M. Jean-Jacques Mirassou. J’ai parlé du texte. Manifestement, il a disparu de votre lexique médical.
M. François Autain. Il a raison !
M. Jean-Jacques Mirassou. Nous sommes confrontés à un enjeu de société, et les débats qui vont se tenir dans les jours à venir sont de la plus grande importance ; ils révéleront inévitablement, une fois de plus, les clivages qui séparent la gauche et la droite sur ce sujet comme sur d’autres.
De notre point de vue, la politique de santé doit être l’affaire de tous et sa définition procède d’une responsabilité collective disqualifiant de fait toute tentative de passage en force qui consisterait à faire basculer la santé dans le secteur marchand.
Tout au contraire, notre attitude dans ce débat entend privilégier une démarche citoyenne au service d’une ambition plaçant l’hôpital public au cœur d’un projet politique où la démocratie sanitaire, sans être pour le coup galvaudée, deviendrait une réalité dans notre pays.
En cinquante ans, notre système sanitaire est devenu l’un des meilleurs au monde, et l’hôpital public, encore et toujours, en constitue la figure de proue incontestable. Aujourd’hui, je le répète, il ne peut, pour les raisons que j’ai évoquées précédemment, échapper à l’évolution de la société ; il doit donc se réformer.
L’évolution socio-économique, l’augmentation de l’espérance de vie, les nouvelles techniques de soin et leur coût plaident en faveur d’une réforme. Faut-il pour autant, comme le prévoit votre projet de loi, madame la ministre, passer d’un extrême à l’autre en faisant le choix, comme cela a été écrit par ailleurs, du quantitatif au détriment du qualitatif ?
Dans un tel contexte, les mots employés ne sont jamais neutres et ceux qui ont été choisis dans votre projet de loi sont très démonstratifs malheureusement de votre volonté de créer – d’autres l’ont dit avant moi - l’hôpital-entreprise. (Mme la ministre s’exclame.)
L’ancien conseil d’administration est remplacé par un conseil de surveillance défini dans le dictionnaire comme étant « un organe permanent de société anonyme composé d’actionnaires ».
M. Jean-Jacques Mirassou. Le conseil exécutif, quant à lui, est remplacé par le directoire. On comprendra facilement notre malaise face à l’irruption de deux structures jusqu’à présent spécifiquement dédiées aux secteurs bancaire ou industriel, et qui sont complètement décalées pour ne pas dire indécentes dans le cadre d’un service public de santé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard. C’est juste !
M. Jean-Jacques Mirassou. On entend de plus en plus souvent parler, dans les couloirs hospitaliers, s’agissant de l’étude budgétaire, de gains de productivité.
Par ailleurs, et c’est au moins aussi important, votre texte initial entendait limiter considérablement le rôle des élus locaux dans l’administration des hôpitaux, surtout dans le troisième collège.
M. Jean-Jacques Mirassou. Malgré les quelques amendements qui ont pu être imposés, votre détermination demeure. En cela, elle répond à l’impatience - j’ai failli dire : « aux pulsions réformatrices » - du Président de la République à l’égard des élus locaux qui, manifestement, à l’Élysée, ne sont pas actuellement en odeur de sainteté.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. On ne peut pas dire cela !
M. Jean-Jacques Mirassou. Il s’agit d’une rupture avec la tradition, doublée d’un contresens. En effet, cela a été dit, l’implication des élus locaux dans les décisions définissant la vie quotidienne des hôpitaux et de leurs patients garantit une cohérence avec la réalité d’un territoire d’implantation qu’ils connaissent par la force des choses parfaitement.
L’élu local reste donc incontestablement à l’interface des préoccupations relatives au fonctionnement de l’hôpital car, tout en participant à sa gestion, il représente également le citoyen qui en est aussi l’usager ; il en a l’entière légitimité.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue !
M. Jean-Jacques Mirassou. Pour terminer, je voudrais dire que, dans la période difficile que nous traversons, il est indispensable que les personnes les plus fragilisées puissent s’appuyer sur un service public fort.
Vous avez évoqué tout à l’heure, madame la ministre, l’esprit du CNR, qui a présidé à l’élaboration d’un service public fort,…
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Mes deux parents étaient résistants, je connais un peu le sujet !
M. Jean-Jacques Mirassou. … qui devrait permettre aux plus fragiles d’entre nous de continuer à bénéficier de l’un des droits les plus fondamentaux, je veux parler du droit à la santé !
Tous les mythes du volontarisme et de l’activisme acharné sont destinés à demeurer impuissants si la société engendre des laissés-pour-compte.
L’hôpital public, le service public d’une manière générale, permet aux plus démunis de se prémunir contre ce risque.
Madame le ministre, au moment où je parle, votre projet de loi n’apporte aucune garantie en ce sens, bien au contraire ! Nous le combattrons donc avec détermination. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Etienne.
M. Jean-Claude Etienne. Monsieur le président, mes chers collègues, la réforme hospitalière est dans l’air depuis fort longtemps déjà. Aujourd’hui, avec vous, madame la ministre, elle devient une réalité.
Il nous faut en effet refonder le cœur même du dispositif hospitalier. Longtemps, l’édifice institutionnel a assuré les principales régulations du fonctionnement de l’hôpital : le médecin et les soignants y occupaient un rôle premier, et l’administration suivait. Mais, depuis de nombreuses années, un processus de déconstruction est en cours, le médecin n’étant plus systématiquement considéré comme le pilier central de l’institution.
M. François Autain. Par qui ?
M. Jean-Claude Etienne. Par tout le monde, et pas qu’un peu ! (Sourires.)
De leur côté, les administrations n’acceptent plus que la dimension économique du fonctionnement hospitalier soit occultée. Nous ne pouvons pas leur en vouloir !
En lieu et place du patient docile et largement muet, se dessine un usager parfois revendicatif, susceptible de devenir, s’il n’est pas satisfait, un plaignant devant les tribunaux, prêt à transformer le médecin, l’infirmier, l’aide-soignant, le directeur, ou tout acteur professionnel de l’hôpital, en simple justiciable, voire en condamné désigné.
Dans un tel contexte, il est évident que les repères d’autrefois ne peuvent plus fonctionner. Les modes de régulation qui avaient toujours eu cours s’effondrent.
Madame le ministre, madame le secrétaire d’État, vous cherchez à mettre en place de nouveaux équilibres. L’œuvre est d’une extrême importance. On m’a rapporté combien vous avez su vous montrer à l’écoute de la commission des affaires sociales, essuyant, en la matière, les plâtres de la nouvelle procédure.
Sous l’impulsion de son président, Nicolas About, avec Alain Milon, rapporteur clinicien émérite (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP), dont la détermination est toujours empreinte de sérénité, la commission a apporté de franches améliorations au texte issu de l’Assemblée nationale. Je m’en félicite et je la soutiens entièrement. Madame la ministre, madame la secrétaire d’État, nous comptons désormais sur vous.
La gouvernance des hôpitaux, cette subtile et singulière alchimie entre la responsabilité des soignants et celle des gestionnaires, doit connaître un nouveau souffle. Qu’il me soit simplement permis, à partir de ma longue expérience à la tête de la conférence des présidents de CME, de dire qu’une véritable décision prometteuse pour l’hôpital passe par une stratégie arrêtée de façon concertée entre les soignants et les gestionnaires, les uns étant responsables des nécessaires propositions à faire, les autres des décisions indispensables à arrêter.
Si on observe les quelques rares cas d’établissements de soins publics où le budget réussit à être « bouclé », on remarque que ce sont ceux qui ont choisi des axes de développement en phase avec la problématique environnementale des populations concernées et avec l’offre de soins déjà existante sur le territoire.
Ici, c’est la mise en place d’un centre de sénologie ; là, c’est une technique de traitement par chimiothérapie hyperthermique intrapéritonéale ; là encore, c’est un centre d’accueil pour des jeunes en déshérence, sujet sur lequel je vous proposerai un amendement, dont l’initiative revient à la mission commune d’information sur la politique en faveur des jeunes.
Ajuster en permanence l’offre de soin à la typologie de la demande, c’est bien l’objectif du projet médical d’établissement, qui est la pierre angulaire du dispositif. Il ne peut être construit que dans une parfaite congruence entre tous les soignants et les gestionnaires. De ce point de vue, les modalités de réalisation du projet médical d’établissement, tout comme la liste d’aptitude des médecins arrêtée par leurs pairs – que vous avez proposée à la commission, madame la ministre –, sont des mesures qui définissent au mieux ces nécessaires équilibres opérationnels et qui sont prometteuses pour la pérennité du nouveau système. Sans elles, nous aurions des raisons de nous inquiéter.
Madame la ministre, je me permets de vous le dire mais je ne voudrais pas que vous vous en formalisiez, les textes en l’état font peu de cas de la singularité hospitalo-universitaire. Je voudrais insister sur ce point, car, quoi qu’on en dise, c’est bien sûr les mandarins, les chercheurs, en grande partie sur les CHU que reposent, qu’on le veuille ou non, la performance et la notoriété internationale de la médecine française.
M. François Autain. Eh oui !
M. Jean-Claude Etienne. L’ordonnance de décembre 1958 a fait la démonstration de sa pertinence.
Notre récent prix Nobel de médecine, Françoise Barré-Sinoussi, m’a encore demandé, il y a quelques semaines, de vous dire, mes chers collègues, que c’est la trilogie soins-enseignement-recherche qui est le moteur du progrès médical.
M. François Autain. On est d’accord sur ce point.
M. Jean-Claude Etienne. C’est dit, mais ma mission ne s’arrête pas là.
M. le président. Veuillez conclure, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Etienne. En ce qui concerne la recherche, je ne voudrais pas manquer de souligner que ce n’est pas seulement une affaire de CHU et que nous avons à diffuser sur tout l’ensemble des établissements de soins, mêmes les plus modestes, la préoccupation de recherche clinique.
De ce point de vue, le rapport de Jacques Marescaux arrive à point nommé !
M. François Autain. Avec un peu de retard !
M. Jean-Claude Etienne. Je vous félicite, madame la ministre, l’orchestration est impeccable ! (Sourires.)
Le Premier ministre s’est engagé, cet après midi, à l’Assemblée nationale, à ce que le Gouvernement dépose au Sénat un amendement tendant à placer aux côtés du directeur, pour l’assister dans les décisions qu’il prend, un représentant de chacune des communautés que constituent dans l’hôpital les soins, l’université et la recherche.
M. François Autain. C’est déjà fait !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est dans le texte de la commission !
M. Jean-Claude Etienne. Effectivement, cette mesure figure déjà dans le texte, la commission ayant anticipé le rapport Marescaux.
M. François Autain. Sans l’avoir lu !
M. le président. Concluez, mon cher collègue.
M. Jean-Claude Etienne. Madame la ministre, si je me suis inscrit pour intervenir dans cette discussion générale, c’est d’abord pour vous demander de ne pas scotomiser du tissu hospitalier français ces références que sont, à des titres divers, les CHU. Vous vous apprêtez maintenant à compléter la partition. Nous y tenons. La commission Marescaux l’a demandé, le Président de la République l’a entendu hier, le Premier ministre s’y est engagé tout à l’heure, mais c’est le ministre de la santé qui est ce soir au Sénat : nous comptons donc sur vous ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, mon intervention portera essentiellement sur le titre III du projet de loi, c’est-à-dire sur la prévention et la santé publique. Certaines avancées ont été réalisées à l’Assemblée nationale, mais nous sommes loin de la politique de prévention ambitieuse à laquelle on pouvait s’attendre pour lutter contre les problèmes de santé publique. Parent pauvre de la santé en France, la prévention, qui représente à peine 3 % des dépenses, est réduite à quelques mesures.
Le développement des politiques de prévention reste aujourd’hui très insuffisant en France. En effet, on assiste au développement de fortes inégalités territoriales, mais également sociales, pour certains soins, notamment buccodentaires, ou pour certaines catégories de populations, comme les jeunes adultes ou les personnes âgées. L’état de santé est lié aux revenus, aux modes d’alimentation et de vie, aux pratiques et à l’appartenance sociale. Les écarts se creusent parfois dès la petite enfance.
Les politiques de santé ont peu de chances d’avoir la moindre efficacité si la dimension sociale, ou bien plutôt celle des inégalités sociales, n’est pas prise en compte. Aujourd’hui, on le sait bien, la prévention et le dépistage sont beaucoup moins répandus parmi les personnes les plus pauvres.
En matière de dépistage, le texte ne comporte aucune mesure relative au dépistage précoce du cancer, des maladies mentales, des maladies génétiques et métaboliques.
Les questions de santé publique englobent de nombreux domaines comme la santé au travail, la santé environnementale ou l’éducation pour la santé. Il est important de bien cerner les principales d’entre elles pour arrêter un programme global de prévention et de lutte contre les atteintes à la santé. Or, il n’en est rien dans ce texte.
Si nous souhaitons respecter la définition de la santé retenue par l’OMS, c'est-à-dire « un état de complet bien-être physique, mental et social », qui « ne consiste pas seulement en une absence de maladie ou d’infirmité », nous devons développer une réelle promotion de la santé publique. Nous ne pouvons plus nous contenter d’un morcellement des initiatives et d’un émiettement des responsabilités, comme c’est le cas actuellement.
On peut se réjouir que le projet de loi reconnaisse l’éducation thérapeutique, mais il ne définit ni les programmes d’éducation thérapeutique ni les financements. Il conviendrait également d’intégrer cette éducation thérapeutique dans le cursus de formation des professionnels de santé.
Il est regrettable que le texte n’évoque pas les moyens qu’il faudrait consacrer à une politique de santé publique. La question de la santé à l’école et sur le lieu du travail n’y est pas évoquée, alors qu’un ouvrier a aujourd'hui sept ans d’espérance de vie de moins qu’un cadre supérieur. Une réforme du système de santé devrait avoir la volonté de mettre fin à ces inégalités, ou tout du moins de les réduire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui.
Notre défi majeur est de réduire les inégalités de santé, ce qui passe essentiellement par le développement de la prévention, dans les lieux de vie que sont l’entreprise et l’école, et par celui de l’éducation de la santé. On parle de l’alcool en prévoyant la répression sans réelle prévention. Comme l’obésité, l’alcoolisme est évoqué sans que de réelles actions de prévention soient menées.
Dans le titre consacré à la prévention et à la santé publique, on ne parle ni de priorités de santé publique, telles que les accidents de la vie courante, les allergies, l’asthme ou les cancers, ni des douleurs, telles que le mal de dos et les céphalées.
On ne parle pas non plus des maladies professionnelles et des accidents du travail. On oublie aussi les maladies cardiovasculaires, les maladies sexuellement transmissibles, le papillomavirus, les affections liées à la périnatalité, les affections bucco-dentaires et les problèmes de santé mentale que sont la dépression, le suicide et les pathologies mentales.
Rappelons-le, la santé mentale concerne le cinquième de la population et les troubles psychiatriques constituent la première cause d’invalidité et la deuxième cause d’arrêt de travail. La santé mentale devrait donc être l’affaire de tous.
L’État, en tant que garant de la protection de la santé, doit déterminer des objectifs de santé publique. Les professionnels ont un rôle primordial en termes de prévention. Ils doivent donc recevoir une formation adaptée. Quand aura-t-elle enfin lieu ?
Il est important de cerner les principales questions de santé publique afin d’arrêter un programme global de prévention et de lutte contre les atteintes à la santé. C’est par une véritable politique de santé publique que l’on réduira les inégalités sociales et territoriales en matière de santé. Il faut une politique volontariste. Malheureusement, elle est quasiment absente dans ce texte ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, notre système de santé – que je ne me hasarderai pas, contrairement à M. Desessard, à comparer au système de santé des États-Unis, qui a vingt ans de retard par rapport au nôtre – est reconnu comme l’un des plus efficaces du monde. Cependant, il est confronté à un certain nombre de difficultés, comme cela a été évoqué.
La France est aujourd’hui l’un des premiers pays d’Europe en matière de dépenses sociales : elle consacre 11 % de son PIB aux seules dépenses de santé. Notre espérance de vie est supérieure à la moyenne de celle mesurée dans les pays de l’OCDE et le taux de prise en charge par le régime général de l’assurance maladie s’élève à 77 %, ce qui est l’un des plus importants des grandes démocraties. Pourtant, l’accès à des soins de qualité reste inégal sur notre territoire et les disparités sociales ou régionales en matière d’espérance de vie demeurent préoccupantes.
L’accès aux soins de proximité est en effet devenu une grande préoccupation pour nos compatriotes, notamment ceux qui vivent en zone rurale et dans certaines banlieues. Comment faire bénéficier chacun d’eux des meilleurs soins et le plus près possible de leur domicile ? Cette question est devenue un vrai défi d’aménagement du territoire et une forte préoccupation pour les collectivités territoriales.
L’organisation de la chaîne du soin entre la prévention et les soins de ville ou en établissements et le suivi médico-social doit être revue. Il faut préciser que, en France, les dépenses de santé sont caractérisées par une proportion très importante des dépenses hospitalières : 64 %, contre 48 % en moyenne dans les pays de l’OCDE. Dans le même temps, nos dépenses dans le domaine de la prévention sont plus faibles que dans les autres pays.
Face à ce constat, une réforme de l’organisation de notre système de santé s’imposait afin d’améliorer la sécurité et la qualité des soins pour tous sur l’ensemble du territoire. C’est ce à quoi s’attelle ce projet de loi.
À mon tour, je voudrais saluer le travail accompli par la commission des affaires sociales, par son président et par son rapporteur, et ce en liaison avec les professionnels de santé, en particulier les médecins. À cet égard, je tiens à rendre hommage à tous ces professionnels de santé, qui, chaque jour, exercent leur métier dans des conditions très difficiles et avec un dévouement sans pareil.
Je concentrai mon propos autour de trois points : la nouvelle gouvernance de l’hôpital, les communautés hospitalières de territoire et la démographie médicale.
Le projet de loi rénove la gouvernance hospitalière en remplaçant le « traditionnel » conseil d’administration de l’hôpital public par une formule duale, bien connue des privatistes, à savoir un conseil de surveillance et un directoire, présidé par un « patron » doté d’un véritable pouvoir. Si le renforcement des pouvoirs de ce directeur peut se justifier pour simplifier et améliorer le pilotage de l’hôpital, il est pour le moins indispensable que le corps médical participe avec responsabilité aux décisions.
Si je partage l’objectif de la réforme, qui est, selon les propres termes du Président de la République, de « mieux organiser pour dépenser moins et apporter plus aux patients », je considère que la logique gestionnaire ne peut tout emporter sur son passage et qu’il faut associer au fonctionnement de l’hôpital ceux qui le font au quotidien, à savoir les médecins. En effet, un hôpital ne peut être une entreprise comme une autre. Un hôpital, c’est de la santé, de l’humain, de l’éthique. Or les médecins sont les garants de l’éthique et de la pensée médicale.
La gouvernance actuelle a largement fait ses preuves – pas de conflit entre directeur et commission médicale d’établissement –, si bien que, dans le nouveau système, les médecins doivent non seulement être consultés, mais également être des partenaires essentiels. Il est indispensable que la gestion soit imprégnée de la réflexion médicale.
Le système doit garantir une qualité des soins. Dans le même temps, il est essentiel que certaines disciplines, en particulier celles qui ne généreront pas de bénéfices, ne disparaissent pas. À titre d’exemple, je citerai le CHU de Poitiers, dans mon département, où le service de cancérologie pédiatrique n’a dû son maintien qu’à la mobilisation des médecins.
C’est dans cet esprit et certain de cette indispensable complémentarité entre l’administratif et le médical que, avec plusieurs de mes collègues, j’ai déposé des amendements visant à rétablir le rôle central du président de la commission médicale d’établissement afin de lui faire jouer un rôle plus important encore dans la nomination des chefs de pôle et dans celle des membres du personnel médical au directoire. Cela devrait nous permettre de revenir à l’équilibre institutionnel que proposait le rapport Larcher.
La même réflexion s’applique d’ailleurs aux communautés hospitalières de territoire au sujet desquelles la commission des affaires sociales a renoué avec la souplesse contractuelle et les « rapprochements consentis ». Ainsi, toute ambiguïté sera désormais levée et la nature conventionnelle de cette nouvelle forme de coopération sera pleinement établie.
Cette approche conventionnelle exclut la notion d’établissement siège destiné à devenir le « chef de file » de la communauté hospitalière de territoire et monopolisant tous les pouvoirs de décision. Aussi, je me félicite de cette orientation, car il y avait fort à craindre de voir le CHU devenir l’établissement siège et les autres hôpitaux totalement en dépendre.
Enfin, la même solution équilibrée prévaudra pour répondre au problème de la géographie médicale auquel notre pays est confronté, problème qui est intimement lié à celui de la démographie médicale.
À l’image d’un dispositif évoqué par Gérard Dériot tout à l’heure et mis en œuvre par certains conseils généraux, le projet de loi crée une allocation mensuelle en faveur des étudiants en médecine qui s’engagent, par contrat, à exercer la médecine en zone de sous-densité médicale. Ce contrat d’engagement de service public favorisera sans nul doute l’orientation de jeunes praticiens vers les zones du territoire sous-dotées en ressources médicales.
La constitution de déserts médicaux et l’allongement des files d’attente sont néanmoins le résultat d’une gestion peu clairvoyante de la démographie des professions de santé. Vous n’en êtes aucunement responsable, madame la ministre. En effet, je le rappelle, les pouvoirs publics ont réduit le numerus clausus à l’issue de la première année d’études de 8 500, dans les années 1970, à 3 500, en 1993, avant de le rehausser progressivement, dans les années 2000, jusqu’à ce qu’il atteigne 7 400 aujourd’hui.
Compte tenu de la durée des études médicales, la hausse du numerus clausus depuis 2002 ne produira ses effets sur la démographie médicale qu’avec un décalage de dix ans environ. Pour l’heure, les promotions actuelles de médecins et de chirurgiens-dentistes ne suffisent plus à remplacer les médecins qui arrivent à l’âge de la retraite.
Qui plus est, certaines spécialités, historiquement valorisantes et valorisées, comme la chirurgie ou la gynécologie obstétrique posent désormais problème, car elles sont délaissées à la sortie de l’internat. Cette désaffection s’explique notamment par des raisons d’assurance.
Madame la ministre, quelles dispositions entendez-vous prendre pour remédier à cette situation ? (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Claude Jeannerot.
M. Claude Jeannerot. Madame la ministre, dans votre propos liminaire, vous avez dit qu’il était absurde d’opposer patients et impératifs de gestion. Comment ne pas vous donner pleinement raison ?
L’intitulé de votre texte pouvait d’ailleurs légitimement nous faire espérer que le patient serait vraiment au centre de votre projet de loi. A minima, nous étions en droit d’attendre un réel équilibre entre patients et exigences de gestion. Or il n’en est rien ! Tel est le fondement même de notre critique.
Dans votre texte, le malade a quelque peu disparu. Le travail réalisé par la commission a certes permis des corrections allant dans le sens d’un meilleur équilibre, mais il convient d’aller plus loin.
En définitive, ce texte parle d’organisation, de gouvernance. Mais où est le patient ? Quelle est l’ambition en matière de santé ? Quels sont les moyens nécessaires au service de cette ambition ? Seules les réponses à ces questions peuvent donner un sens au choix d’organisation que vous proposez.
Donnons-nous une véritable loi fondatrice de droits nouveaux pour nos concitoyens. Il en est peut-être encore temps !
Cela étant, regardons le contexte dans lequel surgit ce projet de loi.
Il faut replacer le mouvement de protestation suscité par le projet de loi portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires dans la suite des réformes précédentes qui ont créé un climat de tension et de mécontentement général chez les acteurs de la santé. Du point de vue des hospitaliers de terrain, le projet de loi HPST, dans son contenu, c’est un peu la réforme de trop !
Depuis le milieu des années 1990, l’hôpital est en réforme permanente : création des agences régionales de l’hospitalisation, introduction de la tarification à l’activité, création des pôles, etc. Ces réformes se succèdent sans que l’on ait pris le temps de les évaluer ou même de mesurer tous leurs effets. C’est un peu comme un Meccano dont les pièces auraient été progressivement mises en place sans que le plan d’ensemble ait été dévoilé aux acteurs.
Ainsi, vous proposez un nouveau mode de gouvernance. Qu’en est-il ?
La gouvernance de l’hôpital sera calquée sur celle des cliniques privées avec un directeur, un directoire et un conseil de surveillance. Le projet de loi HPST achève en quelque sorte de « verticaliser » le système de santé en instaurant des lignes hiérarchiques sans rupture : la chaîne de pouvoir, qui va du ministère de la santé au directeur d’hôpital, en passant par le directeur des agences régionales de santé et d’autonomie, gagnera peut-être en rapidité de commandement – j’utilise ce terme à dessein –, mais elle aura pour effet d’ignorer les hommes et les femmes ancrés dans leur territoire, qui sont pourtant la justification ultime d’une politique de santé. Au bout du compte, l’efficience même des soins risque bien d’être remise en cause.
Jusqu’à présent, les lignes médicales et administratives, même si elles étaient séparées, savaient le plus souvent trouver les complémentarités nécessaires à l’action. Or la réforme remet en cause ce Yalta implicite en tentant d’hybrider ces deux logiques en une gestion médico-économique. Le projet de loi ne se préoccupe pas de la mise en œuvre des missions de service public et ne s’attaque pas à ce qui nous semble être les véritables problèmes de l’hôpital, à savoir un déficit de moyens dû au mode de financement, un empilement administratif résultant de cinq réformes successives en vingt ans, un « trou démographique » du nombre de médecins et d’infirmières et des inégalités géographiques d’accès aux soins évidentes.
Aujourd’hui, vous le dites vous-même, le projet de loi ne répond pas à ces objectifs. On entre, comme les intervenants précédents l’ont dit à plusieurs reprises, dans une véritable logique de productivisme. Les objectifs économiques prennent le pas sur les enjeux de santé publique et d’accès aux soins. Pour autant, je le crains, l’équilibre économique global ne sera même pas réalisé.
En filigrane de ce passage à un hôpital comptable (Mme la ministre proteste), placé sous le joug de la tarification à l’activité, se profile un risque, dont les différents orateurs ont longuement parlé, celui d’une médecine à plusieurs vitesses.
Mais, mes chers collègues, voilà que le texte évolue sous nos yeux : hier, dans son discours devant le CHU de Nancy, le Président de la République a infléchi votre position, madame la ministre ; je n’insisterai pas sur le choix de la méthode … Ainsi, les directeurs généraux seront désormais entourés d’un directeur et de trois vice-présidents.
En commission, la semaine dernière, nous avons réussi à renforcer les contre-pouvoirs des médecins. Nous souhaitons aller plus loin tout au long de l’examen de ce texte en séance publique.
Optimiser les organisations et fluidifier les modes de management : ces objectifs ne sont certes pas méprisables et font même partie des conditions de réussite d’un système de santé, mais en aucun cas ils ne sauraient constituer l’essentiel.
Pour ma part, mes chers collègues, j’aurais rêvé d’un projet de loi qui, dans ses attendus mais surtout dans ses choix d’actions, garantisse pour chacun de nos concitoyens un droit effectif, équitable et solidaire à des soins de qualité. Mais peut-être est-il encore temps de progresser sur cette voie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)