enfin, comment peut-on voter un système nécessairement complexe – la longueur de l’article 2, commenté avec brio tout à l’heure par M. le président de la commission des finances, en est la parfaite illustration – sans avoir pu examiner au préalable et de façon suffisamment claire, d'une part, les simulations correspondant aux diverses hypothèses possibles d’imposition, de répartition et de péréquation, et, d'autre part, la manière dont elles évolueront dans le temps ?
Je voudrais donc féliciter la commission des finances pour la manière cartésienne – pragmatique, serais-je même tenté de dire – dont elle a abordé l’examen de l’article 2. Il nous paraît indispensable de ne pas boucler dans la précipitation une réforme si importante et lourde de conséquences pour l’autonomie des collectivités territoriales.
Cependant, dès lors que nous avons l’assurance, comme cela me semble être le cas, que les ressources des collectivités seront garanties en 2010, il n’y a pas, selon nous, d’urgence à figer dès la fin de cette année la répartition et la péréquation des ressources prévues pour 2011.
Mieux vaudrait reporter cette décision à une prochaine loi de finances rectificative, qui serait débattue au milieu de l’année prochaine en s’inscrivant, bien entendu, dans le cadre des principes arrêtés dans le présent texte, principes dont nous aurions eu alors le temps de débattre et de mesurer toutes les conséquences.
En outre, madame la ministre, monsieur le ministre, mes chers collègues, cette formule aurait l’avantage de permettre un vrai dialogue avec les associations représentatives des élus locaux et de laisser le temps non seulement aux parlementaires, mais aussi aux associations d’élus et, surtout, aux élus eux-mêmes – qui n’y comprennent pas grand-chose – de s’approprier cette réforme. Telle est, je le pense sincèrement, la condition de son succès ! (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP.)
Mme Jacqueline Gourault. Bravo !
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. « Il n’y a pas de fronde ! » Voilà en substance, madame la ministre, la déclaration que vous avez faite à la presse, le samedi 14 novembre, à propos de l’attitude des élus locaux face à votre réforme des finances locales. Vous avez pourtant été largement démentie ces derniers jours, tant lors de la réunion nationale des conseillers généraux, lundi dernier, qu’à l’occasion du congrès des maires !
Il est vrai que l’enjeu est considérable, non seulement sur le plan financier, puisqu’il est question de déplacer quelque 29 milliards d’euros de recettes des collectivités, mais aussi en termes de décentralisation, d’autonomie et de services publics de proximité.
Je ne peux manquer de le souligner ici, en réclamant la préservation d’une autonomie financière garantie par la Constitution depuis 2004, il ne vient à l’idée d’aucun élu de chercher à « organiser la féodalité », comme vous l’avez laissé entendre dans cette même déclaration à la presse.
Tous les élus locaux et territoriaux sont aujourd’hui profondément inquiets. À mes yeux, ils ont légitimement raison de l’être.
Je voudrais ici vous livrer quatre témoignages que j’ai recueillis lundi et mardi derniers auprès de maires de mon département.
Premier témoignage : « Nous comptons sur un même niveau de ressources pour 2010. Néanmoins, nous faisons déjà des coupes sur le budget consacré aux études de lancement d’investissements [prévues dans la programmation pluriannuelle des investissements] : celle qui est consacrée au périmètre du captage d’eau, à la rénovation de la salle municipale, [etc.] ».
Deuxième témoignage : « Nous disposons d’une friche industrielle de 1 hectare que nous voulons raser pour construire des logements sociaux. Compte tenu des perspectives de diminution des financements croisés [et donc d’une perte de subvention programmée en provenance du conseil général], nous sommes devenus plus frileux sur ce projet ».
Troisième témoignage : « La prudence nous conduit à anticiper une baisse des recettes de fonctionnement. Le projet de développer l'enseignement musical à l’école va donc être suspendu. […] Nous avons également annulé les actions d’animation type séjours de 4 jours en camping. Le manque de garanties sur la pérennité de nos recettes fiscales nous conduit [de fait à réduire les dépenses d’"animation jeunesse".] ».
Enfin, quatrième et dernier témoignage, celui d’un maire qui est également président d’une communauté de communes : « Nous avons suspendu les discussions budgétaires et toute nouvelle décision d’investissement. Mais quelle que soit l’issue de la réforme, même si la TP est compensée, nous savons que la dynamique propre des ressources fiscales n’est plus assurée dans le long terme. » Dans la mesure où il est hors de question pour lui d’augmenter la fiscalité des ménages, déjà très sollicités en période de crise, il précise : « Nous sommes une des collectivités qui consacrent le plus de moyens à l’action économique. Nous investirons tout simplement moins dans l’accueil des entreprises. Ces dernières en sont conscientes d’ailleurs : certaines d’entre elles nous manifestent leurs inquiétudes ».
Ces quatre témoignages illustrent, de façon très concrète, l’inquiétude palpable des élus locaux face à une réforme, qui, en faisant peser incontestablement de graves incertitudes sur les recettes, confond véritablement la fin et les moyens.
Cette réforme n’est, en définitive, qu’un sous-produit de la promesse du Président de la République de supprimer la taxe professionnelle pour les entreprises. Pour la tenir, il a fallu imaginer en catastrophe un processus de redistribution des recettes aux collectivités. Tout le problème, bien sûr, réside dans le fait que le dispositif manque de visibilité.
Face aux angoisses et aux inquiétudes couramment exprimées, il convient de placer cette suppression de la taxe professionnelle dans la perspective d’une réforme globale des finances locales, que nous considérons nous aussi comme une nécessité.
Cela fait d’ailleurs maintenant quelques années que nous présentons, ici même, un certain nombre de lignes d’action envisageables. Je rappellerai brièvement les principes que nous avons ainsi mis en avant.
Premier principe : respecter l’esprit de la décentralisation et de la nécessaire autonomie fiscale des collectivités, qui doivent rester en capacité de fixer les taux d’imposition.
Deuxième principe : respecter l’équilibre actuel, proche de la parité, entre les ressources fiscales provenant des entreprises et des ménages, équilibre que la réforme proposée par le Gouvernement conduit incontestablement à rompre.
Troisième principe : réévaluation générale des valeurs locatives qui servent au calcul des bases d’imposition, eu égard aux injustices criantes observées sur tout le territoire.
Quatrième principe : mieux prendre en compte le revenu des contribuables. À cet égard, nous avons proposé l’instauration au profit des départements d’une part de CSG supplémentaire, pour leur permettre de financer leurs compétences sociales.
Cinquième principe : accentuer l’effort de péréquation verticale en consacrant à la composante « péréquation » une part accrue de la DGF, qui passerait de 10 % à 20 %.
Enfin, sixième principe d’action : lutter contre la cristallisation des inégalités de ressources, en mettant en œuvre des mécanismes de péréquation horizontale.
Madame la ministre, monsieur le ministre, depuis trois ans, toutes les propositions issues de nos rangs et qui ont été débattues au Sénat ont été rejetées par votre gouvernement. Voici un florilège de ce que nous avons entendu : « Vos propositions ne sont pas inintéressantes, mais elles ne sont pas mûres » ; « on ne sait pas où l’on va réellement car vous n’avez pas fait de simulations ni de projections fiables » ; « ces propositions viennent trop tôt. » Il nous a même été rétorqué, de façon plus catégorique encore : « Vos propositions sont inabouties, voire improvisées ».
Mes chers collègues, il est pour le moins savoureux de constater aujourd’hui que l’improvisation qui nous était hier reprochée imprègne la démarche du Gouvernement jusqu’à la caricature.
L’improvisation est en effet telle que le Sénat se voit contraint, pour l’une des premières fois de son histoire, de préconiser le report à l’année à venir de l’examen approfondi d’un article fondamental du projet de loi de finances pour 2010, du moins de certains de ses alinéas.
On ne peut que constater, au surplus, que cette proposition de réforme des finances locales ne s’inscrit dans aucune logique d’ensemble, en ce qui concerne tant la redéfinition des compétences territoriales que l’acceptation d’une décentralisation clairement assumée.
À cet égard, les marchandages auxquels il nous est donné d’assister depuis quelques semaines au sujet de l’affectation entre strates des différentes catégories d’impôt illustrent, plus qu’il n’en est besoin, l’esprit purement boutiquier d’un projet de réforme bricolé à la hâte. Ce dernier manque incontestablement de souffle et d’ambition : il laisse les 500 000 élus locaux de France totalement désarçonnés, pour ne pas dire démotivés.
En faisant lourdement déchoir l’autonomie financière des collectivités, le projet de réforme ne risque-t-il pas de mettre à mal les équilibres de notre République décentralisée ?
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. François Marc. Cette crainte est aujourd’hui de plus en plus largement partagée, à droite comme à gauche.
Madame la ministre, il reste, bien sûr, une question essentielle : cette énorme prise de risque en vaut-elle la peine ? Au fond, cette réforme de la taxe professionnelle a-t-elle du sens sur le plan économique ? Vous nous avez assuré que tel était le cas. M. le Premier ministre indiquait devant le Sénat, voilà quelques jours, que son objectif était d’accroître la compétitivité de notre pays. À mon sens, ce discours relève vraiment de l’incantation, car rien n’a été démontré qui aille en ce sens.
Nous aurons l’occasion de revenir dans la suite des débats sur l’argumentation gouvernementale : elle n’a probablement pas d’autre vocation que celle d’habiller aussi habilement que possible la réalité d’une perte considérable de recettes fiscales, ce qui ne manquera pas de creuser encore un peu plus le déficit public et la dette abyssale de la France ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Nicole Bricq. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin. (M. Jacques Mézard applaudit.)
M. Yvon Collin. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission des finances, mes chers collègues, depuis bientôt un an, la suppression annoncée de la taxe professionnelle occupe les esprits et, à l’évidence, fait couler beaucoup d’encre.
Parce qu’il s’agit de supprimer une contribution représentant pas moins de 44 % de l’ensemble de la fiscalité locale, chacun conviendra que le mécontentement des élus locaux, particulièrement des maires, est plus que légitime.
Aujourd’hui, nous sommes nombreux à nous succéder à cette tribune pour nous interroger sur l’opportunité d’une telle réforme. Et si j’ai bien compris Mme la ministre ce matin, elle se serait bien passée de ce débat. Quant à M. le rapporteur général de la commission des finances, il nous a indiqué n’être pas demandeur de la suppression de la taxe professionnelle.
En effet, est-il vraiment souhaitable de perturber à ce point la fiscalité locale, notamment dans un contexte de récession, qui plus est lorsqu’on sait que les collectivités locales jouent le rôle d’amortisseur social en temps de crise et qu’elles ont besoin de visibilité et d’autonomie budgétaires ?
J’ajoute qu’elles ont besoin d’une fiscalité intelligible, ce qui, de l’avis même des meilleurs experts, est loin d’être le cas, bien au contraire ! Les passages de l'article 2 cités tout à l’heure par le président Arthuis en ont donné une illustration flagrante. Au demeurant, le Conseil constitutionnel devra, le cas échéant, se prononcer sur ce point.
Je m’interroge également sur la pertinence de l’objectif visé. La suppression de la taxe professionnelle serait, nous dit-on, le remède miracle aux délocalisations. Rien n’est moins sûr.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. En effet, mais si on ne fait rien…
M. Yvon Collin. Les politiques d’allégement de la fiscalité des entreprises qui se succèdent depuis 2001 ont toutes entraîné une décrue des prélèvements obligatoires acquittés par les entreprises dans la part du PIB. Cette tendance n’a pas, hélas ! suffi à préserver les sites de production sur notre territoire.
M. le rapporteur général de la commission des finances rappelait fort opportunément ce matin, à cette même tribune, que la suppression de la part « salaires » de la TP, mise en œuvre en 1999 et en 2003, n’a pas davantage freiné les délocalisations.
Mais tout cela n’est déjà plus d’actualité. Après l’annonce brutale par le chef de l’État, nous voici aujourd’hui face à la réforme improvisée par son Gouvernement et nous en sommes là.
Madame la ministre, monsieur le ministre, nous avons le sentiment que vous n’entendez pas la colère des élus. Vous ne tenez pas davantage compte de leurs suggestions. Vous semblez rester sourd à la grogne manifestée par des milliers d’élus à l’occasion du congrès des maires dont je relaie l’exaspération et l’incompréhension.
Tous ces maires, hommes et femmes, qui donnent de leur temps à la République, tous ces maires qui sont au cœur de l’action publique, tous ces maires qui sont au service de nos concitoyens ont besoin d’être écoutés, d’être rassurés et, surtout, d’être certains de pouvoir exercer au quotidien leur mission de proximité. Mais j’ai compris, madame la ministre, monsieur le ministre, que vous étiez prêts à venir expliquer sur place à nos maires le sens de votre projet.
Parce que nous sommes ici dans la « maison des collectivités locales » – et il suffisait d’arpenter le Sénat ces derniers jours pour constater que tous les élus locaux sont ici chez eux –, nous partageons tous dans cet hémicycle cette gravité.
Il est de notre devoir et de notre responsabilité d’y répondre mieux : d’une part, en tentant de supprimer l’article 2 du projet de loi de finances pour 2010 – ce sera l’objet de plusieurs amendements – et, d’autre part, si besoin est, en cherchant la meilleure alternative possible à la suppression de la taxe professionnelle. De ce point de vue, selon moi, tout ou presque reste à faire ! La tâche dépasse les clivages partisans. C’est au Sénat, dit-on, qu’il revient de trouver la solution.
Si le Président la République supprime, c’est à nous, sénateurs de la majorité comme de l’opposition, qu’il revient de reconstruire et d’inventer un système de substitution qui soit à la hauteur de l’enjeu pour nos collectivités et pour la décentralisation à laquelle les Français sont très attachés.
C’est pourquoi les prochains jours ici même vont être décisifs. Les maires comptent sur nous : nous ne devons pas les décevoir !
La commission des finances du Sénat a proposé un dispositif permettant de donner du temps à la réforme. Ce compromis est acceptable si, toutefois, nous parvenons à satisfaire plusieurs revendications exprimées par les élus de tous bords. Elles ont pour objectif de sécuriser, dynamiser et mieux partager les ressources des collectivités.
Mes chers collègues, il n’y aura pas de recettes garanties si les rapports entre l’État et les collectivités locales ne sont pas clarifiés au regard du principe constitutionnel d’autonomie financière. Le dispositif actuel de compensation de la taxe professionnelle, qui prévoit 9,8 milliards de dotations, est contraire à l’article 72-2 de la Constitution. En outre, les dotations distendent le lien entre la collectivité et les administrés, ce qui ne favorise ni l’initiative, ni la responsabilité locale.
Le profond malaise tient aussi à l’introduction de plusieurs mécanismes réduisant le dynamisme de la fiscalité locale. Ainsi, le nouvel impôt économique prévoit des règles de liaison plus strictes entre les taux des taxes « ménages » et le taux de la cotisation locale d’activité. Les communes et les EPCI pourraient donc toujours voter des hausses de taux uniformes ou différenciés, mais dans ce dernier cas, un retour à un lien strict est prévu à travers la suppression de tous les mécanismes de dérogation ou de déliaison.
S’agissant des nouvelles règles d’affectation des ressources, l’Assemblée nationale a permis que les communes et les communautés de communes profitent directement de la cotisation complémentaire, la recette, à l’évidence, la plus dynamique du nouveau dispositif.
Les députés ont transféré au bloc communal 20 % de la cotisation complémentaire, soit 2,3 milliards d’euros. Pourquoi ne pas aller plus loin en déplaçant encore un peu plus le curseur afin que les communes disposent véritablement des instruments leur permettant de gérer au mieux l’équilibre entre les impôts « ménages » et les impôts « entreprises » ? Cela permettrait de renforcer encore davantage le lien entre l’impôt et le territoire, lien auquel nous tenons tout particulièrement.
Enfin, il n’y aura pas de réforme équitable, mes chers collègues, si nous ne revenons pas sur la progressivité du barème de la cotisation complémentaire à la valeur ajoutée.