Article 1er
Les neuf premiers alinéas de l'article L. 213-9 du code de l'entrée et du séjour des étrangers et du droit d'asile sont remplacés par les trois alinéas ainsi rédigés :
« L'étranger qui a fait l'objet d'un refus d'entrée sur le territoire français au titre de l'asile peut, dans les soixante-douze heures suivant la notification de cette décision, en demander l'annulation au président de la Cour nationale du droit d'asile. Sa requête est examinée par le président de la Cour ou par un président de section délégué à cet effet, dans un délai de soixante-douze heures à compter de sa saisine, dans des conditions prévues par un décret en Conseil d'État.
« La décision de refus d'entrée au titre de l'asile ne peut être exécutée avant l'expiration d'un délai de soixante-douze heures suivant sa notification ou, en cas de saisine du président de la Cour nationale du droit d'asile, avant que ce dernier ou le président de section désigné à cette fin n'ait statué.
« Le décret mentionné au premier alinéa prévoit les conditions dans lesquelles le président de la Cour ou le président de section délégué peut tenir une audience foraine dans une salle ouverte au public spécialement aménagée à cet effet, auprès de la zone d'attente au sein de laquelle l'intéressé est maintenu. Il organise également la possibilité, en cas de nécessité tenant à l'éloignement géographique de ladite zone d'attente, de relier, en direct, par un moyen de communication audiovisuelle qui garantit la confidentialité de la transmission, la salle d'audience de la Cour avec une salle d'audience ouverte au public spécialement aménagée à cet effet, dans des conditions respectant les droits de l'intéressé prévus par l'article L. 733-1. Dans ce cas, le conseil de l'intéressé et, le cas échéant, l'interprète, sont physiquement présents auprès de lui. »
M. le président. La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin, sur l'article.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mon intervention sur l’article 1er se fonde sur deux raisons.
La première est purement technique. Dans le cadre de cette semaine d’initiative sénatoriale, si nous examinons certes un nombre non négligeable de propositions de loi, nous le faisons dans des conditions difficiles : temps de parole chronométré – nous l’avons expérimenté lors de l’examen de notre proposition de loi sur le bouclier fiscal –, discussions générales n’excédant quasiment jamais une heure, ce qui aboutit pour mon groupe à un temps de parole de sept minutes ! Comment, en sept minutes, développer notre position sur tel ou tel sujet, en l’occurrence notre opposition à ce texte ?
La seconde raison repose sur une interrogation. Quand bien même serait justifié le transfert du contentieux du refus de l’entrée sur le territoire au titre de l’asile vers la Cour nationale du droit d’asile – mais ce n’est pas le cas à nos yeux –, permettrait-il d’assurer un recours effectif et suspensif aux demandeurs d’asile ? Je ne le crois pas.
En effet, l’article 1er de la proposition de loi, qui constitue le cœur de cette dernière, réécrit les neufs premiers alinéas de l’article L. 231-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile. Le recours contre une décision de refus d’entrée sur le territoire français, au titre de l’asile, serait désormais introduit devant la CNDA et non plus devant le tribunal administratif.
L’article 1er prévoyait, dans sa version initiale, de conserver l’actuel délai de quarante-huit heures permettant à l’étranger d’introduire ce recours, et l’exigence de présenter une requête motivée.
Ce délai de quarante-huit heures actuellement en vigueur est beaucoup trop court, surtout lorsqu’il expire un dimanche ou un jour férié. Nous avions d’ailleurs dénoncé ce point en 2007, lors de l’examen du projet de loi relatif à la maîtrise de l’immigration, à l’intégration et à l’asile, car ce délai atténue le caractère effectif du recours. Voilà pourquoi nous avons déposé une proposition de loi en octobre dernier. Il s’agissait de rendre ce recours réellement effectif en allongeant ce délai.
La commission des lois, sur l’initiative du rapporteur et de nos collègues socialistes, a porté ce délai à soixante-douze heures. L’allongement du délai constitue à n’en pas douter une avancée, tout autant que la suppression de l’exigence de requête motivée. Cette exigence représente en effet un obstacle pour les demandeurs d’asile qui doivent rédiger en très peu de temps une requête motivée en français, éventuellement étayée par des documents, des témoignages, etc. et qui, si elle est insuffisamment motivée, peut être rejetée.
L’allongement du délai de recours et la suppression de la requête motivée constituent donc deux avancées, mais ce seront les seules de cette proposition de loi.
En effet, la décision de refus d’entrée sur le territoire prise par la CNDA ne sera même plus susceptible d’appel : l’étranger devra former un recours en cassation devant le Conseil d’État.
Actuellement, la décision du tribunal administratif est susceptible d’appel devant la cour administrative d’appel territorialement compétente, dans un délai de quinze jours. Hélas ! ce recours n’étant pas suspensif, il arrive que l’étranger ait déjà quitté le territoire français lorsque la décision de la cour administrative d’appel est rendue, ce qui est évidemment trop tard. Nous en reparlerons à l’occasion de certains de nos amendements revenant sur ces questions.
Enfin, l’article 1er entérine le principe du juge unique et des audiences foraines au sein de la zone d’attente, ainsi que celui de la visioconférence. Ces trois dispositions contribuent au développement de ce que Mme Assassi appelait, dans la discussion générale, une « justice au rabais » pour les étrangers, puisqu’elles privent ces derniers d’un procès dans des conditions équivalentes à celles que nous assurons aux autres justiciables.
Toutes ces raisons, conjuguées à celles qui ont été exposées dans la discussion générale et que nous développerons tout au long du débat, confirment que l’article 1er et le transfert du contentieux vers la CNDA constituent un recul pour les étrangers qui viendront demander l’asile.
M. le président. Je suis saisi de vingt-trois amendements faisant l’objet d’une discussion commune.
L’amendement n° 29, présenté par Mme Assassi et les membres du groupe Communiste, Républicain, Citoyen et des Sénateurs du Parti de Gauche, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Brigitte Gonthier-Maurin.
Mme Brigitte Gonthier-Maurin. Mme Assassi a évoqué, dans la discussion générale, les raisons de notre opposition à ce transfert de contentieux vers la CNDA. Vous comprendrez donc que nous demandions la suppression de l’article qui le met en œuvre.
Les objectifs de cette réforme ne trouvent pas leur raison d’être dans la pratique : le tribunal administratif de Paris n’est ni engorgé, contrairement à la CNDA, ni incompétent pour juger des recours contre des décisions de police administrative. Au contraire, les juges administratifs de droit commun ont vocation à juger des recours pour excès de pouvoir et n’ont pas besoin de connaissances géopolitiques pour examiner les recours contre un refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile. En effet, le rôle du juge administratif consiste à examiner si la demande d’entrée sur le territoire au titre de l’asile est, ou non, « manifestement infondée », rien de plus. Il ne doit pas se prononcer sur le fond de la demande : nul besoin d’être spécialiste du droit d’asile !
Est-il nécessaire, dans ces conditions, de transférer ce contentieux à un juge qui est justement spécialisé, la CNDA ? Cette juridiction de plein contentieux examine les recours formés contre les décisions de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides, l’OFPRA, chargé d’octroyer ou non le statut de réfugié. Elle n’est pas plus qualifiée que le juge administratif de droit commun pour statuer sur une mesure de police ; au contraire, elle risque de statuer a priori sur la demande d’asile.
On nous demande de faire confiance aux magistrats et de nous fier à leur intime conviction. Étant donné que le caractère « manifestement infondé » d’une demande asile, malgré la jurisprudence du Conseil constitutionnel, peut faire l’objet d’appréciations très différentes, certains magistrats prendront position dans un sens ou dans l’autre, ce qui aggravera les distorsions entre les décisions. Il vaut donc mieux que nous restions méfiants, malgré tout le respect dû aux magistrats.
Le risque existe bel et bien que la CNDA procède non seulement à un contrôle du caractère « manifestement infondé » de la demande d’asile mais aussi à une analyse du fond de cette demande. Ce risque est aggravé par le fait que la formation qui sera chargée de juger ne sera pas collégiale : un juge unique devra examiner la demande, ce qui empêchera de tempérer la tentation de certains de juger sur le fond la demande d’asile.
Enfin, confier ce contentieux à la CNDA, spécialisée dans la contestation des décisions refusant d’octroyer le statut de réfugié politique, aboutit à enfermer ce contentieux dans le seul champ du droit d’asile : l’extension du recours suspensif aux autres étrangers, que nous demandions avec notre amendement n° 28, devient ainsi impossible.
Toutes ces raisons doivent vous conduire, mes chers collègues, à rejeter le transfert du contentieux du refus de l’entrée sur le territoire au titre de l’asile vers la CNDA.
M. le président. L’amendement n° 3 rectifié bis, présenté par MM. C. Gautier et Yung, Mme Boumediene-Thiery, M. Anziani, Mme Bonnefoy, MM. Collombat et Frimat, Mme Klès, MM. Mahéas, Michel, Peyronnet, Povinelli, Sueur, Sutour, Tuheiava, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Rédiger comme suit cet article :
L’article L. 213-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile est ainsi rédigé :
« Art. L. 213-9. - L’étranger qui a fait l’objet d’un refus d’entrée sur le territoire français peut, dans les soixante-douze heures suivant la notification de cette décision, en demander l’annulation, par requête motivée, au président du tribunal administratif.
« Le président, ou le magistrat qu’il désigne à cette fin parmi les membres de sa juridiction ou les magistrats honoraires inscrits sur la liste mentionnée à l’article L. 222-2-1 du code de justice administrative, statue dans un délai de soixante-douze heures à compter de sa saisine.
« L’étranger est assisté de son conseil s’il en a un. Il peut demander au président ou au magistrat désigné à cette fin qu’il lui en soit désigné un d’office. L’étranger peut demander au président du tribunal ou au magistrat désigné à cette fin le concours d’un interprète. L’audience se déroule sans conclusions du commissaire du Gouvernement.
« Par dérogation au précédent alinéa, le président du tribunal administratif ou le magistrat désigné à cette fin peut, par ordonnance motivée, donner acte des désistements, constater qu’il n’y a pas lieu de statuer sur un recours et rejeter les recours ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative.
« L’audience se tient dans les locaux du tribunal administratif compétent.
« La décision de refus d’entrée au titre de l’asile ne peut être exécutée avant l’expiration d’un délai de soixante-douze heures suivant sa notification ou, en cas de saisine du président du tribunal administratif, avant que ce dernier ou le magistrat désigné à cette fin n’ait statué.
« Les dispositions du titre II du présent livre sont applicables.
« Le jugement du président du tribunal administratif ou du magistrat désigné par lui est susceptible d’appel dans un délai d’un mois devant le président de la cour administrative d’appel territorialement compétente ou un magistrat désigné par ce dernier. Cet appel n’est pas suspensif.
« Si le refus d’entrée au titre de l’asile est annulé, il est immédiatement mis fin au maintien en zone d’attente de l’étranger, qui est autorisé à entrer en France muni d’un visa de régularisation de huit jours. Dans ce délai, l’autorité administrative compétente lui délivre, à sa demande, une autorisation provisoire de séjour lui permettant de déposer sa demande d’asile auprès de l’Office français de protection des réfugiés et apatrides.
« La décision de refus d’entrée au titre de l’asile qui n’a pas été contestée dans le délai prévu au premier alinéa ou qui n’a pas fait l’objet d’une annulation dans les conditions prévues au présent article peut être exécutée d’office par l’administration. »
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Le présent amendement répond à une double motivation.
La première résulte de notre refus de la rédaction actuelle de l’article 1er, disposition principale de la proposition de loi initiale. En ce sens, notre amendement équivaut à la suppression de cet article, comme l’amendement n° 29 qui vient d’être présenté.
En effet, nous refusons de nous inscrire dans la logique de la proposition de loi qui a pour objet de transférer le contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire français au titre de l’asile de la compétence des tribunaux administratifs à celle de la Cour nationale du droit d’asile.
Quel est, au fond, l’objectif premier de cette proposition de réforme ? Il est tout simplement de réduire de façon sensible les délais de procédure, comme je l’indiquais dans la discussion générale. Ainsi, l’article 1er renvoie au décret, instrument juridique plus souple que la loi, le soin de définir les conditions matérielles d’exercice du recours. Il en va de même s’agissant de l’organisation des audiences foraines et du recours à la technique de la visioconférence pour la tenue des audiences.
En outre, la proposition de loi exclut toute forme de collégialité pour la formation de jugement : les recours ne pourront être examinés que par le président de la CNDA ou par son président de section délégué, « eu égard à leur urgence », selon l’exposé des motifs. Nous craignons que ne s’opère naturellement un glissement vers une procédure de la demande d’asile à la frontière, avec la création d’une procédure rapide d’examen au fond de la demande.
La seconde motivation qui inspire notre amendement vise à formuler une proposition différente. Nous avions dénoncé ici même le dispositif de recours en zone d’attente introduit par la loi du 20 novembre 2007, en ce qu’il limitait le recours suspensif aux seuls demandeurs d’entrée sur le territoire au titre de l’asile. Nous demeurons fidèles à cette position. Les associations nous ont en effet alertés sur de nombreuses situations de mineurs isolés risquant d’être refoulés à la frontière alors qu’ils invoquent l’existence de liens familiaux sur le territoire français. Ces mineurs devraient pouvoir exercer un recours suspensif, permettant d’examiner la légalité de la décision administrative de refus d’entrée en France, dans le respect de l’article 8 de la convention européenne de sauvegarde des droits de l’homme et des libertés fondamentales.
La réforme proposée risque d’enfermer définitivement le recours suspensif existant dans le seul champ du droit d’asile, en raison de la spécialisation de la CNDA. Si elle était adoptée, elle rendrait plus difficile l’extension de ce recours suspensif à d’autres catégories d’étrangers maintenus à la frontière, tels les mineurs rejoignant un parent.
Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous invitons à voter cet amendement.
M. le président. L’amendement n° 40, présenté par le Gouvernement, est ainsi libellé :
Dans la première phrase du deuxième alinéa de cet article, après les mots :
en demander l’annulation
insérer les mots :
, par requête motivée,
La parole est à M. le ministre.
M. Éric Besson, ministre. Cet amendement a pour objet de modifier sur un point l’article 1er du texte adopté par la commission. En clair, il vise à réintégrer dans ce dernier les mots : « par requête motivée ».
En effet, la suppression de la requête motivée, comme vous nous le demandez, aboutirait à introduire une dérogation, valable pour le seul contentieux de l’asile à la frontière, à une règle générale de procédure selon laquelle toute requête « contient l’exposé des faits et moyens, ainsi que l’énoncé des conclusions soumises au juge ». Cette règle, énoncée à l’article R. 411-1 du code de justice administrative pour les juridictions administratives de droit commun, est actuellement rappelée, s’agissant du contentieux de l’asile à la frontière, à l’article L. 213-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile : l’étranger peut « demander l’annulation [du refus d’entrée], par requête motivée, au président du tribunal administratif ».
L’exposé des moyens, c’est-à-dire des raisons de droit ou de fait – ces dernières sont essentielles dans le domaine de l’asile – qui fondent la contestation de la décision administrative, permet au juge de se concentrer sur les aspects de la décision posant difficulté. Ces indications peuvent être sommaires, j’y insiste particulièrement : le juge administratif a coutume, en ce domaine, de se montrer extrêmement bienveillant, sans s’encombrer d’un formalisme excessif. Il demande simplement que le requérant lui précise sur quoi se fonde la contestation de la décision : raisons de droit, de fait, mauvaise interprétation, etc. Par ailleurs, ces indications permettent également, dans les procédures d’urgence, de gérer efficacement le temps disponible et de bien préparer l’audience.
La suppression de l’exigence de motivation de la requête en matière de contentieux de l’asile à la frontière pourrait créer un précédent fâcheux pour d’autres procédures contentieuses, notamment dans le domaine des procédures d’urgence. Vous avez souhaité l’allongement de quarante-huit heures à soixante-douze heures du délai de recours. La satisfaction de ce souhait fait tomber l’objection selon laquelle la brièveté du délai ne permettrait pas au requérant de motiver, même sommairement, sa requête : il serait paradoxal que l’allongement du délai aboutisse à la suppression de l’obligation de motivation de la requête, qui était jusque-là imposée.
Aujourd’hui, la loi prévoit un délai de recours de quarante-huit heures et la présentation d’une requête motivée. Vous avez souhaité allonger ce délai à soixante-douze heures, et le Gouvernement a émis un avis favorable sur ce point. Mais, dans ces conditions, supprimer l’obligation d’une requête motivée introduirait un grand déséquilibre dans notre législation.
Pour rassurer la Haute Assemblée, en particulier la commission des lois, je rappellerai que le Haut commissariat pour les réfugiés, le HCR, a relevé de son côté, dans son avis sur la proposition de loi, que « l’allongement des délais de recours de quarante-huit à soixante-douze heures [...] est une mesure positive susceptible d’améliorer les conditions de préparation du recours. Par conséquent, la suppression de l’obligation de motivation de la requête pourrait s’avérer superflue si les personnes concernées disposent d’un peu plus de temps pour se préparer à leur passage devant le juge ».
Voilà pourquoi je demande instamment au Sénat d’adopter cet amendement du Gouvernement.
M. le président. L’amendement n° 4 rectifié bis, présenté par Mme Boumediene-Thiery, MM. C. Gautier, Yung et Anziani, Mme Bonnefoy, MM. Collombat et Frimat, Mme Klès, MM. Mahéas, Michel, Peyronnet, Povinelli, Sueur, Sutour, Tuheiava, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après la première phrase du deuxième alinéa de cet article, insérer une phrase ainsi rédigée :
Lorsque ce délai expire un samedi, un dimanche ou un jour férié ou chômé, il y a lieu d’admettre la recevabilité du recours présenté le premier jour ouvrable suivant.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Cet amendement porte sur la computation du délai de recours. M. le rapporteur a d’ailleurs soulevé, en commission, le problème de la brièveté des délais des saisines, et je me réjouis qu’il ait présenté et fait adopter une série d’amendements visant à porter ce délai à soixante-douze heures.
Toutefois, cette solution fait l’impasse sur une question pratique qui concerne les étrangers faisant l’objet d’une décision de refus notifiée la veille d’un week-end ou d’un jour férié.
Je n’adhère pas à l’argumentation selon laquelle l’allongement du délai apporterait une solution à ce point. En effet, cet allongement à soixante-douze heures, s’il est certes de nature à résoudre le problème général de brièveté des délais de recours, ne règle pas la question spécifique des délais particulièrement brefs dans le cas d’une notification reçue une veille de jour férié ou de week-end.
En effet, l’allongement du délai à soixante-douze heures ne règle pas le problème de l’absence de permanence juridique les week-ends et les jours fériés ou chômés. Il demeure toujours difficile pour les étrangers concernés par cette situation de présenter, dans les temps impartis, un recours dans les meilleures conditions. C’est la raison pour laquelle nous avions proposé de modifier la computation du délai de recours en prenant uniquement en compte les jours ouvrés.
Pour refuser cet amendement, M. le rapporteur a opposé l’argument selon lequel cette solution placerait les demandeurs d’asile « dans une situation d’inégalité selon le jour où la décision de refus d’entrée est notifiée ».
Je vous répondrai en vous opposant le même argument : la situation actuelle, qui est maintenue par l’article 1er de la proposition de loi, place les demandeurs d’asile dans une situation d’inégalité selon le jour de notification de la décision de refus.
Il y a donc, dans les deux cas, inégalité.
Toutefois, dans la solution que vous avez retenue, cette différence de traitement est en défaveur du demandeur d’asile, alors que nous souhaitons qu’elle joue en sa faveur. Nous préférons qu’un demandeur d’asile bénéficie au minimum de soixante-douze heures effectives pour rédiger son recours, voire soixante-douze heures plus les jours de week-end ou jours fériés, plutôt qu’il bénéficie au maximum de soixante-douze heures, voire vingt-quatre heures pour ceux qui reçoivent la décision un vendredi. Entre deux inégalités, nous optons pour celle qui est favorable au demandeur d’asile et non pour celle qui lui est défavorable. C’est la raison pour laquelle nous avons maintenu cet amendement.
Je pense sincèrement que l’on fait fausse route en considérant que l’allongement du délai a réglé le problème. C’est faux ! L’allongement du délai et la prorogation du délai au premier jour ouvrable suivant sont complémentaires : ils participent du caractère effectif du recours au sens de l’article 13 de la Convention européenne des droits de l’homme.
M. le président. L'amendement n° 7 rectifié bis, présenté par MM. C. Gautier et Yung, Mme Boumediene-Thiery, M. Anziani, Mme Bonnefoy, MM. Collombat et Frimat, Mme Klès, MM. Mahéas, Michel, Peyronnet, Povinelli, Sueur, Sutour, Tuheiava, Godefroy et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Dans la seconde phrase du deuxième alinéa de cet article, remplacer les mots :
le président de la Cour ou par un président de section délégué à cet effet, dans un délai de soixante-douze heures à compter de sa saisine,
par les mots :
la Cour siégeant en formation collégiale, dans un délai de soixante-douze heures à compter de la saisine,
II. - En conséquence, dans le troisième alinéa de cet article, remplacer les mots :
ce dernier ou le président de section désigné à cette fin
par les mots :
la Cour siégeant en formation collégiale
La parole est à M. Charles Gautier.
M. Charles Gautier. Cet amendement soulève la question du format de la formation de jugement de la CNDA.
La présentation de cet amendement nécessite de parler parallèlement de l’article 3 de la proposition de loi, disposition additionnelle introduite sur l’initiative de M. le rapporteur.
L’article L. 213-9 du code de l’entrée et du séjour des étrangers et du droit d’asile dispose expressément que le tribunal administratif « peut, par ordonnance motivée, donner acte des désistements, constater qu’il n’y a pas lieu de statuer sur un recours et rejeter les recours ne relevant manifestement pas de la compétence de la juridiction administrative, entachés d’une irrecevabilité manifeste non susceptible d’être couverte en cours d’instance ou manifestement mal fondés ».
L’article 1er de la proposition de loi n’a pas repris ce dispositif. M. le rapporteur a souhaité réintroduire ce dernier en proposant d’insérer dans la proposition de loi un article 3 ainsi rédigé : « L’article L.733-2 du même code est complété par les mots : “ ainsi que celles relevant de l’article L.213-9 ”. ».
L’article L. 733-2 dispose que « le président [de la CNDA) et les présidents de section peuvent, par ordonnance, régler les affaires dont la nature ne justifie pas l’intervention d’une formation collégiale. »
L’article 3 de la proposition de loi étend donc au contentieux de l’asile à la frontière le recours aux ordonnances ne justifiant pas l’intervention de la formation collégiale.
Présenté comme une simple disposition de coordination, cet article est un sujet de préoccupation à double titre : il remet en place un premier filtre à l’examen des recours, dont la portée doit dès lors être mesurée ; il soulève également la question du devenir de la formation collégiale dans le cadre du contentieux relatif au refus d’entrée au titre de l’asile.
La réintroduction des ordonnances dites de « tri » dans le cadre du contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile soulève le problème des conditions de l’application de cette disposition. Comme en 2007, cette dernière rendra possible le rejet de nombreuses procédures par simple ordonnance, sans audience, sans débat, sans que les personnes concernées aient pu être entendues. Comme l’indique M. le rapporteur, en 2008, 20% des recours ont fait l’objet d’une ordonnance.
Les dispenses d’audiences devraient être exclusivement réservées aux désistements et au constat de l’incompétence de la Cour. Pour les autres cas, maintenir l’audience renforcerait les garanties des demandeurs d’asile à la frontière.
Par ailleurs, dès lors que seuls le président de la CNDA et les présidents de section seront appelés à examiner les recours, sans plus amples précisions, la rédaction de l’article 3 permettra de renvoyer la totalité du règlement du contentieux des décisions de refus d’entrée sur le territoire au titre de l’asile par voie d’ordonnance, sans intervention de la formation collégiale.
Est-ce véritablement le souhait de la présidente de la CNDA qui, dans le cadre des auditions organisées par M. le rapporteur, a expliqué que la Cour pourrait recourir aux ordonnances pour le nouveau contentieux de l’asile à la frontière ?
Bien que la demande d’entrée sur le territoire au titre de l’asile ne doive pas être assimilée à la demande d’asile en tant que telle, le groupe socialiste considère que le transfert de compétence risque de déboucher à terme sur un examen au fond de la demande.
C’est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement tendant, à titre préventif, à substituer au président de la Cour, ou au président de section siégeant seul, la Cour siégeant en formation collégiale.
Lors de son examen en commission, le rapporteur s’est opposé à l’adoption de cet amendement au motif que la requête devait être examinée dans des délais très courts et qu’il ne s’agissait que de statuer sur le caractère manifestement infondé ou non de la demande d’entrée sur le territoire.
Dans ces conditions, la spécificité de la CNDA n’est plus requise et la justification de la réforme tombe.
Les réticences exprimées par le Haut commissariat pour les réfugiés à participer à la prise d’une décision relative à l’entrée des étrangers sur le territoire national sont tout à fait légitimes, le HCR ayant bien assimilé que nous étions, à ce stade de la procédure, sur le contentieux d’une décision de police administrative.
Compte tenu des incertitudes dans le texte de la proposition de loi et dans l’évolution de la réforme, le recours à la formation collégiale représente bel et bien, à notre avis, une garantie.