M. Jean-Pierre Plancade. Très bien !
Mme la présidente. La parole est à M. Pierre Fauchon.
M. Pierre Fauchon. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, j’évoquerai le problème de la déontologie de la presse, qui a été abordé de manière émouvante par Mme Nathalie Goulet voilà quelques instants.
Je m’en tiendrai à deux questions, à une mise en garde et à une suggestion.
La première question est selon moi essentielle : est-il compatible avec l’idée même de démocratie et d’équilibre des pouvoirs que le pouvoir de la presse, dont nul n’ignore qu’il est considérable, se développe au gré de ceux qui le détiennent sans rencontrer aucune sorte de contre-pouvoir réel ? C’est la seule hypothèse d’un pouvoir sans contre-pouvoir.
La seconde question est la suivante : qui peut ignorer que le système de procédures pénales pour diffamation aussi bien que le recours au droit de réponse ne sont que des palliatifs rarement efficaces,…
M. Paul Blanc. Ca, c’est vrai !
M. Pierre Fauchon. …étant donné les difficultés de procédure dont les juges sont friands et les habiletés de mise en application du droit de réponse où excellent les rédacteurs en chef ?
Ainsi le citoyen et – ce qui est plus grave à mes yeux – l’opinion sont-ils en réalité la proie désarmée d’un journalisme qui, pour très honorable et difficile qu’il soit, n’en relève pas moins des obligations que devraient imposer tout à la fois la liberté d’informer, si essentielle dans un état de droit, et les aides financières publiques qui sont mises à son service.
Chacun sait combien ces obligations sont méconnues, tantôt par action et, plus souvent peut-être, par omission dans le devoir d’informer, trop souvent ignoré au profit de la liberté de commenter, qui correspond non à un devoir mais à un privilège de la presse.
Et que dire d’internet, évoqué tout à l’heure, qui diffuse en toute impunité des informations durables, indépendamment de toute garantie et souvent à l’abri de pseudonymes, qui sont la variante moderne et redoutable des lettres anonymes ?
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Pierre Fauchon. La mise en garde que je voulais formuler, c’est évidemment que tout contrôle extérieur exercé sur la presse présente le risque de porter atteinte à sa liberté d’expression, qui est aussi sacrée que la liberté d’opinion. Elles sont d’ailleurs indissociables.
Enfin, la suggestion que je veux faire est que l’on ne saurait se contenter de créer un observatoire des problèmes de déontologie : la question est non pas d’observer, mais d’agir et de remédier. Elle est non pas – ou pas seulement – d’édicter des « chartes », certes très respectables, mais de faire en sorte que leur respect ne soit plus laissé à la discrétion soit de ceux-là mêmes qu’elles sont supposées régir – c’est trop facile ! –, soit d’autorités professionnelles – généralement les rédactions – le plus souvent paralysées ou obligées de s’en tenir à une prudence embarrassée.
La solution que je préconise est de mettre en place un système d’autodiscipline auprès duquel tout citoyen ou groupe de citoyens puisse trouver audience et réponse sans subir les coûts et les turpitudes des procédures judiciaires. Je pense ici non pas aux juridictions, qui doivent réserver leur action aux offenses les plus graves, mais à un dispositif de médiation paritaire inspiré des procédures de médiation, qui connaissent actuellement un développement prometteur.
Ce mode de résolution des conflits me paraît approprié dans la mesure où il permet toute une gamme de mesures plus délicates et mieux adaptées, à travers un processus allant de la confrontation des parties – cette confrontation est en elle-même un progrès puisqu’il est déjà considérable, pour une partie victime d’un abus, d’être entendue – jusqu’aux recommandations ou avertissements dont la publication suffirait le plus souvent à garantir ce qu’il faut d’efficacité, sans compromettre ce qu’il faut de liberté.
La liberté de la presse reste sacrée, à condition qu’elle concerne une presse citoyenne et responsable, c’est-à-dire une presse qui échappe au risque de défiance. M. Assouline, notre rapporteur pour avis, a rappelé tout à l’heure que cette défiance était une des causes des difficultés qui sont actuellement rencontrées par la presse. Mais c’est une cause dont elle préfère généralement ne pas s’inquiéter. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE. – M. Serge Lagauche applaudit également.)
Mme la présidente. La parole est à Mme la ministre.
Mme Christine Albanel, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, monsieur le président de la commission des affaires culturelles, monsieur le rapporteur pour avis, mesdames, messieurs les sénateurs, comme cela a été dit, la presse connaît effectivement une crise très grave.
Certaines des causes de cette crise sont, en quelque sorte, internationales et affectent la presse de tous les pays. Je pense par exemple à l’émergence des « gratuits », même si la presse gratuite peine en réalité à trouver son équilibre, à la montée en puissance d’internet et à la crise qui, naturellement, provoque une crise du marché publicitaire.
Mais, nous le savons bien, certaines causes sont aussi propres ou, du moins, plus liées à la France : des coûts d’impression qui sont supérieurs de 30 % à 40 % à la moyenne européenne, un système de distribution inadapté aux exigences du marché et, certainement, une insuffisante valorisation du métier de vendeur par rapport aux autres pays. Cette liste n’est pas exhaustive.
Cette situation explique la mobilisation du Gouvernement et la décision du Président de la République de lancer ces états généraux de la presse écrite, qui étaient très attendus et qui, je crois, ont été salués par la profession.
Le plan auquel ceux-ci ont abouti est, me semble-t-il, exhaustif et tout à fait concret. Construit sur trois ans, il représente pour l’État un effort important : l’enveloppe globale est légèrement inférieure à 200 millions d’euros par an et reconductible sur chacun des exercices. Le total atteint donc 600 millions d’euros entre 2009 et 2011, sachant que 150 millions d’euros ont été inscrits, au collectif de printemps, pour les besoins de 2009. Cette ouverture de crédit s’ajoute naturellement aux 277 millions d’euros déjà inscrits pour le programme « Presse » dans la loi de finances pour 2009.
Ce plan comporte des mesures d’urgence et, bien sûr, de nombreuses mesures structurantes ou structurelles.
Parmi les mesures d’urgence, certaines concernent le moratoire de l’accord État-presse-La Poste, signé en juillet 2008 après, d’ailleurs, de longues négociations. Pourquoi nous étions-nous mobilisés pour conclure cet accord ?
D’abord, outre le fait que les précédents accords prenaient fin, ce texte avait tout de même l’avantage de confirmer la mission de service public du transport et de la distribution de la presse confiée à La Poste. Ce point est important.
Ensuite, l’État pérennisait son engagement financier pour une durée historiquement longue de sept ans et garantissait le pluralisme de la presse et sa diffusion postale sur l’ensemble du territoire. Il apportait une contribution de 242 millions d’euros par an, de 2009 à 2011, avec l’objectif de résorber le déficit résiduel de La Poste d’ici à 2015.
Enfin, l’accord prévoyait des tarifs différenciés entre la presse d’information politique et générale, dont les enjeux démocratiques sont considérables, et le reste du secteur. Ce point est également important.
Toutefois, compte tenu de la crise, il est apparu urgent de différer, pour la partie tarifaire, la mise en application de cet accord État-presse-La Poste et de prévoir une compensation intégrale, par l’État, du manque à gagner pour La Poste, ce qui représente un effort de 25,4 millions d’euros. Ces crédits ont été inscrits dans le projet de loi de finances rectificative pour 2009 du 4 mars 2009. Bien sûr, nous ferons un état des lieux à la fin de l’année pour voir où nous en sommes. L’application de cet accord est donc différée d’une année, pour sa partie tarifaire.
La deuxième mesure d’urgence était tout à fait à la portée de l’État puisqu’elle concernait la réorientation de ses dépenses publicitaires en faveur de la presse. Le Président de la République a décidé d’un redéploiement massif des crédits vers la presse, qui verra l’investissement publicitaire public doubler en 2009 et passer de 18 millions à 36 millions d’euros.
Enfin, une troisième mesure pourrait s’adresser aux publications les plus fragiles, c’est-à-dire aux quotidiens à faibles ressources publicitaires dont Ivan Renar nous a parlé à plusieurs reprises. Pour eux, nous envisageons une disposition exceptionnelle visant à doubler l’aide apportée dans le cadre du fonds de soutien aux quotidiens à faible ressource publicitaire, qui passerait ainsi de 7 millions à 14 millions d’euros pour l’année 2009.
Au-delà de ces mesures d’urgence exceptionnelles, des mesures plus structurelles sont évidemment nécessaires.
S’agissant des coûts d’impression en France, qui, comme je l’ai dit voilà un instant, sont de 30 % à 40 % plus élevés qu’ailleurs, il faut avancer. Le Président de la République a d’ailleurs souhaité qu’un effort de mutualisation soit mis en œuvre dès l’imprimerie, effort que nous allons encourager au travers du fonds d’aide à la modernisation.
Cette mutualisation pourrait prendre la forme d’une décentralisation ou d’un regroupement des centres d’impression, de la rentabilisation des imprimeries existantes ou encore de l’ouverture des imprimeries de presse « journal » à une partie des travaux réservés, jusqu’à présent, à la presse magazine.
Par ailleurs, nous souhaitons encourager la négociation d’un nouveau contrat social destiné à repenser les relations entre les éditeurs, la presse parisienne et le syndicat du livre. D’ores et déjà, cette négociation a commencé avec la presse quotidienne nationale et l’État s’engage à l’accompagner.
S’agissant de la presse régionale, sa diversité et son étendue n’ont pas permis, pour le moment, d’engager une négociation au même rythme que la presse nationale. Pour cette famille de presse, un audit clair et opérationnel des besoins s’impose peut-être avant d’envisager un accompagnement de l’État sur des objectifs de rationalisation ou de mutualisation des capacités d’impression. Quoi qu’il en soit, il est évident que ce chantier devra être ouvert, à l’instar de celui qui concerne la presse quotidienne nationale.
La modernisation du réseau de distribution, c’est-à-dire la vente au numéro, qui est très importante, constitue un deuxième grand sujet. Sur ce point, la France a plusieurs handicaps.
D’une part, comme je l’ai rappelé, la rémunération des marchands de journaux est l’une des plus faibles d’Europe. Leur commission est comprise entre 15 % et 18 % du prix de vente, contre 18 % à 20 % en Allemagne, 21 % à 26 % au Royaume-Uni et 20 % à 25 % en Espagne.
D’autre part, nous souffrons d’un déficit de points de vente. En moyenne, à l’échelle nationale, il existe un point de vente pour 2 000 habitants en France, contre un peu plus d’un pour 1 000 habitants au Royaume-Uni et un point pour 700 habitants en Allemagne – et cette situation fait une énorme différence !
Dans ce contexte, trois objectifs prioritaires ont été fixés.
Le premier concerne la réorganisation du réseau de distribution, que nous espérons pouvoir mettre en œuvre dans un calendrier relativement serré.
Nous souhaitons que des accords soient conclus entre les différentes messageries de presse : MLP, NMPP et Transport Presse. Un accord a déjà été passé, au mois de mars, sur le plafonnement des quantités dans les points de vente afin de traiter la problématique des invendus, très justement soulignée par différents orateurs. Le déploiement de la gestion de l’assortiment, visant à offrir une plus grande liberté aux vendeurs est envisagé pour le mois de septembre.
Enfin, le Conseil supérieur des messageries de presse vient d’annoncer la mise en place d’un groupe de travail chargé d’une réflexion sur les missions et les réseaux des dépositaires de presse.
Ce sont les premiers pas positifs vers la réalisation des objectifs posés à l’issue des états généraux de la presse écrite.
Le deuxième objectif, c’est la revalorisation de la rémunération des diffuseurs.
Il est prévu, dans une phase transitoire, de mettre en œuvre un accompagnement, sous la forme d’une aide directe équivalant à une exonération partielle des charges pour près de 14 000 diffuseurs qualifiés. Ce plan de soutien, limité dans le temps, revêtira la forme d’un nouveau fonds, officialisé dans le courant du mois d’avril, doté de 27,6 millions d’euros dans un premier temps et dont la mise en place technique sera effective à la rentrée 2009.
Enfin, le troisième objectif consiste à maintenir et à augmenter le nombre de points de vente. Cette démarche, nous le savons, est déjà portée dans le plan Défi 2010 des NMPP et représente un enjeu tout à fait essentiel.
Arnaud de Puyfontaine, qui était l’un des chefs de pôle des Etats généraux de la presse écrite, est chargé de travailler sur ces différents objectifs pour la distribution.
Des expérimentations sont actuellement en cours pour tester la faisabilité de l’ouverture du réseau de vente de la presse quotidienne régionale à la presse quotidienne nationale. Nous savons ce point problématique : on ne trouve souvent que la presse quotidienne régionale, et rien d’autre, dans les points de vente.
Par ailleurs, des expérimentations seront prochainement menées pour la mise en place d’opérations hors contrats d’exclusivité des messageries. Des tests vont être conduits avec la presse magazine.
Enfin, Arnaud de Puyfontaine diligentera une mission d’évaluation sur les blocages administratifs, techniques et réglementaires qui limitent l’implantation de nouveaux points de vente, afin que nous puissions agir.
Toutes ces opérations, au moins dans un premier temps, seront conduites sur la base de la loi Bichet. Il nous semble effectivement que nous pouvons agir de façon très volontariste et efficace dans ce cadre.
Parallèlement à la mission confiée à Arnaud de Puyfontaine, l’Autorité de la concurrence doit réfléchir au rôle et à la composition du Conseil supérieur des messageries de presse. Ses conclusions sur le sujet sont attendues pour la fin du mois d’avril. Évidemment, je ne peux pas les anticiper, mais les travaux sont bien en cours.
S’agissant du portage – j’ai déjà évoqué la vente au numéro –, nous sommes plutôt en retard. Le portage concerne seulement 14 % de la presse quotidienne nationale, contre 40 % de la presse quotidienne régionale. Les marges d’évolution et de progrès sont donc tout à fait importantes.
Le dispositif annoncé par le Président de la République le 23 janvier 2009 comporte en fait deux volets. D’une part, une mesure d’exonération totale des charges sociales patronales, qui vise à réduire le coût du portage, à en structurer le marché et à fidéliser les porteurs. D’autre part, le dispositif incitatif d’aide directe à l’exemplaire porté, inscrit dans la durée, c’est-à-dire sur trois ans, avec une dotation qui va passer de 8 millions à 70 millions d’euros par an. C’est donc un effort considérable qui est réalisé en direction du portage.
Après la concertation menée, au cours des dernières semaines, avec les professionnels, le nouveau dispositif est maintenant prêt. Il cible la presse quotidienne, tout simplement parce que c’est elle qui est le plus mal en point et qui en a le plus besoin.
J’ai entendu évoquer la problématique du portage multi-titres. Ce point ne fait pas l’objet d’un accord généralisé, y compris de la part des éditeurs de presse magazine. Nous nous interrogeons sur la compatibilité entre le portage dédié aux quotidiens et le portage consacré à la presse. Quoi qu’il en soit, nous allons continuer à travailler sur ce sujet, qui est tout de même intéressant, et sur lequel le volet de soutien structurel correspondant à l’exonération totale des charges sociales patronales répond déjà en bénéficiant de toute évidence à l’ensemble de la presse.
Outre l’impression et la distribution, la presse rencontre un autre problème, qui a également été évoqué, celui de son financement.
Une partie de ce financement provient des aides. À ce propos, je souscris tout à fait à certaines interventions. Les aides à la presse ont effectivement beaucoup contribué à l’évolution structurelle du secteur, mais, j’en conviens, le modèle doit évoluer.
Il faut favoriser les aides à l’innovation par opposition aux aides à l’exploitation, qui ne permettent pas à la presse de se développer. Il faut passer de la notion d’aide à la notion d’investissement. Enfin, il faut redéfinir les critères d’attribution des aides, qui permettront une expertise plus poussée sur la pertinence technique ou stratégique des projets, une meilleure prise en compte en aval du retour sur investissement et une incitation à la mutualisation.
À titre d’exemple d’actions visant à encourager l’investissement, et non le pur soutien, le fonds d’aide au développement des services en ligne des entreprises de presse verra sa dotation passer de 0,5 million à 20 millions d’euros dès 2009. Il sera d’ailleurs ouvert aux éditeurs de presse en ligne et, par exemple, aux pure players.
Au-delà des aides, il faut évidemment aider la presse à constituer des fonds propres et à accroître ses sources de financement, d’où la décision d’élargir les conditions d’accès au mécénat. Les éditeurs souhaitent en effet pouvoir disposer de dons en numéraire, et non forcément en capital. Il s’agirait de permettre à des associations – je pense, par exemple, à l’association Presse et Pluralisme, présidée par François d’Orcival, que nous connaissons bien – de souscrire à d’autres opérations que des augmentations en capital.
Dans un premier temps, nous souhaitons adapter le dispositif fiscal existant pour rendre éligibles les dons effectués au profit des associations, ce qui permettrait l’octroi de prêts ou de subventions aux entreprises de presse. Ce dispositif est prêt à être publié sous forme de rescrit sur le site de la direction de la législation fiscale.
Dans un second temps, nous souhaitons adapter le dispositif fiscal du mécénat dans le cadre de la loi de finances, pour rendre éligibles les dons effectués au profit d’un fonds placé sous le contrôle de la Caisse des dépôts et consignations. Les modalités de fonctionnement et de gestion de ce nouveau fonds seront à déterminer avant l’été, afin de pouvoir les adopter dans la prochaine loi de finances.
Par ailleurs, le Président a indiqué qu’il était ouvert à l’idée de remettre en question la limite fixée à la prise de participation en capital des entreprises de presse par des investisseurs étrangers. Il a tout de même précisé que sa préférence allait plutôt à des investisseurs en provenance de pays francophones, à l’instar de la Suisse, et qu’une telle mesure devait s’appliquer au cas par cas, dans le cadre, naturellement, d’accords internationaux qui seraient conclus par le ministère des affaires étrangères. C’est en tout cas une piste que nous ne nous interdisons pas d’explorer.
Au-delà des problèmes d’ordre technique et financier, il a été beaucoup question de déontologie dans les différentes interventions. C’est vrai qu’il y a beaucoup d’exigence en la matière et nombreux sont ceux qui aspirent à la renforcer. Nous avons tous en mémoire les exemples cités aujourd'hui et qui ont fait l’actualité. Il est fort regrettable que des articles ou d’autres publications puissent ainsi porter gravement atteinte à des personnes : leurs conséquences sont terribles et leur pouvoir de destruction est bien réel.
Au cours de l’histoire, l’exigence en matière de déontologie est une responsabilité que la profession a, au fond, toujours cherché à assumer et à exercer. À cette fin, elle a rédigé, d’abord, la charte des devoirs professionnels des journalistes français, en 1918, dans laquelle furent énoncés les principes de base, puis la déclaration des devoirs et des droits des journalistes, dite « charte de Munich », élaborée en 1971.
Sur ce sujet transversal, un grand travail a été fait dans le cadre des états généraux de la presse écrite, sous l’égide, notamment, de Bruno Frappat et François Dufour. La création d’un comité des sages chargé d’élaborer un code de déontologie, puis de le défendre, a ainsi été préconisée. Celui-ci devrait en tout état de cause être très contraignant puisqu’il serait annexé à la convention collective nationale de travail des journalistes : négocié, puis accepté par les partenaires sociaux, il aurait donc la même valeur juridique que la convention elle-même. Les principes édictés par ce code devront se combiner avec les obligations légales pesant sur la profession.
Il est prévu que les différents chefs de pôle chargés de présider les débats et les réflexions des états généraux vont saisir l'ensemble des organisations professionnelles pour composer ce comité des sages. Il est bon que ce soit la profession elle-même qui porte une telle ambition. D’ailleurs, c’est ce qui se passe dans tous les pays et c’est ce qui s’est toujours passé dans le nôtre. Nous serons en tout cas très attentifs aux développements à venir pour atteindre cet objectif si important.
J’en viens aux droits d’auteur, qui ont également été évoqués cet après-midi à de nombreuses reprises.
Les états généraux se sont finalement inspirés d’un document, communément appelé le « blanc », issu des réflexions d’un groupe de travail informel réuni avant leur tenue et qui comprenait diverses personnalités de la presse. L’idée est en fait de faire acter dans la loi un certain nombre de principes pour donner une base légale aux droits d’auteur des journalistes et aux conditions de leur cession aux éditeurs de presse en vue de leur exploitation dans un titre de presse.
Il s’agit, premièrement, de la cession automatique des droits d’auteur à l’éditeur pour une première exploitation durant une période de référence.
Il s’agit, deuxièmement, de la garantie pour les journalistes d’une rémunération complémentaire sous forme de droits d’auteur au-delà de cette période de référence et en dehors du périmètre direct de la publication.
Il s’agit, troisièmement, du recours à la négociation collective pour fixer la période de référence, le montant des rémunérations complémentaires et, au besoin, le périmètre de la cession dans une famille cohérente de presse.
Il s’agit enfin, quatrièmement, du renvoi à une commission ad hoc pour contribuer à la fixation des rémunérations et du périmètre de la cession, en cas d’échec de la négociation.
La commission ad hoc pourrait être composée à parité de représentants des journalistes et des éditeurs et présidée par un magistrat de la Cour de cassation. Nous souhaitons que ces principes soient inscrits dans la loi « création et internet », et nous sommes en train d’étudier différentes possibilités pour ce faire.
Il devrait d’ailleurs en être de même pour le statut d’éditeur de presse en ligne. À cet égard, les principaux éléments de définition de la presse en ligne retenus par les états généraux sont les suivants : une maîtrise éditoriale par la personne éditrice ; la production et la mise à disposition du public d’un contenu original, renouvelé régulièrement ; le traitement journalistique des informations et leur lien avec l’actualité ; l’emploi de journalistes professionnels lorsque le site est consacré à la presse d’information politique et générale ; l’exclusion des sites de promotion commerciale.
Tout cela mérite aussi d’être gravé dans la loi, ce qui permettrait aux éditeurs de presse en ligne de bénéficier des mêmes avantages fiscaux que les autres. Parallèlement, l’affaire « de Filippis » nous l’a montré, le régime de responsabilité éditoriale des services de communication en ligne devra être adapté et, probablement, atténué. En effet, dans le dispositif actuel, c’est le directeur de la publication qui est présumé responsable à titre principal des délits de presse commis sur ce type de services.
La formation professionnelle est un autre point très important. Si elle est du ressort de la profession, elle doit néanmoins être encouragée puisque moins de 20 % des jeunes journalistes sont en fait issus des écoles spécialisées reconnues par la profession, ce qui est tout de même très peu. Les états généraux ont avancé l’idée d’une formation obligatoire, d’une à deux semaines, en matière de droit de la presse et de déontologie pour les jeunes journalistes en poste depuis moins de trois ans. Il s’agit, à mon avis, d’un projet très intéressant et je me réjouis qu’il soit, là encore, porté par la profession.
Pour assurer le renouvellement du lectorat, qui a fait l’objet de nombreuses interventions au cours du débat, les états généraux ont proposé que les jeunes, l’année de leurs dix-huit ans, bénéficient d’un abonnement gratuit à un journal de leur choix, qu’ils recevraient un jour par semaine pendant un an, soit en moyenne 52 numéros par an. Pour fidéliser ces nouveaux lecteurs l’année ou les deux années suivantes, ceux-ci se verraient offrir un abonnement à un tarif préférentiel. Il convient en parallèle de produire un contenu dédié et adapté aux attentes des jeunes et de développer l’interactivité avec ce lectorat grâce à des actions « plurimédias ».
Cette démarche est fondée sur un double volontariat, celui des jeunes, d'une part, et celui des éditeurs, d'autre part. À cet effet, un collectif regroupant les représentants de la PQR, de la PQN et de la PQD vient d’être constitué et est en train de définir le dispositif qui devrait être proposé à la rentrée 2009.
Cela suppose également, bien sûr, une action volontariste de l'éducation nationale, afin non seulement de développer l’éducation aux médias, comme cela a été souligné, mais aussi de mobiliser les plus jeunes pour les inciter justement à lire la presse.
Le ministère de la culture et de la communication entend mener une réflexion plus globale sur les problèmes du lectorat et de l’innovation éditoriale. Il met actuellement en place un programme de recherche et de développement, rassemblant des acteurs tant privés que publics, comme l’ANR, l’Agence nationale de la recherche, ou encore le CNRS, pour réfléchir justement sur l’évolution des contenus, les pratiques de consommation et les modèles de diffusion. Il aura, me semble-t-il, toute son utilité.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je dirai un petit mot sur la loi Évin, qui a aussi été évoquée, tant il est vrai qu’un équilibre doit être trouvé entre la nécessité de préserver, d'un côté, la santé de nos concitoyens contre l’abus d’alcool et, de l’autre, la liberté d’expression des journalistes, y compris à l’occasion d’une présentation positive de certaines boissons.
Comme vous le savez, lors du débat sur le projet de loi « Hôpital, patients, santé et territoires » à l’Assemblée nationale, un amendement visant à mieux séparer l’information et la promotion lors de l’évocation des boissons alcooliques, la promotion devant être seule encadrée, a été déposé mais n’a finalement pas été adopté. Il s’agissait pourtant d’une bonne idée, que nous devrons, me semble-t-il, reprendre tant elle est importante. Nous allons d’ailleurs y travailler avec Roselyne Bachelot-Narquin.
Je terminerai mon propos en évoquant le statut de l’AFP, qui, je veux le redire ici, fait la fierté de la France et constitue l’un de nos fleurons.
C’est l’une des trois grandes agences internationales, et la seule à ne pas être anglo-saxonne. Pesant près de 30 % du chiffre d’affaires global des trois leaders mondiaux, elle est présente dans cent soixante-cinq pays et dispose d’un service d’information en six langues.
À l’évidence, l’AFP doit se moderniser. C’est d’ailleurs ce qu’elle fait en étant, bien sûr, puissamment soutenue par l’État. Respectant ses objectifs, elle n’est actuellement plus en déficit, contrairement à la période antérieure où elle bénéficiait pourtant déjà d’un soutien analogue.
L’État et l’AFP ont signé un nouveau contrat d’objectifs et de moyens, dans lequel le premier confirme son soutien tandis que la seconde, en retour, s’engage sur des objectifs de croissance et de rentabilité, avec une progression des recettes commerciales fixée à 4,7 % par an. L’agence doit élargir son offre dans les domaines à fort potentiel – multimédia, vidéo, nouveaux produits adaptés aux mobiles –, qui devraient atteindre à terme près de 35 millions d'euros de chiffres d’affaires, et mettre à niveau son outil de production devenu obsolète. Elle va y investir 30 millions d'euros au cours des cinq prochaines années, dont 20 millions d'euros d’aides de l’État et 10 millions d'euros en autofinancement.
Pour porter tout ce processus de modernisation, l’AFP doit évidemment évoluer. Sa situation est en fait très particulière puisque c’est une entreprise commerciale sans actionnaire ni capital. Or, elle a besoin, comme les autres agences, de lever des fonds nécessaires pour se financer, pour prendre le tournant du numérique, sans, bien sûr, remettre en cause en quoi que ce soit son indépendance rédactionnelle, qui est précisément la clé de sa réputation et de sa crédibilité.
J’ai ainsi demandé à son président de faire des propositions sur les évolutions statutaires de nature à assurer une meilleure adaptation de l’AFP au contexte actuel. J’insiste, l’idée n’est évidemment pas du tout de privatiser l’AFP. Il s’agit de lui permettre éventuellement d’ouvrir le capital à des actionnaires publics ou parapublics. Cela étant, il est difficile d’anticiper sur les propositions qui nous seront faites.
En tout état de cause, notre objectif est tout simplement de donner à cette agence, dont nous sommes fiers, les moyens de son développement, sans remettre en question son indépendance. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’Union centriste.)