Mme la présidente. Veuillez conclure, cher collègue.
M. Jean-Jacques Mirassou. Il est évident qu’en cautionnant la suppression de milliers d’emplois, en ouvrant la voie de la privatisation de La Poste, vous altérez grandement la notion même de service public postal.
L’instauration du moratoire que nous proposons permettrait de répondre à toutes ces interrogations et de concevoir, enfin, une nouvelle politique de l’emploi, où le salarié ne serait plus seulement perçu comme une variable d’ajustement pour l’entreprise. La nouvelle société anonyme, entièrement publique et dont l’État serait le principal actionnaire, ne devrait-elle pas montrer l’exemple ?
Mme la présidente. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Hérisson, rapporteur. La Poste, je le rappelle, est le premier employeur de France après l’État, avec 299 000 emplois – 162 000 fonctionnaires et 137 000 salariés –en 2007, dont 245 000 au sein de la maison mère.
Cela étant, est-ce à la loi de décider de la politique de l’emploi d’une entreprise, fût-elle détenue par l’État et par des personnes publiques ?
La commission ne peut pas donner un avis favorable sur cet amendement.
Mme la présidente. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Jacques Mirassou, pour explication de vote.
M. Jean-Jacques Mirassou. Certes, la loi ne peut empiéter sur le domaine réglementaire. Pour autant, quand elle traite du service public, l’égalité d’accès doit être garantie.
Or, si l’on entre dans une logique qui accélérera la diminution des emplois, le service public ne pourra pas être assuré dans les zones plus ou moins reculées faute d’un nombre suffisant d’agents pour y maintenir les bureaux de poste de plein exercice. Si bien que la dérive constatée, par exemple, au Royaume-Uni et qui voit de plus en plus d’usagers contraints d’aller retirer leur courrier dans une épicerie, parmi les boîtes de conserve, sera également observée chez nous. Cela ne pourra que contribuer à écorner, voire à nier, la conception qui est la nôtre du service public.
Voilà pourquoi cet amendement tend à préserver des emplois tout à fait utiles dans une activité qui l’est tout autant !
Mme la présidente. Je mets aux voix l'amendement n° 428.
Je suis saisie d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
Mme la présidente. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
Mme la présidente. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 27 :
Nombre de votants | 338 |
Nombre de suffrages exprimés | 336 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 169 |
Pour l’adoption | 151 |
Contre | 185 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Article 1er
Après l’article 1-1 de la loi n° 90-568 du 2 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de La Poste et à France Télécom, il est inséré un article 1-2 ainsi rédigé :
« Art. 1-2. – I. – La personne morale de droit public La Poste est transformée à compter du 1er janvier 2010 en une société anonyme dénommée La Poste. Le capital de la société est détenu par l’État et par d’autres personnes morales de droit public, à l’exception de la part du capital pouvant être détenue au titre de l’actionnariat des personnels dans les conditions prévues par la présente loi.
« À la date de publication de ses statuts initiaux, le capital de La Poste est, dans sa totalité, détenu par l’État.
« Cette transformation n’emporte pas création d’une personne juridique nouvelle. L’ensemble des biens, droits, obligations, contrats, conventions et autorisations de toute nature de la personne morale de droit public La Poste, en France et hors de France, sont de plein droit et sans formalité ceux de la société anonyme La Poste à compter de la date de la transformation. Celle-ci n’a aucune incidence sur ces biens, droits, obligations, contrats, conventions et autorisations et n’entraîne, en particulier, pas de modification des contrats et des conventions en cours conclus par La Poste ou les sociétés qui lui sont liées au sens des articles L. 233-1 à L. 233-4 du code de commerce, ni leur résiliation, ni, le cas échéant, le remboursement anticipé des dettes qui en sont l’objet. La transformation en société anonyme n’affecte pas les actes administratifs pris par La Poste. L’ensemble des opérations résultant de la transformation de La Poste en société est réalisé à titre gratuit et ne donne lieu au paiement d’aucun impôt, rémunération, salaire ou honoraire au profit de l’État, de ses agents ou de toute autre personne publique.
« II. – La Poste est soumise aux dispositions législatives applicables aux sociétés anonymes dans la mesure où elles ne sont pas contraires à la présente loi.
« Les premier et quatrième alinéas de l’article L. 225-24 du code de commerce s’appliquent en cas de vacance de postes d’administrateurs désignés par l’assemblée générale.
« Le premier alinéa de l’article L. 228-39 du même code ne s’applique pas à la société La Poste.
« L'article L. 225-40 du même code ne s’applique pas aux conventions conclues entre l’État et La Poste en application des articles 6 et 9 de la présente loi. »
Mme la présidente. Mes chers collègues, je demande instamment à ceux d’entre vous qui souhaitent s’exprimer sur l’article 1er de bien vouloir s’en tenir aux cinq minutes qui leur sont imparties.
La parole est à Mme Odette Terrade, sur l'article.
Mme Odette Terrade. Avec cet article, nous entrons dans le vif du sujet.
Le changement de statut de l’établissement public en société anonyme aura pour conséquence directe le fait que les activités de La Poste et ses personnels se trouveront soumis à une gestion privée.
Or rien dans les textes communautaires ne justifie ce changement de statut. Les traités européens n’obligent pas les entreprises à changer de statut en cas d’ouverture des marchés.
Quant à l’argument selon lequel le statut public serait un frein au développement de La Poste, les opérations réalisées démontrent le contraire : avec ses 102 filiales, l’entreprise a réalisé plusieurs grosses acquisitions, notamment l’achat d’Exapaq, pour 430 millions d’euros, d’Orsid, pour 19 millions d’euros, le partenariat avec la SNCF pour le transport du courrier sur les lignes TGV. Elle est également présente en Espagne, avec Sueur, en Grèce, avec Interatika, en Turquie, au Royaume-Uni, en Afrique du Sud, en Europe de l’Est, en Inde, etc. Elle a multiplié les partenariats financiers : Société Générale, Matmut, Crédit Municipal de Paris.
Ainsi, par sa politique de rachat, ses différents partenariats et ses échanges capitalistiques, elle est déjà présente en Europe, en Océanie, en Amérique du Sud, aux États-Unis, en Afrique.
Autre argument avancé pour justifier cette privatisation rampante : La Poste ne disposerait pas de capacités suffisantes d’autofinancement et son endettement ne pourrait augmenter. Ainsi, on peut lire dans le rapport de M. Ailleret, qui dès la page 2 précise que son rapport n’engage que lui, que La Poste doit mobiliser « des fonds propres nécessaires à son ambition ».
Mais, si le niveau des capitaux propres de La Poste est trop faible et l’endettement trop élevé, à qui la faute ? Rappelons simplement que La Poste a dû donner 2 milliards d’euros et s’endetter de 1,8 milliard d’euros à titre de « compensation » pour le financement des retraites des fonctionnaires. Rappelons encore que l’entreprise publique a versé un dividende de 141 millions d’euros au titre de l’année 2007. Rappelons enfin que le coût des quatre missions de service public – accessibilité bancaire, service universel, transport-distribution de la presse et aménagement du territoire – pèse près de 1 milliard d’euros sur les comptes de La Poste.
M. Bailly avait demandé dans un premier temps que les 3 milliards d’euros qui manquent à l’entreprise soient recherchés sur les marchés financiers. Évidemment, cette solution a pris du plomb dans l’aile avec la crise financière…
Aujourd’hui, vous nous proposez de faire entrer des personnes morales publiques dans le capital de La Poste, sans jamais nommer la Caisse de dépôts et consignations, soit dit en passant ! Mais personne n’est dupe : ce type de démarche se solde immanquablement par la privatisation des opérateurs visés.
L’État ne peut pas se désengager financièrement de la prise en charge des missions de service public et arguer, ensuite, des difficultés financières de La Poste pour lui administrer le coup de grâce.
M. Ailleret nous parle d’ambition : La Poste aurait besoin, selon lui, « de mener une politique active de développement : élargissement de l’offre, acquisition d’une dimension européenne sur les créneaux pertinents, recherche constante de compétitivité ». Quand on connaît les déboires de TNT ou ceux de la poste allemande aux États-Unis, avec le retrait de DHL, on aurait plutôt tendance à considérer ce rêve expansionniste des dirigeants de l’entreprise publique comme pure chimère !
L’ambition ne devrait-elle pas conduire à trouver des solutions pour moderniser l’entreprise afin d’assurer la qualité du service public, notamment son accessibilité ?
Dans son rapport, M. Ailleret nous exhorte à ne pas perdre de temps, car il considère qu’en Europe et dans le monde les grandes manœuvres ont débuté dans le domaine postal. Dans un sens, il a raison ! La privatisation des opérateurs européens a produit des effets catastrophiques.
Ainsi, la poste allemande est devenue une poste sans bureau de poste : les 850 plus grands bureaux sont devenus des agences bancaires et les opérations postales se font dans les supérettes. La cotation de la Deutsche Post est médiocre et l’entreprise commence à connaître des difficultés à l’international.
Quant au modèle suédois, il est plaisamment qualifié de « moins un tiers » : un tiers d’emplois en moins, un tiers des bureaux fermés ! Et les clients doivent payer pour que leur courrier soit distribué à domicile.
Si l’article 1er était adopté, ne soyons pas dupes mes chers collègues, il se produira à La Poste ce qui s’est passé dans le domaine de l’énergie, des transports, des télécommunications et de la santé : les groupes privés profiteront des investissements à long terme qui ont été réalisés pour construire et entretenir des réseaux, pour promouvoir des savoir-faire.
Mme la présidente. Veuillez conclure !
Mme Odette Terrade. Ces activités, qui relèvent du secteur public, sont devenues des champs de profits possibles avidement convoités par les groupes privés.
Madame la présidente, mes chers collègues, le groupe CRC-SPG défend l’attachement de nos populations au service public et à la protection de l’intérêt général. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Mireille Schurch.
Mme Mireille Schurch. L’article 1er du projet de loi rendra possible la privatisation de l’exploitant public La Poste : telle est notre conviction.
Le rapport de M. Hérisson explique que la privatisation consiste dans l’intervention de personnes morales de droit privé au sein du capital. Or cette possibilité était offerte par le projet de loi dans la rédaction initiale du Gouvernement : l’article 1er permettait à « des personnes morales appartenant au secteur public » de participer au capital de La Poste. Ainsi, une société anonyme, personne morale de droit privé, aurait pu entrer dans le capital de La Poste. Cela en dit long sur les arrière-pensées du Gouvernement !
Le projet de loi donne également à l’actionnariat salarié la possibilité de détenir 49,99 % du capital de l’entreprise. Selon vous, une telle situation ne constituerait pas une privatisation, mais nous n’avons pas la même lecture.
Cet article prend donc très clairement acte du désengagement de l’État de ses missions de service public : il renforce la politique déjà engagée de fermeture des bureaux de poste de plein exercice et de recours massif aux contractuels – M. le rapporteur l’a d’ailleurs confirmé à l’instant.
Si ce projet de loi est adopté, le statut de La Poste relèvera du droit commun des sociétés. Ainsi, aucun régime spécifique de cession des actions n’est prévu. Par ailleurs, la composition du conseil d’administration va largement déroger à la loi relative à la démocratisation du secteur public. Enfin, l’actionnariat salarié, en plus de ses effets pervers sur les revenus des salariés, notamment en ces temps de crise, revient bien à une privatisation, même si elle n’est que partielle, du capital de La Poste.
C’est pourquoi, lorsque vous nous expliquez la main sur le cœur, monsieur le ministre, que La Poste est « imprivatisable », nous ne pouvons vous croire. Un service public national, cela se caractérise, mais ne se décrète pas ! Or vous dépossédez l’entreprise de ses missions de service public, supprimant, avec ce projet de loi, les caractéristiques qui en font un service public national. Vous tenez donc un double discours.
On peut noter que quelques reliquats de droit public persistent, de manière étrange, dans le projet de loi, mais au détriment des salariés : le président du conseil d’administration est nommé par décret et les salariés contractuels sont soumis aux dispositions de l’article 31 de la loi du 8 juillet 1990 relative à l’organisation du service public de la poste et des télécommunications.
Nous saluons votre prudence, monsieur le rapporteur, puisque vous avez souhaité, malgré les promesses de l’ensemble du Gouvernement, apporter des garanties afin que le caractère public à 100 % du capital de La Poste, hors actionnariat salarié, soit mieux inscrit dans la loi. Nous partageons votre analyse lorsque vous écrivez que la rédaction du deuxième alinéa de l’article 1er « a paru ambiguë et insuffisamment précise ».
D’une part, vous avez considéré que la conjonction « ou » utilisée dans cette phrase semblait laisser la porte ouverte à un désengagement de l’État, le capital de La Poste pouvant dès lors appartenir exclusivement à des personnes morales du secteur public autres que l’État. Hélas, le remède proposé, c’est-à-dire le remplacement du « ou » par un « et », nous semble inefficace. Tout d’abord, rien n’interdit que l’État détienne 0,1 % du capital, ce qui revient, vous en conviendrez, à peu près à la même situation que celle que vous souhaitez éviter. Ensuite, le processus de désengagement de l’État est largement engagé, notamment du fait de la non-compensation des charges de service public.
D’autre part, vous avez eu raison de préciser, monsieur le rapporteur, que seule peut entrer au capital de La Poste une « personne morale de droit public », qualification beaucoup plus restrictive que celle de « personne morale appartenant au secteur public ». Cependant, cette nouvelle rédaction ne règle pas la question de la libre cession des actions.
Enfin, monsieur le ministre, vous nous avez expliqué au cours des auditions que les opposants au changement de statut n’étaient pas en mesure de proposer une autre forme juridique que la société anonyme afin de permettre à La Poste de lever des capitaux sans un nouveau recours à l’endettement. Nous vous renvoyons donc à nos deux propositions majeures : premièrement, le maintien de l’établissement public industriel et commercial, doté des moyens de se moderniser et d’assurer ses missions de service public et, deuxièmement, la création d’un pôle public financier. Je vous indique, monsieur le ministre, que la création de ce pôle financier figure désormais dans nos propositions d’amendement.
Face aux 30 milliards d’euros d’exonérations de cotisations sociales, aux 360 milliards d’euros débloqués pour faire face à la crise financière, aux 26 milliards d’euros du plan de relance, comment imaginer que l’État ne soit pas en mesure de trouver les moyens juridiques et financiers d’assurer un bel avenir à ce grand service public postal ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Claude Biwer.
M. Claude Biwer. Je serai, pour ma part, un peu moins pessimiste que les collègues qui ont parlé avant moi, car je ne fais pas, de cet article, la même lecture qu’eux : je ne crains pas une « privatisation rampante » de La Poste. J’ai conscience des objectifs du Gouvernement et confiance dans le nouveau statut qu’il veut donner à La Poste.
MM. Bruno Sido et Bernard Fournier. Très bien !
M. Claude Biwer. En 1991, lorsque a été créé l’établissement public à caractère industriel et commercial La Poste, en lieu et place de l’ancienne administration des postes, l’État l’a doté de l’équivalent de 3 milliards d’euros de fonds propres. Depuis, La Poste s’est développée avec sa propre capacité de financement et en ayant recours à l’endettement, lequel s’élève à l’heure actuelle à 6 milliards d’euros, ce qui représente 1,7 fois ses fonds propres.
Il est certain que, dans la perspective de l’ouverture totale du marché, La Poste ne peut plus compter que sur elle-même pour assurer son développement. Ainsi, en devenant une société anonyme à capitaux publics, comme le prévoit le projet du Gouvernement, La Poste disposera d’un capital qui lui sera apporté par ses actionnaires, en l’occurrence l’État et la Caisse des dépôts et consignations, soit 2,7 milliards d’euros, à raison de 1,2 milliard d’euros souscrits par l’État et 1,5 milliard d’euros par la Caisse des dépôts. Cet argent permettra à La Poste de réaliser les investissements indispensables à sa modernisation et à son développement, notamment dans le domaine du courrier, dont le bilan se dégrade d’année en année. Il est évident que cette dégradation quantitative aura des répercussions dans le domaine de l’emploi si l’on n’intervient pas.
La campagne qui a été orchestrée pour faire croire à la population et aux élus que le Gouvernement s’apprêtait à « privatiser » La Poste n’était donc pas dépourvue, me semble-t-il, d’une certaine dose de mauvaise foi, car ses auteurs, dont j’ai la faiblesse de penser qu’ils sont intelligents, savaient pertinemment qu’il n’en était rien !
M. Hervé Maurey. Faiblesse que je partage ! (Sourires.)
M. Claude Biwer. En effet, l’objet de ce projet de loi, et notamment de son article 1er, n’est pas la privatisation de La Poste, mais sa transformation en société anonyme à capitaux publics.
Conscients, néanmoins, des inquiétudes suscitées par ce changement de statut, nous sommes un certain nombre de sénateurs du groupe de l’Union centriste à proposer que la part de l’État dans le capital de La Poste ne puisse être inférieure à 51 %, cela dans le but de garantir à long terme l’engagement de l’État.
Toutefois, la solution retenue par notre commission de l’économie, qui a souhaité que le caractère public à 100 % du capital de La Poste, hors actionnariat des personnels, soit mieux précisé dans la loi, me convient parfaitement. Pour ce faire, elle a proposé l’interdiction du désengagement de l’État et précisé que seule une personne morale de droit public pourrait entrer au capital de La Poste.
Je suis persuadé que ces modifications seront de nature à rassurer le personnel de l’entreprise quant à son devenir, mais aussi les élus des collectivités territoriales rurales, qui tiennent beaucoup au caractère public de cette entreprise, ainsi qu’à l’exercice de ses missions de service public et à sa présence territoriale, précisées ultérieurement à l’article 2 du projet de loi.
Telle est, résumée en peu de mots, madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, l’analyse que je fais de l’article 1er.
Mme la présidente. La parole est à M. François Rebsamen.
M. François Rebsamen. Il s’agit bien, avec cet article 1er, que nous vous exhortons, chers collègues de la majorité, à repousser avec nous, du cœur du débat.
Cet article prévoit en effet que la personne morale de droit public La Poste serait transformée, à compter du 1er janvier 2010, en une société anonyme. Pour l’instant, faut-il le rappeler, son capital est entièrement public : tous les amendements que nous présenterons viseront donc à la suppression de dispositions qui entérineraient un nouveau statut de La Poste.
Nous pensons que la préservation du statut d’établissement public est essentielle au respect des quatre principes fondamentaux du service public : la continuité, l’égalité de traitement, l’adaptabilité et l’universalité.
Nous voulons que La Poste demeure la propriété collective de la nation. L’actuel statut d’ÉPIC est parfaitement adapté à ses missions et la Commission européenne n’exige absolument pas son changement en société anonyme, notre collègue et ami Michel Teston le dit déjà depuis plusieurs jours, mais nous nous sentons obligés de le répéter constamment ! Dans l’enseignement, on connaît bien la maxime latine repetitio est mater studiorum. Nous rappellerons donc notre conviction profonde en recourant à la pédagogie de la répétition : rien n’impose de changer le statut actuel de La Poste !
Avec le nouveau statut que vous nous proposez, l’ouverture de son capital et la privatisation partielle ou totale deviendront possibles. D’ailleurs, un conseiller du Président de la République n’a pas dit autre chose hier, sur une chaîne de télévision, en rappelant que ce qu’une loi a fait, une autre loi peut le défaire. Vous pouvez donc affirmer, monsieur le ministre, en employant un curieux néologisme, que La Poste est « imprivatisable », nous vous répondons, quant à nous, que la privatisation sera tout à fait possible demain, ainsi que vient de le confirmer M. Guaino à la télévision, opposant ainsi étrangement un démenti à vos propos !
Le nouveau statut de La Poste inquiète. Comme de nombreux collègues, j’ai reçu des délibérations de conseils municipaux. La ville de Montbard, par exemple, a pris une délibération s’inquiétant de la privatisation potentielle de La Poste et demandant l’organisation d’un débat public ainsi que d’un référendum. Dans le même ordre d’idée – et cela peut vous intéresser, monsieur le ministre, puisque des entreprises sont concernées –, le conseil municipal de Lacanche, où sont fabriquées des cuisinières de grande renommée, refuse la transformation de son bureau de poste en agence postale communale, transformation envisagée alors que ce bureau réalise un chiffre d’affaires de plus de 100 000 euros grâce aux envois de plis et de colis des entreprises.
Il est donc clair qu’un démantèlement est en cours. Les élus savent que le service public postal, malgré de nombreuses réformes, n’est plus en mesure d’assurer la qualité du service rendu à la collectivité. Ce fait trouve d’ailleurs sa traduction dans les notations internationales : La Poste n’obtient plus qu’une notation « AA ». Cette détérioration résulte de l’incapacité aujourd’hui affichée de l’État de soutenir l’entreprise publique La Poste.
Les citoyens sont échaudés et, désormais, les bonnes paroles ne suffisent plus !
La transformation de La Poste en société anonyme constitue un transfert des droits de propriété d’un EPIC, propriété collective de la nation, propriété de tous les Français, à une société dont le capital social, vous le savez très bien, sera fractionné en actions détenues par différents propriétaires et introduit ultérieurement en bourse, ce qui contribuera à faire baisser la rating de La Poste. On pourra ainsi combler les trous creusés par la dette et réaliser une sorte de privatisation rampante !
Il est indispensable – et ce serait tellement plus judicieux ! – que l’État apporte à cette entreprise nationale les aides nécessaires pour garantir la distribution de la presse ainsi que la présence postale, afin qu’elle ne connaisse plus de problèmes de fonds propres. Nous voulons donc maintenir le statut d’EPIC de La Poste, car elle est la propriété collective de la nation française ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Mme la présidente. La parole est à M. Michel Teston.
M. Michel Teston. Chacun en convient, l’article 1er, qui vise à transformer l’établissement public La Poste en une société anonyme, est l’article central du présent projet de loi. Il comprend deux volets : le changement du statut de La Poste à partir du 1er janvier 2010 ; la détention du capital de la nouvelle société anonyme par l’État et d’autres personnes morales de droit public.
En premier lieu, et nous le répéterons avec force tout au long du débat, nous rejetons la transformation de La Poste en une société anonyme, car cette transformation ne s’impose nullement : d’une part, la directive européenne n’exige pas une transformation du statut actuel de La Poste ; d’autre part, l’argument selon lequel le développement La Poste exige cette transformation n’est pas fondé.
En effet, son statut d’établissement public à caractère industriel et commercial n’a en rien compromis son développement international : j’en veux pour preuve le fait que La Poste a noué de nombreux partenariats avec des opérateurs postaux étrangers. En outre, elle a prouvé sa capacité à se développer, notamment avec la création de 102 filiales et la forte progression de sa croissance externe par l’achat d’entreprises dans le monde.
J’ajoute que, en dépit de la situation économique actuelle, l’entreprise publique n’avait jamais réalisé autant de bénéfices que ces dernières années parce qu’elle a su étendre ses activités en ne se limitant pas au pôle courrier. Les résultats du groupe au premier semestre 2009, dans un contexte pourtant peu favorable, ont confirmé le bien-fondé de sa stratégie multi-métiers : la progression des résultats de la Banque Postale, le maintien de la rentabilité du colis et de l’express et les plans d’économie mis en œuvre dès le début de l’année pour faire face à la crise compensent partiellement la baisse de rentabilité du courrier.
Au cours des dernières années, le groupe a consacré 3,5 milliards d’euros à moderniser son réseau, et sans accroître son endettement, qui se situe toutefois à un niveau élevé.
La Poste est donc, quoi qu’on en dise, une entreprise solide, qui a su montrer ses compétences tout en étant confrontée à la concurrence à laquelle les envois de plus de 50 grammes sont déjà soumis.
Enfin, la dette de La Poste est actuellement très bien notée, ce qui lui permet de s’acquitter d’intérêts modestes.
Néanmoins, nous ne le contestons pas, face aux enjeux auxquels elle est aujourd’hui confrontée, La Poste doit renforcer ses fonds propres et se désendetter. Pour cela, il convient que l’État assume enfin ses obligations pour la présence postale et qu’il les assume davantage pour le transport et la distribution de la presse.
En second lieu, l’article 1er indique que « le capital de la société est détenu par l’État et par d’autres personnes morales de droit public ». Je l’ai déjà dit et je n’y reviens pas, cette formulation ne garantit pas que les actionnaires autres que l’État seront des personnes morales, par exemple des entreprises publiques, dont le capital sera à 100 % public.
Le capital de La Poste doit rester entièrement public si l’on veut lui permettre d’assurer ses missions de service public. Cela suppose que La Poste reste un établissement public à caractère industriel et commercial, ce statut opérant un juste compromis entre l’assurance du maintien du service public et le développement d’une entreprise performante au sein d’un marché désormais entièrement concurrentiel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)