Mme Marie-France Beaufils. Le Conseil constitutionnel a eu l’occasion de revenir sur ces notions à l’occasion de la loi relative au secteur de l’énergie, qui privatisait GDF, en dépit des belles promesses du ministre de l’économie, des finances et de l’industrie d’alors, devenu depuis Président de la République !
Mais c’est une jurisprudence plus ancienne du Conseil constitutionnel qui explicite les notions de monopole de fait et de service public national. La Poste revêt ces deux caractères et, à ce titre, le neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 doit être respecté.
Dans sa décision du 26 juin 1986, le Conseil constitutionnel a jugé que la notion de monopole de fait « doit s’entendre compte tenu de l’ensemble du marché à l’intérieur duquel s’exercent les activités des entreprises ainsi que de la concurrence qu’elles affrontent dans ce marché de la part de l’ensemble des autres entreprises ».
Historiquement, que ce soit au travers de l’administration des PTT ou de la création de l’établissement public en 1991, La Poste a toujours eu le monopole de l’activité postale. Elle détient donc une position prépondérante, pour ne pas dire exclusive, dans le secteur de l’activité postale, qu’il s’agisse de la collecte, du tri, du transport ou de la distribution des envois postaux, secteur représentant la majorité de son activité globale.
La Poste exploite un service public national du fait du législateur, et une partie de son activité peut être rattachée au service public constitutionnel de la justice.
Sur ce point, on sait que la jurisprudence constitutionnelle est très restrictive en ce qui concerne la qualification de services publics constitutionnels. Ces derniers étant, pour l’essentiel, des services publics régaliens, ils ne peuvent faire l’objet d’une privatisation.
Certaines activités postales doivent être considérées comme se rattachant à des services publics nationaux constitutionnels. Je pense au service public de la justice : la lettre recommandée est une formalité légale obligatoire créatrice d’effets juridiques en termes de délai et de preuve. Elle constitue également une formalité obligatoire dans la citation en justice : baux ruraux, tribunaux d’instance, prud’hommes.
Or l’article 19 du projet de loi, qui tend à supprimer l’article L. 3-4 du code des postes et des communications électroniques, confirme la volonté du Gouvernement de privatiser cette activité de La Poste et de la faire échapper à tout contrôle, même réglementaire.
Monsieur le rapporteur, vous ne serez pas insensible à cette question, puisque vous aviez vous-même défendu, lors de l’examen de la loi de 2005, un amendement visant à réserver cette activité à La Poste.
L’article 1er du projet de loi, qui ouvre la voie à la privatisation de La Poste, combiné à l’article 19 du même texte, constitue donc une violation du neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
Il existe des services publics nationaux autres que constitutionnels, qui tombent aussi sous la protection du préambule de la Constitution de 1946.
Il ressort de la jurisprudence de 1986, notamment de son considérant 53, que « si la nécessité de certains services publics nationaux découlent de principes ou de règles à valeur constitutionnelle, la détermination des autres activités qui doivent être érigées en service public national est laissée à l’appréciation du législateur ou de l’autorité réglementaire selon les cas ».
Mme Marie-France Beaufils. La Poste fait partie de la catégorie des services publics nationaux par détermination de la loi. En effet, en 2004, le Conseil constitutionnel a considéré ceci : « en maintenant aux sociétés nouvellement créées les missions de service public antérieurement dévolues aux personnes morales de droit public Électricité de France et Gaz de France [...] le législateur a confirmé leur qualité de services publics nationaux ».
En ce qui concerne La Poste, l’organisation du service public postal a été fixée historiquement à l’échelon national et confiée par le législateur à une seule entreprise. Aujourd’hui encore, la Poste reste – ce qui est confirmé par l’article 14 du projet de loi – le seul prestataire du service universel postal. Le service public postal est toujours confié à titre exclusif à une seule entreprise : La Poste.
En ouvrant le secteur postal dans sa totalité à la concurrence, le projet de loi tend à dévoyer largement la notion de service public national.
En l’état actuel, on peut considérer que l’entreprise exploite un service public national. Or, par ce projet de loi, vous retirez à l’entreprise son caractère de service public national, et ce n’est pas en présentant des amendements d’opportunité que vous maintiendrez ce caractère. La réalité est que le projet de loi vide le service public national de sa substance.
Il s’agit maintenant de déterminer si, en dépit du changement de statut de l’exploitant public, La Poste reste la propriété de la collectivité. La réponse est non, car même avec une privatisation partielle, La Poste cesse d’appartenir à la collectivité.
La modification apportée au texte, en commission, visant à passer de l’expression « personnes morales appartenant au secteur public » à celle de « personnes morales de droit public » ne garantit pas que le capital reste majoritairement entre les mains de l’État. Aussi, parmi les parts détenues par le public, l’État ne sera pas majoritaire au regard de l’ensemble.
Une pluralité d’indices montre que La Poste va cesser d’appartenir à la collectivité : le défaut de majorité garantie à l’État, la privatisation du statut, les incertitudes quant au régime applicable aux personnels sont autant d’éléments qui vont dans le sens d’une gestion privée de La Poste.
Rien ne garantit dans le texte une nouvelle intervention du législateur en cas de privatisation de La Poste. Or cette privatisation est parfaitement envisageable si l’État ou les personnes morales visées cèdent leur part du capital, conformément aux règles applicables aux sociétés anonymes.
Avec le changement de statut de La Poste en société anonyme, avec la logique de rentabilité qui sous-tend de telles structures conçues pour faire des bénéfices et la possibilité de diviser le capital et la gestion privée de l’ensemble, le poids des intérêts privés sera déterminant dans la gestion de l’entreprise, comme en témoigne d’ailleurs la composition du conseil d’administration.
Or si les intérêts privés deviennent déterminants dans le fonctionnement de La Poste, non seulement La Poste ne répondra pas aux besoins des usagers, mais on peut en conclure sans détour que ce service public ne sera plus la propriété de la collectivité. Il en découle que l’article 1er du projet de loi est contraire au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
Ce projet de loi contrarie les principes constitutionnels d’égalité devant les services publics, d’égalité des salariés, de liberté syndicale.
Dans sa décision du 16 juillet 2009 relative à la loi portant réforme de l’hôpital et relative aux patients, à la santé et aux territoires, le Conseil constitutionnel a examiné la compatibilité de cette loi avec le principe à valeur constitutionnelle d’égalité devant les services publics, issu de l’article VI de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789. La décision précise : « Les établissements de santé privés exerçant des missions de service public seront tenus, pour l’accomplissement de ces missions, de garantir l’égal accès de tous à des soins de qualité ». Or le projet de loi que nous examinons ne garantit pas l’égal accès à un service postal de qualité.
L’article 2 du texte décline les missions de service public à la charge de La Poste et précise que la nouvelle société anonyme contribue, par son réseau de points de contact, à l’aménagement et au développement du territoire. Or, même avec la mention des 17 000 points de contact, à l’article 2 bis, le réseau se situe déjà en dessous des exigences d’un service public de qualité et il est mis en danger par le changement de statut de La Poste et l’absence de consolidation du fonds postal national de péréquation territoriale.
Le statut de société anonyme et la fin du contrôle de l’État risquent d’aggraver une situation d’inégalité qui existe déjà sur le territoire, notamment en termes d’accessibilité. On le sait, le contenu même de l’activité postale varie énormément selon la structure proposée, ne serait-ce qu’en raison du statut des agents ou du commerçant, donc des opérations qu’ils sont en droit de réaliser.
Ainsi, en ce qui concerne les lettres recommandées, si le dépôt se fait dans un relais poste, la preuve du dépôt est envoyée sous enveloppe à l’expéditeur par l’établissement de rattachement dont dépend le relais poste. Dans ce cas, la seule date de dépôt faisant foi est celle qui est saisie par l’établissement de rattachement. L’usager n’est donc pas traité de la même manière selon que les missions de service public sont confiées à un relais poste ou à un bureau de poste.
Dans les relais poste, pour un retrait sur un compte courant postal ou un livret A dématérialisé, le titulaire du compte, domicilié dans la ou les communes de la zone, ne peut disposer que de 150 euros par période de sept jours consécutifs.
Le principe constitutionnel d’égalité devant les services publics ne doit pas être conçu comme une idée abstraite que seuls le juge constitutionnel ou le législateur seraient à même de comprendre : il s’agit des droits de nos concitoyens. On parle ici de situations concrètes et de problèmes injustifiables auxquels sont confrontés plus durement les habitants des zones rurales et des zones urbaines sensibles.
Les usagers ne sont pas les seuls à être touchés dans leurs droits par le projet de loi. Les personnels sont également mis à mal.
L’article 8 du projet de loi tend à supprimer certaines dispositions de l’article 31 de la loi de 1990 revisitée par le législateur en 2005. En effet, l’article 8 prévoit que La Poste peut, comme toute société commerciale, employer des agents contractuels. Il fait référence à l’article 31 de la loi de 1990 auquel il soumet les nouveaux agents de la société anonyme. Cependant, l’article 31 précise que ni les dispositions du code du travail relatives aux comités d’entreprise ni celles qui concernent les délégués du personnel et les délégués syndicaux ne sont applicables aux agents contractuels. Et cet article renvoie à un décret en Conseil d’État pour définir les conditions dans lesquelles les agents de La Poste sont représentés dans des instances de concertation chargées d’assurer l’expression collective de leurs intérêts, notamment en matière d’organisation des services, de conditions de travail et de formation professionnelle. Or, à ce jour, ce décret n’a toujours pas été publié.
En d’autres termes, les agents contractuels de La Poste société anonyme, contrairement à n’importe quel salarié de droit privé, ne sont protégés, dans ces domaines, ni par le code du travail ni par d’autres textes, en raison de la carence du pouvoir réglementaire. En soumettant les salariés de La Poste à un régime moins favorable que tout autre salarié d’une société anonyme, le législateur se rend coupable d’une violation du principe d’égalité des salariés.
De plus, cette absence de réglementation concerne les conditions dans lesquelles la représentation individuelle des agents de droit privé est assurée, les règles de protection, au moins équivalentes à celles qui sont prévues par le code du travail pour les délégués du personnel.
L’article 8 constitue également, à ce titre, une violation de la liberté syndicale, principe à valeur constitutionnelle qui découle du sixième alinéa du préambule de la Constitution de 1946 : « Tout homme peut défendre ses droits et ses intérêts par l’action syndicale et adhérer au syndicat de son choix ».
Enfin, le Gouvernement se rend coupable d’un détournement de la procédure constitutionnelle aux seules fins de servir ses choix et au mépris de l’intérêt général.
L’article 3 de la Constitution dispose : « La souveraineté nationale appartient au peuple qui l’exerce par ses représentants et par la voie du référendum ».
Mais la Constitution prévoit également, dans son article 11, que le peuple a un droit d’initiative s’agissant des consultations populaires.
Depuis le vote de cette faculté constitutionnelle, deux événements majeurs sont intervenus. Tout d’abord, le Gouvernement a retardé le dépôt du projet de loi organique permettant d’exiger la consultation référendaire. Mais, dans nos communes – vous l’avez vu, mes chers collègues –, plus de deux millions de personnes se sont déplacées pour rejeter le projet de loi qui nous est soumis aujourd’hui.
Ce rappel des faits est d’une importance majeure pour comprendre l’empressement du Gouvernement à faire passer sa réforme en engageant la procédure accélérée. Cette dernière, qui prive le Parlement d’une seconde lecture et raccourcit les délais concernant les travaux préparatoires, ne se justifie aucunement au regard des exigences communautaires.
Le droit communautaire n’impose pas le changement de statut comme préalable à l’ouverture totale du secteur postal à la concurrence. Je vous rappelle que l’échéance est fixée au 1er janvier 2011.
M. le président. Veuillez conclure, ma chère collègue !
Mme Marie-France Beaufils. J’abrège la fin de mon intervention, monsieur le président !
On fait débattre en urgence un projet de loi dans le seul but de tenir en échec une révision constitutionnelle déjà votée, mais non encore totalement exécutoire du fait du retard même du Gouvernement. En bref, la procédure accélérée a pour seul objet d’éviter la procédure constitutionnelle autorisant la consultation populaire.
Moins d’un an après l’adoption de la réforme constitutionnelle, le Président de la République a pu s’exprimer devant les parlementaires à Versailles, mais le peuple, lui, est muselé ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission de l'économie, du développement durable et de l'aménagement du territoire. Sur cette motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité, j’ai déjà eu l’occasion de donner les principaux éléments de réponse lors de la discussion générale ; je n’y reviens donc pas.
Le présent projet de loi n’est contraire à aucune disposition constitutionnelle ou législative. Au contraire, il donne à La Poste les moyens de continuer à exercer ses missions de service public en pleine conformité avec le préambule de la Constitution de 1946.
Quant au titre II du projet de loi, je vous rappelle que la transposition en droit interne d’une directive communautaire est une exigence constitutionnelle. Ce projet de loi est non seulement recevable, mais absolument nécessaire.
J’émets donc un avis défavorable.
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Christian Estrosi, ministre. Je me limiterai à évoquer le respect du principe d’égalité devant les services publics. Permettez-moi de vous dire que, s’il est une entreprise qui respecte ce principe, c’est bien La Poste.
Les Français, où qu’ils vivent sur le territoire, ont un égal accès à un point de contact de La Poste, lequel est situé, au maximum, à cinq kilomètres et à vingt minutes de trajet en voiture de leur domicile.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ce n’est pas ça, l’égalité !
M. Christian Estrosi, ministre. Vous parlez d’un principe d’égalité rompu ! Permettez-moi donc de répondre sur ce point plus précisément. (Mme Annie David proteste.)
Les Français, quel que soit l’endroit où ils vivent, quel que soit le jour de l’année, ont droit à un service de levée du courrier six jours sur sept, même si vous voulez le supprimer par un amendement ; les Français, quel que soit leur revenu, peuvent ouvrir gratuitement un livret A et y domicilier leurs revenus et leurs paiements ; les Français, enfin, ont droit à des journaux acheminés chez eux à des conditions préférentielles par La Poste, afin que tous aient un égal accès à l’information.
La Poste est donc une entreprise exemplaire en matière d’égalité devant les services publics. Tout cela est réaffirmé dans ce texte. Votre motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité est à contre-courant de la réalité des principes d’égalité, que nous inscrivons dans ce texte.
C’est pourquoi le Gouvernement appelle au rejet de votre motion.
M. le président. La parole est à Mme Odette Terrade, pour explication de vote.
Mme Odette Terrade. Les services publics ne doivent pas être considérés comme de simples activités marchandes. C’est pourquoi, en 1946, le constituant a souhaité protéger les citoyens contre la domination des puissances économiques et financières.
L’État a donc le droit, mais surtout le devoir, d’intervenir dans certaines activités, car il est le seul à pouvoir préserver l’intérêt général.
En réservant la propriété des services publics nationaux à la collectivité, le constituant a entendu protéger celle-ci des appétits privés. Par notre motion, nous dénonçons solennellement devant vous l’atteinte grave qui est portée au préambule de la Constitution de 1946 et, à travers lui, à l’intérêt général. Or cette atteinte est inadmissible, car nous touchons là au noyau irréductible de ce qui doit demeurer sous le contrôle de la collectivité, de ce qui doit appartenir à l’ensemble de la communauté.
L’exploitant public La Poste constitue un monopole de fait et exploite un service public national du fait de la volonté du législateur. Certaines de ces activités dépendent de services publics constitutionnels, comme celui de la justice, mais également de la défense. C’est pourquoi le projet de loi du Gouvernement, en dépossédant la collectivité au profit de la satisfaction des intérêts privés, est inconstitutionnel.
Cette nouvelle atteinte du Gouvernement au socle des services publics est d’autant plus grave que ce même Gouvernement fait reposer sur l’opérateur historique de lourdes responsabilités en matière de défense nationale et de sécurité publique.
Ainsi, l’article R1-1-25 issu du décret du 5 janvier 2007 relatif au service universel postal et aux droits et obligations de La Poste et modifiant le code des postes et des télécommunications électroniques dispose : « La Poste prend, conformément aux directives du ministre chargé des postes, toute mesure utile pour assurer l’exécution des missions de défense nationale et de sécurité publique qui lui sont prescrites.
« À ce titre, elle accomplit toute opération considérée comme indispensable à la continuité de l’action gouvernementale. »
On voit mal comment demander à La Poste, société anonyme, d’assurer de telles missions. C’est pourquoi il est nécessaire que l’entreprise reste un exploitant public sous le contrôle exclusif de l’État.
La volonté du Gouvernement de livrer in fine, coûte que coûte, l’exploitant public au privé, alors même qu’il s’agit d’un service public national, entraîne des incohérences dans le texte.
À calquer un peu vite le modèle de la société anonyme sur l’établissement public, le Gouvernement a oublié quelques règles élémentaires.
Ainsi, l’article 7 du projet de loi prévoit que les fonctionnaires de La Poste sont sous l’autorité du président de La Poste et gérés par lui. Le Gouvernement a rappelé l’avis du Conseil d’État du 18 novembre 1993, pour nous rassurer sur une éventuelle violation de l’article 13 de la Constitution et de l’ordonnance du 28 novembre 1958. Ce texte précise les conditions dans lesquelles le pouvoir de nomination du Président de la République peut être délégué par lui.
Cependant, l’article 7 du projet de loi, en prévoyant que le président de La Poste peut autoriser la subdélégation de ses pouvoirs de nomination et de gestion, dépasse largement les questions posées au Conseil d’État en 1993 et entre en contradiction avec l’article 13 de la Constitution. En effet, cela revient, à l’avenir, à permettre la nomination des fonctionnaires par des salariés de droit privé, par exemple.
Vous le voyez, les griefs d’inconstitutionnalité du projet de loi relatif à l’entreprise publique de La Poste et aux activités postales sont nombreux.
Par ailleurs, monsieur le ministre, vous vous dites prêt à soutenir un amendement visant à reconnaître le caractère de service public national de la Poste. Très bien, mais dans ce cas, tirez-en les conséquences et retirez votre projet de loi !
Vous dites : « Service public national/société anonyme » ; pour notre part, nous disons : « Service public national/établissement public national ». Nos différences sont irréductibles, malgré vos manipulations pour laisser penser le contraire !
De plus, le Conseil constitutionnel a précisé que le transfert au secteur privé d’une entreprise exploitant un service public national suppose que le législateur prive ladite entreprise des caractéristiques qui en faisaient un service public national.
Mes chers collègues, en votant le changement de statut de La Poste et le titre II du projet de loi, qui met en œuvre l’ouverture totale à la concurrence, que fait le législateur si ce n’est priver La Poste de ses caractéristiques de service public national ?
Le Gouvernement veut inscrire dans la loi que La Poste exploite un service public national et, par cette même loi, il prive l’entreprise de tous les éléments qui en font un service public national !
Il s’agit pour nous de protéger l’intérêt général, de préserver des activités régaliennes de l’État et un outil essentiel de la solidarité nationale ! C’est pourquoi, les sénateurs du groupe CRC-SPG soutiennent avec force cette motion et voteront bien évidemment pour. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Michel Teston, pour explication de vote.
M. Michel Teston. Monsieur le président, je souhaite poser une question concernant notre règlement. À ma connaissance, celui-ci prévoit, pour les motions de procédure, l’intervention de l’auteur de l’initiative et d’un orateur d’opinion contraire. Or, jusqu’à présent, seul le rapporteur s’est exprimé et il n’a pas développé très longuement les raisons pour lesquelles il était opposé à l’adoption de cette motion. Notre règlement en la matière n’a donc pas été respecté, me semble-t-il.
Par ailleurs, nous sommes bien évidemment favorables à cette motion.
Je ne reviendrai pas sur la manière dont le Gouvernement explique que le changement de statut sera sans incidences et que La Poste restera un service public national. La transposition de la directive européenne qui ouvre totalement le marché des services postaux va à l’encontre de la définition du service public national. L’arrivée de nouveaux opérateurs brisera le monopole évoqué au neuvième alinéa du préambule de la Constitution de 1946.
Par la suite, le Gouvernement pourra donc, sans enfreindre ce préambule, présenter un jour ou l’autre un nouveau projet de loi permettant d’ouvrir le capital de La Poste à des capitaux privés. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant de la commission.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 10 :
Nombre de votants | 340 |
Nombre de suffrages exprimés | 339 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 170 |
Pour l’adoption | 152 |
Contre | 187 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Bourquin, Teston, Botrel, Chastan, Courteau, Daunis et Guillaume, Mmes Herviaux et Khiari, MM. Mirassou et Navarro, Mme Nicoux, MM. Patient, Patriat, Raoul, Raoult, Repentin, Collombat, Bérit-Débat, Berthou et Daudigny, Mme Bourzai, M. Rebsamen et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 540 tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du Règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif à l'entreprise publique La Poste et aux activités postales (procédure accélérée) (n° 51, 2009-2010).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Martial Bourquin, auteur de la motion.
M. Martial Bourquin. J’aimerais tout d’abord lever une ambigüité : nous sommes là non pas pour « pourrir la semaine du Sénat », mais pour travailler !
Tout à l’heure, j’ai évoqué avec le président du Sénat la séance d’hier : il m’a dit que les interventions étaient toutes d’un bon niveau. L’existence de désaccords n’autorise pas à caricaturer les opposants, …
Mme Annie David. Effectivement !
M. Martial Bourquin. … à les traiter d’« archéos » sous prétexte qu’ils ne proposent rien, parce que nous devons voter le projet de loi proposé !
Jeter ainsi l’opprobre sur l’opposition est d’une incroyable facilité.
Mme Évelyne Didier. Très bien !
M. Martial Bourquin. Nous sommes là pour travailler et faire des propositions. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Mme Annie David. Absolument !
M. Martial Bourquin. Monsieur le ministre, malgré les divergences, on ne brocarde pas l’opposition, on l’écoute !
M. Marc Daunis. Il fallait le rappeler !
Mme Christiane Hummel. M. le ministre n’a brocardé personne !
M. Martial Bourquin. Je tiens d’ailleurs à saluer la qualité des interventions de tous les opposants à ce texte, notamment Michel Teston, entendus hier lors de la discussion générale. Ils ne sont pas d’accord avec vous, mais respectez-les ; c’est très important.
Au demeurant, ce n’est pas parce que vous ne cessez d’affirmer, la main sur le cœur et d’une voix vibrante, que jamais La Poste ne sera privatisée que cette promesse sera tenue ! En la matière, et on s’en souvient tous, GDF constitue un précédent. Mais il y a pire ! Dans les territoires ruraux, les DDE, qui étaient des facilitateurs de projets, ont disparu.
M. Alain Fouché. Elles ne fonctionnaient plus !
M. Martial Bourquin. Il en est de même des DDA.
M. Alain Fouché. Elles ne fonctionnaient plus non plus !
M. Martial Bourquin. Dans beaucoup d’endroits, les tribunaux ont été supprimés.
M. Alain Fouché. Cela ne gêne personne !
M. Martial Bourquin. Faut-il que je rappelle aussi les nombreuses fermetures de classe et de casernes de gendarmerie ?
M. Alain Fouché. C’est faux !
M. Martial Bourquin. Le Gouvernement actuel ne peut pas se poser en défenseur des services publics.
Nombreux sont ceux ici, quelles que soient les travées sur lesquelles ils siègent, à vivre cette réalité en tant qu’élus locaux et à se dire qu’il est peut-être temps de mettre un terme à un tel « déménagement du territoire ». Pour cela, l’État doit être le garant de l’équité territoriale et mener une politique d’aménagement du territoire qui prenne le pas sur la révision générale des politiques publiques.
Très souvent, des élus ruraux comme des élus urbains, notamment les maires, sont amenés à prendre le relais de l’État pour pallier la disparition des services publics nationaux, et ce dans nombre de domaines. Cette situation ne peut plus durer !
D’un côté, il est reproché aux collectivités territoriales de coûter cher et d’augmenter les impôts locaux ; de l’autre, celles-ci se voient sans cesse attribuer des compétences supplémentaires. Certains présidents de conseil général, de droite comme de gauche, m’ont ainsi confié il y a peu de temps leur incapacité, dans les conditions actuelles, à boucler leur budget avant le mois de mars. Leur explication est toujours la même : les départements doivent supporter des charges de plus en plus lourdes, le Gouvernement prenant des décisions qu’il n’assume pas.
C’est dans ce contexte que nous abordons la question du statut de La Poste.
Monsieur le ministre, la façon dont vous avez abordé le débat constitue un manque de respect à l’égard de l’opposition. (M. Bernard Piras applaudit.) Parmi nous, il y a des maires, des présidents de conseil régional ou général, des élus du suffrage universel, et, à ce titre, nous devons être respectés ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)