M. Michel Charasse. Exact !
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Absolument !
M. Jean-Marc Todeschini. Aussi, je rappelle que cet amendement à la loi sur la décentralisation de 2004 a été voté au Sénat dans la plus grande perplexité ; la commission des lois ayant préféré ne pas se prononcer sur le fond, le Gouvernement a donné son accord avec un empressement suspect. Nos collègues de l'Assemblée nationale n'avaient pu en débattre, le Gouvernement ayant fait usage de l'article 49-3 de la Constitution pour faire adopter le texte.
Ainsi, une disposition qui n'avait fait l'objet que d'une discussion rapide au Sénat, sans débat à l'Assemblée, s'est trouvée promulguée et pose aujourd'hui non seulement un problème juridique et constitutionnel, mais encore un problème financier incommensurable pour bon nombre de communes.
La représentation nationale ne peut se satisfaire de la situation actuelle, qui pose indirectement la question de la protection et de la promotion de l'école primaire publique, école de la République, ouverte à tous et dispensant un enseignement gratuit et laïque.
Le groupe socialiste veut rétablir un équilibre rompu par l'article 89, au détriment de l'enseignement public et en faveur de l'enseignement privé. Ledit article prévoit, en effet, le financement automatique, sans conditions, des écoles privées par les communes d'accueil, alors que celui des écoles publiques se fait sous conditions. Cette disposition crée un déséquilibre, que nous voulons corriger. Telle est la seule modification que nous demandons.
Dans cet hémicycle, tout le monde s'accorde à reconnaître que la réflexion et les aménagements de la disposition actuelle sont nécessaires. C'est pourquoi je regrette le caractère un peu idéologique du rapport de notre collègue Jean-Claude Carle.
Pour toutes les raisons que je vous ai exposées, c'est-à-dire pour être en conformité avec la Constitution, pour respecter l'équité, pour ne pas peser trop lourdement sur les budgets des petites communes rurales, pour simplifier notre droit et, enfin, pour éviter de rallumer la guerre scolaire, je vous propose de voter en faveur de la proposition de loi, dont l'article unique prévoit l'abrogation de l'article 89 de la loi du 13 août 2004. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Claude Carle, rapporteur de la commission des affaires culturelles. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, l'école est, à n'en pas douter, une passion républicaine. Mais cette passion, bien que vive et partagée par chacun d'entre nous, ne doit pas venir troubler notre jugement, au risque de réveiller ainsi des craintes anciennes, heureusement éteintes.
Lors de l'examen d'un tel sujet, notre premier souci doit être de retrouver la sérénité qui préside si souvent à nos échanges et qui a toujours fait la sagesse du Sénat.
C'est ce souci d'aborder avec sérénité cette question délicate qui avait amené la commission des affaires culturelles à se pencher sur ce texte avant même qu'elle soit saisie de la proposition de loi de notre collègue Jean-Marc Todeschini et de plusieurs autres sénateurs.
Ainsi, notre collègue Annie David, auteur et rapporteur d'une proposition de loi identique lorsqu'elle siégeait encore au sein de notre commission, avait commencé à étudier les questions soulevées par l'article 89 de la loi du 13 août 2004.
Je voudrais donc, tout d'abord, saluer la très grande qualité du travail qu'elle avait accompli, dont elle avait rendu compte à notre commission, avant de la quitter pour rejoindre celle des affaires sociales. Ces travaux ont en effet permis d'enrichir les réflexions de notre commission et d'aborder avec plus de recul le texte que nous examinons aujourd'hui.
À mes yeux, ce recul est le meilleur gage de la sagesse de nos travaux, une sagesse qui, mes chers collègues, exige avant tout que nous ne séparions pas l'article 89 de la loi du 13 août 2004 de tout l'édifice juridique et politique qu'il vient compléter et même parachever.
Cet édifice est empreint d'équilibre, car il est fondé sur deux principes constitutionnels, dont le respect s'impose au législateur.
Le premier d'entre eux concerne la liberté de l'enseignement, dont le Conseil constitutionnel a admis qu'elle constituait l'un des principes fondamentaux reconnus par la loi de la République, consacrés par le préambule de la Constitution de 1946.
Le second vise l'organisation d'un enseignement public, gratuit et laïque, dont le même préambule, qui a aujourd'hui encore valeur constitutionnelle, fait l'un des principes particulièrement nécessaires à notre temps, pour reprendre les termes même de notre charte fondamentale.
Chaque fois que nous abordons la question des rapports entre école publique et école privée, nous devons garder à l'esprit ces deux principes et veiller à les concilier, sans jamais sacrifier l'un à l'autre.
Cette exigence, le Conseil constitutionnel l'a rappelée par deux fois au législateur, lorsque celui-ci s'est avisé de l'oublier, en 1985 et en 1994.
Et par deux fois, ce fut aussi la France entière qui exigea des majorités d'alors qu'elles ne rallument pas une guerre scolaire que ce précieux équilibre avait permis d'éteindre.
Cette leçon, mes chers collègues, nous nous devons aussi de ne pas l'oublier, et il nous revient, à notre tour, de faire preuve de mesure, de cette juste mesure qui, aux yeux d'Aristote comme de Confucius, est la marque éternelle de la sagesse.
C'est ce souci d'équilibre qui a permis à la loi Debré, dont les dispositions essentielles sont toujours en vigueur, d'apaiser les tensions scolaires qui, des années durant, ont traversé notre pays. Cet équilibre s'est construit autour d'un principe simple, le principe de parité : lorsqu'une école privée accepte de se soumettre, par contrat d'association, aux mêmes obligations pédagogiques qu'une école publique, elle a droit au même soutien financier.
Ce principe trouve notamment sa traduction dans l'article L. 442-5 du code de l'éducation, aux termes duquel « les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public ».
C'est en vertu de ce principe que les communes sont tenues de financer les dépenses de fonctionnement des écoles primaires publiques et privées sous contrat d'association situées sur leur territoire. Ce principe n'a jamais été remis en cause. Bien au contraire, le législateur s'est efforcé, au fil des ans, d'assurer le plein respect de cet équilibre.
C'est pourquoi la loi du 22 juillet 1983, adoptée à une époque où la majorité était peu suspecte d'accorder des avantages indus aux écoles privées, a prévu que, comme cela se faisait et se fait encore pour le public, les communes dont les enfants fréquentent une même école privée sous contrat d'association doivent s'entendre pour répartir entre elles les charges de fonctionnement de l'établissement.
Cette obligation, l'article 89 ne l'a donc en rien créée : en 2004, elle était déjà inscrite dans la loi depuis vingt et un ans. Le Sénat a simplement décidé de la rendre effective.
Car, si la loi du 22 juillet 1983 prévoyait l'obligation pour les communes de résidence des élèves de participer au financement des écoles privées sous contrat d'association extérieures, elle ne permettait pas de trancher les éventuels désaccords entre les communes sur le montant de leur contribution respective, et aucune sanction n'était prévue à l'endroit d'une éventuelle commune récalcitrante.
L'obligation, bien que prévue par la loi depuis vingt et un ans, resta donc lettre morte. Bien sûr, certaines communes d'accueil ou de résidence prirent en charge les frais de fonctionnement concernés. Mais il arrivait aussi que nul ne veuille les acquitter. Ainsi, la scolarité d'un certain nombre d'élèves inscrits dans une école privée sous contrat d'association aurait dû être prise en charge par une ou plusieurs collectivités, mais, de fait, ne l'était par personne.
C'était là, vous en conviendrez, mes chers collègues, une situation bien peu satisfaisante et parfaitement contraire aux principes mêmes de la loi Debré. Elle l'était d'autant plus que, pour les écoles publiques, la loi prévoit que, en cas de désaccord entre communes, le préfet tranche le différend et répartit les charges de fonctionnement entre elles.
Cet arbitrage préfectoral, prévu par l'article L. 212-8 du code de l'éducation, permet de garantir qu'il y aura toujours une ou plusieurs collectivités pour prendre en charge les dépenses de fonctionnement d'une école primaire publique.
De l'existence de cet arbitrage préfectoral pour les écoles publiques et de son absence pour les écoles privées découlait une inégalité que rien, ni des raisons de principe ni des circonstances particulières; ne pouvait justifier. Des élèves, des familles et des contribuables étaient ainsi inégalement traités, et cette inégalité ne venait pas seulement dessiner une ligne de fracture entre écoles publiques et privées, elle traversait aussi les écoles privées.
Si un enfant fréquentait une école privée sur le territoire de sa commune, les charges de fonctionnement qu'il occasionnait étaient obligatoirement prises en charge, mais s'il fréquentait une école privée en dehors de sa commune, elles ne l'étaient pas.
Par un paradoxe étonnant, ce déséquilibre, manifestement défavorable aux écoles privées, pouvait aussi peser sur les écoles publiques. Pour un maire, il était en effet tentant de conseiller aux familles d'inscrire leurs enfants dans une école privée voisine et non dans une école publique. La raison en était simple : dans le premier cas, sa commune n'avait rien à payer ; dans l'autre, elle y était contrainte.
C'est ce double déséquilibre qui a conduit notre collègue Michel Charasse à proposer cet amendement. Après que le gouvernement d'alors lui eut donné un avis favorable, le Sénat l'a adopté, et à l'unanimité, me semble-t-il. Cette disposition ne faisait qu'assurer le parallélisme des formes.
L'article 89 de la loi du 13 août 2004 permet en effet de rétablir l'équilibre là où il était compromis. Il étend au financement des écoles privées sous contrat d'association le principe d'un arbitrage par le préfet des éventuels désaccords entre les communes.
Ce faisant, il garantit qu'un forfait communal sera versé pour chaque enfant, où qu'il soit domicilié et quelle que soit l'école qu'il fréquente, qu'elle soit publique ou privée sous contrat d'association.
Cela est parfaitement conforme à l'esprit de la loi Debré, puisqu'il s'agit, ni plus ni moins, de faire effectivement respecter l'exigence de parité dans toutes ses dimensions.
De plus, l'article 89 précise que le préfet tient compte, dans son arbitrage, des ressources de la commune de résidence, ce qui lui permet de proportionner la participation de celle-ci à ses capacités financières et d'éviter ainsi qu'une petite commune rurale n'ait à acquitter des sommes manifestement excessives.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Oui !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Dans son principe, l'article 89 me paraît donc indiscutable et ne peut être récusé qu'à la condition de balayer avec lui l'équilibre institué par la loi Debré. Ce peut être un choix, mais ce n'est ni le mien, ni celui de la commission, ni, j'en suis sûr, celui de la majorité de nos compatriotes.
D'où viennent alors les malentendus et les désaccords que l'adoption de cet article a pu susciter ? Car, il est inutile de le nier, les dispositions dont il est aujourd'hui question ont fait couler beaucoup d'encre et ont éveillé bien des inquiétudes.
Cette confusion trouve son origine dans une incertitude apparente : l'article 89 ne fait-il pas plus que rétablir l'équilibre entre public et privé ? N'est-il pas plus favorable au privé ?
Les raisons qui ont pu faire naître un tel doute tiennent au fait que, pour encadrer l'arbitrage préfectoral en cas de désaccord au sujet d'une école publique, le législateur a prévu des conditions explicites qui, si elles sont réunies, contraignent la commune de résidence à participer au financement de l'école publique ou, au contraire, l'exonèrent de toute participation.
Ainsi, si la commune de résidence dispose des capacités d'accueil suffisantes dans ses écoles publiques, elle ne peut être tenue d'y participer, sauf à ce que le maire, préalablement consulté par les parents, ait donné son accord à l'inscription d'un enfant dans une école publique extérieure.
De même, si la commune de résidence ne dispose pas d'un service de garde, alors que les parents en ont impérativement besoin, ou si l'enfant en question doit être scolarisé ailleurs pour des raisons médicales, ou bien encore si son frère ou sa soeur sont déjà scolarisés dans la commune extérieure où est située l'école, la commune de résidence est tenue de participer au financement.
Or l'article 89 ne reprend pas explicitement ces conditions pour les appliquer aux écoles privées. C'est un oubli, et notre collègue Michel Charasse a rappelé à de nombreuses reprises qu'il souhaitait à l'origine le rendre applicable aux seuls cas où la commune de résidence ne disposait pas, ou plus, d'une école.
Cette lacune apparente a pu laisser penser qu'une commune pourrait être tenue de payer pour un enfant scolarisé dans une école privée extérieure, alors qu'elle ne le serait pas pour un enfant inscrit dans une école publique.
L'article 89 conduirait ainsi à un nouveau déséquilibre, qui serait, cette fois-ci, défavorable à l'enseignement public.
Mais, mes chers collègues, cette interprétation ne peut pas être retenue, et d'abord parce qu'elle serait sans doute contraire à la Constitution en privilégiant la liberté de l'enseignement aux dépens de l'organisation d'un service public, gratuit et laïque. Or le Conseil constitutionnel a été saisi de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales et n'a pas censuré l'article 89. Pourtant, si tel avait été réellement le sens de cet article, il n'aurait pas manqué de soulever d'office son inconstitutionnalité, comme il a l'habitude de le faire.
Ensuite, cette interprétation ne peut être retenue parce qu'il est constant qu'une disposition légale ne s'interprète jamais isolément, mais doit voir son sens accordé avec l'ensemble du droit en vigueur.
Or, aux termes de l'article L. 442-5 du code de l'éducation, « les dépenses de fonctionnement des classes sous contrat sont prises en charge dans les mêmes conditions que celles des classes correspondantes de l'enseignement public ». L'article 89 doit donc également être lu à la lumière de ces dispositions.
Ainsi, les conditions prévues pour le public doivent être reprises pour le privé dès lors qu'elles ne sont pas explicitement incompatibles avec le principe de la liberté de l'enseignement, qui interdit, par exemple, qu'une famille doive recueillir l'autorisation du maire pour inscrire son enfant dans une école privée.
C'est cette interprétation de l'article 89 qui s'est largement imposée, et qui a été reprise dans les deux circulaires publiées par les ministres concernés, lesquelles précisent explicitement que « conformément au principe de parité qui doit guider l'application de la loi, la commune de résidence doit participer au financement de l'établissement privé sous contrat dans tous les cas où elle devrait participer au financement d'une école publique qui accueillerait le même élève ».
Cette précision est à l'évidence de nature à lever toutes les inquiétudes sur l'effet éventuel que pourrait avoir l'article 89 sur le principe de parité.
De plus, et afin de rassurer définitivement tous ceux qui s'en inquiétaient, le Sénat a pris l'initiative, grâce à nos collègues Paul Girod et Yves Détraigne, d'encadrer le dispositif issu de l'article 89 à l'occasion de l'examen du projet de loi d'orientation pour l'avenir de l'école.
La loi garantit désormais que les communes ne pourront en aucun cas payer plus par élève pour les écoles privées que pour les écoles publiques.
Cette précision, parfaitement convergente avec l'interprétation développée par les deux circulaires, est aussi inspirée par le souci de rappeler que l'article 89 ne peut se lire indépendamment du principe de parité, également consacré par la loi.
Je viens d'évoquer le fait que deux circulaires ont été publiées. En effet, la première, annulée pour de pures raisons de forme, a dû être remplacée par une seconde, car elle avait été signée par les directeurs de cabinet des ministres, et non par les directeurs d'administration centrale concernés, comme cela aurait dû être le cas. Une seconde circulaire a donc été publiée le 27 août 2007, qui reprend l'essentiel du texte de la première. Celle-ci n'ayant pas été annulée pour des raisons de fond, il n'y avait aucune raison de ne pas publier de nouveau le même texte, mais, cette fois-ci, avec les bonnes signatures.
C'est donc bien cette lecture de l'article 89, éclairée par le principe de parité, qui a été retenue par les ministères et qui est à présent mise en oeuvre par les préfets.
Il reste, c'est vrai, que tous ne s'accordent pas sur cette interprétation. Certains, de part et d'autre, aimeraient voir retenue la lecture de l'article 89 qui prévaut lorsqu'il est sorti de son contexte. Pour les uns, la promotion de cette lecture que l'on pourrait dire « dure » va dans le sens des écoles privées ; pour les autres, elle permet de réclamer l'abrogation de dispositions apparemment déséquilibrées.
C'est pourquoi la seconde circulaire a été, comme la première, attaquée devant le Conseil d'État, donnant ainsi l'occasion à ce dernier de se prononcer dans les mois à venir sur le fond du différend.
Dans l'attente de cette décision, les différents partenaires sont convenus de continuer à faire ce qu'ils font déjà depuis 2006, depuis la signature d'un protocole d'accord provisoire élaboré sous l'égide du ministre de l'intérieur d'alors, Nicolas Sarkozy : ils appliquent l'article 89 tel qu'il est éclairé par les circulaires et font avant tout prévaloir l'esprit de concertation.
C'est cet esprit qui, pour l'heure, prévaut partout, ou presque, comme me l'ont d'ailleurs confirmé les partenaires concernés que j'ai auditionnés.
La rareté du nombre de contentieux en est d'ailleurs, mes chers collègues, la meilleure preuve : dix-neuf contentieux seulement dans toute la France, pour plus de 5 400 écoles privées, soit, en moyenne, quatre cas vraiment litigieux pour 1 000 écoles privées.
Je le sais, cette application pacifiée tient aussi à l'esprit de responsabilité des maires, toujours soucieux de respecter la loi. Elle trouve également son origine dans la modération dont font preuve la plupart des écoles privées.
Mes chers collègues, combien de lois avons-nous voté qui permettent de régler sereinement 99,6 % des situations ? Peu de textes peuvent se prévaloir d'un tel résultat !
Aussi, rien ne me semble exiger l'abrogation immédiate et inconditionnelle d'une disposition dont le principe est incontestable et dont la mise en oeuvre se fait à présent dans des conditions satisfaisantes.
Au demeurant, je me dois de le souligner, le développement de l'intercommunalité permettra aussi de régler une large part des rares difficultés existantes, en faisant disparaître dans la majorité des cas la pertinence de la distinction entre commune d'accueil et commune de résidence, du moins lorsque l'EPCI en question est compétent en matière d'écoles primaires. Cet état de fait explique également le faible nombre de contentieux.
Tant que le Conseil d'État n'aura pas statué, il me semble donc inutile de remettre en cause ou de modifier des dispositions qui, pour l'heure, font l'objet d'un compromis juridiquement fondé et politiquement équilibré.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. C'est évident !
M. Jean-Claude Carle, rapporteur. Ce n'est qu'une fois que le juge administratif se sera prononcé que nous pourrons éventuellement, si cela s'avère nécessaire, clarifier définitivement la formulation de la loi. Mais, en tout état de cause, il n'est pas aujourd'hui nécessaire de rouvrir une question qui fait désormais l'objet d'un large accord.
Le temps a, en effet, fait son oeuvre ; les incompréhensions et les tensions se sont apaisées. Désormais, le dispositif fonctionne et le Conseil d'État aura, d'ici peu, l'occasion de se prononcer. Bref, rien n'a paru devoir exiger l'adoption de cette proposition de loi.
En conséquence, la commission a décidé d'en préconiser le rejet. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Yannick Bodin.
M. Yannick Bodin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je commencerai, pour ma part, par rappeler l'histoire récente de l'évolution des pratiques de financement de l'enseignement en France, afin de mieux mesurer ensuite l'impact politique de cet article 89 de la loi du 13 août 2004 relative aux libertés et responsabilités locales.
Une première période démarre dès après les grandes lois scolaires de 1881 et 1882. Pendant de nombreuses années, un slogan dominait le débat idéologique : « Argent public, école publique ; argent privé, école privée ».
Après plusieurs années de troubles, dues essentiellement à l'hostilité de Rome à l'égard de la République et son combat mené contre la loi de 1905, l'existence des nombreux établissements privés, confessionnels ou non, n'est plus remise en question, et la liberté de l'enseignement est garantie par les lois de la République. Le combat laïc porte alors sur la question du financement de ces établissements.
À partir de 1945, cette question fait l'objet de nombreux débats publics qui aboutiront à loi de Debré en 1959. L'article 1er de cette loi rappelle que la création d'un enseignement public est un devoir de l'État, puis il définit et organise les rapports entre l'État et les établissements privés. Pour les établissements sous contrat d'association, l'enseignement est alors aligné sur celui des écoles publiques et, en contrepartie, l'État assure les dépenses de fonctionnement sur les mêmes bases que les établissements publics.
Cette loi a connu à l'époque, et à juste titre, une forte opposition. Elle a d'ailleurs également soulevé l'opposition de la hiérarchie catholique, qui voyait remise en cause son indépendance en matière d'enseignement.
Une longue période de paix scolaire et d'apaisement politique va pourtant s'installer ensuite. Il y aura même, pendant les gouvernements de François Mitterrand, des accords d'apaisement supplémentaires, signés entre l'éducation nationale et la direction de l'enseignement catholique. Souvenons-nous des accords Lang-Coupé !
Mais l'équilibre est fragile.
Si, en 1984, le projet de loi Savary d'un « grand service unifié et laïque d'Éducation nationale » n'aboutit pas, en 1993 la proposition par un gouvernement de droite de réformer la loi Falloux a été combattue et enterrée.
Aujourd'hui, les convictions demeurent, mais un modus vivendi semble avoir été trouvé.
Pour preuve, les initiatives prises par les communes et ensuite les départements et les régions, de gauche comme de droite, grâce aux lois de décentralisation, sont bien souvent étendues à l'ensemble des collèges et des lycées publics et privés. Je prendrai pour exemple la gratuité des livres, l'équipement des élèves de l'enseignement professionnel, l'aide à la cantine, les projets éducatifs, les bourses aux élèves ou encore le partenariat dans l'élaboration des schémas de formation.
Pourquoi faut-il alors qu'un article de la loi du 13 août 2004 remette en cause ce fragile équilibre ? Bref, pourquoi ouvrir à nouveau la boîte de Pandore ?
L'auteur de l'article 89, que je salue, a sans doute cru bien faire. L'objet de l'article 89, en étendant le principe de la contribution aux cas de scolarisation dans le privé, était d'éviter que les maires de certaines communes n'encouragent les parents à envoyer leurs enfants vers des écoles privées de communes voisines, plutôt que vers leurs écoles publiques ou celles de communes voisines, afin d'éviter toute charge financière à leur municipalité.
M. Michel Charasse. Exact !
M. Yannick Bodin. À l'évidence, cela a entraîné des effets pervers qui, aujourd'hui, préoccupent une grande majorité des communes de France.
La question fondamentale est celle-ci : pourquoi accorder à l'enseignement privé des droits nouveaux, droits qui, par ailleurs, sont soumis à des conditions très strictes lorsqu'elles concernent des établissements publics ?
Vous le savez, les communes n'ont obligation de financer les écoles publiques d'une autre commune que lorsqu'elles ne peuvent scolariser leurs enfants sur leur territoire. M. Jean-Marc Todeschini l'a rappelé tout à l'heure, les conditions pour cela sont précises : que la commune ne possède pas d'école publique susceptible d'accueillir les enfants, que le maire de la commune de résidence ait donné son accord préalable à l'inscription de l'enfant et que des raisons médicales, professionnelles ou familiales justifient la scolarisation de l'enfant dans une autre commune. C'est l'article L. 212-8 du code de l'éducation.
Avec l'article 89, le principe de la contribution à l'enseignement privé ne reprend pas les conditions applicables à l'école publique. Il va sans dire que, sans ces mêmes conditions, l'égalité entre l'enseignement public et l'enseignement privé est largement rompue.
Pis, sur le terrain, il en résulte un profond déséquilibre dont beaucoup d'élus se sont émus, puisque c'est en effet une atteinte au principe de laïcité.
Il est d'ailleurs significatif de constater qu'un grand nombre de communes ou bien ne remplissent pas aujourd'hui cette obligation légale ou bien annoncent qu'elles ne le feront pas. Si le nombre de contentieux n'est pas énorme à ce jour, je le reconnais, monsieur le rapporteur, je crains qu'il ne cesse de grandir au fur et à mesure des exigences de l'enseignement privé et de l'exaspération des communes concernées.
Il ne s'agit pas, vous le comprenez bien, d'une question politicienne, puisque ce refus de se conformer à cet article de la loi d'août 2004 concerne aussi bien des communes de droite que des communes de gauche. J'en veux pour preuve l'attitude exprimée par l'Association des maires de France.
Dans mon propre département, la Seine-et-Marne, devant l'émoi fortement exprimé par les maires lors de leurs deux derniers congrès annuels, notre collègue Michel Houel, président de l'Union des maires de Seine-et-Marne, s'est exprimé fortement. Je le reconnais et je l'approuve !
Selon lui, « ce texte annonce une série de conflits entre les communes et les établissements privés ». Il estime de plus que « les communes ne doivent participer que lorsqu'elles n'ont pas les capacités d'accueil nécessaires ou que les élèves relèvent des cas dérogatoires qui s'appliquent au secteur public ». Reportez-vous au journal de l'Union des maires de Seine-et-Marne ou au compte rendu du congrès.
Michel Houel maintiendra donc sa position initiale au moment du congrès suivant en disant : « on ne peut pas imposer à une commune bien équipée en établissements scolaires de payer pour des familles qui ont choisi d'inscrire leurs enfants ailleurs ; une commune ne doit pas payer deux fois, pour sa propre école et pour une autre. C'est là un simple principe d'équité et de justice. Il faut également tenir compte du fait que certaines communes rurales ont du mal à maintenir ouverte leur école publique. La nouvelle circulaire ne règle donc rien et de nombreux maires refuseront de payer. »
Et pour ne pas le mettre dans l'embarras, je n'ajouterai pas ce qu'il a dit ensuite, à savoir : « En tout cas, moi, dans ma commune, je ne paierai pas ! »
En conclusion, monsieur le ministre, il est nécessaire que le Gouvernement prenne ses responsabilités et propose une solution qui puisse satisfaire l'ensemble des parties intéressées.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. On est bien d'accord !
M. Yannick Bodin. Cela passe au minimum par une égalité de traitement entre les droits et les devoirs, entre les écoles privées et les écoles publiques, et cela passe donc d'abord par l'abrogation de l'article 89.
Le statu quo n'est pas viable. C'est une source de conflits permanents et une relance de débats inutiles. Il faut remettre de l'ordre dans cette législation. C'est le devoir du Gouvernement de faire en sorte que les communes soient rassurées et que la paix scolaire soit maintenue ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. On est bien d'accord !
M. le président. La parole est à Mme Colette Mélot.
Mme Colette Mélot. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nos collègues socialistes veulent abroger un texte issu de leurs rangs, texte qu'ils accusent de remettre en cause la laïcité. On connaît tous l'adage : « Qui veut noyer son chien l'accuse de la rage ».
C'est ainsi que le groupe socialiste a déposé sa proposition de loi tendant à abroger l'article 89 de la loi du 13 août 2004, au motif qu'il remettrait en cause la laïcité. Permettez-moi brièvement de rappeler le fondement de cet article.
L'article 89 pose le principe d'une participation de chaque commune aux frais d'accueil de ses enfants scolarisés dans les écoles privées sous contrat des communes voisines. Quelle est sa justification ? Lorsqu'il avait déposé son amendement à l'origine de cet article, notre collègue Michel Charasse l'avait clairement expliqué : il s'agissait d'empêcher que certains maires ne se défaussent sur les communes voisines de leurs obligations financières.
Pour que notre collègue Michel Charasse ait proposé que les communes subventionnent des établissements privés, c'est que la laïcité n'était vraiment pas menacée ! Elle semblait même tellement peu menacée que chacun a validé cet amendement, directement ou non : le gouvernement de l'époque en le soutenant, le Parlement en le votant, le Conseil constitutionnel en le validant, et même nos collègues socialistes en déposant devant le Conseil constitutionnel un recours contre la loi du 13 août 2004, mais pas contre son article 89 ! Et si le caractère attentatoire à la laïcité de cet article avait échappé à la scrupuleuse vigilance de nos collègues socialistes, le Conseil constitutionnel n'aurait pas manqué d'y suppléer. Comme vous le savez, il n'en a pas jugé ainsi.
Et voilà que, plus de trois ans après, les auteurs de la proposition de loi découvrent que l'article 89 constitue une remise en cause du principe de laïcité, sous le prétexte qu'il imposerait aux communes de participer aux dépenses de fonctionnement des écoles privées. Comme si cette disposition était illégitime ! Comme si elle remontait à la loi du 13 août 2004 ! Comme si elle n'avait pas été introduite par la loi Debré du 31 décembre 1959, qui - faut-il le rappeler ? - a posé le principe de parité entre l'enseignement public et l'enseignement privé !
Mes chers collègues, vous l'aviez tous compris dès 2004, il s'agissait d'assurer que les conditions de prise en charge des frais d'enseignement de nos enfants répondent à un principe de justice, sans discrimination entre les différents établissements dès lors qu'ils assurent tous la même mission publique d'enseignement.
De façon générale, nos collègues socialistes font semblant d'avoir oublié un certain nombre d'évidences que je dois faire semblant de leur rappeler.
Les écoles privées sont sous contrat d'association avec l'État pour l'immense majorité d'entre elles. Les instituteurs ou professeurs qui y enseignent sont des agents publics. Leur rémunération est prise en charge par l'État. Les établissements sous contrat sont tenus de fournir aux élèves un enseignement dont les programmes sont définis par l'État, ce qui justifie ce financement public.
J'observe que l'application de cette loi n'a donné lieu, à ce jour, qu'à un nombre très faible de cas litigieux : 19 sur 5 147 écoles privées sous contrat, soit 4 pour 1 000... Si vraiment cette loi était attentatoire à la laïcité, nous serions bien au-dessus ! Ces litiges doivent aboutir à une solution convenable pour l'ensemble des parties, mais ils ne peuvent justifier que le Parlement légifère de nouveau.
Je rappelle, comme l'a fait avant moi le rapporteur, que c'est pour des motifs de pure forme que la circulaire du 2 décembre 2005 avait été annulée, et c'est bien pourquoi celle du 27 août 2007 reprend le même contenu.
Je rappelle que ce texte privilégie la voie du dialogue entre les collectivités et qu'il revient au représentant de l'État de rechercher un accord entre les communes concernées.
Je rappelle que c'est la voie qu'avait suivie l'Association des maires de France, l'AMF, en engageant avec les ministères de l'éducation nationale et de l'intérieur, et avec l'enseignement catholique les négociations qui ont abouti au compromis de mai 2006.
Je rappelle que le président de l'AMF a confirmé cette démarche en novembre dernier à l'Assemblée nationale, en déclarant : « Le dispositif mis en place est clair et équitable, c'est pourquoi ma démarche est celle de l'apaisement. Ne ranimons donc pas, chers collègues, une polémique dépassée ! » C'est évidemment la voix de la sagesse. Je regrette que, pour des motifs bassement politiciens, elle n'ait pas résonné jusqu'aux travées socialistes.
M. Jean-Claude Frécon. Le compromis de 2006, ce n'est pas ça !
Mme Colette Mélot. C'est sans doute la conséquence de l'incapacité, pour nos collègues, à trouver des terrains d'entente sur des enjeux réels comme le traité européen de Lisbonne.
Vous me permettrez donc, mes chers collègues, de ne pas prendre au sérieux tous les cris d'orfraie poussés au nom de la laïcité contre cet article 89.