M. Philippe Adnot. De même, dans une réponse qu’il m’a faite au Conseil d’orientation des finances publiques, auquel vous avez assisté, monsieur le ministre, le Premier ministre m’a assuré qu’il ne remettrait pas en cause le FCTVA, le Fonds de compensation pour la TVA. Or, lors de la dernière réunion du Comité des finances locales, une note nous a été remise annonçant le contraire. Heureusement, le Comité des finances locales a mis le holà.
Eu égard à leur niveau d’investissement, estimé entre 50 milliards d’euros et 70 milliards d’euros par an, les collectivités locales sont un élément important du soutien à l’économie dans cette période difficile. Or l’incertitude est un frein puissant à la prise de décision. Il faut donc que nous puissions rassurer nos collègues qui ont à gérer des collectivités.
Bref, la crise est importante. Nous n’en avons pas encore subi complètement les effets et elle ne doit pas masquer la situation qui existait auparavant. Nous sommes partisans de l’effort dans l’unité, mais cela suppose de la lucidité dans l’analyse, de la cohérence dans les décisions – stop aux charges nouvelles et aux prélèvements que nous découvrons tous les jours ! –…
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Avec quoi va-t-on payer ?
M. Philippe Adnot.… et une confiance nourrie de crédibilité. Monsieur le ministre, si ces conditions sont réunies, vous aurez notre soutien ! (Applaudissements sur certaines travées de l’UMP et de l’Union centriste. – M. Jean-Luc Fichet applaudit également.)
M. le président. La parole est à M. François Marc.
M. François Marc. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, la gravité de la crise à laquelle nous sommes aujourd’hui confrontés appelle de la part du Gouvernement une action déterminée pour apporter, dans l’urgence, les réponses nécessaires en vue de restaurer rapidement la confiance dans notre pays.
Toutefois, dans ce contexte, il appartient aussi à l’opposition de faire différentes propositions utiles et constructives, et tel est l’objet de mon intervention.
Je dresserai tout d’abord un premier constat.
Cette crise n’est pas un accident. Elle révèle très clairement l’effondrement de tout un système, fondé sur la doctrine libérale du laisser-faire et alimenté par des pratiques spéculatives irresponsables.
Il faut rappeler que les dérèglements du capitalisme financier ont suscité depuis plusieurs années des analyses alarmistes. Quelques initiatives ont d’ailleurs été prises tant aux États-Unis qu’en Europe pour tenter de canaliser un peu mieux les comportements des acteurs de la finance. Ainsi, en France, le Parlement a été saisi de plusieurs textes sur la sécurité financière, la transposition de la directive sur les marchés d’instruments financiers, le texte sur les OPA, etc.
Or, force est de constater que, depuis 2002, deux lignes politiques se sont en permanence dégagées lors de ces débats parlementaires : une ligne interventionniste, que nous défendons depuis plusieurs années, visant à une meilleure anticipation et une régulation accrue du capitalisme financier et, en face, une ligne gouvernementale, soucieuse de promouvoir un libéralisme déréglementé et de limiter le champ de la régulation financière.
Plusieurs ministres ont ainsi défendu, au Sénat, cette ligne politique, en reprenant plusieurs lois le même leitmotiv. N’avons-nous pas entendu à maintes reprises : « Il faut respecter la grammaire du monde des affaires ! »
Nous devons aujourd’hui nous réjouir de constater un changement radical de la doctrine gouvernementale. Lors de la récente campagne de l’élection présidentielle, Nicolas Sarkozy avait, on s’en souvient, imprudemment proposé d’introduire en France la formule du crédit hypothécaire pour encourager le recours à l’endettement de nos concitoyens. Aujourd’hui, les déclarations du Président de la République, favorable à un contrôle accru des banques et du crédit, illustrent une prise de conscience, hélas ! bien tardive.
Après avoir longtemps sous-estimé cette crise financière – on pourrait citer de nombreuses autres déclarations ministérielles en ce sens –, le Gouvernement s’investit aujourd’hui dans un interventionnisme décidé en urgence face à une crise mondialisée, qui va de plus en plus imprégner l’économie réelle.
Que faire pour rétablir la confiance au plus vite ?
Pour ce qui concerne l’action à très court terme, beaucoup de choses ont déjà été dites, cet après-midi, à l’Assemblée nationale, et ici même depuis le début de la soirée, sur le renforcement de la solvabilité des banques, sur la préservation d’une liquidité suffisante du système, sur les garanties à apporter aux épargnants au travers d’une recapitalisation nécessaire des banques et sur la nécessité d’une transparence accrue.
Au-delà de ces propositions et pour parer aux difficultés croissantes d’une économie réelle gravement fragilisée, nous appelons à la mise en place d’un Fonds national de garantie des prêts ainsi qu’à la prise de mesures ambitieuses de soutien à l’investissement à travers la fiscalité et l’intervention publique, sur le logement par exemple. À cette fin, le lancement d’un grand emprunt européen serait de nature à créer une dynamique de relance.
N’oublions pas, enfin, que la question des rémunérations et du pouvoir d’achat doit être au cœur de tout processus de rétablissement d’une confiance réellement partagée.
J’aimerais que vous nous précisiez, monsieur le ministre, la place que vous accordez à la confiance partagée et à la préoccupation d’associer l’ensemble de nos concitoyens à la recherche de solutions, notamment à travers l’amélioration du pouvoir d’achat.
Au-delà de cette préoccupation de très court terme, et pour empêcher que cette crise ne se reproduise – telle est sans doute l’intention que vous aviez en sollicitant l’avis du Parlement –, il s’agit de voir dans quelle mesure les modifications législatives peuvent apporter des solutions. Comme nous l’avons toujours répété ici depuis la dernière crise financière, il faut réviser totalement le modèle du capitalisme financier, le modifier pour lui adjoindre des garde-fous.
Dès l’éclatement de la bulle spéculative et la chute d’Enron en 2001-2002, nous appelions ici-même à « une montée en puissance du pouvoir régulateur de l’État face aux risques de surchauffe issus des pratiques spéculatives poussées à l’extrême ».
M. Jacques Mahéas. C’était très bien !
M. François Marc. Tout à l’heure, j’ai entendu M. le rapporteur général dire qu’il avait, durant toute cette période, exprimé des nuances par rapport aux propositions gouvernementales. J’aimerais également l’entendre dire que l’opposition socialiste a pu être source de propositions très constructives sur les textes évoqués : si ces propositions avaient pu être suivies à temps, peut-être se seraient-elles avérées utiles dans le processus que nous vivons actuellement !
Je ne reviendrai pas sur les mesures que nous avions proposées pour assainir le capitalisme financier et qui relèvent plus spécifiquement de la gouvernance d’entreprise : je pense notamment à la limitation des stock-options,…
M. Jacques Mahéas. Tout à fait !
M. François Marc.… à la responsabilisation des chefs d’entreprise, à l’encadrement et à la transparence de la rémunération des mandataires sociaux – bonus, parachutes dorés.
Je reviendrai en revanche sur les propositions que nous avions faites en matière de transparence financière car elles sont plus que jamais d’actualité. Au cours des discussions menées depuis six ans, elles ont porté sur cinq thèmes essentiels.
Premièrement, les agences de notations doivent être mieux encadrées. Dès l’examen de la loi pour la confiance et la modernisation de l’économie, nous avions déposé des amendements pour instaurer des règles de fonctionnement des agences de notation. Depuis, et alors que les agences de notation ne font toujours pas l’objet d’un contrôle réel de l’Autorité des marchés financiers, l’AMF, qui se contente de rendre un rapport annuel sur le respect de leurs règles de déontologie, nous considérons qu’il convient de renforcer le dispositif existant, qui est largement insuffisant.
Deuxièmement, il n’est plus possible aujourd’hui de prétendre réguler les marchés financiers tout en continuant à fermer les yeux sur l’existence et l’accroissement des paradis fiscaux.
M. Joël Bourdin. On va envoyer des chars au Luxembourg !
M. François Marc. Troisièmement, il faut tout mettre en œuvre pour renforcer la transparence afin de mieux identifier le risque de crédit, imposer aux banques plus de transparence sur les opérations de titrisation, mieux les contrôler et davantage les responsabiliser.
Quatrièmement, il convient aussi de mieux contrôler les structures bancaires hors bilan qui participent au processus de titrisation. Sur le plan institutionnel, le consensus est général quant au renforcement de l’efficacité des autorités de contrôle : pourquoi faut-il attendre une crise d’une telle ampleur pour que le Gouvernement prenne conscience de cette évidence ? Sans « gendarme de la bourse » européen, il n’est pas possible de mieux réguler les marchés financiers européens. Il faut étendre le pouvoir de contrôle des autorités de régulation aux intermédiaires qui interviennent dans le processus de titrisation, comme les hedge funds ; il faut accélérer la coordination entre les « gendarmes de la bourse » en Europe et dans le monde.
Cinquièmement, enfin, il faut faire fusionner, pour les rendre plus efficaces, certaines des autorités de contrôle. En France, aujourd’hui, la fonction de contrôle est éclatée entre cinq organismes différents. Nous devons tendre à une simplification et à un rapprochement entre ces organismes, comme les États-Unis sont en train de le faire aujourd’hui.
M. Philippe Marini, rapporteur général. La commission des finances l’a proposé, avec votre accord !
M. François Marc. J’en conviens, monsieur le rapporteur général. Mais, jusqu’à présent, le Gouvernement n’a pas donné suite à ces propositions, ni dans ce champ d’intervention ni dans les quatre autres…
M. Philippe Marini, rapporteur général. Si, il est allé un peu dans notre sens !
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Il a eu des déclarations encourageantes !
M. François Marc. Nous avons présenté au moins une centaine d’amendements sur ces sujets depuis cinq ans, sans jamais recueillir l’assentiment ni l’accord du Gouvernement. Monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, il serait intéressant que vous nous disiez si votre volonté de régulation englobe aussi la prise en compte de l’ensemble des propositions que je viens de rappeler.
Mes chers collègues, nous vivons une crise d’une ampleur telle que nous entrons dans une nouvelle ère, une nouvelle phase : la fin du premier âge de la finance de marché. Cette crise marque la fin d’un système qui a vu croître extrêmement rapidement des produits financiers complexes et des bénéfices sans limites. Il est grand temps de réintroduire de l’équité et de la justice dans un système qui, faute de se réformer en profondeur, court à sa perte, risquant d’entraîner dans sa chute des pans entiers de l’économie réelle et de réduire au désespoir des millions de petits épargnants et de salariés qui risquent aujourd’hui d’être happés par le chômage. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Jacques Jégou.
M. Jean-Jacques Jégou. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, au cours de son intervention, M. Woerth a évoqué « des pratiques qui n’auraient jamais dû exister ». Au cours des vingt dernières années, les marchés ont subi une triple évolution caractérisée par la déréglementation, la désintermédiation et le décloisonnement.
Une nouvelle logique financière s’est instaurée, caractérisée par la globalisation. Celle-ci a favorisé le financement des entreprises et de l’économie, mais, contrairement à la logique industrielle, la logique financière privilégie le court terme. De nouveaux produits et de nouvelles techniques financières ont vu le jour, qui confirment la priorité donnée à la rentabilité immédiate, la valeur spéculative divergeant parfois de la réalité économique.
La sophistication des marchés financiers s’est considérablement accrue. Nous sommes donc passés d’un capitalisme industriel d’entreprenariat et d’une économie financée par le crédit à un capitalisme financier de marché, où non seulement les entreprises, leurs risques, leurs crédits, mais aussi des ensembles d’entreprises, des indices boursiers ou de prix de matières premières énergétiques, de métaux, de denrées alimentaires et même des indices climatiques, des quotas d’émission de CO2, des variations de taux, se négocient comme des marchandises, le prix d’équilibre du marché n’étant pas forcément le reflet d’une réalité économique d’ensemble mais du résultat de spéculations. De nouveaux produits ont vu le jour, toujours plus sophistiqués, comme les opérations de LBO à effet de levier, les nouveaux produits de titrisation ou les CDS – credit default swaps. Ces produits structurés sont d’une telle complexité qu’ils en deviennent opaques pour le commun des mortels et – pire ! – également pour ceux qui sont chargés de leur commercialisation. On en vient à ignorer ce qu’on acquiert exactement !
Parallèlement, je voudrais vous interroger, monsieur le ministre, sur les nouvelles normes comptables qui ont été imposées. Comment se fait-il que l’Union européenne, et donc la France, ait été aussi apathique pour favoriser une autorégulation des marchés financiers et du système bancaire, où l’efficacité et la stabilité de la profession reposent sur des codes de bonne gouvernance – la compliance – et des normes comptables internationales inspirées des normes américaines, l’IFRS ? Ces nouvelles normes d’origine anglo-saxonne ne vont-elles pas au bout du compte aggraver durablement cette crise ? Les normes généralisées du mark to market visent à valoriser les actifs et les passifs des institutions financières au prix de marché, ce qui a renforcé la volatilité de leurs comptes. Ainsi – et nous en sommes arrivés là aujourd’hui –, lorsque le marché interbancaire est bloqué et que les prix s’effondrent anormalement, de façon temporaire ou sous l’effet d’une spéculation, la banque peut se trouver en défaut, avec un besoin de liquidité pour couvrir la perte, temporaire ou supposée, mesurée à l’instant T. Or, le marché étant moutonnier, la moindre rumeur relative à un problème de liquidité est interprétée comme un potentiel problème de solvabilité, avec le risque de ne pas pouvoir honorer le remboursement de la dette…
M. Jacques Mahéas. Aujourd’hui, ce n’est pas une rumeur, c’est une réalité !
M. Jean-Jacques Jégou. En tant qu’hommes politiques, nous avons bien évidemment notre part de responsabilité dans cette fuite en avant. Nous avons laissé se développer un système financier qui permettait, en assurant des rendements élevés aux placements en tous genres, de pallier notre manque de courage politique. Je pense ainsi au financement des retraites, au remboursement de la dette sociale, qui fait appel à une ingénierie financière particulièrement innovante pour tenter de payer nos dépenses de maladies avec plusieurs années de retard.
M. Jean-Louis Carrère. Ça, c’est Juppé !
M. Jean-Jacques Jégou. Nous avons permis que les prix de marché puissent sérieusement s’écarter des « fondamentaux », des valeurs économiques de la vie réelle. Ainsi, pendant de nombreuses années, la bourse enregistrait des taux de rendement bien supérieurs au taux de croissance des économies, ce qui était anormal, avouons-le. C’est là notre erreur !
Il est également incontestable qu’il y a eu erreur de diagnostic sur la gravité de la crise et sa capacité de contagion à l’ensemble du système financier. Le Gouvernement espérait que l’Europe et la France ne seraient pas touchées ; il a failli s’en convaincre et nous avons ainsi perdu de précieuses semaines qui auraient pu permettre d’organiser en amont une ébauche de solution au niveau européen.
On réalise a posteriori le défaut de surveillance et de régulation qui a empêché que l’on réagisse suffisamment tôt au phénomène car, même si les banques sont soumises à un strict contrôle, les fonds d’investissement, les fameux hedge funds, qui sont de gros investisseurs, ne sont pas contrôlés. Les agences de notations, théoriquement garantes de l’évaluation des risques des acteurs financiers, ne sont pas non plus soumises au contrôle et on ne connaît pas la procédure au terme de laquelle ces agences déterminent si un fonds est coté AAA, BB, B +, A-, etc. Tout cela peut nous donner le tournis mais ne doit pas occulter la question de fond : pourquoi ces agences de notation ont-elles tous pouvoirs ? Car, nous le savons, avec tous leurs moyens, elles ont parfois des réactions assez atypiques.
Je ne reviendrai pas sur l’enchaînement de la crise que nous connaissons tous. Nous devons maintenant faire face aux conséquences, qui peuvent être catastrophiques pour notre économie. Nos banques d’affaires, qui sont de taille moyenne et assurent une part importante du financement des entreprises, ne sont touchées pour l’instant que marginalement mais elles sont complètement paralysées par le manque de liquidités. C’est pourquoi nous souscrivons, monsieur le ministre, à l’action que vous avez menée en faveur des PME car, lorsque les dirigeants de PME souhaitent investir, ils rencontrent toutes sortes de difficultés pour y parvenir.
M. Gérard Longuet. C’est vrai !
M. Jean-Jacques Jégou. Le resserrement des fonds propres et des liquidités des banques oblige ces dernières à « prioriser » sélectivement l’affectation de leurs fonds propres, désormais devenus rares. C’est par cet effet de contagion que la crise va se répercuter sur les entreprises et les ménages : moins de crédit, et crédit plus cher !
On a d’ailleurs longtemps épilogué sur l’existence d’une bulle de l’immobilier. On sait aujourd’hui qu’il existe toujours une forte demande de logements, ce n’est donc pas la bulle immobilière qui est à l’origine de cette crise, mais le resserrement du crédit qui désolvabilise les primo-accédants.
S’il est impératif de moraliser la rémunération des dirigeants, il ne faut pas considérer que la suppression des parachutes dorés serait la solution à tous nos maux. Il s’agit d’un épiphénomène qui touche peu de personnes par rapport à la crise à laquelle nous sommes confrontés.
Le plan Paulson propose de cantonner tous les actifs de bases subprimes dans une structure dédiée, dite de défaisance, afin de dissiper le doute en garantissant leur valeur en aval au sein des actifs portés par les acteurs détenteurs, directs ou indirects, de ces produits ; nous connaissons bien cette façon de procéder, qui rappelle fortement le Consortium de réalisation, le CDR, chargé de gérer le passif du Crédit Lyonnais, garanti lui-même par l’État au travers du contrôle de l’Établissement public de financement et de reconstruction, l’EPFR. Ce plan était indispensable pour tenter de répondre au problème des subprimes mais il n’a nullement permis de restaurer la confiance des marchés.
Face à cette situation, la priorité des pouvoirs publics doit consister à permettre le financement de notre économie en ne dégradant pas davantage nos finances publiques. Vous êtes parvenu à respecter cette priorité pour l’instant, monsieur le ministre, et l’on ne peut pas dire que vous n’avez pas répondu comme il le fallait.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Ah bon !
M. Jean-Jacques Jégou. Mais cette crise est aussi une crise internationale ; il est donc nécessaire d’y apporter une réponse internationale. C’est pourquoi les sénateurs de l’Union centriste souhaitent que la présidence française de l’Union européenne s’engage dans la mise en œuvre d’une réponse coordonnée au niveau européen. Le Premier ministre britannique, Gordon Brown, a annoncé cet après-midi avoir « invité » les autres pays européens à adopter un « plan européen de financement » du système bancaire, en précisant qu’il en avait parlé au président français. Pouvez-vous nous confirmer cette déclaration, monsieur le ministre ? Le Président de la République a insisté sur la nécessité d’une réponse concertée, affirmant que Paris et l’Union européenne y « travaillaient ». Pouvez-vous nous indiquer où en est cette initiative ?
L’intérêt d’un plan européen pour faire face à la crise serait notamment de fournir de la liquidité de banque centrale à taux bas au système bancaire pour résoudre le problème de liquidités ; il est indispensable d’assurer le financement de notre économie, alors que le risque d’un credit crunch devient très réel.
La décision des banques centrales d’abaisser aujourd’hui de manière concertée leurs taux directeurs va tout à fait dans le bon sens. Toutefois, après un « lundi noir », nous avons connu un « mercredi noir », ce qui nous conduit, malheureusement, à nous interroger sur la profondeur de la crise.
En tout cas, une question ne doit pas être éludée : celle de notre capacité financière à faire face à cette crise. Nous ne devons pas nous leurrer sur nos moyens d’intervention. Il est certes nécessaire de rassurer nos concitoyens quant à la pérennité de leurs dépôts – comme vous l’avez rappelé, monsieur le ministre, le plan arrêté hier, lors du conseil Ecofin, permet en partie de le faire – afin d’enrayer tout mouvement de panique des épargnants. Il faut d’ailleurs saluer les Français qui n’ont pas, contrairement aux Britanniques, cédé à la panique : les retraits des banques de dépôts sont restés infimes.
La crise financière ne doit pas être prétexte à laisser filer notre déficit dans un contexte de finances publiques très dégradé. Comme vous l’avez également rappelé, monsieur le ministre, nous ne pouvons nous affranchir de la discipline commune qu’impose le respect des critères de Maastricht.
Il est important de clarifier le fonctionnement des agences de notation. Il faut aussi rénover les normes comptables des établissements financiers et voir ce qu’il en est réellement de l’IFRS. Il faut enfin revoir les fondamentaux du système financier en revenant à des actifs plus simples, et par là même plus lisibles et transparents, en régulant les marchés échappant à toute forme de régulation : en effet, comme je l’ai déjà indiqué, 60 000 milliards de CDS échappent aujourd’hui à la régulation.
Il est nécessaire d’opérer une régulation financière européenne des marchés afin d’apporter des réponses de long terme pour stabiliser le système financier et soutenir ainsi le développement économique.
Monsieur le ministre, il ne faut pas jeter le bébé avec l’eau du bain ! Les membres de l’Union européenne rechignent à rajouter quelques euros supplémentaires à un budget européen qui est de l’ordre de 120 milliards d’euros. Or les sommes en jeu dans cette crise représentent un montant équivalent à plusieurs fois le budget européen. L’Europe doit donc, dans les prochains jours, faire preuve de son existence : c’est en tout cas ce que souhaite le groupe de l’Union centriste. (Applaudissements sur les travées de l’Union centriste et sur certaines travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à M. Thierry Foucaud.
M. Thierry Foucaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le secrétaire d’État, mes chers collègues, il y a moins d’un an, tout paraissait aller bien. Il y a quelques semaines, Mme Christine Lagarde déclarait même que la crise était derrière nous. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe.)
Aujourd’hui, le système que vous défendez, celui dont M. Sarkozy s’est fait le héraut, est en faillite. Cette faillite, c’est celle de votre Gouvernement, de vos dogmes.
La pensée unique, fondée sur les vertus du marché et de la concurrence libre et non faussée et sur le culte de l’argent roi présenté comme valeur cardinale de notre société, s’écroule.
M. Sarkozy hier à Toulon, M. Fillon aujourd’hui tentent l’impossible : faire oublier en quelques jours leur responsabilité écrasante dans la crise terrible qui secoue la France et le monde et plonge les populations dans l’inquiétude et, déjà pour bon nombre de personnes, dans le désespoir du chômage et de la pauvreté.
Dans une manœuvre désespérée, vous montrez du doigt vos propres amis, les partisans du CAC 40 et leurs énormes privilèges. Mais vous n’arrivez pas à faire oublier que c’est votre politique, le système que vous adulez, qui leur a permis de faire main basse sur l’économie de notre pays. Vous ne pourrez masquer longtemps l’étroite complicité entre votre Gouvernement et les patrons.
M. Sarkozy veut refondre le capitalisme. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat rit.) Je suppose que l’aréopage que constitue une partie de ses amis, MM. Bolloré, Lagardère, Bouygues ou Arnault, sauront le conseiller efficacement sur ce point. (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat s’esclaffe de nouveau.)
Les gesticulations aux sujets des parachutes dorés montrent bien les limites de votre exercice. Après avoir annoncé une loi, vous êtes déjà revenu à l’étude cas par cas.
Mme Annie David. Il faut avoir le courage d’aller jusqu’au bout !
M. Thierry Foucaud. Je vous annonce que je déposerai dès demain, avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, une proposition de loi interdisant cette pratique scandaleuse.
Mme Annie David. C’est cela le courage politique !
M. Thierry Foucaud. Je demanderai au Gouvernement de la mettre en discussion et, au Sénat, de la voter.
Où en sommes-nous aujourd’hui ? Après le désastre américain et la disparition des banques d’affaires dans ce pays, l’ouragan s’abat sur l’Europe.
Un jour, c’est l’italien UniCredit qui est à deux doigts du dépôt de bilan ; le lendemain, c’est Hypo Real Estate, la banque des accédants à la propriété allemands, qui est à court de liquidités ; le surlendemain, c’est Fortis, principale banque de dépôt du Benelux, qui est sauvée in extremis par l’intervention des pays concernés et le rachat de ses actifs par BNP Paribas ; la banque Dexia est attaquée depuis plusieurs jours, malgré la recapitalisation que vous avez précipitamment conduite, tandis qu’on évoque le mariage des Banques populaires et des Caisses d’épargne, celles-ci victimes d’une gestion hasardeuse.
La situation est si grave que Gordon Brown, ce redoutable social-libéral, issu du modèle blairiste de la gauche qu’aime la droite, vient aujourd’hui même de recapitaliser, à hauteur de 65 milliards de livres sterling, les principaux établissements bancaires de Grande-Bretagne.
La nationalisation, véritable épouvantail de tout libéral qui se respecte, devient, du jour au lendemain, une bouée de sauvetage inespérée ! Pour renflouer les établissements financiers victimes des turpitudes spéculatives de leurs dirigeants, les responsables politiques occidentaux font la poche du contribuable.
Monsieur le ministre, nous n’acceptons pas ce nouveau vol : l’État va renflouer les affairistes pour leur rendre dès que possible des établissements assainis. L’intervention des pouvoirs publics doit être durable, car cette crise montre la pertinence d’une maîtrise politique des grands leviers économiques et financiers.
La situation est si grave que votre Gouvernement a décidé d’affecter la totalité de l’encours des livrets de développement durable au financement des petites et moyennes entreprises. Mais l’argent des livrets de développement durable ne servait donc pas aux PME, alors que c’est sa raison d’être ? (Mme Nicole Borvo Cohen-Seat applaudit.)
Le recentrage soudainement mis en œuvre de cette épargne nous amuserait si la situation n’était pas si grave. Nous, parlementaires communistes, avons justement longtemps défendu l’affectation prioritaire de l’épargne des livrets de développement durable en direction des PME ! Vous rejetiez alors systématiquement nos amendements, en préférant diriger cette épargne vers des grandes entreprises plus impliquées dans la spéculation financière. Il faut considérablement développer l’aide au développement industriel.
Monsieur le ministre, il faut élever le plafond de cette épargne aujourd’hui ridiculement bas. Alors que 150 000 euros peuvent être placés sur une assurance vie, seuls 6 000 euros peuvent l’être sur un livret de développement durable. Votre dogme s’écroule, votre système est en faillite et les voyants sont dans le rouge. Le déficit et la dette explosent au point de renvoyer au placard le traité de Maastricht et ses critères libéraux.
La récession économique est enfin avouée après avoir été cachée, le chômage est durement relancé – que signifie d’ailleurs dans ce contexte la mise en œuvre de la réforme de l’ANPE ou celle du RSA ? –, l’inflation sur les produits frais et les dépenses liées au logement grimpent en flèche.
Allez-vous continuer à répéter, imperturbable, droit dans vos bottes, comme l’un de vos illustres prédécesseurs, que les réformes doivent continuer ?
Allez-vous maintenir ces déclinaisons du libéralisme que sont la privatisation, la concurrence, la spéculation, alors qu’elles emmènent la France, l’Europe et le monde dans le mur ?
Allez-vous maintenir ce paquet fiscal qui symbolise la crise actuelle, c’est-à-dire la collectivité sacrifiée à l’intérêt de quelques privilégiés ? (M. Guy Fischer applaudit.)
Confirmez-vous qu’un foyer a reçu un chèque de 230 000 euros au nom du bouclier fiscal ?
Allez-vous maintenir le « Travailler plus pour gagner moins » ?
Allez-vous stopper ces heures supplémentaires qui accroissent le chômage ?
La crise que nous vivons est grave, et la confiance que les gens nourrissent à l’égard du Gouvernement limitée.
Les enquêtes d’opinion le montrent : la majorité de nos compatriotes doute de la capacité du Gouvernement à faire face à la crise et, pour une écrasante majorité – 77 % dans un sondage du Parisien dimanche dernier –, c’est le système économique dans lequel nous vivons, c’est-à-dire le capitalisme, qui est en cause.
Pourtant, votre discours, monsieur le ministre, montre que, malgré les effets de manches de Nicolas Sarkozy, vous voulez revenir au plus vite aux pratiques antérieures, dès que l’orage sera passé.
Quoi d’étonnant à cela ? Depuis quarante ans, vous avez soutenu et conçu les politiques de spéculation financière et monétaire, la déréglementation et la mondialisation bancaires, avec leurs corollaires : privatisation des services et entreprises publics, à commencer par les banques et compagnies d’assurance nationalisées en 1945, marchandisation des besoins collectifs, instrumentalisation des deniers publics au seul bénéfice de cette financiarisation accrue.
Pour couronner le tout, la construction européenne nous prive d’un moyen essentiel d’intervention effective dans la résolution de la crise.
Le traité de Lisbonne, qui fait de l’indépendance de la Banque centrale européenne l’un des pivots de l’Union et du pacte de stabilité l’alpha et l’oméga des finances publiques, est au cœur du cyclone.
M. Trichet, qui fronce les sourcils pour 3 % de déficit, ne mobilise-t-il pas pourtant 300 milliards d’euros par jour – soit l’équivalent du budget de la France – pour sauver les marchés financiers ?
Il ferait bien mieux de baisser de manière plus nette encore le taux directeur de la BCE, pour alléger le coût du crédit interbancaire.
Quand va-t-on décider de redéfinir les contours de l’intervention de la BCE ? Quand va-t-on se décider à procéder à la nécessaire révision du traité européen, abandonnant par là même la ratification d’un texte qui, après le « non » des électeurs français, néerlandais et irlandais, est condamné par la crise financière ?
À la lumière des événements récents, j’invite tous nos collègues ayant ratifié le traité de Lisbonne à s’interroger sur leur vote.
Plutôt que de laisser la main occulte du marché tout réguler de manière harmonieuse, il est temps, en effet, de faire en sorte que les États et la politique, au sens noble du terme, reprennent la main. La nationalisation des établissements de crédit en difficulté ne suffit pas. L’argent public ne doit pas servir qu’à socialiser les pertes d’un secteur privé qui ne se prive guère de gaspiller l’argent.
La question d’une nationalisation du crédit et de l’assurance est posée, pour revenir sur le mouvement engagé en 1986, mobiliser l’argent et répondre aux exigences du développement de l’économie réelle et de la société en général.
À ce propos, comment ne pas noter qu’une grande banque, nationalisée en 1945, privatisée en 1986, a finalement été renationalisée partiellement au cours du week-end ? Il y a pourtant une nuance : en 1945, c’est l’État français, soucieux de disposer des moyens de la reconstruction du pays, qui avait nationalisé la BNP. Dimanche dernier, c’est le royaume de Belgique qui est devenu l’actionnaire de référence de la banque à hauteur de 12 % !
Dans le même ordre d’idées, il est temps de relever les plafonds de l’épargne défiscalisée, le taux de la participation des entreprises à l’effort de construction, et l’ensemble des sources de financement déconnectées de la règle des marchés financiers.
Il faut, en France et en Europe, une sélectivité nouvelle du crédit, fondée sur une réduction des taux d’intérêt et un soutien réel à la création de richesses, par une bonification des crédits accordés aux entreprises investissant et créant des emplois.
En voilà assez de voir les banques se procurer des ressources en puisant dans l’épargne des salariés ! Surtout si c’est pour l’engloutir ensuite dans des rachats de créances « pourries » d’outre-Atlantique, selon le processus qui a été largement mis en lumière par la crise actuelle ! L’argent des banques, c’est celui des salariés : ils l’ont gagné en produisant des biens et des services. Il est temps qu’il leur revienne !