Mme Paulette Brisepierre. C’est dommage !
M. Bernard Kouchner, ministre. …qui a eu en Afrique une importance au moins comparable à la nôtre.
Voilà ce que nous allons faire et je crois qu’il était important de le souligner.
S’agissant de l’entente franco-allemande, qui a été malmenée par tout le monde, monsieur Hue, le dernier document franco-allemand établi entre Mme Merkel et M. Sarkozy qui concerne le point de discussion le plus difficile, c’est-à-dire l’Union pour la Méditerranée, résume vraiment le nouvel élan.
Quels pays a-t-on vu se mettre en avant, lors du sommet de Bucarest, pour refuser le MAP à la Géorgie et l’Ukraine, c'est-à-dire le plan d’action en vue de l’adhésion à l’OTAN ? D’abord, la France et l’Allemagne, l’Allemagne et la France ! C’est aussi une marque de la politique européenne et de l’importance de l’Europe. Il faudra bien que l’Europe ait une politique étrangère et une défense plus forte, vous l’avez vous-même dit, monsieur Hue.
Outre l’Allemagne et la France, la Belgique, les Pays-Bas, l’Italie et le Luxembourg, c'est-à-dire les six pays fondateurs, ont refusé le MAP, parce que nous constatons, étant les voisins de cette Russie nouvelle, qu’il faut avoir avec elle un dialogue et surtout adopter un nouveau ton.
M. Jean-Guy Branger. Tout à fait !
M. Aymeri de Montesquiou. Très bien !
M. Bernard Kouchner, ministre. J’ai bien noté vos propos, monsieur Hue. Il y a encore vingt ans - le mur de Berlin est tombé voilà dix-neuf ans -, la Russie était le cœur du communisme. Elle a changé de façon exceptionnelle, nous avons tous changé, reconnaissons-le.
M. Jean-Guy Branger. Je l’ai dit !
M. Bernard Kouchner, ministre. À Bucarest, en tout cas, nous l’avons très largement souligné.
L’alignement sur les États-Unis, c’est un fantasme. Je peux le prouver en dressant la liste de tous les points sur lesquels nous divergeons avec ce pays. Je ne suis pas pro-américain par système, au contraire.
Sur le Kosovo, nous n’étions pas en accord. Sur le changement de climat, nous divergeons. Sur l’Afghanistan, nous n’avons pas la même politique. (M. Jean-Louis Carrère est dubitatif.) Non, vous allez voir, on va changer. Si on ne change pas, nous aurons perdu. Or il ne faut pas que nous perdions.
Sur le Liban, nous avons mené une politique entièrement différente. Cela n’a pas marché pour le moment. Malheureusement, rien n’a fonctionné jusqu’à présent et il faudra bien que cela marche mais, franchement, nous n’en sommes pas responsables.
C’est toujours pareil : en politique extérieure comme en politique intérieure, si vous restez dans votre coin, personne ne vous accuse, mais si vous prenez des risques… Or le Moyen-Orient, plus particulièrement le Liban, est l’un des sujets les plus difficiles qui soient. Nous avons essayé et, en effet, nous étions à un cheveu de la réussite. Mais à un cheveu de la réussite, c’est l’échec.
Sur les trois points que l’initiative française avait amenés, qui étaient partagés par les chiites et les sunnites, par M. Hariri et par M. Berri, nous avons cru, durant une journée, que nous avions réussi. Ensuite, d’autres éléments, extérieurs pour la plupart, s’en sont mêlés. La Ligue arabe revient sur ces trois points après une série d’échecs.
On verra bien. Aujourd’hui, nous appuyons l’initiative de la Ligue arabe. Apparemment, une sorte de cessez-le-feu serait prévu, les barrages autour de l’aéroport seraient levés et une table ronde serait organisée au Qatar.
Celle que nous avions tenue en France, à la Celle-Saint-Cloud, avec le Hezbollah - Dieu sait si on me l’a reproché, à ce moment-là ! – avait été une réussite. Tout le monde se parlait, rappelait l’histoire, voulait travailler ensemble, puis, cela s’est dilué. Peut-être avions-nous mis trop d’espoir dans ces conférences.
J’ai évoqué la conférence de Paris pour la Palestine. Je me rendrai à Bethléem dans quelques jours pour une conférence importante des secteurs industriels privés palestinien et israélien. On verra si cela facilite la mise en œuvre de projets. Nous sommes présents en permanence dans la région. Il ne se passe pas de semaine sans qu’un membre du Gouvernement se rende en Israël et en Palestine. En ce moment, le président Bush est sur place ; j’espère qu’il réussira mais j’en doute, car les choses semblent bloquées.
En nous attelant à un certain nombre de projets, nous voulions que la vie quotidienne des Palestiniens change, qu’ils adoptent des projets qui étaient proposés et financés par la conférence de Paris.
De ce point de vue, nous sommes déçus, car les blocages israéliens demeurent, dans une trop large mesure. Même s’il a été décidé, à plusieurs reprises, de mettre un terme aux colonies de peuplement, et même si les Palestiniens sont convaincus aujourd'hui qu’il n’y en aura plus de nouvelle, celles qui existent continuent de se développer, ce qui n’est pas acceptable. Nous le disons très clairement, comme le Président Nicolas Sarkozy l’a affirmé à plusieurs reprises, et je suis sûr qu’il le dira encore lors de sa prochaine visite en Israël et en Cisjordanie prévue à la fin du mois de juin.
MM. Hue, de Montesquiou et Pozzo di Borgo ont évoqué la présence de l’Union européenne dans cette région.
L’Union européenne est présente dans le Quartet, particulièrement à travers son envoyé spécial, M. Tony Blair, que l’on entend beaucoup. Malheureusement, lui-même n’a fait lever que quatre barrages sur cinq cent quarante. Ce n’est pas assez.
La France a poussé pour que la station d’épuration de Beit Lahia dans la bande de Gaza, qui fut notre premier projet, reçoive 50 à 60 tonnes de ciment par jour. Le projet se poursuit. C’est un premier succès, certes insuffisant.
De nombreux orateurs ont évoqué, à juste titre, l’aide au développement.
D’abord, nous voulons, en ce domaine, changer de méthode, mais nous devons aussi multiplier les financements. Il faut notamment trouver des financements innovants. L’aide au développement, qui est la portion congrue, ne peut se satisfaire des sommes qui sont actuellement mises à sa disposition. J’espère donc que, les comptes de la nation se redressant, un effort supplémentaire pourra, dès l’année prochaine, être consenti.
Cela étant, nous ne respectons pas, tant s’en faut – nous ne sommes pas les seuls, mais ce n’est pas une raison -, les objectifs du Millénaire et nous ne sommes pas à 0,7 %. Nous sommes très loin du compte, aux alentours de 0,4 %. C’est déjà cela, mais je ne peux, bien entendu, m’en satisfaire. D’ailleurs, personne ne s’en satisfait, surtout pas les volontaires du développement, qui accomplissent un travail considérable.
La semaine dernière, s’est tenue une conférence sur l’assurance maladie dans les pays en développement, à travers des microcrédits privés et publics, et avec un financement public au départ. Nous travaillons sur ce sujet, qui est porteur de beaucoup d’espoirs. C’est une façon, me semble-t-il, efficace, de participer à l’aide au développement dans le secteur de la santé, de la part d’un pays qui a multiplié les initiatives dans le domaine de la santé.
Plusieurs orateurs ont critiqué un certain nombre des dépenses faites dans le cadre multilatéral plutôt que dans le cadre bilatéral.
La contribution de la France au Fonds mondial de lutte contre le sida, la tuberculose et la malaria s’élève à 300 millions d’euros. Retirer de l’argent à ce fonds, c’est priver les malades de traitement ! On ne peut pas faire cela. Il faut bien sûr trouver de l’argent pour le développement, mais nous ne pouvons pas renoncer à notre aide dans d’autres domaines.
Nous soutenons l’Alliance mondiale pour les vaccins et la vaccination, GAVI - General agreement on vaccination and immunization -, et, là aussi, nous investissons beaucoup d’argent, qui n’est pas visible. Je souhaiterais que l’argent de la France soit plus visible, mais ce n’est pas toujours possible quand on a investi dans ce domaine.
S’agissant de la Tunisie, je regrette de ne pouvoir davantage nuancer mes propos. Des progrès considérables ont été accomplis, notamment en ce qui concerne le droit des femmes, le respect des minorités religieuses et sur le plan économique et social, en matière d’emploi, de croissance et de logement, mais ce n’est pas suffisant. De nombreuses atteintes à la liberté de la presse ont été observées ; le nombre de prisonniers politiques - dont on nous dit qu’ils sont islamistes mais le sont-ils tous ? – suscite également de sévères critiques. Il faut en tout cas nuancer tout cela.
L’Union pour la Méditerranée progresse. Le rendez-vous du 13 juillet à Paris réunira tous les pays de la Méditerranée, de la rive sud, de la rive nord, et les pays de l’Union européenne. C’est la troisième visite que nous effectuons en Algérie, et j’ai été très heureusement surpris par l’accueil du président Bouteflika.
Je partage avec M. de Montesquiou l’opinion que les relations avec les organisations régionales, en particulier en Afghanistan, devraient être développées.
M’étant rendu en Afghanistan pendant dix ans en tant que médecin, je pense bien connaître ce pays. Certes, il faut aussi agir à la périphérie de l’Afghanistan ; certains sont opposés à l’aide mais d’autres veulent bien y participer, il faut donc travailler autour de cela.
Monsieur Carrère, je partage votre sentiment sur la nécessité de trouver une autre stratégie. D’ailleurs, c’est le sens du concept d’ « afghanisation ».
Le Président de la République a accepté - nous étions en effet le pays charnière - d’envoyer un bataillon supplémentaire, les 700 hommes de troupe dont vous avez parlé. Les Américains eux vont venir renforcer les Canadiens autour de la gigantesque base de Kandahar. Il l’a fait – et je crois qu’il a eu raison – à condition que la méthode change, que nous soyons plus proches des populations, que l’afghanisation corresponde aux projets des Afghans. Cela n’est pas facile, nous pouvons échouer, mais au moins faut-il le tenter.
Se contenter de survoler avec nos avions des populations qui sont parmi les plus pauvres du monde, cela risque très rapidement de nous faire passer pour des troupes d’occupation ; ensuite, ces populations nous préféreront les agents locaux que sont les talibans. Les paysans qui, le jour, travaillent très péniblement une terre aride se feront talibans la nuit.
Donc, dans chaque projet de la communauté internationale, il faut absolument renforcer la coordination entre les agents, les bataillons, les nations. Nous travaillons avec M. Kai Eide, le nouveau représentant du secrétaire général des Nations unies, à l’organisation de la conférence du 12 juin 2008. C’est Paris qui accueille ce forum de réflexion sur l’Afghanistan. Cette conférence de donateurs, sur le modèle de la Palestine, sera précédée quinze jours auparavant d’une conférence sur la société civile, où des programmes proposés par les ONG et les agences des Nations unies seront confrontés les uns aux autres.
Dans la première matinée de cette conférence du 12 juin, à laquelle le secrétaire général des Nations unies et un certain nombre de chefs d’État ou, à défaut, de ministres des affaires étrangères devraient être présents, il sera procédé à l’examen des progrès réalisés.
Sur ce dernier point, permettez-moi de vous dire que vous avez été assez injustes : six millions d’enfants afghans sont scolarisés, dont deux millions de femmes – je sais que l’on répète toujours les mêmes chiffres, mais c’est important pour ces enfants…
M. Jean-Louis Carrère. Franchement, ne citez plus ces chiffres !
M. Jean-Louis Carrère. Mais ils sont faux !
M. Bernard Kouchner, ministre. Écoutez, je connais ce pays par cœur ! Les villages où j’ai travaillé pendant des années ont maintenant une école ! Elles n’existaient pas auparavant, c’est donc que la situation s’est améliorée !
M. Jean-Louis Carrère. Il n’y a pas de professeurs formés ! On se contente de garder les enfants !
M. Bernard Kouchner, ministre. Eh bien, formons les maîtres, c’est cela l’« afghanisation » !
Il y a en Afghanistan des écoles, des routes, un système médical qui n’existaient pas…
M. Jean-Louis Carrère. Il y a des routes ?
M. Jean-Louis Carrère. Il y en a peut-être une, et encore !
M. Bernard Kouchner, ministre. Il n’y en a pas assez, monsieur Carrère, j’en conviens, mais il y a des routes, et davantage qu’avant.
Et surtout, des femmes sont élues. Le vote des femmes a été introduit en 2004, donc très récemment, et c’est un résultat de l’influence internationale.
M. Jean-Louis Carrère. C’est une bonne chose !
M. Bernard Kouchner, ministre. Nous ne pouvons pas sans cesse dénigrer ce que nous faisons, sous prétexte que c’est nous qui le faisons. Nous sommes peut-être capables, de temps en temps, de bien faire les choses.
C’est étrange, je suis d’accord avec vous mais, dès que je le dis, c’est vous qui n’êtes plus d’accord !
Je suis d’accord avec vous sur l’idée qu’il faut se rapprocher, que chaque projet doit être pris en charge par les Afghans, mais ne dites pas que la partie est perdue d’avance, sinon le terrorisme et l’extrémisme religieux auront gagné ! Or, je ne le crois pas. Je pense au contraire que nous pouvons gagner, pas en occidentalisant les Afghans – nous n’allons pas leur exporter notre démocratie, puisqu’ils n’en veulent pas – mais en essayant de leur donner des responsabilités.
Ce que vous avez dit de l’armée afghane n’est pas juste. La police est très corrompue, c’est vrai, et il faut qu’elle change. Mais l’armée, qui compte 75 000 hommes, commence à n’être pas trop mal. Elle prendra le commandement de la région de Kaboul, la région centre, progressivement. Nous verrons bien ce qui en résultera. Cette manière de passer la main va, à mon avis, dans le bons sens.
Monsieur de Montesquiou, il faut en effet mutualiser les moyens des consulats, ceux des consulats européens et de consulats situés dans d’autres continents. Une expérience a été réalisée en Amérique centrale et s’est soldée par un échec : il s’agissait de petits postes qui n’avaient pas grand-chose à mutualiser. Nous devons cependant y être très attentifs car vous avez raison sur le fond : un effort de concentration reste à faire.
Concernant le retard pris dans la transposition des directives européennes, je vous signale que le classement de la France s’est amélioré…
M. Aymeri de Montesquiou. Nous sommes à la seizième place !
M. Bernard Kouchner, ministre. …car nous avons transposé cinquante ou soixante directives. La situation commence à s’éclaircir. Par ailleurs, la classification des ambassades a déjà été décidée.
S’agissant du Liban, je l’ai dit, nous faisons ce que nous pouvons. La solution ne passera pas seulement par le soutien au seul pouvoir légitime, le gouvernement de M. Fouad Siniora, puisque l’élection du président n’a pas eu lieu. Je pense, mais je peux me tromper et je vous demande de me pardonner d’avance, qu’il ne faut pas négliger le rôle de l’armée. Elle représente le dernier corps constitué de ce pays qui ait résisté au morcellement, avec 70 000 hommes dont 70 % sont chiites. Il faut bien en tenir compte ! Je ne suis pas de ceux – même si j’ai été un peu déçu – qui critiquent l’attitude récente de l’armée libanaise.
J’ai parlé avec tous les protagonistes et, en particulier, avec le général Sleimane, qui m’a déclaré : « Si nous en avions fait plus, le pays éclatait et c’était la guerre civile. » Il faut prendre en considération son point de vue, même si je ne suis pas sûr qu’il ait entièrement raison. La Ligue arabe va peut-être se tourner, dans un premier temps, vers d’autres corps constitués, mais elle ne négligera pas l’armée.
Je regrette de devoir aborder ce sujet aussi vite et de manière si improvisée. Que s’est-il passé ? Un basculement s’est produit : les chiites ont longtemps été les plus pauvres et on les traitait comme quantité négligeable ; cette époque est désormais révolue, en tout cas au Liban et en Irak. Le général Aoun – même si je l’ai beaucoup critiqué – a compris ce mouvement, c’est le moins que l’on puisse dire, puisqu’il a approuvé le discours de M. Hassan Nasrallah, le chef du Hezbollah. Je ne vais pas jusque-là, bien au contraire ! Un basculement est donc intervenu en faveur de la population chiite, qui fait partie des communautés libanaises – je ne sais pas si c’est la plus importante, mais elle tend à le devenir.
J’ignore si nous allons reprendre une initiative au Liban. Si le président de la République, responsable de la diplomatie française – je n’en suis que le patron local, ici, au Quai d’Orsay – sent qu’il y a la moindre chance que nous soyons utiles à quelque chose, nous agirons. Nous avons participé à une initiative européenne, avec l’Espagne et l’Italie, car nous sommes les trois pays européens riverains de la Méditerranée les plus significatifs – on pourrait y ajouter la Grèce. Elle n’a pas été inutile et si une initiative de ce type est à nouveau possible, nous y participerons !
Monsieur Pozzo di Borgo, vous avez évoqué la future politique étrangère de l’Europe. L’exercice va être difficile, mais c’est l’espérance !
Il faudra prendre en compte le président du Conseil, celui de la Commission européenne, celui du Parlement européen et celui du pays qui assumera la présidence tournante de l’Union. Tout cela va être compliqué. Il faut y réfléchir, c’est ce que nous faisons. J’ai reçu hier soir un des trois groupes de ministres des affaires étrangères que nous avons constitués et qui viennent successivement à Paris : nous y parlons très ouvertement, librement et sans notes. Tous mes collègues sont très préoccupés par cette perspective et notamment par l’organisation du service européen d’action extérieure. Si ce service émane seulement de la Commission européenne, les politiques extérieures des États membres disparaîtront, ce qui serait très dangereux ! Il faut les maintenir, telle sera la tâche de la présidence française. Nous ne serons pas jugés seulement sur ce point, mais nous le serons en particulier sur ce point.
Si nous obtenons l’accord des Vingt-Sept sur des propositions de noms pour occuper tous ces postes et si nous parvenons, à partir de là, à esquisser la configuration du futur service d’action extérieure, nous aurons fait œuvre utile, mais ce ne sera pas facile !
Je me suis déjà exprimé sur la Russie. Nous sommes favorables à la multiplication des contacts avec la société civile en Russie, en liaison avec les responsables politiques. Je me rendrai dans quelques jours en Russie où je rencontrerai M. Medvedev pour la première fois.
Je sais qu’on reproche au Président de la République d’avoir téléphoné à M. Poutine, mais tout le monde l’a fait ! Par chance ou par malchance, il a été le premier à le faire, mais on n’a pas critiqué tous les chefs d’État qui l’ont fait après lui. Tous les présidents victorieux sont félicités par leurs pairs, c’est ainsi ! Je ne l’ai pas fait…
M. Jean-Louis Carrère. C’est bien !
M. Bernard Kouchner, ministre. Si Nicolas Sarkozy avait été le deuxième à appeler, personne n’en aurait parlé !
La proposition sur la libre circulation et les visas est intéressante. Nous l’avons déjà faite pour les Serbie et elle n’a pas peu contribué à la victoire des démocrates aux élections législatives de dimanche dernier : je suis très fier d’y avoir contribué, car la voix de la France a beaucoup compté.
Les membres de l’Union européenne ont voté – pas tous, mais cela n’a pas d’importance – pour l’indépendance du Kosovo, parce qu’il n’y avait pas d’autre solution – c’est un sujet que je connais un peu : nous ne pouvions pas faire autrement ! Nous n’allions pas reproduire la situation de Chypre vingt-cinq ans plus tard, avec nos troupes entre les belligérants, car nous avons des soldats sur place et nous exerçons des responsabilités. En même temps, nous avons dit à la Serbie que cette indépendance ne constituait pas une défaite pour elle et qu’elle devait prendre le chemin de l’Union européenne. (M. Philippe Nogrix applaudit.) Je suis très heureux que les démocrates aient obtenu 39 % des suffrages et les nationalistes seulement 29 %.
M. Jean-Louis Carrère. Nous aussi !
M. Bernard Kouchner, ministre. L’affaire n’est pas encore terminée, car il faudra constituer un gouvernement, mais les démocrates ont fait preuve d’une belle ténacité !
Nous avons amélioré les conditions de délivrance de nos visas. Vous savez que ce processus doit intervenir dans le cadre des accords de Schengen, mais dix-huit pays sur vingt-quatre l’ont fait à l’appel de la France, ce qui n’est pas mal.
M. Boulaud est parti, mais j’ai été très intéressé par ce qu’il a dit sur la Macédoine et je souhaiterais qu’on lui rapporte ma réponse.
Je veux bien que l’on s’intéresse à la cause de la Macédoine – personnellement, je connais très bien ce pays, j’y ai travaillé tout le temps pendant les deux ans où j’étais au Kosovo – mais elle est l’État entrant ! Nous avons un devoir de solidarité avec les États qui sont déjà membres de l’Union européenne, comme la Grèce. J’espère que, dans les deux mois qui viennent, le problème posé par le nom de cet État sera réglé et je serai le premier à souhaiter non seulement la bienvenue, mais un bon travail à la Macédoine.
Pour cela, la Macédoine doit consentir un petit effort et la Grèce un plus grand, j’en conviens. Je ne suis vraiment pas responsable des querelles historiques remontant à Alexandre le Grand et à la Macédoine antique. Nous n’avons pas négligé, bien au contraire, l’adhésion de la Macédoine puisque nous avons accueilli sa demande. C’était alors la Slovénie, premier pays à avoir quitté la fédération yougoslave, qui présidait l’Union européenne – tout un symbole ! –, elle ne voulait pas refuser la candidature de la Macédoine et nous ne voulions pas non plus refuser celle de la Serbie. Le processus prendra un peu plus de temps mais, croyez-moi, je suis sûr qu’il aboutira ! Je me rends compte que j’aurais dû parler de l’Ancienne république yougoslave de Macédoine ou ARYM, car on n’a pas le droit de prononcer le nom de Macédoine, mais ce n’est pas grave !
Bien sûr, les Macédoniens sont nos amis et les Grecs aussi. Que faire dans un tel cas ? Le refus d’un seul membre suffit à empêcher tout accord. De toute façon, les Grecs auraient opposé leur veto.
M. del Picchia a évoqué la nécessité d’éviter un conflit entre l’Islam et l’Occident. Nous nous y employons : la conférence d’Annapolis n’a pas encore échoué et je m’accroche à cet espoir. Les Palestiniens viennent en France et ne partagent pas votre sentiment, ils ne pensent pas que nous sommes les valets des États-Unis. Nous avons reçu trois ou quatre fois Abou Alla, l’interlocuteur de Mme Tzipi Livni – comme Abou Mazen est l’interlocuteur de M. Ehud Olmert. Il nous a dit qu’il n’excluait pas que les discussions se poursuivent au-delà de la fin de l’année. En effet, ce terme a été fixé par les Américains afin de permettre un dernier succès que pourrait revendiquer l’administration Bush – il n’y en a pas tellement ! Cela ne signifie pas que les pourparlers doivent s’arrêter. J’étais heureux d’entendre celui qui sera peut-être le président de l’Autorité palestinienne après Abou Mazen – s’il s’en va – dire que la discussion allait peut-être continuer.
Maintenant, l’Autorité palestinienne doit mener une autre discussion avec Gaza et le Hamas. Même si tout le monde a le droit de prendre des contacts, ce n’est pas à nous de décider que les Palestiniens doivent se parler entre eux. Nous les poussons à le faire, mais l’initiative leur appartient. Vous l’avez d’ailleurs dit, il est dans l’intérêt d’Israël qu’ils se parlent car la sécurité d’Israël suppose l’existence d’un État palestinien. C’est aussi simple que cela… mais très difficile à réaliser !
Vous avez souhaité l’émergence d’une Europe plus forte qui réponde aux défis de la mondialisation : oui, trois fois oui ! Il nous faut pour cela une défense européenne. C’est la seule façon de faire pièce à ce qu’on croit être la machine de guerre américaine, d’autant que, je le reconnais, le Pacte de Varsovie a disparu. À quoi sert l’OTAN aujourd’hui ? À mettre en application deux résolutions des Nations unies, la première concernant le Kosovo et la seconde l’Afghanistan. Telles sont les deux missions actuelles que l’Alliance assure au nom de la communauté internationale.
Quand on dit que la France réintègre l’OTAN, il faut bien voir que nous n’y gagnons rien, sauf de permettre à nos officiers de réintégrer la chaîne de commandement dont ils sont absents. Sinon, en ce moment, l’une des deux missions de l’OTAN que j’ai évoquées est commandée par un général français. Nous sommes bien dans l’OTAN !
D’ailleurs, qui nous y a fait revenir ? C’est François Mitterrand, qui a fait participer le premier nos avions aux opérations en Bosnie. Ensuite, qui a voulu que nous regagnions l’ensemble du dispositif, y compris le commandement Sud ? C’est Jacques Chirac, qui n’a d’ailleurs pas obtenu gain de cause pour le commandement Sud.
Maintenant, nous ne prétendons plus à rien, nous voulons simplement prendre notre place. Il n’est pas question de renoncer à l’autonomie de nos armes atomiques, nous conservons une indépendance absolue dans ce domaine, mais nous sommes dans l’OTAN. Qu’y gagnerons-nous ? Tout simplement que nos officiers soient au courant des plans stratégiques.
Monsieur Carrère, je vous ai déjà largement répondu. S’agissant de l’Irak, je vais y retourner. Nous avons ouvert un consulat à Erbil, qui fonctionne très bien. À partir de ce consulat, nous allons essayer, avec les Irakiens, de développer une chaîne de dispensaires pour que la population soit prise en charge.
Nous n’avons pas le temps d’analyser ce qui se passe maintenant, mais nous assistons, là aussi, à une lutte des chiites contre les sunnites.
Le gouvernement a déclaré la guerre à l’armée du Mahdi. J’ai volontiers reconnu l’importance de s’intéresser au monde chiite, mais il existe aussi des problèmes propres au pays. Après la visite de M. Ahmadinejad à Bagdad, on peut parler d’une nouvelle donne : nous verrons bien quelles en seront les conséquences.
M. Carrère a en outre évoqué les propos du président de la commission de la défense du Sénat afghan, qui est un homme du Sud. Le président Karzaï va être confronté à de solides adversaires : il faut s’en réjouir, car c’est cela, la démocratie ! Il est d’ailleurs bien normal que certains désapprouvent complètement sa politique !
En tout état de cause, pour répondre à la critique formulée, il est vrai que si les Français sont venus en Afghanistan simplement pour renforcer l’effort militaire, cela n’a guère d’intérêt. Il faut que nous changions la donne et que nous fassions preuve, aux côtés des Afghans, d’une imagination qui leur permette de prendre ensuite le relais. Je partage entièrement le sentiment de M. Carrère sur ce point. Nous verrons bien ce qui se passera lors de la conférence des donateurs du 12 juin prochain.
Monsieur Gouteyron, je vous remercie de vos réflexions sur la notion d’influence. Nous verrons s’il est possible d’accroître la nôtre ; cela dépendra du succès des réformes en cours, qui doivent nous permettre de faire face dans de meilleures conditions à la mondialisation.
S’agissant du Livre blanc, nous allons procéder à une nécessaire « redistribution » de notre réseau diplomatique. Nous ne savons pas jusqu’où cela nous conduira, mais le processus est pour le moment bien entamé. En particulier, l’expérimentation menée à Berlin et au Sénégal, où le personnel est très nombreux, s’avère être un succès.
Monsieur Jacques Blanc, je vous remercie de m’avoir adressé tant de louanges au sujet du bilan d’une année de diplomatie. Comme j’ai plutôt l’habitude d’essuyer des critiques, que l’on me permette d’être sensible à de tels propos, même s’ils ont été excessivement élogieux !