M. le président. Je suis saisi, par Mmes Le Texier, Demontès et Schillinger, MM. Godefroy, Muller et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 39 tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires sociales le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant modernisation du marché du travail (n° 302, 2007-2008).
Je rappelle que, en application de l’article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l’auteur de l’initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d’opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n’est admise.
La parole est à Mme Raymonde Le Texier, auteur de la motion. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme Raymonde Le Texier. Monsieur le président, madame la secrétaire d’État, mes chers collègues, le projet de loi qui nous est soumis constitue la première application concrète du dialogue social instauré par la loi du 31 janvier 2007 et, à ce titre, nous devrions tous pouvoir nous en réjouir ; je note d’ailleurs qu’il y a pléthore de satisfecit, mais plus particulièrement de la part du Gouvernement et du patronat.
À l’écoute plus attentive des différentes réactions, « le chœur des célébrations » nous est apparu pour ce qu’il est, c’est-à-dire beaucoup plus contrasté qu’il n’y paraît.
Mais, avant d’entrer dans le texte, parlons du contexte.
La menace d’un passage en force, par le biais d’une loi, a constamment plané sur les négociations. Même les représentants des syndicats de salariés ayant signé l’accord ont admis l’avoir fait avec la crainte, en cas d’échec, d’une loi plus dure, qui imposerait par exemple le contrat unique, fantasme du MEDEF.
Or, je le redis ici, la menace ne doit pas être le pistolet que l’on pose sur la tempe des partenaires sociaux. En tout cas, telle n’est pas notre conception du dialogue social.
Mme Patricia Schillinger. Effectivement !
Mme Raymonde Le Texier. Mais tout cela, notre collègue Christiane Demontès l’a dit avec force voilà quelques instants.
Par ailleurs, c’est la prérogative du Parlement d’examiner et de modifier ou non les textes qui lui sont soumis. Ce n’est pas parce qu’un accord interprofessionnel a été trouvé, même avec un équilibre prétendument « délicat », que le Parlement ne doit pas faire son travail. La hiérarchie des normes et des légitimités demeure claire : à son sommet, il y a la loi et le suffrage universel. Le Parlement ne peut être, ne doit être, ni un moyen de pression, ni une chambre d’enregistrement.
Madame la secrétaire d’État, je voudrais revenir sur le fameux modèle danois auquel le Gouvernement aime se référer. De la flexisécurité danoise, celui-ci n’a gardé que la plus grande facilité d’embauche et de débauche pour les entreprises. Disparues les indemnités de chômage jusqu’à 90 % de l’ancien salaire, pendant deux ans, pour les revenus les plus faibles.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
Mme Raymonde Le Texier. De la politique de l’emploi, le Gouvernement n’a gardé que l’encadrement strict des allocations chômage. Disparus les importants moyens financiers et humains au service de la formation et de la reconversion des chômeurs pourtant au cœur du dispositif danois !
M. Guy Fischer. Eh oui !
Mme Raymonde Le Texier. Oubliés aussi les propos tenus voilà quelques semaines à M. Xavier Bertrand par son homologue danois M. Frederiksen : « La seule chose que nous pouvons faire, c’est donc garantir les revenus. Si nous avions eu ce débat il y a quinze ans, j’aurais eu un discours différent car j’étais alors plus libéral que social. J’aurais dit que l’on ne doit pas avoir d’allocations chômage trop élevées. Maintenant je pense que si l’on protège les revenus, on donne confiance et ce point est essentiel. ».
Peut-être le Gouvernement actuel regrettera-t-il à son tour, dans quinze ans, d’être passé à côté de l’essentiel ? Entre- temps, ce sont les Français qui auront payé cet aveuglement idéologique ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
Ces éléments lourds de sens étant rappelés, venons-en aux raisons précises qui rendent nécessaire à nos yeux le renvoi à la commission, à travers l’examen des trois mesures phares de la loi : le contrat d’objectif, la rupture conventionnelle et les périodes d’essai.
Avant tout, ce projet de loi présente une incohérence constitutive en ce qu’il tente d’associer des contraires.
En effet, comment concilier les articles 1er et 6 ? Comment concilier la réaffirmation de la prédominance du CDI comme « la forme normale et générale du travail » avec la création d’un nouveau CDD, le contrat de mission ? Le Gouvernement prône la stabilité alors que, dans le même temps, il met en place des outils qui la sapent.
Le contrat d’objectif répondra certainement à la flexibilité d’embauche et de débauche réclamée par certains secteurs économiques. Mais, ajoutant de la précarité à la précarité, en quoi va-t-il améliorer la situation de nombre de ses bénéficiaires ?
En outre, si pour l’instant il ne concerne que 10 % des actifs – cadres qualifiés et ingénieurs –, et si l’on tente de nous rassurer en mettant en avant son caractère expérimental, il y a tout lieu de penser qu’il sera rapidement étendu à d’autres catégories professionnelles. Dans son édition du 10 avril dernier, le journal Les Échos rapportait que, lors de sa dernière assemblée, l’Association nationale des directeurs de ressources humaines proposait l’extension de ce contrat d’objectif à l’ensemble des salariés, alors même que le texte n’est pas encore voté !
Du fait de ces lacunes et imprécisions, l’article 6 mettant en place ce nouveau contrat précaire – le trente-septième ou trente-huitième, je ne sais plus – pose plusieurs problèmes qui doivent être résolus avant le vote.
Premier point : la question de la date anniversaire à partir de laquelle il est possible de rompre le contrat. Si le salarié peut être licencié dès le douzième mois, cela ne lui ouvrira bien sûr des droits aux indemnités de chômage que sur douze mois. En revanche, si la rupture du contrat ne peut intervenir avant le dix-huitième mois, cela ouvrira des droits sur vingt-trois mois. Il ne s’agit donc pas là d’un détail technique qu’il importe peu de préciser : entre douze et vingt-trois mois de droits au chômage, la différence est énorme !
En outre, si la date anniversaire est au douzième mois, doit-on comprendre qu’il y aura au vingt-quatrième mois une nouvelle opportunité de licenciement ? Au regard de ce que nous prépare le Gouvernement avec la nouvelle convention chômage, ces interrogations, madame la secrétaire d’État, doivent déjà vous paraître de luxueuses considérations.
Deuxième point : la possibilité de rupture à la date anniversaire, quelle qu’elle soit, offre pour la première fois à l’employeur l’opportunité de mettre fin à un CDD dans des conditions moins restrictives, c’est-à-dire en dehors de la faute grave ou du cas de force majeure, ce qui constitue une dose supplémentaire de précarité dans des contrats déjà précaires par définition.
Troisième point : dans la mesure où ces éléments fourniront à la jurisprudence des principes d’appréciation, il semble important de clarifier ce que peuvent être « l’événement ou le résultat d’objectif déterminant la fin de la relation contractuelle ». Cette formulation générique risque de prêter le flanc à de trop grandes interprétations.
Quatrième point : ce contrat participe à la tendance générale du recul de la primauté de la loi en matière de droit du travail, au profit des mesures contractuelles et du droit civil ; j’aurai l’occasion d’y revenir.
En effet, contrairement aux autres CDD, c’est un accord de branche ou d’entreprise qui fixera ce que le Gouvernement appelle pudiquement « les nécessités économiques auxquelles ces contrats sont susceptibles d’apporter une réponse adaptée ». En termes profanes, ce n’est donc plus la loi qui fixera les cas de recours !
Cinquième et dernier point : pour restreindre le champ d’application de ce CDD, pour qu’il ne soit pas un moyen d’embaucher et de débaucher à volonté, l’accord national interprofessionnel, l’ANI, précise que ce contrat ne peut pas être utilisé pour faire face à un accroissement temporaire d’activité. Pourquoi cette disposition de l’ANI n’est-elle pas reprise dans le projet de loi qui nous est présenté aujourd’hui ? Peut-être parce qu’il s’agit bien dans l’esprit du Gouvernement d’un contrat précaire supplémentaire et de rien de plus.
Les cinq points que je viens de mentionner mériteraient à eux seuls d’être précisés dans le cadre d’un renvoi à la commission.
Mais, au-delà, il serait intéressant que la commission considère la dimension humaine de ce projet de loi. N’est-ce pas aussi notre rôle de parlementaires ? À peine le CNE abrogé, le Gouvernement créé un nouveau CDD, qui, comme tous les contrats précaires, interdit aux salariés l’accès au crédit immobilier et donc à la propriété de leur logement, aucune banque ne voulant prêter aux travailleurs en CDD.
Quant aux locations, le problème est identique. En effet, quel propriétaire acceptera de louer son bien à une personne dont les revenus sont programmés pour s’arrêter ?
Enfin, fussent-ils cadres ou ingénieurs, a-t-on bien mesuré tout l’impact que ces dispositions vont avoir dans la vie personnelle de ces salariés soumis sans arrêt à des fins de contrats, et ne sachant jamais de quoi demain sera fait ?
Si l’on voit bien l’intérêt de l’employeur à embaucher sur contrat d’objectif, quel est l’intérêt du salarié ? Il est vrai que le fait de rester à la recherche d’un emploi pendant des mois, même à la sortie d’une école d’ingénieur, rend moins regardant sur la qualité du contrat que l’on finit par se voir proposer !
Passons maintenant à une autre disposition phare de ce projet, je veux parler de la rupture conventionnelle, que certains nomment « séparation à l’amiable ».
Dans un premier temps, il m’avait semblé que cette expression empruntée au registre des relations de couple était déplacée et inappropriée. Or, à bien y regarder, elle est au contraire éclairante.
Ainsi, dans un couple qui se sépare « d’un commun accord », nous savons bien qu’il y a toujours l’un des deux qui « est plus d’accord que l’autre » ! Dans le cas qui nous intéresse, l’employeur sera assurément celui qui sera « plus d’accord que l’autre », puisqu’il conservera, pour ainsi dire, « l’appartement, les meubles, et la voiture », le salarié, quant à lui, ne gardant que ses cliques, ses claques, plus une indemnité de chômage grâce à un amendement proposé par le groupe socialiste de l’Assemblée nationale rétablissant ce qui avait été négocié dans l’ANI, et oublié dans la loi !
Instituer la rupture conventionnelle en l’état, c’est témoigner d’une incompréhension fondamentale sur la nature de la relation de travail en ignorant, délibérément, la persistance du rapport de subordination entre le salarié et l’employeur.
M. Jean-Luc Mélenchon. Exactement !
Mme Raymonde Le Texier. En outre, la rupture conventionnelle pourrait relever du droit international du licenciement. La convention 158 de l’OIT énonce : « le terme de licenciement signifie la cessation de relation de travail à l’initiative de l’employeur ». Or, en toute logique, comme l’a expliqué Emmanuel Dockès, dans le numéro de mars 2008 de la revue Droit social, la rupture conventionnelle sur l’initiative de l’employeur s’apparentera sans équivoque à un licenciement.
Dès lors, doit-on s’attendre à ce que ce texte soit, comme le CNE, condamné par l’OIT ? Cela est tout à fait envisageable, même si nous avons bien noté que celui qui est à l’origine de la rupture n’a pas à apparaître en tant que tel dans l’accord.
Confrontée à la réalité, la « séparation à l’amiable » se révélera profondément inégalitaire. En effet, comment un employé souhaitant initier une rupture conventionnelle pourra-t-il convaincre l’entreprise de l’accepter, alors même que cela engendrera pour celle-ci un coût financier, à savoir l’indemnité de rupture ?
À l’inverse, une entreprise voulant se séparer d’un ou plusieurs employés, tout en se libérant de ses obligations de reclassement ou d’information-consultation, et surtout sans avoir à fournir de motif « réel et sérieux », aura tout loisir de faire comprendre au salarié où est son intérêt.
L’absence de motif pour justifier cette rupture de la relation de travail – licenciement qui ne dit pas son nom – constitue une dérive préoccupante. Cela revient ni plus ni moins à offrir aux entreprises la capacité de contourner la loi sur le licenciement, une nouvelle fois par le biais d’une disposition d’ordre contractuel.
Nous sortons ainsi peu à peu le droit du travail du champ de la loi pour le livrer aux aléas et déséquilibres du droit civil.
Si, depuis des générations, nous avons institué et développé un code du travail volontairement dissocié du droit civil, ce n’est pas pour rien. De ce point de vue, les « garanties » prévues par ce texte ne suffisent pas pour rééquilibrer le rapport de force qui fausse le principe même de cette rupture. Ainsi, le délai excessivement restreint de quinze jours pour le traitement du dossier et l’absence d’un représentant de la direction départementale du travail, la DDT, lors de la signature de la convention de rupture rendent uniquement formelle et tout à fait insuffisante l’homologation de la DDT, et vous le savez parfaitement, madame la secrétaire d’État !
On a bien compris que, pour les entreprises, l’intérêt essentiel de cette rupture conventionnelle était de limiter la judiciarisation des ruptures de contrats. Toutefois, s’agissant de l’intérêt des salariés, ceux-ci seront une fois de plus les dindons de la farce !
Mes chers collègues, j’en viens à l’article 2 du projet de loi et à la question des périodes d’essai.
Au regard de l’allongement substantiel, à travers ce texte, des durées de périodes d’essai, qui pourront atteindre, renouvellement compris, quatre, six ou huit mois, on est obligé de s’interroger sur ce qui peut justifier des périodes d’essai aussi longues.
À cet égard, on ne peut s’empêcher de noter la concomitance entre la disparition du CNE, condamné par l’OIT, notamment en raison de sa période d’essai de deux ans, et la volonté d’instaurer ces nouvelles périodes d’essai. S’agit-il d’une compensation, d’une solution de secours pour permettre aux employeurs de disposer encore d’une longue période pendant laquelle il leur est possible de licencier un salarié sans avoir à motiver ce licenciement ? Cela y ressemble.
Car enfin, tous ceux parmi nous qui ont travaillé dans le milieu de l’entreprise le savent bien, un bon recruteur voit en quelques jours, en quelques semaines dans certains cas, si sa nouvelle recrue est à la hauteur. Par conséquent, si ces longues périodes de précarité tolérée se révèlent disproportionnées par rapport à leur objectif d’évaluation du salarié, elles n’ont pas lieu d’être.
Je rappelle que, jusqu’à présent, les périodes d’essai dépendaient uniquement des conventions collectives de branche. Pourquoi ce passage en force ?
De même, il est prévu que les accords de branche antérieurs instituant des périodes d’essai plus courtes que celles qui sont définies à l’article 2 devront se conformer à la loi d’ici au 30 juin 2009, tandis que les accords prévoyant des périodes d’essai plus longues pourront rester en l’état ad vitam æternam.
Il s'agit véritablement d’un flagrant délit de manipulation. Quand on est dans une période d’essai de huit mois, c’est d’autre chose qu’il s’agit.
Je terminerai en pointant une seconde fois l’incohérence constitutive qui grève ce texte.
L’article 4 relatif à l’encadrement des licenciements consacre que tout licenciement, pour motif personnel ou économique, doit être fondé sur une cause réelle et sérieuse, et que celle-ci est portée à la connaissance du salarié, alignant ainsi le droit national sur les impératifs de la convention 158 de l’OIT.
Il s’agit là de réaffirmer que le licenciement ne se fait pas à la légère. Pourtant, les principales dispositions de ce texte disent le contraire et facilitent les licenciements.
Les CDD à objet défini offrent pour la première fois à l’employeur, à la date anniversaire, la possibilité de licencier le salarié même s’il n’y a pas faute grave ou cas de force majeure. Les licenciements déguisés de la rupture conventionnelle se feront sans motif. Les périodes d’essai, pouvant aller jusqu’à huit mois, changent de nature et se transforment en ersatz des CNE défunts.
On constate clairement que l’axe directeur de ce projet de loi est, au mieux, le contournement, au pire, la déconstruction des barrières législatives encadrant le licenciement.
Cette majorité, dans une négociation du pire, a concocté un texte démantelant le cadre législatif du licenciement. Les salariés se trouvent pris en otage en raison de votre incapacité manifeste à sortir d’une pensée unique : la sacro-sainte flexibilité comme panacée au problème de l’emploi.
On comprend bien que les partenaires sociaux aient considéré cette négociation comme une occasion de mieux contrôler les abus et les dysfonctionnements dont ils sont témoins. On comprend aussi qu’ils aient surtout été sensibles à vos pressions. Ils vous connaissent bien, ils savent que vous pouvez faire pire. (M. le président de la commission des affaires sociales s’esclaffe). Il suffit d’entendre, à propos de ce texte, les commentaires des parlementaires les plus libéraux.
Mme Annie David. Tout à fait !
Mme Raymonde Le Texier. Madame la secrétaire d'État, ce texte est plus flexible pour le patronat que sécurisant pour les salariés, et son équilibre annoncé est un leurre. La démocratie sociale, dont vous semblez vous réjouir, doit être une avancée, pas un marché de dupes !
Afin de clarifier les principales zones d’ombre que nous avons mises en évidence, nous demandons le renvoi de ce texte à la commission. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l’avis de la commission ?
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Ma chère collègue, vous nous avez offert un bel éloge de la rigidité du marché du travail, que nous entendons justement fluidifier !
M. Jean-Luc Mélenchon. Cela promet !
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Je ne peux suivre votre raisonnement.
Tout d'abord, nous avons beaucoup travaillé en commission. Nous avons reçu tous les syndicats signataires de l’accord, et je me demande ce qu’ils penseraient s’ils lisaient le compte rendu des propos que vous venez de tenir. Ils se demanderaient à quoi ils servent, si leur signature aboutit aux résultats que vous venez de décrire ! (Mme Raymonde Le Texier s’exclame.)
Ensuite, je rappelle que nous avons reçu aussi les syndicats qui n’ont pas signé l’accord. Nous avons écouté attentivement les arguments des représentants de la CGT. Je leur ai demandé d'ailleurs s’ils auraient signé s’ils avaient obtenu satisfaction, et ils étaient très embarrassés pour me répondre. (Sourires sur les travées de l’UMP et de l’UC-UDF.)
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Ils ne pouvaient pas répondre !
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Il me semble que, même dans ce cas, ils n’auraient pas signé cet accord !
M. Jean-Luc Mélenchon. Ne spéculez pas sur les intentions des gens !
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Nous devons également prendre en considération cette attitude.
M. Jean-Luc Mélenchon. Respectez la démocratie sociale !
M. Pierre Bernard-Reymond, rapporteur. Outre les organisations patronales et syndicales, j’ai reçu personnellement les représentants du portage salarial, de l’intérim et des avocats. Et bien entendu, nous avons tous écouté attentivement le ministre M. Xavier Bertrand.
Madame Le Texier, vous avez évoqué les éminents professeurs de faculté que nous n’aurions pas reçus. Toutefois, nous avons tous pu consulter les revues où ils s’étaient exprimés, et leurs appréciations sont très diverses. Vous avez cité un professeur de Lyon très hostile au projet de loi, mais d’autres universitaires lui sont très favorables.
Je ne vois donc pas ce que pourrait apporter la prolongation de notre discussion en commission, qui, au demeurant, nous empêcherait de débattre ici même de ce texte, en répondant, article après article, à tous les arguments que vous avez présentés.
Aussi, la commission émet un avis défavorable sur cette motion. (Applaudissements sur les travées de l’UMP. – Mme Muguette Dini applaudit également.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 39, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. La parole est à M. le président de la commission.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Mes chers collègues, je vous indique que la commission des affaires sociales va se réunir immédiatement afin d’examiner les amendements au présent projet de loi.
MM. Daniel Raoul et Jean-Pierre Godefroy. Salle Gaveau ? (Sourires.)
M. le président. Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à vingt et une heures trente.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-huit heures cinquante-cinq, est reprise à vingt et une heures quarante.)
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d’urgence, portant modernisation du marché du travail.
Nous en sommes parvenus à la discussion des articles.
Article 1er
I. - L'article L. 1221-2 du code du travail est ainsi modifié :
1° Le premier alinéa est ainsi rédigé :
« Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail. » ;
2° Dans le dernier alinéa, les mots : « il peut » sont remplacés par les mots : « le contrat de travail peut ».
II. - Le livre III de la deuxième partie du code du travail est ainsi modifié :
1° L'article L. 2313-5 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« En l'absence de comité d'entreprise, l'employeur informe les délégués du personnel, une fois par an, des éléments qui l'ont conduit à faire appel au titre de l'année écoulée, et qui pourraient le conduire à faire appel pour l'année à venir, à des contrats de travail à durée déterminée et à des contrats de mission conclus avec une entreprise de travail temporaire. » ;
2° Après le premier alinéa de l'article L. 2323-47, il est inséré un alinéa ainsi rédigé :
« À cette occasion, l'employeur informe le comité d'entreprise des éléments qui l'ont conduit à faire appel au titre de l'année écoulée, et qui pourraient le conduire à faire appel pour l'année à venir, à des contrats de travail à durée déterminée et à des contrats de mission conclus avec une entreprise de travail temporaire. » ;
3° L'article L. 2323-51 est complété par un 3° ainsi rédigé :
« 3° Des éléments qui l'ont conduit à faire appel au titre de la période écoulée, et qui pourraient le conduire à faire appel pour la période à venir, à des contrats de travail à durée déterminée et à des contrats de mission conclus avec une entreprise de travail temporaire. »
M. le président. La parole est à Mme Annie David, sur l'article.
Mme Annie David. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, bien qu’il reprenne l'article 1er de l’accord national interprofessionnel, l’article 1er de ce projet de loi ne nous convient pas en l’état. Je défendrai d’ailleurs dans un instant avec mon collègue Guy Fischer, au nom du groupe communiste républicain et citoyen, un certain nombre d’amendements à ce sujet.
Selon un adage très connu, les promesses n’engagent que ceux qui les écoutent. Or, nous en conviendrons tous, la loi n’est théoriquement pas un recueil de promesses : elle est une règle de conduite à laquelle nous sommes toutes et tous tenus de nous conformer, qui permet de vivre ensemble et dont l’État garantit, par différents outils, le respect et l’application.
Pour autant, l’article 1er du projet de loi fait obstacle à cette définition, dont les principaux éléments sont pourtant précisés dans un très célèbre dictionnaire juridique, le « Cornu ».
En effet, cet article reste malheureusement une simple et pure déclaration de principe : « Le contrat de travail à durée indéterminée est la forme normale et générale de la relation de travail. » Pourtant, en 2000 déjà, la norme d’emploi correspondant au CDI à temps plein ne concernait que 56 % de la population active.
Comment expliquer alors que près de 50 % de nos concitoyens en activité professionnelle ne soient pas concernés par une norme pourtant générale ? Nous pouvons donc nous interroger sur l’efficacité d’une disposition législative qui est censée viser tout le monde et qui ne concerne en réalité que la moitié de la population active.
La réalité est connue de tous : l’emploi stable, c’est-à-dire le CDI à temps plein, n’a jamais été généralisé. En fait, depuis les années soixante, pour satisfaire aux exigences de plus en plus fortes de l’économie de marché, la relation de travail n’a cessé de perdre de sa stabilité. Cette dernière était pourtant justifiée par l’existence d’une présente et prégnante subordination de l’employé à l’employeur. Parce que le salarié est subordonné à l’employeur, il lui faut impérativement des règles claires, le protégeant de l’arbitraire.
Or, depuis un certain temps, un double mécanisme vient contredire ce principe.
C’est d’abord et avant tout l’exigence d’une grande autonomie. L’entreprise exige des salariés – des stagiaires aussi, d’ailleurs – une autonomie d’action et de gestion toujours plus importante avec, à la clé, un impératif de résultat dont le salarié est seul responsable. Pour autant, le lien de subordination ne s’amenuise pas. Il existe et se renforce dans des formes différentes de celles qui étaient connues hier, principalement axées autour de la culture de la réussite et de la culpabilisation de ce qui apparaît comme un échec pour l’employeur.
Alors que l’on demande au salarié d’être à la fois plus productif et plus autonome, dans le même temps, on renie ses droits, multipliant le recours aux contrats atypiques et au temps partiel.
En outre, les législations théoriquement protectrices, censées – comme le précisait le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale issu du rapport de Virville – « mobiliser l’emploi », se sont en fait révélées des politiques de contournement de la règle générale.
Conséquence logique, une nouvelle forme de précarité s’est installée, très connue dans le domaine de l’aéronautique : la sous-traitance, voire la co-traitance, qui ressemble d’ailleurs au portage salarial, sujet sur lequel nous reviendrons ultérieurement.
Depuis l’adoption de la loi Madelin en 1994 et l’instauration d’une présomption d’indépendance, les entreprises peuvent externaliser virtuellement une entreprise ou une part de son activité. Peu importe alors que cette entreprise ne travaille qu’avec une société, ses salariés sont indépendants de la société cliente. Ils sont aussi les premiers licenciés quand les crises économiques – les mutations, puisque c’est le terme que vous préférez employer, monsieur le ministre – surviennent. Les entreprises sous-traitantes recourent donc, de manière très importante, à l’emploi précaire, qu’il s’agisse du temps partiel ou de l’intérim.
Si nous doutons des résultats de cet article 1er, monsieur le ministre, c’est parce que vous persistez à refuser de donner à cette loi les moyens législatifs d’être incontournable.
Vous avez par exemple refusé, lors de l’examen du projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2008, comme lors de la discussion du projet de loi pour le pouvoir d’achat, de moduler le taux des cotisations sociales payées par les employeurs en fonction de la précarité des emplois créés. Ce dispositif est pourtant appliqué aux États-Unis en matière d’assurance chômage depuis des années. Vous avez réservé le même sort à nos amendements visant à limiter le recours aux contrats dits « atypiques », afin d’éviter notamment que ces contrats soient plus nombreux que les CDI.
Vous refusez également de renforcer le rôle des délégués et des représentants du personnel en les dotant de réels moyens de contrôle et de décision sur les politiques sociales des entreprises.
Loin des positions dogmatiques des tenants d’une économie libérale qui appelle à toujours plus de souplesse de la part des salariés, nous défendrons sur cet article un certain nombre d’amendements visant à protéger réellement la valeur centrale et générale du contrat à durée indéterminée. Il s’agit pour nous de satisfaire à une double exigence : faire cesser le transfert de prise de risque de l’entrepreneur sur le salarié et permettre l’émergence d’une réelle démocratie sociale d’entreprise.