M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Voilà, monsieur Marini !
M. François Zocchetto. En l’absence de raison d’intérêt général, c’est à juste titre que la commission a réaffirmé la liberté dans le choix de la forme juridique par les opérateurs. Si le texte est voté, ces derniers pourront se tourner aussi bien vers une société civile que vers une société commerciale, à l’image de toutes les autres professions réglementées.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Tout à fait !
M. François Zocchetto. Pour conclure, je tiens à saluer une nouvelle fois l’initiative de Philippe Marini et de Yann Gaillard, ainsi que le travail accompli par notre rapporteur, qui a permis d’aboutir à un texte équilibré afin de rendre le marché français plus compétitif, tout en renforçant les garanties apportées au public. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet. (M. Claude Domeizel applaudit.)
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la proposition de loi qui nous est soumise concerne les ventes volontaires de meubles aux enchères publiques.
Selon une nomenclature non officielle, certains pourraient la qualifier de petit texte, dans la mesure où elle aborde une question très spécifique.
C’est néanmoins un texte important eu égard au volume des affaires traitées. Il permet, par ailleurs, de plonger dans un monde complexe, que j’ai découvert et que peu de gens soupçonnent.
Sa complexité tient d’abord aux opérateurs concernés : 8 500 notaires, 3 500 huissiers de justice et 450 commissaires-priseurs. Elle est liée également aux multiples modes opératoires existants, officiels ou tolérés, notamment les ventes judiciaires, les ventes volontaires, les ventes sur désignation, les ventes de gré à gré, les ventes électroniques, par courtage.
C’est aussi un texte nécessaire, parce que la France devait se mettre en conformité avec la directive « services » de l’Union européenne, même si la loi « Guigou » du 10 juillet 2000, reprenant un projet de loi de Jacques Toubon, répondait aux exigences de l’article 59 du traité de Rome posant le principe de la libre circulation des services et évitait ainsi une action en manquement contre notre pays.
On peut s’étonner que ce soit par le biais d’une proposition de loi, déposée par nos collègues MM. Marini et Gaillard, et non d’un projet de loi, que la France mette son droit national en conformité avec les exigences de la directive « services », dite « Bolkestein ».
On peut regretter, de ce fait, que ce texte ne suive pas le processus classique de passage au Conseil d’État.
M. Philippe Marini. L’initiative parlementaire existe, il faut s’en féliciter !
M. Jean-Claude Peyronnet. Certes, mais cela n’empêche pas un examen par le Conseil d’État, avec l’accord des rédacteurs de la proposition de loi !
M. Philippe Marini. Le Conseil d’État n’est pas une assemblée parlementaire !
M. le président. Mes chers collègues, n’interrompez pas l’orateur !
M. Jean-Claude Peyronnet. On peut s’étonner aussi, et surtout, de la lenteur du cheminement de ce texte, puisqu’il a été déposé sur le bureau du Sénat le 12 janvier 2008 et examiné en commission seulement le 3 juillet dernier !
M. Philippe Marini. On a mis le temps !
M. Jean-Claude Peyronnet. Si l’Assemblée nationale est aussi diligente que nous, le texte n’est pas près d’être publié ! Je pense que vous serez d’accord avec moi, monsieur Marini ! (Sourires.)
On peut s’étonner également que cette proposition de loi n’ait pas fait l’objet de plusieurs avis. Compte tenu des implications économiques et des enjeux culturels de ce secteur, la commission des finances et la commission de la culture, de l’éducation et de la communication auraient mérité de s’exprimer sur ce sujet.
M. Philippe Marini. Vous avez entendu le rapporteur pour avis de la commission de la culture !
M. Jean-Claude Peyronnet. Quoi qu’il en soit, et c’est le plus important, le texte issu des travaux de la commission n’a plus rien à voir avec celui de MM. Marini et Gaillard.
À cet égard, je veux saluer le travail remarquable de notre rapporteur, Mme Des Esgaulx. Après avoir procédé à de nombreuses auditions, notamment celles du Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, de la Chambre nationale des commissaires-priseurs judiciaires, de la Compagnie des commissaires-priseurs judiciaires de Paris et du Syndicat national des maisons de ventes volontaires, elle a grandement revisité ce texte et l’a doté de garde-fous indispensables.
Cependant, en dépit des efforts fournis par notre rapporteur, je constate que ce texte pâtit d’une certaine « confidentialité ». Finalement, il est étudié dans une obscure clarté, si j’ose dire !
M. Philippe Marini. Il est sûr que cela ne fait pas le journal de vingt heures ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur Marini, permettez-moi de poursuivre ! Vous pourrez difficilement contester mes propos !
Tout s’est joué dans une arrière-cour de notre assemblée, où l’on a vu s’affronter les intérêts divergents des nombreux acteurs exerçant dans le secteur des ventes aux enchères. Tout à l'heure, j’ai encore trouvé dans mon bureau deux fax contradictoires, émanant de deux professions différentes, qui visaient à écorcher le texte ! Mais je suis sûr, madame le rapporteur, que vous connaissez cela mieux que moi !
M. Philippe Marini. Il ne faut pas légiférer en fonction des intérêts professionnels !
M. Jean-Claude Peyronnet. Monsieur le président, pouvez-vous faire en sorte que M. Marini cesse de m’interrompre ? C’est difficile, je le sais !
M. le président. Monsieur Marini, je vous en prie, laissez parler l’orateur !
M. Philippe Marini. J’essaie simplement d’animer la discussion, monsieur le président ! (Sourires.)
M. Jean-Claude Peyronnet. On connaît en effet le plaisir que vous prenez à parler !
Pour en revenir au sujet, monsieur le secrétaire d’État auprès de la ministre d’État de la justice et des libertés, le rôle de la Chancellerie, alors que la précédente garde des sceaux était en fonction, ne semble pas avoir facilité la lecture de ce dossier. Mais peut-être ai-je vu les choses d’un peu loin !
Le groupe socialiste a déposé plusieurs amendements qui vont dans le sens d’une clarification des activités des différents acteurs concernés et d’une protection accrue des consommateurs, notamment grâce à l’allongement des délais de prescription et au renforcement des sanctions. Ils visent à soutenir votre effort, madame le rapporteur, en ce qui concerne les conditions de transparence et de loyauté dans la pratique des enchères.
Sans vouloir empiéter davantage sur le débat à venir, je vous indique, mes chers collègues, que nous n’avons pas été convaincus par les amendements du Gouvernement, qui tendent à supprimer certaines garanties, ni par ceux de nos collègues qui proposent de revenir au texte initial de la proposition de loi.
Malgré les avancées notables que nous devons à Mme le rapporteur, nous doutons que cette proposition de loi rende à Paris son statut de place incontournable en matière de ventes aux enchères publiques. Nous nous demandons si elle offre la bonne réponse à la dispersion actuelle des sociétés de ventes volontaires françaises, qui réalisent, pour la plupart, un chiffre d’affaires réduit, ce qui ne leur donne pas la taille critique suffisante pour affronter une concurrence internationale.
La libéralisation débridée des activités de ventes volontaires proposée par le texte initial repose, au fond, sur les lois économiques classiques et libérales de déréglementation d’un secteur, pour aboutir à une concentration naturelle après élimination des petites structures, le tout sous le contrôle d’un gendarme, le Conseil des ventes volontaires de meubles aux enchères publiques, devenu autorité administrative indépendante.
Or force est de constater que l’activité se concentre déjà entre les mains d’un petit nombre d’acteurs réalisant les ventes les plus importantes. À cet égard, je reviendrai au cours de la discussion des articles sur l’autorisation de vendre de gré à gré accordée par ce texte aux maisons de vente, disposition qui risque de signer l’arrêt de mort de certains marchands, notamment des plus petits.
Notre préoccupation, en examinant cette proposition de loi, a été d’abord de préserver un service public des ventes aux enchères.
La modernisation qui a été engagée par la loi de 2000 doit se poursuivre. La transposition de la directive en était l’occasion. Mais il ne s’agit que d’une transposition, qui se révèle insuffisante, parce qu’elle n’apporte que des réponses éparses à un problème structurel propre au marché français.
C’est peut-être dû à une erreur d’appréciation. En effet, cette réforme nécessitait un projet de loi comprenant une étude d’impact complète. Le sujet aurait mérité d’être abordé non seulement sur le plan juridique, en posant la question du droit de suite – ce dernier, il faut le souligner au passage, s’applique de façon dérogatoire au Royaume-Uni jusqu’en 2010 –, mais également sur le plan culturel, car le déclin du marché français et de la place de Paris en matière de ventes aux enchères publiques d’objets et d’œuvres d’art est incontestable et, enfin, sur le plan fiscal, notamment par rapport à la question de la TVA à l’importation.
Mes chers collègues, vous l’aurez compris, ce texte ne nous satisfait pas complètement, mais, dans le souci de rendre hommage au travail remarquable de notre rapporteur, le groupe socialiste s’abstiendra. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Jacques Mézard.
M. Jacques Mézard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les ventes aux enchères évoquent dans l’imaginaire collectif un monde feutré aux codes subtils, pour ne pas dire impénétrables pour le béotien, et façonné par une tradition pluriséculaire. Elles renvoient aussi à l’aura d’un métier où se croisent œuvres d’art, argent, justice et mise en scène.
De l’édit royal de Saint Louis de 1254, évoqué dans le rapport, à la décision d’Henri II en 1552, ce monopole sur les ventes volontaires de biens meubles est longtemps resté une spécificité française. Il aura fallu qu’une grande société de ventes aux enchères britanniques invoque en 1995 la liberté d’établissement des prestataires de services du droit communautaire pour que la France soit contrainte de modifier une législation que l’on pensait immuable. La loi du 10 juillet 2000, qui a aboli le monopole de commissaires-priseurs, mais a sauvegardé les ventes judiciaires, soustraites à la liberté d’établissement par le recours à la notion d’autorité publique, en est la résultante.
Aujourd’hui, nous sommes contraints par la directive européenne « services » de transposer ces dispositions avant le 28 décembre prochain. À cet égard, on peut saluer l’initiative de nos collègues Philippe Marini et Yann Gaillard.
M. Philippe Marini. Merci !
M. Jacques Mézard. Cette proposition de loi, revisitée dans un grand souci d’équilibre par la commission, sur votre initiative, madame le rapporteur, – nous tenons à vous en remercier – est un texte technique et complexe. Ses auteurs ont mis en avant deux objectifs : mettre en conformité notre droit avec la directive européenne et doter notre pays de nouveaux outils pour lui permettre de conserver sa place dans le marché mondial des ventes aux enchères.
Les ventes volontaires de biens meubles ne sauraient être identifiées aux seules ventes aux enchères publiques d’objets d’art, qui attirent souvent le feu des médias. Elles recoupent en pratique nombre de mises en vente de biens d’occasions plus ordinaires, résultant, par exemple, de liquidations. Les montants financiers en jeu restent importants, puisqu’ils représentent plus de 2 milliards d’euros en 2008, dont 35 % pour les seules ventes de véhicules d’occasion, sujet ô combien important.
Mme Marie-Hélène Des Esgaulx, rapporteur. Absolument !
M. Jacques Mézard. L’ampleur de ces montants peut expliquer que certains appétits s’aiguisent face à la perspective d’une libéralisation accentuée des opérateurs de ventes.
Monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, le dispositif qui nous est aujourd’hui proposé soulève une double question : dans quelle mesure répond-il à l’impératif de préservation d’un réel équilibre des ventes volontaires de biens meubles ? Permet-il de concilier les intérêts de l’ensemble des acteurs concernés, qu’il s’agisse des opérateurs, des propriétaires de biens ou des acheteurs ?
J’en reviens aux deux objectifs des auteurs de la proposition de loi.
Le premier est, je l’ai dit, de mettre notre droit en conformité avec la directive européenne, qui a pour objet de faciliter la liberté d’établissement des prestataires de services et la liberté de circulation. La directive nous impose donc, en théorie, d’abroger le régime d’agrément des sociétés de ventes volontaires par le Conseil des ventes volontaires, de créer un guichet unique pour les procédures et formalités applicables aux prestataires et de supprimer l’obligation pour ces derniers de se constituer sous une forme juridique déterminée et rigide.
La proposition de loi répond à chacun de ces points au travers d’un certain nombre de ses articles. Contrairement à ses auteurs, la commission des lois a décidé, à juste titre, d’ailleurs, de maintenir le Conseil des ventes volontaires comme une autorité de régulation dotée de missions plus concentrées.
À nos yeux, l’urgence, au-delà de la transposition de la directive, est de protéger l’utilisateur du net.
Le présent texte opère une clarification bienvenue entre la vente aux enchères publiques organisée par voie électronique et le courtage aux enchères.
Le développement exponentiel du commerce en ligne constitue l’un des facteurs explicatifs du recul du montant global des ventes volontaires. Les sites dédiés à ce commerce ont fleuri et affichent bien souvent une santé financière inversement proportionnelle à la diminution des recettes des sociétés de ventes volontaires. Ils entretiennent néanmoins une confusion regrettable sur la nature exacte de leur activité. Il existe, en effet, une contradiction entre l’objet qu’ils mettent en avant, c'est-à-dire la vente aux enchères, et le régime juridique qui leur est effectivement applicable, celui du courtage. Cela se fait au détriment des utilisateurs, qui, en cas de pratique malveillante – je pense notamment aux « multicomptes » – n’ont guère de moyens pour faire valoir leurs droits.
Le système n’étant pas assez protecteur, nous sommes favorables aux modifications proposées par la commission à l’article 5 : le mandat confié par le propriétaire du bien pour procéder à sa vente doit rester un élément fondamental de la vente volontaire, de même que l’adjudication au mieux-disant des enchérisseurs ; en l’absence de ces deux éléments, l’exigence d’information est accrue et le droit de la consommation s’applique.
Le second objectif des auteurs de la proposition de loi est, je le rappelle, de doter notre pays de nouveaux outils pour lui permettre de préserver sa place, voire de la développer, dans le marché mondial des ventes aux enchères.
L’exercice est difficile, puisqu’il consiste à rechercher un équilibre qui sera forcément fragile, de par la disparité observée non seulement entre les professions concernées, mais aussi à l’intérieur de chacune d’elles. L’alignement systématique sur le dispositif anglo-saxon n’est certainement pas la panacée.
La loi du 10 juillet 2000 a conduit à une concentration du secteur pour le moins ambivalente. Les deux grandes sociétés de ventes britanniques ont largement su profiter de la brèche qu’elles attendaient depuis longtemps pour se placer en tête du montant de ventes volontaires. Drouot a réussi à conserver son rang, tout en accueillant Sotheby’s et Christie’s dans son actionnariat. D’autres sociétés interviennent dans des domaines très spécialisés. Cependant, derrière elles, nombre d’offices de commissaires-priseurs de province ont été forcés d’aliéner leur indépendance pour pouvoir survivre. Cela a été rappelé, la France est en recul continu. Le déséquilibre économique du secteur est donc patent.
Pour autant, les solutions proposées sont-elles pleinement satisfaisantes ?
Il apparaît, d’abord, que la libéralisation soutenue suscite une lutte d’influence entre les différentes catégories d’opérateurs. Assouplissement des conditions de vente de gré à gré des biens non adjugés, droit nouveau pour les commissaires-priseurs judiciaires de procéder à des ventes de gré à gré de biens meubles en qualité de mandataires, abrogation du monopole des courtiers en marchandises assermentés, limitation du droit de vente volontaire des huissiers et notaires, voilà un ensemble de mesures susceptible d’entraîner une grande confusion sur le marché des ventes, tant l’ouverture ainsi programmée risque de ne permettre qu’à un nombre restreint d’opérateurs de tirer leur épingle du jeu. Cette concurrence fera des dégâts, car l’appât du gain peut tout emporter sur son passage.
À cela s’ajoute l’impérieuse nécessité, rappelée en commission par le président Hyest, de moderniser le régime fiscal des ventes aux enchères, étant entendu que modernisation ne rime pas, bien au contraire, avec création de niches.
Madame le rapporteur, vous avez tenu à préserver la profession de commissaire-priseur judiciaire, souhait auquel nous souscrivons totalement, au regard du nombre des acteurs concernés.
Les auteurs de la proposition de loi ont manifestement eu à l’esprit de permettre d’abord une large libéralisation des modalités d’exercice des ventes volontaires, tout en s’appliquant, autant que possible, à renforcer les garanties apportées au public et à ne pas trop bousculer ceux qui, attachés à leur corporatisme, sont les chantres de la concurrence chez le voisin, mais pas dans leur jardin !
M. Philippe Marini. Très juste !
M. Jacques Mézard. Le sort de Sotheby’s et de Christie’s ne nous inquiète pas. Les déclarations des présidents français de ces maisons sont révélatrices de la situation du marché de vente de gré à gré, de l’intervention actuelle des filiales anglaises ou américaines, ainsi de ce qu’eux-mêmes appellent la négociation rapide et, surtout, discrète, sans prix public. Tels sont les principaux bénéficiaires des évolutions à venir !
Le sort des sociétés de ventes volontaires nationales et provinciales nous inquiète davantage, dans la mesure où 90 % des opérateurs préservent leur équilibre économique grâce surtout au double exercice, qui consiste à cumuler ventes judiciaires et ventes volontaires. Le texte fait peser un risque d’inégalité flagrante avec les courtiers assermentés, lesquels se voient reconnaître un certain nombre de prérogatives pour ces deux types de ventes.
De la même manière, nous ne voyons pas l'intérêt de développer une compétence d’intervention en la matière des notaires et des huissiers, puisque, aujourd’hui, seuls 1 % des premiers et 10 % des seconds interviennent dans ce domaine.
Au moment où le Gouvernement, sous couvert de clarté et d’efficacité, entend supprimer les avoués et leurs 1 850 emplois, et opérer une fusion brutale avec les avocats, de telles solutions sont bien difficiles à justifier.
Mes chers collègues, nous avons besoin de conserver des professionnels compétents dans tous les départements.
Au vu de la situation des deux grandes sociétés de ventes multinationales, ne dédaignons pas les réactions du Syndicat national des antiquaires. La France n’est ni New York ni Londres, en particulier en matière de réglementation et de fiscalité. C’est aussi là que doit se situer la recherche de ce difficile équilibre que j’ai évoqué tout à l’heure.
Pour toutes ces raisons, la majorité de notre groupe s’abstiendra sur ce texte, dont nous avons salué les avancées, mais aussi souligné les incertitudes.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, nous abordons aujourd’hui un sujet important, celui de la place de la France sur le marché de l’art et de la culture.
En 2000, la réforme ayant conduit à différencier les ventes aux enchères judiciaires et les ventes aux enchères volontaires avait été très largement dictée par la société commerciale anglo-saxonne Sotheby’s, laquelle avait saisi, dès le 1er octobre 1992, la Commission européenne au motif de l’incompatibilité de la réglementation française avec le principe de la libre prestation des services consacré par l’article 59 du traité de Rome. En conséquence, le 16 mars 1995, la France avait été mise en demeure par la Commission européenne d’adapter sa législation relative à l’organisation des ventes volontaires et à la profession de commissaire-priseur.
Aujourd’hui, la proposition de loi de MM. Marini et Gaillard franchit une étape supplémentaire, en appliquant, cette fois-ci, la directive « services » – devenue célèbre sous le nom de directive « Bolkestein » – à l’activité des ventes volontaires aux enchères.
Les quarante articles de la proposition de loi visent, selon les auteurs eux-mêmes, à « introduire plus de concurrence et plus de dynamisme sur un marché qui s’est trop longtemps assoupi et qui semble encore souffrir d’une certaine langueur, sans que l’ouverture introduite par la loi du 10 juillet 2000 ait véritablement porté ses fruits ».
Comme en 2000, l’influence des deux grandes sociétés internationales de ventes aux enchères que sont Christie’s et Sotheby’s n’est pas loin. Pour s’en convaincre, il suffit de prendre connaissance des propos de leurs représentants respectifs en France, le premier saluant de grandes avancées, le second se félicitant d’une modernisation du marché attendue depuis longtemps.
En effet, sous couvert de vouloir redynamiser le marché de l’art en France et tout en se référant à la directive européenne comme ligne intangible, ce texte ne semble être qu’une commande de ces deux grandes maisons. Jouissant déjà d’une position de domination absolue – les chiffres cités tout à l’heure par Mme le rapporteur parlent d’eux-mêmes –, elles tireront un énorme profit de la réforme. Elles pourront ainsi obtenir des droits, dont elles disposent déjà à New York ou à Londres, notamment la possibilité d’être mandatées pour vendre de gré à gré, et elles viendront concurrencer directement, sur leur terrain, les galeristes et antiquaires, quelque 15 000 petites entreprises qui maillent le territoire d’une économie artistique et culturelle fort ténue.
Il est donc bien difficile de croire en cette réforme. Non seulement la proposition de loi visant à la mettre en œuvre n’astreint, de fait, à aucune étude d’impact, mais, de plus, les galeristes et les antiquaires, qui brassent pourtant l’essentiel du volume d’affaires du marché, n’ont pas été sérieusement auditionnés. En l’absence d’informations aussi cruciales, il est bien difficile aussi de croire que MM. Marini et Gaillard ont trouvé des réponses précises permettant, en outre, de « redynamiser » le marché de l’art français.
M. Philippe Marini. Pourquoi tant d’incrédulité, ma chère collègue ?
Mme Josiane Mathon-Poinat. Il est bien difficile encore de croire que la commission ait pu mener à bien une telle expertise, bien qu’elle ait profondément remanié le texte. En effet, sans vouloir remettre en cause la rigueur et l’ampleur du travail effectué, je rappelle que Mme le rapporteur a avoué elle-même avoir dû se plonger dans le sujet en quelques semaines.
Par ailleurs, si la proposition de loi était votée, il serait possible de tout mettre aux enchères : une simple déclaration, qui se substituera à l’agrément, suffira pour organiser des ventes, alors qu’à présent, il faut respecter des règles strictes afin de former une société dont l’agrément est soumis au Conseil des ventes volontaires, autorité de régulation. Désormais, personne ne vérifiera les assurances, et les opérateurs ne seront plus tenus de s’adjoindre un commissaire aux comptes.
La multiplication des acteurs et l’amoindrissement des règles de contrôle engendreront très certainement un grand nombre de dérives, alors même que la majorité n’est pas capable de s’entendre sur les prérogatives dont sera doté le Conseil des ventes volontaires. Il est toutefois curieux que, après avoir voulu mettre fin à une sorte de monopole, on crée délibérément une concentration du marché dans les mains de quelques-uns.
À notre sens, ce texte, qui prétend vouloir relancer le marché de l’art en France en dérégulant le fonctionnement des mises aux enchères, provoquera l’effet inverse en se calquant sur le modèle anglo-saxon et en niant les spécificités culturelles de notre pays.
Les marchands d’art, à la différence des salles de ventes, ne sont pas que l’interface entre le vendeur et l’acheteur : ce sont des professionnels investis dans un champ particulier qu’ils connaissent bien. Ils ne sont pas soumis à des exigences de rentabilité immédiate, bien au contraire : leur travail est un long processus consistant à repérer des artistes, même méconnus, à acheter leurs œuvres, à les valoriser, à informer les clients, à conseiller les collectionneurs. Au-delà de cette activité apparemment mercantile, les marchands d’art remplissent un rôle éducatif et culturel auprès du public ; ainsi, c’est grâce à quelques marchands français que Paris est devenu la capitale du dessin.
Le fait de placer le marché sous le contrôle des grandes maisons de ventes tendra, au contraire, à une uniformisation des goûts et au lancement d’artistes éphémères, considérés uniquement en tant qu’objets de pure spéculation.
Par conséquent, même si la commission a décidé de revenir sur certaines dispositions du texte initial, comme la suppression des commissaires-priseurs judiciaires, cette proposition de loi est une application doctrinale de la directive européenne « services » et dérégule un marché spécifique au profit d’une poignée de grosses sociétés. Nous ne pouvons donc que voter contre ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Yann Gaillard.
M. Yann Gaillard. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, madame le rapporteur, mes chers collègues, Philippe Marini et moi-même avons rédigé cette proposition de loi avec l’excellente intention de contribuer à la dynamisation du marché de l’art français.
On ne peut qu’être impressionné par le rapport d’Artprice pour 2008 : il annonce que les États-Unis se classent au premier rang mondial du marché de l’art dont ils détiennent 42,46 %, suivis par la Grande-Bretagne à hauteur de 29,25 %, qui devance la Chine, laquelle occupe 7,24 % du marché, précédant la France, dont la part est limitée à 5,97 % ! Dès lors, on peut s’interroger sur ce marché et sur les ventes qui permettent d’atteindre ces chiffres extraordinaires.
L’analyse du marché de l’art français fait apparaître sa très grande pauvreté en œuvres d’art contemporain et ultra-contemporain. Elles sont parties, pour la plupart, vers les États-Unis, et, pour une petite partie, vers la Grande-Bretagne et l’Allemagne.
Peut-être les cotes extraordinaires des artistes américains, célébrés jusque dans les murs de Versailles, s’effondreront-elles un jour ? Je ne le leur souhaite pas. Qu’on ne me suspecte pas de la moindre mauvaise intention envers l’art ultra-contemporain des États-Unis !
Je tiens à attirer l’attention de nos collègues sur le fait que la situation actuelle découle d’un processus historique. Le marché de l’art était florissant du fait de la richesse de la production artistique en France, avec certains peintres qui venaient de pays étrangers, par exemple d’Europe centrale, d’Allemagne ou d’Espagne. Que l’on aime ou non la production artistique des États-Unis, il n’en demeure pas moins qu’elle est cotée en Bourse et est souvent l’œuvre d’artistes nés hors du territoire américain.
En raison de ses origines historiques, ce phénomène ne saurait être réglé exclusivement par des moyens juridiques. À cet égard, je rejoins d’ailleurs Mme Josiane Mathon-Poinat. Elle n’apprécie pas notre texte, mais elle souligne avec justesse qu’il faudrait, pour commencer, avoir des artistes, les encourager et s’employer à les faire connaître afin qu’ils percent sur le marché international. Sans doute a-t-elle mis le doigt sur la source essentielle de nos difficultés actuelles.
Pour notre part, nous avons fait de notre mieux pour dynamiser le marché de l’art et le rendre compatible avec la directive européenne.
Le moment est venu de rappeler que nos amis américains n’ont pas été complètement innocents dans cette affaire. Dans son très intéressant roman Tu chercheras mon visage, dont le titre original est Seek my face, John Updike, auteur américain récemment disparu, met en scène, sous la forme d’une interview faite par une journaliste, la veuve d’un très grand artiste américain, chef de l’école de New York, dans lequel on reconnaît Jackson Pollock. Cette dernière relate comment, dès 1944, les États-Unis ont tiré parti de l’arrivée sur leur territoire des principaux artistes européens venus y trouver refuge, chassés par la guerre. Les États-Unis ont alors mis en place une véritable politique dont l’intention très claire était de prendre le pouvoir artistique. Aux mains des Anglo-Saxons à présent, celui-ci est à l’origine du pouvoir économique que nous nous efforçons de contenir, mais avec des moyens limités.
Prenant exemple sur la remarquable modestie de M. Philippe Marini, principal auteur de cette proposition de loi, je ne multiplierai pas les amendements, et ce pour deux raisons :
D’une part, même si nous n’étions pas en total accord avec elle, la commission des lois a effectué un travail remarquable, extrêmement précis et calibré au millimètre, dont je tiens à féliciter Mme le rapporteur.
D’autre part, il est impossible d’arriver à une dynamisation complète du marché de l’art, qui est bien différent du marché des marchandises ordinaires ! Le secteur de la production courante souhaite naturellement voir augmenter ses exportations et diminuer ses importations. En revanche, dans le domaine de l’art, si l’on n’exporte pas des œuvres d’art moderne ou ultra-contemporain, ce sont nos trésors nationaux, nos meubles, nos vaisselles, nos peintures détenues par des collectionneurs privés voulant se faire un peu d’argent, qui sont concernés. À ce moment-là, on crie à la perte du patrimoine national. C’est donc une affaire extrêmement délicate.
Il faut agir au mieux pour aider les professions impliquées dans le marché de l’art à se sentir tout à fait à l’aise et à œuvrer dans le respect de la directive européenne, avec une efficacité accrue, mais qui restera toujours limitée.
Je présenterai mes quelques modestes amendements au cours de la discussion des articles. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)