M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Sans jeu de mots, c’est même tout à fait courant ! (Sourires.)
M. François Fortassin. J’ai connu mieux. Au cœur de l’Amérique andine, au milieu de paysages somptueux où vivent des populations extrêmement pauvres de langue quechua, dont à peine 50 % connaissent l’espagnol, une ONG n’a rien trouvé de mieux que d’y envoyer une jeune fille pendant six mois, spécialiste du tourisme, angliciste distinguée, mais ne parlant pas un mot d’espagnol.
Voilà des exemples de gaspillages et de coups d’épée dans l’eau qu’il vaudrait mieux éviter.
Enfin, l’action de l’Agence française de développement doit être beaucoup plus visible, car n’oublions pas que, pour de nombreux pays, la France est un exemple sur le plan politique, de la générosité, du développement, et ils en attendent beaucoup. En matière de coopération décentralisée, nous avons une ardente obligation : répondre à ces attentes. (Applaudissements sur plusieurs travées.)
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
Mme la présidente. La parole est à M. Robert del Picchia.
M. Robert del Picchia. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je voudrais me féliciter des propos tenus par M. Brice Hortefeux sur les très importantes avancées en matière de politique d’immigration, d’intégration et de développement solidaire. Pour nous, représentants des Français de l’étranger, c’est sans doute d’une importance plus grande que pour d’autres collègues, car c’est un sujet auquel on est très sensible dans les pays de résidence.
Tout d’abord, des dispositions concernant la langue française, que nous considérons comme l’élément d’intégration par excellence, ont été annoncées. Ensuite, l’adoption du Pacte européen sur l’immigration et l’asile encourage les États membres de l’Union européenne a signé avec les pays d’immigration d’origine des accords s’apparentant aux accords bilatéraux que la France a déjà signés avec sept pays.
Cela étant dit, l’année dernière, lors de l’examen des crédits de la mission « Aide publique au développement », j’étais intervenu de façon encore plus appuyée que les années précédentes sur la situation de nos compatriotes retraités d’Afrique qui ne percevaient plus la pension qui aurait dû leur être versée par les caisses africaines de sécurité sociale. J’avais même déposé un amendement visant à créer un programme pour apurer la dette de l’État congolais. En effet, au Congo, plus de 500 Français dûment recensés ne touchent plus leur retraite depuis quinze ans.
Grâce à l’appui du Sénat, notamment du rapporteur spécial, M. Michel Charasse, M. le secrétaire d’État chargé de la coopération et de la francophonie s’était engagé à ce que la France ne signe pas le Document-cadre de partenariat avec le Congo tant qu’un accord ne serait pas trouvé.
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. C’est exact !
M. Robert del Picchia. Ce débat a fait un peu de bruit au Congo. Deux ou trois jours après cette séance, M. Bowao, le ministre chargé de la coopération, m’a téléphoné pour demander à me rencontrer. À cette occasion, il m’a présenté un échéancier des paiements des arriérés de pension, sinon sur quinze ans, du moins sur les dix dernières années.
Je suis donc heureux de pouvoir vous annoncer, mes chers collègues, que votre soutien a été positif, puisque la situation a favorablement évolué pour nos compatriotes.
L’échéancier est respecté. Le gouvernement congolais a versé à sa caisse de sécurité sociale une somme supérieure aux montants nécessaires pour couvrir la période de 1997-2006. On peut donc légitimement espérer que le solde permettra d’apurer les arriérés antérieurs.
En ce qui concerne le paiement des arriérés de 1997 à 2006, la caisse de sécurité sociale a déjà versé, par l’intermédiaire d’une banque locale, une bonne partie des sommes dues. Il ne reste que les années 2003 et 2004 à régler, même s’il y a encore quelques régularisations à faire sur les autres années. Enfin, les pensions courantes depuis 2007 sont payées presque régulièrement.
On peut donc dire que la situation est quasiment assainie. On espère que les années 2003 et 2004 seront très rapidement apurées.
Je tiens à souligner la bonne volonté de l’État congolais depuis le dépôt de cet amendement, et même depuis le début de nos négociations en décembre 2007. Je veux donc remercier le président Sassou Nguesso, qui a permis que l’on arrive à ce résultat, le ministre chargé de la coopération, M. Bowao, ainsi que l’ambassadeur de France à Brazzaville, M. Normand, qui a eu un rôle déterminant. Il est important de signaler des diplomates qui s’engagent fortement.
Tout le monde pourrait penser que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes et se demander pourquoi j’interviens à la tribune. En fait, un problème subsiste, celui des frais bancaires applicables aux virements des pensions en France.
Vous me rétorquerez que toutes les banques ou presque les facturent. En Europe, ces frais s’élèvent, je crois, à 10 euros. Mais au Congo, la banque locale prélève 20 % sur les sommes versées. Cela fait beaucoup pour des retraités qui attendent le versement de leur petite pension depuis quinze ans. Vous imaginez bien qu’il est hors de question que nos compatriotes acceptent de rembourser cet argent et même qu’on leur prenne 20 % au passage.
Pour conclure, monsieur le secrétaire d’État, je vous demande votre soutien actif afin que nos compatriotes retraités du Congo ne soient pas une fois de plus pénalisés et qu’ils puissent toucher intégralement leur retraite et les arriérés.
Je voterai avec conviction les crédits de la mission « Aide publique au développement », mais je vous demande de rester vigilant, voire d’intervenir auprès de nos amis congolais afin que la banque applique des retenus, disons-le, honnêtes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Monique Cerisier-ben Guiga.
Mme Monique Cerisier-ben Guiga. Madame la présidente, madame la secrétaire d’État, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, je vais me montrer moins optimiste que mon collègue del Picchia et aborder les crédits de cette mission de façon plus générale.
Le projet de budget pour 2009 me laisse à penser que la France considère de plus en plus l’aide publique au développement comme une B.A., c’est-à-dire que, comme un boy-scout, on peut faire un peu semblant. Or, selon moi, c’est l’un des trois piliers de l’action internationale en interaction avec la diplomatie et, quand les circonstances l’exigent, avec la défense.
Rien, pas même la visite éclair du Président de la République à Doha le week-end dernier, ne nous empêchera de constater que les chiffres de l’aide publique au développement mentent : la moitié de notre APD est factice, l’aide bilatérale stagne depuis 2001 à 1,7 milliard d’euros et baisse de 12 % dans le projet de budget pour 2009. De surcroît, le décret du 28 novembre dernier annule plus de 27 millions d’euros en autorisations d’engagement et plus de 34 millions d’euros en crédits de paiement. Monsieur le secrétaire d’État, quels secteurs seront-ils frappés par cette annulation ?
Les chiffres mentent !
La France, acteur de premier rang des conférences internationales sur le développement, se présente comme le troisième bailleur mondial de l’aide publique au développement. Si l’on en croit les chiffres, elle est censée consacrer plus de 9,5 milliards d’euros au développement en 2009. Mais ce n’est pas du tout ce qui apparaît sur le terrain.
En fait, ces 9,5 milliards d’euros sont en grande partie le produit de la comptabilisation de dépenses sans relation avec le développement.
Vous me rétorquerez, monsieur le secrétaire d’État, que notre pays ne fait que se conformer aux règles de l’OCDE. Pour autant, il est quand même terrible d’avoir, d’un côté, une aide virtuelle énorme et, de l’autre, une aide réelle de plus en plus faible. L’abîme se creuse.
Comme l’a rappelé M. Vantomme, nous sommes critiqués par le CAD de l’OCDE, car nous déclarons plus de 1 milliard d’euros pour les frais d’accueil des étudiants étrangers ou des réfugiés. Ce chiffre ex post ne correspond à rien et est excessif.
Nous déclarons aussi des annulations de dette, comme celle de l’Irak ou du Nigéria, qui sont en fait des dettes commerciales, ce que nous ne devrions pas faire au titre de l’aide au développement. Le plus grave est que nous déclarons les mêmes annulations de dette plusieurs années de suite. Tel est le cas pour la Côte d’Ivoire en 2007 et en 2008, puis maintenant pour 2009. Retrouverons-nous cette somme dans le projet de budget pour 2010 ? Là, vraiment, les chiffres mentent !
Si nous entrons dans le détail, les crédits véritablement disponibles, ceux de la mission « Aide publique au développement » auxquels on peut ajouter les prêts de l’AFD, ne représentent plus que 6,3 milliards d’euros. Les prévisions de prêts de l’AFD passent de 469 millions d’euros en 2008 à 927 millions d’euros en 2009.
Dans ces conditions, on pourrait penser que notre pays est un peu plus visible et un peu plus audible sur le terrain. Tel n’est pas le cas, car, comme plusieurs intervenants l’ont dit, nous avons fait le choix, et probablement d’une façon excessive, du financement des structures européennes et onusiennes d’aide. Or, faute d’une forte présence directe sur le terrain, en coopération bilatérale, nous n’avons plus ni les hommes ni les instruments qui pourraient orienter et évaluer les actions de ces grandes structures.
Pourtant, nous avons besoin des deux. L’action multilatérale n’est pas contre l’action bilatérale, et inversement. Sans action bilatérale sur le terrain, on est incapable de peser sur l’action multilatérale. C’est d’ailleurs ce qu’il nous arrive actuellement.
Je voudrais essayer de comprendre pourquoi nos financements multilatéraux ont augmenté à ce point. Ils représentent maintenant plus de 66,7 % de la mission APD.
Une première raison est que les engagements pris n’ont pas été maîtrisés, comme c’est le cas de notre contribution au Fonds européen de développement, qui atteint 800 millions d’euros en 2009 et qui devrait croître encore dans les années à venir.
On peut aussi se demander s’il ne s’agit pas d’un choix délibéré, plutôt sympathique finalement, qui mettrait, d’une certaine manière, notre aide à l’abri des réductions budgétaires, puisque, en ce qui concerne la modalité multilatérale de l’aide, nous sommes contraints par nos engagements internationaux. À l’inverse, aucune contrainte ne s’exerce pour l’aide bilatérale, et nous voyons ses crédits baisser.
Trouvons donc le juste équilibre entre aide multilatérale et aide bilatérale.
Force est de constater que le paysage de l’aide multilatérale s’est singulièrement compliqué ces dernières années par la multiplication des créations de fonds fiduciaires chaque fois qu’une priorité semble s’imposer.
Prenons le cas du Fonds de lutte contre le sida, qui ne parvient pas à « décaisser », tout simplement parce qu’il a tout à coup reçu trop d’argent.
Le plus souvent, ces fonds ne sont même pas opérateurs des crédits dont ils disposent. On se retrouve alors dans une situation absurde, où le bailleur, qui a trop d’argent, cherche désespérément des projets à financer et des acteurs pour les mettre en œuvre – or il n’y a plus de coopération bilatérale française pour le faire – alors que des pans entiers des besoins sociaux et économiques sont orphelins de l’aide.
La crise alimentaire est venue nous rappeler cruellement à quel point le développement rural et l’agriculture avaient été délaissés par les grandes organisations multilatérales, alors qu’ils avaient été traditionnellement prioritaires dans notre coopération française bilatérale. (M. Robert Hue acquiesce.)
Je ne souhaite pas verser dans le passéisme, je souligne simplement que le ministère de la coopération avait su donner l’importance qu’il fallait à l’action rurale, qui garantit la sécurité alimentaire des populations, tandis que les grandes organisations internationales ont au contraire aggravé la dépendance alimentaire de ces populations.
Finalement, la France est moins présente dans l’aide publique internationale qu’elle ne le devrait, alors qu’elle paie un ticket d’entrée apparemment supérieur à celui de ses partenaires pour faire valoir ses points de vue. La raison en est que nous sacrifions à ces fonds multilatéraux les instruments de notre aide bilatérale, alors que c’est par elle que nous pouvons y peser.
Par ailleurs, à force de tout embrouiller au niveau des structures de l’État, comme au niveau des objectifs, la France apparaît sur le terrain velléitaire, incompréhensible et sans moyens d’action directe lisible.
L’action du ministère de l’immigration, qui prétend acheter l’enfermement des citoyens migrants à leurs gouvernements, défigure la notion de coopération.
Dans son discours du Cap, le Président de la République a évoqué la hausse « des engagements financiers bilatéraux pour l’Afrique subsaharienne ». Par un simple jeu sémantique, on ne parle plus « d’aide au développement », mais « d’engagement financier », c’est-à-dire de prêts. Et en effet, devant l’indigence de nos moyens sur subventions, nous ne pouvons proposer que des opérations de prêts.
Or pour réaliser un projet, il faut qu’une part de don amorce la dynamique du prêt. Là aussi, les deux sont absolument complémentaires. Nos prêts vont désormais soutenir l’économie des pays émergents. En 2007, la Chine est ainsi le dixième bénéficiaire de notre aide au développement. La France va soutenir les affaires des amis – Bouygues, Bolloré – en ré-endettant des pays trop pauvres.
Pour finir, monsieur le secrétaire d’État, nous déplorons que la France soit de plus en plus pingre et avare de son argent, plus que du sang de ses soldats, comme le montre l’exemple afghan. (Protestations sur les travées de l’UMP.) Je regrette d’avoir à le dire. C’est Serge Michaelof, un spécialiste de la coopération, qui l’écrit. Et je reprends son propos avec beaucoup de gravité.
Nous voulons, monsieur le ministre, que la France présente un budget d’aide au développement à la fois généreux et sincère, et non pas le faux-semblant que nous avons examiné et que nous ne voterons pas. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Mme la présidente. La parole est à M. Robert Hue.
M. Robert Hue. Madame la présidente, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, je souhaite d’emblée dire que je trouve particulièrement choquante et cynique l’attitude du gouvernement, qui manifeste sans aucune pudeur son autosatisfaction concernant le budget d’aide publique au développement, alors que, inexorablement, comme ma collègue vient de le rappeler, les aides consacrées aux pays les plus pauvres ne cessent de diminuer, ou sont employées à des fins qui n’ont rien à voir avec la mission première et concrète de l’aide publique au développement : l’éradication de la pauvreté dans le monde.
Cela alors même qu’un intéressant sondage nous apprend que 76% des Français, malgré le contexte de crise financière, souhaitent un maintien, voire un accroissement de l’aide ; alors que vous-même, monsieur le secrétaire d’État, dans Le Monde du 5 novembre, déclariez « il faut sauver les banques mais aussi les pauvres » (M. le secrétaire d’État opine.) et que le gouvernement prétend se fixer des objectifs ambitieux. La réalité est plus cruelle.
Les pays de l’OCDE ont réduit leur aide pour la deuxième année consécutive, ce qui rend peu crédible les objectifs pris en 2005 par le G8 à Gleneagles, en Écosse, d’augmenter de 50 milliards de dollars l’aide envers les pays les plus pauvres.
En effet, l’objectif de 0,7% fixé pour 2012 est, nous le savons maintenant, reporté à 2015. Et malgré ce glissement silencieux, malgré les effets d’annonce, il est évident, et non plus probable, que cet objectif ne sera pas atteint. Entre 2006 et 2007, nous avons déjà eu l’occasion de l’entendre, notre aide est passée de 0,49% à 0,37%. Elle se situe à 0,38% pour l’année en cours, et plafonnera entre 0,40 et 0,41% pour 2009.
Au-delà des chiffres, c’est toute la visibilité de notre aide qui est en cause. Cette légère hausse annoncée est illusoire puisqu’elle intègre d’hypothétiques allégements de dettes et la croissance des prêts. Les allégements de dettes font certes un bond spectaculaire mais sont totalement aléatoires et imprécis. Les prêts quant à eux sont accordés en priorité aux pays émergeants, où la France souhaite se positionner, au détriment des pays les moins avancés. Ceux-ci n’y ont d’ailleurs souvent pas accès, car ces prêts sont consentis par l’Agence française de développement à des conditions peu avantageuses.
À ce propos, je tiens à souligner le fait que cette agence se retrouve l’acteur pivot de l’aide publique au développement, alors que ses crédits sont en baisse. À ce rythme, les lignes budgétaires consacrées aux effacements de dettes ne pourront plus faire illusion longtemps.
Les ONG s’insurgent et, à l’instar de Coordination Sud ou Oxfam, dénoncent la baisse de l’aide publique. Avec ces promesses non tenues, la. France priverait les pays en voie de développement, et notamment l’Afrique, de centaines de millions de dollars. Pour l’Afrique de l’Ouest, les suppressions de subventions entre 2008 et 2009 représentent quarante-neuf millions d’euros ; dix-neuf millions pour l’Afrique Centrale. Oxfam a dénoncé également l’abandon de cinquante-cinq projets.
On nous assure que les principaux projets seront tenus. Lesquels et comment, monsieur le secrétaire d’État ? Il semble bien que les objectifs pour le Millénaire, classés en cinq phases prioritaires par l’ONU, soient aujourd’hui devenus secondaires, à part pour les pays à forte visée politique. Les Africains pourront bien attendre, et notamment les réfugiés de la République démocratique du Congo, qui à l’heure actuelle auraient bien besoin des retombées de notre aide.
La façon dont est tronçonné ce budget est inacceptable. L’aide publique au développement est fractionnée suivant les priorités politiques du Président de la République, et en aucun cas dictée par les nécessités, notamment concernant l’Afrique subsaharienne.
Où sont les engagements du Président de la République ? Il avait fait de la lutte contre la pauvreté en Afrique son cheval de bataille, en souhaitant que « la France y participe plus largement », comme annoncé en février 2008 en Afrique du Sud. Les 2,5 milliards d’euros promis alors ne sont en fait qu’un leurre, car ils sont bel et bien destinés au secteur privé. Quid de la santé ? Quid de l’éducation ? Et l’on oublie une vraie question : qui contrôlera ces fonds accordés au secteur privé ?
Le Président de la République souhaite un « nouvel ordre mondial » Nous exigeons que celui-ci soit guidé par des motivations d’humanité, de justice et d’équité sociale, et non par des priorités politiques en faveur d’intérêts privés ! Les pays les plus riches, quoi qu’on en dise, sont favorisés dans les négociations commerciales face aux pays les plus pauvres. En attestent les accords de partenariat France-Afrique-Caraïbes-Pacifique, pour le moins déloyaux, que j’ai déjà évoqués ici à plusieurs reprises.
L’apparition l’année dernière du ministère de l’immigration, devenu depuis le ministère du développement solidaire, est inquiétante et entretient la confusion entre migration et développement.
L’attention portée aux transferts des migrants appelle une réflexion sur notre conception de l’immigration. Souhaitons-nous faire en sorte que les personnes concernées puissent vivre dans leur pays avec leurs propres ressources, ou puisons-nous chez eux la main-d’œuvre qui nous intéresse, à grands coups d’accords dits de « gestion concertée » ? Tout cela est scandaleux et démontre une ingérence accrue et nouvelle – « new-look », en somme – de la France en Afrique.
Or ces transferts financiers sont très importants pour les Africains, notamment les villageois, bien plus que l’aide en elle-même. J’aimerais dénoncer au passage l’attitude des banques américaines, qui, nous le savons, prélèvent des frais considérables sur ces moyens, qui devraient revenir aux Africains.
De fait, est-ce résolument une façon de les piller davantage, de s’accaparer leurs élites et en retour, de les inonder de biens manufacturés ? Ou pire, d’organiser, en échange, le retour de ceux dont on ne veut pas. Tout cela est scandaleux et inhumain. Sans entrer dans les détails, je dirai que c’est tout à fait indigne.
La question de la visibilité et de l’efficacité de notre politique d’aide envers les pays les plus pauvres reste posée. Pouvons-nous obtenir dans votre réponse, monsieur le secrétaire d’État, une information concrète sur les intentions de la France dans les objectifs du Millénaire, des chiffres fondés sur la réalité, et non dissimulés derrière des artifices comptables ? Je souhaite qu’un calendrier précis nous soit soumis, que le Parlement en soit régulièrement informé et, le cas échéant, puisse le valider.
Pour l’heure, vous l’avez compris, il n’est aucunement question pour mes amis du groupe CRC et moi-même d’adopter ce budget. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC-SPG.)
Mme la présidente. La parole est à M. Georges Patient.
M. Georges Patient. Madame la présidente, madame, monsieur les secrétaires d’État, mes chers collègues, des circonstances exceptionnelles m’obligent à être ce jour le porte-parole de Jean-Etienne Antoinette, qui vous prie de l’excuser d’être retenu en Guyane par une crise sociale d’une haute gravité, qui l’empêche de quitter le territoire.
Comme vous le savez, le prix du carburant dans ce département est le plus élevé au monde, et a été le facteur déclenchant de ces évènements. Plus globalement, la Guyane paie cher son enclavement vis-à-vis des circuits commerciaux internationaux, et les termes de ses échanges sont marqués par des monopoles démesurés et des denrées de base dont les prix sont si élevés – ils peuvent atteindre jusqu’à deux à trois fois les prix nationaux – qu’ils ne peuvent plus être supportés par les revenus des ménages.
Si je me suis permis d’évoquer ici rapidement cette situation, c’est parce qu’elle n’est pas exempte de tout lien avec l’objet du débat d’aujourd’hui sur l’aide publique au développement. J’y reviendrai à la fin de mon propos.
Mais d’abord, permettez au nouveau venu que je suis de s’interroger face au budget de la mission tel qu’il est présenté. Au-delà de la tendance à la baisse des crédits, qui nous alarme tous, on sait que l’objectif de porter le niveau de l’aide de la France à 0,7% du PIB s’éloigne de plus en plus. De même détermine-t-on des axes forts dans la définition de l’aide, qu’il s’agisse de l’éducation, de la santé ou de la démocratie ? Et comment l’aide publique s’intègre-t-elle dans les circuits commerciaux internationaux ? L’aide publique au développement ne reste-t-elle pas difficilement lisible, du fait de la multiplicité des dispositifs qui en relèvent ?
En vérité, ce qui me rend perplexe, c’est le contenu même des notions d’aide et de développement dont ce budget est la traduction, ainsi que ses modalités de mise en œuvre, la géographie de cette politique publique et ses finalités.
J’ai été par exemple surpris par la comptabilisation dans les crédits de cette mission de certaines actions relevant du rayonnement culturel de la France à l’étranger…
M. Michel Charasse, rapporteur spécial. Et même de son rayonnement nucléaire !
M. Georges Patient. …comme la défense de la francophonie. Je conçois bien qu’elle favorise le déploiement de l’influence française aussi bien dans les pays en développement que dans les grandes institutions internationales, mais j’ai plus de mal à comprendre son positionnement au sein de la stratégie d’aide au développement stricto sensu menée par la France. Lequel des quatre objectifs stratégiques de l’APD sert-elle ?
Il est vrai que dans la nomenclature de l’aide publique au développement, l’intervention d’urgence sans autre but qu’humanitaire voisine avec des actions affichant clairement l’objectif de « promouvoir l’expertise française dans le domaine du développement durable et de la gouvernance économique et financière », ou encore celui de « promouvoir les priorités stratégiques françaises au sein des banques et des fonds multilatéraux ».
Il est vrai aussi que l’aide publique au développement se décline en dons et en prêts, multilatéraux et bilatéraux, avec des évolutions et des revirements de doctrine ces dernières décennies dans la communauté internationale. On pourrait regretter que les engagements à tenir par la France dans l’abondement des fonds multilatéraux fassent d’autant diminuer, en contexte de pénurie, la part de l’aide bilatérale, que l’on souhaiterait plus importante dans l’ensemble de l’aide envisagée sur la période 2009-2011.
Mais puisque l’aide est en principe conçue pour le développement des pays qui en ont besoin plutôt que pour le rayonnement des pays bailleurs ou donateurs, on devrait pouvoir tout à la fois concevoir des solidarités réellement internationales au service des territoires les plus nécessiteux, et des dispositifs de contrôle de l’usage et de l’efficacité de cette aide permettant à chacun des contributeurs de s’exprimer et de «rayonner », sans divergence stratégique.
Ou alors, plutôt que de défendre la francophonie pour elle-même, ne serait-il pas judicieux que la France se batte davantage pour renforcer sa position dans les instances décisionnelles multilatérales, afin de peser sur toute la chaîne de l’aide – orientation, suivi, contrôle ?
De même, pas plus les prêts que les dons ne me paraissent, en soi, de meilleurs outils d’aide ou de développement. La simple décence voudrait que l’on ne ré-endette pas un pays de façon insoutenable, que l’on n’impose pas des conditions inaccessibles à des États dont la population meurt de faim et que l’on sache discerner le moment et les conditions de l’effet levier optimal d’une aide-projet ou d’une subvention pour un pays qui en a besoin.
Enfin, la géographie de l’aide publique au développement française est vaste, répartie sur tous les continents, mais concentrée sur l’Afrique pour les deux tiers de cette aide, ce qui s’explique autant par l’histoire de ce continent que par la gravité des problèmes qu’il rencontre.
Mais faut-il qu’une histoire ou une langue commune soient les conditions – ça l’est de fait – des partenariats bilatéraux entre les pays développés et les autres, plutôt que la prise en compte, à l’échelle mondiale, de l’inégale importance des besoins ici et là, ou la reconnaissance, à l’échelle régionale, d’intérêts mutuels nouveaux, dans « un monde qui bouge » ?
Ainsi, curieusement, l’outre-mer français est également présent dans la géographie de l’aide publique au développement, notamment à travers l’action déléguée de l’Agence française de développement, l’AFD.
N’y aurait-il pas un intérêt, dès lors, à ce que des liens plus ouverts et plus ambitieux soient tissés entre ces territoires français excentrés et leurs États voisins, dans les océans Indien et Pacifique, dans la Caraïbe, et même dans l’Atlantique Nord, à travers des accords commerciaux, culturels, scientifiques, économiques moins contraints ? Ces derniers serviraient tout autant le développement de ces États que celui des territoires français ultramarins : une forme de codéveloppement sud-sud, en somme, facilitant les échanges commerciaux, réduisant certains coûts de transport de denrées et de matières premières. Je pense, par exemple, au carburant : en Guyane française, le litre de carburant, après avoir baissé de 30 centimes d’euro, coûte actuellement 1,47 euro ; de l’autre côté du fleuve Maroni, au Suriname, il ne coûte que 0,77 euro !
Quelles articulations sont-elles envisagées entre l’action « Insertion économique et coopération régionales » du budget 2009 de la mission « Outre-mer » et le programme « Développement solidaire et migrations » de la mission « Aide publique au développement » ? L’Union européenne va, semble-t-il, conclure des accords de partenariat économique, notamment dans l’espace « Caraïbes » et dans l’espace «océan Indien » au cours de l’année 2009, si d’autres urgences ne viennent pas entre-temps changer la donne…
Comme vous le constatez, madame, monsieur les secrétaires d’État, je n’ai guère que des interrogations face au budget actuel de l’aide publique au développement, une politique porteuse de tant d’enjeux pour l’équilibre mondial et tellement mise à mal.
Il est dramatique que les pays développés ne tiennent pas les engagements qu’ils ont pris à l’égard de ceux du sud, surtout quand cela va mal pour tout le monde. Il est d’autant plus inquiétant de penser que même les sommes inscrites dans le budget ne sont pas garanties, puisqu’elles peuvent faire l’objet de décrets d’annulation en cours d’année.
Mais c’est peut-être justement parce que l’heure me semble grave que, au-delà de notre inquiétude devant la baisse générale des crédits de l’aide mondiale, au-delà des appréhensions concernant les impacts encore non mesurables de la crise économique et financière des pays développés sur l’évolution économique et sociale des pays du sud, nous devrions nous interroger sur le sens même de notre politique d’aide au développement, sa destination, ses finalités.
Peut-être qu’après avoir retrouvé ou affirmé les valeurs fondamentales, non négociables et non complaisantes de la vraie solidarité, nous aurons moins à débattre des montants et des affectations des crédits. En l’état, tel qu’il est présenté, je ne peux que voter contre ce budget ! (Applaudissements sur plusieurs travées du groupe socialiste.)