M. le président. La parole est à M. Yves Daudigny.
M. Yves Daudigny. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, connaissons-nous une mission plus noble que celle de protéger un enfant ? Est-il un dessein de société plus louable ?
Il faut prendre soin de cet enfant, l’entourer de paroles attentionnées, l’écouter mais aussi l’entendre, le guider sans le contraindre, l’accompagner pas à pas vers l’âge adulte, le respecter, réussir à lui donner suffisamment confiance en lui-même pour lui permettre de trouver sa propre voie, être présent sans être étouffant, guider ses choix sans se projeter soi-même dans les réalisations qui lui appartiennent.
Puissions-nous un instant nous extraire de nos représentations habituelles, mettre à distance nos fonctions, nos mandats, nos obédiences respectives pour nous concentrer sur l’essentiel : que représente, pour chacun d’entre nous, femmes ou hommes, la protection d’un enfant ?
L’enfant est le bien le plus précieux de nos sociétés. Il doit donc impérieusement concentrer toutes nos attentions à propos de sa santé, de sa moralité, mais aussi de son épanouissement physique, psychique, intellectuel et affectif. Nous voilà donc soumis, nous autres adultes, à des devoirs renouvelés : être toujours attentifs et prévenants ; prévenir pour mieux protéger, le cas échéant.
Or qu’en est-il de la protection de l’enfance dans notre pays ? Placée régulièrement au cœur du débat public, elle fait l’objet de critiques incessantes. Elle est régulièrement mise en cause à propos de négligences graves non révélées, de mauvais traitements trop tardivement décelés, de prises en charge estimées inadaptées.
Sujet aiguisant les passions, elle fait l’objet de jugements péremptoires. L’amalgame est parfois tentant. Progressivement, le thème de la défaillance parentale se fait jour. Certes, le principe n’est pas contestable en soi, mais les raccourcis sémantiques, eux, le sont. On dénonce alors l’absentéisme scolaire, les violences urbaines, les incivilités, les comportements déviants, les actes délictueux. On assimile jeunesse à dérive. L’enfant devient dangereux, menaçant !
À l’enfant-victime, on substitue le mineur délinquant, qui serait coupable, selon une vision manichéenne, de la désagrégation d’une société qui, au fond, l’a véritablement « enfanté ».
La communauté éducative est alors visée. Elle protégerait l’enfant trop peu, ou trop tard ! Le risque zéro n’existant pas en la matière, les drames réapparaissent, hélas ! Ils défraient la chronique et prennent l’opinion publique à témoin. On cherche et on trouve, c’est inévitable, des responsabilités, des failles dans le dispositif.
Notre époque est celle des paradoxes. On s’entend facilement sur une exigence collective : protéger l’enfant. Puis, au final, quand il s’agit de mesurer les conditions de la réalisation de cette exigence, on se révèle beaucoup moins strict. La société entière est passée au crible de l’évaluation : il faut tout mesurer ! Et on le fait avec des critères finalement largement revus à la baisse.
La loi du 5 mars 2007 réformant la protection de l’enfance a été relativement consensuelle. Elle a fait l’objet d’un débat important ; elle a été conduite avec détermination et discernement. C’est un bon texte, soucieux de l’intérêt de l’enfant.
Deux ans après son adoption, on s’interroge, sur fond de crise économique, sur les conditions de son application, sur la responsabilité de l’État, sur les engagements qu’il a pris et sa capacité à les tenir.
Le département, conforté dans son rôle central de prévention et de protection de l’enfant, n’est pas en reste. Avec des compétences élargies en matière de politique familiale – c’est dire la confiance qu’on lui porte sur ces sujets humains – il déploie des moyens colossaux : 2,3 milliards d’euros en 1984 et presque 6 milliards d’euros en 2008 avec, on ne le dit pas assez, une réduction significative des inégalités entre les départements. C’est le premier poste budgétaire de la solidarité départementale.
Les engagements pris doivent être tenus. L’État ne peut plus être juge et partie dans ce domaine, pas plus que dans d’autres.
Aux yeux de certains, la vision strictement budgétaire de cette mission hautement sensible des conseils généraux peut paraître réductrice. Non pas que l’argent demeure tabou en pareille matière, mais parce que les sommes considérables qui sont consacrées à ces actions, et que je rappelais voilà un instant, ont une vocation noble que l’on ne saurait dénaturer.
J’ai ouï dire que l’État craindrait de mettre le doigt dans un engrenage financier. Mais, madame la secrétaire d’État, cette dépense est non seulement nécessaire, mais aussi, et surtout, tellement utile ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Le monde de la protection de l’enfance n’est pas dans la surenchère. La protection de l’enfance est une action responsable, mesurée. Elle est empreinte d’une infatigable et formidable énergie, que les professionnels du secteur, les responsables institutionnels, les experts, les élus, ont d’ailleurs largement démontrée en amont de la réforme de 2007.
L’Appel des 100 participait de la volonté de s’interroger et d’adapter le dispositif au regard des nouvelles réalités familiales, sociales et psychologiques de notre société. L’on connaît aujourd’hui une propension à placer l’enfant au centre du désir des parents, au point parfois de l’ériger en enfant-roi et en faire-valoir des adultes.
N’oublions cependant jamais qu’en tant que sujet l’enfant mérite bien d’autres attentions. Un gouvernement qui mesurerait le coût de la protection de l’enfance en termes de charges et qui choisirait de ne pas y consacrer les fonds nécessaires porterait une lourde responsabilité.
L’enfant n’est pas une charge ; il est une personne, un être social dès sa naissance. L’enfant est un espoir, un trésor d’une richesse insondable ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam.
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le contrôle de l’action du Gouvernement et l’évaluation des politiques publiques constituent une partie essentielle de notre mandat de parlementaire.
Je me réjouis que nous examinions aujourd’hui l’application de la loi de 2007 portant réforme de la protection de l’enfance, quelques jours après la publication du rapport du Comité des droits de l’enfant des Nations unies, qui traite précisément de l’application par la France de la Convention internationale des droits de l’enfant, en vertu de son article 44.
Ces dernières années – et cela a été salué par le Comité –, la France a déployé beaucoup d’efforts afin d’améliorer son arsenal législatif en matière de protection des droits des enfants. De nombreuses lois ont été votées, des organismes ont été créés.
La loi du 5 mars 2007 portant réforme de la protection de l’enfance a marqué un progrès considérable dans l’amélioration de notre cadre juridique par la prévention des cas de maltraitance et la décentralisation des mécanismes de protection de l’enfance ; leur prise en charge par les départements a amélioré l’efficacité du dispositif.
Toutefois, mesurer l’ampleur du chemin parcouru ne dispense pas de s’alarmer des lacunes persistantes dans l’application du droit par nos administrations
Nous devons entendre les inquiétudes exprimées par les organisations spécialisées dans la protection de l’enfance dans notre pays, notamment la Défenseure des enfants, par l’UNICEF, ou encore par les nombreuses ONG travaillant sur ces questions. Je regrette, par exemple, que tous les décrets d’application de la loi de 2007 n’aient pas été publiés et que le bilan de la mise en œuvre du nouveau dispositif prévu par cette loi, son évaluation qualitative et quantitative, les coûts de sa mise en application et les compensations par l’État n’aient pas encore été soumis au Parlement. Madame la secrétaire d’État, j’espère que vous nous confirmerez que cela sera fait rapidement et que les financements adéquats seront trouvés.
En qualité de sénateur représentant les Français établis à l’étranger et de membre de la commission des affaires étrangères du Sénat, je souhaite, madame la secrétaire d’État, attirer votre attention sur la dimension internationale de la protection de l’enfance et solliciter quelques éléments de réponse sur des sujets qui me semblent importants.
En ce qui concerne la protection des enfants étrangers résidant sur le sol français, ayant été nommé rapporteur de la commission des affaires étrangères sur le projet d’accord franco-roumain concernant les mineurs roumains isolés, j’ai pu constater que, même si le nombre des mineurs roumains est en forte baisse, le phénomène tend à se propager à de nombreuses autres nationalités, dans un contexte croissant de traite et d’exploitation.
Il faut impérativement assurer une protection maximum à ces mineurs, ne pas les refouler systématiquement à la frontière ou les renvoyer dans leur pays d’origine, d’où ils reviendront quasi inéluctablement. Certains de ces mineurs ont fait de beaux parcours en France et nous devrions tenir compte de leur degré d’intégration avant de prendre une décision d’expulsion à leur majorité.
Madame la secrétaire d’État, pourriez-vous nous donner quelques indications sur le travail de la commission sur les mineurs isolés, commission mise en place par M. Éric Besson ?
Il est indispensable de renforcer la formation des professionnels appelés à traiter des cas de mineurs isolés, comme de tous les cas d’enfants en état de vulnérabilité, car, là plus qu’ailleurs, l’absence de repérage, les erreurs d’appréciation ou de comportement peuvent avoir des conséquences dramatiques.
À cet égard, je constate que l’application de la loi de 2007 sur la protection de l’enfance par les conseils généraux se heurte à des pratiques de niveau inégal. Une harmonisation de ces pratiques par le haut est indispensable. L’obtention de données fiables et coordonnées sur l’enfance maltraitée ou fragilisée doit nous y aider. Je salue dans ce domaine les efforts de l’ONED.
Face à la multiplication des acteurs concernés, une meilleure coordination devient indispensable entre les niveaux national et régional, notamment avec les départements et collectivités d’outre-mer, les présidents de conseils généraux, la Défenseure des droits des enfants – dont je salue le travail remarquable – le haut-commissaire aux solidarités actives contre la pauvreté et à la jeunesse, ou encore la Commission nationale consultative des droits de l’homme.
Toutefois, et nous avons souvent tendance à l’oublier, la dimension internationale de la protection de l’enfance ne concerne pas uniquement les mineurs étrangers ou d’origine étrangère vivant en France. Aujourd’hui, près de 373 000 enfants français ou binationaux sont inscrits sur les registres de la population française à l’étranger, mais ils sont sans doute deux fois plus nombreux. Eux aussi peuvent être victimes de la pauvreté, de la violence ou de l’exploitation et leur vulnérabilité ne devrait pas être accrue par le fait qu’ils résident hors des frontières nationales.
La loi de 2007 qui, on le reconnaît de manière quasi unanime, est parfaitement adaptée à l’évolution des situations, reste muette sur les enfants français résidant à l’étranger. Je continue de regretter que n’ait pas été retenu l’amendement que j’avais déposé afin que cette loi puisse également s’appliquer aux enfants résidant hors de nos frontières, grâce à un suivi effectué par les comités consulaires de protection sociale, sur le modèle qui a été retenu dans les départements. Une fois de plus, nous, Français de l’étranger, avons été victimes d’un processus de régionalisation qui, en confiant davantage de responsabilités aux institutions départementales, nous exclut du périmètre défini par la loi.
Nous ne pouvons pas non plus ignorer les très nombreux cas de déplacements illicites d’enfants à l’étranger, qui bafouent l’intérêt supérieur de l’enfant en le privant de l’un de ses parents. Lundi prochain, des parents se rendront à l’ambassade du Japon pour réclamer la création d’une commission bilatérale afin de régler les cas en souffrance.
Je regrette que la commission parlementaire franco-allemande, qui avait été créée pour résoudre ce type de cas avec l’Allemagne, ait été supprimée, alors que nous aurions dû au contraire en étendre le principe à d’autres pays.
Madame la secrétaire d’État, je sais que les questions relatives aux enfants français de l’étranger dépendent essentiellement du ministère des affaires étrangères et non du vôtre, mais je souhaitais attirer votre attention sur la nécessité de renforcer l’efficacité de la coopération internationale et transnationale en matière de droit de la famille et de mieux défendre les droits de nos petits compatriotes de l’étranger.
Quelles orientations pourraient être dégagées de cette réflexion sur la dimension internationale et transnationale de la protection de l’enfance ?
D’abord, je considère que nous ne pouvons nous dispenser d’une réflexion sur la coopération internationale en matière de protection des enfants. Cette coopération est nécessaire afin d’empêcher les trafics insupportables qui se développent partout, mais aussi, plus largement, pour protéger les enfants de la pauvreté, de l’analphabétisme et de l’insalubrité, et contribuer ainsi au développement mondial.
Dois-je rappeler que 86 % des 2,2 milliards des enfants du monde vivent dans des pays en voie de développement et que 95 % des enfants qui meurent avant l’âge de cinq ans, qui n’ont pas accès à l’enseignement ou souffrent du travail forcé ou d’abus sexuels vivent également dans ces pays ?
En France même, il faudrait instituer une forme de mainstreaming, si vous me permettez cet horrible anglicisme. Il s’agit, comme cela a été voulu à l’échelon européen pour les questions de genre, de systématiser l’évaluation de tous les projets politiques du gouvernement à l’aune de l’intérêt supérieur de l’enfant et de la conception de l’enfant en tant que sujet de droit.
À cet égard, il me semble dommageable que la discussion de cet aspect fondamental reste confinée à quelques séances de travail ponctuelles. Un tel contrôle devrait être permanent et entièrement intégré à l’action gouvernementale et législative.
Dans cette optique, comme nous l’a demandé avec insistance le Comité des droits de l’enfant des Nations unies, une commission ou délégation parlementaire doit être créée, avec pour mission de travailler avec différentes institutions sur les projets ou propositions de loi concernant l’enfance.
À titre transitoire, le périmètre de la délégation aux droits des femmes et à l’égalité des chances entre les hommes et les femmes devrait, me semble-t-il, être élargi pour couvrir également ce domaine de la protection de l’enfance.
Enfin et surtout, nous devons remettre l’enfant au cœur de notre société, au cœur de nos politiques, au cœur de notre coopération internationale, car il porte en lui, tout le monde le sait, l’avenir du monde. Nous avons besoin d’une stratégie nationale pour les enfants sur la base de la Convention internationale des droits de l’enfant ratifiée par la France en 1990.
Je voudrais aujourd’hui plaider, en conclusion, pour une vraie politique transversale de l’enfance, qui englobe tous les aspects de la vie des enfants. Une telle politique doit non pas être négative et répressive, mais constructive. Il ne faut pas qu’elle soit concentrée uniquement sur les enfants à problème ou les jeunes délinquants ; il convient de veiller avant tout à l’intérêt supérieur de l’enfant, de chaque enfant, en particulier ceux qui sont les plus vulnérables.
S’attaquer à la crise économique restera vain tant que l’on ne rétablira pas un ordre de priorités sain : l’enfant est l’élément fondamental de l’avenir de nos sociétés, même – et je dirai presque surtout – lorsqu’il est pauvre, isolé, étranger ou handicapé. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et sur certaines travées du RDSE, ainsi que sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, j’ai souhaité profiter de ce débat sur la protection de l’enfance pour évoquer la situation dramatique dans laquelle se trouvent les mineurs isolés étrangers.
Ces mineurs arrivent en France, parfois au péril de leur vie, pour demander une protection en raison de persécutions subies dans leur pays ou pour d’autres raisons tout aussi légitimes, comme un regroupement familial tant espéré, mais qui leur est refusé pour différents motifs…
Déracinés, seuls, livrés à eux-mêmes, proies faciles à toutes les formes d’abus, de violence et d’exploitation, les mécanismes de la protection de l’enfance devraient impérativement s’étendre aux mineurs isolés. Il s’agit là d’un impératif moral catégorique. Toutefois, c’est loin d’être le cas ! En effet, la plupart de ces mineurs n’ont pas accès au dispositif de droit commun de protection et de représentation juridique. On retrouve une grande partie d’entre eux dans les zones d’attente de l’aéroport de Roissy–Charles-de-Gaulle ou dans les Bouches-du-Rhône, où ils sont retenus dans l’attente, par exemple, de leur admission sur le territoire français au titre de l’asile ou, malheureusement, de leur refoulement éventuel.
Nous sommes en France, dans une zone aéroportuaire, et pourtant ces enfants ne bénéficient pas d’un traitement conforme aux engagements internationaux de la France ; un enfant n’est pas un adulte, il ne peut être traité de la même manière. Or, dans les zones d’attente, les mineurs de treize à dix-huit ans se retrouvent perdus au milieu d’adultes.
J’estime que le maintien en zone d’attente d’un mineur constitue, en soi, une mise en danger de celui-ci ; rien ne peut le justifier ! C’est une situation inadmissible, et contraire à la Convention internationale des droits de l’enfant, dont la France, je vous le rappelle, madame la secrétaire d’État, est signataire.
La création prévue de quartiers pour mineurs isolés ne suffit pas : il faut, avant même l’admission au séjour de l’enfant, mettre tout en œuvre pour organiser une protection effective, associant à ce stade les services d’aide à l’enfance et le juge pour enfant.
J’en viens à une deuxième grande injustice que subissent ces mineurs et qui concerne les conditions d’accompagnement et la présence d’un administrateur ad hoc. Est-il concevable que ces mineurs isolés ne bénéficient pas systématiquement d’un représentant légal désigné ?
Selon une étude de l’Association nationale d’assistance aux frontières pour les étrangers, l’ANAFÉ, l’administrateur ad hoc n’est nommé que dans 70 % des cas. On nous dit que ce taux atteint actuellement près de 90 %. Mais qu’en est-il pour les autres ? En effet, l’enfant qui n’est pas représenté ne peut pas faire valoir ses droits : il n’a pas la capacité juridique ; il ne peut pas faire appel des décisions de refus devant la Cour nationale du droit d’asile. Il s’agit là d’un déni de justice intolérable, d’autant qu’il s’agit d’un enfant isolé, qui, parfois, ne parle pas notre langue ou ne la comprend pas.
Tout mineur isolé se présentant à la frontière devrait bénéficier d’une protection juridique complète. Nous ne pouvons pas attendre la fin de l’année 2010, comme l’a promis le ministre de l’immigration, M. Besson. C’est aujourd’hui qu’il convient de remédier à cette pénurie ! Une telle situation constitue, je le répète, une violation flagrante et continue de la Convention internationale des droits de l’enfant des Nations unies. D’ailleurs, le comité des experts sur les droits de l’enfant vient de le rappeler dans un rapport rendu public le 11 juin.
La politique d’immigration mise en œuvre depuis deux ans, plus soucieuse de chiffres que d’humanité, est la première cause de privation des droits fondamentaux des mineurs étrangers. Ces derniers doivent d’abord être considérés comme des enfants, avant d’être traités comme des étrangers. À ce titre, ils doivent bénéficier d’une protection spécifique, commandée par leur particulière vulnérabilité et leur situation d’isolement.
J’en viens enfin à une troisième injustice : le recours aux tests osseux pour dénier à ces enfants le droit à une protection au titre de l’enfance. On compare une radiographie des os du mineur aux données d’un manuel datant des années trente, établi sur une population blanche et européenne, et on décide qu’il est majeur. C’est inacceptable !
Voilà comment s’organise le refus de protection des mineurs en danger, sans autre forme de procès. Finalement, les mineurs sont souvent refoulés avant même d’avoir vu le juge des libertés ; ils sont livrés à eux-mêmes, sans contrôle juridictionnel et sans garanties sur leur devenir. La politique de contrôle des flux migratoires l’emporte sur la mise en œuvre d’une véritable politique de protection de l’enfance et de lutte contre les réseaux clandestins organisant l’arrivée de ces mineurs.
Je me félicite, bien entendu, de la mise en place par le ministre de l’immigration d’un groupe de travail sur les mineurs isolés. Je souhaite d’ailleurs que ce groupe de travail puisse arriver à des conclusions permettant une meilleure protection de l’enfant.
Permettez-moi de vous proposer trois avancées fondamentales, qui sont demandées par des associations comme l’ANAFÉ.
D’abord, nous devons inscrire dans notre droit le principe de non-refoulement du mineur non accompagné.
Ensuite, il convient de revenir sur la pratique des tests osseux, dont la fiabilité est douteuse, et qui constitue aujourd’hui un outil privilégié pour refuser au mineur toute protection.
Enfin, il est impératif de construire un régime juridique spécifique pour les mineurs isolés, dans lequel les principes du code de l’action sociale et des familles devront prévaloir sur celui du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. En effet, je vous l’ai dit, un mineur est un enfant avant d’être un étranger.
Il est absolument nécessaire que les mineurs bénéficient, dans la zone d’attente, d’une protection effective issue de la loi du 5 mars 2007 et d’une véritable assistance juridique, médicale et humanitaire, car il existe aujourd’hui un écart important entre le texte et son application. Madame la secrétaire d’État, comment expliquez-vous un tel écart ? De quelle façon y remédier ?
Il est urgent de considérer les mineurs étrangers avant tout comme des enfants en danger, qui méritent une prise en charge automatique et en urgence, suivie d’un accompagnement juridique et social jusqu’à leur majorité.
Ce n’est qu’à ce prix que l’on verra naître une protection internationale de l’enfance, où le respect de l’intégrité et de la dignité l’emportera sur les logiques de gestion de flux migratoires et de rationalisation de l’aide juridique aux étrangers. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures quarante, est reprise à dix-huit heures quarante-cinq.)
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État chargée de la famille. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, Mme Claire-Lise Campion m’interroge sur la loi du 5 mars 2007 ainsi que sur la question plus générale de la protection de l’enfance.
Tout d’abord, permettez-moi d’évoquer le vingtième anniversaire de la convention internationale des droits de l’enfant. J’ai souhaité conduire personnellement la délégation française qui, à Genève, a présenté devant le comité des droits de l’enfant des Nations unies les troisième et quatrième rapports de la France relatifs au suivi de la convention. J’ai ainsi eu l’occasion et l’honneur de rappeler l’ensemble des actions réalisées par la France en matière de protection de l’enfance, notamment la loi du 5 mars 2007. La présidente coréenne, Mme Lee, a indiqué qu’elle mettrait la barre très haut compte tenu de la place que la France occupe dans le monde. À cet égard, les deux rapporteurs qui sont intervenus pour exposer l’analyse de ces rapports nous ont félicités de la qualité du travail effectué.
Contrairement à la pratique habituelle de nombre de ministres, je suis restée après mon discours de présentation et, pendant près de trois heures et demie, j’ai répondu, thème par thème, à l’ensemble des questions sur la protection de l’enfance. J’ai pu constater la réelle satisfaction qu’ont témoignée tant le comité que sa présidente sur l’ensemble des précisions que nous avons apportées en réponse aux questions qu’ont suscitées nos rapports et le suivi de la convention par la France.
S’agissant de la loi du 5 mars 2007, trois décrets d’application ont déjà été pris.
J’ai ainsi signé le décret du 30 juillet 2008, qui organise la formation que doivent obligatoirement suivre les cadres et responsables des services qui, par délégation du président du conseil général, prennent des décisions relatives à la protection de l’enfance.
A également été publié le décret du 19 décembre 2008, qui définit la nature et les modalités de transmission des informations préoccupantes recueillies par les cellules départementales aux observatoires départementaux de la protection de l’enfance et à l’Observatoire national de l’enfance en danger. Grâce à ce dernier, nous avons désormais une connaissance chiffrée du nombre d’enfants maltraités, ce dont nous ne disposions pas auparavant. Je me suis rendue à l’ONED pour la remise du rapport officiel. Ainsi, au 31 décembre 2008, on recensait 265 913 jeunes de moins de dix-huit ans dont la situation justifiait la prise en charge par le dispositif de protection de l’enfance. Cela représente 1,88 % des jeunes de moins de dix-huit ans : autant dire, bien sûr, que c’est trop, beaucoup trop. Cependant, la connaissance de ces chiffres est indispensable si l’on veut pouvoir lutter de manière adaptée et ciblée contre l’odieux fléau de la maltraitance.
Ce décret était très attendu dans les départements, dont soixante-huit, selon l’ONED, ont déjà constitué une cellule départementale de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes.
À Mme Garriaud-Maylam et à M. Lardeux, qui souhaitent disposer d’une évaluation de ce nouveau dispositif des cellules départementales, je veux indiquer que, conformément à l’article 13 de la loi, qui prévoit que le Gouvernement doit présenter un rapport sur la mise en œuvre des cellules, j’ai demandé à mes services de préparer un bilan quantitatif et qualitatif de cette mise en place. Il sera disponible d’ici à la fin de l’année.
Enfin, le décret du 30 décembre 2008 organise la nouvelle procédure instituée par la loi du 5 mars 2007 et dénommée « mesure judicaire d’aide à la gestion du budget familial ».
Lorsque les prestations familiales ne sont pas employées à la satisfaction des besoins liés au logement, à l’entretien, à la santé et à l’éducation des enfants, et que l’accompagnement en économie sociale et familiale n’apparaît pas suffisant, le juge peut ordonner qu’elles soient, en tout ou partie, versées à une personne physique ou morale qualifiée, dite « déléguée aux prestations familiales ».
La loi prévoit une formation, initiale et continue, en partie commune à tous les professionnels qui travaillent en contact avec des enfants : magistrats, travailleurs sociaux, enseignants, personnels des polices et de la gendarmerie, médecins, personnels médicaux et paramédicaux, personnels d’animation sportive, culturelle et de loisirs. Ce décret sera publié au Journal officiel dans la semaine.
Reste donc à prendre le décret relatif à la médecine scolaire – je sais qu’il retient l’attention de M. de Legge –, qui a pour objet de prévoir les modalités d’organisation des quatre visites médicales gratuites pour les enfants.
Jusqu’en 2007, le suivi médical de l’enfant était limité à la petite enfance. Pas moins de vingt-deux examens sont ainsi réalisés entre zéro et six ans. La loi réformant la protection de l’enfance prévoit désormais trois nouveaux examens, au cours des neuvième, douzième et quinzième années.
Oui, monsieur de Legge, je partage votre opinion : nous devons rendre plus cohérent l’ensemble de ces consultations, et la première question à nous poser est de savoir comment celles-ci sont utilisées. Roselyne Bachelot-Narquin et moi-même avons demandé à l’inspection générale des affaires sanitaires, l’IGAS, de réaliser un bilan de ce dispositif. Je souhaite que le ministère de la santé et le ministère de l’éducation nationale soient ainsi en mesure, d’ici à la fin de l’année, de prévoir une montée en charge progressive et adaptée.
S’agissant du financement de la protection de l’enfance, ce sont près de 5,8 milliards d’euros qui lui sont consacrés par les départements. Ce sont plus de 376 millions d’euros au titre du budget de l’éducation nationale pour la santé scolaire. Ce sont plus de 5,7 milliards d’euros affectés par l’assurance maladie aux consultations de prévention des femmes enceintes et des enfants de zéro à six ans. Ce sont 160 millions d’euros dépensés par la justice pour le placement des mineurs en danger. Vous le voyez, madame Escoffier, madame Pasquet, l’État est au côté des départements pour cette action essentielle !
Par ailleurs, dans le cadre de la convention d’objectifs et de gestion signée entre l’État et la Caisse nationale d’allocations familiales, j’ai obtenu que les crédits dédiés à la parentalité soient fortement augmentés ; car la protection de l’enfance, c’est la prévention, mais c’est aussi l’accompagnement des parents. Ainsi, les crédits dédiés au financement des réseaux d’écoute et d’aide à la parentalité, à la médiation familiale et à la mise en place de lieux d’accueil et d’écoute des parents augmenteront, entre 2009 et 2012, de près de 15,5 % par an. En 2008, nous y consacrions 30 millions d’euros ; en 2009, ce seront 42 millions d’euros, soit une augmentation de 12 millions d’euros.
Madame Campion, votre question porte également sur le fonds national de financement de la protection de l’enfance. Le Gouvernement partage l’analyse de M. Lardeux, qui estime que la création d’un fonds supplémentaire viendrait complexifier, brouiller les financements déjà existants. Au regard des 5,8 milliards d’euros évoqués, la somme en jeu, qui est de 30 millions d’euros, montre que nous sommes en décalage. Les finances ne sont pas seules à entrer en compte : c’est l’ensemble des actions et des mesures que nous engageons en faveur de la protection de l’enfance qui doit être pris en considération. Ce sujet a d’ailleurs fait l’objet d’un arbitrage gouvernemental.
Mme Garriaud-Maylam s’interroge sur la protection des enfants de Français résidant à l’étranger. Plusieurs mesures ont été arrêtées pour les prendre en charge. Ainsi, depuis le vote de la loi de 2007, une sous-direction dite « de la protection des droits des personnes » ainsi qu’un bureau de la protection des mineurs et de la famille ont été créés. La sous-direction est en contact avec tous les consulats et ambassades de France. L’objectif est de mobiliser tous les moyens pour mettre les enfants hors de danger, si nécessaire en organisant leur rapatriement en France, puis leur placement dans un établissement français sur décision d’une autorité judiciaire française.
Je suis également en mesure de confirmer que la direction des Français à l’étranger et de l’administration consulaire a conclu un protocole d’accord avec la Défenseure des enfants.
La loi a donc permis une clarification du cadre institutionnel de la protection de l’enfance. D’importants progrès ont été accomplis en matière de coordination de l’action entre l’État, les départements et les associations.
La Défenseure des enfants tient aussi un rôle central. Vous le savez, cette autorité indépendante a été créée par la loi du 6 mars 2000. Elle est chargée de défendre et de promouvoir les droits de l’enfant tels qu’ils ont été définis par la loi et par la convention internationale des droits de l’enfant. Le Gouvernement est très attaché à cette autorité, dont l’indépendance, l’utilité et le sérieux sont unanimement appréciés.
Enfin, je ne veux pas oublier l’activité fondamentale des associations et des organisations non gouvernementales. Les associations travaillent quotidiennement au service de l’enfance en danger et ne manquent jamais, le cas échéant, d’interpeller le Gouvernement. Je les reçois régulièrement ; très récemment encore, le 5 mai, j’ai réuni le Comité national de suivi de la mise en œuvre de la loi du 5 mars 2007, et j’y ai invité les associations de protection de l’enfance afin de recueillir leurs observations sur le sujet.
J’évoquerai en quelques mots ces chantiers qui vous démontreront l’ampleur et l’engagement du Gouvernement.
Le premier chantier est celui de l’adoption. Celle-ci fait l’objet d’un projet de loi qui a déjà été déposé sur le bureau de votre assemblée, et le 28 avril dernier s’est tenu ici, au Sénat, un débat sur ce sujet ; je n’y reviendrai donc pas.
Le deuxième chantier est celui de la parentalité. Je tiens à rappeler et à saluer l’action permanente et quotidienne des nombreuses associations qui luttent contre toutes les formes de violence à l’intérieur du cercle familial et qui exercent, notamment, une action indispensable en faveur de la protection des enfants.
Le Gouvernement les soutient au travers des réseaux d’aide et d’appui à la parentalité et les points Info Famille. Ces réseaux jouent un rôle essentiel lorsqu’ils redonnent confiance aux parents et les aident dans leur rôle. Ce sont près de 6 000 actions de soutien qui ont été réalisées chaque année, et 600 000 parents en ont bénéficié. Le Gouvernement alloue des moyens à ces structures : près de 7 millions d’euros leur sont réservés cette année sur le programme 106 et, comme je l’ai déjà indiqué, la Caisse nationale d’allocations familiales est à nos côtés pour accroître cet effort.
J’ai également obtenu qu’une ligne téléphonique nationale et gratuite soit ouverte pour les parents qui sont dépassés par leur rôle : il s’agit de l’extension du numéro d’appel 119. Vous savez que cette ligne est consacrée aux enfants en danger. J’ai souhaité qu’elle soit élargie aux familles en détresse pour raccrocher à un fil ces personnes qui, quelquefois, en arrivent à des extrémités telles qu’elles éliminent l’ensemble de leur famille. Nous voudrions, avec l’ONED et son président, Christophe Béchu, que ce numéro d’appel fasse l’objet d’une grande campagne de communication et soit connu au même titre que le numéro de la police ou celui du SAMU.
Le troisième chantier, celui de la lutte contre la pédopornographie, me tient tout particulièrement à cœur. Il s’agit aussi d’une mesure de protection de l’enfance, et nul ne peut contester que le Gouvernement soit crédité d’une action constante et vigoureuse dans ce domaine.
Aujourd’hui, l’arsenal législatif français est performant. La pédopornographie sous toutes ses formes est illégale, réprimée et poursuivie. La répression pénale est complétée par des règles de procédure adéquates.
De plus, les sanctions encourues pour les infractions à caractère sexuel commises sur des mineurs sont très sévères. Les délits de proxénétisme ou la traite des êtres humains commis à l’égard d’un mineur sont particulièrement punis. Certaines sanctions ont été récemment durcies, par exemple lorsque les faits en cause concernent la pornographie mettant en scène des mineurs. En tout état de cause, le jeune âge de la victime constitue toujours une circonstance aggravante.
À côté du volet répressif, madame Campion, le Gouvernement utilise le volet préventif. Je mène une action résolue sur quatre terrains : l’amélioration de la performance des logiciels de contrôle parental ; la sensibilisation du grand public à la protection de l’enfant sur le numérique ; le blocage de l’accès aux sites pédopornographiques ; la création des conditions d’une coordination européenne.
Enfin, quatrième chantier, nous devons agir de manière déterminée en faveur de la prévention de la délinquance et cela ne peut se faire sans les familles.
C’est pourquoi nous avons créé, en 2007, les conseils pour les droits et devoirs des familles : la protection de l’enfance passe aussi par la prévention, l’écoute, la réalité du terrain, et par l’action du maire qui connaît bien les familles pouvant se retrouver en difficulté. J’ai installé au Raincy le vingt-troisième conseil pour les droits et devoirs des familles.
Il faut continuer à développer ces dispositifs, qui donnent leurs premiers résultats et constituent un outil concret au service de la protection de l’enfance.
La famille doit jouer tout son rôle. Le conseil pour les droits et devoirs des familles est le lieu où l’on reconnaît la responsabilité éminente des parents et des familles. C’est une instance de dialogue, une enceinte où le fil de la discussion peut reprendre, où chacun doit assumer ses devoirs, où chacun réapprend ses droits : le maire peut réaffirmer la valeur de la loi républicaine, les familles peuvent réapprendre le « vivre-ensemble » civique et certaines situations de violence peuvent être détectées.
Je souhaite que ces initiatives puissent être généralisées, car c’est aussi là que se jouent l’avenir de nos enfants et leur protection.
Enfin, madame Garriaud-Maylam, j’ai également travaillé à un avant-projet de loi sur l’autorité parentale et les droits des tiers afin de mieux prendre en compte la situation de ces 250 enfants qui, chaque année, sont enlevés. Ce texte comprend un volet important consistant à renforcer l’autorité parentale. Un enfant ne pourra obtenir un passeport ou une carte d’identité sans la signature des deux parents.
Nul ne peut contester que, grâce à la loi du 5 mars 2007, la protection de l’enfance constitue une priorité du Gouvernement ; elle est mise en œuvre sur l’ensemble du territoire. Nombre de départements ont déjà mis en place leur cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes, ce qui révèle une réelle volonté en la matière. Il faut aller beaucoup plus loin !
La protection de l’enfance doit toujours être améliorée ; elle doit s’adapter à l’évolution de la société, parce que les phénomènes de maltraitance des enfants évoluent. Il nous faut être vigilants. C’est pourquoi Michèle Alliot-Marie a annoncé la création de brigades de protection des familles, qui constitueront, à l’instar de la brigade de protection des mineurs, un outil indispensable pour répondre aux violences intrafamiliales et aux maltraitances dont sont victimes les enfants.
La prévention de la délinquance ne doit pas être opposée à la protection de l’enfance : l’une ne va pas sans l’autre ; elles sont complémentaires.
Voilà, mesdames, messieurs les sénateurs, la réponse que le Gouvernement souhaitait vous apporter sur ce sujet. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)