M. le président. La parole est à M. Jacques Gautier.
M. Jacques Gautier. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je remercie ceux qui, passionnés par ce débat ou par amitié, sont aujourd’hui parmi nous. Je suis sensible à leur présence.
Je veux tout d’abord saluer la décision de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne d’apporter 3 milliards d’euros à la société Airbus-EADS, qui, en raison de la crise, doit faire face à l’annulation ou au report de commandes d’appareils de la part de nombreuses compagnies aériennes. Cet engagement fort illustre bien la volonté du gouvernement français de soutenir les industriels et l’emploi, et doit nous rassurer quant à l’avenir du programme A400M, que je vais maintenant évoquer.
La question posée par notre collègue M. Mirassou, même si elle n’est pas innocente, aborde ce programme primordial pour notre pays, pour nos forces armées, pour l’Europe de la défense, les principaux industriels et avionneurs et les 33 000 emplois directement concernés par l’A400M.
Compte tenu du moratoire en cours et des négociations confidentielles entre les sept États, l’OCCAR, qui porte ce dossier, et l’industriel Airbus-EADS, il est évident que le Gouvernement ne pourra pas répondre dans le détail à la question telle qu’elle a été formulée. Il est en revanche possible à la représentation nationale, qui n’est pas partie prenante dans les discussions, de faire le point sur ce dossier et d’en évoquer les perspectives.
Le 4 décembre 2008, vous le savez, le président Jean Arthuis, pour la commission des finances, et le président Josselin de Rohan, pour la commission des affaires étrangères de la défense et des forces armées, désignaient Jean-Pierre Masseret et moi-même pour conduire au nom des deux commissions une étude sur ce programme dont les retards et les incertitudes ne pouvaient que nous inquiéter.
Après deux mois d’un travail passionnant et acharné, rythmé par de très nombreuses auditions, nous avons pu présenter notre rapport le 10 février dernier devant les deux commissions réunies, qui ont décidé à l’unanimité de le rendre public et de nous missionner pour assurer le suivi du programme A400M.
Je tiens à rappeler qu’il s’agissait pour nous non pas de s’ériger en juge du contrat ou de rechercher des coupables, mais d’essayer de comprendre le déroulement des faits et de proposer des solutions. L’A400M – ne l’oublions pas – s’inscrit dans une approche commerciale et est donc un formidable vecteur de richesses tant économiques que technologiques.
Par ailleurs, nous avons recherché des propositions palliatives pour combler le trou capacitaire que vont rencontrer – nombre de nos collègues ont insisté sur ce point – nos forces armées dans ce domaine.
Nous avons bien entendu demandé une renégociation du contrat en cours pour que, au-delà des clauses contractuelles, chacun assume sa part de responsabilité, de façon que « vérité et culture du résultat » soient au cœur du débat entre les États et les industriels.
Enfin – c’était le moins que nous puissions faire –, nous avons formulé un certain nombre de recommandations pour que ce type de difficultés ne se reproduise plus dans les futurs programmes français ou européens.
Mes chers collègues, que savons-nous aujourd’hui avec certitude ?
Le 21 avril dernier, les sept pays qui ont commandé les 180 exemplaires de l’A400M pour un coût de 20 milliards d’euros ont signé, via l’OCCAR, un contrat dit stand still, ajournant pour trois mois l’application du contrat actuel avec Airbus-EADS.
Les parties liées, y compris l’industriel, se sont donc données jusqu’à fin juin pour jeter les bases du nouvel accord sans remettre en cause les clauses du contrat en cours.
Je tiens à témoigner devant vous de l’engagement personnel de M. Hervé Morin, ministre de la défense, dans le suivi de son dossier, y compris pour éviter que les Britanniques ne sortent du programme.
Dans un premier temps de négociation, la méthode utilisée, via l’OCCAR, qui était certes la plus rigoureuse, s’est avérée trop lente : un mois et demi pour obtenir une position commune.
Je me réjouis que le choix d’un représentant d’un État leader ait été retenu comme nous l’avions préconisé, même si je regrette – je le dis clairement – que la proposition de la ministre espagnole de la défense, Mme Carme Chacon, de voir la France prendre le leadership des travaux n’ait pas été acceptée par les Britanniques. C’est donc un Belge qui conduit avec efficacité les négociations.
Parallèlement et sans attendre, EADS a provisionné plus de 2,2 milliards d’euros pour faire face aux risques éventuels liés à ce programme. De plus – j’y insiste –, dès le 16 décembre 2008, M. Louis Gallois a mis un terme à une organisation managériale complexe retenue en 2002, qui se voulait un compromis entre la volonté de permettre au programme A400M de disposer des moyens d’Airbus et celle de reconnaître à l’industrie espagnole une prééminence au sein d’EADS en matière d’aviation militaire, via Airbus Military Corporation.
La décision prise d’intégrer la partie militaire comme division d’Airbus sous le nom d’Airbus Military a donné plus d’efficacité, de réactivité et de cohérence à l’action managériale.
De même, le consortium des motoristes EPI Europrop, regroupant SNECMA du groupe Safran, Rolls-Royce pour le Royaume-Uni, MTU pour l’Allemagne et ITP pour l’Espagne, avait connu, nous le savons tous, des problèmes importants de coordination du fait de l’absence initiale de hiérarchie entre ces quatre sociétés constituantes.
Consciente de ce problème, la direction d’EPI a été recentrée depuis juin 2007 autour de SNECMA et de Rolls-Royce. On ne peut que s’en féliciter.
En ce qui concerne le trou capacitaire pour nos forces armées, sujet qui a été largement évoqué tout à l’heure, un consensus entre les divers intervenants – ministère, CEMA, DGA et armée de l’air – semble, d’après les informations dont nous disposons, se dégager pour apporter une solution dans les deux domaines que couvre l’A400M : d’une part, le transport stratégique longue distance et forte capacité et, d’autre part, le volet tactique avec « poser d’assaut » sur terrain difficile.
Pour la partie stratégique, le contrat SALIS évoqué tout à l’heure, liant quinze pays dont la France, nous permet d’affréter des Antonov 124-100 auxquels nous avons déjà recours et qui peuvent transporter des charges lourdes, y compris des blindés, sur des longues distances. Il faut poursuivre et si nécessaire développer ces affrètements.
L’autre opportunité complémentaire est l’achat ou la location de trois A330-200 MRTT – avion multi-rôle de ravitaillement en vol et de transport –, sachant que la France a prévu d’acquérir ce type d’appareil à partir de 2015 pour remplacer les avions « citerne », les KC-135. La version modifiée transport de l’A330-200 est donc une réponse intelligente et rapide à nos besoins, puisque trois appareils sont quasiment disponibles.
En revanche, l’achat de Boeing C-17 très chers – 240 millions d’euros – et à la maintenance complexe semble écarté, ce dont je me réjouis.
Pour le volet de transport tactique, les perspectives sont plus délicates, d’autant qu’il est essentiel de maintenir la compétence opérationnelle de nos équipages capables de poser leur Transall ou leur Hercule de nuit à peu près n’importe où.
Une solution semble s’imposer. Il s’agit de prolonger le cycle de vie d’une dizaine de Transall C-160 pour un coût qui ne devrait pas excéder 100 millions d’euros. Ce choix s’accompagnera nécessairement d’un allégement des vols des C-160 et des C-130 en faisant l’acquisition d’une dizaine de Casa 235, appareils déjà en service dans nos forces et particulièrement efficaces pour le brouettage ou le largage des parachutistes.
Ces acquisitions supplémentaires seront de toute façon nécessaires avec l’arrivée de l’A400M, qui n’est pas destiné à ce type de mission.
La piste de l’achat de la nouvelle version du Lockheed C-130J présente à mes yeux trois inconvénients. Ces appareils ne seront disponibles que dans trois ou quatre ans, c'est-à-dire au moment de l’arrivée de l’A400M. Ils nécessiteraient une nouvelle formation des pilotes, compte tenu de la configuration différente des C-130 que nous utilisons actuellement. Enfin, la multiplication des types d’appareils en service ne faciliterait pas une maintenance performante et économique. J’espère que nous n’irons pas dans ce sens.
Où en est l’avion lui-même ? C’est le nœud du problème.
Le banc d’essai volant, c'est-à-dire un C-130 avec trois moteurs de C-130 et un moteur d’A400M, a déjà effectué, depuis la fin du mois de décembre 2008, trente-cinq heures de vol sur les cinquante prévues. Le moteur turbopropulseur de 11 000 chevaux, le plus puissant jamais construit en occident, ne rencontre pas de problème majeur, pas plus d’ailleurs qu’au banc d’essai au sol où le moteur a déjà effectué plusieurs milliers d’heures de bon fonctionnement.
Par ailleurs, le FADEC, ce système numérique de régulation des moteurs et des hélices, fourni par EPI comme les moteurs, qui avait connu des difficultés et des retards de mise au point, fonctionne maintenant de façon satisfaisante et devrait recevoir sa certification civile avant septembre prochain.
Tous ces éléments font que la date du premier vol de l’A400M avec ses quatre moteurs devrait être confirmée pour décembre 2009 ou le tout début de 2010. C’est donc une date sur laquelle les constructeurs devront s’engager.
Le moratoire va-t-il aboutir ?
J’ai insisté tout à l’heure sur la volonté partagée des responsables politiques des divers États partenaires d’aboutir à un accord, et les députés de la Grande Assemblée nationale de Turquie, que notre commission a reçus voilà quelques jours, nous ont confirmé leur soutien total à ce programme.
Tout porte à croire – j’entre dans une partie conditionnelle, car ces discussions sont confidentielles – que les négociations sont conduites dans deux domaines complémentaires.
Le premier concerne le calendrier des livraisons, vraisemblablement à partir du début de l’année 2013, avec au moins – c’est une différence par rapport au contrat – deux standards d’appareils, l’un dit « basique », immédiatement disponible en 2013, et le suivant dit « complet », qui viendrait plus tard, et certainement une réduction ou la suppression de certaines spécifications difficiles à réaliser technologiquement aujourd’hui. Je pense notamment au TRN, système calculant la position géographique de l’avion en comparant sa hauteur réelle par rapport au sol à une fiche numérique de terrain sans recourir au GPS, et surtout au TMLLF, ou Terrain Masquing Low Level Flight, demandé par les seuls Allemands.
Le second volet, certainement plus délicat, concerne les décisions de report des pénalités qui peuvent s’imposer à l’industriel, la révision du prix à l’unité, l’abandon du PIB comme critère d’indexation – compte tenu de la crise économique, le PIB baisse et, à l’évidence, le coût annuel progresse pour l’appareil –, mais aussi la réduction du nombre d’appareils commandés par les États.
Il faut – je le dis clairement, monsieur le secrétaire d’État – que des solutions intelligentes soient trouvées, quitte si nécessaire à repousser le moratoire jusqu’à fin août et au-delà.
J’ai souligné la volonté forte de la France de faire aboutir ce programme, et, puisque notre collègue Jean-Jacques Mirassou nous en donne ici l’occasion, je voudrais, au nom du groupe UMP du Sénat, apporter un soutien sans faille à l’Airbus A400M et à l’action du Gouvernement.
L’abandon de ce programme, emblème de l’Europe de la défense mais aussi fer de lance du savoir-faire de ses industriels, aurait des conséquences catastrophiques pour l’Europe, nos forces armées mais aussi pour l’avionneur, l’ensemble des sociétés sous-traitantes et les 33 000 emplois qui y sont liés.
M. Yvon Collin. Absolument !
M. Jacques Gautier. Cela signifierait que la France et l’Europe renonceraient pour plusieurs décennies à maîtriser la recherche et la technologie dans ce domaine et s’obligeraient à acheter du matériel américain.
Je souhaite donc que, au-delà du groupe UMP, nous soyons des sénateurs pionniers d’une véritable politique industrielle de défense européenne et soutenions ensemble le programme A400M. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Yvon Collin.
M. Yvon Collin. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, débattre de l’avenir de l’A400M, c’est évoquer des enjeux colossaux : sept nations, 180 appareils, 145 millions d’euros par avion livré, ce n’est pas rien !
Il est inutile de rappeler que l’A400M est un projet ambitieux qui, dès 1992, symbolisait l’accord des États européens pour s’équiper ensemble afin de répondre à un besoin militaire opérationnel.
Si on peut l’accuser de pêcher par excès, l’A400M, appareil de transport militaire, est avant tout l’avion des défis : défi technique, défi industriel, mais aussi défi européen.
Nous devons relever ces défis, et les relever tous ! Les sénateurs du RDSE, à commencer par mon collègue Jean-Pierre Plancade, qui connaît bien le dossier de l’A400M et qui a attiré l’attention du Gouvernement à de nombreuses reprises sur ce sujet, apporteront leur soutien à ce beau projet, complexe mais essentiel, afin qu’il aboutisse sans tarder.
Monsieur le secrétaire d’État, l’heure n’est plus aux tergiversations.
Bénéficiant des synergies de la gamme Airbus et de composites plus légers, l’A400M est un avion innovant. Il dispose des modes d’actions militaires lui permettant d’évoluer dans un milieu hostile et il est également équipé des turbopropulseurs les plus puissants du monde occidental, développés spécifiquement pour cet appareil. Il se distingue de ses concurrents américains par son autonomie en vol et sa capacité d’emport deux fois plus importante.
Le programme A400M est indéniablement un grand défi industriel. La clause d’allocation du travail, notamment, donne l’occasion aux industries de pointe européennes de participer, chacune dans sa spécificité, à la concrétisation d’un projet européen. Des compétences sont ainsi mises en exergue sans alourdir la distribution des tâches par le « juste retour ».
Quand à l’intérêt stratégique, il est évident : il permettrait à notre pays d’équiper nos armées avec un appareil issu de l’industrie européenne, et donc de ne pas être dépendant de l’industrie américaine.
Toutefois, le pari gagnant-gagnant fait à l’époque se révèle désormais comme un challenge audacieux, dont certaines dimensions ont pu être sous-estimées.
Enfin, la commande initiale a probablement été surévaluée. Le délai de livraison, soumis aux exigences de l’armée britannique, a été réduit à l’excès – six ans au lieu des dix ans au minimum –, ce qui concourt à évoquer de plus en plus la question de l’abandon.
Au-delà du sort même d’EADS, qui devrait rembourser presque 6 milliards d’euros au titre des avances gouvernementales, le renoncement au programme me semble tout simplement inconcevable !
Quel visage donner au reste du monde, monsieur le secrétaire d'État ? Celui d’une Europe qui aurait plus d’appétit que de compétences ? Quelle serait alors votre stratégie ? Nous attendons des réponses précises sur ce point.
Ne cédons pas au pessimisme ! L’A400M est un bon programme et son aboutissement doit être une priorité. Néanmoins, le temps nous est compté. Les Britanniques ont accepté de revenir à la table des négociations, ce qui est une bonne chose. Leur capacité stratégique n’étant pas inquiétée, on peut craindre que leur petite commande – vingt-cinq engins – ne les conduise probablement à abandonner le projet.
Les États peuvent contractuellement abandonner le programme depuis avril 2009, puisque le premier vol accuse un retard de quatorze mois.
Monsieur le secrétaire d'État, nous bénéficions d’un moratoire de trois mois, mais le couperet tombera au 1er juillet prochain, ce qui est, vous en conviendrez, proche. Qu’en est-il des tractations menées lors des mois écoulés ? N’y a-t-il pas urgence à réunir les exécutifs responsables du programme ?
L’aboutissement du programme est – il faut le rappeler – de la responsabilité du Gouvernement. Le ministre de la défense a déclaré : « Il faut trouver des solutions palliatives. » L’une d’entre elles est l’achat de C-130J. Que les choses soient claires : nous ne pouvons nous résoudre à accepter une telle éventualité, et ce sentiment me paraît partagé par tous ici !
Le programme est fixé et les exigences technologiques sont déterminées. On ne peut revenir au débat initial tranché en 1998, notamment à la suite du rapport Lelong.
Disons-le clairement, l’alternative américaine n’est pas plus qu’hier envisageable. Pouvez-vous, monsieur le secrétaire d'État, nous apporter des garanties à ce propos ? Des avions trop chers, trop lourds, achetés sous prétexte qu’ils pourraient être livrables – je dis bien « livrables », car, finalement, rien n’est moins sûr ! – avant l’A400M. En cette période de crise, il n’est pas acceptable d’annoncer un investissement dans l’industrie aéronautique américaine, laissant de côté plus de 7 500 emplois européens, 33 000 emplois avec les sous-traitants. J’en mesure d’autant plus les conséquences que, comme notre collègue Jean-Jacques Mirassou, je suis un élu du territoire directement concerné par cette industrie.
La réaction aurait pu être anticipée : il aurait fallu réengager les négociations dès les premiers retards, reprendre un peu du hands off et imposer un leadership, dégager un chef de file, un responsable du programme. Avec un retard annoncé de quatre ans, le calendrier est maintenant connu. Il reste à agir, à engager la renégociation, à améliorer la coordination, et à formaliser. Il n’est pas trop tard.
Les atermoiements liés à l’obtention de la certification civile doivent être, eux aussi, rapidement tranchés. Cette question vous oppose à EADS, monsieur le secrétaire d'État. Les avions concurrents ne disposent que du complément de certification civile. Si la qualification militaire est suffisante, ne nous bornons pas, et soyons pragmatiques !
Le programme doit être maintenu dans les grandes lignes, et les difficultés techniques surmontées grâce à un investissement collectif.
L’entreprise qui contribue à être notre vitrine européenne ne doit pas être pénalisée, mais EADS doit être mise devant ses responsabilités. Les défauts d’organisation et de coordination internes lui incombant ne doivent pas être renouvelés.
Il est plus que nécessaire de formaliser l’engagement sur les délais. II nous faut mandater l’OCCAR pour renégocier le contrat sur des aspects techniques en échange d’un calendrier précis. Le moteur et son système informatique, le FADEC, jouent les prolongations, mais gardons-nous de signer un contrat indépendant avec le motoriste, ce qui reviendrait à déplacer le risque pour les États, sans augmenter le niveau de pression.
Le projet doit être enfin piloté. Il n’est pas trop tard pour désigner un État leader, ce qui permettrait de régler au fur et à mesure les détails techniques et de mener à bien ce programme dans le respect du cahier des charges.
Le défi demeure européen. Le Livre blanc sur la défense préconise la dynamisation de l’industrie de défense européenne. Lors de son discours sur la défense et la sécurité nationale, le 17 juin 2008, le Président de la République ne déclarait-il pas ceci : « Les défis actuels appellent des réponses collectives et coordonnées » ? C’est tout ce à quoi répond l’A400M !
La volonté politique doit permettre de relancer le projet et de le mener à bien. Il est temps que l’Europe et la France s’en donnent les moyens, et pas seulement budgétaires. Monsieur le secrétaire d'État, nous attendons beaucoup des réponses que vous nous apporterez. L’A400M a trop longtemps été synonyme d’un formidable espoir déçu. Voilà un dossier qui exige, si j’ose dire, la rupture.
Vous l’aurez compris, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, le groupe du RDSE souhaite et soutient l’aboutissement et la concrétisation la plus rapide possible de l’A400M ; j’ai cru comprendre que tous ici partagent ce souhait. (Applaudissements.)
M. Jean-Marie Bockel, secrétaire d'État à la défense et aux anciens combattants. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, quelle excellente idée d’avoir organisé ce débat ! Celui-ci arrive à point nommé, au moment même où les négociations sont en cours et qu’un certain nombre de discussions sont en train de se nouer. Il est important que la représentation nationale, tout particulièrement le Sénat, qui a réalisé un travail important sur la question, puisse conforter et soutenir en quelque sorte la démarche forcément difficile – mais nous sommes optimistes ! – dans laquelle nous sommes engagés.
Je tiens ici à souligner la qualité du rapport d’information de Jean-Pierre Masseret et Jacques Gautier, qui a contribué à clarifier les enjeux. Il donne une bonne base de discussion, qui nous permettra d’avancer dans les meilleures conditions possible.
Ce rapport d’information dresse un tableau particulièrement complet et bien documenté du programme A400M. Il montre que ce programme, dès la signature du contrat, a été assez complexe, comportant un certain nombre de risques et de défis, du fait notamment de la réduction des commandes des États entre la phase de définition de besoins et le lancement effectif.
La cible, rappelons-le, est passée de 291 unités à 180 unités, ce qui a contribué dès le départ à faire s’envoler les prix unitaires.
Depuis la fin de 2007, ainsi que vous l’avez indiqué, le programme traverse une phase de turbulences, parfois fortes, mais d’aucuns parmi vous, spécialistes de cette question, se souviennent sans doute qu’il en a été de même, en son temps, pour l’hélicoptère NH90, qui a failli passer à la trappe.
Le programme a dû sa survie aux clauses contractuelles particulièrement pénalisantes pour les États parties prenantes en cas de retrait. En dépit des difficultés techniques afférentes à la multiplicité des versions commandées par les huit nouveaux États clients à l’époque, qui ont rejoint les quatre États d’origine, sa poursuite se révèle aujourd'hui un succès commercial et politique.
Le besoin en hélicoptères de transport se confirme au fil des opérations extérieures, tout comme le besoin d’avions de transport.
Il ne faudrait donc pas, dans le cas de l’A400M, prendre prétexte des clauses contractuelles défavorables à l’industriel pour commettre l’irréparable et dénoncer le contrat à ses torts, enterrant ainsi le programme le plus emblématique de l’Europe de la défense.
Je vous rejoins tous, le besoin de trouver un successeur au Lockheed C-130 est avéré. En dépit des nombreux liftings subis par cet excellent avion depuis son premier vol au début des années cinquante, la conception de ce dernier est aujourd’hui dépassée.
Il nous faut donc trouver une solution « gagnant-gagnant », et nous sommes tous convaincus ici, me semble-t-il, de la nécessité de soutenir les efforts déployés par la France pour rechercher les meilleurs compromis possible avec nos partenaires et avec l’industriel. Il y va de la crédibilité de l’Europe de la défense, qui monte en puissance, de mener à bien le plus important programme jamais passé en Europe en matière d’armement.
Dans le cadre de la négociation actuelle avec nos partenaires étatiques pour trouver les compromis permettant la poursuite du programme, il nous faut toutefois être conscients des défis sérieux à relever.
En effet, notre besoin de reconstituer notre capacité de transport est urgent, et les solutions sur étagère sont peu attractives. Toutefois, vous comprendrez aisément qu’il n’est pas question pour moi de préjuger ces discussions, alors que M. Hervé Morin est en ce moment même en pleine discussion à Bruxelles avec ses homologues concernés par l’avenir de l’A400M.
À ce propos, je ferai un point de situation sur certains aspects de la négociation en cours.
Hervé Morin a récemment répété à M. Louis Gallois son attachement, ainsi que celui du Gouvernement, à l’aboutissement de ce programme. Il en est, vous le savez, un ardent défenseur. Je m’en suis également entretenu hier encore avec M. le Premier ministre, qui connaît bien les questions de défense et est également sur la même ligne politique.
Mais il faut que les conditions du dialogue ne rendent pas impossible la mise en œuvre de cette volonté. Aujourd'hui, la discussion se passe à la fois avec l’industriel EADS et surtout, je le répète, avec nos partenaires européens.
Certes, il est difficile de discuter à sept avec des pays qui n’ont pas forcément la même volonté de poursuivre ce programme et n’ont pas non plus les mêmes problématiques budgétaires que les nôtres. Tel est d’ailleurs l’objet des discussions qui ont lieu actuellement à Bruxelles entre M. Hervé Morin et ses homologues.
Fin juin, à Séville, nous aborderons une nouvelle phase qui nous permettra, dans l’hypothèse où les choses vont dans le bon sens – nous y travaillons et nous y croyons ! –, de renégocier les termes précis du contrat autour de quatre problématiques : la prise en charge du risque industriel, la réactualisation du coût du programme, les clauses de révision de prix et les pénalités.
Si tout le monde y met de la bonne volonté, nous devrions y arriver. En tout cas, nous faisons tout pour qu’il en soit ainsi, car la question de la pertinence de ce programme ne se pose pas.
Vous l’avez tous souligné, l’A400M est moins cher que le C130J américain, avec des capacités d’emport nettement supérieures et de réelles chances à l’exportation. Concernant les essais, nous avons de bons échos de la Délégation générale pour l’armement. La question est maintenant de savoir si les Européens ont assez de volonté, et EADS assez de souplesse, pour que nous puissions trouver un terme permettant à l’industrie de poursuivre le programme et aux budgets nationaux de ne pas être affectés de manière excessive.
Par ailleurs, avec l’industriel, « l’accord de trêve » signé en avril dernier suspend l’application, et donc la possible dénonciation du contrat aux torts d’AMSL. Les dernières nouvelles données par Louis Gallois sont plutôt satisfaisantes, puisque celui-ci escompte un premier vol de l’A400M avec ses turbo-pulseurs de 11 000 chevaux en décembre 2009 ou au tout début de l’année 2010, ce qui permettrait d’assurer les premières livraisons en 2013. L’horizon est donc proche.
Il nous reste maintenant à régler, comme vous l’avez tous indiqué, la période intermédiaire entre maintenant et l’arrivée des A400M dans nos forces. Il suffit de considérer les projections de nos forces pour constater que cette question se pose très concrètement, en dépit des trésors d’ingéniosité déployés par nos techniciens pour pérenniser les matériels existants.
Pour le transport stratégique, le contrat d’affrètement SALIS nous permet, comme aux autres États parties de continuer, voire d’intensifier, le recours à des Antonov 124.
L’étude d’une commande anticipée de trois Airbus A330-200 MRTT se poursuit, et cette piste nous semble très pertinente, voire la plus intéressante.
Pour le transport tactique, a été prise la décision de principe de rénover dix C-160 Transall et de les prolonger en service au-delà de 2015, ce qui répond à la question soulevée tout à l'heure par M. Claude Biwer.
Nous avons mis également à l’étude l’acquisition ou le leasing de quelques avions Casa en complément de ceux dont nous disposons déjà et qui nous donnent satisfaction.
Le facteur commun guidant la réflexion actuelle est d’éviter la multiplication des types d’avions de transport en service dans l’armée de l’air, et ce pour une double raison, à savoir la formation des équipages et la bonne gestion de la maintenance d’un parc le plus homogène possible.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, j’en viens maintenant à quelques remarques très rapides en complément des réponses à vos interventions.
Monsieur Jacques Gautier, je vous remercie d’avoir reconnu fort justement la volonté de M. Hervé Morin de maintenir les Britanniques dans le programme, ainsi que le rôle de M. Louis Gallois pour intégrer le programme de l’Airbus A400M dans la maison mère Airbus Industrie.
S’agissant des autres points que vous avez abordés, j’y ai répondu par avance dans la première partie de mon intervention.
Monsieur Jean-Jacques Mirassou, au début de votre propos, vous avez regretté la fermeture de la base aérienne de Francazal. Elle fait partie du plan de resserrement du dispositif des armées sur le territoire national. Toutefois, les unités de l’armée de terre seront maintenues et, en 2011, sera créé à Toulouse un régiment du Commissariat.
Monsieur le sénateur, je partage votre point de vue sur l’importance du programme de l’Airbus A400M, sur les plans tant stratégique, tactique qu’industriel. Il n’est nullement dans l’intention du Gouvernement, du ministère de la défense en particulier, d’abandonner ce programme emblématique pour l’Europe ; je crois l’avoir laissé entendre dans mon propos.
Monsieur le sénateur, vous avez également, comme d’autres, évoqué l’achat de Boeing C17 pour palier le manque de moyens de transport stratégique. Je peux vous assurer qu’un tel achat est exclu.
Certes, j’y ai fait allusion tout à l’heure, il faudra assurer la jointure entre la fin du Transall et l’arrivée de l’A400M. L’une des pistes explorées pourrait être, dans le cadre de l’OTAN, la Capacité de transport aérien stratégique, ou SAC, c’est-à-dire la location d’heures de vol sur l’avion de transport stratégique C17.
Monsieur Biwer, selon vous, le retard de l’A400M pourrait remettre en cause la capacité de projection de nos forces armées. Il est vrai que nous rencontrons des difficultés tous les jours. Nous sommes néanmoins déterminés à poursuivre le programme de l’Airbus A400M et à trouver, au fil des années et cela jusqu’à la livraison, les moyens de répondre de la meilleure manière à ces difficultés.
Vous avez vous-même insisté, comme plusieurs de vos collègues, sur l’intérêt de poursuivre un tel programme pour les nombreuses entreprises qui y participeront et donc pour tous les emplois en jeu. Au-delà de la dimension stratégique, qui est la plus importante, et de notre capacité de projection, cet aspect économique relatif aux entreprises et aux emplois est également déterminant pour nous.
Après chaque programme aéronautique réussi, qu’il soit militaire ou civil, et lancé pour une période très longue, les retombées que nous connaissons font assez vite oublier les efforts accomplis, les difficultés rencontrées, le volontarisme nécessaire pour soutenir à bout de bras la démarche, les phases laborieuses traversées, comme celles qui ont précédé la création de l’hélicoptère NH-90.
Abandonner le programme serait la pire des choses et aurait un coût certainement supérieur au surcoût dû au retard causé par les obstacles que nous avons à surmonter. En toile de fond de ce programme, nous devons garder à l’esprit cet élément à la fois philosophique et politique !
Madame Michelle Demessine, selon vous, le programme de l’Airbus A400M est un fiasco. Vous auriez pu mettre en avant la grande ambition qu’ont les Européens de développer un avion n’ayant rien à voir avec les avions de transport militaire actuels ! Cela dit, au fil de votre intervention, j’ai compris que vous étiez quand même attachée à ce que nous surmontions les difficultés actuelles, afin que ce programme ne soit pas un fiasco. (Mme Michelle Demessine acquiesce.)
Monsieur Jacques Gautier, comme vous l’avez dit à la fin de votre propos, sur un sujet aussi important pour notre pays et pour l’Europe, il faut des éléments de consensus. Je pense vraiment que nous parviendrons, avec nos partenaires, à nous donner les moyens de surmonter les difficultés.
Madame Michelle Demessine, le fait que le président Nicolas Sarkozy et la chancelière allemande Angela Merkel aient décidé aujourd’hui même de proroger le délai de six mois est plutôt une bonne nouvelle quand on connaît la détermination de l’un et de l’autre sur ce dossier. Cela permettra la réussite du programme.
Votre sévérité à l’égard de l’Organisation commune de coopération en matière d’armement, l’OCCAR, est injuste. C’est le premier programme conduit par cette agence internationale voulue par les Européens. J’en suis un fervent partisan, car il est très important pour la défense européenne, notamment en matière d’armement, en raison de divers enjeux : mutualisation des moyens, innovation, économie, emplois... Avec le contrat OCCAR, les États sont en posture de négocier sérieusement.
Monsieur Yvon Collin, je vous ai répondu par avance en m’adressant à Mme Michelle Demessine. Cela dit, je vous confirme que le moratoire de trois mois signé pour l’A400M doit être prolongé. Il est bien que M. Sarkozy et Mme Merkel se soient accordés pour proroger le programme de six mois. Cette nouvelle qui vient de tomber ne peut que confirmer les volontés française et allemande de réussir ce programme de l’Airbus A400M. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste. –M. Alain Fauconnier applaudit également.)