Mme la présidente. La parole est à M. Philippe Dallier.
M. Philippe Dallier. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, la question orale de notre collègue Thierry Repentin, qui se veut d’actualité, apparaît pourtant, si l’on y regarde de près, décalée, voire dépassée.
Décalée et dépassée, parce que, voilà moins de dix jours, durant six jours et six nuits, nous avons discuté et adopté le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion.
Nous avons donc eu, les uns et les autres, tout le loisir de nous exprimer sur la crise actuelle et de poser un diagnostic sur l’état du logement en France. Si nous ne faisons pas tous le même constat, il est difficile de dire que nous n’avons pas pu débattre ! Nous avons également eu l’occasion, par le biais du texte proposé par Mme Christine Boutin et des amendements déposés par tous les groupes, d’examiner les voies et moyens pour construire plus de logements, favoriser l’accession sociale à la propriété, permettre l’accès au parc de logements HLM à un plus grand nombre, et lutter contre l’habitat indigne.
J’ai eu l’occasion de m’exprimer sur tous ces sujets, en tant que rapporteur pour avis de la commission des finances, ainsi qu’à titre personnel. Nombre de nos collègues sont également intervenus, mais, à aucun moment, me semble-t-il, le crédit hypothécaire, qui vous pose problème aujourd’hui, monsieur Repentin, n’est apparu comme un sujet sur lequel le Gouvernement souhaitait changer la donne. D’ailleurs, le projet de loi, dans la rédaction adoptée par le Sénat, n’y fait aucunement allusion.
Je ne pense donc pas qu’il soit aujourd’hui nécessaire de rouvrir le débat, une semaine seulement après l’adoption de ce texte par le Sénat.
M. Daniel Raoul. C’est contradictoire !
M. Philippe Dallier. Il revient maintenant à l’Assemblée nationale de se saisir de ce texte. Il sera temps, ensuite, pour les deux assemblées, de rechercher les voies d’un compromis équilibré. Laissons donc la procédure législative se poursuivre normalement !
Cette question orale, outre le fait d’être décalée et dépassée, entretient également la confusion entre crédit hypothécaire et subprimes. C’est absolument regrettable, car point n’est besoin d’en rajouter sur des sujets aussi complexes et sensibles, surtout en période de crise.
Je sais bien que l’on a vu récemment certains élus socialistes, notamment le président du Conseil général de Seine-Saint-Denis, se lancer dans une véritable opération d’enfumage, qui n’a probablement d’autre but que de préparer les esprits à une augmentation des impôts locaux, en comparant des emprunts à taux variables, produits somme toute assez banals, fussent-ils libellés en devises étrangères, aux produits toxiques que sont effectivement les titres composés principalement de subprimes américaines.
Cependant, mes chers collègues, nous ne sommes pas obligés de suivre ici, au Sénat, ce mauvais exemple, qui conduirait nos concitoyens à faire cet amalgame et à jeter le bébé du crédit hypothécaire bien utilisé avec l’eau du bain !
Chacun le sait, le Parlement n’a autorisé, en France, le développement du crédit hypothécaire au profit des particuliers qu’avec prudence et en veillant bien à protéger les intérêts des personnes susceptibles d’en bénéficier, comme l’a prévu la loi du 26 juillet 2005 pour la confiance et la modernisation de l’économie.
Chacun sait aussi que l’hypothèque rechargeable et le prêt viager hypothécaire sont très peu utilisés depuis la publication de l’ordonnance du 24 mars 2006, qui a traduit la réforme de l’hypothèque et créé ces deux outils.
Selon les informations dont nous disposons, seulement 10 500 hypothèques conventionnelles rechargeables ont été enregistrées au 31 août 2008. En ce qui concerne le prêt viager hypothécaire, seulement 4 400 prêts ont été autorisés sur un an, de juin 2007 à juillet 2008.
Il s’agit donc là de dispositifs marginaux, maniés avec précaution par les banques françaises, ce dont nous ne pouvons que nous féliciter.
Surtout, les dispositifs existants et ceux dont le développement, à un moment ou à un autre, a été évoqué en France, y compris par le Président de la République pendant la campagne présidentielle, sont très différents des subprimes américaines avec lesquelles certains semblent vouloir entretenir la confusion.
Ainsi, l’hypothèque rechargeable permet, comme son nom l’indique, de «recharger » l’hypothèque qui a servi à obtenir un prêt, au fur et à mesure du remboursement du prêt initial, et d’utiliser celle-ci pour emprunter de nouveau et mener à bien d’autres projets.
Toutefois, en France – c’est un principe de précaution fort utile –, l’emprunteur ne peut réutiliser l’hypothèque que dans la limite de la valeur initiale de son bien, sans tenir compte d’une éventuelle appréciation de la valeur de celui-ci. Certes, en cas d’acquisition d’un bien à un prix élevé suivie d’une dépréciation immédiate, il pourrait y avoir un décalage temporaire entre le montant de l’hypothèque et la valeur réelle du bien, mais il s’agit là d’un cas extrême. Notre système comporte, globalement et intrinsèquement, un solide garde-fou, qui n’existe pas forcément ailleurs.
Notre collègue Repentin fait le parallèle entre les subprimes américaines et le crédit hypothécaire, en reprenant un rapport du Conseil d’analyse économique rendu public ce mois-ci.
Cependant, il oublie de nous dire que les auteurs de ce rapport rejettent un système hypothécaire pur, dont les carences sont aujourd’hui bien visibles, et proposent d’instaurer un encadrement de la distribution de crédits immobiliers qui permette d’exclure les formes les plus risquées d’emprunts.
Au demeurant, ce rapport, élaboré dans un autre contexte et publié aujourd’hui, n’engage que ses auteurs. Il est, lui aussi, en décalage avec la réalité du marché du crédit et du logement.
Les choses doivent être bien claires : personne ne propose d’introduire aujourd’hui en France un système identique à celui des subprimes américaines. Le groupe UMP du Sénat y serait de toute façon totalement opposé.
La question posée par notre collègue Thierry Repentin est également décalée et dépassée par rapport aux enjeux et aux vraies questions qui se posent aujourd’hui.
Notre pays doit en effet faire face à une crise très grave du crédit et à ses lourdes répercussions, en particulier dans le secteur du logement.
Les derniers chiffres diffusés hier montrent une très nette dégradation de l’activité dans ce secteur essentiel pour l’économie et l’emploi. Le nombre de permis de construire s’est ainsi effondré en France de 23,3 % au troisième trimestre 2008 par rapport à la même période de l’année dernière, et le nombre de mises en chantier a reculé de 8,1 %.
Sans attendre, le Président de la République a annoncé, au début du mois d’octobre, un plan ambitieux pour soutenir le secteur du bâtiment et répondre aux besoins des Français.
Nous l’avons dit lors de l’examen du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, le groupe UMP salue une telle réactivité et soutient les mesures annoncées : lancement d’un programme exceptionnel d’acquisition en VEFA, vente en l’état futur d’achèvement, de 30 000 logements ; augmentation de 20 000 à 30 000 du nombre d’opérations finançables en Pass-foncier ; augmentation du plafond du prêt d’accession sociale au niveau du prêt à taux zéro pour faciliter l’octroi de prêts immobiliers par les banques ; mobilisation des terrains de l’État et de ses établissements publics, notamment ferroviaires.
Bien entendu, certaines questions se posent sur l’articulation de ce dispositif avec le projet de loi de finances pour 2009 et l’adéquation de ce dernier à la réalité du secteur du logement à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés.
Lors de la discussion du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, j’ai évoqué le financement de l’ANRU, l’Agence nationale pour la rénovation urbaine, et de l’ANAH, l’agence nationale de l’habitat, les débudgétisations programmées et la mise à contribution du 1 % logement.
Ce sont des questions importantes qui devront être abordées de nouveau lors de l’examen du projet de programmation des finances publiques pour les années 2009 à 2012, puis du projet de loi de finances pour 2009, en particulier des crédits de la mission « Ville et logement ».
Le débat que nous rouvrons aujourd’hui, entre l’adoption du projet de loi pour le logement et le débat budgétaire, n’a pas de véritable sens, puisque nous allons revenir sur ces sujets d’ici à quelques semaines. C’est la raison pour laquelle il me semble que nous sommes en décalage.
Soyez néanmoins assurée, madame le ministre, que le Sénat, et en particulier sa commission des finances, contribueront activement au débat, lors de l’examen du projet de loi de finances pour 2009, en cohérence avec les mesures de soutien annoncées par le Président de la République, auxquelles le groupe UMP apporte son soutien. (Applaudissements sur plusieurs travées de l’UMP.)
Mme la présidente. La parole est à M. Martial Bourquin.
M. Martial Bourquin. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, je comprends la gêne de mon collègue Philippe Dallier, qui évoque un « débat décalé » pour qualifier l’initiative de notre collègue Thierry Repentin.
Pour ma part, je ne crois absolument pas que ce débat soit décalé. En effet, nous sommes au cœur d’une crise financière mondiale. Or une erreur n’est pas grave quand elle est corrigée. S’il y avait persistance dans l’erreur, …
M. Daniel Raoul. Ce serait une faute !
M. Martial Bourquin. … nous nous « enfoncerions » dans la crise. Pour cette raison, il est important d’aborder la question du crédit hypothécaire et de sa généralisation à outrance de façon claire et sans détour. Si nous ne le faisons pas, la persistance dans l’erreur nous conduira inévitablement au même résultat.
Vouloir à tout prix séparer, d’une part, les subprimes américaines et, d’autre part, le crédit hypothécaire et sa généralisation est, à nos yeux, une erreur. Il faut s’affranchir, dans la situation que nous vivons, d’un corpus néolibéral triomphant, en tirant les enseignements concrets de la réalité des crédits hypothécaires.
Cette crise constitue en effet l’occasion de redéfinir nos priorités. Plus que jamais, dans un contexte très difficile, nous avons besoin de clarté. Celle-ci est indispensable pour nos concitoyens – je pense en particulier, comme Thierry Repentin, à ceux qui ont contracté des crédits et sont en situation difficile –, indispensable pour les établissements bancaires et pour nos négociations internationales.
La position des élus socialistes est nette. Notre responsabilité d’élus aux prises avec les difficultés sociales est non pas de promouvoir à marche forcée le slogan du Président de la République, qui aime à évoquer « la France des propriétaires », mais de prévenir « la France de l’endettement maximum », d’aider des ménages modestes à accéder à la propriété dans des conditions sécurisées. Pour une famille, en effet, il n’y a rien de pire que l’échec d’une accession à la propriété, échec qui se traduit souvent par un endettement important pour, au final, n’aboutir à rien.
Notre responsabilité n’est pas d’inciter, par tous les moyens, à la consommation déraisonnée, à la hausse artificielle du pouvoir d’achat et de nier euphoriquement les éventuels accidents de la vie. Vous connaissez notre position, mais je ne suis pas sûr de comprendre celle que vous entendez défendre sur le long terme.
M. Martial Bourquin. Je crains que la modération que vous affichez aujourd’hui ne soit qu’une façade et que, d’ici à quelques mois, ressortent des projets allant encore plus loin. Nous avons quelques raisons de nous inquiéter. À cet égard, je me permettrai d’effectuer un rappel des textes ou rapports que vous avez soutenus ces dernières années.
En 2005, alors que Nicolas Sarkozy était ministre d’État, ministre de l’économie, des finances et de l’industrie, il avait entrepris « l’import juridique » du système de l’hypothèque rechargeable. Pour éviter le débat, le Gouvernement avait alors choisi de procéder par voie d’ordonnance. C’est ainsi que, dans le but de permettre aux personnes propriétaires de pouvoir dégager des revenus et contracter d’autres prêts, l’ordonnance du 24 mars 2006 relative aux sûretés avait ouvert deux nouvelles formes de crédit. La première, l’hypothèque rechargeable, autorise l’emprunteur qui a déjà constitué une hypothèque pour l’achat d’un bien immobilier à affecter une partie de celle-ci, proportionnelle au montant du crédit déjà remboursé, à la garantie d’un autre crédit. La deuxième, le prêt viager hypothécaire, permet d’obtenir un prêt garanti par un bien immobilier à usage exclusif d’habitation, sachant que le prêt n’est remboursé qu’au décès de l’emprunteur par la vente de son bien.
L’adoption de cette ordonnance, faute de débat parlementaire, avait fait l’objet d’une grande campagne au sein de l’UMP, où la fascination pour des méthodes de distribution de crédit immobilier explicitement inspirées des États-Unis était flagrante. Déjà, à l’époque, le groupe socialiste s’était élevé contre ces propositions.
Autre source d’inquiétude : un rapport sur l’hypothèque et le crédit hypothécaire, commandé par Nicolas Sarkozy, alors ministre d’État, proposait, dès 2004, d’accroître la fluidité du crédit hypothécaire tout au long de la vie du prêt. L’idée exposée était simple : « Une hypothèque initialement inscrite à l’appui d’un premier prêt, le plus souvent immobilier, peut être réutilisée, sans nouvelle formalité de mainlevée ou d’inscription, pour garantir de nouveaux prêts. »
Il s’agissait ni plus ni moins du système américain, à une nuance près : la recharge servait à financer des « dépenses de travaux ou d’équipement ». Aux États-Unis, elle est utilisée pour contracter un autre prêt à la consommation. C’est le crédit revolving sans barrières, où prêts à la consommation et prêts immobiliers se confondent sans limite, pour la plus grande insécurité des emprunteurs.
Là encore, nous avions fait part de très vives préoccupations. Nous savons que le dispositif existant en France n’est pas strictement identique au dispositif américain. C’est peut-être même l’une des raisons pour lesquelles il ne s’est pas développé : le système du cautionnement, combiné au maintien d’une étanchéité entre les prêts à la consommation et les prêts immobiliers, a préservé notre pays des conséquences les plus dramatiques de ce système.
Depuis, il est vrai, certaines personnes ont ouvert les yeux et sont revenues, sinon à un enthousiasme plus modéré, du moins à une position plus raisonnable.
Dans un récent rapport, Frédéric Lefebvre, député UMP, se félicite de l’échec de la mise en œuvre de ces nouveaux produits. Il y voit même l’une des principales explications de la meilleure résistance du marché français à la crise.
Le problème, c’est que plusieurs faits intervenus depuis cette ordonnance de 2006 nous conduisent à penser que ce retour à une position plus mesurée ne peut être que conjoncturelle. Les propositions du candidat Sarkozy en 2007 et la publication d’un récent rapport du Conseil d’analyse économique, le CAE, vont, en effet, dans le sens du développement du crédit hypothécaire.
En septembre 2006, Nicolas Sarkozy, alors candidat à la présidence de la République, et dont l’objectif était de voir 70 % des Français devenir propriétaires de leur logement principal, déclarait : « En France, nous privilégions la garantie sur les personnes, ce qui conduit les établissements bancaires à écarter du marché du crédit tous ceux dont la situation professionnelle n’est pas assez stable pour assurer des revenus durables. Cette tradition n’est pas une fatalité. Il suffit de changer les règles prudentielles imposées aux banques, de simplifier le recours à l’hypothèque et d’en réduire le coût. ».
Avouez quand même, mes chers collègues, qu’un tel discours traduisait une fascination pour le système américain qui, aujourd’hui, paraît pour le moins décalée !
Il ne fait aucun doute que cette proposition visait les ménages les plus modestes. Comme aux États-Unis, il s’agissait d’établir un lien direct entre la valeur du bien estimée sur le marché et la capacité d’accès au crédit.
On sait qu’aux États-Unis, la baisse des prix des actifs immobiliers a d’abord entraîné une diminution des capacités d’emprunt et d’accès au crédit, avant de rendre la demande de logements moins solvable et, enfin, un peu comme un jeu de dominos qui s’écroule, d’entamer la capacité de consommation des ménages. Les ménages les plus modestes ont vu leurs logements saisis, les banques ne pouvant espérer retirer de la vente de ces biens qu’une valeur très inférieure à celle estimée initialement. Finalement, c’est l’économie en général qui en a pâti, et qui se trouve aujourd’hui plongée dans une crise durable.
Le deuxième fait marquant, et qui alimente nos craintes, madame la ministre, c’est le rapport du Conseil d’analyse économique, qui vous a été remis le 30 septembre dernier.
Les auteurs de ce rapport estiment qu’en matière de crédits immobiliers, « la France n’a pas intérêt à défendre à tout prix une exception dont les vertus sont établies, mais qu’il n’est pas illégitime de faire évoluer », que les premiers pas accomplis par l’ordonnance de 2006 « restent pour le moins insuffisants », et que « le développement d’un marché financier de titrisation hypothécaire est la condition du développement du marché de l’hypothèque en France ».
Les propositions contenues dans ce rapport sont-elles encore défendables aujourd’hui, madame la ministre ?
Pour leur part, les socialistes ont une vision du logement qui n’est pas strictement patrimoniale. Dès vos premières propositions, nous avions tiré la sonnette d’alarme et nous nous étions prononcés contre la généralisation du crédit hypothécaire rechargeable. Croyez-nous, madame la ministre, nous aurions préféré ne pas avoir raison sur ce thème ! Aujourd’hui, il est encore temps de réagir avant que le train ne déraille. C’est ce que nous vous invitons à faire !
Aussi, madame la ministre, nous nous permettrons de vous poser plusieurs questions précises.
Souhaitez-vous poursuivre l’œuvre entreprise et importer purement et simplement en France le système américain, dans lequel les crédits à la consommation sont adossés aux prêts au logement ?
Voulez-vous faire des ménages français des spéculateurs malgré eux, qui consommeraient au-delà du raisonnable mais qui vivraient en permanence avec la menace de la dépréciation de leurs biens immobiliers planant au-dessus de leur tête et de celle de leurs enfants ?
Souhaitez-vous continuer à promouvoir un système de retraite par capitalisation, dont il faut rappeler qu’il repose de plus en plus sur les valeurs financières et immobilières, au détriment des valeurs de solidarité entre les actifs et les inactifs ?
Souhaitez-vous persister à n’apporter que des solutions bancaires et financières à la crise du logement, alors que celle-ci est avant tout une crise de la construction, d’où découle un défaut d’adaptation de l’offre à la demande, et une crise du foncier constructible ?
Souhaitez-vous exiger des banques, auxquelles l’État s’apprête à donner 10 milliards, qu’elles recourent avec la plus grande mesure à ces crédits ?
Au fond, madame la ministre, quels risques êtes-vous finalement prête à faire prendre aux ménages les plus modestes ? (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Madame la présidente, madame la ministre, mes chers collègues, après l’examen, en première lecture et en urgence, du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, le débat que nous avons aujourd’hui prend une autre tournure.
Cette discussion prend une allure de redite et de bilan des débats qui nous ont occupés la semaine dernière.
Mme Odette Terrade. Dire qu’il existe une crise du logement dans notre pays relève du lieu commun. Les déclarations triomphales faites, voilà quelques mois, sur le niveau exceptionnel de construction de logements, y compris de logements sociaux, semblent avoir mal supporté l’épreuve de la crise économique, dont l’une des conséquences les plus immédiatement perceptibles est le ralentissement de l’activité du bâtiment et de l’immobilier.
Chute de 25 % des mises en chantier, chute de 30 % des transactions immobilières, émergence d’une situation dramatique pour 30 000 accédants à la propriété victimes des prêts-relais, aggravation de l’endettement des ménages, notamment en raison des prêts immobiliers à taux variable : tout cela concourt à la crise ! Au demeurant, s’il fallait encore se convaincre des désordres constatés dans le secteur, on pourrait rappeler qu’un des principaux opérateurs immobiliers, Nexity, a annoncé l’abandon de 110 programmes et le licenciement de 500 salariés, tandis qu’un important réseau d’agences immobilières, ORPI, s’apprête à fermer 30 agences.
Je donnerai également quelques indications à propos de la situation qui prévaut sur le front de l’emploi. Le secteur de la construction, avec une moyenne de 18,2 heures supplémentaires sur le second trimestre 2008, continue de solliciter avec une constance avérée le dispositif instauré par la loi TEPA. Mais, dans le même temps, les services du ministère du travail nous indiquent que 8 500 emplois intérimaires ont disparu dans le secteur, tandis que les créations d’emplois n’ont finalement progressé que de 4 000 postes sur la période.
Alors qu’en principe, au deuxième trimestre, les beaux jours favorisent l’activité du bâtiment, le ralentissement est sensible au niveau de la création d’emplois. Il faut dire que la loi TEPA, qui incite les entreprises à arbitrer au mieux entre heures supplémentaires, intérim et embauches fermes, pèse lourdement sur l’emploi. À force de donner priorité au mirage du « travailler plus pour gagner plus », vous allez, par la chute de l’intérim et celle des embauches directes, priver l’industrie française du bâtiment des forces dont elle aura besoin, demain, pour relever les défis, à commencer par celui du logement pour tous et partout.
Cette crise du logement est donc aussi la crise d’un secteur économique. Elle est aggravée par des choix politiques néfastes, et elle appelle un certain nombre d’observations complémentaires.
II y aurait, selon les associations de lutte pour le droit au logement, 2,5 millions de ménages mal logés, sans-abri, précairement hébergés ou résidant dans des logements insalubres ou surpeuplés.
En guise de réponse, le Gouvernement a essentiellement, ces dernières années, développer l’offre de logements, avant de s’inquiéter des caractères de la demande. Des centaines de millions d’euros ont ainsi été distraits des ressources publiques pour inciter les particuliers à réaliser des investissements locatifs – les régimes « Robien » et « Borloo » – tandis que des millions ont été mobilisés pour permettre aux établissements de crédit d’entraîner des ménages moyens et modestes dans la spirale de l’endettement, sans le moindre risque pour ces établissements.
La dépense publique pour le logement a été profondément dénaturée. Les crédits de la mission « Ville et logement » se limitent désormais à la prise en charge partielle des aides personnalisées au logement. Quant à la part des crédits destinés à la construction de logements locatifs sociaux neufs et à la réhabilitation du parc existant, ils ne cessent de diminuer, par la voie de la régulation budgétaire et des ajustements réalisés par les collectifs de fin d’année.
Je me contenterai d’énumérer quelques signes, bien connus, de cette politique que nous condamnons depuis 2002.
Ainsi, l’État n’a jamais respecté les engagements qu’il avait pris dans le cadre du programme national de rénovation urbaine, alors même qu’il s’apprête aujourd’hui, avec le projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, à solder son découvert en faisant main basse sur le 1 % logement !
Les engagements non respectés trouveront d’ailleurs en 2009 une nouvelle illustration, puisque la prime à l’amélioration des logements à usage locatif, PALULOS, va passer par pertes et profits pour toute opération qui n’entrerait pas dans le cadre des programmes menés par l’ANRU.
La crise du logement, c’est aussi cela, mes chers collègues !
Dans la dernière période, la construction de logements sociaux tient, d’une part, à la montée en charge des logements PLS, peu consommateurs d’aides publiques directes, et, d’autre part, au fait que les communes présentant un déficit de logements sociaux dans leur habitat ont finalement décidé, dans leur majorité, de mettre en œuvre la loi SRU.
C’est pourquoi, remettre en cause la loi SRU, ce serait aujourd’hui prendre le risque d’aggraver les crises du logement, de l’emploi et de l’activité dans le bâtiment ! Madame la ministre, je ne pense pas que le projet du Gouvernement soit d’augmenter le nombre des sans-emploi dans notre pays !
Pensez-y avant de chercher comment vous allez faire rétablir par le Palais Bourbon l’article 17 du projet de loi de mobilisation pour le logement et la lutte contre l’exclusion, que le Sénat a massivement, et justement, rejeté ! (M. Repentin sourit.)
Pensez-y aussi quand vous laissez croire que l’accroissement de la mobilité des locataires, en mettant dehors les locataires en sous-occupation ou prétendument privilégiés – un couple d’enseignants sans enfant, par exemple -, permettra de répondre aux besoins.
Toutes ces propositions ne font que tourner autour de la solution, à savoir la construction de logements sociaux de qualité, en quantité suffisante pour inverser le processus d’aggravation de la crise du logement.
La construction, parlons-en ! Ce qui pose problème, mes chers collègues, depuis 2002, c’est que la majorité a voté des lois dont il résulte que 70 % de l’offre de logements existante n’est destinée en fait qu’à 30 % des demandeurs de logements.
Les logements « Robien », c’est bien quand ils sont loués ! Mais quand ils ne correspondent pas aux attentes des demandeurs de logement, c’est un gâchis sans nom ! Par quel miracle voudriez-vous qu’un couple, dont les revenus se situent sous les plafonds HLM, soit prêt à payer 1 500 ou 1 600 euros par mois pour se loger dans du « Robien », logement par ailleurs largement défiscalisé ? En revanche, le même couple est autorisé à voir le produit de ses impôts dispendieusement utilisé pour aider des investisseurs immobiliers qui pourraient se contenter des modalités normales d’imposition des revenus fonciers !
S’agissant de l’offre locative, comment ne pas relever encore que la loi Méhaignerie du 23 décembre 1986 ou que la loi relative à l’habitat du 21 juillet 1994 ont favorisé la poussée urticante des loyers et la flambée des quittances ?
De fait, mes chers collègues, le parc social n’existe quasiment plus, la loi de 1948 n’étant qu’un lointain souvenir de temps révolus ! Ce qui existe, en revanche, c’est un parc locatif privé qui n’a pas été véritablement entretenu et dont les loyers ont, eux, pris l’ascenseur !
La crise du logement, ce sont aussi ces studettes parisiennes à 900 euros ou ces studios construits dans les années vingt ou trente, à 700 euros en province ! C’est aussi le développement de copropriétés dégradées, dont certaines procèdent du démembrement, fort rentable pour le vendeur, d’immeubles anciens par congé-vente, dans le droit fil de la loi Méhaignerie.
Devant nos concitoyens, devant les demandeurs de logement, devant les mal-logés, devant les sans-abri, les auteurs de ces lois sont aujourd’hui responsables !
Je me permettrai enfin, mes chers collègues, de faire le point sur l’accession à la propriété, puisque nous sommes passés en quelques années d’un dispositif destiné aux ménages – prêts principaux bonifiés et réductions d’impôt – à un dispositif destiné aux prêteurs !
Notre groupe pense qu’il est grand temps de revenir aux fondamentaux.
Le prêt à taux zéro, s’il doit persister, doit être recentré sur les ménages les plus modestes et couvrir la majeure partie de la valeur d’achat du bien immobilier.
Il est temps, et même grand temps, d’abandonner les prêts à taux variable et de réduire le niveau des taux d’intérêt, en exigeant des établissements de crédit qu’ils réduisent quelque peu leur marge opérationnelle. On n’en prend pas le chemin, faut-il le rappeler !
En rackettant les collecteurs du 1 %, vous privez des milliers de familles de salariés de la possibilité de contracter des prêts à faible taux d’intérêt, qui permettaient jusqu’ici à ces ménages de structurer de manière « supportable » leur dette immobilière !
Madame la ministre, pourquoi ne prenez-vous pas immédiatement une mesure sur les prêts-relais ? Exigez donc des banques des abandons de créances sur les intérêts courus à la mesure des financements consentis dans le récent collectif budgétaire ! Avec 360 milliards d’euros, vous devriez pouvoir trouver, n’est-ce pas ?
Enfin, recyclez le crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt prévu par la loi TEPA en le transformant, par exemple, en capacité de remboursement anticipé pour les emprunteurs, sous forme d’une aide budgétaire directe. En effet, en l’état actuel, ce dispositif ne fait qu’encourager la hausse des taux d’intérêt !
La crise du logement que traverse notre pays exige, de notre point de vue, la remise en cause des choix antérieurs, notamment de ceux que vous avez faits, mes chers collègues. En effet, cette crise ne se résoudra pas par le développement de subprimes à la française – c’est bien ainsi qu’il faut appeler le crédit hypothécaire –, mais par la remise en question du cadre législatif et financier qui l’a fait naître.
C’est ce que le groupe CRC tenait à rappeler à l’occasion du débat sur cette question orale relative à la crise du logement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)