M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Seul le chef de l’État, élu de la nation tout entière, est habilité à accorder la grâce. Les dispositifs d’aménagement de peine ont fortement réduit l’utilisation de la grâce à titre individuel.
Il paraît suffisant et approprié de soumettre l’exercice de cette prérogative présidentielle au simple avis d’une commission, qui sera mise en place par la loi.
Le Parlement, qui vote la loi pénale, ne saurait intervenir dans ce processus qui consacre l’application des décisions de justice. Ce serait assez contradictoire avec le principe de séparation des pouvoirs.
Enfin, l’amendement n° 8 rectifié vise à ce que l’avis de la commission soit éventuel.
S’agissant des demandes de grâce infondées, la commission établira sans doute rapidement un mode de traitement efficace, comme le fait le bureau des grâces, d’ailleurs.
Il paraît utile, dans l’objectif d’encadrement des prérogatives du chef de l’État, de prévoir un avis de cette commission des sages.
Aussi, je suis défavorable à cet amendement.
À plusieurs reprises, ont été évoquées ici les grâces collectives. Le droit de grâce était à l’origine conçu comme individuel. Son utilisation à des fins de gestion pénitentiaire…
M. Michel Charasse. Pour vider les prisons !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. …n’est pas satisfaisante.
Nous examinerons le projet de loi pénitentiaire à l’automne. J’espère que toutes les mesures qui seront proposées permettront enfin de résoudre ce problème, lequel est, pour notre République, une humiliation – n’est-ce pas, monsieur le président Badinter ? –, et que nous disposerons de tous les moyens permettant de faire progresser les choses en ce domaine.
En tout état de cause, les grâces collectives seraient plutôt du ressort du Parlement, à travers l’amnistie.
M. Michel Charasse. Eh oui !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il y a eu des lois d’amnistie, mais, désormais, elles ne sont plus d’actualité. Or lorsque c’est collectif, peut-être cela relève-t-il de la responsabilité du Parlement ?
En résumé, la commission émet, hélas ! un avis défavorable sur tous ces amendements.
Mes chers collègues, j’ai été très long, mais j’incite chacun d’entre vous à être bref lorsqu’il expliquera son vote. (Sourires.)
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le Gouvernement veut mettre fin aux grâces collectives, car, à son avis, il ne s’agit pas d’un bon système. Le droit de grâce ne doit pas servir à réguler le taux d’occupation des prisons. (Mme Alima Boumediene-Thiery s’exclame.)
Je rappellerai quelques chiffres.
En 1987, est lancé le premier grand programme de construction, le « programme 13 000 », mené par M. Chalandon et qui prévoit la création de 13 000 places supplémentaires. En 1997, on dénombrait 49 791 places de prison.
De 1997 à 2002, la gauche, qui était alors au pouvoir, décide la fermeture de 4 % des places. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.) Ce sont les chiffres, il suffit de les regarder ! Le nombre de places passe donc de 49 791 à 48 021. Les personnes incarcérées dans des cellules faisant l’objet d’une fermeture sont transférées dans d’autres cellules.
En 2002, la surpopulation carcérale est flagrante, à cause des choix politiques de la gauche.
M. David Assouline. Pas la gauche !
M. Dominique Braye. Et c’est comme cela que l’on remet les délinquants dans la rue !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je fais ce rappel pour expliquer que nous, nous ne souhaitons pas nous servir de la grâce comme d’un outil de régulation de la population carcérale, pour la simple raison que cela favorise la récidive.
Aucune place de prison supplémentaire n’a été prévue, non plus qu’aucun aménagement de peine. La fermeture de places de prison était légitime, d’ailleurs, entre 1997 et 2002, compte tenu de l’insalubrité des prisons. C’est vrai, vous avez raison : les prisons ne sont pas forcément à l’honneur de la France.
Ainsi donc, 4 % des places sont fermées, ce qui aboutit, en 2002, à une surpopulation carcérale.
Un programme assez ambitieux de construction de places de prison est alors lancé, puis repris en 2007. Notre pays compte aujourd’hui 50 500 places de prison. Entre 2002 et 2007, de nombreuses places ont été fermées ou réhabilitées, des établissements ont été ouverts.
Le programme qui est en cours va aboutir, en 2012, à 13 200 places supplémentaires ; 3 000 places seront créées en 2008 ; d’ici à la fin de l’année, 2 850 places de plus seront disponibles. De nouveaux établissements sont en cours de construction.
Il y a deux moyens de lutter contre la surpopulation carcérale, afin que les personnes qui sont privées de leur liberté ne soient pas privées également de leur dignité.
Le premier consiste à avoir des prisons qui fassent honneur à la France. Un programme de construction est donc en cours.
Le second moyen de lutter contre la surpopulation carcérale, c’est d’aménager les peines, car nous n’avons qu’un seul objectif : lutter contre la récidive. Or, vous l’avez tous dit, les sorties sèches favorisent cette récidive.
M. David Assouline. La surpopulation aussi !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La surpopulation, il faut également s’en occuper. Nous rattrapons le retard accumulé.
Mme Josiane Mathon-Poinat. Et la détresse sociale ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je le rappelle, les réductions de peine automatiques, que l’opinion publique ne comprend pas, ne facilitent pas la réinsertion des personnes détenues et favorisent au contraire la récidive.
Sans grâce collective, sans réduction de peine, entre mai 2007 et mai 2008, la population carcérale n’a augmenté que de 4 %. Nous luttons donc efficacement contre la récidive. Certes, le taux d’aménagement de peine a connu, sur cette même période, une augmentation sans précédent, pour atteindre 34 %. Mais, je le rappelle, l’aménagement de peine est une décision prononcée par des juges indépendants. Voilà la réalité statistique ! Quant au placement sous bracelet électronique, il a progressé de 52 %. Ce dernier est un outil efficace dans le cadre d’un aménagement de peine,…
Mme Isabelle Debré. Exactement !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. …car il favorise la réinsertion sociale.
Par ailleurs, je suis plus favorable, à titre personnel, à la libération conditionnelle qu’à la réduction de peine automatique : la première, comme son nom l’indique, c’est une libération sous condition ; avec la seconde, il n'y a aucune contrepartie.
Alors que le taux de libération conditionnelle stagnait depuis 2002, et était de l’ordre de 5 % à 6 %, nous avons relancé ce dispositif, avec une augmentation de plus de 10 % constatée de mai 2007 à mai 2008.
Mesdames, messieurs les sénateurs, les chiffres sont là pour le prouver : nous luttons de manière ferme et efficace contre la délinquance et la récidive ; nous avons augmenté le taux d’aménagement des peines sans avoir à déplorer un accroissement de la surpopulation.
Lors de l’adoption des dispositions législatives relatives à la récidive et à la rétention de sûreté, certains d’entre vous avaient prédit une augmentation de plus de 10 000 détenus entre juillet et décembre 2007. Tel n’a pas été le cas, grâce à notre politique volontariste d’aménagement des peines et de réinsertion.
Par ailleurs, le contrôleur général des lieux de privation de liberté, qui aurait pu être mis en place dès 2000, c’est nous qui l’avons institué. Vous le voyez, nous mettons donc tout en œuvre pour favoriser la réinsertion des personnes détenues, tout en veillant à ne pas les priver de leur dignité.
Dans ces conditions, la grâce doit être réservée à des situations exceptionnelles et humanitaires. Pour cela, nous souhaitons que le Président de la République ne puisse plus statuer tout seul. Il sera éclairé sur des demandes de grâce individuelle par une commission restreinte de dix membres, composée de parlementaires,…
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Non, pas de parlementaires !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. …d’universitaires, de spécialistes de la criminologie. Nous avons proposé la participation éventuelle de deux membres de la Cour de cassation. Il y a certes le bureau des grâces à la Chancellerie, mais ladite commission pourra aider le Président de la République à prendre des décisions souvent très difficiles.
Monsieur le rapporteur, vous l’avez précisé, 7 000 demandes de grâce ont été déposées l’année dernière.
M. Michel Charasse. Vous ne recensez que les seules demandes recevables !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Sur ces 7 000 demandes, 12 %, soit environ 800, étaient irrecevables.
M. Jean-Pierre Bel. Ce n’était pas la gauche !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Nous avons souhaité, conformément à l'engagement du Président de la République, mettre fin aux grâces collectives. Il n’y en a pas eu l’année dernière, et il n’y en aura pas plus cette année.
Toutefois, nous souhaitons vraiment conserver le droit de grâce à titre individuel. Il peut rester utile, comme je le rappelais, pour des raisons humanitaires ou exceptionnelles. Son usage est d’ailleurs modéré, puisque 43 grâces ont été accordées en 2007, et une centaine pour les deux années précédentes. Elles concernaient souvent des personnes condamnées à de simples amendes. Le droit de grâce n’a donc pas été utilisé de manière abusive.
Monsieur Charasse, le Gouvernement n’est pas favorable à l’amendement n° 8 rectifié, par lequel vous proposez de rendre l’avis de la commission facultatif.
M. Michel Charasse. Alors, à quatre heures du matin, on fait comment ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Si l’on veut que la commission prévue joue pleinement son rôle, il convient qu’elle rende un avis pour chaque demande de grâce. Il sera tout à fait possible de la réunir de manière urgente.
L’exemple de la demande de libération de tel ou tel détenu à l’occasion d’un acte terroriste, que vous avez donné tout à l’heure, n’entre pas dans le cadre d’une demande de grâce. (M. Charles Pasqua s’exclame.) Cela relève d’un autre registre.
M. David Assouline. Lequel ?
M. Dominique Braye. M. Charasse a voulu nous enfumer !
M. Michel Charasse. Me permettez-vous de vous interrompre, madame le garde des sceaux ?
M. le président. La parole est à M. Michel Charasse, avec l’autorisation de Mme le garde des sceaux.
M. Michel Charasse. M. Hyest me le signale très justement, dans la situation d’urgence que vous décrivez, où il faut prendre une décision à quatre heures du matin, c’est d’une libération conditionnelle qu’il s’agit.
Il se trouve que j’ai un cas en mémoire où le juge a refusé. Comme c’était un juge du siège, et non un parquetier, on ne pouvait pas lui donner d’ordre.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. La remise en liberté !
M. Michel Charasse. Par conséquent, il n’y avait que la grâce qui était envisageable, c’est tout.
Vous allez me dire, dans ces conditions, si le texte est voté, une telle mesure de grâce pourra être considérée comme irrégulière. Les personnes concernées par la détention de l’intéressé, à savoir les victimes, auront la possibilité de saisir le Conseil d'État et de faire casser la mesure, ce qui serait vraiment très agréable pour le Président de la République ! Mais je n’insiste pas !
Mes chers collègues, c’est un problème qui touche au cœur du fonctionnement de l’État. Alors, on peut évidemment souhaiter, dans la Constitution, s’occuper de tout sauf du cœur du fonctionnement de l’État. Mais il n’empêche que de tels cas existent.
M. le président. Veuillez poursuivre, madame le garde des sceaux.
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Monsieur Charasse, si le juge refuse, c’est ainsi. Il est dans son rôle, il n’a pas de prérogative spéciale en la matière.
M. Michel Charasse. Dans ce cas-là, on laisse les types se faire flinguer à Téhéran !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Je le répète, le juge n’a pas de prérogative de grâce. Dans votre exemple, il ne s’agit pas d’une demande de grâce.
M. Michel Charasse. Et la libération conditionnelle ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. La libération conditionnelle, c’est une décision du juge de l’application des peines. C’est une libération sous certaines conditions, explicitées dans le code de procédure pénale.
M. Michel Charasse. Rappelez-vous l’affaire Gordji !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il n’était pas jugé !
M. Alain Gournac. Et pas condamné !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Le droit de grâce est une prérogative du Président de la République. Ce n’est pas le rôle du juge.
Dans votre exemple, on est en dehors du droit de grâce et de la libération conditionnelle.
M. Michel Charasse. On est où, alors ?
M. le président. Madame le garde des sceaux, ne vous laissez pas interrompre !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Il s’agit de mesures exceptionnelles. Ce n’est ni une mesure de grâce ni une mesure de libération conditionnelle.
M. Alain Gournac. Il n’était pas condamné !
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Absolument !
En ce qui concerne l’amendement n° 177, mesdames, messieurs les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, vous proposez une procédure qui consiste, en définitive, à recueillir trois avis : celui du Conseil supérieur de la magistrature et ceux des bureaux des deux assemblées.
Tout d’abord, une telle procédure paraît lourde, d’autant que certains de vos collègues souhaitent l’alléger en la rendant facultative.
Ensuite, le Conseil supérieur de la magistrature n’est pas le mieux placé pour donner un avis sur le droit de grâce. Son domaine de compétences porte sur le fonctionnement de la magistrature, sur les promotions, les nominations et l’avancement des magistrats. Ce n’est pas son rôle que de donner un avis sur la grâce ou les demandes de grâce. C’était le cas avant, en matière de peine de mort. C’est d’ailleurs pourquoi une telle précision a été exclue lors de la révision constitutionnelle de 1993.
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un avis défavorable sur tous les amendements.
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote sur l'amendement n° 386 rectifié.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Madame la ministre, je le reconnais, la procédure d’avis que nous proposons est un peu lourde et s’inspire effectivement davantage du droit de grâce tel qu’il existait à l’époque de la peine de mort. Néanmoins, le fait d’encadrer la décision me paraît tout à fait justifié.
Certes, vous nous avez dispensé de bonnes paroles sur votre politique pénitentiaire, mais vous avez oublié la politique pénale !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Nous aurons donc l’occasion d’en discuter au moment de l'examen de la loi pénitentiaire, si, du moins, celle-ci nous est soumise. En effet, telle l’Arlésienne, nous en parlons beaucoup, mais nous ne la voyons jamais ! D’après ce qui a été annoncé, elle pourrait être débattue à la rentrée. Nous verrons bien ce qu’il en est.
Franchement, madame la ministre, l'augmentation du nombre de détenus est tout de même très directement liée à l’application de la loi pénale, sans cesse aggravée, qui a eu pour conséquences de remplir nos prisons.
Vous nous l’avez expliqué, les dispositions votées visent à lutter contre la récidive. Mais nous le savons ! Nous avons tous participé aux débats lors de l’adoption, en un temps record, des huit lois successives mettant en œuvre cette politique d’« aggravation pénale ».
Il faudrait donc aussi s’intéresser à l’incarcération elle-même et à ce qui se passe pendant le temps de détention. Nous aurons d’ailleurs l’occasion, me semble-t-il, d’en discuter au moment de l'examen de la loi pénitentiaire.
Il s’agit d’une question très sérieuse, et vous ne pouvez pas vous contenter de dire que, depuis votre arrivée au ministère, les libérations conditionnelles se sont accrues.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne mets pas du tout en cause votre volonté d’agir en ce sens. Pour autant, n’oubliez pas de préciser que la politique menée par vous-même et par vos prédécesseurs immédiats a contribué à augmenter, jour après jour, le nombre de personnes détenues. En effet, le fait d’être passé, en quelques années, de 40 000 détenus au nombre actuel n’est tout de même pas anodin !
M. Josselin de Rohan. Cela vous a réussi de les relâcher !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Que dites-vous ?
M. Josselin de Rohan. Laxisme !
Mme Éliane Assassi. Mais à qui parlez-vous ?
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il doit sûrement s’adresser à moi. Apparemment, il croit que j’étais chargée de la politique pénale !
M. Dominique Braye. Ne vous adressez pas à M. de Rohan de cette façon ! Il préside tout de même la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées.
M. Josselin de Rohan. Vous souteniez les gouvernements d’alors !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Tout ce que vous faites, c’est de nous faire perdre du temps !
M. Dominique Braye. Vous parlez en experte !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je ne continue pas tant que vous m’interrompez !
M. Josselin de Rohan. Restez donc muette !
M. Dominique Braye. Cela nous arrange !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous ajoutez que vous faites construire des places de prison. Là aussi, est-ce pour remplacer les cellules complètement délabrées, indignes d’un pays démocratique, ou est-ce pour avoir la possibilité de mettre sans cesse de plus en plus de gens en prison ? Je m’interroge !
En tout cas, vous l’avez dit vous-même et vous ne pouvez donc pas me contredire, tout cela ne prendra effet qu’à partir de 2012. Par conséquent, quoi que vous fassiez, surtout dans la logique de la politique pénale qui est la vôtre, jusqu’en 2012, nos prisons seront surpeuplées et le problème perdurera.
Il faudrait tout de même, me semble-t-il, avoir un regard plus réaliste sur ce qu’il se passe dans les prisons. C'est pourquoi nous maintenons notre position sur cette question des grâces collectives.
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter, pour explication de vote.
M. Robert Badinter. Monsieur le président du Sénat – et non pas monsieur le président de la Cour ! –, madame la ministre, nous ne sommes pas en train de traiter de la loi pénitentiaire et de nous interroger sur la meilleure politique pénale à mener.
M. Robert Badinter. Nous sommes sur la question, très importante, du droit de grâce du Président de la République, tel que la Constitution l’a défini. À cet égard, l'article 17 est clair, concis et correspond à ce qui a été notre tradition républicaine : « Le Président de la République a le droit de faire grâce. » À mon sens, nous devons nous en tenir là.
M. Jean-Pierre Sueur. Très bien !
M. Robert Badinter. Je soutiens donc en particulier l’amendement défendu par M. Alfonsi, et ce pour deux raisons.
Premièrement, vous souhaitez ajouter à cet article l’exigence de la création d’une commission : le Président de la République ne pourrait alors exercer son droit de grâce qu’après avoir recueilli l’avis de cette dernière.
Pourquoi voulez-vous inscrire, dans la Constitution, la création d’une commission, qui sera définie par une loi organique mais qui ne pourra pas être supprimée sans réviser la Constitution ?
M. Michel Charasse. Exactement !
M. Robert Badinter. Puisqu’il ne s’agit que d’émettre un avis, le Gouvernement pourrait parfaitement envisager, à l’occasion de telle ou telle loi, de nous demander d’instaurer une commission consultative auprès du Président de la République. J’ajoute d’ailleurs, comme l’a très bien dit Michel Charasse, que celui-ci a toute latitude aujourd'hui pour consulter qui il entend, à commencer – je peux en témoigner ! – par le garde des sceaux et les services de la Chancellerie.
Vous voulez instaurer une commission : pourquoi pas ? Mais ne l’inscrivez pas dans la Constitution ! Cela ne fera que créer des problèmes : il faudra, d’abord, la réunir, dans les conditions prévues, puis s’assurer que le droit de grâce aura été exercé conformément à l’avis ainsi émis.
Ce faisant, nous nous créons, à nous-mêmes et au Président de la République, des difficultés parfaitement inutiles. Cela n’a rien à voir, cela n’a pas à figurer dans la Constitution.
M. Roland du Luart. Il a raison !
M. Robert Badinter. Deuxièmement, le Président de la République, Nicolas Sarkozy, mène une politique en ce qui concerne le droit de grâce qui relève de son appréciation souveraine. Il refuse de procéder à des grâces collectives, contrairement à ses prédécesseurs, MM. Chirac, Mitterrand et Giscard d’Estaing. C’est son choix personnel ; j’ajouterai que c’est une prérogative constitutionnelle. Nous ne sommes pas là pour apprécier. Cela a déjà été dit.
Le droit de grâce s’exerce face à des situations souvent imprévisibles, dont l’une, que je connais bien, a été mentionnée. Je pourrais en évoquer d’autres, tout aussi imprévisibles. Le droit de grâce est possible au regard de la Constitution. Mais pourquoi le Président nous demande-t-il de supprimer pour l’avenir – car les mandats prennent toujours fin – une prérogative que ses prédécesseurs ont utilisée parce qu’elle était nécessaire pour faire face à des crises de surpopulation pénale ?
Pourquoi constitutionnaliser un choix personnel de politique pénale et en faire non seulement une loi, mais également un principe constitutionnel liant ses successeurs, confrontés à une situation qui peut, croyez-en mon expérience, être dramatique ? Face à tel ou tel événement, on ne pourra pas faire grâce faute de pouvoir réviser la Constitution. Il y aura 1 000 ou 1 200 dossiers en instance, avec le risque d’émeutes étudiantes, de troubles sociaux ou de surpopulation carcérale.
Que le Président Sarkozy choisisse de refuser le principe de la grâce collective, c’est une chose. Mais que l’on n’entrave pas dans la Constitution le droit de ses successeurs !
Nous savons qu’il souhaite que l’on ne puisse exercer que deux mandats. On ne doit pas compromettre le droit de ses successeurs à utiliser ce qui peut se révéler nécessaire dans les circonstances les plus extrêmes. Le droit de grâce, c’est la prérogative du Président de la République. Il existe pour faire face à des situations exceptionnelles. Il n’y a pas de raison de constitutionnaliser un choix personnel de politique pénale en matière de grâce.
M. le président. La parole est à M. Christian Cointat, pour explication de vote.
M. Christian Cointat. Les débats dans l’hémicycle sont faits pour échanger des arguments, pour confronter des idées, afin de faire émerger l’opinion la plus largement partagée possible.
C’est ce qui vient de se produire, puisque mon idée a évolué après avoir écouté les arguments de mes collègues Charasse et Badinter : on doit en tenir compte, car ils sont très pertinents. Cela explique que, bien qu’ayant voté contre ces amendements en commission, dans cette enceinte, j’en voterai un.
D’ailleurs, il n’a pas été très difficile de me faire changer d’avis, puisque, par nature, je n’aime pas qu’on touche aux compétences du Président de la République telles qu’elles sont définies dans la Constitution du général de Gaulle. Chaque fois qu’on met en cause son appréciation, sa faculté de décision, en l’entourant d’avis plus ou moins autorisés, je ne suis pas naturellement enclin à l’accepter !
J’ai donc pu être facilement convaincu. C’est la raison pour laquelle je voterai l’amendement du groupe socialiste qui supprime la seconde phrase du texte proposé pour l’article 17 de la Constitution, c’est-à-dire celle qui a trait à une commission.
Nous savons très bien que les présidents ne rendent une grâce qu’après avoir recueilli les avis autorisés. Il n’est pas nécessaire de l’inscrire dans la Constitution.
En plus, comme on l’a fait remarquer, cela peut créer des difficultés en cas d’urgence…
M. Michel Charasse. Bien sûr !
M. Christian Cointat. …et nous devons être vigilants à cet égard.
Tout le monde connaît la fameuse phrase de Montesquieu : « On ne touche à la loi que d’une main tremblante. » La prudence est encore plus de mise quand il s’agit de la Constitution.
Voilà pourquoi si cet amendement n’était pas adopté, je me rallierai à celui de M. Charasse. Certes, je n’adhère pas totalement à la rédaction – je n’aime pas beaucoup le mot « éventuel » et je préférerais que lui soit substituée, par exemple, l’expression « le cas échéant ». Mais l’essentiel, pour moi, c’est de bien montrer qu’il ne doit pas y avoir un avis liant préalablement le Président de la République, lequel doit conserver toute liberté de manœuvre dans ce domaine.
M. le président. La parole est à M. Hugues Portelli, pour explication de vote.
M. Hugues Portelli. Je veux simplement dire que je partage totalement le point de vue du président Badinter.
M. le président. La parole est à M. Dominique Braye, pour explication de vote.
M. Dominique Braye. Je voulais rappeler, madame le garde des sceaux, un chiffre qui m’a profondément marqué. Établi par un observatoire installé dans les Yvelines, ce chiffre concerne la délinquance et le problème des places de prison.
Sur une durée d’un an, dans les Yvelines, vingt-six individus sont responsables, à eux seuls, de 30 % de la délinquance.
M. David Assouline. C’est hors sujet !
M. Dominique Braye. Et, en moyenne, sur une période de six mois, ces individus sont passés devant le juge de cinq à dix-huit fois.
M. David Assouline. Hors sujet !
M. Dominique Braye. Manifestement, il faut revoir les choses pour permettre aux citoyens de vivre tout à fait normalement. (Mme Nicole Bricq s’exclame.)
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Et vous allez convoquer la presse ?
M. Dominique Braye. Pour en revenir au débat qui nous occupe, je rejoins, comme M. Cointat, les propositions de nos collègues Alfonsi et Charasse. Elles reflètent tout à fait à l’idée que je me fais des prérogatives du Président de la République, lequel ne manque pas de s’entourer de précautions et d’avis avant de prendre une décision de cet ordre. (M. David Assouline s’exclame.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote.
M. Nicolas Alfonsi. Je vais intervenir brièvement pour clarifier le débat et resituer les choses. Le problème porte non pas sur les aspects de la politique pénitentiaire, mais sur le droit de grâce. (Très bien ! sur les travées de l’UMP.)
M. Roland du Luart. Il a raison !
M. Nicolas Alfonsi. L’amendement que j’ai déposé se suffit à lui-même et n’a pas besoin d’être assorti d’amendements de substitution s’agissant, notamment, de l’exercice du droit de grâce individuelle.
Sur les causes de la suppression de la grâce collective, Mme le garde des sceaux a répondu en liant ce problème exclusivement aux problèmes pénitentiaires. La grâce collective peut continuer d’exister, les problèmes pénitentiaires peuvent être réglés tout autant.
Par conséquent, je maintiens l’amendement, et je souhaite qu’on le vote.