M. le président. La parole est à M. François Autain.
M. François Autain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, au lieu du mot : « addictions », j’aurais préféré que soit employé le beau terme : « assuétudes », …
M. Nicolas About. Pourquoi pas ?
M. François Autain. ... qui a la même signification mais présente l’avantage d’appartenir depuis longtemps à la langue française. Malheureusement, ce terme, comme beaucoup d’autres, a perdu la bataille, et nous devons donc nous aligner sur le vocabulaire anglo-saxon.
M. Nicolas About. Le terme « addictions » a été mis aux voix et adopté !
M. François Autain. Les addictions, quelles que soient leurs formes, constituent un problème majeur de santé publique auquel sont confrontés tous les pays occidentaux. Nos sociétés modernes sont très « addictogènes », si je puis me permettre ce néologisme.
Mme Roselyne Bachelot-Narquin, ministre de la santé, de la jeunesse, des sports et de la vie associative. Vous aggravez votre cas, monsieur Autain ! (Sourires.)
M. François Autain. Une liste exhaustive des addictions serait d’ailleurs impossible à établir, et ce d’autant plus, comme l’a très bien dit M. Nicolas About, que de nouvelles addictions apparaissent périodiquement sans faire disparaître les anciennes.
Parmi ces addictions, l’une des plus importantes et des plus inquiétantes est la cyberdépendance, qui englobe toutes les addictions comportementales véhiculées par Internet. Je n’insisterai pas, car M. About a bien posé le problème tout à l’heure. Le massacre survenu récemment au Japon, s’ajoutant à ce qui s’est passé aux États-Unis et en Finlande, ainsi que les suicides collectifs de jeunes cybernautes au Pays de Galles, témoignent de la gravité de ce phénomène et de l’urgence de sa prise en compte par les pouvoirs publics.
Je ne suis pas certain que le plan 2007-2011 de prise en charge et de prévention des addictions, présenté en novembre 2006 dans le cadre des états généraux de la prévention par votre prédécesseur, madame la ministre, et qui a pour but de renforcer les consultations spécialisées de soins et d’accompagnement des patients, ait pris la mesure de ce phénomène nouveau. C’est pourquoi je salue l’initiative de M. About, qui nous donne fort opportunément l’occasion de faire le point sur la mise en œuvre de ce plan.
Mais avant d’en arriver là, je souhaiterais faire quelques remarques préalables.
Le traitement des addictions doit avoir pour objectif de sortir de leur dépendance les personnes qui y sont assujetties en leur permettant d’accéder à la pleine maîtrise d’elles-mêmes. À cet égard, la prescription de substituts médicamenteux ne saurait être satisfaisante à long terme puisqu’elle tend à remplacer une addiction par une autre. Même si celle-ci est légale et médicalisée, elle n’en constitue pas moins une addiction guère différente de celle à laquelle on voulait mettre un terme.
L’exemple de la méthadone, dont on mesure aujourd’hui les limites, vient immédiatement à l’esprit. Mais je souhaite insister sur le cas d’un autre médicament, la varénicline, plus connue sous le nom commercial de Champix. Il s’agit d’un dérivé nicotinique utilisé pour favoriser le sevrage tabagique, mis sur le marché sans qu’aient été effectués de tests préalables sur les personnes âgées de moins de dix-huit ans, les femmes enceintes et les patients atteints de maladies cardiovasculaires. Avec le recul, on s’aperçoit que ce médicament n’est pas dénué d’effets indésirables graves, qui s’amplifient en cas d’association avec la nicotine, c’est-à-dire si l’on continue à fumer. De ce fait, il apparaît que le Champix est plus dangereux que la nicotine à laquelle on le substitue. Dans ces conditions, si l’on doit prescrire un médicament pour cesser de fumer, autant préférer la nicotine, mieux évaluée et disponible dans de multiples présentations et dosages. La place des médicaments dans le sevrage tabagique reste d’ailleurs marginale, l’essentiel reposant sur la motivation du fumeur et le soutien psychologique dont il bénéficie. (M. Nicolas About acquiesce.)
J’aurais également pu évoquer le cas du rimonabant, un médicament destiné à lutter contre la boulimie, maladie qui peut-être considérée comme une addiction alimentaire susceptible de provoquer l’obésité.
La dépendance à certains médicaments, comme les somnifères, les antidépresseurs ou les anxiolytiques, est un phénomène très répandu, reconnu par tous les experts. Il touche notamment les personnes âgées, lesquelles sont soumises à des prescriptions massives en raison souvent des polypathologies dont elles souffrent, mais aussi de pratiques abusives des prescripteurs. Sur ce point, toutes les études démontrent que la brièveté de la consultation du médecin généraliste, qui découle souvent de la multiplication des actes à laquelle il peut être conduit pour compenser une rémunération insuffisante, accroît les prescriptions. Autrement dit, la quantité de médicaments prescrits est inversement proportionnelle à la durée de la consultation.
Dans notre pays, les prescriptions représentent aujourd’hui quatre fois le montant des honoraires d’un généraliste, principal prescripteur de psychotropes, on le sait. Une mesure simple à mettre en œuvre pour contribuer – je ne dis bien sûr pas que ce serait suffisant – à la lutte contre les addictions à ces substances médicamenteuses serait de porter la rémunération du généraliste à un niveau comparable à celle d’un spécialiste. Elle serait d’un coût à terme nul pour l’assurance maladie, puisqu’elle aurait pour effet, par l’allongement de la durée de la consultation, de diminuer les prescriptions et d’opérer un simple transfert de charges des prescriptions vers les honoraires.
M. Nicolas About. Chiche !
M. François Autain. Cette mesure, pour être réellement efficace, devrait s’accompagner de campagnes d’information auprès du public et des médecins, comme cela a déjà été le cas à titre expérimental dans le Nord–Pas-de-Calais avec des résultats encourageants.
Venons-en à présent à la mise en œuvre du plan 2007-2011 de prise en charge et de prévention des addictions. Je souhaiterais vous poser un certain nombre de questions à son sujet, madame la ministre.
Dans le cadre de ce plan, la Haute autorité de santé a rédigé plusieurs recommandations à destination des professionnels et des institutions. Ces recommandations, rendues publiques en mai 2007, préconisaient notamment « d’inciter chaque établissement de santé, public ou privé, à s’organiser pour effectuer des sevrages thérapeutiques [...] en particulier dans le cadre d’unités de soins addictologiques ». Cette recommandation a-t-elle été suivie ?
Des équipes de liaison ou de consultations en addictologie ont-elles été mises sur pied dès 2007 dans tous les hôpitaux, comme cela avait été promis ?
À ce propos, j’ai appris que la décision pourrait être prise par les directions des hôpitaux et les agences régionales de l’hospitalisation, les ARH, de diminuer de moitié l’enveloppe de crédits destinée à ces équipes hospitalières de liaison pour l’année 2008. Pouvez-vous me le confirmer ? Cela ne risque-t-il pas de nuire à leur bon fonctionnement ?
Le plan 2007-2011 de prise en charge et de prévention des addictions prévoit la création de cinq pôles d’addictologie en 2007, ainsi que celle de quatre centres de soins d’accompagnement et de prévention. Cela a-t-il été fait ?
En outre, la commission compétente de la Haute autorité de santé a rappelé la nécessité de renforcer les formations initiale et continue des professionnels dans la prise en charge des addictions. Ces formations devraient s’inscrire dans le cadre de l’adaptation du contenu des enseignements universitaires, comme le préconise le plan Addictions 2007-2011. Madame la ministre, comment comptez-vous mettre en œuvre cette mesure ?
Je remarque enfin que la part nouvelle accordée à la prévention dans le plan Addictions 2007-2011 reste faible. Elle consiste, pour l’essentiel, en des actions publicitaires. J’attire votre attention, madame la ministre, sur la nécessité de mettre en œuvre une véritable politique d’éducation pour la santé de terrain.
J’espère également que vous prendrez en considération, dans la réforme des agences régionales de santé que vous comptez mener, la spécificité des centres de soins, d’accompagnement et de prévention en addictologie, les CSAPA. Ceux-ci, pour fonctionner correctement, doivent rester à taille humaine afin de permettre un accompagnement de proximité. Il ne doit pas être question de les faire disparaître dans de grandes structures impersonnelles qui saperaient leur efficacité.
De manière générale, il ne faut négliger ni l’importance ni la spécificité du secteur médico-social en termes de lutte contre les addictions. C’est lui qui est présent sur le terrain. C’est lui qui se tient aux postes de consultation avancés, y compris dans les déserts médicaux.
Avant de conclure, il me semble nécessaire d’évoquer, madame la ministre, un fait d’actualité récent, qui amène à s’interroger sur la cohérence de la politique gouvernementale en matière de protection de la santé de nos concitoyens. Il s’agit de l’autorisation de mise sur le marché accordée à la boisson Red Bull par la ministre de l’économie et des finances.
Pendant treize ans, l’Agence française de sécurité sanitaire des aliments, l’AFSSA, s’était opposée à la distribution en France de cette boisson, composée notamment de caféine à forte dose, de taurine et d’une substance sécrétée naturellement par le foie, la glucuronolactone.
M. François Autain. Je sais, madame la ministre, que vous êtes parfaitement au courant des effets indésirables soulignés par l’AFSSA, effets qui plaident en faveur du maintien de son interdiction : neurotoxicité, effets sur le système cardiovasculaire, troubles neuropsychiques.
Dans un courrier adressé au Premier ministre au mois d’août 2007, courrier qui a été divulgué par la presse, vous évoquiez à juste titre « un faisceau d’indices en faveur de l’existence d’un risque, notamment des suspicions de décès ». Cela reste encore aujourd’hui tout à fait justifié. De surcroît, deux études récentes démontrent que la boisson Red Bull n’est pas sans lien avec la dépendance à l’alcool, et ce en particulier chez les jeunes.
Madame la ministre, vous avez souligné le 22 mai dernier que « l’alcool est la première addiction chez les jeunes », tout en constatant, pour le déplorer, « un changement des conduites d’alcoolisation des jeunes, avec des phénomènes d’alcoolisation massive, brutale ».
Avec l’arrivée sur le marché français du Red Bull, puis certainement bientôt de ses concurrents, nous sommes au cœur de ce problème. La première étude que j’évoquais à l’instant démontre que, dans les pays où le Red Bull ou d’autres boissons du même type sont commercialisés, leur « consommation associée à l’alcool est importante », ce type de boisson ayant pour effet de « diminuer la perception, mais pas la réalité de l’intoxication alcoolique ».
La seconde étude, menée en Caroline du Nord et publiée le mois dernier, prouve que les jeunes consommateurs de produits énergisants type Red Bull présentent au moins deux fois plus de risques de développer une dépendance à l’alcool nécessitant le recours à des cures de désintoxication que ceux qui en sont préservés.
J’ai appris par la presse que la commercialisation du Red Bull pourrait être assortie d’un suivi réalisé par l’Institut de veille sanitaire, l’INVS. Je ne vois pas en quoi cette décision permet la protection des adolescents et des jeunes adultes des risques qu’ils encourent. En négligeant le principe de précaution pourtant inscrit dans la Constitution, le Gouvernement prend là, madame la ministre, une très lourde responsabilité.
Cet exemple tendrait à prouver que le Gouvernement est prêt à sacrifier la lutte contre certaines addictions, en l’occurrence l’alcool, lorsque certains intérêts économiques sont en jeu. Ce n’est peut-être pas nouveau, me répondrez-vous, mais il y avait là l’occasion de conduire une politique de rupture avec le passé que vous ne semblez malheureusement pas vouloir saisir. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. – M. André Boyer applaudit également.)
M. le président. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme vous le savez, la lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme me tient particulièrement à cœur.
Si, en la matière, la Réunion connaît les mêmes problèmes que la France métropolitaine, chez nous, la situation est quelque peu paradoxale, notamment pour l’alcoolisme, qui reste une cause de décès préoccupante : à la Réunion, il provoque 2,4 % des décès, soit quatre fois plus qu’en métropole. Encore la situation s’est-elle améliorée puisque, voilà dix ans, le chiffre était six à sept fois plus élevé. Le syndrome d’alcoolisation fœtale touche, en moyenne, deux enfants pour mille en métropole, contre cinq à six pour mille à la Réunion ; encore faut-il préciser que d’autres départements métropolitains se situent au-delà.
C’est pourquoi il était important d’améliorer l’information en direction des femmes enceintes en apposant sur les bouteilles un pictogramme ou un message d’information. C’est pour moi une grande victoire d’y être parvenue. Mais c’est insuffisant, car les dimensions du message sanitaire rendent parfois ce dernier illisible. J’aimerais, madame la ministre, qu’on améliore l’efficacité de cette mesure en imposant des normes strictes quant aux dimensions du message et à sa place sur l’étiquette principale de la bouteille.
L’addiction est maintenant considérée comme un phénomène majeur de santé publique. Mais, parce que ce dernier est protéiforme, on commence seulement à l’appréhender dans sa globalité. On ne le comprend pas encore très bien, on a du mal à l’embrasser dans toutes ses dimensions et implications.
C’est pourquoi il me semblait très important que la commission des affaires sociales procède à des auditions de spécialistes sur ce sujet.
Je saisis l’occasion pour remercier le président Nicolas About d’avoir organisé ces rencontres, qui nous permettent aujourd’hui d’y voir beaucoup plus clair, et donc de mieux légiférer. Le fait que nos travaux aient conduit à l’inscription de cette question â l’ordre du jour de la Haute Assemblée est une reconnaissance de l’importance du phénomène addictif et de la nécessité d’y apporter de façon urgente des réponses concrètes en termes de politiques de santé.
Dans le même temps, ces auditions ont clairement mis en lumière le fait que la notion d’addiction est ambivalente. Parler d’addiction, c’est isoler un phénomène psychologique et comportemental consistant, selon la définition donnée par le professeur Marc Valleur que nous avons auditionné, à faire d’une substance ou d’une activité « le problème existentiel majeur du malade qui est dans l’impossibilité de s’abstenir, de réduire sa consommation et de se livrer à toute autre activité ».
C’est un changement de perspective réel, une autre manière de voir les choses, une modification d’angle. En effet, cette approche permet de briser des grilles d’analyse qui, au fil du temps, sont devenues obsolètes compte tenu de l’évolution de la société.
La notion d’addiction permet de dépasser le traitement de la question en fonction de la dangerosité des diverses substances à l’origine de l’addiction, ou bien du caractère légal ou non de ce produit.
Plus généralement encore, la substance – drogue, tabac, alcool ou autre – ne caractérise plus les comportements observés. La notion transversale d’addiction permet d’établir des passerelles, jusqu’ici impensables, entre alcoolisme, tabagisme et, par exemple, dépendance aux jeux vidéo.
Cette dernière dépendance, ainsi que l’impact de la violence télévisuelle sur les nouvelles générations, est particulièrement problématique. Cette question est très bien traitée par Christine Kerdellant et Gabriel Grésillon dans leur livre Les enfants-puce.
Face au phénomène de la violence des jeux vidéo et de la télévision, je m’interroge, madame la ministre : le Gouvernement a-t-il établi un plan spécifique ?
Je disais que la notion d’addiction était utile. Mais elle a aussi ses limites. Elle doit être d’emploi prudent. Par sa généralité même, elle empêche de réfléchir à la situation dans laquelle se trouvent de nombreuses personnes qui, sans être dépendantes, rencontrent des problèmes pour maîtriser certains produits. De nombreux comportements à risque ne sont pas des addictions.
De plus, les personnes que nous avons vues ont souligné le fait que le problème fondamental demeure l’alcool, dont l’aspect spécifique peut être masqué par le terme « addiction ». Nous devons prendre garde à ce que la généralisation de ce terme n’entraîne pas une banalisation néfaste qui s’appliquerait à une multiplicité de situations à la gravité très variable. C’est ce à quoi ne doit pas contribuer le présent débat. Voilà pourquoi je concentrerai mon propos sur les problèmes spécifiques de l’alcoolisme et du tabagisme.
En matière d’alcoolisme, la situation de la France s’est améliorée, sans pour autant être brillante : si la consommation d’alcool a certes diminué de plus de 40 % en un demi-siècle, la surmortalité qui y est liée est supérieure de 30 % à la moyenne européenne. C’est le produit addictif dont le coût social est le plus élevé dans notre pays.
Face à cela, il y a beaucoup à faire. L’information des femmes enceintes via une signalétique spécifique sur les bouteilles était fondamentale, mais de nombreuses mesures pourraient encore être prises. Madame la ministre, quel est, globalement, le plan du Gouvernement contre l’alcoolisme ?
Tous nos interlocuteurs ont insisté sur l’importance de la prévention et sur le caractère largement perfectible de cette dernière, dans notre pays. Les enquêtes actuelles révèlent qu’un pourcentage important des consommateurs d’alcool n’a pas une bonne connaissance des conséquences sanitaires et sociales induites par un excès de boisson. Pourquoi ne pas imaginer, comme certaines des personnalités auditionnées l’ont proposé, de mettre en place très tôt – dès le secondaire – une sorte d’éducation civique à la prévention dont les connaissances pourraient être sanctionnées ? Les pays scandinaves le font avec succès.
Dans le même temps, il est nécessaire de réduire l’accessibilité aux boissons alcooliques, notamment pour les jeunes. Je crois savoir, madame la ministre, que vous avez l’intention d’interdire à tous les mineurs la vente d’alcool dans tous les commerces alimentaires. (Mme la ministre acquiesce.) Je ne peux que m’en réjouir. D’autres mesures, telles que l’interdiction de vente de boissons alcoolisées dans les stations-service ou l’interdiction du sponsoring des soirées destinées aux étudiants seraient, à mes yeux, très salutaires. (M. Nicolas About approuve.)
J’aimerais aussi, madame la ministre, que soit apportée une modification au code du travail de telle sorte que toutes les boissons alcoolisées autres que le vin, la bière, le cidre, le poiré, l’hydromel non additionné d’alcool, soient interdites dans les cantines d’entreprise.
Il y a quelques années, quand on faisait une différence entre les alcools forts et ceux dits « légers », cela pouvait se comprendre. Aujourd’hui, les campagnes de prévention ont appris à tous les Français, ce qui, d’ailleurs, ne leur a pas toujours plu, qu’il y avait la même quantité d’alcool pur dans un verre de whisky, de bière, de rhum ou de vin. Il convient donc de rectifier cet article du code du travail, surtout quand on sait que, dans les entreprises, l’alcool a une grande part dans les situations conflictuelles et surtout dans certains accidents du travail – 15 % à 25 % d’entre eux –, souvent inexpliqués.
À cet égard, un célèbre professeur de médecine disait : « Quand vous ne connaissez pas les causes, cherchez l’alcool ! »
De la même façon, la prise en charge des addictions, singulièrement de l’alcoolisme, est obsolète. C’est ce que révèle le rapport du professeur Nordmann que nous avons reçu et selon lequel la région parisienne compterait près de 2 millions d’alcoolo-dépendants, alors qu’il y a une insuffisance de lits de sevrage caractérisée.
Mais encore, on ne peut mener de politique globale de lutte contre l’alcoolisme si l’on ignore la nature et l’ampleur précises du phénomène. C’est pourtant aujourd’hui le cas : il est très difficile de répondre à la question de savoir combien de personnes sont touchées en France.
L’une des personnes que nous avons auditionnées a fait cette réflexion frappante : « Notre pays a beaucoup investi pour le risque virtuel qu’était la grippe aviaire, mais n’a pas fait d’étude générale sur l’addiction en général, et l’alcoolisme en particulier. » Pourtant, même si elles sont coûteuses, de telles études sont nécessaires à long terme afin d’adapter les politiques publiques.
Enfin, les politiques actuellement menées sont insuffisamment évaluées.
En matière de tabagisme, la situation n’est pas plus satisfaisante.
Responsable de 60 000 décès par an, le tabagisme actif représente la première cause de mortalité évitable.
M. Nicolas About. Eh oui !
Mme Anne-Marie Payet. Le tabac est ainsi responsable d’un décès par cancer sur trois, et l’on estime à 5 000 environ le nombre de décès annuels en France liés au tabagisme passif. Or, ici encore, les jeunes sont très exposés, tant il est vrai que la précocité de la consommation est le facteur de risque majeur de dépendance envers le tabac.
M. Nicolas About. C’est vrai !
Mme Anne-Marie Payet. À la Réunion, le tabac représente la première cause de mortalité par cancer. Ce phénomène est fortement aggravé par la spécificité de la législation s’appliquant à la vente des produits du tabac par rapport à celle qui est en vigueur en métropole.
En effet, la vente des produits du tabac y est libre : il n’existe pas de monopole d’État. Il faut que cela change !
J’ai fait à plusieurs reprises une proposition relative à l’extension du monopole de la vente du tabac à la Réunion. Cette proposition a été adoptée lors de l’examen du budget de l’outre-mer ; hélas, la commission mixte paritaire l’a rejetée.
Avez-vous l’intention, madame la ministre, d’étendre désormais le monopole de la vente du tabac à l’outre-mer ?
Je sais qu’une mission envoyée par Bercy est venue récemment à la Réunion pour étudier la faisabilité de l’extension de ce monopole. Pouvez-vous nous apporter des précisions quant au contenu du rapport qui a été rédigé à cette occasion ?
Il est une autre proposition qui me tient à cœur. Je souhaiterais que le tabac soit interdit de vente dans les duty free. En effet, sur tous les vols à destination ou en provenance de l’outre-mer, les passagers peuvent se procurer du tabac à des prix défiant toute concurrence dans les boutiques hors taxes des aéroports, ce qui n’est pas possible entre les villes métropolitaines ou européennes.
Or l’article 38 de la loi relative à la politique de santé publique dispose que la vente d’un produit du tabac à un prix de nature promotionnelle est interdite. Il s’agit, madame la ministre, non pas de remettre en cause le système de duty free dans sa globalité, mais simplement de faire respecter la loi.
Dans ce domaine, s’agissant de la préservation de la santé, il me paraît souhaitable que l’outre-mer cesse de bénéficier d’un régime d’exception. Nous ne devons pas oublier que la lutte contre le tabagisme figure parmi les priorités du Gouvernement dans le cadre de sa politique de santé publique. Or le fait de pouvoir acheter du tabac à bas prix constitue une incitation à fumer davantage.
M. Nicolas About. Bien sûr !
Mme Anne-Marie Payet. Je remercie encore Nicolas About d’avoir organisé les auditions qui nous ont permis de mieux comprendre le phénomène de l’addiction et sans lesquelles ce débat très important n’aurait jamais pu avoir lieu, débat grâce auquel nous pouvons réaffirmer avec force la nécessité de muscler nos politiques de lutte contre le tabagisme et l’alcoolisme non seulement en métropole, mais aussi en outre-mer, où les pratiques de vente, notamment en ce qui concerne le tabac, sont obsolètes et dénuées de toute logique. (Applaudissements sur les travées de l’UC-UDF, ainsi que sur les travées de l’UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Patricia Schillinger.
Mme Patricia Schillinger. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je commencerai par remercier notre collègue Nicolas About d’avoir posé cette question orale avec débat sur un sujet si important.
En France, comme dans beaucoup d’autres pays européens, les addictions restent un problème de santé publique majeur, dont les impacts sont multiples, du point de vue tant sanitaire que médical et social. Ce sujet mérite donc que l’on s’y attarde.
En France, environ 100 000 décès par an seraient provoqués par des accidents ou des maladies liés aux addictions de toutes sortes : alcool, drogue, nourriture, jeux, etc.
Aujourd’hui, nous observons une augmentation de la consommation d’alcool, de médicaments ou de drogues. L’on constate également, chez les usagers de ces produits, une multiplication des polyconsommations, c’est-à-dire une association régulière de plusieurs produits licites ou illicites consommés simultanément ou successivement. C’est ainsi qu’en France il existe environ 5 millions de personnes en difficulté avec l’alcool, 150 000 héroïnomanes actifs ou substitués, ainsi qu’un nombre croissant de cocaïnomanes ; l’expérimentation de l’ecstasy a, elle, progressé de 2,8 % à 4 % et celle de la cocaïne de 2,2 % à 3,2 % entre 2000 et 2005 ; quant à la consommation de cannabis, elle s’est banalisée.
Je souhaiterais aborder, en premier lieu, le problème des jeunes avec l’alcool.
À dix-sept ans, si la consommation d’alcool demeure stable, les ivresses sont, elles, en hausse importante. C’est ainsi que 9 % à 10 % des jeunes Français âgés de dix-huit à vint-cinq ans présentent les signes d’un usage problématique de l’alcool. Les ivresses alcooliques ont augmenté entre 2003 et 2005 chez les adolescents de dix-sept ans.
Aujourd’hui, la façon de boire des adolescents a changé et se rapprocherait de celle de leurs homologues du nord de l’Europe. Une récente enquête indique que les jeunes commencent à consommer de l’alcool de plus en plus tôt et en excès. Parmi les boissons les plus fréquemment consommées chez ces jeunes, on retrouve les fameux « premix », ces mélanges d’alcools forts et de sodas contenant assez de sucre pour masquer le goût de l’alcool. Ces boissons entraînent des addictions préoccupantes, en ce sens qu’elles sont, de manière insidieuse, un facteur d’accoutumance des plus jeunes à l’alcool.
Récemment, on a observé dans notre pays un nouveau phénomène appelé « binge drinking », ce qui en français est traduit par l’expression « biture express ». II s’agit là d’un mode de consommation qui consiste à être ivre le plus vite possible. En Grande-Bretagne, où cette pratique est régulière, la question est considérée comme un véritable problème de santé publique.
Cette « cuite minute » constitue un réel fléau de société qui sévit chez les jeunes. En effet, l’excès d’alcool chez les jeunes est responsable d’actes de violence, d’accidents de la route, de conséquences sociales telles que l’absentéisme, la démotivation, les tentatives de suicides, des rapports sexuels non protégés. Il est donc important d’aider le plus tôt possible les adolescents en danger.
En Alsace, par exemple, nous sommes régulièrement confrontés à l’alcoolisme des jeunes, dont l’ampleur se révèle considérable. En effet, compte tenu des tarifs attractifs des alcools forts disponibles en Allemagne, où les boissons non alcoolisées sont quasiment au même prix que les autres, certains jeunes ont pris l’habitude de s’y rendre en soirée pour consommer de l’alcool vendu à une somme forfaitaire de dix euros.
La situation devient quasiment intolérable, non seulement parce que les jeunes boivent à volonté, mais aussi parce que ces breuvages sont conditionnés dans des seaux et présentés avec des pailles pour être absorbés plus vite !
Cela explique que, sur les routes haut-rhinoises, nombre d’excès de vitesse ou de fautes d’inattention occasionnent de graves accidents de la route impliquant des jeunes retrouvés ivres au volant après avoir pris des risques inconsidérés. L’ivresse atteint ainsi des degrés impressionnants et, même après un sommeil de quelques heures, l’alcool reste présent dans le sang. Dès lors, le jeune qui reprend le volant est convaincu d’être à jeun, alors qu’il représente un danger.
Madame la ministre, en matière de lutte contre les addictions, ne conviendrait-il pas de mettre en place une législation européenne ? Malgré ces chiffres importants, on constate toujours, aujourd’hui, des lacunes en matière de prévention et de suivi des jeunes toxicomanes. En effet, la prise en charge est insuffisante dans notre pays : l’escalade de la maladie n’est pas prise en compte immédiatement par les soignants et il n’existe ni suivi ni traitement psychologiques appropriés dès les premiers stades.
Les moyens dont dispose la France dans le combat contre l’alcool restent limités, avec seulement 230 centres de cure ambulatoire ; quant aux médecins généralistes, ils ne sont pas suffisamment formés pour repérer l’alcoolisme chez tel ou tel individu.
Je souhaiterais également attirer votre attention, madame la ministre, sur la prise en charge curative et psychologique de l’alcoolisme chez la femme enceinte.
Selon une étude, seules 22 % des personnes interrogées savent qu’il ne faut pas boire du tout pendant la grossesse, et 60 % d’entre elles pensent qu’une consommation occasionnelle ne présente pas de risque. Pourtant, il est avéré que la consommation de boissons alcoolisées pendant la grossesse, même en faible quantité, peut avoir des conséquences graves sur la santé de l’enfant. Ainsi, aujourd’hui, la méconnaissance des femmes quant aux risques de l’alcool pour le bébé est encore très forte.
La recommandation actuelle est de ne consommer aucun verre d’alcool pendant la grossesse. Or, si cette exigence d’abstinence est bien connue, elle n’est pas perçue comme étant absolue. Le message sur la tolérance zéro ne passe pas encore. Il faut donc renforcer les dispositifs existants et faire plus de prévention.
Autre phénomène inquiétant : depuis quelques années, nous observons une autre source d’addiction, au même titre que la drogue ou l’alcool, je veux parler des jeux vidéo. On parle d’addiction aux jeux vidéo quand on assiste à un appauvrissement de la vie affective, relationnelle et intellectuelle. Parfois, certains utilisateurs de ces jeux perdent toute perception de la réalité et peuvent développer des problèmes psychologiques lourds. Certains comportements agressifs peuvent également être provoqués par des jeux extrêmement violents. Selon le degré d’isolement, on peut aussi observer des troubles physiques : par exemple, chez certains, on constate un état d’amaigrissement dû au fait qu’ils ne prennent plus le temps de manger.
On considère que, dans la population touchée, il existerait 5 % à 10 % de véritables « accros ». Malheureusement, nous ne disposons pas, aujourd’hui, de véritable étude sur la question.
Madame la ministre, face aux risques de dépendance et d’utilisation excessive, quelles mesures le Gouvernement entend-il prendre ?
Compte tenu du développement des nouvelles technologies, des réseaux de communication numérisés ou encore des moyens de la téléphonie mobile, les sollicitations sont nombreuses pour jouer en ligne. Or, dans de très nombreux cas, cette dépendance provoque des drames tant financiers que familiaux et peut être considérée comme une réelle pathologie.
Madame la ministre, quelles sont les règles relatives à la protection des joueurs ?
Dans la révolution numérique que nous connaissons, il convient de rester vigilant quant au développement de ces jeux de hasard et, plus précisément, des jeux en ligne.
Je rappellerai aussi que la France est l’un des pays industrialisés les plus touchés par le suicide. Depuis 2000, la mortalité par suicide ne diminue pas et il semble qu’il y ait un lien étroit entre addiction et suicide. Les produits psychoactifs, notamment l’alcool, ont un effet direct sur l’acte suicidaire ; ils provoquent, dans un premier temps, une levée du contrôle de soi, puis, dans un second temps, une désinhibition favorisant le passage à l’acte. Mais, à ce jour, nous ne disposons pas, en France, d’études de grande ampleur sur le lien existant entre addiction et suicide.
Pouvez-vous nous dire, madame la ministre, si le Gouvernement envisage de mener une telle étude ?
Pour conclure sur la lutte contre les dépendances, je dirai que les comportements addictifs – aux drogues, au tabac et à l’alcool, mais aussi au jeu et aux médicaments – doivent être traités comme des maladies, d’où la nécessité de promouvoir une politique au service de la santé.
En matière d’addictions, il nous faut construire une politique publique citoyenne et surtout efficace, et l’arme la plus utile en la matière reste la prévention : il est important de mettre en place de nombreuses actions pour prévenir, former et accompagner, afin de lutter contre l’alcool et les produits à risque. J’ajoute que réprimer n’est ni prévenir ni soigner.
Madame la ministre, je souhaite aussi attirer votre attention sur les nouveaux phénomènes festifs qui se développent aux États-Unis, où certains jeunes absorbent des cocktails de médicaments trouvés dans les pharmacies et finissent dans les services d’urgence des hôpitaux. Que fera la France quand elle sera touchée à son tour ?
Aujourd’hui, l’efficacité des politiques de prévention utilisant des actions d’information, d’éducation et de formation reste faible. Il faut déployer encore plus de moyens pour informer, éduquer et former. Il faut accélérer et améliorer la recherche afin de développer des interventions en matière de prévention et de soins. II faut trouver de nouveaux moyens et renforcer les dispositifs pour encadrer les jeunes en détresse et leurs familles, car, bien souvent, les parents sont désemparés. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste, ainsi que sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)