M. Robert Bret. Le Parlement ne peut pas réfléchir !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il ne réfléchit pas !
M. Bernard Frimat. Cela devient un sujet tabou !
Pourtant cet amendement concerne le pluralisme. Grâce au débat d’hier soir, qui était intéressant, y compris par les mouvements qu’il a déclenchés dans l’hémicycle, j’ai compris que vous étiez pour le pluralisme, mais à condition qu’il ne se réalise pas ! De la même manière, vous êtes pour le droit de vote des étrangers, mais plus tard !
En ce qui nous concerne, nous ne faisons que conforter notre position en faisant un travail de clarification.
Je vous informe que, à cette fin, le groupe socialiste a demandé un scrutin public sur cet amendement, même s’il a une certaine prescience sur son issue.
Mes chers collègues, votre ligne de conduite me fait penser à la célèbre phrase du Bossu de Paul Féval : « Si tu ne viens pas à Lagardère, Lagardère ira à toi ! » (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Je voudrais tout simplement attirer l’attention de mes collègues sur la réalité du très grave problème qui est posé.
Nous le savons tous, il n’y a pas de démocratie sans liberté d’opinion. Notre collègue Michel Charasse en a d’ailleurs rappelé tout à l'heure le texte fondateur, mais qui s’inscrivait dans une situation différente de celle que nous connaissons aujourd'hui.
Quelle situation ne pouvons-nous plus admettre ? Tous les défenseurs de la démocratie doivent en être conscients.
Nous sommes tous pour le pluralisme des médias. L’indépendance des médias est une chose ; l’indépendance des journalistes au sein de ces médias en est une autre. À cet égard, il faudra s’interroger sur les garanties d’indépendance dont doivent bénéficier les journalistes, mais tel n’est pas l’objet de notre débat aujourd’hui.
Alors que la domination de la vie politique par les médias est un phénomène général, qui n’est d’ailleurs pas nouveau, se pose en France un problème spécifique que nous connaissons tous. Dans notre pays, de grands groupes industriels, qui réalisent des performances internationales brillantes, ont, du fait même de leur importance, des rapports privilégiés avec l’État ou les collectivités territoriales.
Or qui fait aujourd'hui vivre les grands groupes industriels fabriquant du matériel de guerre, ou réalisant des travaux publics, sinon les commandes de l’État, au premier chef, ou des collectivités territoriales ?
Dès lors, comment admettre que ces groupes industriels puissent posséder des médias de première importance ? Peut-on être à la fois celui qui vit des commandes de l’État et celui qui est propriétaire, au sein de son groupe, d’un ou de plusieurs grands médias ? La réponse est « non » ! C’est inadmissible.
On ne peut à la fois vivre des commandes de l’État et influencer, en tant que propriétaire de grands médias, la vie politique ! Dans une démocratie, ce cumul est inacceptable. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.) Je demande à chacun d’entre vous de considérer qu’il faudra bien un jour en finir avec tout cela !
M. Ladislas Poniatowski. L’amendement ne résout pas ce problème !
M. David Assouline. Lisez-le bien !
M. Robert Badinter. Si vous acceptez de dire en cet instant que le problème est posé et si vous vous engagez, au cours de la présente législature, à y porter remède, alors la question sera réglée !
M. Alain Gournac. L’amendement ne la règle pas !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Alors modifiez-le !
M. Robert Badinter. Mais si, au contraire, vous ne répondez pas à la question posée, certains groupes continueront à vivre des commandes de l’État, tout en apportant leur soutien au maître de cet État. Et si vous laissez cette situation que l’on pourrait presque qualifier d’« incestueuse » perdurer, ne parlez plus de pluralisme ou de démocratie ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Je veux rappeler à mes collègues qui semblent l’avoir oublié que la commission a accepté tout à l'heure un amendement relatif aux principes fondamentaux du pluralisme et d’indépendance des médias déposé par nos collègues socialistes à l’article 11 du projet de loi constitutionnelle, …
M. Bernard Frimat. Il n’est pas encore voté !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. … parce qu’il nous a semblé qu’il y avait toute sa place.
Monsieur le président, je veux bien que nous engagions un débat complet sur tous les problèmes de notre société, mais…
M. Bernard Frimat. C’est important !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Certes, mais il y a des moments plus appropriés !
M. Robert Bret. On ne parle pas du sexe des anges !
M. Jean-Pierre Bel. Dites-nous ce qu’il faut dire alors !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Au détour de cet amendement, nous en sommes à parler de la situation de la presse !
M. Robert Bret. C’est le cadre du débat !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Veuillez m’excuser, mon cher collègue, mais nous débattons de la révision de la Constitution !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Justement !
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Monsieur le président, nous avons, depuis hier, des débats particulièrement intéressants sur de nombreux sujets. La parole est libre, et je m’en félicite. En revanche, chaque intervention suscite des réactions, qui n’entrent plus dans le cadre des explications de vote ! Nous assistons à de véritables conférences ! Certes, nous abordons des sujets d’importance, mais ils mériteraient mieux que les cinq minutes qui leur sont accordées ! Je vous invite donc, mes chers collègues, à faire preuve de sobriété.
M. le président. Monsieur le président de la commission des lois, j’ai toujours eu le souci de laisser la liberté de parole aux différents orateurs qui souhaitent s’exprimer. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Votre présidence n’est pas en cause !
M. le président. Aujourd’hui, le nombre des explications de vote...
M. Patrice Gélard. Qui ne sont plus des explications de vote !
M. le président. ... est en rapport avec les enjeux de cette réforme institutionnelle et l’importance des différents sujets traités à l’occasion de son examen. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Mais bien sûr !
M. le président. Ne souhaitant pas rompre avec un mode de présidence que je pense apaisé, je ne voudrais pas susciter des réactions de la part de M. Michel Mercier ou de M. Jean-Claude Peyronnet en ne les autorisant pas à expliquer leur vote sur cet amendement, comme ils me l’ont demandé.
M. Alain Gournac. Avançons !
M. le président. Mais, monsieur le président de la commission des lois, vous avez une expérience bien plus grande que la mienne des grands débats et vous savez que la situation évoluera au fil des jours ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
La parole est à M. Jean-Claude Peyronnet, pour explication de vote sur l’amendement n° 423 rectifié.
M. Jean-Claude Peyronnet. Mes amis du groupe socialiste ayant expliqué l’importance majeure de l’inscription dans la Constitution de cet article additionnel, je n’y reviens pas.
Selon M. Michel Charasse, la question est réglée, puisque le principe est posé dans la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen. Certes, mais les choses ont évolué depuis ! D’une certaine façon, en employant un langage quelque peu désuet, je dirai que la Déclaration des Droits de l’homme et du citoyen pose le principe de libertés formelles. Mais comment les organise-t-on compte tenu de l’évolution ?
M. Ladislas Poniatowski nous a affirmé, lui, en brandissant cet amendement, qu’une telle disposition ne résoudrait pas le problème. Mais quel est le problème posé par M. Robert Badinter ? « La loi [...] met en place les règles limitant les concentrations, assurant la transparence des entreprises de communication et les relations entre les propriétaires de ces entreprises et l’État. »
Je vais mettre les pieds dans le plat : le fait que le président de la République passe ses vacances sur un yacht appartenant à un grand chef d’entreprise (M. Alain Gournac s’exclame.) ou qu’on lui prête une maison aux États-Unis est présenté comme une économie pour l’État. Mais sommes-nous bien sûr qu’il s’agit d’une économie ? Comment peut-on imaginer qu’il n’y aura pas, consciemment ou non, un retour, à un moment ou un autre, en guise de remerciements ?
À la suite d’un appel d’offres, tout élu local qui se voit offrir un repas par un entrepreneur est menacé des foudres de la chambre régionale des comptes et de la Cour des comptes ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.) Et le président de la République serait au-dessus de tout cela ? C’est inadmissible ! Il faut que la loi règle cette question. (M. Jean-Pierre Sueur applaudit.)
M. David Assouline. Je demande la parole. (Protestations sur les travées de l’UMP.)
M. le président. Vous avez déjà expliqué votre vote, monsieur Assouline !
M. David Assouline. Je m’exprimerai donc plus longuement sur le deuxième amendement !
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, je suis quelque peu perplexe face à cette question.
Je comprends le principe, qui figure depuis longtemps dans la Constitution. Mais le plus difficile est de le faire appliquer ! Un accès plus large à la justice constitutionnelle permettra-t-il, demain, d’y parvenir ? Peut-être, mais je ne le sais pas.
Sur cette question, je souhaite une brève suspension de séance pour réunir mon groupe.
M. le président. Le Sénat va, bien sûr, accéder à votre demande, monsieur Mercier.
Mes chers collègues, nous allons donc interrompre nos travaux pour quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix heures cinquante, est reprise à dix heures cinquante-cinq.)
M. Michel Mercier. Monsieur le président, je vous remercie d’avoir accordé à notre groupe une suspension de séance.
Nous pensons que l’examen en première lecture de ce projet de loi constitutionnelle est l’occasion de donner des signaux clairs. C’est ce que nous souhaitons faire aujourd’hui sur cette question.
Selon nous, il convient de rebâtir le droit de la presse et de l’audiovisuel,...
M. Bernard Frimat. Très bien !
M. Michel Mercier. ... car nous ne pouvons pas en rester là. L’amendement n° 423 rectifié n’est sûrement pas parfait pour y parvenir, mais peut-être concourra-t-il à trouver une solution.
La défense du pluralisme constitue l’un de nos objectifs, nous l’avons rappelé hier soir. Aujourd’hui, une réflexion globale sur l’ensemble des médias et leur organisation s’impose avant une nécessaire refonte complète du droit de la presse, lequel remonte, pour l’essentiel, à l’ordonnance de 1945. N’oublions pas que c’est à Pierre-Henri Teitgen, à l’époque ministre du Cabinet Charles de Gaulle, que nous devons une grande partie de la rédaction !
Souhaitant que le droit de la presse soit repensé complètement, nous voterons cet amendement précisément pour donner un signal simple, mais clair et fort à l’occasion de la première lecture de ce projet de loi constitutionnelle. (MM. Jean-Pierre Sueur et David Assouline applaudissent.)
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 423 rectifié.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe socialiste.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?…
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 102 :
Nombre de votants | 327 |
Nombre de suffrages exprimés | 326 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 164 |
Pour l’adoption | 156 |
Contre | 170 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. Robert Bret. Leur majorité s’effrite !
M. Jean-Pierre Sueur. La majorité est de plus en plus courte !
M. Alain Gournac. C’est vous qui devriez être inquiets !
M. le président. L'amendement n° 424 rectifié, présenté par MM. Frimat, Assouline, Badinter, Bel, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Mauroy, Peyronnet, Sueur, Yung et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
Après l'article 1er, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
Après l'article 4 de la Constitution, il est inséré un article ainsi rédigé :
« Art. ... - Afin d'assurer l'expression pluraliste des courants de pensée et d'opinion, les services de radio et de télévision doivent respecter, au sein de leurs programmes, une répartition des temps d'intervention entre le Président de la République et le Gouvernement, pour un tiers du temps, les personnalités appartenant à la majorité parlementaire, pour un tiers du temps et les personnalités appartenant à l'opposition parlementaire, pour un tiers du temps.
« Par exception aux dispositions qui précèdent, lorsque le Président de la République et le Gouvernement sont issus de majorités politiques d'orientations différentes, les interventions du Président de la République sont décomptées avec celles des personnalités appartenant à l'opposition parlementaire. »
La parole est à M. David Assouline.
M. David Assouline. La loi du 30 septembre 1986 relative à la liberté de communication confie au Conseil supérieur de l’audiovisuel la mission d’assurer « le respect de l’expression pluraliste » au sein des médias audiovisuels.
Depuis 1989, l’instance de régulation a repris et adapté la règle des trois tiers, héritée d’une ancienne directive du conseil d’administration de l’ORTF du 12 novembre 1969. Ce texte posait le principe d’un équilibre de la présentation des points de vue sur les deux chaînes de la télévision publique entre les représentants des pouvoirs publics, ceux qui les approuvent et ceux qui les critiquent.
Reprenant cette règle comme principe de référence, le CSA a défini un équilibre entre l’expression audiovisuelle du Gouvernement, celle de la majorité, et celle de l’opposition parlementaire.
L’article 13 de la loi du 30 septembre 1986, complété par les dispositions de la loi du 1er février 1994, octroie désormais au Parlement et aux partis politiques un droit de regard mensuel sur les temps d’intervention tels qu’ils sont relevés par le CSA.
La réglementation en vigueur pour le décompte du temps de parole des responsables politiques sur les antennes a été établie en tenant compte des caractéristiques propres à la ve République.
Ainsi, le CSA a toujours refusé de comptabiliser le temps de parole du Président de la République avec celui du Gouvernement, considérant que la Constitution plaçait le chef de l’État dans un rôle d’arbitre, au-dessus des contingences partisanes.
Saisi de cette question lors de la campagne liée au référendum sur la ratification du projet de traité constitutionnel européen, le Conseil d’État a confirmé, dans une décision du 13 mai 2005, la position du CSA, estimant que, « en raison de la place qui, conformément à la tradition républicaine est celle du chef de l’État dans l’organisation constitutionnelle des pouvoirs publics, le Président de la République ne s’exprime pas au nom d’un parti ou d’un groupement politique ».
Dès lors, le CSA avait exclu « à bon droit » les interventions du chef de l’État du décompte du temps d’expression des partis et groupements politiques à la télévision et à la radio.
Cependant, depuis le mois de juillet 2006, le CSA s’est engagé dans une réflexion sur l’aménagement de la règle des trois tiers, qui n’a pas abouti pour l’instant.
En effet, les institutions de la ve République sont aujourd’hui l’objet d’une présidentialisation accentuée, marquée par une hypermédiatisation du chef de l’État. On assiste ainsi, depuis la dernière élection présidentielle, à une multiplication des interventions du Président de la République dans les médias. Ces prises de position répétées influencent significativement le débat politique et contribuent à rompre les conditions de l’équilibre des expressions politiques tel que défini par le CSA.
Cette situation est d’autant plus inquiétante qu’une partie des médias audiovisuels et de la presse écrite est la propriété de groupes industriels et financiers proches du pouvoir, certains d’entre eux entretenant des relations économiques importantes avec la puissance publique.
Cette dérive a d’ailleurs conduit le comité Balladur à se pencher sur ce qu’il a qualifié d’« anomalie », ce qui l’a amené, dans sa proposition n° 13, à envisager que « les interventions du Président de la République soient comptabilisées avec celles du Gouvernement ».
Qui plus est, le projet de révision constitutionnelle dont nous débattons renforce de façon significative les pouvoirs de gouvernement du Président de la République. Au cas où cette révision devrait entrer en vigueur, le chef de l’État ne pourrait plus être considéré comme un arbitre se situant au-dessus des intérêts partisans. Vous le savez tous, le Président de la République ne se contente pas, aujourd’hui, de jouer un rôle d’arbitre. Certains membres de la majorité eux-mêmes ne cessent de nous dire que son omniprésence leur laisse peu de place.
C’est pourquoi le projet de loi constitutionnelle doit prévoir d’inscrire dans la Constitution que l’expression du Président de la République, à la télévision et à la radio, sera désormais comptabilisée au titre de l’expression gouvernementale.
Cet amendement tend donc à compléter la Constitution, en y insérant un article nouveau qui précise les modalités d’exercice de l’expression pluraliste des formations politiques sur les chaînes de télévision et les radios, par une référence à la règle des trois tiers ainsi redéfinie : un tiers du temps pour le Président de la République et les membres du Gouvernement, un autre tiers pour les personnalités appartenant à la majorité parlementaire et un dernier tiers pour les personnalités appartenant à l’opposition parlementaire.
Afin de tenir compte de la possibilité d’une cohabitation, nous avons prévu un aménagement à cette règle : en cas de « discordance » des majorités présidentielle et parlementaire, le temps de parole du Président de la République dans les médias audiovisuels serait décompté avec celui des membres de l’opposition, et non avec celui du Gouvernement.
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Il paraît difficile de distinguer parmi les interventions du Président de la République celles qui relèveraient de l’expression de l’élu de la Nation et celles qui pourraient être comptabilisées dans un objectif de répartition entre majorité et opposition.
Un tel dispositif ne relève pas de la Constitution. Même si le comité Balladur l’avait évoquée, il n’a pas précisé qu’une telle mesure devait figurer dans notre loi fondamentale.
Si la question reste posée, la réponse qui lui sera apportée n’a pas lieu de figurer dans ce projet de loi constitutionnelle.
C’est le seul motif pour lequel la commission a émis un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l’avis du Gouvernement ?
Mme Rachida Dati, garde des sceaux. Comme vient de le dire M. le rapporteur, les dispositions que vous proposez, monsieur Assouline, ne relèvent pas du domaine de la Constitution.
Autant le pluralisme des courants d’expression a valeur constitutionnelle, autant la répartition des temps d’intervention dans les médias relève du domaine de la loi ou, dans une certaine mesure, de la loi organique, notamment pour ce qui concerne les campagnes électorales.
C’est également la loi qui définit la mission du CSA, lequel est chargé de veiller au respect de l’expression pluraliste des courants de pensée et d’opinion.
Sur la question du décompte des temps d’intervention du Président de la République, le Gouvernement, vous le savez, ne partage pas votre opinion, monsieur Assouline. En effet, le chef de l’État, compte tenu de ses éminentes responsabilités, est dans une situation tout à fait différente de celle de tous les autres acteurs publics. Quand il rend un hommage national à des anciens combattants, comment s’effectue éventuellement le décompte du temps de parole ?
Telles sont les raisons pour lesquelles le Gouvernement émet un avis défavorable sur cet amendement.
M. Jean-Pierre Bel. Il ne s’agit pas de cela ici !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour explication de vote.
M. Jean-Pierre Bel. Mes chers collègues, il faut en avoir conscience, ce sujet est essentiel, en particulier à nos yeux.
En abordant ensemble la question de la rénovation de nos institutions et de la réforme de la Constitution, nous avions clairement indiqué que nous serions particulièrement attentifs au problème du décompte du temps de parole du Président de la République.
Une considération, au moins, est partagée par tous : nos institutions sont marquées par des évolutions, que l’on peut apprécier ou regretter, notamment la présidentialisation du régime et, phénomène plus récent, l’hypermédiatisation du chef de l’État au travers de prises de parole constantes.
Madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, nous l’avons dit, c’est au terme de notre discussion que nous apprécierons l’équilibre général du texte issu de nos travaux et, à cet égard, cette question pèsera lourd !
Vos réponses nous déconcertent parfois quelque peu. En effet, le comité Balladur avait lui-même qualifié la situation actuelle d’« anomalie » et proposé que les interventions du Président de la République soient comptabilisées avec celles du Gouvernement. Or le comité Balladur avait pour objet, que je sache, une révision de la Constitution ! Cependant, vous nous répondez que cet amendement ne peut être pris en considération à ce stade du débat démocratique. Autrement dit, circulez, il n’y a rien à voir !
Il se trouve que nous avions déposé en janvier dernier une proposition de loi tendant à prendre en compte le temps de parole du Président de la République dans les médias audiovisuels. Il y était précisé que « la prochaine réforme de nos institutions devra asseoir cette nouvelle règle sur un fondement constitutionnel que les sénateurs socialistes proposeront lorsqu’un projet de loi révisant la Constitution sera présenté au Sénat ».
Cette proposition de loi n’a jamais pu être examinée par la Haute Assemblée.
Pour résumer, quand nous déposons des propositions de loi, on nous indique que ce n’est pas opportun et, quand nous abordons le sujet à l’occasion de la discussion d’un projet de loi constitutionnelle important – ce point a été souligné à plusieurs reprises –, nous sommes hors sujet !
Pourtant, notre collègue Robert Badinter a relevé tout à l’heure l’un des dysfonctionnements de notre démocratie, en analysant les conséquences, pour notre démocratie, du fait que certains médias importants sont la propriété de grands groupes industriels. Il est temps de réagir !
De nouveau, madame le garde des sceaux, monsieur le secrétaire d’État, nous vous demandons, comme nous l’avons déjà fait hier, d’apporter des réponses à cette question.
M. Bernard Frimat. Pas de réponse !
M. Jean-Pierre Bel. Considérez-vous qu’une révision constitutionnelle ne constitue pas l’occasion propice de répondre à cette question fondamentale ? Mais alors, à quel moment accepterez-vous de discuter sur le fond de notre proposition, selon moi extrêmement équilibrée ?
Je vous rappelle l’économie de notre système des trois tiers. Nous proposons que le premier tiers concerne le Président de la République et le Gouvernement, le deuxième tiers, la majorité gouvernementale, et, le troisième tiers, l’opposition. Cela ne me semble pas excessif !
À quel moment allez-vous prendre en considération la contribution que l’opposition entend apporter à ce débat sur la modernisation des institutions de la Ve République ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines travées du groupe CRC.)
M. Robert Badinter. Très bonne question !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C’est en effet la pratique politique du chef de l’État actuel qui conduit chacun à se soucier de l’évolution inquiétante de nos institutions, une pratique que le Président de la République veut constitutionnaliser derrière un habillage parlementaire, si j’ai bien compris pourquoi nous sommes réunis ici.
J’ai été choquée d’entendre la ministre de la culture et de la communication qualifier la proposition de nos collègues à cet égard de ridicule. Il est donc ridicule, pour une ministre de la République, que des groupes parlementaires se préoccupent du respect du pluralisme dans les médias et du caractère excessif des interventions du Président de la République !
Évidemment, le chef de l’État est bien au-dessus de telles préoccupations !
De fait, le chef de l'État intervient sur tout, dans le moindre détail, et se mêle très activement de l’exercice de tous les pouvoirs, y compris législatif et judiciaire.
M. Michel Charasse. Il n’y a pas de pouvoir judiciaire !
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Une telle pratique doit nous inciter à réfléchir.
Je regrette vivement que, à l’occasion de la révision de notre loi fondamentale, qui touche tous les citoyens ainsi que leurs représentants, il ne soit pas estimé fondamental de se préoccuper de l’absence inquiétante de pluralisme dans les médias.
Pour toutes ces raisons, je soutiens cet amendement, avec cependant une petite réserve. Sachant que nos institutions nous poussent au bipartisme dont, vous le savez, je ne suis pas une adepte, je préférerais, mes chers collègues, que la disposition proposée se réfère « aux groupes parlementaires d’opposition » et non à « l’opposition parlementaire », et je dépose un sous-amendement en ce sens, monsieur le président.
M. le président. Je suis donc saisi d’un sous-amendement n° 512, présenté par Mme Borvo Cohen–Seat, et ainsi libellé :
Dans l’amendement n° 424 rectifié, remplacer deux fois les mots :
à l’opposition parlementaire
par les mots:
aux groupes parlementaires d’opposition
La parole est à M. David Assouline, pour explication de vote.
M. David Assouline. J’indique d’emblée que ce sous-amendement complète utilement notre amendement et que je le voterai.
J’en viens à mon explication de vote. Tout à l’heure, lorsque j’évoquais le principe du pluralisme et sa nécessaire concrétisation par la limitation des concentrations, il m’a été répondu, par la voix de M. Michel Charasse, qu’il s’agissait d’une généralité et qu’une telle disposition n’allait pas changer grand-chose.
Sur cet amendement, qui vise encore à concrétiser le principe du pluralisme, il m’est objecté que la disposition n’a pas à être inscrite dans la Constitution et qu’elle peut faire l’objet d’une loi.
Mais vous ne pouvez pas échapper à ce que vous avez vous-mêmes validé, pas plus que vous ne pouvez échapper à ce débat.
À partir du moment où le Président de la République se déclare le chef de l’exécutif, à partir du moment où il assume le rôle de véritable chef du Gouvernement et veut s’exprimer devant le Parlement réuni en Congrès à Versailles, alors, sauf à nier les conséquences de cette pratique que chacun peut constater sur la vie politique, notamment sur le Parlement, vous ne pouvez pas nous dire que son temps de parole est celui du chef de la Nation, arbitre neutre au-dessus de la mêlée.
L’exemple que vous donnez, le plus symbolique de la fonction, celui des hommages rendus par le chef de l’État n’est pas un argument de bonne foi à nous opposer aujourd'hui.
Il est clair qu’il faut revoir les textes à cet égard. Le comité Balladur l’a proposé. Certes, monsieur le rapporteur, il n’a pas dit que la disposition devait figurer dans la Constitution.