M. le président. La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France est à l’origine de deux initiatives diplomatiques fortes et très positives ; d’autres suscitent des interrogations.
D’une part, la mise en place de l’Union pour la Méditerranée, présentée au départ comme un projet des Européens du Sud, appartient désormais, et c’est heureux, à l’ensemble de la Communauté européenne. Il s’agit d’un projet essentiel de coopération, d’un projet de canalisation concertée des flux migratoires, d’un projet de développement économique et donc de paix.
D’autre part, le traité simplifié a permis à la France, en partenariat avec l’Allemagne, de relancer la construction européenne, qui était en panne. Ce traité permettra aussi d’affirmer le poids de l’Union dans le concert de la mondialisation.
M. Jacques Blanc. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. C’est pourquoi la présidence française devrait être à l’origine d’un renforcement des relations avec les organisations régionales. En effet, les solutions se trouvent souvent davantage dans la périphérie immédiate des pays concernés par les problèmes plutôt qu’aux Nations unies ou entre les mains des grandes puissances.
De nouveaux pôles émergent, en Asie, en Asie centrale, au Moyen-Orient, constitués autour d’organisations qui, pour certaines, veulent s’inspirer du modèle européen. Ce sont des partenaires d’avenir ; or nous les ignorons trop.
Nos relations sont trop faibles avec l’Organisation de coopération économique, l’OCE, qui rassemble les États musulmans non arabes.
Elles sont quasi-nulles avec l’Organisation de coopération de Shanghai, l’OCS, organisation stratégique au considérable potentiel énergétique, au sein de laquelle nous pourrions demander une place d’observateur comme l’ont fait les États-Unis, place qui leur a été refusée.
Nos relations sont inexistantes avec la Communauté économique eurasiatique ; l’établissement de telles relations nous aiderait pourtant à faire évoluer positivement la situation en Afghanistan, en impliquant des pays périphériques dont la présence est plus légitime.
Mme Nathalie Goulet. Bravo !
M. Aymeri de Montesquiou. Nos relations sont insuffisantes avec le G20, qui regroupe en particulier les cinq grands pays émergents : Chine, Inde, Brésil, Mexique et Afrique du Sud.
J’ajoute qu’il faut définir une méthode commune pour canaliser les fonds souverains ou nous protéger de ceux-ci. Pouvez-vous nous donner des précisions sur les mesures que vous comptez prendre pour mettre en place une politique de l’Union ?
La présidence française doit aussi nous amener à optimiser les dépenses de notre ministère des affaires étrangères par la mise en place de conventions et par mutualisation.
Depuis plusieurs années, la tendance est à la contraction de l’activité des consulats des membres de l’Union. Je m’en réjouis, même si c’est insuffisant. Sans doute motivée par des considérations financières, cette tendance devrait aussi exprimer une volonté politique.
L’administration locale des pays de l’Union doit en effet être à même d’apporter l’entier soutien qui est dû à tous les citoyens des vingt-sept pays. Il faudrait que, d’ici à la fin de la législature, ces consulats aient perdu leur raison d’être. J’ajoute que trois ambassades à Bruxelles ne sont pas indispensables !
La France pourrait prendre une initiative exemplaire dans le domaine de la transcription des directives, où elle n’occupe que le seizième rang, ce qui n’est pas acceptable pour un pays qui s’apprête à présider l’Union.
Avec le président Haenel, j’avais proposé en 2001 de réserver une séance mensuelle du Parlement à la transposition des directives. Le Sénat a adopté cette proposition, mais l’Assemblée nationale n’en a même pas discuté. À l’occasion de la réforme des institutions visant à renforcer les pouvoirs du Parlement, cette proposition mérite d’être à nouveau considérée.
Dans le même esprit, je note que, pour 192 États membres de l’ONU, nous entretenons 163 ambassades. Il ne sert à rien de nous targuer d’avoir le deuxième réseau d’ambassades si celles-ci ne sont pas utilisées au maximum !
Il est difficile de qualifier de « petits » certains États dont le rôle politique est mineur et dont les échanges commerciaux sont très faibles non seulement avec la France, mais aussi avec les autres pays de l’Union. Il serait néanmoins de bon sens dans ces pays de mutualiser les ambassades avec ceux des vingt-sept États membres qui le souhaitent.
Pour conserver une ambassade, je propose la barre arbitraire de 50 millions d’euros d’exportations, sauf si le pays présente un intérêt stratégique pour nous. Sur cette base, ce sont environ soixante-dix pays situés au-dessous de ce seuil dans lesquels vingt à vingt-cinq ambassades pourraient, dans une première étape, être mutualisées pour les visas et les structures immobilières.
Ce mouvement, accompagné de certains renforcements, constituerait un redéploiement bienvenu, car, je le rappelle, en Chine ou en Inde, des villes de plusieurs millions d’habitants –avoisinant parfois dix millions ! – sont dépourvues de consulat ou de mission économique.
Monsieur le ministre, le Président de la République a souligné que le rapprochement avec les États-Unis ne signifierait pas l’alignement, synonyme de perte de liberté et d’influence. Ce rapprochement souhaitable pour mettre fin à un fondamentalisme anti-américain stérile et parfois même contre-productif ne doit pas nous faire perdre nos atouts.
Je rappelle toutefois l’affirmation du département d’État considérant les alliances comme étant à géométrie variable. Nos amis britanniques, pourtant alliés privilégiés des États-Unis, en avaient été ulcérés ! De plus, le statut d’hyperpuissance donne aux États-Unis l’illusion qu’ils ont mécaniquement raison, ce qui peut conduire aux pires désillusions. En d’autres siècles, les grandes puissances européennes ont subi cet hubris désastreux.
Quelques mots sur le Moyen-Orient, zone à très haut potentiel conflictuel que nous connaissons bien, où notre pays conserve une influence certaine et où nous représentons un espoir, parce que nous ne sommes pas inféodés.
Ne devons-nous pas nous écarter de la politique américaine vis-à-vis d’Israël, laquelle conduit parfois à l’aveuglement et ruine les espoirs de paix ? La sécurité d’Israël doit, bien sûr, être garantie par la communauté internationale, mais pas son impunité. Nous ne pouvons cautionner les éliminations ciblées et leur cortège de victimes civiles, ni nous taire face à la poursuite du développement des colonies prétendument sauvages, mais toujours tolérées par l’État israélien.
Mme Nathalie Goulet. Très bien !
M. Aymeri de Montesquiou. En 2006, lors de l’invasion absurde et catastrophique du Sud-Liban par l’armée israélienne, la France avait d’abord exigé un cessez-le-feu immédiat. Notre alignement, ensuite, sur les États-Unis fut une erreur. Dans cette région du monde tellement complexe, où la violence constitue souvent la réponse à un désaccord ou à un incident, l’expérience nous a appris qu’il fallait rechercher le consensus, quitte à faire des sacrifices.
On peut regretter qu’ait été interrompu sine die le dialogue avec la Syrie ; on peut également regretter que le dialogue soit si mesuré avec l’Iran. Car si on ne parle pas, que fait-on ?
Nous avons sans doute commis une faute – les affrontements armés interlibanais viennent le confirmer –, en n’exploitant pas au mieux l’arbitrage du Premier ministre et ministre des affaires étrangères du Qatar, Cheikh Hamad Bin Jassem Bin Jabor Al-Thani, pour sortir le Liban de la crise institutionnelle et en préférant une politique très proche de celle des États-Unis, alors que nous connaissons beaucoup mieux qu’eux cette partie du monde.
Je vous ferai part, mes chers collègues, d’une interrogation. L’implantation d’une base à Abou Dabi peut satisfaire notre aspiration à conforter nos positions dans la région. Cette décision a pu aussi être appréciée par le Qatar, siège de la plus grande base américaine au Moyen-Orient, Al-Oudeid, mais que ferons-nous si les États-Unis décident, unilatéralement, d’un conflit avec l’Iran ? Que répondrons-nous s’ils souhaitent utiliser notre base comme relais ? Je rappelle que 9 000 sociétés iraniennes ont leur siège à Dubaï, à quelques kilomètres d’Abou Dabi, et que l’Iran peut bloquer à tout moment le détroit d’Ormuz.
L’OTAN a-t-elle encore un objet ? L’adversaire, ou plutôt l’ennemi désigné, le Pacte de Varsovie, n’existe plus. N’est-ce pas le moment, alors qu’il est de plus en plus question de rallier le commandement intégré, de redéfinir les objectifs de l’OTAN ? Il n’est pas possible de faire croire à la Russie que le fait d’y intégrer l’Ukraine ou la Géorgie et d’installer en Tchéquie ou en Pologne des batteries antimissiles visant à se prémunir contre une attaque iranienne potentielle, ou plutôt improbable, sont des gestes amicaux !
Le vrai danger n’est-il pas le terrorisme international ? L’intégration de la Russie n’est-elle pas une réponse, peut-être provocatrice aux yeux de certains, mais en fait équilibrée et apaisante, déjà présentée par le président Poutine, et envisagée un moment par les États-Unis ?
Par ailleurs, l’OTAN, telle qu’elle existe, ne serait-elle pas un obstacle à la construction d’une défense européenne, dans la mesure où certains membres de l’Union européenne considèrent que l’organisation en tient lieu ?
Notre histoire nous a appris que, pour peser, notre diplomatie devait évoluer, comme les forces qui modifient les équilibres du monde. Or il ne semble pas que la diplomatie française ait accompli sa révolution culturelle.
Monsieur le ministre, vous devez mettre en œuvre une politique à la fois fidèle à nos principes et plus imaginative. Notre politique étrangère est, par tradition, soutenue par tous les groupes politiques de notre assemblée. Vous perpétuerez cette tradition en impulsant une indispensable réforme. (Applaudissements sur les travées du RDSE, de l’UC-UDF et de l’UMP.)
Mme Christiane Kammermann. Bravo !
M. le président. La parole est à M. Yves Pozzo di Borgo.
M. Yves Pozzo di Borgo. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ce débat porte sur la politique étrangère de la France, mais notre pays devant assurer la présidence de l’Union européenne dans moins de cinquante jours, vous me permettrez d’évoquer la politique étrangère de l’Europe.
La présidence française, la douzième depuis les débuts de la construction européenne, et peut-être la dernière sous cette forme, intervient à un moment charnière.
En effet, le traité de Lisbonne devrait entrer en vigueur au 1er janvier 2009, si tous les États membres ont achevé à cette date leur procédure de ratification – et j’espère que l’Irlande suivra.
La première priorité de la présidence française sera donc d’achever le processus de ratification et de préparer la mise en œuvre des principales innovations de ce traité.
À cet égard, vous pourrez peut-être nous dire, monsieur le ministre, quelle est la position française concernant la physionomie du futur service européen d’action extérieure, car j’ai cru comprendre qu’il existait de fortes divergences entre les États membres sur le positionnement de ce service, le périmètre de son action ou encore le nombre de ses agents.
Parmi les priorités de la présidence française, le renforcement de la politique étrangère et de défense commune occupe une place particulière. C’est en effet l’un des domaines qui suscite, vis-à-vis de l’Europe, le plus d’attentes chez les citoyens.
Or, si des progrès ont été réalisés ces dernières années, les États européens ne parviennent toujours pas à parler d’une seule voix face aux États-Unis ou aux nouvelles puissances émergentes, comme la Russie ou la Chine.
Qu’il s’agisse du Kosovo, de l’attitude à adopter à l’égard de la Chine ou encore de l’installation d’éléments du système de défense antimissiles américain en Pologne et en République tchèque, les vingt-sept États membres de l’Union européenne paraissent impuissants à définir une approche commune.
L’Union européenne ne parviendra à faire entendre sa voix sur la scène internationale que s’il existe une réelle unité entre les Européens.
Une nouvelle fois, l’Union européenne se retrouve en première ligne dans la région des Balkans. La stabilité de cette région, que vous connaissez bien, monsieur le ministre, constitue un véritable test pour la crédibilité de son action.
Elle doit donc concentrer ses efforts pour maintenir la paix entre les communautés et offrir une perspective européenne, qui paraît seule en mesure de freiner le retour des nationalismes.
Au Proche-Orient, alors qu’elle est membre à part entière du Quartet et qu’elle est de loin le premier contributeur en matière d’aide aux territoires palestiniens, l’Union européenne se retrouve à l’écart du processus politique des négociations entre Israël et les Palestiniens. On fait appel à l’Europe pour augmenter l’aide aux Palestiniens, mais lorsqu’il s’agit des questions politiques, elle est étrangement absente, les États-Unis jouant un rôle quasi exclusif.
Alors que notre pays est fortement impliqué dans la région, notamment au Liban, comment, monsieur le ministre, l’Union européenne compte-t-elle agir et exister politiquement pour contribuer à résoudre ce conflit qui peut avoir des conséquences majeures pour la sécurité internationale ?
Si l’Union européenne veut jouer un rôle accru sur la scène internationale, il est également indispensable qu’elle renforce ses liens avec la Russie.
En sa qualité de membre permanent du Conseil de sécurité des Nations unies, la Russie est, en effet, pour l’Union européenne, un partenaire privilégié en matière de politique étrangère.
Ainsi la Russie joue-t-elle, vous le savez bien, monsieur le ministre, un rôle stabilisateur important dans la crise iranienne. Elle apporte son soutien à l’opération de l’OTAN en Afghanistan et elle vient de faire un geste fort en mettant à la disposition de l’Union européenne quatre de ses hélicoptères pour mener une opération au Tchad et en République centrafricaine, où les troupes de l’OTAN sont absentes.
M. Robert Hue. Très bien !
M. Yves Pozzo di Borgo. La Russie demeure aussi un acteur important pour la stabilité des Balkans et de notre voisinage commun. Plus généralement, elle représente pour l’Union européenne son plus grand voisin, son premier fournisseur d’hydrocarbures et son troisième partenaire commercial.
Or, force est de reconnaître que, malgré le développement des relations économiques, l’Union européenne n’a pas su mettre en place un véritable partenariat stratégique avec la Russie.
Ainsi, depuis près de deux ans, les pays membres de l’Union ne parviennent pas à s’accorder pour lancer des négociations sur un nouvel accord avec la Russie, appelé à remplacer l’actuel accord de partenariat et de coopération.
M. Roger Romani. C’est vrai !
M. Yves Pozzo di Borgo. La Pologne avait d’abord mis son veto en raison de l’embargo russe sur la viande en provenance de son territoire, puis ce fut au tour de la Lituanie, en raison de la fermeture par la Russie de l’oléoduc qui dessert sa raffinerie.
Certes, il est normal que tous les États membres fassent preuve de solidarité lorsqu’un pays est confronté à une difficulté particulière. Toutefois, le principe de solidarité ne doit pas être à sens unique et l’Europe dans son ensemble a besoin d’un partenariat avec la Russie, notamment sur le plan énergétique.
Dès lors, l’attitude de certains nouveaux États membres, consistant à prendre en otage l’ensemble des autres pays de l’Union pour régler leur contentieux bilatéral, voire leurs comptes historiques avec la Russie – même si l’on peut les comprendre ! – n’est pas acceptable.
Depuis la fin de la guerre froide, la Russie a considérablement évolué. Aujourd’hui, on ne peut plus continuer à la regarder avec des lunettes datant d’avant la chute du mur de Berlin.
À cet égard, je me félicite de l’annonce faite hier de la levée du veto des autorités lituaniennes, grâce aux efforts de la présidence slovène. (M. le ministre acquiesce.)
L’adoption du mandat par les Vingt-Sept pourrait permettre de lancer enfin les négociations sur le nouvel accord, qui débuteraient véritablement sous la présidence française. Monsieur le ministre, quels axes la présidence française privilégiera-t-elle concernant le contenu du futur accord ? Je pense notamment au développement des relations économiques, à l’énergie ou encore à la coopération technologique.
Pourquoi ne pas envisager aussi de supprimer à terme l’obligation de visa ? Je vous rappelle, mes chers collègues, que la Russie est, avec plus de 400 000 visas délivrés annuellement à ses ressortissants, le pays auquel la France accorde le plus grand nombre de visas, devançant les pays du Maghreb. Pourquoi ne pas créer un véritable espace de libre circulation des personnes entre l’Union européenne et la Russie ? Le ministère des affaires étrangères semble d’ailleurs y être favorable. Cela permettrait de favoriser les échanges entre les citoyens et la mobilité des étudiants et des chercheurs, ainsi que de multiplier les contacts au niveau de la société civile.
C’est aussi le meilleur moyen de faire progresser la démocratie et les droits de l’homme en Russie, ce qui constitue un élément important.
La présidence française doit donc nous permettre de donner un nouveau souffle à la politique étrangère et à la politique européenne de sécurité et de défense.
Faisons le pari que l’Union européenne peut offrir une perspective européenne aux pays des Balkans, qu’elle peut contribuer à la stabilité en Afrique, qu’elle a un rôle à jouer dans le règlement du conflit au Proche-Orient, qu’elle peut entretenir des relations étroites avec les États-Unis, mais sur un pied d’égalité, et qu’elle peut nouer un véritable partenariat stratégique avec la Russie.
Ce n’est que de cette manière que nous parviendrons réellement à faire de l’Union européenne une « Europe puissance », capable de faire entendre sa voix dans la mondialisation.
Le renforcement de la défense européenne participe également à la mise en place d’une politique étrangère commune à l’échelle européenne. Dans cette optique, il est nécessaire de clarifier la position française à l’égard de l’OTAN, comme le souhaite le Président de la République ; sinon, on ne pourra pas progresser vers une politique européenne de sécurité et de défense réellement autonome.
Cela suppose non seulement de définir clairement les objectifs et le périmètre géographique de l’OTAN, ainsi que les rapports entre cette organisation et l’Union européenne, qui constituent les deux piliers de la sécurité européenne, mais aussi de reconnaître à la Russie une place dans l’architecture de la sécurité européenne et de ne plus la considérer comme un adversaire potentiel.
La réflexion qui préside à l’élaboration du Livre blanc de la défense et de la sécurité nationale doit tenir compte de ces considérations.
Nous comptons donc sur vous, monsieur le ministre, pour faire avancer ces sujets, qui répondent à de fortes attentes des citoyens.
À cet égard, la réussite de la présidence française dépendra beaucoup – et le Président Sarkozy l’a bien compris – de la solidité de l’axe franco-allemand. N’oublions pas que, si l’Europe a pu sortir de la crise dans laquelle elle était plongée depuis deux ans, à la suite des référendums négatifs français et néerlandais sur le traité établissant une Constitution pour l’Europe, c’est grâce à la relance du couple franco-allemand. Certes, le couple franco-allemand n’est plus suffisant pour entraîner une Europe à vingt-sept, mais il en reste le seul moteur, et ne serait-ce que l’apparence d’une divergence entre la France et l’Allemagne est, à coup sûr, le plus efficace des freins à la construction européenne.
Pour terminer, je citerai Fernand Braudel : « La seule solution d’une certaine grandeur française, c’est de faire l’Europe. » (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l’UC-UDF et de l’UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Didier Boulaud.
M. Didier Boulaud. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je veux, m’associant aux propos de notre collègue Robert Hue, remercier à mon tour le président de la commission, Josselin de Rohan, d’avoir pris l’initiative de ce débat et, surtout, de l’avoir obtenu.
Nous nous réjouissons, en effet, de pouvoir débattre aujourd’hui de la politique étrangère de la France. À douze mois du début du quinquennat du Président Sarkozy, il est trop tôt pour émettre des jugements définitifs sur une action, certes controversée, mais somme toute encore naissante...
Toutefois, il est temps de dresser déjà un premier bilan d’étape, de saisir les lignes directrices de la politique extérieure du nouveau Président de la République et de donner notre avis sur les orientations qui commencent à s’inscrire dans la dure matière de la réalité.
Le temps passe, notamment celui des promesses électorales non tenues, qui s’envolent d’autant plus rapidement que les faits sont têtus et résistent aux incantations verbales.
Pour poser les premières briques de ce bilan d’étape, je concentrerai mon intervention sur trois sujets qui me paraissent représentatifs de la politique extérieure du Président.
Le premier point concerne l’exercice solitaire du pouvoir. Vous aurez remarqué que je parle volontiers de la « politique extérieure du Président » sans évoquer le ministre des affaires étrangères.
M. Jacques Blanc. Il est devant nous !
M. Didier Boulaud. Il s’agit là non point d’un fâcheux oubli, mais d’un simple constat : c’est l’Élysée qui commande, c’est l’Élysée qui propose et, souvent – infirmières bulgares, OTAN, Afghanistan –, c’est l’Élysée qui conçoit et, même, exécute la politique en choisissant lui-même les acteurs. Le domaine réservé se porte bien – trop bien à mon goût !
La personnalisation présidentielle de la politique extérieure atteint des sommets avec le nouveau locataire de l’Élysée. Et l’on voit ainsi s’envoler une promesse du candidat Sarkozy concernant la fin du « domaine réservé ».
Il est même envisagé, à l’occasion d’une prochaine réforme constitutionnelle – mais les résistances parlementaires seront fortes – d’accroître des pouvoirs du Président de la République en matière de défense et de politique étrangère.
Deuxième point : quelle est la « colonne vertébrale » de notre politique extérieure ? Quelle est la vision stratégique qui soutient l’action extérieure ? Il est difficile d’en saisir la consistance. Une politique étrangère doit non pas s’élaborer au gré de risques supposés, mais prendre en compte une vision d’ensemble du système international. On a du mal à en discerner les contours.
M. Sarkozy déclarait à la revue Politique internationale, dans l’édition du printemps 2007 : « ...je crois le temps venu de doter la diplomatie française d’une “doctrine”. Une doctrine, c’est une vision claire du monde, des objectifs de long terme et des intérêts que nous défendons. C’est un ensemble de valeurs qui guident notre action. C’est ce qui donne, dans la durée, un sens et une cohérence. C’est la condition de notre indépendance. »
On ne peut pas dire que, de Kadhafi à Ben Ali, les « valeurs » aient guidé l’action de l’Élysée.
Alors qu’il a déclaré, au printemps 2007 : « Ce n’est pas parce que la Chine et la Russie sont de très grandes puissances que l’on doit s’interdire de dénoncer les violations des droits de l’homme qui y sont commises. De ce point de vue, je dois dire que l’évolution de la Russie, ces derniers temps, me paraît préoccupante », on ne peut pas dire que le Président Sarkozy ait été très actif en la matière depuis son élection. Le responsable de la politique extérieure de la France est-il toujours inquiet de « l’évolution de la Russie » ?
De même, la « doctrine » ne sort pas renforcée d’une série de voyages d’affaires ayant amené le Président à signer des dizaines de protocoles commerciaux et de contrats millionnaires, dont on attend encore le bilan, chiffré en taux de réalisation.
Si l’on considère que le grand objectif de notre politique étrangère est de promouvoir nos intérêts économiques et commerciaux pour rendre la France plus forte dans la mondialisation, il faut le dire haut et fort, et non pas se cacher derrière des déclarations inefficaces et peu crédibles sur les valeurs et les droits de l’homme.
En revanche, on a bien enregistré le rapprochement atlantiste, les discours controversés sur les Africains, les hésitations douloureuses sur les jeux Olympiques en Chine, l’envoi de troupes en Afghanistan pour soutenir une guerre embourbée... Reconnaissez que tout cela ne dégage pas « une vision claire du monde, des objectifs de long terme et des intérêts que nous défendons ».
De surcroît, après des déclarations prônant la rupture avec une certaine politique en Afrique, des gages sont donnés aujourd’hui à des potentats africains, en tournant encore le dos à leurs peuples, toujours sacrifiés sur l’autel de la realpolitik. On a même assisté au récent déplacement, avec une promotion à la clé, d’un ministre inopportun, qui déplaisait aux dictateurs et qui avait eu, semble-t-il, l’outrecuidance de vouloir « signer l’acte de décès de la Françafrique »... (M. Charles Gautier approuve.)
Le troisième point concerne la Macédoine.
Nombre d’entre vous pourront s’étonner de m’entendre évoquer ce petit pays des Balkans.
Je le fais, d’abord, parce que j’en reviens. En fait, j’y ai déjà effectué trois séjours : le premier en tant que représentant de l’assemblée parlementaire de l’OSCE ; le deuxième, en 2005, comme membre de la délégation du Sénat pour l’Union européenne, séjour à la suite duquel j’ai été amené à rédiger un rapport sur la situation de ce pays de deux millions d’habitants ; et le troisième, voilà une semaine, en ma qualité de membre de la commission des affaires étrangères, de la défense et des forces armées. Cette mission donnera d’ailleurs lieu à un rapport qui est en cours d’élaboration.
Ensuite, si j’évoque ce pays, c’est parce qu’il constitue un excellent révélateur de notre politique étrangère, qui vient fort à propos corroborer, par l’exemple, les propos que je viens de tenir.
Monsieur le ministre, je n’en doute pas, vous connaissez bien la situation de ce pays puisque vous avez été pendant de longs mois le représentant reconnu et apprécié de l’Organisation des Nations-unies dans le Kosovo voisin. Vous n’ignorez rien de la fragilité démocratique de la Macédoine, malgré la signature des accords d’Ohrid et la mise en œuvre de la Constitution dite « Badinter », du nom de notre éminent collègue.
Avec une composition ethnique à l’image de ce que l’on rencontre souvent dans les Balkans, soit 60 % de Macédoniens, 30 % d’Albanophones et 10 % de minorités diverses, la Macédoine est coincée entre l’Albanie, la Grèce, le Kosovo – tout nouvellement indépendant et à majorité albanophone – et la Bulgarie, sans aucun accès à la mer. Deux de ses voisins sont déjà membres de l’OTAN et de l’Union européenne. Les autres aspirent à y entrer. C’est, bien sûr, aussi le cas de la Macédoine. Elle a d’ailleurs déjà avancé dans ces deux directions.
En effet, après avoir signé, en 2005, un accord de stabilisation et d’association, ASA, avec l’Union européenne, elle attend impatiemment qu’une date soit fixée pour engager les négociations en vue de son adhésion.
En ce qui concerne l’OTAN, ayant bénéficié du Plan d’action pour l’adhésion, ou MAP – Membership action plan –, la Macédoine espérait rejoindre l’Organisation, en même temps que l’Albanie et la Géorgie, lors du sommet de Bucarest, en avril dernier.
Et voilà que, patatras, lors de ce sommet, obnubilée par une douteuse affaire de dénomination portant sur la propriété du terme « Macédoine », la Grèce a opposé son veto à l’entrée de ce pays dans l’OTAN, faisant d’ailleurs peser sur lui la même menace pour la prochaine discussion sur son entrée dans l’Union européenne.
Lors du tour de table à Bucarest, personne ne s’est exprimé pour venir en aide à la petite Macédoine. Pis, la France, par la voix du Président de la République, a apporté son soutien à la Grèce dans sa démarche d’entrave à la Macédoine.
Était-il nécessaire d’en rajouter sur un tel sujet et de ternir ainsi des relations anciennes de franche amitié entre nos deux pays ? Faut-il rappeler que des dizaines de milliers de soldats français du conflit de 1914-1918 sont morts et enterrés sur cette terre de Macédoine ?
De surcroît, monsieur le ministre, les raisons évoquées ne peuvent manquer de nous laisser perplexes. Permettez-moi de vous citer l’interview donnée par le Président de la République à la presse grecque le 14 mars 2008, à Bruxelles : « J’ai indiqué que nous soutenions la position grecque. Les Grecs sont des amis. Et puis, vous savez, depuis qu’on a écrit un livre en Grèce sur “Sarkozy de Thessalonique”, je me sens obligé d’être solidaire. »
Dès lors, je m’interroge : les Macédoniens ne seraient-ils pas aussi nos amis ? Et, comme certains me l’ont malicieusement dit à Skopje, devraient-ils, eux aussi, écrire quelques livres ?
Mais la raison d’une telle attitude est plus simple : il faut « sauver le soldat Caramanlis » (Sourires), qui ne dispose que de deux voix de majorité au Parlement grec et a fait du débat sémantique sur la Macédoine un enjeu électoral.
Monsieur le ministre, le jeu en valait-il la chandelle ?
Depuis le sommet de Bucarest, qui a précipité sa décision, le Parlement de Macédoine s’est autodissous. Les prochaines élections auront lieu le 1er juin. La rivalité non éteinte entre les communautés albanophones et macédoniennes est ravivée dans ce scrutin. Les albanophones se demandent déjà si, en fin de compte, il n’aurait pas mieux valu pour eux de rester plus proches de leurs voisins et frères kosovars ou albanais ou de s’en rapprocher dans l’avenir.
En outre, pendant que la Macédoine se consacrera au processus électoral, elle perdra un temps précieux, pourtant nécessaire pour pouvoir rendre, fin septembre, un dossier complet et argumenté à Bruxelles en vue de sa future adhésion à l’Union européenne.
Monsieur le ministre, je me demande si, au Quai d’Orsay, quelqu’un est en mesure de cautionner ce choix de la France. Que s’est-il passé entre la rive gauche et la rive droite ? Aurait-on englouti les espoirs de la Macédoine dans la Seine, au risque d’introduire dans ce pays si fragile des Balkans un nouveau risque de déstabilisation, dont la région n’a nul besoin ?
Nos amis américains ne s’y sont pas trompés, eux, car ils connaissent et mesurent les enjeux. Au moment où ils sont en train d’installer l’une de leurs ambassades les plus gigantesques à Skopje, à quelques kilomètres seulement de la base aérienne déjà en place au Kosovo, ils viennent de signer un accord de partenariat bilatéral avec la Macédoine dans le domaine militaire. C’est sans doute un geste de consolation à l’égard de nos amis macédoniens, en attendant des jours meilleurs pour ce petit pays, qui espère par ailleurs tant de la France, alors même qu’aucun ministre français ne s’y est rendu depuis plus de cinq ans, quand tous les autres pays qui comptent en Europe ne cessent d’y faire défiler leurs représentants !
Monsieur le ministre, je terminerai par une recommandation et une proposition.
La défense européenne piétine. À la veille de la présidence française, j’aimerais connaître les initiatives que la France proposera à l’Europe dans ce domaine, en particulier en matière d’industrie et de recherche de défense.
Je crains que la France, avec sa politique atlantiste, ne soit pas à l’heure actuelle en position de force pour séduire ses partenaires en matière de défense européenne. Avez-vous des propositions à nous présenter, monsieur le ministre, qui offrent d’autres perspectives que la simple résignation « OTANienne » ?
Nous savons que de nouvelles coopérations sont nécessaires, notamment dans le domaine de la sécurité ; nous savons tous que nos intérêts de sécurité ne sont pas dissociables de ceux de l’Europe.
Face aux différentes menaces, telles que le terrorisme et la prolifération nucléaire, mais aussi face aux risques climatiques et industriels, la coopération européenne civile et militaire est la rançon du succès.
J’ai le sentiment que la prochaine présidence française s’annonce avare de propositions nouvelles, mais j’espère me tromper.
En tout état de cause, je vous soumets l’idée suivante : la mise en place, sous la présidence française, d’une grande réunion de concertation sur la recherche duale, civile et militaire, regroupant tous les pays qui souhaitent y prendre part, sans exclusions, mais sans fausse attente d’un unanimisme paralysant. Elle intégrerait les industriels et les syndicats, les chercheurs et les laboratoires – tous y participeraient volontiers, j’en suis sûr – et permettrait de choisir deux ou trois grands programmes structurants, duaux – civils et militaires –, d’intérêt général, touchant aux technologies du futur dans le domaine spatial.
Il faut, en effet, discuter des priorités, choisir les programmes, prévoir un budget adéquat et équitablement partagé, et le plus tôt serait le mieux, monsieur le ministre ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)