compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ACCOYER
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à seize heures.)
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RÉUNION DU PARLEMENT EN CONGRÈS
M. le président. Le Parlement est réuni en Congrès, conformément au décret du Président de la République publié au Journal officiel du 1er février 2008.
Le bureau du Congrès a constaté que le règlement adopté par le Congrès du 20 décembre 1963 et modifié le 28 juin 1999 est applicable à la présente réunion.
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COMMUNICATION AU CONGRÈS RELATIVE À L'ÉLECTION DE DEUX NOUVEAUX DÉPUTÉS
M. le président. J'ai reçu de Mme la ministre de l'intérieur, de l'outre-mer et des collectivités territoriales une communication m'informant que, le dimanche 3 février, ont été élus deux députés : Mme Françoise Vallet et M. Jean-Pierre Schosteck. (Applaudissements.)
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PROJET DE LOI CONSTITUTIONNELLE MODIFIANT Titre XV de la Constitution
M. le président. L'ordre du jour appelle le vote sur le projet de loi constitutionnelle modifiant le titre XV de la Constitution.
La parole est à M. François Fillon, Premier ministre. (Applaudissements.)
M. François Fillon, Premier ministre. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, mesdames et messieurs les députés et sénateurs, soixante millions de Français dans un monde ouvert et souvent chaotique de plus de six milliards d'habitants, c'est peu de reconnaître que notre nation a sa place en Europe. Elle y a son avenir, elle y a sa vocation, elle y a ses plus grands espoirs.
La France a besoin de l'Europe pour prolonger son génie et l'Europe a besoin de la France pour approfondir sa singularité politique.
La carte du monde se couvre de nouveaux défis. Défi, l'exceptionnelle montée en puissance des continents asiatique et indien dont les forces sont en train de bousculer nos héritages. Défi, la prédation écologique qui dérègle les équilibres naturels de la vie terrestre. Défi, le regard d'une Afrique qui se tourne vers les richesses du Nord. Défi, ce côtoiement des civilisations que le monde d'aujourd'hui s'ingénie tout à la fois à rapprocher et à opposer.
Dans ce monde fascinant et instable, la France n'est pas condamnée à se taire et à subir. Elle ne doit pas choisir la voie du repli, sous peine d'être écartée du chemin de l'Histoire. L'Europe lui prête sa richesse, ses États partenaires, ses cinq cents millions d'hommes et de femmes. Elle grandit les ambitions de notre pays aux dimensions d'un continent. Pour continuer de peser sur ce monde qui court sans repères, la France doit endosser sans réserve son rôle d'animateur européen.
Il y a deux ans, nous avons rejeté un texte qui donnait à l'aventure européenne un cadre constitutionnel. Ce fut le choix des Français. Et ce choix devait être respecté ! (Exclamations sur divers bancs). Mais nous ne pouvons pas ignorer que nous avons alors jeté une Europe qui espérait en nous dans l'étonnement et dans le trouble.
M. Jean-Pierre Brard. Comme à Valmy !
M. François Fillon, Premier ministre. Il n'y avait pas de plan B. L'Union européenne s'est donc immobilisée et les regards étaient portés vers nous. En votant « non » au texte constitutionnel de 2005, nous avions contracté une double responsabilité vis-à-vis de nous-mêmes et vis-à-vis de l'Europe, celle de relancer au plus vite l'élan que nous avions contribué à briser.
Au fond, le référendum de 2005 nous donnait un avantage pour y parvenir : il nous montrait, en négatif, quelle Europe les Français voulaient. Ce que les Français avaient refusé, c'était d'abord la nature constitutionnelle du texte, et l'ombre d'une Europe fédérale qu'elle projetait. Si les Français voulaient de l'Europe, ils demandaient qu'elle soit définie à son plus juste niveau : dans le respect des Parlements nationaux ; dans le respect des différentes traditions sociales et publiques ; dans le respect, finalement, du principe de subsidiarité qui a toujours été, à mes yeux, la clé de voûte de la structure européenne.
La seconde perspective que les Français redoutaient, c'était l'installation d'une Europe impotente et impuissante. Dans la complexité du texte constitutionnel, une menace semblait apparaître. Celle d'une Europe incapable de mobiliser ses vingt-sept membres autour d'un projet, paralysée par des mécanismes de décision inadaptés à sa nouvelle étendue. Les Français ont craint son enlisement, et il n'est pas inconvenant de dire que le traité de Nice les confortait dans leur défiance.
La leçon est historique. Les Français n'ont pas peur de la réforme, pourvu qu'elle aille au coeur des choses. Les Français n'ont pas peur de l'Europe, pourvu qu'elle soit capable d'agir.
M. Roland Muzeau. Ils veulent un référendum !
M. François Fillon, Premier ministre. Sur ces deux points, Nicolas Sarkozy a répondu à leur volonté de manière résolue, constante et transparente.
M. Jean-Pierre Brard. Comme à Riyad !
M. François Fillon, Premier ministre. Ses engagements de campagne ont tracé la seule voie qui permettait de transcender les clivages : négocier avec tous nos partenaires européens un traité nouveau, opérant les évolutions institutionnelles indispensables ; tenir compte, dans ce traité, des craintes exprimées par le non majoritaire ; et, enfin, faire adopter rapidement ce texte par le Parlement.
Personne ne peut contester la clarté de la stratégie du Président de la République pour relancer l'Europe. (Protestations sur plusieurs bancs. - Applaudissements sur de nombreux bancs.) Personne ne peut lui reprocher d'avoir précisément fait ce qu'il avait précisément dit. (Exclamations sur quelques bancs.)
M. Jean-Luc Mélenchon. Non ! Ce n'est pas vrai !
M. François Fillon, Premier ministre. Personne, ne peut l'accuser de ne pas s'être efforcé de rassembler le camp du « oui » et le camp du « non ».
Et à ceux qui, pour des raisons de forme, contestent les modalités d'adoption du traité de Lisbonne par la voie parlementaire, et à ceux qui, pour des raisons de fond, s'opposent à ce traité, je pose une question simple : voulez-vous réellement relancer l'Europe (« Oui ! » sur quelques bancs) ou préférez-vous son enlisement ? (Exclamations sur plusieurs bancs. - Applaudissements sur de nombreux bancs.)
La stratégie du Président de la République a reçu le soutien des Européens, après avoir reçu celui de la majorité des Français. À son invitation, et à celle d'Angela Merkel, alors présidente de l'Union européenne, vingt-sept pays sont venus inscrire dans un texte nouveau leurs espoirs de paix et d'intégration.
Le traité de Lisbonne satisfait à nos responsabilités vis à vis de l'Europe. Et il satisfait à nos devoirs vis-à-vis des Français. (« Non ! » sur quelques bancs.) Au blocage, à l'opposition, il substitue la synthèse et l'initiative. En votant cette révision constitutionnelle, vous permettrez à la France de devenir le quatrième pays à ratifier le traité de Lisbonne.
Cette révision nous est commandée par la décision du Conseil constitutionnel du 20 décembre dernier afin d'autoriser un certain nombre de transferts de compétences vers l'Union et d'élargir les pouvoirs de notre parlement.
J'ai déjà eu l'occasion, à l'Assemblée nationale puis au Sénat, de vous présenter ce traité et de vous en décliner les dispositions. Il adapte et complète les traités précédents sans se placer au-dessus d'eux. Il ne s'agit donc pas d'une constitution. Il reconnaît, de manière explicite, le contrôle de subsidiarité dévolu aux parlements nationaux vis-à-vis de la Commission. Il garantit la compétence exclusive de chaque État dans la définition de sa sécurité nationale, le rôle déterminant de ses autorités dans l'organisation des services publics, la mission des partenaires sociaux de chaque pays dans la défense de ses traditions et de ses ambitions sociales. Il préserve ainsi, partout où elles nous paraissent intangibles, nos exigences de liberté.
Mais surtout, le traité de Lisbonne redonne corps au rêve français d'une Europe agissante et efficace. En prévoyant l'élection d'un président du Conseil européen, il offre à cette institution une force et une stabilité qui lui faisaient défaut.
En politique extérieure, il donne au haut représentant les moyens nécessaires. Au Parlement européen, il confère des pouvoirs renforcés. Les procédures de décision seront désormais plus souples grâce à l'extension du champ de la majorité qualifiée, et la démocratie sera renforcée grâce à une meilleure prise en compte de la population de chaque État. Nos valeurs seront garanties par une Charte des droits fondamentaux. À une Europe plus vaste et plus nombreuse, le traité rend la capacité de se déterminer. En cet instant, j'ai une pensée pour le général de Gaulle, qui nous invitait, il y a plus de quarante ans, à penser l'Europe élargie. (Applaudissements sur de nombreux bancs.) Et voici qu'elle est là, réalisée dans le cadre d'une Union qui, non contente d'avoir instauré la paix sur notre continent, a contribué à faire tomber le rideau de fer et à libérer nos frères européens. Vingt-sept nations volontairement et librement unies, sans un coup de feu, sans aucune contrainte, par la seule force d'un projet et d'un idéal communs : dans l'histoire humaine, aucune autre entreprise n'est comparable à celle-ci.
Mais cette entreprise ne peut prendre tout son sens que si elle s'inscrit dans un dessein politique. Cette conviction inspire la France depuis plus de cinquante ans. Ni l'intégration économique ni l'intégration financière ne suffiront à affronter le monde complexe, qui subit des ruptures soudaines, où l'Europe d'aujourd'hui doit choisir sa place. Ni sa richesse ni sa population ne protégeront l'Europe de ces fractures, nées de la démographie, de la course aux matières premières, des affrontements ethniques, des tensions religieuses, des déséquilibres environnementaux, qui affectent le globe. Permettez-moi de redire ici une conviction personnelle ancienne : plus ces fractures s'accuseront, plus la valeur d'un espace européen de stabilité, de concertation et de décision sera appréciée. Le futur de l'Union ne dépend plus que de sa capacité à définir et à projeter une vision politique originale.
L'Europe a déjà pu mesurer les bénéfices qu'une volonté concertée pouvait lui valoir. Au sortir de la Deuxième Guerre mondiale, elle a réussi le prodige de rompre avec mille ans de conflits armés, de mobilisation permanente, d'affrontements sanglants. Avons-nous pris toute la mesure de ce succès ? Grâce à l'Europe, nous jouissons tous les jours, depuis soixante ans, de ce qui reste, pour tant de régions du monde, une utopie encore bien lointaine. Partout encore, des hommes et des femmes meurent en rêvant de ce qui est pour nous un acquis, une garantie, une évidence.
Dès l'origine, l'Europe a voulu se prémunir contre les crises économiques et monétaires qui avaient scandé la première moitié du XXe siècle. Elle a fondé sur ses politiques communes - agricole, industrielle, douanière - une prospérité durable, largement partagée au sein de son espace continental.
Aujourd'hui, avec le traité de Lisbonne, l'Europe retrouve le « droit de vouloir », le pouvoir de mettre sa puissance au service de ses priorités politiques. Politique commune de l'énergie et de l'environnement, politique étrangère et de défense commune, politique commune de justice et de sécurité, politique commune d'immigration et de codéveloppement, voilà les grands projets sur lesquels les Européens se rejoignent. Le traité de Lisbonne nous offre la possibilité de les concrétiser.
Ce qui se joue aussi, c'est notre capacité à promouvoir un modèle de société. Qu'on la nomme culture, héritage ou civilisation, une société européenne existe, dont l'essentiel à mes yeux est d'en sentir la force et le prix. Elle donne à nos parentés européennes leur évidence. Elle s'enracine dans un passé d'expériences et de lectures communes, et se nourrit des contacts permanents de nos patrimoines artistiques, philosophiques et moraux. Oui, moraux, car la civilisation européenne, c'est plus que l'évocation sentimentale de quelques monuments, textes et symboles partagés. C'est un répertoire de valeurs qui, aux frontières de l'Union, signent notre différence : l'humanisme, la tolérance, la liberté de conscience ; l'individu pris comme référence de toute justice ; l'État de droit, seul fondement légitime du pouvoir ; la reconnaissance d'un droit du travail et d'un droit au travail ; la prise en charge publique de la solidarité ; la considération accordée à la force du savoir et aux transmissions familiales et spirituelles ; la confiance placée dans la science, l'innovation industrielle et le progrès ; l'attachement au marché, cadre où se valorisent, par la libre concurrence, le capital et le talent.
M. Jean-Pierre Brard. Comme à la Société générale !
M. François Fillon, Premier ministre. Ces traits disent où commence et s'épanouit l'Europe, où l'expérience européenne rencontre les modèles concurrents et où elle s'en distingue.
Dans quelques mois, la présidence française de l'Union européenne va donner à notre pays la responsabilité de conduire l'Europe. Nous l'assumerons avec la gravité et l'enthousiasme d'une nation dont la fierté nationale se conjugue avec celle de ses partenaires. À nous d'être les promoteurs et les ambassadeurs d'un modèle européen de développement.
Beaucoup de pays et de régions attendent de l'Europe, et en particulier de la France, qu'un partenaire attentif et inventif use de son influence pour arbitrer les équilibres du monde. Votre vote, mesdames, messieurs les parlementaires, ne sera pas seulement un vote pour la France et pour l'Europe. Il permettra aussi de distinguer les acteurs des spectateurs de l'Histoire. (Applaudissement sur de nombreux bancs.)
Explications de vote
M. le président. Je vais maintenant donner la parole aux orateurs inscrits pour les explications de vote au nom des groupes de chacune des assemblées.
Je rappelle à chaque orateur qu'il dispose de cinq minutes.
La parole est à M. Jean-Pierre Bel, pour le groupe socialiste du Sénat.
M. Jean-Pierre Bel. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, madame le garde des sceaux, monsieur le ministre des affaires étrangères et européennes, monsieur le secrétaire d'État chargé des relations avec le Parlement, mes chers collègues, plus de cinquante ans après sa création, l'Europe suscite toujours autant de passion. À son histoire, les socialistes français ont fortement contribué et je veux ici réaffirmer l'engagement européen de tous les socialistes français.
Mais, il faut bien le reconnaître, l'Europe peut aussi donner le sentiment de n'avoir jamais autant divisé. Sans doute chacun voudrait-il voir l'Europe à son image. Ainsi, pour beaucoup de nos compatriotes, elle devrait être le prolongement de nos propres convictions ou de nos politiques franco-françaises. Or l'Europe est, par nature, un projet collectif et par conséquent un compromis. Elle sera ce que nous en ferons ou plutôt ce que les peuples décideront d'en faire. C'est de cette volonté affirmée que pourra émerger un espace politique européen, à condition d'y associer les citoyens. Le désenchantement actuel à l'égard du projet européen trouve sa cause dans l'éloignement entre cet idéal et la réalité vécue par nos concitoyens. Tous, partisans du « oui » ou du « non » en 2005, nous sentons que l'Europe a aujourd'hui besoin d'un nouveau souffle, d'un nouveau projet et surtout d'une nouvelle méthode.
D'une manière certes imparfaite et partielle, le traité de Lisbonne peut être l'occasion de ce nouvel élan, notamment en dotant l'Union d'une présidence stable, en plaçant le Parlement européen à quasi-égalité avec le Conseil ou encore en élargissant les procédures de contrôle des parlements nationaux.
Nous nous réjouissons également de l'adoption d'une base juridique et d'un protocole sur les services publics, premier pas vers une Europe sociale.
Parce qu'il n'y a pas de temps à perdre dans un contexte mondial inquiétant, parce que nous n'avons pas le droit de pratiquer la politique de l'autruche ou de nous en remettre à des lendemains incertains, parce qu'il faut bien offrir une sortie à la crise politique de l'Europe, nous sommes favorables au traité de Lisbonne et nous voterons en faveur de sa ratification, comme l'ensemble des partis socialistes d'Europe.
Il reste que, pour nous, l'engagement européen se vit comme une ambition, mais également comme une exigence. Si l'on veut demeurer fidèle à la fois aux principes fondateurs de notre république et au rêve d'une démocratie européenne, il n'est pas possible d'ignorer l'ampleur du débat de 2005 et de ne pas vouloir en tirer les conséquences.
Aujourd'hui politiquement majeure, l'Europe doit être ouverte au débat, au libre examen, à la critique permanente. Telles sont les conditions de l'appropriation du projet européen par les citoyens. Nous regrettons donc profondément que la ratification - qui n'est pas l'objet de ce congrès, mais qui en est indissociable - ne soit pas soumise à nouveau au vote des Français. (Applaudissements sur plusieurs bancs.) Nous ne pouvons ni donner notre blanc-seing au Président de la République en approuvant la méthode qu'il a choisie, ni empêcher, si tant est que nous en ayons les moyens, la révision, préalable incontournable à la ratification d'un traité auquel nous sommes favorables. Nous marquerons donc notre désaccord en nous abstenant sur la révision constitutionnelle. C'est pour nous une question de cohérence (Rires sur quelques bancs) et la seule manière d'exiger un débat démocratique sans mettre en péril le traité, de défendre la forme autant que le fond.
En réalité, au-delà des dispositions juridiques, ce qui comptera, ce sera la volonté politique de faire avancer les enjeux économiques et sociaux, par exemple, la réforme de la gouvernance de la zone euro. Il n'y a pas de fatalité à une Europe majoritairement libérale. C'est du débat politique, de la confrontation des idées que se dégageront les majorités qui détermineront demain les orientations à donner aux politiques européennes. Durant la présidence française et à la veille des élections européennes de juin 2009, nous serons mobilisés pour faire progresser nos idées, notamment pour une réforme des politiques structurelles et une réévaluation du budget, afin de démontrer aux Français qu'au-delà des traités, une autre Europe est possible.
Nous devons relever un défi immense mais fondateur : réconcilier les citoyens avec le projet européen. Il faut faire en sorte que les citoyens n'aient plus peur de l'Europe et que l'Europe n'ait plus peur du regard des citoyens. Il y va de notre responsabilité, de notre conception de la démocratie, mais aussi de notre avenir commun ! (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, pour le groupe Union pour un mouvement populaire du Sénat.
M. Patrice Gélard. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, le Sénat a approuvé sans modification le projet tel qu'adopté par l'Assemblée nationale, modifiant le titre XV de la Constitution, afin de permettre la ratification ultérieure du traité de Lisbonne.
Permettez-moi de n'intervenir que sur cette seule loi constitutionnelle et non sur le contenu du traité.
Le texte du projet de loi constitutionnelle répond intégralement aux exigences formulées par le Conseil constitutionnel dans sa décision du 20 décembre 2007, sans rien ajouter, contrairement à ce qu'avait été la révision constitutionnelle de 2005.
Il ne comporte que trois articles : un article 1er qui rend possible la ratification du traité de Lisbonne par rapport à la constitutionnalité mentionnée par le Conseil constitutionnel, un article 2 qui modifie les articles 88-1, 88-2, 88-4, 88-5, 88-6 et 88-7 de la Constitution et un article 3 de coordination.
Nous nous félicitons des nouveaux droits accordés au Parlement, à l'Assemblée nationale comme au Sénat, dans les articles 88-6 et 88-7. En effet, les deux chambres pourront adresser un avis motivé sur la conformité d'un projet d'acte législatif européen au principe de subsidiarité, avis qui sera adressé aux diverses autorités communautaires. En outre, elles pourront saisir la Cour de justice de l'Union européenne. Enfin, le Parlement pourra s'opposer à une modification des règles d'adoption des actes communautaires, ce qui constitue dans ce domaine un quasi-droit de veto.
Les règlements de nos assemblées devront tenir compte de ces innovations, en renforçant le rôle et la place des délégations parlementaires aux affaires européennes et en créant une structure de veille permanente pour assurer l'application de l'article 88-6.
J'en viens maintenant à quelques réflexions.
Sans doute faudra-t-il un jour réécrire l'ensemble du titre XV de la Constitution, pour le rendre plus lisible et surtout plus apte à faire face à l'adoption de traités ultérieurs. Il faudra aussi, lors d'une réforme constitutionnelle à venir, repenser les dispositions concernant le recours au référendum pour l'admission de nouveaux États au sein de l'Union européenne. Il faudra encore supprimer la disposition devenue obsolète de réciprocité pour le vote des ressortissants de l'Union européenne aux élections locales. De même, il faudra trouver une procédure permettant d'améliorer la surveillance de la conformité de nos actes juridiques aux dispositions communautaires, peut-être en transmettant cette compétence au Conseil constitutionnel.
Nous devrons nous pencher sur tous ces problèmes lors de la prochaine révision constitutionnelle.
Cela dit, le groupe UMP du Sénat votera ce texte à la quasi-unanimité. (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour le groupe communiste républicain et citoyen du Sénat.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, le 29 mai 2005 le peuple français a refusé la ratification du traité constitutionnel européen par 54,67 % des voix.
Ce vote n'était pas un vote de circonstance ; il résultait d'un large débat national, sans doute sans précédent, sur l'Europe, sa construction, sa politique.
Contrariant le vote des parlementaires qui l'avaient approuvé à 93 %, le peuple français, parce qu'il espère en l'Europe, a voté contre le contenu du traité constitutionnel qui correspond à sa réalité vécue, celle de l'Europe de la flexibilité, du dumping social, de la détérioration des services publics, de la libre circulation des capitaux et des emplois, sans harmonisation sociale et fiscale.
Le vote des Français, suivi de celui des Néerlandais, a rendu caduc le traité constitutionnel, mais il n'a pas été suivi de la réorientation exigée et nécessaire.
Les dirigeants européens ont mis à profit ces deux années pour tenter de faire oublier leur échec et chercher le moyen de passer outre le choix d'une partie des peuples.
Le candidat Nicolas Sarkozy avait déjà annoncé ce tour de passe-passe lors de son principal discours sur l'Europe à Strasbourg, le 21 février 2007.
Après une longue diatribe de circonstance contre l'actuelle Europe, il concluait : « Je proposerai à nos partenaires de nous mettre d'accord sur un traité simplifié qui reprendra les dispositions du projet de traité constitutionnel nécessaires pour que l'Europe puisse se remettre en marche, et qui n'aient pas suscité de désaccord majeur durant la campagne référendaire. Ce traité simplifié de nature institutionnelle sera soumis par ratification au Parlement. »
Le traité de Lisbonne, par rapport au traité constitutionnel, c'est le contraire du Canada Dry : sa présentation est différente, mais le contenu est le même. Il aborde les questions institutionnelles mais aussi l'ensemble de la politique européenne, c'est-à-dire la politique économique et sociale, la politique de défense, la politique étrangère et la politique de sécurité.
Exemple emblématique de cette situation : la référence, à l'article 3 du traité constitutionnel, à la libre concurrence non faussée a disparu à la demande de M. Sarkozy. À l'article 4, c'est l'économie de marché où la concurrence est libre qui surgit. Le protocole n° 6 rappelle, lui, que le marché intérieur comprend « un système garantissant que la concurrence est non faussée. »
L'auteur du traité constitutionnel, M. Giscard d'Estaing, se réjouit de son retour et tous les observateurs, non tenus par un engagement ministériel ou électif à l'égard de M. Sarkozy, reconnaissent cette réalité. D'ailleurs, on dit aux Espagnols qui ont voté « oui » au référendum de 2005 qu'ils ne seront pas consultés cette fois-ci, car le traité est le même !
Le Conseil constitutionnel admet, de fait, dans sa décision du 20 décembre 2007, la similitude en déclarant que « le traité de Lisbonne ne transfère pas à l'Union, par rapport au traité constitutionnel, d'autres compétences intervenant dans des matières régaliennes nouvelles. Il ne retire par ailleurs aucune matière transférée par le traité constitutionnel. »
Mesdames et messieurs les parlementaires, il est temps de se poser cette question essentielle pour l'avenir de notre peuple, mais aussi des peuples européens dans leur ensemble. Nous savons bien qu'un certain modèle démocratique est en crise, sous la pression d'une mondialisation financière en pleine expansion anarchique. Les derniers soubresauts boursiers doivent servir d'avertissement. Le peuple doit s'exprimer et ses représentants doivent l'y aider et non l'en empêcher.
J'estime, donc, avec de nombreux parlementaires, qu'il faut dire non à la révision constitutionnelle aujourd'hui, exprimant ainsi que c'est au peuple de décider. (Applaudissements sur quelques bancs.) Les parlementaires ne sauraient désavouer le peuple. Le peuple a le droit de changer d'avis, mais ce n'est pas au Parlement de changer l'avis du peuple. (Même mouvement.) Ce serait d'ailleurs une première. En 1946 et 1969, lorsque des référendums ont été rejetés par le peuple, les gouvernements en ont immédiatement tenu compte. Ne pas le faire aujourd'hui serait un grave déni de démocratie. Les représentants du peuple ne s'honoreraient pas en le commettant.
C'est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain du Sénat, unanimement, votera contre cette révision constitutionnelle et invite tous les parlementaires qui ne veulent pas renier la parole des citoyens à en faire de même. (Applaudissements sur plusieurs bancs.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Fauchon, pour le groupe Union centriste-UDF du Sénat.
M. Pierre Fauchon. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, madame la garde des sceaux, messieurs les ministres, mes chers collègues, ce n'est pas parce que nous avons déjà voté une semblable réforme constitutionnelle il y aura bientôt trois ans que nous devons expédier celle-ci comme une formalité, sans prendre conscience de ce que signifiera la relance des affaires européennes, ce qu'elle signifie déjà, sans prendre conscience de nos responsabilités à cet égard.
Ce n'est pas parce que, fidèles à nos ancestrales querelles gauloises, certains d'entre nous se réfugient dans un débat de procédure que nous devons nous laisser impressionner par leurs imprécations.
Depuis quand et au nom de quoi le Président de la République, confronté au choix que lui présentent les articles 11 et 89 de la Constitution, devrait-il opter pour une solution différente de celle proposée par lui et clairement approuvée par la majorité que l'on sait, il y a moins d'un an ? (Applaudissements sur de nombreux bancs.) La voilà, la volonté du peuple, madame Borvo, elle est assez récente (Exclamations sur plusieurs bancs -Applaudissements sur de nombreux bancs) et elle n'a laissé de doute dans l'esprit d'aucun !
Au nom de quoi, au nom de quel contre-projet les représentants du peuple français réunis à Versailles, berceau de notre démocratie, creuset de notre histoire, devraient-ils refuser d'ouvrir la voie au devenir européen ? On se le demande.
On se le demande alors que ce devenir est si lourd de nos problèmes communs face à la mondialisation. On se le demande alors que ce devenir intéresse non seulement notre vitalité économique, mais aussi la qualité même de notre civilisation, comme vous le rappeliez à l'instant, monsieur le Premier ministre, et particulièrement de la solidarité sociale si compromise en ces temps de résurgence de la pauvreté.
On se le demande, enfin, alors que notre sécurité est affaiblie par le morcellement du vieux continent, qui fait le jeu du terrorisme comme celui de toutes les criminalités organisées.
Ce devenir, avec ses défis mais aussi ses magnifiques potentialités, nous en sommes responsables en dépit et au-delà de nos querelles, parce que nous sommes ici au coude-à-coude pour répondre à une initiative du Président de la République dont le rôle déterminant doit être salué comme il le mérite, initiative qui ne tend à rien d'autre qu'à rendre opérationnelles les dispositions du traité de Maastricht dont le président Mitterrand fut l'un des artisans décisifs et que les difficultés que l'on sait n'ont pas permis au président Chirac de mettre pleinement en oeuvre, comme il le souhaitait.
Ce n'est pas, enfin, parce que ce traité est complexe et difficilement compréhensible...
M. Jean-Pierre Brard. Pour vous !
M. Pierre Fauchon. Parce qu'il ne l'est pas pour vous, peut-être ?
M. Jean-Pierre Brard. Non, je l'ai lu !
M. Pierre Fauchon....que nous devons ignorer que ce sont les réalités de notre temps qui le sont. Ce n'est pas le moindre mérite du traité de Lisbonne que d'avoir su intégrer ces éléments contradictoires dans un mécanisme juridique opérationnel souple et pragmatique parce qu'il offre des options multiples.
L'autre grand mérite de ce traité est d'ordre politique. Ce traité est l'oeuvre directe des gouvernements européens qui sont parvenus à surmonter leurs divergences ainsi que le scepticisme né du fâcheux échec de la Constitution, pour poser ensemble les bases d'un nouvel élan européen.
Cette reprise en main est l'aboutissement normal de l'élargissement des compétences opéré par le traité de Maastricht avec l'instauration des deuxième et troisième piliers.
Nous nous réjouissons de voir que, dans le même temps, les gouvernements ont élargi les pouvoirs du Parlement européen comme des parlements nationaux qui valent bien tous les comités du monde, n'est-ce pas monsieur le président du Congrès ? (Sourires.) Ainsi, la gouvernance des affaires communes se conforme au schéma fondamental de la séparation des pouvoirs dans une démocratie vivante : un exécutif gouvernemental, un pouvoir législatif parlementaire, un pouvoir judiciaire autonome.
De sorte que le char européen est désembourbé et reprend sa marche en avant, dégagé, il faut l'espérer, de l'illusion de croire qu'une certaine bonne volonté diffuse combinée avec l'éternel « chacun pour soi » qui n'est que le repli sur le passé, permettront de surmonter les problèmes de notre temps.
Ceux-ci ne seront surmontés que si les gouvernements restent en état d'alerte et créatifs, en dépit des fluctuations inévitables de l'opinion, et comme vous nous en donnez l'exemple, monsieur le Premier ministre, que je vois ici comme le justum ac tenacem propositi virum d'Horace.
Ils ne seront surmontés, enfin, que si les représentants des peuples que nous sommes avec nos collègues européens se montrent aussi vigilants que résolus, comme il nous faut l'être en ce jour.
Je ne saurais mieux conclure qu'en citant le général de Gaulle...
M. Jean-Pierre Brard. Relaps !
M. Pierre Fauchon.... qui déclarait en 1947 : « Il m'a semblé et il me semble qu'il est avant tout nécessaire de refaire la vieille Europe, de la refaire solidaire, notamment quant à sa reconstruction et à sa renaissance économique dont tout le reste dépend, de la refaire avec tous ceux qui, d'une part voudront et pourront s'y prêter et, d'autre part demeurent fidèles à cette conception du droit des gens et des individus d'où est sortie et sur laquelle repose notre civilisation. » (Applaudissements sur de nombreux bancs.)
M. le président. La parole est à M. François Sauvadet, pour le groupe Nouveau Centre de l'Assemblée nationale.
M. François Sauvadet. Monsieur le président du Congrès, monsieur le président du Sénat, monsieur le Premier ministre, madame, messieurs les ministres, mes chers collègues, jamais l'Europe n'a été aussi nécessaire. Cette phrase simple, il faut la répéter sans cesse à nos compatriotes !
L'Europe n'est ni une menace, ni une contrainte, mais, au contraire, une chance : peut-être, notre seule chance face aux défis qui nous attendent, et je fais miens, les mots de Jean-Louis Bourlanges - ce passionné d'Europe - qui, au Parlement européen, a eu le sentiment d'avoir contribué à forger « un enjeu politique inédit, voire révolutionnaire, seul capable de permettre aux États nationaux [...] de répondre solidairement aux défis de la globalisation ».
Nous le savons tous, nous ne pourrons affronter, mes chers collègues, les grands défis que si nous sommes « unis dans la diversité ». Les crises économiques et financières que nous traversons en ce moment même, les défis du contrôle de l'immigration, l'enjeu de notre sécurité collective, notre combat contre le terrorisme et la lutte contre la criminalité, la protection de l'environnement et l'avenir énergétique - qui préoccupe tant nos compatriotes -, la recherche, sans oublier l'enjeu alimentaire et la politique de défense : tous ces grands défis du XXIe siècle sont européens.
Il y avait urgence à donner à l'Europe des vingt-sept les moyens de fonctionner efficacement et démocratiquement. Avec l'adoption du traité de Lisbonne, l'Europe est enfin sortie de la crise et la France de son isolement. Je tiens, au nom du groupe Nouveau Centre, à saluer l'action du Président de la République, qui a été déterminante.
À ceux qui réclament un référendum, le Président s'est déjà expliqué sur son choix devant les Français ; il s'était, du reste, engagé sur ce point lors de la campagne présidentielle.
Le choix du Parlement est le choix de l'efficacité. Nous nous y sommes engagés auprès de nos partenaires européens, dans le cadre de la relance de la politique européenne. Et le Parlement, au moment où on parle de la revalorisation de son rôle, a toute légitimité pour prendre les décisions de l'avenir, car nous sommes les élus du peuple !