Mme Annie David. Comment un code, outil quotidien de juristes, mais aussi de syndicalistes - vous l'avez dit vous-même, monsieur le ministre - pourrait-il devenir plus simple, alors même que son plan est radicalement remanié et que 1761 nouveaux articles viennent s'ajouter aux 1891 qui existent déjà ?
Si vous aviez réellement voulu entreprendre une simplification, vous vous seriez souvenu des cris des milliers de jeunes dénonçant le contrat première embauche, le CPE, des milliers de salariés manifestant contre le contrat nouvelles embauches, le CNE, ou des organisations syndicales réclamant la fin des contrats précaires pour une plus grande reconnaissance du contrat à durée indéterminée, ou CDI.
Enfin, si l'ordonnance du 12 mars 2007 est critiquable en elle-même, notamment en ce qu'elle crée un surcroît d'insécurité juridique, le projet de loi dont nous avons à débattre aujourd'hui l'est également.
J'y reviendrai plus en détail lors de la défense des amendements présentés par le groupe communiste républicain et citoyen, mais je dois dire d'ores et déjà que les articles 2 et 3 sont inacceptables en l'état.
Je m'arrêterai un instant sur l'article 3, qui s'attaque de front au droit des femmes à bénéficier d'un congé maternité de seize semaines au moins. Je défendrai tout à l'heure au nom du groupe communiste républicain et citoyen un amendement tendant à prendre totalement le contre-pied de votre politique libérale qui n'a qu'une finalité : réduire un peu plus les droits des salariés, en l'occurrence des salariées !
On est loin ici de l'égalité homme-femme et de la reconnaissance professionnelle des femmes...
Plutôt qu'une déréglementation, c'est l'allongement du congé maternité qui est d'actualité. Nombre de médecins et de gynécologues ont d'ailleurs émis de sérieuses réserves sur cette mesure, ce fameux basculement de trois semaines, craignant notamment un accroissement des naissances prématurées.
Proposer de basculer trois semaines du congé prénatal pour allonger d'autant le congé postnatal, c'est reconnaître implicitement que le congé maternité en France est trop court ! Il est donc impérieux de l'allonger !
Je reviendrai plus longuement sur cette mesure lors de la discussion des articles, mais vous ne pourrez me convaincre, monsieur le ministre, qu'aucune salariée enceinte n'aura à subir des pressions diverses, psychologiques et matérielles, qui pourraient l'amener à des arbitrages défavorables pour sa santé et celle de l'enfant à venir !
Mme Annie David. Je conclurai en disant que votre projet de loi, qui ratifie l'ordonnance du 12 mars 2007 et ses annexes, fait craindre un risque d'externalisation du contentieux du droit du travail vers d'autres codes et donc vers d'autres juridictions.
Parce qu'il porte bel et bien le risque d'un droit du travail différent par branche d'activité, comme si les salariés n'étaient pas toutes et tous soumis à une même situation particulière, celle de la domination de l'employeur sur l'employé, votre projet de loi inquiète les salariés et leurs organisations syndicales. Les magistrats eux-mêmes, les juristes intervenant en droit du travail craignent une externalisation de dispositions jusqu'alors contenues dans le code du travail vers d'autres codes et, de manière générale, vers le droit commun.
Cela pourrait avoir pour conséquence de segmenter plus encore le droit du travail en fonction de la branche d'activité et de créer autant de droits du travail qu'il y aurait de branches professionnelles.
M. Guy Fischer. Voilà !
Mme Annie David. Vous comprendrez aisément que c'est pour moi et pour mon groupe inacceptable.
Pour ces motifs, le groupe communiste républicain et citoyen votera contre ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Et après ils supprimeront les conseils de prud'hommes comme ils essaient de le faire à Givors ! Voilà la vérité !
M. Guy Fischer. Nous sommes clairvoyants !
Mme la présidente. La parole est à Mme Christiane Demontès.
Mme Christiane Demontès. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, réunis en session extraordinaire, nous voilà invités à débattre d'un projet de loi qui vise à ratifier l'ordonnance prise le 12 mars dernier, cette dernière devant permettre la promulgation de la partie législative du nouveau code du travail.
Le sujet est d'importance. Le code du travail a été bâti progressivement, notamment au travers de luttes et d'avancées législatives qui visaient à protéger le plus possible le salarié soumis à l'autorité de l'employeur dans un lien de subordination.
Chercher à rééquilibrer la relation d'inégalité qui lie ces deux acteurs économiques, compenser ce déséquilibre originel, inscrire le plus possible ce quotidien sous le sceau de la justice, tel est le socle historique du code du travail, mais telle est aussi son actualité.
Ce code, révisé en 1973, s'est peu à peu complexifié, au point que le réécrire était devenu nécessaire. Nous le savons bien. Le rendre plus lisible, plus compréhensible, en faire un véritable instrument au service du droit et de la justice sont des objectifs on ne peut plus louables, acceptation faite que nous sommes dans une société complexe dans laquelle la simplification ne peut résulter que d'une réécriture sur le fond ou d'une présentation différente. Dans ce cas, si les sources de la complexité ne sont pas remises en cause, les avancées seront maigres.
Alors que la transparence, la confiance entre les divers acteurs auraient dû être de mise, sous l'impulsion du précédent gouvernement c'est la volonté d'aboutir le plus vite possible qui a primé. Il est dommage que cet empressement coupable préside encore à nos travaux puisque - madame le rapporteur le sait bien - le même jour, la commission des affaires sociales a nommé un rapporteur sur ce texte et entendu son rapport !
Comment ne pas s'interroger sur les objectifs réels poursuivis par le Gouvernement, quand nous savons que, dès le 15 mai dernier, le Conseil d'État a été saisi d'un recours en annulation de l'ordonnance du 12 mars 2007 ? De même, le fait que le Président de la République ait annoncé, la semaine dernière au Sénat même, une série de réformes, qui auront nécessairement un impact sur le droit du travail, n'aurait-il pas dû inciter le Gouvernement à reconsidérer la pertinence de cette réécriture et surtout sa rapidité ?
Mais rien à faire, le mot d'ordre reste identique : aller le plus vite possible, conclure coûte que coûte.
M. Paul Blanc. Le plus vite possible ? Cela fait trois ans que cela dure !
Mme Christiane Demontès. Sur le fond, et conformément au paragraphe I de l'article 57 de la loi d'habilitation du 30 décembre 2006, madame le rapporteur juge que cette réécriture a été effectuée à « droit constant », en d'autres termes, que seule la forme a été modifiée.
Qu'en est-il exactement ?
Nous observons que plusieurs processus, en apparence formels, ont dénaturé ce qui aurait dû être une recodification à « droit constant ».
Le premier concerne les opérations de déclassement d'articles résultant d'une loi en dispositions réglementaires, c'est-à-dire relevant directement de décrets. Vous les estimez à cinq cents environ, madame le rapporteur, vous l'avez répété tout à l'heure. Le deuxième a trait à la scission d'articles, le troisième concerne le changement de vocabulaire et de grammaire, et le dernier vise à l'externalisation de certaines dispositions vers d'autres codes.
En effet, si le paragraphe II de l'article 57 de la loi du 30 décembre 2006 ouvrait « pour des motifs d'harmonisation, de respect de la hiérarchie des normes, de cohérence rédactionnelle, la possibilité de procéder à des ?adaptations? de la législation », le déclassement de dispositions législatives en mesures réglementaires pose le problème de la liberté d'interprétation quasi illimitée Par voie de conséquence, se pose aussi la question du vaste champ des modifications par voie de décret dont disposerait le Gouvernement.
La scission d'articles peut aussi être source de contestations sur le fond. Ainsi en est-il des dispositions concernant le licenciement économique. Nous voyons qu'elles ont été regroupées dans la partie du code relative aux relations individuelles de travail ; elles sont donc sans lien avec la partie « politique de l'emploi ». De plus, si la rédaction actuelle de l'article L. 321-1 instaure un lien de conditionnalité entre la recherche de reclassement et le licenciement, la recodification a scindé et classé ces dispositions au sein de deux sous-sections différentes. De la sorte, le lien de procédure actuel pourrait disparaître. Qui plus est, le rapprochement des deux régimes du licenciement - le licenciement économique et le licenciement « ordinaire » - permettrait d'étendre l'exclusion d'application de certaines règles relatives aux périodes d'essai aux dispositions relatives au licenciement économique, ce qui, comme nous l'avons vu à l'occasion du CNE et du CPE, correspond aux souhaits conjoints du MEDEF et du Gouvernement. (M. Paul Blanc s'exclame.)
De même, certaines dispositions actuelles consacrent la volonté du législateur de déroger à un système général ou d'étendre un principe à des cas particuliers. Tel est le cas de l'extension du « forfait jour » aux salariés non cadres, mais connaissant des conditions de travail similaires. Or, dans la nouvelle rédaction, ces cas sont traités de manière distincte, au sein de sections ou de chapitres particuliers. Ainsi, cas général et spécificités se retrouvent traités sur le même plan. Dans la réalité des faits, nous le savons bien, il n'en est rien. Dès lors, comment ne pas s'interroger sur la finalité réelle de cette opération ?
Les changements de vocabulaire et les modifications de nature grammaticale peuvent aussi être sources de contentieux.
Qu'en sera-t-il si le terme « inspection du travail » est remplacé par celui d'« autorité administrative » et qu'un décret dispose qu'il s'agira du directeur départemental du travail ? Seul l'inspecteur du travail dispose du statut et de la garantie d'indépendance prévus par la convention n° 81 de l'Organisation internationale du travail, l'OIT.
Dans la même logique, comme ma collègue Annie David l'a indiqué, dans la nouvelle rédaction, le conseil de prud'hommes cède parfois la place au « juge judiciaire ». Cependant, comment assimiler un recours prud'homal sans avocat obligatoire, avec une procédure orale simple, à la saisine d'un tribunal de grande instance ?
Comme le souligne Mme le rapporteur, il n'est donc pas totalement juste d'estimer que l'harmonisation de la terminologie procède uniquement d'un impératif de compréhension ou d'unification de réalités juridiques considérées comme similaires. Les objectifs poursuivis peuvent être tout autres.
M. Guy Fischer. C'est certain !
Mme Christiane Demontès. Concernant l'externalisation, nombre de dispositions qualifiées de « sectorielles » ont été renvoyées au code rural, au futur code des transports ou bien au code de l'action sociale et des familles.
Si Mme le rapporteur assure qu'il ne s'agit que « de maintenir dans le code du travail les dispositions d'application générale », comment ne pas s'interroger aussi sur la portée de cette opération ?
En effet, si des améliorations parfois très importantes doivent être apportées dans certains secteurs d'activité, cela n'exonère pas les pouvoirs publics de leur obligation d'élaborer et de faire respecter des normes protectrices pour l'ensemble des salariés, notamment les plus fragiles d'entre eux ; je pense en particulier aux assistants maternels.
Même si nous connaissons les revendications du MEDEF en la matière, il ne faut pas, sous prétexte de recodification ou de je ne sais quelle rationalisation, que soit peu à peu instauré un droit du travail différent pour chaque branche d'activité.
Enfin, comment ne pas évoquer le peu de place laissé au législateur dans ce dossier essentiel pour nos concitoyens ?
Nous l'avons vu, les opérations de déclassement dépossèdent le législateur de sa mission première : celle de voter la loi. Sous prétexte d'adaptation, de mise en conformité avec l'article 34 de la Constitution, c'est parfois l'esprit même de la loi qui, par l'action unilatérale du seul exécutif, est modifié.
Dans ce cas, le Gouvernement devrait saisir le Parlement. Or, dans ce dossier, tel n'a pas été le cas, ni initialement, puisque le Gouvernement avait choisi, en 2004, la voie de l'ordonnance et de l'habilitation, ni durant ces longs travaux. Dès lors, comment ne pas établir un parallèle avec les exigences du patronat, du MEDEF, qui, bien que discret sur cette question, voudrait que les relations salariales soient essentiellement du ressort du contrat et non plus de celui de la loi ?
M. Jean-Pierre Godefroy. Absolument !
Mme Christiane Demontès. Enfin, au regard des sources de contentieux d'ores et déjà existantes, comment ne pas penser que c'est la jurisprudence qui jouera au moins partiellement le rôle qui aurait dû revenir au législateur ?
Pour ces raisons, et pour celles que mes collègues Jean-Pierre Michel et Jean-Pierre Godefroy développeront tout à l'heure, et qui concernent plus la procédure et le calendrier, le groupe socialiste demandera le renvoi de ce projet de loi en commission ; faute de quoi, il votera contre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. Paul Blanc. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. Paul Blanc. Madame la présidente, monsieur le ministre, madame le rapporteur, mes chers collègues, le texte que nous examinons aujourd'hui vient consacrer le remaniement complet du code du travail dans sa partie législative, l'achèvement de la partie réglementaire devant permettre d'aboutir à un produit finalisé d'ici à quelques mois.
La démarche est ambitieuse : il s'agit d'obtenir un code du travail plus simple, plus accessible, réorganisé avec logique et modernisé dans son contenu.
Vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, depuis sa dernière codification, en 1973, le code du travail a subi de nombreux ajouts et modifications qui affectent sa structure et rendent sa lecture difficile.
Je tiens à saluer ici l'ampleur du travail accompli, car il a fallu plus de deux ans pour passer au crible l'ensemble des dispositions du code du travail et lui donner une nouvelle vie. On ne peut donc pas parler en la matière de « précipitation ». Toutefois, il n'était pas simple d'oser remanier ce livre chargé d'histoire. Une ligne de conduite a donc été fixée et elle a été tenue avec succès.
En effet, le processus de recodification a répondu à plusieurs exigences.
D'une part, il s'est agi de rendre les dispositions du droit du travail claires et accessibles pour les salariés, les employeurs, les représentants du personnel, et pas seulement pour les professionnels du droit.
D'autre part, il a été décidé que la simplification engagée et l'insertion de nouvelles dispositions ne devaient pas conduire à modifier le droit existant. Il s'agit donc d'une réécriture « à droit constant ».
Les modifications apportées ont certes suscité des craintes, mais l'oeuvre de recodification n'est pas sortie du cadre fixé. Les personnes qui ont mené les travaux ont veillé à ne jamais imposer aucune sujétion supplémentaire au salarié ou à l'employeur, ni à créer aucun droit nouveau pour l'un d'eux. Par rapport au texte d'origine, aucun droit n'est réduit, aucune obligation n'est amoindrie.
M. Guy Fischer. C'est ce que vous dites !
M. Paul Blanc. C'est la vérité, mon cher collègue !
Cette ligne de conduite a été suivie sous le contrôle permanent de la commission supérieure de codification.
Le nouveau code du travail est surtout le fruit d'une oeuvre collective réalisée dans un esprit d'ouverture. Après que les services du ministère du travail ont mené l'ensemble des travaux et que des experts professionnels du droit se sont prononcés sur des questions spécifiques complexes, les travaux de recodification ont été présentés à une commission regroupant des représentants désignés par les partenaires sociaux. Cette commission s'est réunie à quatorze reprises et a été consultée sur l'intégralité des travaux. Une commission placée auprès des services du Premier ministre a ensuite examiné les travaux, avant qu'ils soient transmis au Conseil d'État.
Cette organisation collective a permis de valider de multiples fois les choix opérés.
L'option retenue a été de se placer systématiquement du point de vue de l'utilisateur du code. L'ancien code se caractérisait par des articles très longs, comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, ce qui compliquait la lecture de l'ensemble des dispositions portant sur une même question. Aussi de nombreux articles ont-ils été scindés, avec l'intention de traiter une idée par article. Règles de fond et règles de forme, principes et dérogations viennent donc clairement s'enchaîner. Les sujets portant sur un même domaine ont été réécrits dans un souci de rationalisation. On retrouve, par exemple, la même organisation dans la présentation des contrats à durée déterminée et des contrats de travail temporaire.
De nouvelles rédactions rendent certains articles plus compréhensibles, le présent de l'indicatif étant notamment généralisé pour indiquer toute obligation, et ce à la grande satisfaction du président de la commission des affaires sociales. (Sourires.)
Par ailleurs, les rédacteurs ont voulu éviter que des termes différents désignent le même objet. Ainsi, un seul terme désignera le chef d'établissement ou le chef d'entreprise : « l'employeur ». Des termes peu utilisés dans le langage courant ont été actualisés. Ainsi, le « délai-congé » est remplacé par le « préavis ».
Sur le fond, de nombreuses dispositions obsolètes ont été abrogées. Il subsistait, en effet, des articles issus d'une autre époque. J'en veux pour preuve, par exemple, un dispositif mis en place durant la guerre imposant aux employeurs d'embaucher obligatoirement les pères de famille. De plus, il fut un temps où les employeurs devaient veiller aux bonnes moeurs de leurs salariés âgés de moins de dix-huit ans. Autres époques, autres moeurs...
En outre - c'est essentiel -, le nouveau plan permet de codifier des dispositions législatives qui n'avaient jamais été intégrées au code du travail. À cet égard, je citerai l'ordonnance du 13 octobre 1945 relative aux spectacles, la loi du 19 janvier 1978 relative à la mensualisation et à la procédure conventionnelle, celle du 4 août 1982 traitant des chèques-transport, l'ordonnance du 27 septembre 1967 concernant les titres-restaurant, ou encore les dispositions de l'ordonnance du 2 août 2005 relatives au contrat de travail « nouvelles embauches ».
Enfin, il faut souligner que la structure du code facilitera à l'avenir l'insertion de nouvelles normes.
En raison de l'ampleur du chantier, certaines dispositions ont pu être oubliées par les rédacteurs, notamment celles qui sont issues des textes votés récemment. C'est ainsi que notre rapporteur, dont je salue la qualité du travail, a souhaité que notre commission répare quelques omissions ou apporte certaines précisions au texte définitif. Le groupe de l'UMP souhaite s'associer à cette démarche.
C'est ainsi qu'il soutiendra des amendements relatifs au droit local d'Alsace-Moselle, au congé de soutien familial, à la réserve de sécurité civile ou sanitaire. Je présenterai, pour ma part, plusieurs amendements de correction, notamment un amendement visant à réparer une erreur dans le domaine de l'insertion professionnelle des handicapés, sujet qui, comme vous le savez, monsieur le ministre, me tient particulièrement à coeur.
M. Paul Blanc. Au terme de ce travail d'ampleur, je tiens également à saluer la détermination du Gouvernement, qui a souhaité inscrire ce texte à l'ordre du jour de la session extraordinaire. Le nouveau code du travail va enfin voir le jour ! Sans doute les professionnels habitués à l'ancienne version vont-ils devoir faire des efforts d'adaptation, mais ce passage quelque peu difficile est un mal nécessaire pour que nos citoyens, bénéficiant d'un outil clair et moderne, puissent maîtriser les règles qui régissent leur vie professionnelle.
Bien évidemment, notre groupe votera ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
Mme la présidente. La parole est à M. Jean-Pierre Michel.
M. Jean-Pierre Michel. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la semaine dernière, en commission, j'ai ressenti, au départ, une double satisfaction.
Tout d'abord, j'ai été heureux de constater que ce texte visait à codifier le code du travail, car toute entreprise de codification est, en soi, louable.
M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Oui !
M. Jean-Pierre Michel. On le sait, il s'agit d'un travail difficile et de longue haleine, et le parlementaire que je suis ne peut qu'apprécier une telle initiative.
M. Jean-Pierre Michel. Ensuite, je me suis réjoui que le Parlement soit saisi d'un projet de loi de ratification d'une ordonnance, un fait très inhabituel, car, dans la plupart des cas, il n'en est rien.
Cependant, j'ai vite déchanté.
M. Jean-Pierre Michel. En effet, une saisine aussi rapide cache, en fait, une opération peu glorieuse, ...
M. Guy Fischer. En effet !
M. Jean-Pierre Michel. ... puisqu'il s'agit d'empêcher le Conseil d'État de rendre un arrêt.
M. Guy Fischer. Voilà la vérité !
M. Jean-Pierre Michel. Chacun sait, en effet, que le Conseil d'État a été saisi par plusieurs organisations d'un recours en annulation de l'ordonnance.
M. Guy Fischer. Et ces organisations sont majoritaires !
M. Jean-Pierre Michel. Le Gouvernement devait déposer son mémoire en défense à la fin du mois de septembre ; il ne l'a pas fait, car il a obtenu du Conseil d'État un délai supplémentaire, jusqu'au début du mois d'octobre.
M. Jean-Pierre Godefroy. Le 6 octobre !
M. Jean-Pierre Michel. L'affaire serait, semble-t-il, audiencée au début de l'année prochaine.
Mais si le Sénat et l'Assemblée nationale font preuve de célérité pour examiner ce texte, la loi sera promulguée avant la fin de l'année et l'ordonnance aura alors valeur législative.
M. Guy Fischer. Et voilà !
M. Jean-Pierre Michel. Le Conseil d'État ne sera donc plus compétent pour décider en la matière.
M. Guy Fischer. Et le tour est joué !
M. Robert Bret. Cela ne les honorera pas !
M. Jean-Pierre Michel. Sans même aborder la question au fond, nous avons déjà pu voir de quelle manière se sont déroulés, mercredi dernier et ce matin encore, les travaux de la commission des affaires sociales.
Tout en rendant hommage à la clarté et à l'honnêteté de notre rapporteur, Mme Catherine Procaccia, je m'étonne en effet que le Gouvernement ait déposé de si nombreux amendements de forme, soit directement, soit indirectement par le biais du groupe majoritaire ou par l'intermédiaire du rapporteur, nous savons tous ici comment les amendements arrivent parfois... Et tout cela alors que, nous dit-on, le Gouvernement travaille depuis des années sur ce dossier. Il se serait donc aperçu au dernier moment que le texte était encore entaché d'une kyrielle d'erreurs formelles.
M. Guy Fischer. Une multitude !
M. Paul Blanc. Vingt fois sur le métier remettez votre ouvrage...
M. Jean-Pierre Michel. Ensuite, il y a les amendements de fond.
Monsieur le ministre, dans votre intervention, vous avez dit avoir pris en compte récemment - aujourd'hui même et non hier, avant-hier, la semaine dernière ou voilà quelques mois - un certain nombre d'inquiétudes. Je ne pense pas que le Gouvernement puisse donc se prévaloir de sa turpitude,...
M. Jean-Pierre Michel. ...notamment en ce qui concerne le statut des journalistes, par exemple. (Murmures sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Guy Fischer. Un exemple parmi tant d'autres !
M. Jean-Pierre Michel. J'en viens au projet de loi et à la codification elle-même, sur lesquels je ferai trois rapides observations.
Je commencerai par la méthode d'élaboration.
Certes, il a été procédé à des consultations. Mais chacun sait ici - nous avons tous entendu les organisations syndicales, mes chers collègues - que les partenaires sociaux, s'ils ont été réunis, n'ont pas véritablement pu se faire entendre.
M. Xavier Bertrand, ministre. C'est faux ! (Protestations sur les travées du groupe CRC.) Il y a des limites à tout, je suis désolé ! Quand on « reçoit », cela veut dire quelque chose ! Vous n'avez jamais été des professionnels du dialogue social, à gauche !
M. Jean-Pierre Michel. Par ailleurs, certains organismes qui auraient dû être consultés ne l'ont pas été.
M. Jean-Pierre Michel. Il s'agit de la Commission nationale de la négociation collective et du Comité supérieur de l'emploi. La Commission supérieure de codification ne remplace pas ces organismes institués par la loi !
Ma deuxième observation, plus importante encore, porte sur le fait que la codification doit se faire à droit constant. C'est d'ailleurs ce qu'avait promis devant l'Assemblée nationale, le 26 juin 2006, M. Jean-Louis Borloo, alors ministre de l'emploi, de la cohésion sociale et du logement, et donc en charge des questions du droit du travail.
Cette question de codification à droit constant a été très bien définie par une formule de Guy Braibant. Selon lui, à cette occasion, on ne réforme pas, on reforme ! Or - cela a été dit avant moi et les exemples abondent -, dans le cas présent, on a soit ajouté, soit retranché, soit modifié, mais le travail de recodification n'a pas été fait à droit constant !
Je ne citerai qu'un exemple qui, pour l'instant, n'a pas été donné au cours du débat. Ainsi, l'un des cinq critères de représentativité des syndicats - l'attitude patriotique pendant l'Occupation - est supprimé.
Certes, cette formulation peut paraître anachronique. Cela ne signifie pas pour autant que le critère soit devenu obsolète. Bien au contraire ! Il a d'ailleurs été maintenu dans la loi du 13 novembre 1982 relative à la négociation collective et au règlement des conflits collectifs du travail, alors qu'il était déjà possible, à cette époque, d'évoquer l'anachronisme d'un tel critère et de remplacer celui-ci par un autre. Dans l'immédiat après-guerre, adhérer aux valeurs de la République française, c'était nécessairement avoir eu une attitude patriotique pendant l'Occupation. C'est pourquoi ce critère avait été conservé.
Doit-on aujourd'hui le supprimer ? Non ! La Cour de cassation, lorsqu'elle a eu à statuer sur cette question, notamment à propos de syndicats issus du Front national - en particulier le « Front national de la Police » -, ne s'est pas contentée d'affirmer que ces organisations, en ce qu'elles étaient l'émanation de partis politiques, ne pouvaient être qualifiées de syndicats. Elle a ajouté que les valeurs défendues par ces syndicats étaient contraires à un certain nombre de principes essentiels de notre système juridique.
Cela démontre que la question de l'attachement d'un syndicat à certaines valeurs fondamentales de la République française n'est pas une question obsolète et que le critère de représentativité doit perdurer. Or vous le supprimez, alors qu'il n'y avait, en l'occurrence, aucune raison de le faire !
Incontestablement, monsieur le ministre, sur ce point précis, vous avez modifié le droit positif. Cela n'a d'ailleurs pas échappé à une partie de la doctrine qui s'est ouvertement interrogée ; je pense en particulier à Hervé Moysan, dans la Semaine juridique-Social du 11 avril 2007.
Ma troisième observation porte sur la codification elle-même. Alors qu'elle devrait avoir pour objet de « reformer » le code, elle consiste ici en une réécriture totale ! Vous l'avez d'ailleurs dit vous-même, monsieur le ministre. C'était pour vous un point positif ; pour nous, ce n'est pas aussi positif que cela !
En effet, des articles sont éclatés, déplacés, parfois au mot près, de nouveaux chapitres sont créés ; surtout, le Gouvernement a procédé à un déclassement important d'articles législatifs en articles réglementaires. Je remarque que, curieusement, il n'en est pas fait état dans le rapport au Président de la République relatif à l'ordonnance.
Le Conseil d'État n'admet pas une telle pratique, et vous le savez, monsieur le ministre ! Le Gouvernement ne peut pas, de lui-même, déclasser ainsi des articles législatifs en articles réglementaires. Seuls le Conseil constitutionnel et le Parlement sont habilités à le faire. C'est, me direz-vous, l'une des raisons pour lesquelles nous sommes aujourd'hui invités à débattre...
Un nombre important de déclassements a été opéré. Parmi ceux-ci figurent des règles dont on ne voit pas comment elles pourraient relever de la compétence réglementaire. Il en va ainsi d'une série de dispositions relatives au statut des journalistes qui ont été déclassées, mais dont le caractère désormais réglementaire apparaît d'autant plus injustifié que le statut des journalistes participe de la liberté de la presse, c'est-à-dire d'une liberté qui a une valeur constitutionnelle et dont l'aménagement relève par essence de la compétence du législateur.
Ce matin, en commission, un amendement a été déposé par le Gouvernement afin de réintroduire dans la partie législative un certain nombre d'articles qui avaient été déclassés dans la partie réglementaire. Cela montre bien, monsieur le ministre, la précipitation dans laquelle le travail a été accompli, sans beaucoup de ligne politique !
Il résulte de tout cela une très grande complexité qui est contraire à deux objectifs de nature constitutionnelle, rappelés plusieurs fois par le Conseil constitutionnel : d'une part, la lisibilité du doit et, d'autre part, la sécurité juridique.
Monsieur le ministre, vos propos introductifs sur ce point sont largement démentis par la façon dont se présente la nouvelle codification du code du travail. C'est d'autant plus grave et regrettable que les usagers du code du travail, ceux qui y sont assujettis - les salariés, les directeurs des ressources humaines dans les entreprises - et ceux qui le font respecter - conseils des prud'hommes, conseillers prud'homaux élus par les employeurs et par les salariés, greffiers des conseils des prud'hommes qui assistent les conseillers prud'homaux -, devront tous manier un code nouveau qui leur posera de grandes difficultés de lecture, de compréhension et d'application,...
M. Jean-Pierre Michel. ... et ce quelques mois avant le renouvellement total des conseils des prud'hommes, puisque les élections générales auront lieu au mois de décembre.
On avance à petits pas vers une bonne solution, puisque Mme le rapporteur avait fait voter en commission un amendement visant à préciser que la partie législative ne devrait s'appliquer qu'à partir du 1er mars, contrairement à ce que le Gouvernement avait demandé.
Par voie d'amendement, le Gouvernement propose à son tour - tout cela est ubuesque, mais va plutôt dans le bon sens !- ...
Mme Catherine Procaccia, rapporteur. Cela prouve qu'il m'écoute !
M. Jean-Pierre Michel. ... de reporter la date d'application au 1er mai, jour de la fête du travail.
M. Guy Fischer. Encore un effort, monsieur le ministre ! (Sourires.)
M. Jean-Pierre Michel. Il y aura le nouveau code du travail ! On fera une manifestation, ministre en tête, syndicats derrière, je suppose...
M. Jean-Pierre Michel. C'est la grande compromission du régime actuel qui continue ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. -M. Guy Fischer applaudit également.)
À mon avis, plus on avance vers le mois de décembre et moins c'est bon ! En effet, ou bien le nouveau code est applicable tout de suite, ou bien on attend que les élections prud'homales aient lieu, que les nouveaux conseils des prud'hommes soient installés, qu'ils soient préalablement formés grâce à un certain nombre de documents que vous ne manquerez pas, ainsi que les syndicats et autres organisations, de leur faire parvenir. Ainsi, une fois installés, ils seront en mesure d'appliquer le nouveau code du travail. À quoi bon faire appliquer pendant sept mois - quatre mois si l'on enlève les vacances - un nouveau code du travail aussi complexe par des conseils qui vont changer ?
Pour toutes ces raisons, en l'état actuel de notre discussion, monsieur le ministre, comme l'a dit tout à l'heure ma collègue Mme Christiane Demontès, nous voterons contre votre texte. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
(M. Guy Fischer remplace Mme Michèle André au fauteuil de la présidence.)