PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La parole est à M. Gilbert Barbier.
M. Gilbert Barbier. Monsieur le président, madame le ministre, madame le secrétaire d’État, mes chers collègues, selon la nouvelle formule issue de la révision constitutionnelle, le texte portant réforme de l’hôpital et relatif aux patients, à la santé et aux territoires dont nous débattons aujourd’hui en séance publique est celui qui a été élaboré par la commission des affaires sociales du Sénat, sous la présidence de M. Nicolas About. Oserai-je dire, sans modestie aucune, que c’est heureux ?
Le projet de loi initial, madame le ministre, comportait trente-trois articles ; on connaissait sa philosophie, on pouvait contester les dispositions prévues ou regretter les lacunes, mais il avait le mérite d’être concis. (Mme la ministre sourit.) Après son passage à l’Assemblée nationale, il a connu des modifications sensibles, qui ne sont pas toujours apparues comme des améliorations.
M. François Autain. Il a grossi !
M. Gilbert Barbier. Le projet de loi a connu un ajout considérable d’articles, dont un certain nombre, d’ailleurs, d’un intérêt tout relatif, ne relèvent pas forcément du domaine de la loi. Je pense notamment à la disposition visant à apposer des panneaux au bas des ascenseurs et des escalators pour encourager les personnes bien portantes à utiliser les escaliers ! (Sourires.)
Certaines mesures ont laissé penser que la logique comptable prenait le pas sur le projet médical, alors que d’autres relevaient de la provocation, notamment à l’égard des praticiens exerçant en établissement privé.
Madame le ministre, vous avez assumé certains amendements votés à l’Assemblée nationale. Pour ma part, j’ose espérer qu’ils ne correspondent pas forcément à votre vision des choses !
M. Gilbert Barbier. Quoi qu’il en soit, nous avons assisté à un véritable soulèvement de tous les professionnels de santé, qu’ils relèvent de structures hospitalières, hospitalo-universitaires ou libérales. Ils ont été rejoints par les personnels non médicaux, notamment les kinésithérapeutes, les infirmières et les sages-femmes.
Le Sénat se doit donc de refondre le texte, afin de le rendre acceptable aux yeux du monde de la santé. Je tiens à souligner d’emblée le travail considérable de M. le rapporteur, Alain Milon.
M. Charles Revet. Eh oui !
M. Gilbert Barbier. Devant le tsunami des revendications, il a proposé, avec professionnalisme et conviction, des amendements qui, même si je ne les soutiens pas tous, rendent le texte plus lisible et constituent un socle cohérent pour la discussion. Les membres de la commission des affaires sociales ont aussi contribué à ce travail.
Je profite d’ailleurs de cette occasion pour exprimer l’insatisfaction de mon groupe concernant le calendrier qui nous a été imposé pour l’examen de ce projet de loi. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Sur le fond, il y a évidemment beaucoup de choses à dire, madame le ministre. Je salue votre louable ambition d’avoir voulu traiter plusieurs dossiers brûlants relevant de votre ministère, mais peut-être étaient-ils trop nombreux ! Il vous a fallu mener des concertations avec de nombreux acteurs et corporations dont les intérêts ne sont pas toujours compatibles.
L’enjeu est certes capital, tant les problèmes à résoudre sont nombreux : déficit d’organisation, inefficience de certaines structures, manque d’attractivité des carrières et des statuts hospitaliers, difficultés d’accès aux soins sur certains territoires.
Certains voudraient réduire les problèmes de notre système de santé à une simple question de moyens financiers. Faut-il leur rappeler que notre pays y consacre, comparativement à beaucoup d’autres pays, un budget considérable ? Avec la mise en place de la CMU, de la CMU-C, des ALD, les plus déshérités de nos concitoyens peuvent être pris en charge de manière correcte.
Solidarité et accès de tous à des soins de qualité doivent rester les fondements intangibles de notre système. Une telle ambition a un coût qui oblige chacun des acteurs, le secteur de l’hospitalisation comme la médecine de ville, à une gestion rigoureuse et responsable.
En effet, depuis plusieurs années, la médecine de ville a le plus souvent servi de variable d’ajustement au tonneau des Danaïdes que constitue le budget de la sécurité sociale. Le « Touche pas à mon hôpital » faisant consensus, l’opacité a été longtemps de rigueur concernant les dépenses hospitalières, qui représentent pourtant plus de la moitié des dépenses de santé.
On le sait aujourd’hui, une rationalisation des dépenses est possible grâce à une meilleure gouvernance et à une meilleure organisation interne. Comme en témoigne le professeur Laurent Sedel dans son livre Chirurgiens au bord de la crise de nerfs, les incohérences et les erreurs d’organisation ont des conséquences dispendieuses. Ajoutons aussi une certaine philosophie du chacun pour soi et une déresponsabilisation due à une dualité de pilotage.
Vous proposez, madame le ministre, de nouvelles instances de pilotage pour l’hôpital, en défendant l’idée d’un « vrai patron » aux pouvoirs renforcés.
Quelle que soit l’entreprise – publique ou privée –, quelle que soit sa raison sociale, qu’elle dispense ou non des soins, il faut effectivement un décideur. Mais toute réorganisation, pour être efficace, doit être concertée et comprise par l’ensemble des personnels.
S’agissant tout particulièrement de l’hôpital, l’implication des médecins dans la gouvernance est la garantie d’une plus grande efficacité et d’une meilleure qualité des soins, qui, je le rappelle, est la finalité primordiale de l’hôpital.
Tout cela pourrait aller sans dire, mais cela n’apparaissait pas très clairement dans le texte transmis par l’Assemblée nationale. Avec un directoire et un conseil de surveillance sans réels pouvoirs et des médecins marginalisés, le directeur de l’hôpital faisait figure de despote absolu ! (Mme la ministre fait un signe de dénégation.)
Le texte de la commission des affaires sociales améliore fort heureusement ce volet, qui me paraît crucial pour le succès de la politique souhaitée. Il permet d’impliquer davantage la commission médicale d’établissement dans le fonctionnement des établissements et la nomination des personnels médicaux, prévoit trois vice-présidents dans les CHU et associe plus étroitement le conseil de surveillance aux orientations stratégiques. Il s’agit, me semble-t-il, d’un texte d’apaisement.
Un autre sujet de préoccupation est le statut des praticiens hospitaliers. Hormis quelques grands services, la distorsion financière avec le secteur privé, d’ailleurs quelque peu surfaite quand on connaît les charges pesant sur l’exercice d’une profession médicale, vient à bout des meilleurs serviteurs de l’État.
Pour certaines disciplines comme la chirurgie, la désaffection est déjà particulièrement grave ; elle risque de l’être aussi demain dans les établissements privés. Le recours à des médecins étrangers peut être un palliatif acceptable, à condition de s’assurer d’un niveau de compétence satisfaisant, pour ne pas risquer une « paupérisation » des soins.
Plusieurs solutions intéressantes sont avancées dans le projet de loi, notamment un nouveau statut contractuel sur lequel il conviendra, peut-être, d’apporter quelques précisions.
Les formes de coopération envisagées dans le projet de loi et la politique de restructurations hospitalières suscitent beaucoup d’inquiétudes. Certaines sont légitimes, mais le texte de la commission, qui remanie profondément les articles relatifs aux communautés hospitalières de territoire et aux groupements de coopération sanitaire, me semblent y répondre, en laissant une large part au volontariat et en levant des difficultés techniques.
Cela dit, soyons clairs : les réorganisations et les regroupements sont nécessaires. Il s’agit non pas de se diriger à marche forcée vers de grands plateaux techniques au détriment des structures de proximité, mais de bâtir un projet médical de territoire cohérent et opérationnel.
Certains jusqu’au-boutistes considèrent que la santé ne doit pas avoir de prix, et que, en matière d’équipements et de services, il faut tout ou presque tout, partout. Ils ne sont pas sérieux ! On le sait, l’insuffisance de taille critique est à la fois dangereuse pour les patients et coûteuse.
La chirurgie moderne, par exemple, nécessite une technicité avancée, des explorations de plus en plus sophistiquées pour des indications de plus en plus ciblées. Elle exige donc une formation continue des praticiens et une optimisation des équipements. Les hôpitaux locaux ne sont pas toujours à même d’offrir au patient une prise en charge adaptée et performante ; vouloir maintenir ceux-ci à tout prix, c’est instaurer une chirurgie à deux vitesses, quoi qu’on en dise !
Dans le fond, chacun le sait, proximité ne rime pas toujours avec qualité ; mais il faut sans doute introduire plus de pédagogie et de concertation dans cette politique de restructuration. Beaucoup d’élus ont tendance à considérer l’hôpital comme le cautère sur le mal du chômage dans des zones désertifiées par l’industrie. Malgré toute l’attention que ce problème mérite, l’hôpital ne saurait être l’alpha et l’oméga de la politique de l’emploi.
Le dernier point sur lequel je souhaiterais intervenir concerne l’accès aux soins et les déserts médicaux.
Il y a évidemment beaucoup à faire pour obtenir un maillage suffisant et équilibré du territoire en termes d’offre de soins. Missions de service public, schéma régional d’organisation sanitaire, ou SROS, schéma régional d’organisation médico-sociale, ou SROMS, coordination de l’offre de soins hospitalière et ambulatoire avec les agences régionales de santé et de l’autonomie, les ARSA, régionalisation du numerus clausus, contrat santé solidarité, contrat d’engagement de service public : le projet de loi contient de nombreuses dispositions qui vont dans le bon sens. Il faudra ensuite les appliquer sur le terrain.
Je me permets toutefois de mettre en garde ceux qui sont tentés par une action coercitive concernant l’installation ou le secteur 2. Cela risquerait d’aggraver la désaffection pour certaines spécialités et de geler une situation déjà inquiétante dans certains secteurs sous-médicalisés.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Eh oui ! Les médecins ne sont pas du bétail !
M. Gilbert Barbier. Les amendements présentés par nos collègues Bur et Préel à l'Assemblée nationale ont été très mal acceptés par les praticiens. Si le traitement de l’urgence peut se concevoir aux tarifs opposables, les soins courants devraient pouvoir se pratiquer selon les tarifs conventionnellement accordés.
Aujourd’hui, beaucoup de médecins ont choisi l’exercice libéral pour se libérer des contraintes de la permanence des soins ; s’il est nécessaire de recourir à leur participation, celle-ci doit se faire dans les conditions d’exercice courant. L’instauration d’un quota relève par ailleurs d’une construction idéologique strictement inapplicable en temps et en volume.
MM. Roland du Luart et Dominique Leclerc. Très bien !
M. Gilbert Barbier. On évoque souvent dans la grande presse la situation privilégiée de certains praticiens et les tarifs abusifs pratiqués par une petite minorité d’entre eux. Ce n’est pas le lot commun, monsieur Fischer !
M. Jacques Blanc. Eh oui !
M. Guy Fischer. Ce sont 470 millions d’euros de dépassement d’honoraires !
M. François Autain. Une petite minorité, dites-vous…
M. Roland du Luart. Et les footballeurs ? Personne ne s’en occupe !
M. Gilbert Barbier. À ce sujet, je souhaite que plus de responsabilités soient données au conseil de l’Ordre pour corriger ces abus.
Pour conclure, les travaux de la commission des affaires sociales du Sénat ont abouti à un texte d’apaisement, même si ce dernier mérite à mon avis d’être amélioré sur un certain nombre de points, notamment s’agissant de la concertation avec le corps médical. Sous ces réserves, je soutiendrai le projet de loi tel qu’il devrait résulter de nos travaux en séance publique. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’Union centriste et de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Bernard Cazeau. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Cazeau. Monsieur le président, madame la ministre, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, voilà un an, avec la publication du rapport Larcher, le Président de la République lançait la réforme de l’hôpital, qu’il n’hésitait pas à qualifier aussitôt d’« historique ».
Douze mois plus tard, on peut se demander ce que l’histoire retiendra de ce texte. Les intentions étaient pourtant claires : « re-concentrer », « re-centraliser » et « re-structurer » l’organisation de la santé. Tout cela était certes drastique et libéral, mais avait au moins le mérite de la franchise…
Le résultat est un cafouillage, un surcroît de tensions sociales dans le monde de la santé et une surcharge réglementaire sur l’exercice des médecins libéraux.
Par ailleurs, emportée par votre précipitation, enferrée dans une procédure d’urgence inadmissible sur un tel sujet (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. Jean-Marie Vanlerenberghe applaudit également.), vous bâclez le problème spécifique des centres hospitalo-universitaires et de la recherche médicale, qui fait l’objet du très médiatique rapport Marescaux.
Vous naviguez à vue. Au mépris des droits du Parlement, vous vous apprêtez à imposer des amendements gouvernementaux en contradiction avec vos orientations initiales, dans le dos de l’Assemblée nationale…C’est une belle illustration de la réforme constitutionnelle de 2008, qui prétendait renforcer le droit d’initiative, d’information et d’examen des parlementaires ! Nous voilà revenus au bon vieux temps des godillots… (Applaudissements sur certaines travées du groupe socialiste.)
Tous ces revirements et atermoiements conduisent les milieux habilités à parler, déjà, d’une « réforme pour rien »…
La dernière volte-face présidentielle fait d’ailleurs perdre toute crédibilité à votre réforme, madame la ministre. (Mme Gisèle Printz applaudit.) C’est, pour nous, le coup de grâce. (Marques d’approbation sur les travées du groupe socialiste.)
Comment en êtes-vous arrivée là ? Comment êtes-vous parvenue à transformer un texte d’organisation à dominante technique en une crispation généralisée des professions médicales et des acteurs du système ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Comment êtes-vous parvenue à cette situation ubuesque où votre projet, plutôt que d’être soutenu par les parlementaires de votre majorité, s’est trouvé consciencieusement et méticuleusement détricoté par la commission des affaires sociales du Sénat, même si, à mon goût, c’est trop souvent a minima ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oh !
M. Bernard Cazeau. La réponse est évidente : vous avez commis une erreur de diagnostic. Vous vous êtes réfugiée dans une seule loi de gouvernance, alors que la situation des comptes sociaux vous imposait d’y associer des réformes financières de fond.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Quel genre de réformes ? Nous attendons vos propositions !
M. Bernard Cazeau. Vous n’avez pas voulu mélanger « loi d’organisation » et « loi financière », selon votre formule, oubliant que, dans une véritable loi sur la santé, l’un ne va pas sans l’autre (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)…
M. Jean Desessard. Évidemment !
M. Bernard Cazeau. … et que vous ne pouviez faire passer une loi de gouvernance rigoureuse sans innover dans la résolution d’un déficit de plus en plus abyssal de l’assurance-maladie.
Voilà un an, à Neufchâteau, le Président de la République se fixait pourtant un objectif noble et partageable : « offrir à tous les Français, sur tout le territoire, un égal accès aux soins de qualité ».
Reconnaissons qu’il touchait du doigt l’essentiel. Depuis cinq ans, en effet, les Français sentent que la santé s’éloigne : le parcours de soins a été rendu plus complexe ; les coûts sont plus lourds en raison des déremboursements sur les médicaments, les séjours hospitaliers et les consultations ; les dépassements d’honoraires se multiplient et créent des situations inacceptables ; les refus de soins et de garde mettent à mal les principes déontologiques fondateurs de l’exercice médical ; les restructurations hospitalières vont bon train et s’inscrivent dans une logique de disparition du service public en milieu rural ; les zones fragiles sont menacées de pénurie médicale à moyen terme ; l’évolution des pathologies et le vieillissement de la population exigent de nouvelles réponses quantitatives et qualitatives.
Bref, les Français, qui jouissent encore aujourd’hui d’un système solidaire dans lequel l’accès aux soins est libre et qui permet une espérance de vie parmi les plus élevées d’Europe, en arrivent à douter de la pérennité de leur protection contre la maladie.
M. René-Pierre Signé. Il fallait que ce soit dit ! (M. le président de la commission des affaires sociales soupire.)
M. Bernard Cazeau. Pour toutes ces raisons, nous étions en droit d’attendre de votre part un projet ambitieux, susceptible d’améliorer l’offre de soins en France.
Nous vous aurions même suivie dans cette voie si des engagements clairs avaient été affichés en matière de renforcement du service public hospitalier et d’accès aux soins, ou de garantie des moyens de la sécurité sociale. (M. François Autain s’exclame.)
M. René-Pierre Signé. Nous ne sommes pas sectaires !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Si nous avions su…
M. François Autain. Vous avez raté une grande occasion !
M. Bernard Cazeau. Et qu’obtenons-nous en réponse ? Une approche technocratique, dénuée de préoccupations médicales ; une vision administrative de la gestion de la santé ; une tentation comptable à peine dissimulée ; un silence gêné sur les questions financières ;…
M. Guy Fischer. C’est surtout là que le bât blesse !
M. Bernard Cazeau. …une négligence délibérée des grands problèmes d’accès aux soins qui touchent nos concitoyens.
Parlons d’abord du pilotage de la gestion des soins que vous modifiez par la création des agences régionales de santé et de l’autonomie, aux prérogatives étendues.
À nos yeux, il ne s’agit pas seulement de créer des agences régionales de santé, dont nous pourrions reconnaître les atouts en termes de décloisonnement des interventions. Encore faut-il dire quelle logique sous-tend leur création. L’outil n’est jamais conçu indépendamment de son usage…
Or, tout ce que nous constatons pour l’heure, c’est que le Gouvernement institue un hyper-préfet sanitaire posté en région, une figure tutélaire formée au bien connu tropisme présidentiel : « une seule tête, un seul chef, un seul patron » ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. François Autain applaudit également.)
En fait, il s’agit d’instaurer une chaîne de décision, verticale comme jamais, reliant sans interférence le bureau du ministre à Paris au moindre chef de service de l’hôpital local de province.
M. René-Pierre Signé. Le président s’occupe de tout ! (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Parce que vous croyez que le président Mitterrand ne s’occupait de rien…
M. Bernard Cazeau. De plus, vous voulez mettre à l’écart les élus locaux dont, manifestement, vous vous défiez, à l’instar des médecins.
Madame la ministre, le pouvoir à l’hôpital n’appartient-il vraiment qu’à l’administration ? N’appartient-il pas aussi à celles et à ceux qui y exercent et, dans une moindre mesure, à celles et à ceux qu’on y soigne ?
Nous ne vous suivrons pas dans cette voie, car nous connaissons son issue : après la recomposition judiciaire, la recomposition militaire, la recomposition universitaire, voici venu le temps de la recomposition hospitalière ! (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur certaines travées du CRC.) Nous ne subissons que trop cette logique dans nos territoires pour ne pas la combattre aujourd’hui.
J’en viens au deuxième grand volet de votre texte, l’hôpital public. Il s’agit pour vous de mettre ce dernier au diapason de la rentabilité économique. « Un hôpital public plus performant et mieux géré », disait le Président de la République voilà quelques mois. Mais qu’est-ce donc que la « performance » en matière hospitalière sinon l’état de santé global des populations qui le fréquentent ? L’hôpital public serait-il un bouc émissaire, responsable à lui seul des déficits de la santé, pour être ainsi montré du doigt ?
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Non, il n’en est responsable qu’à 50 % !
M. Bernard Cazeau. Vous le reconnaissez vous-même, madame la ministre, le système hospitalier ne représente qu’un tiers des dépenses du régime général, et le déficit d’un grand nombre d’établissements est souvent dû non à une mauvaise gestion, mais à des coûts spécifiques liés à une véritable mission de service public.
M. Bernard Cazeau. Si vous devez réaliser des économies, ce sera au prix de restructurations et de suppressions d’emplois inédites jusqu’alors.
Votre modèle serait-il la clinique privée, où l’approche de la santé est subordonnée à l’équilibre économique et où les comptes sont excédentaires au prix d’une productivité obtenue par une plus grande sélectivité des actes prodigués ?
M. François Autain. Absolument !
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. C’est vous qui le dites !
M. Bernard Cazeau. L’histoire de l’offre de soins en France est ainsi faite que l’après-guerre a vu le développement d’établissements privés à caractère commercial,…
M. Bernard Cazeau. …destinés à combler les carences des établissements publics de l’époque. Malgré la correction des années soixante-dix et quatre-vingt, plus du tiers des lits se situent aujourd’hui dans le secteur privé lucratif. Il est indéniable que l’offre privée fait partie intégrante du système. Nous ne le nions pas, madame la ministre. Mais on oublie de dire que ces lits sont surreprésentés dans certaines disciplines, alors qu’ils sont quotité négligeable dans d’autres. (Marques d’assentiment sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. C’est évident !
M. Bernard Cazeau. Ce que l’on n’ose pas dire, c’est que la sélection des patients, si elle n’est pas monnaie courante, est avérée dans nombre de cas. Ce que l’on ne veut pas dire, c’est que la rentabilité s’obtient surtout au moyen d’activités standardisées, de courte durée, à risque faible. Tout porte à penser que l’on ne peut pas comparer secteur privé et secteur public.
Vous faites mine de croire l’inverse. (Mme la ministre fait un signe de dénégation.) Pour parvenir à cette fin, vous vous êtes appuyée sur ceux de vos prédécesseurs qui ont mis au point une arme de restructuration massive : la généralisation de la tarification à l’activité.
Ce paiement à la pathologie, qui vous dicte ce qu’une maladie doit coûter avant qu’elle ne soit soignée, ne saurait être systématisé sans dommage. Madame la ministre, vous en avez pris conscience tout récemment, et vous avez eu la sagesse de repousser la convergence de la T2A à 100 % entre secteur public et secteur privé à 2018, même si le projet de loi n’en dit mot.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre. Et pour cause : il ne s’agit pas d’un projet de loi de financement de la sécurité sociale !
M. Bernard Cazeau. Ayez aujourd’hui le courage de reconnaître que ce mode de financement ne peut convenir à l’hôpital public. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Nous ne sommes aucunement rassurés, car, si ce projet de loi est voté, vous aurez en main l’outil qui vous manquait pour opérer ces transformations : le contrat de service public conclu entre l’ARS et les cliniques privées.
Le scénario que nous entrevoyons est prévisible : acte I, on organise les carences du secteur public ; acte II, on conclut à son absence de fiabilité ; acte III, on réoriente les décisions et les financements vers le secteur privé. (Voilà ! sur les travées du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. On exécute le secteur public !
M. Bernard Cazeau. Un secteur non marchand déprisé bénéficiera à un secteur marchand avide de nouveaux marchés. En un mot, plus d’État aujourd’hui, pour plus de marché demain. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – MM. Guy Fischer et François Autain applaudissent également.)
Beaucoup moins claires sont les dispositions relatives à la médecine de ville. Les syndicats professionnels ne s’y sont pas trompés, qui ont tous compris la mainmise de l’État sur leur profession avec bien peu de compensations en retour. Ils voient dans la définition exhaustive de leur fonction que donne l’article 14 de nombreuses contreparties en termes de contrôle administratif. Ils ont l’habitude !
Ils déplorent l’absence de réflexion sur l’attractivité de la médecine générale, qui constitue pourtant le pivot du système de soins. Ils dénoncent les inepties de l’organisation de la permanence des soins. Madame la ministre, je ne fais là que relater les sentiments des médecins !
Dans mon département, le troisième de France par sa superficie, on projette de tripler la taille des secteurs de gardes médicales. On nous dit que le SAMU assurera plus d’urgences en nuit profonde, c'est-à-dire après minuit ; mais il n’est nullement renforcé, et il faudra bientôt parcourir soixante ou soixante-dix kilomètres pour atteindre les patients les plus éloignés.
M. Jean Desessard. Il faut réduire les distances !
M. Bernard Cazeau. Certains auront le temps de passer de l’autre côté !
Ce n’est pas le problème de ce projet de loi, me direz-vous ; mais c’est en tout cas bien le contexte dans lequel il s’inscrit !
Les dispositions relatives à la pérennité de l’offre de soins en zones déficitaires soulèvent plus d’interrogations qu’elles ne fondent de certitudes. On créera des maisons de santé pluridisciplinaires. Pourquoi pas ? Mais les remplira-t-on, compte tenu des comportements d’installation des jeunes médecins aujourd’hui ? On instaurera des numerus clausus régionalisés ; mais combien de temps mettront-ils à produire leurs effets ? Il faut en effet de dix à douze ans pour former un médecin. On créera des schémas dotés de préconisations sans valeur coercitive. Que coûtera-t-il alors de ne pas les respecter ?
Madame la ministre, les comportements changent radicalement. Il faut en prendre la mesure. Vous le savez bien, la figure historique du moine soldat tout-terrain de la santé qu’est le médecin généraliste travaillant soixante-cinq heures par semaine a vécu. Ce modèle n’est plus revendiqué que par les générations formées dans une certaine tradition française de la médecine libérale, celle de l’après-guerre.
La démographie médicale et l’inégale répartition spatiale des professionnels interdisent le laisser-faire. Dans cinq ans, nous serons au pied du mur, et d’autres que nous se souviendront demain de l’impéritie des gouvernants d’aujourd’hui !