M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Escoffier.
Mme Anne-Marie Escoffier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, la question que nous abordons aujourd’hui, sur l’heureuse initiative de Mme Claire-Lise Campion, n’a rien d’anodin, puisqu’il s’agit de la protection de l’enfance. Est-il thème plus consensuel ? Il nous rassemble tous, quelles que soient nos sensibilités, nous qui sommes souvent tout à la fois sénateurs de la République et parents, voire grands-parents.
Nous voudrions tous, et vous tout particulièrement, madame la secrétaire d’État chargée de la famille, nous écrier avec Victor Hugo, notre éminent prédécesseur dans cet hémicycle : « Lorsque l’enfant paraît, le cercle de famille applaudit à grands cris. » Nous voudrions qu’il n’y ait que de bonnes fées pour se pencher sur le berceau d’enfants destinés à être heureux. Mais, malheureusement, il en va parfois autrement et il y a dans le monde, en Europe, en France, tout à côté de nous, des enfants en danger.
Dans notre pays, à haut niveau de vie et à la démocratie accomplie, il y a des enfants maltraités, victimes de violences physiques, sexuelles, mentales, des enfants confrontés à des négligences plus ou moins lourdes. Ils sont nombreux, plus qu’on ne le croit, qu’on ne le sait, qu’on ne l’imagine, si l’on se réfère aux statistiques, en particulier celles qui résultent de la Convention internationale des droits de l’enfant, adoptée par les Nations unies le 20 novembre 1989.
En France, selon un rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger, 266 000 enfants et adolescents étaient pris en charge, suivis ou placés par les services de protection de l’enfance au 31 décembre 2006, parce qu’ils étaient considérés comme étant en danger. Or 266 000 enfants, c’est l’équivalent de la population d’une ville de la taille de Strasbourg ! Ce chiffre est d’autant plus inquiétant que, loin d’être accidentel, il progresse. En 2006, il était supérieur de 4 % à celui de l’année précédente.
Devant ce problème récurrent, ce drame chroniquement exponentiel que n’expliquent pas les seuls phénomènes de paupérisation, d’immaturité, d’inculture, de développement culturel et social de la violence, le législateur est fort opportunément intervenu.
S’est ensuivie l’élaboration de la loi promulguée le 5 mars 2007, résultant d’une concertation assez large avec les associations et les professionnels de la protection de l’enfance, mais aussi avec les conseils généraux chargés de sa mise en œuvre, car ce sont bien les départements qui assurent le financement de la prévention et de la lutte contre la maltraitance des enfants.
Je crois qu’il ne viendrait à personne ici l’idée de contester cette loi adoptée par le Sénat et l'Assemblée nationale. Mais comment ne pas dénoncer l’absence des décrets prévus pour son application ? Comment ne pas s’élever contre cette funeste habitude de faire voter par le Parlement des lois rendues inapplicables ou inabouties faute des décrets y afférents.
La commission des lois du Sénat, dans son rapport annuel, a relevé combien le bilan de l’application des lois est contrasté, avec un allongement des délais d’applicabilité qui, même s’ils s’améliorent, restent beaucoup trop longs.
Il n’est ni convenable ni admissible que soit ainsi trahi l’esprit des lois, essence même de la démocratie.
S’agissant de la loi qui nous occupe, seuls quatre textes ont été pris pour son application et publiés à ce jour : deux ans de retard pour l’une des lois les plus consensuelles et les plus attendues par le monde associatif, par le monde socio-professionnel et, bien sûr, par les élus locaux.
De surcroît, c’est le décret relatif au financement de la protection de l’enfance, essentiel s’il en est, qui se fait le plus attendre. En effet, la loi de 2007 a créé dans son article 27 un Fonds national de financement de la protection de l’enfance ayant pour objet de financer les seules mesures nouvelles de la loi, estimées à 150 millions d’euros. Mais, à ce jour, point de décret, et ce alors même qu’un projet a été soumis au Comité des finances locales au mois de février 2008 !
Sans compter les 30 millions d’euros prélevés sur la Caisse nationale des allocations familiales, qui devaient être attribués cette même année à ce Fonds national de financement de la protection de l’enfance, et qui ont été réaffectés à d’autres lignes budgétaires.
Comment, madame la secrétaire d’État, expliquer ces retards, cette impéritie de l’État ? Comment les comprendre ? Peut-on admettre que l’État n’honore pas sa parole et se joue de celle du Parlement ? Vous ne pouvez pas ignorer les graves difficultés financières auxquelles sont confrontés les conseils généraux, dont les budgets sont très lourdement impactés par l’action sociale. Une fois de plus, on charge la barque des collectivités territoriales. Comment accepter plus avant la distorsion croissante entre les moyens financiers affectés et les responsabilités nouvelles ? Les départements n’ont-ils pas vu, aux termes de la loi, leurs compétences étendues à la prévention, au renforcement du suivi de la mère et des enfants, à la diversification des modes d’accompagnement et à la création d’une cellule départementale de recueil, d’évaluation et de traitement des informations préoccupantes concernant les enfants en danger ou en risque de danger ?
Fort de sa tradition humaniste, le groupe du RDSE s’émeut, madame la secrétaire d’État, de cette situation qui, dans certains cas, est dramatique. Il s’inquiète de la désinvolture du Gouvernement face à la bonne application des lois ; celle-ci nous en offre un parfait exemple.
C’est pourquoi nous attendons une réaction rapide et efficace pour qu’enfin, deux ans après sa promulgation, la loi réformant la protection de l’enfance soit totalement applicable, qu’elle soit mise en pratique, et que soit ainsi respectée la volonté du législateur.
Je ne doute pas, madame la secrétaire d’État, que vous aurez à cœur de porter ce message et, au travers de votre action, de mettre un terme aux incertitudes qui pèsent sur les collectivités locales. Car au-delà des textes législatifs et réglementaires, il y a des enfants qui souffrent dans leur être et dans leur chair, et qui ne peuvent plus attendre.
J’ai commencé mon intervention en citant Victor Hugo. Je ne voudrais pas la conclure en lui empruntant ces mots : « Cosette peut attendre ; Cosette attendra. » (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG et sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Samia Ghali.
Mme Samia Ghali. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, permettez-moi de vous dire l’importance particulière que revêt à mes yeux l’exercice du contrôle parlementaire. Si ce pouvoir est moins médiatisé et moins connu de nos concitoyens, il est pourtant essentiel à la bonne vie de notre démocratie, tant il est vrai que le crédit accordé à notre action dépend d’abord de l’efficacité réelle des lois que nous votons.
La culture de l’évaluation se répand et se normalise. Il était grand temps !
La loi réformant la protection de l’enfance a été promulguée depuis plus de deux ans. Il est donc parfaitement naturel d’en contrôler aujourd’hui les effets.
Dans son intervention, ma collègue Claire-Lise Campion a dit l’essentiel : les espoirs sont déçus ; les engagements n’ont pas été tenus ; les financements manquent.
Cette loi, comme d’autres d’ailleurs, est pleine de bonnes intentions et comporte d’excellentes dispositions. Ma collègue l’a rappelé : elle est considérée comme un bon texte et, pour en avoir discuté avec les parlementaires présents à l’époque, il semble que son élaboration ait été un exemple de l’excellence du travail administratif et parlementaire.
À chaque étape de son élaboration, le projet de loi a fait l’objet d’une large concertation avec les services de l’État, les élus, les associations et les professionnels. Le fameux Appel des 100 pour le renouveau de la protection de l’enfance avait été entendu par le ministre de l’époque, Philippe Bas.
Précédée d’un vrai débat national, qui avait regroupé les plus éminentes personnalités, des élus nationaux et locaux de tous bords politiques, ainsi que les associations nationales intervenant pour la protection de l’enfance, la réflexion gouvernementale et parlementaire avait été largement nourrie.
Le texte accorde une large place à la prévention la plus précoce, d’abord en direction des parents. Il institue, par exemple, un entretien au cours du quatrième mois de grossesse, pour identifier d’éventuelles difficultés d’ordre psychosocial pouvant compromettre l’accueil de l’enfant, et offre une aide en conséquence. Il prévoit également d’accompagner les parents confrontés à des difficultés dans l’éducation de leurs enfants, que ce soit par le biais des réseaux d’écoute, d’appui et d’accompagnement des parents, ou par des aides proposées au domicile même, comme l’assistance de techniciennes de l’intervention sociale et familiale.
Ensuite, pour ce qui est de l’enfant, la loi introduit des temps de visite médicale obligatoire dans le cadre de la médecine scolaire, afin d’assurer un suivi systématique de l’enfant tous les trois ans, de sa quatrième à sa seizième année.
Tout cela est excellent, madame la secrétaire d’État. Le discours a bien été tenu, la loi votée, le texte promulgué, mais l’application est restée très partielle et lacunaire.
Comme d’aucuns l’ont rappelé, bon nombre de décrets demeurent toujours en attente : c’est le cas de celui qui est prévu à l’article 1er de la loi, qui doit préciser le contenu de l’examen médical de prévention et de dépistage accompagnant les visites médicales programmées au cours des sixième, neuvième, douzième et quinzième années de l’enfant ; de celui qui est mentionné à l’article 24, qui doit fixer les modalités de suivi de l’organisation du travail des salariés des lieux de vie et d’accueil ; de celui qui figure à l’article 25, qui doit préciser les conditions de la formation initiale et continue dans le domaine de la protection de l’enfance en danger ; de ceux qui sont prévus à l’article 27, qui doivent, d’une part, définir les modalités de compensation des charges résultant pour les départements de la mise en œuvre de la présente loi par le Fonds national de financement de la protection de l’enfance et, d’autre part, déterminer les modalités de financement de la protection de l’enfance par un comité de gestion ; enfin, de celui qui est prévu à l’article 3l concernant le code du travail.
Vous comprendrez bien, madame la secrétaire d’État, que, pour les parlementaires, c’est à la fois une terrible frustration, car leur travail est resté sans effet, et un très grand regret, car ils espéraient de ce texte qu’il contrebalancerait le volet exclusivement répressif de la politique sécuritaire menée depuis 2002 par le Gouvernement de Jacques Chirac et son ministre de l’intérieur de l’époque, M. Nicolas Sarkozy.
La délinquance des mineurs est en effet devenue une récurrence politique, médiatique et électorale. Le temps passe vite : cela fait plus de huit ans que le Président de la République porte la responsabilité des résultats en matière de prévention de la délinquance des mineurs.
On trouve, d’un côté, une loi sur la prévention, dont les décrets d’application tardent à paraître et, de l’autre, une accumulation de textes : 9 septembre 2002, vote de la loi Perben I ; 18 mars 2003, vote de la loi pour la sécurité intérieure ; 5 décembre 2006, vote de la loi sur la prévention de la délinquance ; 26 juillet 2007, vote de la loi renforçant la lutte contre la récidive des majeurs et des mineurs et réformant l’ordonnance de 1945 relative à l’enfance délinquante. On notera également que, le 15 avril 2008, Rachida Dati, garde des sceaux, a installé la commission chargée de refondre l’ordonnance de 1945 sur les mineurs.
Au milieu de cette avalanche de textes et d’annonces figure donc la loi réformant la protection de l’enfance. Croyez bien que ce texte a été vécu par tous les professionnels, qui désespèrent du tout répressif, comme une bouée de sauvetage, notamment au regard des préconisations du rapport Benisti, qui a si largement inspiré la loi relative à la prévention de la délinquance.
Devant ces faits et ce déséquilibre patent entre les moyens donnés à la répression et ceux qui sont réservés à la prévention, comment voulez-vous ne pas en conclure que le Gouvernement mène une politique exclusivement répressive ?
Que les choses soient bien claires : je suis favorable à la sanction ; je sais comment la délinquance pourrit littéralement la vie de nos concitoyens ; je sais que la délinquance juvénile change de forme et progresse, comme la délinquance en général.
Mais je sais aussi que la délinquance se nourrit d’un terreau fertile, celui de la misère sociale et de la désespérance. Loin de moi l’idée d’excuser les coupables, qui doivent être sanctionnés. Mais quel est cet état d’esprit borné qui ne veut considérer que la réponse répressive ?
La jeunesse française n’est pas plus délinquante qu’auparavant ; elle est juste sans espoir, sans avenir et sans rêve.
Madame la secrétaire d’État, la question sociale est déterminante. Mais, en tant qu’adultes, nous sommes si mal à l’aise avec cette question et tellement incapables de prendre la situation à bras-le-corps que nous en venons à nier celle-ci.
C’est ce que vous avez fait avec le rapport Benisti et l’étude de l’INSERM, qui préconisaient, comme solution à la délinquance des mineurs, de rechercher chez l’enfant, dès l’âge de trois ou quatre ans, les signes d’une délinquance future… On a confondu facteur de risque et causalité ; on a privilégié l’inné au détriment de l’acquis : environnement social, culturel, éducatif, etc.
La loi réformant la protection de l’enfance, qui se situe aux antipodes des a priori idéologiques et du rapport Benisti, doit enfin trouver sa place et commencer à s’appliquer
Nos populations en ont besoin. Les professionnels, loin des caméras et des campagnes électorales, luttent contre la délinquance des mineurs. C’est à eux que nous devons penser aujourd’hui. Le plus bel hommage que nous pouvons leur rendre, c’est de leur donner les moyens de travailler.
Le Gouvernement doit donc publier les décrets attendus et tenir ses engagements financiers ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à Mme Isabelle Pasquet.
Mme Isabelle Pasquet. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, en 2007, lorsque le Sénat examinait en seconde lecture ce qui n’était alors que le projet de loi réformant la protection de l’enfance, le groupe communiste, républicain et citoyen s’abstenait. Je ne reviendrai pas ici sur les raisons qui nous ont conduits à faire ce choix, et je ne rouvrirai pas non plus le débat que nous avons eu alors.
Toutefois, la question posée par notre collègue Claire-Lise Campion devrait nous inviter, devrait vous inviter, madame la secrétaire d'État, à faire œuvre d’autocritique sur une loi qui, en raison des faiblesses que nous avions, comme toute l’opposition, dénoncées, est partiellement inapplicable.
Ce texte, qui visait à réformer la protection de l’enfance et qui s’inscrivait dans la suite de plusieurs affaires judiciaires douloureuses – celles d’Angers, de Drancy ou d’Outreau –, avait fait l’objet d’un assez large consensus, auquel nous avions participé en faisant le choix de l’abstention.
De nombreux espoirs étaient nés, au point que même les signataires de l’Appel des 100 pour le renouveau de la protection de l’enfance, bien que parfois critiques, soutenaient ce projet de loi.
Plus de deux ans après, l’espoir a fait place à la déception. En effet, le comité de suivi de la protection de l’enfance ne s’est réuni, à ce jour, qu’à une seule occasion alors que, de toute évidence, la situation de blocage que nous connaissons aujourd’hui aurait nécessité que ce collectif se réunît de manière plus régulière.
Quant au financement des mesures induites par cette loi, ce sont les départements qui devront, une nouvelle fois, apporter leur contribution. Ils ont vu le champ de leurs compétences s’étendre, alors qu’ils sont déjà très sollicités par ailleurs et très actifs en matière de solidarité ou de lutte contre la pauvreté.
Le désengagement de l’État devait initialement peser pour 115 millions d’euros, 30 millions d’euros devant provenir de la CNAF.
Aujourd’hui, la situation est d’autant plus grave que le Fonds national de financement de la protection de la petite enfance, prévu par l’article 27 de la loi du 5 mars 2007, n’est toujours pas créé.
Paradoxalement, la CNAF, qui s’est vu imposer, à hauteur de 30 millions d’euros, une partie du financement des mesures nouvelles issues de cette loi, en lieu et place de l’État, a bien respecté ses obligations, en tout cas partiellement puisque, en l’absence d’affectation possible, ces crédits ont été répartis sur d’autres lignes budgétaires. Reste à savoir lesquelles et, sur ce point, nous sommes dans la plus complète opacité.
Le désengagement de l’État est double : lorsqu’il ne se décharge pas de ses obligations sur les départements, il le fait sur la protection sociale. Toutefois, en l’absence de ce fonds, les départements devront assumer une dépense non plus de 115 millions d’euros, mais de 150 millions d’euros.
Cette situation, madame la secrétaire d'État, alarme de nombreux présidents de conseil général, y compris au sein de la majorité, puisque notre collègue Bernard Fournier, du groupe UMP, par ailleurs vice-président du conseil général de la Loire, vous a adressé, le 4 juin, une question écrite sur la création de ce fonds. Je reprends à mon compte ses propres mots : « Or deux ans après son entrée en vigueur, le décret instituant ce dispositif n’a toujours pas été publié. Aujourd’hui, cette situation crée de graves difficultés financières pour de nombreux conseils généraux dont les budgets sont déjà très lourdement impactés par l’action sociale ».
Les conséquences, madame la secrétaire d'État, étaient malheureusement prévisibles. En 2007, déjà, nous mettions en garde le Gouvernement contre l’un des écueils de ce projet de loi, à savoir un transfert aux départements dans un seul souci économique. Aujourd’hui, force est de constater qu’il manque à cette loi, notamment dans son volet financement, la réaffirmation du rôle central de l’État, seul à même de garantir l’égalité de traitement des familles et des enfants sur tout le territoire et d’assurer la cohérence du système.
En lieu et place de cette exigence, vous avez laissé les départements seuls face à cette nouvelle compétence.
Cette conception de la décentralisation, nous ne le répéterons jamais assez, joue contre les intérêts des populations les plus faibles, puisqu’elle repose sur une réalité bien connue : le traitement différencié en fonction de la richesse des départements.
Pour s’en convaincre, il suffit de lire le récent rapport de l’Observatoire national de l’enfance en danger, l’ONED, rendu public le 10 janvier dernier, et qui montre que, deux ans après l’adoption de la loi, seuls quarante départements sur les cent deux que compte notre pays ont mis en place un dispositif de « centralisation des informations préoccupantes ».
Une telle situation, tout le monde en conviendra ici, n’est pas sans relation avec le manque de ressources financières, aspect que j’ai déjà largement abordé.
Pour conclure, concernant la création du fonds de financement, je voudrais une nouvelle fois faire miens les propos d’un membre de votre majorité, madame la secrétaire d'État, très au fait de ce projet de loi pour avoir été le ministre qui l’a porté ici même au Sénat, M. Philippe Bas : « Il faut absolument qu’il soit mis en place si l’on ne veut pas que des enfants continuent à souffrir en silence sans que l’on s’en aperçoive. Je suis certain que la protection de l’enfance est une priorité de Mme Nadine Morano, mais je suis inquiet, car je constate que l’effort de redressement de la médecine scolaire n’est pas suffisant, que les réseaux d’écoute et d’aide à la parentalité ont vu leur budget diminuer de moitié ». Et il ajoute, ce à quoi je ne peux que souscrire : « On ne peut pas mettre les départements devant le fait accompli en leur disant : “occupez-vous en maintenant !” ».
Alors, madame la secrétaire d'État, au regard des importantes critiques, y compris de celles qu’ont récemment formulées Claude Roméo, ancien directeur de l’enfance et de la famille, et Jean-Pierre Rosenczveig, président du tribunal pour enfants de Bobigny – je n’entrerai pas dans le détail, faute de temps –, vous comprendrez que je vous invite à agir, et vite !
Il serait utile que vous nous précisiez quand sera créé ce fonds national et comment vous entendez l’abonder : en période de crise économique, la nation doit nécessairement accomplir des efforts en direction des populations les plus faibles.
Cette question est d’autant plus importante que la crise, qui prend notamment la forme d’une explosion du chômage, a pour conséquence une importante diminution des cotisations sociales alimentant la branche famille, laquelle renouera prochainement avec les déficits.
Madame la secrétaire d'État, je le répète, il est urgent d’agir. L’année 2009 n’est pas seulement celle de la célébration du vingtième anniversaire de l’adoption de la Convention internationale des droits de l’enfant ; elle est également une année de crise majeure.
Il ne suffit plus de dire que la protection de l’enfance est la priorité du Gouvernement. Si vous ne voulez pas qu’explose le nombre des enfants actuellement pris en charge, qui est déjà de 270 000, si vous ne voulez pas que d’autres ne reçoivent aucune aide parce qu’ils résident dans un département qui, faute de ressources, n’a pas créé de cellule, il vous faut agir en créant ce fonds, en l’abondant directement par des dotations gouvernementales, sans attendre un éventuel financement dans le prochain projet de loi de financement de la sécurité sociale. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. André Lardeux.
M. André Lardeux. Monsieur le président, madame la secrétaire d'État, mes chers collègues, la lutte pour la protection de l’enfance est un combat perpétuellement recommencé. À cet égard, la loi du 5 mars 2007, dû à l’engagement de Philippe Bas, engagement que vous avez repris avec détermination, madame la secrétaire d'État, constitue une avancée pour un certain nombre de dispositions.
Parmi ces mesures, qui sont bienvenues, on peut citer l’évaluation obligatoire de la situation du mineur et de sa famille, l’examen médical de prévention et de dépistage pour les enfants, l’aménagement du congé de maternité entre période prénatale et période postnatale, le renforcement de la protection des enfants contre les dérives sectaires, la pénalisation du refus de vaccination, l’élargissement des possibilités de saisine du défenseur des enfants ainsi que du Conseil national pour l’accès aux origines personnelles, la création d’un délégué aux prestations familiales si le juge l’estime nécessaire, la mise en place d’observatoires départementaux, un meilleur partage des informations entre professionnels concernés, ou encore l’amélioration du processus de signalement.
Cependant, rien n’est jamais parfait. Tout d’abord, notre système demeure extrêmement complexe, ce qui nuit à sa lisibilité. En effet, c’est l’État qui décide, qui fixe les normes, mais ce sont les départements qui mettent en œuvre les dispositifs et en financent une grande partie, à l’exception notable de la protection judiciaire de la jeunesse.
Le financement avait été l’un des principaux points de discussion en 2006 et en 2007, la réforme risquant d’entraîner des surcoûts, évalués à l’époque à 150 millions d’euros pour les départements. La question était de savoir s’il fallait les compenser. Certains répondirent « oui » – ce que la loi enregistra – au nom des charges nouvelles, d’autres « non », arguant non sans raison qu’il n’y avait pas de transfert de nouvelles compétences.
Il a été décidé de créer un fonds national de financement de la protection de l’enfance afin de compenser les charges supportées par les départements. C’est un compromis un peu bancal, car le fonds est cofinancé par l’État et par la CNAF, dont les versements sont fixés en loi de finances initiale et en loi de financement de la sécurité sociale. Cela constitue d’ailleurs pour la CNAF une charge indue, puisqu’il s’agit de financer une politique sociale, et non pas une politique familiale.
Pour le moment, ce fonds n’a pas de réalité financière. D’ailleurs, faut-il vraiment le mettre en place ? Pour ma part, je suis très réservé non pas sur les objectifs politiques qu’il permettrait de mettre en œuvre, mais sur sa faisabilité. Par rapport à 2007, le contexte a totalement changé. La situation financière de l’État n’était pas fameuse à l’époque ; elle est maintenant catastrophique, tant son impécuniosité présente repousse à fort loin son retour à meilleure fortune. Quant à celle de la CNAF, dont les perspectives étaient plutôt optimistes en 2007, son déficit prévisionnel en 2009 interdit, me semble-t-il, qu’on en rajoute.
Ensuite, tous les départements n’ont pas mis en place la cellule de recueil, de traitement et d’évaluation des informations préoccupantes concernant les enfants en danger. Il serait intéressant de connaître la liste de ces trente-deux départements concernés, et peut-être encore plus les motivations qui expliquent leurs positions.
En outre, il serait utile de connaître les surcoûts pour les départements qui ont procédé à cette évaluation. Des informations peuvent-elles nous être fournies à ce sujet ? D’après quelques sondages généraux, je n’en suis pas tout à fait certain.
Enfin, si je puis me permettre un clin d’œil, les départements ne pourraient-ils pas renoncer à la compensation, vu la détresse des finances publiques ? (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Alain Fauconnier. On emprunte !
M. André Lardeux. Cela serait inscrit en avance sur leur contribution au redressement improbable de celles-ci.
Il serait aussi prudent d’attendre les évolutions qu’induira la réforme des collectivités locales, particulièrement la suppression de la compétence générale pour les départements, ce qui pourrait leur redonner quelques marges de manœuvre.
En dehors des soucis financiers, le combat pour la protection de l’enfance doit continuer, car des évolutions inquiétantes persistent et des enfants se trouvent dans des situations de plus en plus difficiles, comme le montrent notamment les suicides d’adolescents.
Certains de ceux qui sont confiés à l’aide sociale à l’enfance, l’ASE, sont si brisés que leur situation ne relève pas de celle-ci : ils doivent faire l’objet d’une prise en charge médicale. Or on constate la tentation de les confier malgré tout à l’ASE, ce qui est très risqué pour eux et peut remettre en cause l’efficacité de l’aide apportée aux autres. En effet, on voit se développer des troubles du comportement ou des problèmes de déficience intellectuelle. De ce fait, les internats ont des difficultés à faire vivre ensemble des jeunes très différents les uns des autres, car les jeunes, de plus en plus malmenés, perdent leurs repères. Les personnels rencontrent des problèmes. Mais comment dégager les moyens nécessaires ?
Aussi, la prévention s’impose plus que jamais pour faire face à cette situation. Il y a lieu de réfléchir à l’impact des mesures sociétales sur les familles et les enfants, par exemple le travail le dimanche. Il nous faut éviter ce qui dévalorise la famille, car cela met en cause le rôle protecteur des parents. La perte du père, notamment, est pour un enfant la perte d’un repère d’autorité. La paternité est à la base de la prévention de nombreux risques sociaux, ne serait-ce que le respect de l’obligation scolaire, souvent bousculée. On doit tendre à « reparentaliser » la société ; cela limiterait les comportements à risques, souvent plus corrélés à la situation familiale qu’au contexte socioéconomique.
Le représentant du défenseur des enfants dans la région Pays de la Loire souligne que deux tiers des dossiers qu’il reçoit concernent des adolescents vivant une séparation familiale. En effet, on ne soulignera jamais assez le rôle bienfaiteur pour la société des familles, qui, malgré les aléas de la vie, continuent de s’occuper attentivement de leurs enfants. Bienfaitrices, elles le sont tant sur un plan financier, puisque la prise en charge de tous les moins de 16 ans au tarif moyen de l’ASE représenterait, selon un calcul très indicatif, 360 milliards d’euros, que sur des plans certes non quantifiables, mais essentiels.
Les familles sont le plus grand pourvoyeur de bonheur ajouté. Elles-mêmes, les enfants, comme l’ensemble de la société en bénéficient. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)