M. Richard Yung. C’est vrai !
Mme Nadine Morano, secrétaire d'État. Désormais, les travailleurs intérimaires devront partout être traités sur un pied d’égalité avec les salariés de l’entreprise dans laquelle ils exercent leurs missions, comme c’est déjà le cas en France.
La directive sur le comité d’entreprise européen a été révisée, comme le réclamaient les syndicats européens depuis 1999. Ce texte, qui concernera 880 entreprises européennes et 15 millions de salariés européens, permettra de renforcer le dialogue social en Europe.
Le règlement de coordination des régimes de sécurité sociale a connu une refonte importante. Certes, il s’agit d’un exercice technique et complexe, qui a néanmoins un impact direct sur la situation de tous les citoyens en Europe et de leurs familles. Modernisé, ce règlement garantit le maintien d’une affiliation à la sécurité sociale pour tous les citoyens européens, la reconnaissance des droits acquis d’un pays à l’autre – pour la retraite, par exemple – et l’égalité d’accès aux prestations de chaque État membre.
Je pourrais également citer un accord sur la transposition en Europe de la convention maritime de l’organisation internationale du travail en 2006 – là encore, nous nous sommes appuyés sur les partenaires sociaux – qui renforce les droits et protections des 300 000 marins soumis au droit communautaire.
Un accord sur les principes communs d’inclusion active a également été trouvé. Il s’agit d’une stratégie commune européenne pour lutter contre la pauvreté, promouvoir un revenu minimum dans chaque État membre qui puisse s’inscrire dans des politiques actives de retour à l’emploi. C’est bien la preuve que, à l’échelon européen, la question de l’exclusion est au cœur de nos préoccupations.
Une feuille de route a été adoptée, que la Commission s’est engagée à mettre en œuvre, visant notamment à garantir une meilleure sécurité juridique aux prestataires de services sociaux d’intérêt général vis-à-vis des règles des marchés publics.
En collaboration avec la Commission, a été lancée une évaluation de la situation résultant des arrêts de la Cour de justice des Communautés européennes – arrêts Laval, Viking, Rüffert et Luxembourg – sur le détachement des travailleurs, pour identifier les failles de la mise en œuvre de la réglementation européenne en ce domaine, étant entendu que, le cas échéant, cette dernière devra faire l’objet d’une révision. Les partenaires sociaux européens ont entamé cette tâche ardue.
Nos travaux ont également laissé une large place à la famille, en particulier aux mesures en faveur de l’activité des femmes et de l’égalité professionnelle.
Outre les avancées concrètes que je viens de rappeler, nous avons aussi posé les fondements d’un nouveau consensus entre les États membres sur la dimension sociale de l’Union européenne. Tous ces clivages paralysaient en effet les travaux du conseil « Emploi, politique sociale, santé et consommateurs », dit « conseil EPSCO », notamment depuis 2004.
Nous avons proposé un programme de travail pour mettre en œuvre l’agenda social renouvelé de l’Union européenne. Nous avons mené à bien une mission européenne sur la flexicurité, avec Gérard Larcher et le commissaire Špidla, afin de rechercher un juste équilibre entre la flexibilité et la sécurité dont ont respectivement besoin les entreprises et les salariés.
Cette mission a reçu un accueil très positif dans des pays aussi divers que la Suède, l’Espagne et la Pologne. Signe de son succès, les partenaires sociaux européens y ont participé et en ont approuvé les conclusions.
Il importe, par ailleurs, de relancer le dialogue social européen.
Le dialogue avec les partenaires sociaux constitue en effet l’un des piliers du modèle social européen. Il est la clé de réussite de l’Europe sociale. La présidence française a donc souhaité associer étroitement l’ensemble de ces partenaires sociaux.
En bref, la présidence française aura conduit à l’affirmation de la dimension sociale de l’Europe, grâce à l’adoption de textes qui étaient en discussion depuis plusieurs années et de principes communs d’action, et je répète que ce résultat est dû à une collaboration étroite avec les partenaires sociaux européens.
La France tire aujourd'hui les bénéfices des efforts qu’elle a déployés lors de cette présidence. Face à la crise, nous disposons désormais d’instruments européens rénovés, qu’il s’agisse du Fonds européen d’ajustement à la mondialisation ou encore du Fonds social européen, qui ont été adaptés, sur une impulsion forte et décisive de la France, afin qu’ils soient mieux utilisés en cette période de crise. Je vous rappelle que ces fonds jouent un rôle de levier. Ils doivent compléter les financements nationaux et cibler des priorités définies au plan européen.
Quel avenir pour la dimension sociale de l’Europe ?
Je veux insister sur la nécessité de promouvoir des avancées concrètes dans les mois et les années qui viennent pour les citoyens, pour les travailleurs et leurs familles. Il faut ainsi continuer à améliorer les droits des citoyens européens, qu’il s’agisse de l’égalité de traitement dans tous les cas de discrimination possibles, de l’égalité entre hommes et femmes ou encore de la conciliation entre vie familiale et vie professionnelle.
Il faut aussi améliorer les garanties en matière de droits sociaux nationaux lorsque ces derniers entrent en conflit avec des règles communautaires, comme celles du marché intérieur. À cet égard, il faudra être attentif aux suites de l’arrêt Laval et aux travaux que les partenaires sociaux européens ont engagés.
Il faut également poursuivre la réflexion menée, sous la présidence française, sur les services sociaux d’intérêt général, sur la formation professionnelle, qui est la clé à la fois de la sécurisation des transitions professionnelles, de l’amélioration de l’insertion des jeunes et du maintien des seniors dans l’emploi, et sur la méthode de travail au sein de l’Union européenne, notamment de la méthode ouverte de coordination, la MOC, qui a déjà permis une extension de la coopération entre États membres, des échanges d’expériences et de bonnes pratiques et une participation de la société civile sur le plan européen.
Monsieur Yung, vous reprochez à la MOC d’être trop bureaucratique, de manquer de visibilité. Nous avons fait le même constat. C’est pourquoi la présidence française a défendu certaines propositions telles que des objectifs plus simples, des procédures d’évaluation plus transparentes. Vous retenez d’ailleurs toutes ces propositions dans votre rapport d’information.
Pour les années qui viennent, il faut maintenir le cap. La crise a révélé l’importance de la politique sociale en Europe. Il faut donc saisir l’occasion pour réaffirmer cette dimension sociale, alors que l’Union européenne doit élaborer sa nouvelle stratégie, celle qui est appelée à succéder en 2010 à la stratégie de Lisbonne.
Dans ce travail de rénovation, nous devons aujourd’hui relever en commun un certain nombre de défis qui ne se prêtent pas à une réglementation communautaire. Je pense, en particulier, à l’adaptation à la mondialisation, au vieillissement démographique, à la modernisation des marchés du travail ou encore à la lutte contre la pauvreté.
L’Union européenne doit servir à nous enrichir réciproquement de l’expérience et des pratiques nationales pour parvenir à des objectifs définis en commun.
Enfin, ainsi que vous l’avez fort justement souligné, madame Papon, le traité de Lisbonne met en œuvre des avancées dans le domaine des droits sociaux.
Il intègre d’abord les principes et les droits de la Charte des droits fondamentaux, qui, par conséquent, lieront le juge européen, de même que la Commission. Ce n’est pas abstrait ; c’est une avancée très concrète.
Ensuite, la clause sociale dite « horizontale » impose que la Commission et le législateur européen prennent en compte, dans chacune des politiques communautaires et des législations sectorielles, les objectifs de protection sociale et de plein-emploi. Là encore, elle permettra de mieux orienter les politiques commerciales, les politiques de la concurrence ou du marché intérieur en fonction de leurs conséquences sociales.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le Président de la République l’avait réaffirmé dès le mois de décembre 2007 : « le projet européen doit également revêtir une dimension sociale ».
Je suis fière de l’affirmer aujourd’hui devant vous : la dimension sociale de l’Europe n’est pas un concept abstrait, c’est une réalité concrète. J’en veux pour preuve les nombreuses avancées que je viens de mentionner. Bien évidemment, certains progrès restent à accomplir, dans le droit chemin de l’action engagée au cours de la présidence française de l’Union européenne.
À force de dialogue et de concertation, nous apportons une réponse collective aux défis qui sont devant nous, en particulier dans ce contexte de crise mondiale.
Il est aujourd’hui plus que jamais de notre responsabilité à tous – élus européens, nationaux, locaux, responsables politiques et syndicaux – de placer la cohésion sociale, la protection des citoyens et la solidarité au cœur de nos priorités.
Si l’Europe doit agir vite face à la crise actuelle afin de protéger les populations, nous devons aussi développer un projet à long terme sur lequel nous devons travailler sans cesse. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. En application de la décision de la conférence des présidents, la parole est à M. Richard Yung, auteur de la question, qui dispose de cinq minutes pour répondre au Gouvernement.
M. Richard Yung. Nous ne pouvons que nous réjouir du débat qui vient de se dérouler sur une question d’une telle importance. Dans le même temps, nous pouvons regretter la faible participation de nos collègues. Madame la présidente, peut-être pourriez-vous signaler ce fait lors d’une prochaine conférence des présidents. Visiblement, l’examen de ce type de questions, pourtant au cœur de la démocratie, soulève un problème.
Le débat qui vient d’avoir lieu m’inspire quelques remarques.
Je veux à nouveau revenir sur une idée centrale : la crise économique et ses conséquences sociales devraient constituer un accélérateur de la politique sociale. Tous les jours, nous constatons la suppression de dizaines de milliers d’emplois engendrant drames et misère.
Des instruments existent déjà à l’échelon européen, notamment le Fonds européen d’ajustement à la mondialisation, mais il ne représente que 500 millions d’euros, soit un montant ridicule au regard du PIB européen. Nous devrions envisager un accroissement significatif de ce fonds, qui sous-tend l’existence d’un modèle social européen défendant les droits et assurant la protection des citoyens – sorte d’État-providence, comme on disait jadis –, différent du système américain.
Madame le secrétaire d’État, vous avez évoqué un certain nombre de perspectives. Je fais d’ailleurs miennes certaines d’entre elles. Vous avez souligné la volonté d’avancer en ce qui concerne les services sociaux d’intérêt général, et nous sommes les premiers à œuvrer en la matière.
Nous devrions également faire progresser les droits des travailleurs détachés. À ce sujet a été citée la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes. Nous serons vigilants, car nous ne nous contenterons pas de déclarations. Or la Commission paraît bien timide en la matière et les perspectives politiques immédiates me donnent peu de raisons d’espérer.
Comme vous, j’ai pris connaissance de la déclaration commune du Président Sarkozy, et de la Chancelière Merkel relative à la plate-forme européenne, je l’ai même relue : on n’y trouve pas un seul sur la politique sociale ! Il est clair que, dans ces conditions, le Conseil ne sera donc pas très audacieux.
Pour ma part, je ne m’en remettrais pas trop à la méthode ouverte de coordination parce que celle-ci permet, en réalité, de botter en touche. Ce que je souhaite, c’est qu’un programme social européen soit présenté par la Commission, repris par le Conseil, adopté par le Parlement, afin que la Commission puisse ensuite formuler des propositions. C’est ainsi que nous pourrons progresser. Mais, dans l’état actuel des choses, j’ai quelques doutes. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. En application de l’article 83 du règlement, je constate que le débat est clos.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à quinze heures quinze.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à treize heures quinze, est reprise à quinze heures quinze.)
Mme la présidente. La séance est reprise.
5
Sociétés publiques locales
Adoption d'une proposition de loi
(Texte de la commission)
Mme la présidente. L’ordre du jour appelle la discussion de la proposition de loi pour le développement des sociétés publiques locales (nos 253 et 430).
Dans la discussion générale, la parole est à M. Daniel Raoul, auteur de la proposition de loi.
M. Daniel Raoul, auteur de la proposition de loi. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, l’objet de cette proposition de loi est de doter nos collectivités et leurs groupements d’un nouvel outil d’intervention.
Ce nouvel instrument leur permettra de contracter avec une société publique locale en tenant compte de la jurisprudence de la Cour de justice des Communautés européennes qui précise les conditions dans lesquelles une collectivité peut être dispensée d’appliquer les règles communautaires en ce qui concerne les marchés publics ; elle explicite en particulier la notion de in house, autrement dit, en français, les « prestations intégrées ».
L’arrêt Teckal du 18 novembre 1999 a posé deux conditions pour qu’un contrat puisse être qualifié de in house : que la collectivité exerce sur son cocontractant « un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services » et que ce cocontractant « réalise l’essentiel de son activité » avec la ou les collectivités qui le détiennent.
À cet égard, j’ai noté que le Gouvernement avait déposé un amendement visant à préciser le périmètre, que nous avions pourtant, me semble-t-il, bien défini. Cela étant, je ne vois pas d’inconvénient à ce que l’adverbe « exclusivement » soit ajouté.
Dans son arrêt Stadt Halle du 11 janvier 2005, la Cour a précisé que la participation, fût-elle minoritaire, d’une entreprise privée dans le capital d’une société à laquelle participe également le pouvoir adjudicateur en cause exclut que ce pouvoir adjudicateur puisse exercer sur cette société un contrôle analogue à celui qu’il exerce sur ses propres services.
Depuis l’arrêt ASEMFO du 19 avril 2007, le contexte du in house est clairement établi. Sous réserve du respect des deux conditions fixées par l’arrêt Teckal, les sociétés dont le capital est entièrement détenu par des collectivités sont, vis-à-vis de ces dernières, dans une situation de prestations intégrées.
Dans presque tous les pays de l’Union européenne, comme l’a d’ailleurs relevé de façon exhaustive notre rapporteur, de tels outils existent. Ils permettent de respecter pleinement le droit communautaire tout en préservant la liberté de la collectivité de travailler avec une société publique locale.
En France, compte tenu de la présence obligatoire d’au moins un actionnaire privé à leur capital, les sociétés d’économie mixte ne peuvent prétendre se trouver dans une relation in house avec leurs collectivités. Et pourtant, nombre de SEM travaillent essentiellement pour les collectivités actionnaires dans les domaines de la construction, des services, de l’aménagement, ainsi que dans ceux de la gestion de logements, d’équipements sportifs et culturels, sans oublier le domaine de l’eau et de son assainissement ni ceux du stationnement ou des transports.
La présente proposition de loi vise à doter les collectivités et leurs groupements d’un nouvel outil qui élargit la palette des moyens leur permettant d’exercer leurs compétences, tout en respectant le droit communautaire et le principe de libre-administration des collectivités territoriales, dans le cadre d’un statut sécurisé, y compris, pour ce qui concerne la responsabilité civile des administrateurs des SEM, ce qui n’est pas du tout négligeable.
Dans le même temps, cette procédure garantit une transparence et un contrôle stricts. C’est l’objet de l’article 1er, qui a été judicieusement modifié par notre rapporteur, en plein accord avec moi. Il s’agissait, en particulier, de prendre en compte la loi du 25 mars dernier. En effet, lorsque j’ai déposé la présente proposition de loi, le texte en question n’avait pas été voté, ce qui explique la nécessité d’actualiser l’article 1er.
Je reconnais que l’amendement du Gouvernement lève le doute juridique lié à la présence éventuelle d’établissements publics dans l’actionnariat, que prévoit le texte de la proposition de loi. Nous en reparlerons certainement lorsque nous examinerons l’article 1er.
L’article 2 prévoit de simplifier l’actionnariat des sociétés publiques locales d’aménagement, les SPLA, qui, créées par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, font l’objet de l’article L. 327-1 du code de l’urbanisme. Cela correspond aux recommandations du Gouvernement quant à une simplification de nos règles en vue d’obtenir plus d’efficacité et de réactivité, en particulier dans le cadre des plans de relance.
Ce système d’actionnariat semble en effet trop complexe à certaines collectivités. Il a d’ailleurs limité le nombre de créations de SPLA. Par ailleurs, le champ d’application est trop limité pour couvrir certaines opérations d’aménagement, en particulier celles que conduisent des collectivités avec l’Agence nationale pour la rénovation urbaine.
Pour tenir compte de la loi du 25 mars dernier, je vous présenterai donc, en accord avec le rapporteur – c’est ce qui s’appelle de la coproduction ! (Sourires.) –, un amendement visant à modifier le texte puisque la version initiale de celui-ci remonte à décembre 2008. J’avoue avoir été sensible, monsieur le rapporteur, à l’argumentation que vous avez développée devant la commission des lois. Cet amendement tend donc à exclure la forme de la société par actions simplifiée. On en restera ainsi à celle de la société anonyme.
Dois-je vous dire, monsieur le secrétaire d’État, à quel point je me réjouis que vous proposiez la suppression de l’article 3 ? (Sourires.) Cet article se justifie en effet par la menace que fait peser l’article 40 de la Constitution, dont l’interprétation suscite souvent quelque trouble dans notre assemblée, voire y sème le doute…
On nous avait fait comprendre, à M. le rapporteur et à moi-même, qu’il valait mieux gager cette proposition de loi. Je ne parvenais d’ailleurs pas à comprendre pourquoi puisque l’objet même de ce texte était de diminuer les charges des collectivités en évitant notamment la publicité et les appels d’offres. Mais on nous avait dit que, faute de gage, il serait possible que nous soit brutalement opposé l’article 40. D’où cet article 3.
Je suis donc très sensible au fait que vous leviez le gage en proposant la suppression de cet article, si tant est que certains aient pu avoir l’idée de nous opposer brutalement l’article 40 ! (Nouveaux sourires.)
Les auditions, conduites aussi bien par moi-même que par notre rapporteur auprès de l’Association des maires de France, de l’Assemblée des départements de France, de l’Association des régions de France et de la fédération des SEM, nous confortent dans l’idée que ce nouvel outil procure un avantage indéniable à nos collectivités en termes d’efficacité, de réactivité et de sécurité juridique, que ce soit pour la société elle-même ou pour les administrateurs, notamment lorsqu’il s’agit d’élus.
Dans le contexte de crise économique que nous connaissons, et sachant que les collectivités sont les principaux investisseurs dans le domaine des équipements, il importait de leur fournir un nouvel outil.
Je vous propose donc, mes chers collègues, d’ajouter celui-ci à la panoplie d’instruments dont disposent nos collectivités pour leur permettre d’exercer leurs compétences. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, du groupe CRC-SPG. – Mme Anne-Marie Escoffier et M. Jean-Léonce Dupont applaudissent également.)
Mme la présidente. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jacques Mézard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Madame la présidente, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, les réflexions menées sur la nécessaire réforme des collectivités territoriales mettent en évidence que les lois de décentralisation ont profondément modifié le champ de compétences et le mode de fonctionnement de ces collectivités.
Quelles que soient les différences de point de vue, qui ne recoupent pas forcément les clivages traditionnels, il apparaît aujourd’hui clairement que la grande majorité des élus locaux souhaitent disposer d’outils de gestion assurant tout à la fois une simplification des procédures et une accélération du processus administratif, ainsi que la transparence et la sécurité juridique, au regard tant du droit interne que de la jurisprudence communautaire.
C’est dans cette perspective que notre collègue Daniel Raoul et le groupe socialiste ont déposé la présente proposition de loi sur la création des sociétés publiques locales, qui procède manifestement du même esprit que la proposition de loi dont notre collègue Jean Léonce Dupont, rejoint par un certain nombre de collègues, avait pris l’initiative. (M. Jean-Léonce Dupont acquiesce.)
Ce dispositif est destiné à permettre aux collectivités, pour l’exercice de leurs compétences, d’intervenir dans le domaine concurrentiel, dans le respect des dispositions régissant ce champ. Il introduit dans notre arsenal législatif les instruments qui, dans les autres États membres de l’Union européenne, assurent aux collectivités publiques la liberté de contracter avec une société locale conformément aux exigences communautaires.
En effet, la jurisprudence dispense, sous certaines conditions, une collectivité de l’application des règles édictées en matière de marchés publics, selon le principe dit des « prestations intégrées ». Je fais d’ailleurs observer qu’il ne s’agit aucunement de contourner la jurisprudence européenne, mais bien au contraire d’être en harmonie avec elle.
C’est pourquoi les auteurs de la proposition de loi suggèrent d’adapter la loi française aux principes européens pour renforcer la capacité d’action des collectivités locales en leur permettant d’agir plus rapidement.
La proposition modifie par ailleurs le régime des sociétés publiques locales d’aménagement introduites par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement.
Au fil des années, la Cour de justice des Communautés européennes a élaboré une jurisprudence dont on peut considérer qu’elle est aujourd'hui univoque.
Elle a fixé les conditions permettant à une personne morale qui dispose d’un pouvoir adjudicateur, au sens de la réglementation communautaire, de confier à un tiers la réalisation d’opérations qualifiées de « prestations intégrées », non soumises aux procédures de passation des marchés publics ; ces normes communautaires visent à garantir le jeu de la concurrence.
Pour écarter l’application des règles concurrentielles, la jurisprudence communautaire des « prestations intégrées » exige la réunion de deux conditions, qui ont été déterminées par l’arrêt Teckal du 18 novembre 1999 : l’autorité publique doit, d'une part, exercer sur la personne en cause un contrôle analogue à celui qu’elle exerce sur ses propres services et, d'autre part, réaliser l’essentiel de son activité avec la ou les collectivités qui la détiennent.
Dans des décisions ultérieures, la Cour a précisé ces deux circonstances.
En ce qui concerne la réalité du contrôle analogue, celui-ci ne doit pas nécessairement être identique en tout point au contrôle exercé sur les services propres de l’autorité publique, comme le précise l’arrêt Coditel Brabant SA du 13 novembre 2008. Il doit permettre au pouvoir adjudicateur d’influencer les décisions sur son cocontractant, c’est-à-dire de disposer « d’une possibilité d’influence déterminante tant sur les objectifs stratégiques que sur les décisions importantes de cette société ».
En tout état de cause, le critère du contrôle analogue se trouve exclu si le capital de l’entité en cause est ouvert au privé, même pour une part infime, puisque, dans ce cas, la Cour considère que l’entreprise obéit « à des considérations propres aux intérêts privés et poursuit des objectifs de nature différente de ceux d’intérêt public ».
Nos sociétés d’économie mixte locales, nos SEML, sont donc clairement soumises aux procédures de mise en concurrence, puisqu’elles doivent comporter au moins un actionnaire privé ; d’où l’intérêt de créer et de développer des sociétés publiques locales. Pour le reste, les éléments de l’espèce sont déterminants.
Par ailleurs, s’il importe que le contrôle exercé sur l’entité soit effectif, il n’est pas indispensable qu’il soit individuel. En conséquence, ce contrôle peut être exercé conjointement par les autorités publiques. La procédure utilisée pour la prise de décision dans un organe collégial, notamment le recours à la majorité, est sans incidence.
Le second critère fixé par la Cour de justice est dit « de l’essentiel de l’activité ». Cette exigence, destinée à établir une harmonie avec les règles communautaires, impose à l’entité distincte de la collectivité – ou des collectivités – qui la détient de réaliser avec cette dernière l’essentiel de son activité.
Là encore, cette condition vise à préserver le jeu de la concurrence, dans le cas où une entreprise contrôlée par une ou plusieurs collectivités publiques exercerait une part importante de son activité économique avec d’autres opérateurs.
Cette notion résulte de la jurisprudence de la Cour de justice, qui, au fil de ses décisions, en a affiné les contours, prenant en compte « toutes les circonstances de l’espèce, tant qualitatives que quantitatives ».
L’activité de l’entreprise doit donc être consacrée principalement à la collectivité publique. Son volume, dans le cas d’une entité détenue par plusieurs collectivités publiques – une configuration que votre commission a souhaité favoriser – est évalué en prenant en compte les prestations réalisées au profit de l’ensemble des actionnaires.
La Cour vérifie le respect du second critère sans exiger que l’essentiel de l’activité soit réalisé avec telle ou telle de ces collectivités ; il importe, en revanche, de prendre en compte ces collectivités dans leur ensemble.
Je le répète, depuis la publication de l’arrêt Teckal, une série de décisions de la Cour de justice des Communautés européennes ont permis de dégager une jurisprudence que l’on peut considérer comme univoque et qui a été clairement confirmée par l’arrêt République italienne du 17 juillet 2008.
Par ailleurs, les sociétés publiques locales d’aménagement ont été créées par la loi du 13 juillet 2006 portant engagement national pour le logement, après de longs débats et plusieurs tentatives antérieures, avec notamment, au Sénat, la proposition de notre ancien collègue M. André Vézhinet et les interventions de MM. Jean-Jacques Hyest et Jean-Pierre Sueur.
En définitive, la loi a consacré cette initiative. Les SPLA constituées sous la forme de sociétés anonymes avec des actionnaires exclusivement publics – les collectivités territoriales et leurs groupements –, ont pour objet de réaliser des opérations d’aménagement.
Selon un premier bilan de ce dispositif dressé au 31 mars 2009, trente-neuf initiatives ont été engagées : sept sociétés publiques locales d’aménagement ont été créées et trente-deux autres sont en projet. Parmi les promoteurs des SPLA, on trouve tout à la fois une région, des départements, des communes et des intercommunalités.
Deux cas de figure se présentent : soit la création d’une SPLA ex nihilo, soit la transformation en une telle société d’une SEML existante.
La proposition de loi présentée par notre collègue Daniel Raoul prévoit, en premier lieu, d’offrir aux collectivités locales un nouvel outil d’intervention, en généralisant à l’ensemble des services publics locaux le dispositif des SPLA, et, en second lieu, d’amender le régime des SPLA au vu de l’expérience acquise depuis trois ans.
Les sociétés publiques locales, ou SPL, se définissent tout à la fois par leur objet, la qualité de leurs actionnaires et la spécificité des règles qui les régissent.
Aux termes de l’article 1er de la présente proposition de loi, ces sociétés seraient créées soit pour réaliser, en plus des activités déjà ouvertes aux SPLA, des opérations de construction, soit pour exploiter des services publics à caractère industriel ou commercial ou toutes autres activités d’intérêt général.
Pour les auteurs de ce texte, les SPL, dont l’objet social doit être déterminé par référence aux compétences reconnues par la loi aux collectivités territoriales, pourraient intervenir « dans tous les domaines de compétence actuellement ouverts aux SEM ». En effet, nombre de ces dernières, comme l’a constaté Daniel Raoul, « ne travaillent que pour leurs collectivités actionnaires ».
Mes chers collègues, précisons que ce dispositif provoquera la transformation de certaines SEML en EPL, c'est-à-dire en établissements publics locaux, mais concernera essentiellement des sociétés créées à l’initiative d’une collectivité pour ses besoins propres.
Ces SPL sont constituées sous la forme de sociétés anonymes régies par le code de commerce, sous réserve des dispositions spécifiques aux SEML qui sont prévues par le code général des collectivités territoriales.
En ce qui concerne le capital de la société, l’ensemble des actions est détenu par des personnes publiques, à savoir les collectivités territoriales et leurs groupements, associées éventuellement – j’insiste sur ce dernier terme, car nous trouverons, me semble-t-il, une solution permettant de supprimer cette disposition – à des établissements publics.
Par dérogation à l’article L. 225-1 du code de commerce, qui fixe à sept le nombre minimum des actionnaires, la proposition de loi abaisse ce seuil à un ; toutefois, nous serons amenés à examiner un amendement tendant à le relever à deux.
Afin de tirer les enseignements de l’expérimentation menée actuellement dans les sociétés publiques locales d’aménagement, l’article 2 de la proposition de loi en modifie le régime sur trois points : la composition de l’actionnariat, l’objet et la forme de ces sociétés.
En ce qui concerne l’allégement de l’actionnariat, la loi du 25 mars 2009 a abaissé à deux le nombre minimum d’actionnaires.
Par ailleurs, l’article 2 de la proposition de loi élargit l’objet des sociétés publiques locales d’aménagement, pour permettre à celles-ci de « devenir de réels outils d’aménagement et de rénovation urbaine ». Il tend à doter les SPLA des pouvoirs institués dans ce cadre au profit des collectivités locales, à savoir la réalisation d’études préalables, l’acquisition foncière ou immobilière, les opérations de construction et de réhabilitation immobilières, l’acquisition et la cession de baux commerciaux.
Ces sociétés pourraient également exercer, par délégation de leurs titulaires, les droits de préemption et de priorité définis par le code de l’urbanisme, mais aussi agir par voie d’expropriation.
Enfin, l’article 2 de la proposition de loi prévoyait de diversifier le champ de la forme sociétale en permettant la constitution de SPLA en sociétés par actions simplifiées. Toutefois, après réflexion, nous sommes tous d'accord, me semble-t-il, pour supprimer une disposition qui emporterait plus de conséquences dommageables en matière de sécurité juridique qu’elle n’aurait d’avantages. (M. Daniel Raoul acquiesce.)
Lors des auditions auxquelles nous avons procédé, nous avons pu constater que les collectivités locales étaient unanimement favorables aux dispositions de cette proposition de loi. Elles se sont exprimées par la voie de l’Association des régions de France, de l’Association des maires de France et de l’Assemblée des départements de France ; leurs représentants ont considéré que les sociétés publiques locales devaient constituer un outil complémentaire de la SEM, sans s’y substituer. Bien entendu, cette proposition de loi a aussi reçu un avis très favorable de la Fédération des entreprises publiques locales.
En revanche, les représentants de l’Union nationale des services publics industriels et commerciaux, l’UNSPIC, et de la Fédération professionnelle des entreprises de l’eau, la FP2E, se sont déclarés plus réservés sur cette initiative, qui, selon eux, pourrait susciter de multiples contentieux.
En réalité, les sociétés publiques locales existent déjà dans la plupart des pays européens ; on en compterait 16 000 au total dans les États constituant l’Union européenne.
Mes chers collègues, la position de votre commission des lois est d’approuver sur le principe la création de ces sociétés publiques locales tout en renforçant et en sécurisant leur régime juridique.
À l’évidence, ces sociétés publiques deviendront un outil indispensable au bon fonctionnement des collectivités locales, car elles apporteront à celles-ci une souplesse supplémentaire, ce qui leur permettra d’exercer leurs compétences avec plus d’efficacité et de rapidité, tout en respectant la réglementation communautaire.
Cette proposition de loi mettra également un terme à une situation paradoxale : dans l’état actuel du droit, une collectivité locale peut créer une SEML, qui lui sert de « bras armé », mais elle doit engager les procédures de mise en concurrence pour réaliser les opérations pour lesquelles cette SEML a pu être créée.
Nous adhérons donc à la démarche des auteurs de la proposition de loi.
Par ailleurs, notre commission a proposé un statut sécurisé qui encadre la création et le fonctionnement de ces nouvelles structures ; des procédures de contrôle seront indispensables pour leur permettre de fonctionner en toute transparence et dans un cadre strict.
J’approuve donc le choix de la forme de la société par actions. Il considère que celle-ci permettra une information transparente sur la réalité des coûts et des risques.
Complété par le régime spécifique des SEML, ce dispositif offrira une palette d’outils susceptibles de garantir pleinement l’information et le contrôle des collectivités actionnaires, ce qui est tout à fait indispensable.
Bien entendu, il importe que les règles posées par le législateur soient scrupuleusement respectées, tant dans la rédaction des statuts que dans la vie sociale, afin de ne pas enfreindre les normes communautaires édictées pour assurer le jeu de la concurrence.
De là des sûretés supplémentaires, qui ont fait l’objet d’amendements retenus par la commission des lois.
Ainsi, nous avons considéré que l’actionnariat unique pouvait présenter un risque de dérive et que, par conséquent, il était préférable, dans l’intérêt même des collectivités, de maintenir la présence obligatoire de deux actionnaires au moins. Il s'agit là d’un filtre supplémentaire pour assurer le respect de l’objectif assigné par le législateur, servir l’intérêt général et faciliter le contrôle démocratique.
De même, notre commission a estimé que la faculté, offerte par l’article 2 de la proposition de loi, d’opter pour la forme de la société par actions simplifiée, ou SAS, pour la constitution de SPLA n’était pas conforme à l’intérêt des collectivités, car les dispositions réglementant les SAS ne présentent pas la même protection que celles qui sont applicables aux sociétés anonymes. Aussi la commission recommande-t-elle l’abandon de la forme sociétale de la SAS pour la création des sociétés publiques locales d’aménagement.
Enfin, nous avons proposé de préciser que les sociétés publiques locales devaient impérativement réaliser leurs activités sur le territoire des collectivités territoriales ou des groupements de collectivités territoriales actionnaires.
La commission des lois a donc adopté cette proposition de loi en modifiant l’article 1er et en s’en remettant à l’auteur de ce texte pour les modifications à apporter à l’article 2. D’où les deux amendements que présentera notre collègue Daniel Raoul, mais qui ont été rédigés en concertation avec lui et sur lesquels la commission des lois a émis un avis favorable.
En effet, tout en approuvant l’économie générale de cet article, la commission a estimé nécessaire de renforcer la protection des collectivités et de clarifier la rédaction du texte.
Le Gouvernement a, quant à lui, déposé quatre amendements.
L’amendement n° 4 visant à lever le gage, il a évidemment reçu un avis favorable de la commission et je ne doute qu’il recueillera l’unanimité de notre assemblée.
La commission est également favorable à l’amendement n° 6, qui tend à spécifier que les sociétés publiques locales travaillent exclusivement pour le compte de leurs actionnaires.
L’amendement n° 3, qui a pour objet de restreindre l’objet social des SPL aux opérations d’aménagement, de construction, de maintenance et d’exploitation des équipements construits, a reçu un avis défavorable de la commission, car une telle restriction équivaudrait à enlever tout intérêt à la création des SPL.
Enfin, le Gouvernement a déposé un amendement visant à supprimer la possibilité pour les établissements publics d’être actionnaire d’une SPL, afin de conforter le respect du critère de contrôle analogue. La commission a réservé son avis sur cet amendement, dans l’attente d’explications du Gouvernement. En tout cas, nous n’y sommes pas hostiles – je viens de m’en entretenir avec notre collègue Mme Troendle –, même si nous pensons qu’il eût été intéressant de retenir la notion d’établissement public administratif, écartant ainsi les établissements publics à caractère industriel et commercial ; il sera toujours possible d’y revenir ultérieurement.
Je dirai en conclusion que la commission a vu l’intérêt pour les collectivités locales, et donc pour nos concitoyens, de la création des sociétés publiques locales. Je considère que cette proposition de loi doit aussi s’inscrire dans un esprit de confiance vis-à-vis de nos collectivités territoriales – et de leurs élus –, car elles assument la plus grande part de l’investissement public, votent leur budget en équilibre et exercent leurs compétences avec la garantie de contrôles justifiés.
Par conséquent, faciliter et moderniser l’action des collectivités locales est un enjeu qui justifie l’avis favorable de la commission sur cette proposition de loi, assortie des modifications que nous suggérons et que ses auteurs ont bien voulu accepter. (Applaudissements sur les travées du RDSE, du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG. – M. Jean-Léonce Dupont applaudit également.)