M. Jean-Pierre Sueur. C’est votre vision personnelle !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Sur la présence du Gouvernement en commission, nous aurons un très large débat, monsieur Hyest. Vous savez que le Gouvernement ne partage pas votre point de vue, qui a été aussi exprimé par plusieurs de vos collègues. Je crois important de tirer les conséquences du nouveau mode de fonctionnement des assemblées, qui donnera tant d’importance aux travaux des commissions.
Le Gouvernement n’entend pas imposer sa position (Exclamations sur les travées du groupe CRC-SPG) ni exercer une surveillance – le pourrait-il, d’ailleurs ? – ; il souhaite dialoguer, expliquer sa position sur les amendements. C’est normal et ce sera utile. Cela permettra de sortir de l’ombre dont parlait le doyen Gélard. Le Gouvernement préfère faire connaître son point de vue de manière claire et transparente pendant les débats en commission.
J’attire votre attention sur le fait que, en tout état de cause, l’Assemblée nationale maintiendra probablement cette faculté pour le Gouvernement de venir en commission à tous les stades de la procédure. La rédaction que vous retiendrez à l’article 11 ne doit pas l’empêcher, au nom du principe d’autonomie que vous avez eu raison de mettre en avant, comme l’a d'ailleurs fait M. Hugues Portelli.
Sur la présence ou l’absence du Gouvernement en commission, j’ai bien entendu les différents arguments avancés. Je me dois de rappeler cependant que, aux termes de la révision constitutionnelle, c’est le texte amendé en commission qui sera examiné dans l’hémicycle. Franchement, comment conserver, dès lors, la même appréhension qu’auparavant de la présence ou de l’absence du Gouvernement dans les débats alors que, jusqu’à maintenant, c’est le texte du Gouvernement qui est examiné en séance publique ? Le débat et le vote sur les amendements ont lieu dans l’hémicycle. Que je sache, le Gouvernement est constamment présent.
Vous nous dites qu’il ne faut pas que le Gouvernement soit présent dans certains cas en commission, alors que vous savez parfaitement que le texte qui sera discuté dans l’hémicycle ne sera plus de même nature. Jusqu’ici, vous aviez le texte du Gouvernement, dorénavant vous aurez le texte de la commission.
Je veux bien, monsieur Hyest, que l’on débatte de cette question, mais encore faut-il qu’elle soit bien posée. En l’occurrence, le problème n’est pas de savoir si le Gouvernement doit ou peut influencer constamment les éléments de la majorité ou l’ensemble des commissaires. À la limite, le débat est de même nature dans l’hémicycle. Donc, il faut bien qu’à un moment le Gouvernement puisse s’exprimer sur les amendements ; ensuite, chacun des commissaires, chacun des parlementaires votera en conscience.
Messieurs Frimat et Mermaz, je vous ai entendus affirmer que ce projet de loi organique ne donnait en rien de nouveaux droits au Parlement.
Le droit de résolution, les études d’impact, ce n’est pas rien ! Sincèrement, la manière de travailler qu’impose la révision constitutionnelle, je pense ici notamment à l’ordre du jour partagé, ne me paraît pas aboutir au renforcement du pouvoir du Gouvernement. D’ailleurs, lors de la dernière conférence des présidents, je n’ai pas eu le sentiment d’avoir beaucoup plus de pouvoirs que par le passé. J’ai même eu curieusement le sentiment que mes pouvoirs étaient progressivement répartis entre les présidents de commission, les présidents de groupe et la présidence du Sénat, au détriment du Gouvernement…
De la même manière, le fait que ce soit désormais le texte de la commission qui soit examiné en séance publique ne traduit pas un renforcement du pouvoir du Gouvernement. Ou alors je ne comprends plus très bien ce que cela signifie.
M. Yvon Collin a défendu avec beaucoup d’éloquence le droit individuel des parlementaires, qui a été soutenu à l’Assemblée nationale par M. Thierry Mariani, ainsi que l’a rappelé Mme Alima Boumediene-Thiery.
Avec l’article 13 bis, qui a été introduit à l’Assemblée nationale sur l’initiative du groupe Nouveau Centre, pour faire prévaloir, au travers d’amendements parlementaires, les droits des groupes d’opposition ou des groupes minoritaires, puis, avec l’article 13 ter, destiné à préserver le droit individuel d’amendement des parlementaires, vous avez réellement la preuve que le Gouvernement, dans cette affaire, loin de chercher à contraindre ou à imposer, veut au contraire dialoguer avec l’ensemble des groupes.
M. Jean-Pierre Sueur. Pourquoi proposer l’article 13 ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Si nous réussissons cette réforme, nous pourrons trouver un équilibre qui permette à chacun de s’exprimer clairement, tout en offrant au Parlement des débats plus lisibles et peut-être plus compréhensibles pour nos concitoyens.
M. Jean-Pierre Sueur. Les citoyens comprennent très bien !
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Pour ce qui est des droits des groupes, je souhaite que cela se traduise très concrètement dans les règlements des assemblées.
Monsieur Mercier, citant une nouvelle fois Marcel Prélot, auteur qui vous est cher - je tiens d'ailleurs à votre disposition une édition de son cours de droit parlementaire de 1957-1958 que vous vouliez absolument retrouver (Sourires.) -, vous avez raison d’affirmer que « c’est autour du droit parlementaire que gravite toute l’activité politique ».
Telle est bien l’ambition de la révision constitutionnelle, de ce projet de loi organique et, demain, de la réforme du règlement de votre assemblée. Il s’agit de redonner vie à la politique, en créant une nouvelle dynamique parlementaire. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Je suis saisi, par M. Michel et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n°45 tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi organique, adopté par l'Assemblée nationale, relatif à l'application des articles 34-1, 39 et 44 de la Constitution (n° 183, 2008-2009).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n’excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Jean-Pierre Michel, auteur de la motion.
M. Jean-Pierre Michel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'État, mes chers collègues, après les débats utiles de la discussion générale, je vais tenter, au nom de mon groupe, de vous faire partager ma conviction que certaines dispositions de ce projet de loi, notamment son article 13, sont contraires à la Constitution.
Ce projet de loi, en fait, procède d’une entreprise systématique d’abaissement du Parlement, il faut le répéter : des résolutions, mais qui ne passeront pas devant les commissions ; la possibilité pour le Gouvernement d’être présent à tout moment pendant le travail des commissions, y compris en commission mixte paritaire ; enfin, la limitation du droit d’expression des parlementaires dans la défense de leurs amendements.
Pour comprendre cette évolution, il faut revenir à la révision constitutionnelle de juillet 2008. Le Président de la République avait annoncé une réforme qui permettrait de renforcer les droits du Parlement ; or on en est très loin.
Dès le début en effet, la réforme a été bornée par la défense qui a été faite à la commission Balladur de discuter des modes de scrutin, notamment à l’Assemblée nationale, et donc par la volonté de maintenir le fait majoritaire. Elle a été également bornée par l’interdiction de discuter du cumul des mandats, ainsi que de l’irresponsabilité du chef de l’État, de son droit de dissolution, alors qu’il lui est au contraire permis de s’adresser au Parlement sans que les parlementaires puissent lui répondre. Il est vrai qu’il n’a pas encore usé de cette faculté et que, dans les circonstances difficiles d’aujourd’hui, il a préféré s’exprimer devant la télévision....
Par ailleurs, cette réforme maintient le vote bloqué, et l’article 49-3, procédures qui permettent à l’exécutif de contenir le Parlement dans l’exercice de ses prérogatives.
Certaines avancées étaient cependant prévues, comme la constitutionnalisation des groupes politiques, le partage de l’ordre du jour entre le Gouvernement et les assemblées ; curieusement, monsieur le secrétaire d'État, nous n’en avons pour l’instant rien vu, le Gouvernement n’ayant pas souhaité commencer par les projets de loi organique afférents, qui auraient revalorisé le rôle du Parlement. Il a préféré nous soumettre deux projets de loi organique : l’une, de convenance, qui permet aux ministres de récupérer leurs sièges de parlementaires, disposition peut-être spécifiquement prévue pour l’actuel secrétaire général de l’UMP, et l’autre, qui nous occupe aujourd’hui. Tout le reste est reporté aux calendes grecques.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y avait des délais à respecter !
M. Jean-Pierre Michel. Il faut noter d’ailleurs que le règlement de nos assemblées a déjà été modifié pour limiter la durée des motions de procédure, notamment le temps de parole qui m’est imparti aujourd'hui à cette tribune.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y a longtemps !
M. Jean-Pierre Michel. Et que dire de la pratique qui prévaut depuis le début de cette législature ? Les déclarations d’urgence sont désormais systématiques, ce qui prive les assemblées d’une deuxième lecture, et ce sur tous les textes importants. On peut également dire que le fait majoritaire à l’Assemblée nationale comme au Sénat, a pour conséquence pour presque tous les textes de multiplier les votes conformes et de transformer les commissions mixtes paritaires en simples chambres d’enregistrement.
C’est la conception des institutions du Président de la République, qu’il a d’ailleurs exprimée très nettement le 12 juillet 2007, à Épinal : « Si l’État en France doit obéir à la séparation des pouvoirs, ils ne sauraient être divisés en pouvoirs rivaux, qui se combattent, qui s’affrontent, qui s’affaiblissent l’un l’autre. » On voit ici que le chef de l’État, qui se dit respectueux en théorie de la séparation des pouvoirs, en annule totalement les effets au détour d’une petite phrase, puisque, s’il soutient l’idée d’une collaboration des différents pouvoirs, c’est pour mieux aboutir, dans sa pratique, à une confusion des pouvoirs et à une confiscation totale par l’exécutif. C’est exactement ce à quoi nous assistons !
Il y aurait beaucoup à dire sur ce sujet, mais je ne dispose pas d’assez de temps aujourd’hui.
Cette pratique du chef de l’État donne le sentiment que le Parlement ne doit exercer ses droits qu’à la condition de demeurer sous la tutelle de l’exécutif. D'ailleurs, monsieur le secrétaire d'État, on pourrait dire la même chose de vous, du Gouvernement et du Premier ministre, vous qui agissez sous la tutelle du secrétaire général de l’Élysée. (M. le secrétaire d'État d’État fait un signe dubitatif.)
Cerise sur le gâteau, on nie le droit pour chaque parlementaire d’exprimer sa position personnelle à travers la défense d’amendements. Je n’aurais jamais imaginé, après presque trente ans de vie parlementaire, que l’on serait revenu sur ce droit essentiel ! Jean-Louis Debré en avait eu la tentation en 2006, mais il avait dû renoncer sous la pression des présidents de groupes, notamment de celui de l’UMP, l’actuel président de l’Assemblée nationale, qui se renie aujourd'hui, mais une fois n’est pas coutume…
Pour avoir été à deux reprises vice-président de l’Assemblée nationale, je sais ce qu’est l’obstruction parlementaire, je sais ce que sont les amendements en cascade, mais je sais aussi ce qu’est la richesse d’un débat et d’une confrontation.
Oui, cet article 13 est inconstitutionnel, mes chers collègues. En effet, il est contraire à l’article 44 de la Constitution selon lequel le droit d’amendement des membres du Parlement est individuel, comme est personnel leur droit de vote aux termes de l’article 27 de la Constitution, principe qui est d’ailleurs confirmé par l’article 1er du présent projet de loi.
Ce « crédit temps » que l’on veut nous imposer, outre qu’il est contraire à la règle constitutionnelle, poserait des problèmes pratiques, quasi insolubles pour son application.
Il suffit, pour le comprendre, de se poser quelques questions.
Comment comptabiliser les suspensions de séance ? Comment comptabiliser les rappels au règlement ? Comment les services de la séance et les groupes pourront-ils mesurer le temps qui reste au fur et à mesure de l’avancement des travaux ? Faudra-t-il que notre hémicycle soit pourvu de cadrans électroniques géants qui permettront à chaque parlementaire de décompter le temps passé ?
Comment, par ailleurs, anticiper sur le déroulement de la séance, par définition soumis à l’imprévisibilité du débat ? Nous savons tous très bien d’expérience qu’un amendement, un article, peut prendre soudainement plus d’importance qu’un autre et nécessiter que l’on y consacre un certain temps. D’ailleurs, je remarque que les présidents de séance, ici, au Sénat, respectent ce temps du débat parlementaire, qui est fait d’accélérations mais aussi de ralentissements, et qui permet le cas échéant d’approfondir telle ou telle disposition jugée importante.
Comment également traitera-t-on le problème des non-inscrits ou celui des parlementaires qui désirent déposer des amendements en dehors de leur groupe, comme ils en ont le droit ? En effet, le droit d’amendement est personnel et il n’est pas l’expression d’un groupe politique aux termes de la Constitution, même si, dans la pratique, il tend à le devenir et qu’il le deviendrait totalement si ce projet de loi organique était malheureusement adopté.
Le système qui nous serait alors imposé aboutirait à ce que le droit d’amendement ne puisse finalement s’exprimer qu’à travers les amendements des groupes politiques constitués, ce qui est totalement contraire à l’esprit de la Constitution.
Au surplus, on peut noter que le droit d’amendement du Gouvernement n’est, lui, pas encadré et qu’il existe donc, une nouvelle fois, une dissymétrie dans les droits respectifs dont jouissent au sein du Parlement le Gouvernement et les parlementaires eux-mêmes.
On en voit bien d’ailleurs la raison ; en fait, la liberté de discussion parlementaire est incompatible avec le concept de « forfait temps ». Cette procédure va assécher le débat, transformer les assemblées en théâtre d’ombres, en simples greffes, car tout enjeu aura disparu, le débat étant verrouillé à l’avance.
Lorsqu’un groupe aura épuisé son temps de parole, il ne pourra plus défendre un amendement ; or, on le sait bien, un amendement appelé mais non défendu n’a aucune chance d’être adopté, surtout s’il émane de l’opposition.
L’exercice du droit d’amendement est essentiel au débat démocratique, car il permet notamment à l’opposition de présenter des contre-propositions.
Mais, j’entends déjà vos réponses, monsieur le secrétaire d’État, monsieur le rapporteur : tout cela est optionnel
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je n’ai encore rien dit !
M. Jean-Pierre Michel. J’entends aussi ce qu’il se dit de la réunion du groupe de travail qui, au Sénat, réfléchit, comme il convient, à la modification de notre règlement.
Pourquoi s’alarmer, en effet, dans la mesure où le règlement du Sénat ne comportera aucune mesure en ce sens ? Pour ma part, je pense que, bien au contraire, le fait que le règlement de l’Assemblée nationale le prévoie …
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Peut-être !
M. Jean-Pierre Michel. … est une raison suffisante pour s’inquiéter. Car enfin, mes chers collègues, nous ne légiférons pas uniquement pour nous, de façon totalement égoïste ! De surcroît, j’émets les plus expresses réserves sur cette interprétation. En effet, au titre IV de la Constitution, il est précisé, au deuxième alinéa de l’article 24, s’agissant du Parlement : « Il comprend l’Assemblée nationale et le Sénat ». Ces deux chambres forment donc ensemble une entité qui est le Parlement, et c’est le Parlement qui est reconnu dans la Constitution. Cette dernière édicte d’ailleurs pour les deux assemblées des règles semblables, notamment en ce qui concerne le statut des parlementaires ou l’organisation des débats.
L’article 28 de la Constitution prévoit uniquement la possibilité pour chaque chambre de fixer différemment ses semaines de séance et, par son règlement, de déterminer les jours et les horaires pendant lesquels les assemblées siégeront. On voit bien qu’il s’agit là de dispositions mineures au regard de celles qui nous occupent, qui sont relatives à la liberté d’expression des parlementaires.
Dès lors, peut-on concevoir que les règlements de nos deux assemblées soient différents sur un sujet aussi fondamental que celui de l’organisation de nos débats, qui constitue le cœur même du travail parlementaire, l’expression de l’opposition, de l’ensemble des parlementaires, députés et sénateurs ? Est-il envisageable que la liberté d’expression des parlementaires soit bridée là-bas et plus « libérée » ici et que les deux chambres délibèrent selon des procédures différentes ?
Le Conseil constitutionnel accepterait-il une telle différence, lui qui tend à unifier les règlements de nos deux assemblées sur des questions importantes, notamment sur l’application de l’article 40 pour laquelle le Sénat a été sommé de suivre la procédure en vigueur à l’Assemblée nationale ?
Sur un tel sujet, j’espère que le Conseil constitutionnel saura se faire entendre et n’acceptera pas que les deux chambres soient traitées différemment.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois. Il l’a déjà accepté !
M. Jean-Pierre Michel. Par ailleurs, il existe dans ce projet de loi organique une autre disposition qui n’est pas conforme à la Constitution : il s’agit de l’article 3, qui introduit une confusion entre les compétences du Gouvernement et celles du Premier ministre.
Cet article confie en effet les décisions prises en conseil des ministres au Premier ministre, alors que la Constitution reconnaît ce pouvoir au Gouvernement aux termes de l’article 34-1.
Cette disposition est inconstitutionnelle et devra être censurée. Nous verrons cela dans la suite du débat.
M. Patrice Gélard, vice-président de la commission des lois C’est corrigé !
M. Jean-Pierre Michel. Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais revenir à mon point de départ : ce projet de loi organique, notamment l’article 13, est en fait destiné à satisfaire le Président de la République, dont le temps ne concorde pas avec celui du Parlement. Il n’y a pas de concordance des temps, comme aurait dit mon instituteur à l’école primaire. (Sourires.)
En effet, l’horizon du Président de la République ne dépasse pas la journée : c’est la carte postale, c’est l’écran de télévision, c’est le déplacement en province – voire subrepticement à l’étranger, sans qu’on le sache, pour des raisons de sécurité –, c’est une réforme annoncée qui ne sera peut-être pas réalisée ou qui sera contredite par les dures réalités de la vie. Nous le voyons aujourd'hui avec la crise économique que nous traversons.
Le temps du Parlement, c’est l’analyse des textes ; c’est leur évaluation ; ce sont les auditions, qui permettent la contre-expertise ; c’est la confrontation entre une majorité et une opposition qui, par leurs échanges, font vivre la démocratie ; c’est la délibération collective, qui permet de corriger, d’amender et d’améliorer la copie forcément imparfaite, monsieur le secrétaire d’État, du Gouvernement ; ce sont bien sûr les commissions qui débattent, hors la présence du Gouvernement, pour améliorer le texte, ce qu’elles font souvent, notamment sur des questions techniques très précises ; ce sont les débats publics dans l’hémicycle en présence du Gouvernement, les motions de procédure, la discussion générale.
Mais le temps du Parlement, c’est surtout le débat sur les articles et sur les amendements, qui constitue le cœur du travail législatif ; c’est le moment de l’interpellation et de la confrontation directe, sans filtre, entre le Gouvernement, la commission, la majorité, les oppositions, chacun étant placé devant ses responsabilités, voire devant ses contradictions et, en tout cas, devant ses contradicteurs.
C’est tout cela que vous voulez supprimer !
Sans Parlement, que serait la vie politique, sinon une suite de monologues ? Où aurait lieu la confrontation, dans la rue, comme ces jours derniers ? Monsieur le secrétaire d’État, est-ce réellement votre souhait, celui du Gouvernement, celui du Président de la République ? (Protestations sur certaines travées de l’UMP.)
La seule question qui vaille, mes chers collègues, c’est bien celle de la revalorisation de nos travaux, à laquelle ce projet de loi organique ne contribuera pas, bien au contraire ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, rapporteur. J’ai écouté avec la plus grande attention notre collègue Jean-Pierre Michel défendre la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. Bernard Frimat. Et vous êtes convaincu !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur Michel, vous pouvez être rassuré : en tout état de cause, ce projet de loi organique fera l’objet d’un examen par le Conseil constitutionnel.
Si j’excepte la critique du Président de la République, à laquelle nous avons eu le temps de nous habituer depuis cet après-midi, les quelques arguments que vous avez avancés me paraissent extrêmement faibles, voire inexistants.
M. Jean-Pierre Bel. Cela commence mal…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je m’en tiens à ce qui a été dit à l’appui de cette motion, et pas aux considérations annexes…
M. Jean-Pierre Bel. La parole est libre !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes, on peut dire ce que l’on veut sur n’importe quel sujet, mais les arguments avancés sont ce qu’ils sont.
L’encadrement de la durée des débats ne soulève pas de difficultés constitutionnelles. L’article 49 du règlement de l'Assemblée nationale avait d’ailleurs prévu un tel dispositif jusqu’en 1969. Le Conseil constitutionnel, qui avait été appelé à se prononcer sur la conformité à la Constitution de ce règlement au début de la Ve République, n’avait pas soulevé l’inconstitutionnalité de ce dispositif. Cet argument ne tient donc pas.
M. François Rebsamen. Le Président de la République n’était alors pas élu au suffrage universel !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Peu importe, cela n’a pas de rapport !
Quant à l’exercice du droit d’amendement, il découle de l’article 44 de la Constitution.
Monsieur Michel, en ce qui concerne l’inconstitutionnalité des autres dispositions du projet de loi organique, je vous donne raison seulement sur un point : les compétences accordées au Premier ministre ou au Gouvernement. Nous allons corriger le texte pour indiquer que les compétences sont bien celles du Gouvernement, comme le prévoit d’ailleurs la Constitution.
La commission émet donc un avis défavorable sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
M. Roger Karoutchi, secrétaire d'État. Je serai bref, car je me suis déjà en fait exprimé sur ces arguments tout à l’heure, en répondant aux orateurs.
Monsieur Michel, au début de votre intervention, vous avez reproché au Gouvernement d’avoir présenté un projet de loi organique sur le fonctionnement du Parlement qui n’évoquait pas certaines questions, comme l’ordre du jour partagé.
Je vous rappelle que cette disposition, tout comme celle qui est relative à l’examen en séance publique du texte élaboré en commission, est d’application automatique à compter du 1er mars prochain, sans qu’il y ait besoin d’une loi organique. Le Parlement disposera donc de ce pouvoir dans une quinzaine de jours.
Quant au reste de vos arguments, très franchement, il me semble que vous n’apportez en rien la démonstration de l’inconstitutionnalité de certaines dispositions. De plus, comme l’a rappelé le président Hyest, le Conseil constitutionnel sera automatiquement saisi du projet de loi organique. Par conséquent, nous disposerons de l’analyse qu’il fera de ce texte.
Je profite de cette discussion pour signaler au président Hyest – mais nous aurons l’occasion d’en débattre plus tard – qu’il me semble qu’une disposition pourrait être regardée de près par le Conseil constitutionnel, celle qui concerne la présence des membres du Gouvernement en commission lors du débat et du vote sur le projet de texte. Sur ce point, le Conseil constitutionnel précisera certainement sa position ; au besoin, nous nous adapterons.
Dans ces conditions, je ne peux qu’émettre un avis défavorable sur la motion tendant à opposer l’exception d’irrecevabilité.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon-Poinat, pour explication de vote.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Profitons du temps qui nous reste pour intervenir !
Le groupe CRC-SPG votera l’exception d’irrecevabilité que vient de présenter notre collègue Jean-Pierre Michel. Je souhaite rapidement appuyer sa démonstration par deux réflexions.
Premièrement, l’article 13 du projet de loi organique constitue une utilisation de la Constitution, et non pas son application. En effet, la Constitution n’oblige en rien à inscrire dans la loi organique des dispositions relatives au temps global de discussion, ce « 49-3 » parlementaire, cette autocensure du Parlement.
J’en veux pour preuve éclatante le fait que les groupes de travail chargés de réfléchir sur la réforme du règlement, tant à l’Assemblée nationale qu’au Sénat, n’ont, durant des semaines, nullement envisagé une telle disposition. C’est seulement avec la publication de l’avant-projet de loi organique que le débat s’est envenimé sur cette question.
La Constitution a été modifiée sur un point important : désormais, les amendements peuvent être adoptés en commission ou en séance publique. Rien n’empêche donc, selon la Constitution, des amendements en séance publique. On peut estimer que cette modification a pour but de favoriser la discussion en commission – nous ne le regrettons pas –, tout en respectant le droit constitutionnel de présentation de l’amendement, clairement affirmé par la décision du Conseil constitutionnel du 7 novembre 1990.
La question était alors de savoir si un amendement présenté en commission ne pouvait plus être défendu en séance, comme il était alors proposé au titre d’une modification du règlement du Sénat. Le Conseil constitutionnel avait alors estimé qu’une telle disposition ne respectait pas « l’exercice effectif du droit d’amendement ».
La révision constitutionnelle du 23 juillet 2008 n’autorise qu’une seule chose : un amendement déposé et défendu en commission pourrait ne pas l’être en séance publique. Cette piste, qui avait été envisagée par certains, n’a pas été retenue : un amendement qui n’a pas été défendu en commission pourra tout de même l’être en séance publique.
L’article 13 du projet de loi organique est donc manifestement anticonstitutionnel puisqu’il ne respecte pas l’exercice effectif du droit d’amendement, principe qui conserve aujourd’hui toute sa valeur constitutionnelle, en ce qu’il empêcherait un amendement déposé en séance publique, et seulement en séance publique, d’être présenté.
Nous l’avons souvent entendu, le droit d’amendement de chaque parlementaire est imprescriptible et inaliénable, mais il doit également être effectif : l’amendement doit être présenté, débattu et soumis au vote, si des irrecevabilités n’ont pas été soulevées.
Deuxièmement, est-il envisageable que le règlement de l’Assemblée nationale, assemblée élue au suffrage universel direct, remette en cause le droit d’amendement en séance publique, alors que tel ne serait pas le cas au Sénat ?
Lors de son audition par la commission des lois pour préparer ce débat, le professeur Jean Gicquel a souligné, à deux reprises, l’impossibilité constitutionnelle qu’il y avait à envisager une différence entre les règlements des deux assemblées sur un point aussi crucial que celui du droit d’amendement.