M. le président. La parole est à Mme Joëlle Garriaud-Maylam. (M. Robert del Picchia applaudit.)
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme chacun ici le sait, la politique étrangère de la France repose sur une tradition diplomatique, économique et culturelle s’appuyant sur un certain nombre de principes forts qui ont été énoncés dès la deuxième moitié du xxe siècle. Je veux bien sûr parler du droit des peuples à disposer d’eux-mêmes, du respect des droits de l’homme et des principes démocratiques, du respect de l’État de droit ainsi que de la coopération entre les nations pour le maintien durable de la paix et la préservation de notre sécurité internationale.
Même si ces principes restent intangibles, le contexte international, caractérisé par des lignes de fracture de plus en plus profondes, une fragmentation de l’espace politique, des affrontements interethniques sur fond de cataclysmes naturels ou de crise alimentaire et une inquiétude croissante de nos concitoyens, nous oblige à réfléchir à une redéfinition des grands axes de notre politique étrangère. À cet égard, je vous suis reconnaissante, monsieur le ministre, d’avoir accepté le principe de ce grand débat aujourd’hui.
Notre politique étrangère doit bien évidemment être dynamique, courageuse et ambitieuse, tout en s’inscrivant dans le cadre des institutions européennes et internationales ainsi que dans un cadre national marqué par la nécessité de restrictions budgétaires et l’inquiétude de nos concitoyens. L’un de nos illustres prédécesseurs devenu Président du Conseil, Georges Clemenceau, ne martelait-il pas avec clairvoyance qu’« une politique étrangère et une politique intérieure, c’est un tout » ?
Notre pays, en termes démographiques, géographiques et budgétaires, n’est qu’un tout petit pays à l’échelle du monde. Mais il a de grandes ambitions ! Pour les mener à bien, il nous faut nous recentrer sur quelques objectifs essentiels. Car, vous le savez, nous serons jugés sur notre capacité à préserver et à développer une véritable « communauté d’influence » à travers le monde pour défendre des orientations communes.
Cette stratégie d’influence doit avoir deux pôles essentiels : d’une part, une rationalisation – ou plutôt une mise en synergie – de notre présence économique, culturelle, éducative et linguistique à l’étranger ; d’autre part, une action entièrement tendue vers un objectif d’appui à la démocratie et au progrès dans un monde de plus en plus globalisé.
Alors que, sur le terrain, le travail quotidien de nos chancelleries à travers le monde n’est plus à démontrer, force est bien de constater que notre capacité à déployer une stratégie d’influence s’affaiblit année après année.
Pourtant, partout dans le monde, il y a une attente, un besoin de France et de tout ce que notre pays peut représenter en termes de défense de valeurs communes de démocratie, de tolérance et de liberté. C’est cette image qui fait notre force et c’est cette image qu’il nous faut préserver.
Mais force est de constater que, souvent, nous ne savons pas répondre à cette attente, faute parfois d’un souci élémentaire de cohérence. Je ne citerai qu’un cas, celui d’un certain paradoxe en Afghanistan, pays où nous envoyons beaucoup de nos jeunes, mais où nous ne pouvons assurer une formation linguistique en français à ces soldats afghans qui nous la réclament, alors même que ce serait relativement peu coûteux.
Pour mieux prôner et incarner ces valeurs qui sont les nôtres, nous avons aussi besoin de les diffuser. Je ne peux donc qu’applaudir à la création de France 24 et aux efforts faits en matière d’audiovisuel extérieur sous l’égide de France Monde. Toutefois, nous ne pouvons agir seuls. C’est pourquoi nous devons absolument le faire dans le cadre de la francophonie et de TV5.
Je souhaiterais aussi vous dire, monsieur le ministre, combien il est important, si nous voulons gagner cette bataille de la francophonie, de ne pas nous tromper de cible. Celle des enfants, des jeunes, à qui il nous faut apprendre notre langue, est prioritaire.
Certes, nous avons un merveilleux réseau d’établissements scolaires aux quatre coins du monde, qui font notre fierté et qui nous permettent de former, outre nos petits nationaux, l’élite de nombreux pays. Cependant, nous ne pouvons plus aujourd’hui raisonner en termes d’élites. Il faut désormais que nous diffusions des programmes éducatifs en français destinés aux plus jeunes tranches d’âge, soit par le biais de la création d’une banque de programmes, soit par un grand nombre d’heures d’antenne réservées sur des chaînes comme TV5 ou France 24, soit par une télévision spécifique, sur Internet par exemple.
Aussi, je vous exhorte à vous rendre au Qatar pour y visiter la chaîne créée spécialement pour les enfants, Al Jazeera Children’s Channel. Voilà une chaîne dans laquelle la France a joué un rôle considérable en matière de conception des programmes, de conseils et de suivi. Nous pourrions peut-être nous en servir comme élément de référence pour une éducation à la francophonie ou tout du moins mettre en place avec elle un partenariat pour des programmes en français.
Partout, nous avons besoin de cohérence et de rationalisation. Cela passe bien sûr par la mutualisation et la valorisation des ressources.
Sans doute devrions-nous aussi nous interroger sur la pertinence d’une présence diplomatique, culturelle et économique qui se renouvelle environ tous les trois ans.
Dans de nombreuses zones du monde, les réussites économiques sont la conséquence de vieux réseaux relationnels, d’un travail de fourmi mis en place au fil des ans. Or il est affligeant de constater un si grand décalage entre les résultats de notre commerce extérieur et ceux de l’Allemagne, qui a pourtant une présence administrative et diplomatique moins importante ou tout du moins plus concentrée que la nôtre. Ne pourrions-nous accepter le principe d’une prolongation des durées de présence dans le pays de diplomates ou de responsables occupant des postes clés, quand ceux-ci le souhaitent eux-mêmes, qu’ils y ont fait leur preuve, et que c’est dans l’intérêt de notre pays ?
À ce propos, je voudrais vous dire combien je trouve dommageable qu’un bon nombre de diplomates, recrutés par la voie du concours de secrétaire des affaires étrangères sur le fondement de leurs connaissances de langues peu usitées, ne soient quasiment jamais affectés dans leur zone ou pays de compétence.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
Mme Joëlle Garriaud-Maylam. Ne vaudrait-il pas mieux envisager un tronc commun de recrutement, comme le fait la Grande-Bretagne qui choisit les meilleurs, puis les forme intensivement à la langue, à la culture et aux enjeux du pays d’affectation au sein d’une institution comme Wilton Park, dans le Sussex ?
Nombre d’améliorations ne coûteraient pas très cher à l’État, monsieur le ministre. Nous avons besoin de bon sens, et d’une analyse rigoureuse de nos forces et de nos faiblesses. À ce sujet, je voudrais rappeler que Jean-Pierre Raffarin, lorsqu’il était Premier ministre, avait créé un comité pour l’image de la France à l’étranger. (M. Jean-Louis Carrère s’exclame.) Il me semble que ce comité pourrait être réactivé et que nous pourrions y trouver des enseignements forts sur ce qu’il nous faut changer, par exemple dès l’accueil des étrangers à Roissy.
Vous ne vous étonnerez donc pas, monsieur le ministre, que l’élue des Français de l’étranger que je suis ne puisse s’empêcher d’évoquer les inquiétudes ainsi qu’une certaine amertume de nos compatriotes établis hors de France.
Les Français à l’étranger sont le meilleur atout de la France hors de ses frontières. Ils sont des relais d’opinion, des vecteurs d’influence, mais ils se sentent encore trop souvent ignorés, voire parfois méprisés, et ce malgré de notables progrès. Il ne faut en tout cas pas qu’ils soient les seules victimes des efforts nécessaires liés aux restrictions budgétaires. Ils sont en particulier très inquiets de la disparition de nombreux consulats, des menaces planant sur notre présence culturelle, dont le budget représente moins que celui du seul Opéra de Paris. Cela a été souvent dit !
N’est-il pas regrettable que nos compatriotes soient rarement invités lors de manifestations d’envergure nationale ? L’annonce officielle que la plupart d’entre eux ne seraient plus invités, faute de moyens, aux réceptions du 14 juillet dans leur pays de résidence a été un véritable choc pour eux. Comment ne pas comprendre leur émotion et leur amertume face à leur exclusion d’un événement aussi symbolique, le seul en principe à pouvoir rassembler toute leur communauté une fois par an pour célébrer les valeurs qui leur sont si chères ?
Par ailleurs, en période de tensions extrêmes et de rapatriement imposé pour préserver leur propre sécurité, nos concitoyens de l’étranger – victimes de catastrophes naturelles ou de crises politiques graves – devraient pouvoir bénéficier d’un véritable fonds public permanent de solidarité. Tel est le sens de la proposition de loi n° 224 que j’ai récemment déposée sur le bureau du Sénat avec mes collègues sénateurs représentant les Français établis hors de France.
Monsieur le ministre, j’aimerais également que vous vous penchiez avec attention sur les autres moyens permettant de renforcer notre présence à l’étranger.
Une réflexion doit être menée – je suis sûre que tous mes collègues, sénateurs et élus de l’Assemblée des Français de l’étranger, seraient ravis d’y contribuer – sur une mise en place rapide de mesures simples. Je pense, par exemple, à un véritable statut de l’élu des Français de l’étranger, à une rationalisation de la situation administrative ou fiscale de nos compatriotes, à une refonte des JAPD – journées d’appel de préparation à la défense –, à une revalorisation du rôle des consuls honoraires, qui, je le rappelle, sont entièrement bénévoles et mériteraient, comme cela se fait dans d’autres démocraties européennes et pour nos ambassadeurs, d’être invités à rencontrer une fois au moins au cours de leur mandat les autorités françaises à Paris, ou encore, je l’ai déjà évoqué, à un enseignement français qui irait bien au-delà de notre seul réseau d’enseignement.
Dans ce contexte, la création d’une collectivité outre-frontière souhaitée par nos collègues de l’AFE serait un progrès décisif.
Enfin, je voudrais vous dire notre émotion devant le drame birman et les conséquences désastreuses du cyclone sur ce peuple. Nous ne pouvons rester impassibles face à une telle tragédie. D’ailleurs, j’arrive à l’instant d’une conférence de presse qui s’est déroulée à l’Assemblée nationale avec des moines birmans.
Nous aimerions arriver à faire pression sur les pays de l’ASEAN en leur demandant de dépasser le sacro-saint principe de souveraineté afin de prendre en considération la souffrance de ce peuple. J’ai également suggéré que des parlementaires de différents pays européens cosignent un appel pour demander que soient largués en urgence par avion et par hélicoptère des vivres, de l’eau et des médicaments dans le delta de l’Irrawaddy. Cette action aurait bien sûr lieu en violation de l’espace aérien birman, mais je pense que nous devrions pouvoir y arriver.
Naturellement, nous ne pouvons agir seuls. C’est pourquoi je compte sur vous, monsieur le ministre, sur votre force de persuasion et sur votre croyance en ce principe du droit d’ingérence, je devrais même dire du devoir d’ingérence.
Tels sont les quelques éléments auxquels je vous remercie de bien vouloir apporter votre réflexion dans le souci de développer une politique étrangère qui ne soit pas une simple doctrine, mais qui tienne compte de l’élément le plus important qui soit : le respect des hommes. (Applaudissements sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Bernard Kouchner, ministre des affaires étrangères et européennes. Je remercie chacun des participants à ce débat. Je remercie également Mme Joëlle Garriaud-Maylam d’avoir parlé de l’actualité.
Je me suis prêté avec beaucoup de bonheur à ce nouvel exercice. Je vous en félicite, monsieur le président de la commission des affaires étrangères, ainsi que vous tous, mais je vous rappelle que, le Gouvernement étant maître de l’ordre du jour, j’y suis également pour quelque chose… (Sourires.)
J’espère que ce débat se renouvellera deux fois par an, comme vous l’avez souhaité, monsieur le président de la commission, et plus souvent si vous le voulez.
Je pensais sombrer parfois dans la torpeur : il n’en a rien été. Cela n’est pas vrai tout le temps ici, mais je ne nommerai personne ! (Nouveaux sourires.)
J’ai écouté avec attention les orateurs, et chacun d’entre eux m’a apporté beaucoup par ses critiques comme, parfois, par l’aspect positif de son intervention.
Face à l’abondance de vos propos, monsieur le président de Rohan, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne pourrai pas toujours répondre directement à chacun, et je vous prie de m’en excuser. Il y a bien sûr des sujets communs, qui me mèneront au-delà de l’intervention des uns et des autres. Cependant, toutes vos interventions ont été intéressantes et riches en enseignements pour le ministre des affaires étrangères et européennes que je suis… pour l’heure !
Mme Nathalie Goulet. Ah ?
M. Bernard Kouchner, ministre. Rassurez-vous, il ne s’agit nullement d’une annonce de démission. Je cherche seulement à paraître moins prétentieux !
Monsieur de Rohan, je vous remercie d’avoir souhaité ce débat. J’ai tenté, vous le savez, de multiplier les échanges avec les deux assemblées, et je continuerai à le faire.
Vous avez eu raison de souligner que la mondialisation est parvenue à un moment très délicat. En effet, et je me saisis de la phrase que vous avez prononcée, il y a eu la grande sortie des pays émergents, ceux que l’on cite toujours. Permettez-moi, d’ailleurs, de vous dire que vous vous trompez : la Russie n’est pas un pays émergent. Cela fait un moment qu’elle émerge. Je dirais même qu’elle émerge moins qu’avant. Il s’agissait donc d’un pays avec lequel il nous fallait de toute façon compter et avec lequel nous devions dialoguer, mais j’y reviendrai.
Certains pensent que la remise en cause de l’universalité des valeurs, à la faveur de cette mondialisation ou conjointement à elle, fait que les valeurs du monde occidental paraissent un peu périmées. Je ne suis pas d’accord. Je pense plutôt que chacun se sent un peu perdu parce que, ayons le courage de le dire, les pays riches vont être perdants par rapport aux pays pauvres pendant un certain temps. C’est ainsi, et bien malin qui prétendra le contraire ! Si la richesse et les valeurs doivent se partager, s’interpénétrer, cela ne se fera pas, au début, aux dépens des plus pauvres, et ce n’est que justice.
Quoi qu’il en soit, l’inquiétude est grande devant les délocalisations et les modes de travail de pays où l’armature sociale n’est pas aussi développée que dans nos pays.
En tout état de cause, si quelque chose devait fonder une réflexion générale, comme tout le monde aime à le faire et comme il était facile de le faire au moment des deux blocs – de ce point de vue, nous n’avions pas à nous creuser la tête ! –, si quelque chose devait non pas fédérer, mais donner un parfum très particulier et parfois inquiétant à cette réflexion sur la politique internationale, ce serait cette mondialisation qui nous met en concurrence avec l’ensemble des pays du monde, ce qui n’était pas le cas avant !
Nous sommes amenés à conduire une réflexion sur nos propres certitudes. Cette mondialisation s’opérera durant un nombre d’années – que j’espère le moins grand possible – aux dépens de nous-mêmes, de nos certitudes, voire de notre confort, alors même que ce dernier est très mal partagé à l’intérieur de notre pays, ce qu’il faut signaler. Nous n’en parlons pas assez.
Monsieur de Rohan, comme vous l’avez souligné, nous avons demandé la préparation de deux livres blancs auxquels vous participez. Leurs conclusions seront non pas notre seule boussole, mais des éléments avec lesquels il nous faudra tout de même compter.
Le premier de ces livres concerne la politique extérieure et le second la sécurité et la défense. Les deux sujets étant bien sûr liés, nous auront intérêt à les lire ensemble.
Vous avez souligné un certain nombre d’objectifs. Les membres de la commission du Livre blanc, dirigée par MM. Alain Juppé et Louis Schweitzer, qui ont très bien travaillé, les reprennent également. Nous parlerons de l’Afghanistan, du Liban, du Kosovo, du Tchad, etc. Nous parlerons, bien sûr, aussi de la construction européenne.
Je veux nous féliciter de la relance de l’Europe. Où serions-nous, nous Français qui avons voté « non » – pour ma part, j’ai voté « oui » –, si l’Espagne la première, pays qui avait approuvé la Constitution européenne par référendum, n’avait pas accepté d’aller de l’avant sur une idée du Président de la République – à l’époque, d’ailleurs, je ne la partageais pas complètement – qui a été acceptée par la présidence allemande et mise en œuvre par la présidence portugaise ? L’attitude des Espagnols a été une bonne surprise. Ils nous ont dit : faisons ça ensemble !
Les choses ont bougé, en particulier, je vous l’assure, grâce à la diplomatie française dont je ne saluerai jamais assez l’efficacité, bien entendu conditionnée à la politique de notre pays, l’érudition et la manière dont elle travaille dans le monde, au plus près des populations, beaucoup plus près d’ailleurs que d’autres diplomaties.
Il nous faut bien respecter le fait que notre réseau diplomatique soit le deuxième sur le plan mondial. J’ai bien entendu votre remarque, madame Garriaud-Maylam : avec un réseau moins étendu que le nôtre, l’Allemagne aboutit à de bien meilleurs résultats que nous dans le domaine industriel. C’est un point sur lequel il nous faudra réfléchir, même si je n’aurai peut-être pas le temps de le faire dans le cadre de ce débat car je m’intéresse surtout à vos questions.
Des projets concrets accompagnent cette relance de l’Europe. Je pense au projet d’Union pour la méditerranée, quelles que soient les petites péripéties qui l’émaillent.
Que valent d’ailleurs les péripéties franco-allemandes au regard de celles qui ont eu lieu entre les trois grands couples précédents ? Tous au début ont échangé sur un ton beaucoup plus violent que les échanges entre M. le Président de la République, Nicolas Sarkozy, et Mme la Chancelière, Angela Merkel. Consultez les journaux au sujet des échanges entre Mitterrand et Kohl, entre Giscard d’Estaing et Schmidt, entre Chirac et Schröder.
M. Jean-Louis Carrère. Cela avait tout de même une autre allure !
M. Bernard Kouchner, ministre. Je ne le crois pas, monsieur ! Cette polémique est inutile : moi, je me félicitais du ton !
Tous les présidents de la République française se sont disputés avec les Allemands avant de se réconcilier.
Mme Michelle Demessine. Nous allons de réconciliation en réconciliation !
M. Bernard Kouchner, ministre. Cette fois, la réconciliation a été plus rapide, en particulier autour de l’Union pour la méditerranée.
Vous dites, monsieur le sénateur, que cela avait une autre allure : ça se discute !
Vous avez également souligné, monsieur le président de Rohan, les combats menés pour les droits de l’homme, qu’ils soient localisés, ce qui est important, certes, surtout quand on réussit – je pense à la libération des infirmières bulgares et du médecin palestinien –, mais aussi quand on ne réussit pas encore – je pense aux otages en Colombie –, ou qu’ils soient à l’échelle de la planète puisque les droits de l’homme ne se défendent pas seulement pour un prisonnier ou une personnalité.
On ne doit pas dénoncer les atteintes aux droits de l’homme uniquement lorsqu’il y a un prisonnier, on doit les dénoncer aussi en général, et nous l’avons fait.
Je pense au dispositif qui a été mis en œuvre pour les populations tchadiennes, pas pour les réfugiés qui viennent du Darfour, mais pour les populations déplacées du Tchad. En mettant en place la plus grande force jamais déployée par l’Europe, c’est aussi les droits de l’homme que nous défendons. Nous cherchons à protéger non pas les droits de M. Déby, mais les droits de l’homme des populations laissées sur le terrain ! Je pourrais citer beaucoup d’autres exemples.
Je pense aussi à l’accueil, qui a maintenant commencé, d’un certain nombre de chrétiens et d’autres réfugiés venus d’Irak. Aucun autre pays ne souhaitait les accueillir aussi largement que la France, sauf la Suède. C’est aussi cela la politique des droits de l’homme !
Je me suis rendu en Irak – mais d’autres que moi auraient pu y aller même si l’Irak n’était pas un pays très fréquenté – et j’ai rencontré ces Chaldéens, passés de 1,2 million de personnes à 400 000, qui croupissent dans des camps en Jordanie ou ailleurs. C’est pourquoi j’ai pensé, avec l’accord de Brice Hortefeux – nous avons œuvré conjointement –, que des visas particuliers devaient leur être accordés.
Il y a également, vous l’avez souligné, de nouvelles règles à la mondialisation, des propositions pour la réforme du Conseil de sécurité des Nations unies, des propositions pour la paix au Moyen-Orient lorsque – hélas ! ou heureusement, je vous laisse libre de choisir – la présidence américaine sera aux mains d’une nouvelle administration.
Quoi qu’il en soit, ne me dites pas que la France est absente des tentatives de règlement du conflit du Moyen-Orient : elles n’ont jamais été aussi nombreuses, et il n’y a jamais eu autant de confiance, aussi bien de la part des Palestiniens que de la part des Israéliens. Si vous voulez faire la paix, il vaut mieux la faire avec les deux parties !
M. Jean-Guy Branger. C’est vrai !
M. Bernard Kouchner, ministre. Cela vaut également dans tous les pays arabes. J’ai passé la journée d’avant-hier avec le président Bouteflika en Algérie : il se noue entre nos deux pays des rapports qui étaient impossibles voilà quelque temps. Certes, c’est une autre génération, dont je ne fais pas partie d’ailleurs : ça a changé, le ton a changé !
Ne croyez pas que nous soyons accusés d’être les suppôts des Américains. C’est entièrement faux ! Nous avons, avec les pays arabes, les pays du Golfe dont vous avez parlé, avec le Qatar, qui dirige l’actuelle mission de la Ligue arabe au Liban, des rapports très fraternels.
Il ne nous est rien reproché, et certainement pas de nous ingérer dans ce qui pourrait être un processus de paix.
Après Annapolis, nous avons mené la Conférence de Paris. Il y avait là une représentation exceptionnelle de l’ensemble des pays intéressés du Moyen-Orient, bien sûr, mais allant aussi du secrétaire général des Nations unies au plus petit pays.
Nous cherchions à réunir 5 milliards de dollars et nous avons obtenu 7,7 milliards de dollars. Le point le plus important était non pas la contribution financière, mais l’élan politique ainsi exprimé.
La contribution qui m’a le plus ému est celle du Sénégal, pays musulman, un des pays les plus pauvres du monde, qui a donné 200 000 euros pour montrer qu’il y croyait. Il s’agit d’une réussite politique, et non d’une réussite liée à la charité ou à la solidarité ! Chypre, petite île partagée, a versé 2 millions de dollars, soit presque son budget !
Je tenais à vous rappeler ces petites choses, mesdames, messieurs les sénateurs.
Notre présence dans le monde est peut-être discutée par les Français, mais elle n’est pas discutée, je vous l’assure, par le reste de la communauté internationale. Au contraire, elle est même saluée,…
MM. Jean-Guy Branger et Robert del Picchia. C’est vrai !
M. Bernard Kouchner, ministre. …et en disant cela je ne suis pas prétentieux. Il y a donc non pas un souffle, un grand air, mais un petit mouvement très particulier.
M. Jean-Louis Carrère. Un zéphyr ! (Sourires sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Kouchner, ministre. Vous avez raison de le souligner, il n’y a pas assez d’argent pour notre rayonnement culturel. Cependant, en France, il n’y a pas assez d’argent en général. Et la dette est fantastique – 64 % du PIB –, sans compter le service de la dette. Qui est responsable de cet état de fait ? Pas moi !
Tous les gouvernements successifs ont eu des politiques qui consistaient à faire sans arrêt des promesses…
M. Jean-Louis Carrère. Comme vous !
M. Jean-Louis Carrère. Donc, vous aussi vous êtes responsable !
M. Bernard Kouchner, ministre. Tout à fait ! La gauche et la droite sont responsables. Que voulez-vous que j’y fasse ?
J’ai été très heureux de pouvoir maintenir le budget du Quai d’Orsay, qui n’a pas été revu à la baisse. Mais le Quai d’Orsay a été un modèle.
M. Adrien Gouteyron. C’est vrai !
M. Bernard Kouchner, ministre. Ses effectifs ont diminué de 11 % sur dix ans, et vous l’avez souligné. Nous avions donc suivi toutes les consignes.
On ne peut pas réduire sans cesse les effectifs et maintenir un système universel.
Par ailleurs, un certain nombre de propositions sont contradictoires, madame Joëlle Garriaud-Maylam. Faut-il multiplier les consulats ? Certes, mais ils sont trop nombreux en Europe et nous ne pourrons pas tous les maintenir.
Ainsi, des expériences formidables sont tentées - à Berlin et au Sénégal – visant, à partir d’une réduction coordonnée non pas seulement des diplomates, vous l’avez dit, mais également des personnels issus notamment d’autres ministères, à nous permettre de réaliser certains ajustements très difficiles afin de pouvoir déplacer les personnels.
Nous devons, à l’évidence, à travers le monde, dans les pays émergents en particulier, faire montre d’un peu plus de réalisme par rapport aux besoins des populations.
Monsieur Hue, vous jugez sévèrement notre bilan après un an. Vous pensez que l’image de notre politique étrangère est terne. Moi, je ne le pense pas,...
M. Robert Hue. Je n’en doute pas un instant !
M. Bernard Kouchner, ministre. …mais sans doute ne suis-je pas objectif ! (Sourires.)
L’action internationale du Président de la République a certes été critiquée, mais elle a aussi été tant louangée que j’en ai parfois eu honte !
M. Robert Hue. Moi aussi !
M. Bernard Kouchner, ministre. Peut-être cela a-t-il changé ; il y a eu des présentations personnelles. Regardez le bilan publié la semaine dernière par le très sérieux magazine The Economist, que je peux citer puisque les articles n’y sont jamais signés, et vous verrez !
Tout le monde s’étonne qu’on n’en ait pas fait plus mais on en a fait beaucoup ! Bien sûr, on n’en fait jamais assez.
Concernant l’Afrique, vous avez évoqué le discours du Cap prononcé par le Président de la République. Je pensais que vous alliez citer celui de Dakar.
M. Robert Hue. Je l’ai cité en disant que le discours du Cap ne réglait pas le problème de celui de Dakar !
M. Bernard Kouchner, ministre. Soit ! Cependant, il y a quand même eu une correction. Les discours de Dakar et du Cap se complètent. Il y a eu beaucoup de changements d’affectation lors de la mise en place du gouvernement actuel. Ce qui compte, ce n’est pas le fait qu’un secrétaire d’État qui était chargé de la coopération soit désormais en charge de la défense - il en est d'ailleurs, me semble-t-il, très heureux ! -, c’est que la politique vis-à-vis de l’Afrique a changé.
Plusieurs d’entre vous ont cité le document établi par le Quai d’Orsay dans lequel celui-ci demandait aux ambassadeurs en poste en Afrique de donner leurs impressions. Est-ce plutôt négatif ? Je n’en sais rien. En tout cas, nos rapports avec l’Afrique ont changé, l’Afrique a changé, et nous avons changé.
Dans son discours du Cap, le Président de la République a dit très clairement que tous nos accords de défense allaient être révisés. Cela signifie qu’ils seront modifiés et que, très clairement, l’armée française n’est pas là pour maintenir des équipes au pouvoir. Cela signifie également que toutes les bases de l’armée française en territoire africain seront revues. Il n’en restera donc pas beaucoup et cela nous mettra dans une position semblable à celle des autres pays occidentaux, en particulier le Royaume-Uni,…