compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Guy Fischer
vice-président
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PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
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Transparence et sécurité en matière nucléaire
Adoption définitive d'un projet de loi en deuxième lecture
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion en deuxième lecture du projet de loi, modifié par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire (nos 286 et 357).
Rappel au règlement
M. Bernard Piras. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, lors de l'examen en commission du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, le rapporteur, M. Henri Revol, a regretté que le groupe socialiste ait voté contre ce texte en première lecture, arguant du fait que le projet de loi avait été inspiré par un rapport de notre collègue député Jean-Yves Le Déaut, élaboré à la demande du Premier ministre de l'époque, Lionel Jospin.
Nous aurions effectivement pu voter ce texte, ou tout au moins nous abstenir, si certains de nos amendements avaient été retenus. Lors de la discussion du projet de loi en deuxième lecture à l'Assemblée nationale, le rapporteur a repris, à ma grande stupéfaction, plusieurs amendements qui nous satisfaisaient pleinement.
L'urgence a été levée. Et voilà que vous revenez dans cet hémicycle, madame la ministre, en nous demandant un vote conforme ! Les amendements déposés notamment par le groupe socialiste ne seront donc pas pris en compte. Le groupe de l'UMP n'a déposé aucun amendement.
Certes, le Gouvernement nous a habitués ces derniers temps à des pratiques surprenantes, comme celles révélées par l'affaire Clearstream ou encore l'usage par le Président de la République de son droit de grâce au profit de l'un de ses amis.
Aujourd'hui, madame la ministre, vous, qui êtes pourtant issue de cette assemblée, nous demandez de voter ce texte conforme ! Le groupe socialiste ne se prêtera pas à cette mascarade et préfère se retirer du débat. (M. Bernard Piras quitte l'hémicycle.)
M. le président. Monsieur Piras, acte vous est donné de votre rappel au règlement.
Discussion générale
Mme Nelly Olin, ministre de l'écologie et du développement durable. Monsieur le président, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, je souhaite rappeler toute l'importance du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire, que j'ai l'honneur de vous présenter en deuxième lecture.
Ce texte rénove en profondeur le cadre législatif applicable aux activités nucléaires et à leur contrôle. Il marque des avancées importantes concernant la transparence en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection. Enfin, il crée une Autorité de sûreté nucléaire, chargée de contrôler la sûreté nucléaire et la radioprotection, ainsi que de contribuer à l'information du public dans ces domaines.
Cette loi est particulièrement nécessaire au moment où la France opère des choix importants concernant le nucléaire civil. Un haut niveau de sûreté, l'amélioration continue de celui-ci et la poursuite des progrès en matière de transparence sont les conditions d'un nucléaire au service des générations présentes et respectueux des générations futures. Le Gouvernement est particulièrement attentif au respect de ces conditions, compte tenu de la place qu'occupe le nucléaire dans notre politique énergétique, à côté des économies d'énergie et du développement des énergies renouvelables.
Par ce projet de loi, le Gouvernement met l'accent sur le fait que le ministère de l'écologie et du développement durable est un ministère majeur, qui occupe une place centrale dans le contrôle des activités pouvant présenter des risques pour les personnes et l'environnement.
Ce texte a été examiné en première lecture par le Sénat et l'Assemblée nationale. J'avais déjà salué le travail tout à fait remarquable réalisé par vos rapporteurs, MM. Bruno Sido et Henri Revol, et par votre Haute Assemblée. J'avais également souligné l'ambition et l'équilibre du texte qui en a résulté.
L'Assemblée nationale a conservé cette ambition et cet équilibre. Elle a apporté des améliorations tout à fait utiles, en parfaite cohérence avec celles que le Sénat avait introduites. La qualité du travail parlementaire en première lecture me conduit aujourd'hui à considérer, au nom du Gouvernement, que le texte obtenu est tout à fait satisfaisant.
Permettez-moi d'illustrer avec vous cette appréciation en parcourant les grands objectifs de la loi.
Le premier objectif du projet de loi est de poser les grands principes applicables aux activités nucléaires.
Conformément au souhait exprimé par les assemblées parlementaires et pleinement partagé par le Gouvernement, le projet de loi confirme désormais sans ambiguïté que l'ensemble des grands principes en matière de protection de l'environnement s'applique aux activités nucléaires : les principes de prévention, de précaution, le principe pollueur-payeur, ainsi que celui de participation et d'information du public.
Votre Haute Assemblée y a inscrit le principe fondamental de la responsabilité première de l'exploitant, ainsi que le rôle et les responsabilités de l'État en matière de sûreté nucléaire, de radioprotection et d'information du public. Nous disposons à présent d'un ensemble ambitieux et cohérent, qui décline de manière claire les grands principes de la Charte de l'environnement, faisant partie de notre acquis constitutionnel depuis un an.
Le deuxième objectif est de créer une Autorité de sûreté nucléaire, autorité administrative indépendante chargée, au nom de l'État, de contrôler la sûreté nucléaire et la radioprotection, et de participer à l'information du public.
J'ai déjà indiqué devant la Haute Assemblée pourquoi cette réforme institutionnelle majeure a été voulue par le Président de la République.
L'acceptation des activités nucléaires par le public repose notamment sur la confiance que celui-ci accorde au contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection. Dans la situation actuelle, les services chargés de ce contrôle sont intégralement placés sous l'autorité du Gouvernement, ce qui suscite des interrogations chez certains de nos concitoyens.
Le Gouvernement doit en effet assumer d'autres responsabilités, toutes aussi importantes pour la collectivité. Il doit ainsi veiller à l'approvisionnement énergétique ou jouer son rôle d'actionnaire principal des grands opérateurs du secteur nucléaire.
Il a donc considéré qu'il fallait apporter à ces interrogations une réponse sans ambiguïté. C'est pourquoi le projet de loi donne le statut d'autorité administrative indépendante à la structure chargée, au sein de l'État, du contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.
L'Autorité de sûreté nucléaire comportera un collège de cinq membres nommés pour six ans par le Président de la République, le président de l'Assemblée nationale et le président du Sénat. Ces membres seront astreints à un devoir d'impartialité.
Le Gouvernement conservera par ailleurs les pouvoirs nécessaires à l'exercice de ses missions essentielles. Il continuera à définir la réglementation s'appliquant aux activités nucléaires. Il continuera également à prendre les décisions individuelles majeures présentant une forte dimension d'opportunité politique, à savoir les autorisations de création et de démantèlement des grandes installations nucléaires.
Il pourra, en cas de risque grave, suspendre le fonctionnement d'une installation et conservera, en cas d'accident, la responsabilité de prendre les mesures de protection de la population.
L'Autorité de sûreté nucléaire sera consultée sur les projets de textes réglementaires. Elle sera chargée du contrôle des activités nucléaires, à la fois des grandes installations nucléaires et des installations nucléaires dites « de proximité », et pourra à ce titre définir des prescriptions techniques individuelles s'appliquant à ces activités. Elle aura également la responsabilité de contribuer à l'information du public sur la sûreté nucléaire et la radioprotection.
Le travail parlementaire a apporté des améliorations particulièrement opportunes au dispositif, tout en préservant son esprit. Je pense notamment aux dispositions visant à améliorer la garantie d'un fonctionnement collégial et d'une réelle solidarité entre les membres du collège, y compris par des mécanismes de sanctions.
Je pense également au renforcement du contrôle du Parlement sur l'Autorité, à l'homologation par les ministres du règlement intérieur de l'Autorité, ainsi qu'à la possibilité pour le Gouvernement d'adresser des demandes à l'Autorité.
Le Gouvernement estime qu'un point d'équilibre satisfaisant est atteint. Cet équilibre apparaît clairement dans l'article 2 bis A introduit par l'Assemblée nationale, qui récapitule les compétences respectives du Gouvernement et de l'Autorité de sûreté nucléaire.
Le troisième objectif est de garantir les conditions effectives de la transparence en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection.
L'ambition du projet de loi est de dépasser les incantations trop souvent entendues et de donner un contenu concret à cette notion de transparence. L'intervention de votre Haute Assemblée a été particulièrement riche sur ce sujet et le Gouvernement considère que l'ambition est atteinte.
La transparence, c'est d'abord la mise à la disposition du public d'une information complète sur la sûreté nucléaire et la radioprotection. Des efforts importants en la matière sont faits depuis de nombreuses années sous l'impulsion du Gouvernement, à la fois par les services chargés du contrôle et par les exploitants. Le projet de loi donne un cadre et une légitimité nouvelle à ces efforts.
La transparence, c'est aussi l'existence des conditions effectives du droit d'accès à l'information. Le projet de loi institue un droit d'accès nouveau du public à l'information détenue par les exploitants d'installations nucléaires et les détenteurs de matières radioactives.
La transparence, c'est enfin l'existence de lieux spécifiquement consacrés à l'information et au débat pluriel sur la sûreté nucléaire et la radioprotection. Le projet de loi donne un statut législatif aux commissions locales d'information, les CLI. Il consacre l'implication des collectivités territoriales, notamment des conseils généraux, et pérennise leur financement. Il prévoit enfin la création d'une fédération des CLI pour donner une assise à l'Association nationale des commissions locales d'information, qui existe aujourd'hui.
Le projet de loi a été profondément remanié par votre Haute Assemblée sur ce point. Le dispositif a pris de l'ampleur, et son ancrage dans la société civile et la réalité locale des sites nucléaires est mieux assuré.
Le projet de loi institue également un Haut Comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, qui est destiné à prendre la relève du Conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaires. Votre Haute Assemblée a précisé la mission de ce Haut Comité, qui doit avant tout constituer un lieu de débat au niveau national et être, en quelque sorte, le pendant des CLI. Elle a ainsi contribué à clarifier les rôles et les missions des différents acteurs de la sécurité nucléaire.
Le quatrième objectif est de rénover la législation relative à la sûreté des grandes installations nucléaires, les « installations nucléaires de base », et du transport de matières radioactives.
Le constat est connu et partagé : la base législative du contrôle de la sûreté des grandes installations nucléaires est ancienne et incomplète. À côté de cela, la sûreté nucléaire et la radioprotection sont en France à un niveau qui n'a rien à envier aux meilleures pratiques étrangères. Leur contrôle est efficace et sa qualité est internationalement reconnue.
Notre législation n'est donc plus à la hauteur de notre pratique et de nos résultats. C'est l'ambition du projet de loi d'y remédier.
Le travail parlementaire a permis de valider et d'approfondir les améliorations que le Gouvernement avait apportées au projet initial par sa lettre rectificative.
Le texte définit maintenant clairement les intérêts à protéger avec une conception élargie de la sûreté nucléaire qui intègre la prévention des accidents, mais aussi la protection de la santé des personnes et de l'environnement.
Il précise les conditions posées à la délivrance de l'autorisation de création d'une installation. En particulier, il affiche clairement que le « risque zéro » n'existe pas et que les mesures prises ont pour objet de prévenir et de limiter les risques dans le cadre des connaissances scientifiques et techniques du moment, conformément à la Charte de l'environnement.
Le Gouvernement estime que de telles dispositions font partie intégrante de la transparence et du respect que nous devons aux Français.
Le texte donne ensuite à l'Autorité de sûreté nucléaire le pouvoir d'imposer à l'exploitant des prescriptions techniques complémentaires tout au long de la vie de l'installation.
Le Gouvernement considère que le travail parlementaire a permis d'obtenir un texte d'un haut niveau d'exigence et de qualité.
C'est, il faut le dire, un texte attendu depuis de nombreuses années, souvent annoncé, souvent reporté.
Il est indispensable pour fonder le contrôle de la sûreté nucléaire et de la radioprotection sur des bases solides et pour prendre acte des aspirations de notre société en matière de transparence.
C'est aussi un texte crucial pour que les décisions concernant le nucléaire civil attendues dans les prochains mois ou dans les prochaines années soient prises dans le cadre d'une nouvelle organisation institutionnelle du contrôle propre à renforcer la confiance des Français.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le travail réalisé par votre Haute Assemblée ainsi que par l'Assemblée nationale a permis d'obtenir un texte que le Gouvernement considère comme abouti. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, rapporteur.
M. Bruno Sido, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, notre Haute Assemblée est donc saisie, en deuxième lecture, du projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire. Alors que nous avions adopté ce texte le 8 mars dernier, les députés en ont achevé l'examen le 29 mars.
Je rappelle que ce texte a vocation à donner, pour la première fois dans notre pays, alors que la France est un des leaders mondiaux dans le domaine des activités nucléaires, un corpus juridique stable en matière de régime des installations nucléaires de base.
Surtout, il tend à organiser une véritable transparence pour le fonctionnement de ce secteur, condition sine qua non de son acceptabilité par nos concitoyens.
Enfin, l'autre objectif majeur de ce texte est - nous en avons amplement discuté - de créer une autorité administrative indépendante chargée du contrôle des activités nucléaires en conférant un tel statut à l'actuelle direction générale de la sûreté nucléaire et de la radioprotection.
Bien évidemment, la commission se félicite que, sur le principe, le Parlement ait enfin pu discuter de ce texte, attendu depuis 2002. Surtout, je me réjouis que nous ayons eu, ici, au Sénat un débat de très bon niveau, qui a été constructif.
Les rapporteurs, M. Revol et moi-même, avons abordé - j'espère en tout cas que cela a été ressenti ainsi - l'examen des propositions d'amendements des différents groupes politiques avec la plus grande ouverture d'esprit possible. J'en veux pour preuve le fait que notre Haute Assemblée a adopté des amendements issus de tous les groupes politiques, UMP, UDF, groupes socialiste et CRC, mais aussi des amendements présentés par nos collègues Verts.
Je dirai maintenant quelques mots du travail accompli au Sénat sur les parties du projet de loi dont j'ai la charge en tant que rapporteur, notamment sur la création de l'autorité indépendante.
Je vous rappelle que nous avions essentiellement mieux encadré les conditions d'exercice du pouvoir réglementaire par l'Autorité de sûreté nucléaire et prévu un nouveau cas permettant de mettre fin au mandat d'un des membres du collège de celle-ci, le cas de manquement à ses obligations.
S'agissant du droit à l'information, notre Haute Assemblée a fait reposer l'obligation de communication des documents relatifs à la sûreté et à la radioprotection sur les seules exploitations les plus sensibles, à savoir les installations nucléaires de base.
S'agissant du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, nous avons porté à quatre le nombre de parlementaires membres de cette nouvelle instance qui a vocation à se substituer au Conseil supérieur de la sûreté et de l'information nucléaires, le CSSIN. Nous avons également prévu la présence de représentants des organisations syndicales au sein du Haut comité.
D'une manière générale, les députés ont confirmé très largement les grandes orientations retenues en première lecture. S'agissant des titres Ier, II et III, ils ont apporté de nombreuses améliorations rédactionnelles, que la commission approuve pleinement.
Ainsi, ils ont modifié la dénomination de l'autorité de contrôle, baptisée à l'origine « Haute autorité de sûreté nucléaire » et maintenant dénommée « Autorité de sûreté nucléaire ».
De même, ils ont systématiquement remplacé les termes « le ministre chargé de la sûreté nucléaire » par les termes « les ministres chargés de la sûreté nucléaire ». Ils ont ainsi voulu consacrer dans la loi le fait que la tutelle du nucléaire est conjointement exercée par les ministres de l'industrie et de l'écologie.
Enfin, ils ont également remplacé, dans tous les articles, le concept de « transport de matières radioactives » par celui de « transport de substances radioactives » au motif que ce dernier bénéficiait d'une définition juridique.
Au total, ces trois choix rédactionnels expliquent très largement le faible nombre d'articles votés conformes par l'Assemblée nationale alors même qu'une grande convergence de fond résulte des travaux des deux chambres du Parlement.
S'agissant du titre Ier, consacré aux dispositions générales, les députés ont précisé que les activités nucléaires doivent respecter le principe « pollueur-payeur » et le principe de « participation » des citoyens.
Surtout, l'Assemblée nationale a inséré un nouvel article 2 bis A qui dresse la liste des compétences respectives du Gouvernement, des ministres et de l'Autorité de sûreté nucléaire dans le domaine du nucléaire. Il s'agit là d'une initiative judicieuse de nature à apaiser les craintes qui avaient pu être émises dans notre hémicycle sur le dessaisissement supposé de l'État du contrôle du nucléaire. À la lecture de cet article, chacun pourra constater que les rôles des uns et des autres sont clairement établis.
En ce qui concerne les dispositions du titre II qui instituent l'ASN sous la forme d'une autorité administrative indépendante, les députés ont inséré deux articles additionnels fixant respectivement à l'ASN, d'une part, des délais dans lesquels elle sera tenue de rendre ses avis sur les projets de décret et d'arrêté de nature réglementaire, d'autre part, une obligation de publicité pour les avis et décisions délibérées par elle.
Dans le domaine de l'information du public en matière de sécurité nucléaire, régi par les articles du titre III, l'Assemblée nationale a essentiellement modifié les dispositions relatives aux commissions locales d'information et au Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire.
Pour ce qui concerne les CLI, les députés ont prévu que les parlementaires du département seront membres de ces commissions et que, dans le cas où le président du conseil général ne préside pas la CLI, mais désigne un élu local pour cette fonction, ce dernier devra être un élu du département.
Par ailleurs, ils ont autorisé les CLI à procéder à des études épidémiologiques et ont souhaité qu'elles soient informées des demandes de communication de documents en matière de sûreté nucléaire ou de radioprotection qui sont adressées à l'installation nucléaire de base par des citoyens.
S'agissant du Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire, les députés ont fixé à trente-quatre le nombre de ses membres. Ils ont aussi prévu la nomination de cinq personnalités qualifiées, dont trois désignés par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, une par l'Académie des sciences et une par l'Académie des sciences morales et politiques.
En définitive, les députés ont abordé l'examen de ce texte dans les mêmes dispositions d'esprit que les sénateurs, avec les mêmes préoccupations, les mêmes questions et surtout le même souhait d'être constructifs. Ils ont, comme nous, souhaité redonner une visibilité juridique au secteur nucléaire. Ce but est, je le crois, atteint.
Pour ces raisons, la commission a considéré que la rédaction de ce texte était satisfaisante et pouvait être adoptée en l'état, dans la mesure où les compléments des députés lui sont apparus opportuns et qu'aucun des acquis importants résultant du vote du Sénat n'a été remis en cause.
Je le dis avec force à nos collègues des groupes de l'opposition qui, en commission, ont fait part des réserves que leur inspirait cette orientation, il ne s'agit pas, en l'espèce, de céder à un quelconque diktat qui nous serait imposé de l'extérieur. Nous considérons seulement que le processus parlementaire peut s'arrêter à ce stade dans la mesure où, je le répète, l'équilibre général du texte et sa rédaction nous paraissent véritablement satisfaisants.
C'est pourquoi la commission ne vous propose aujourd'hui aucun amendement et invite la Haute Assemblée à adopter conforme le projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. La parole est à M. Henri Revol, rapporteur.
M. Henri Revol, rapporteur de la commission des affaires économiques. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je souhaite, à mon tour et très brièvement, vous faire part de ma satisfaction.
Comme vient de le préciser Bruno Sido, nous attendions avec impatience la discussion de ce projet de loi, indispensable pour garantir la sécurité juridique du secteur nucléaire et pour consolider son acceptation au sein de notre société.
Il s'agissait d'une initiative indispensable à l'heure où nous traversons une période de grave crise énergétique, démontrant toute la pertinence du choix fait par la France en faveur de l'énergie électrique d'origine nucléaire.
Il s'agissait également d'un préalable nécessaire au moment où notre pays s'apprête à relancer plusieurs chantiers nucléaires très importants, qu'il s'agisse du lancement de l'EPR, du projet ITER ou des premières études sur l'élaboration des réacteurs nucléaires de quatrième génération.
Enfin, à l'heure où se pose de manière cruciale la question de la gestion des déchets nucléaires, dont nous avons débattu hier et aujourd'hui, il était plus que temps d'apporter un véritable cadre juridique et de transparence pour l'exercice de ces activités.
Je n'ai rien à retrancher à ce qu'a dit Bruno Sido. Je me félicite également de la très bonne tenue des débats sur ce sujet, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale, et je me réjouis que, malgré les débats de fond que nous avons pu avoir entre majorité et opposition, nous ayons oeuvré de concert pour améliorer le fonctionnement du secteur nucléaire.
Sans vouloir polémiquer, je m'étonne d'ailleurs un peu, comme je l'ai dit en commission, que nos collègues du groupe socialiste et du groupe CRC, aient, dans notre Haute Assemblée, voté contre le texte du projet de loi alors que leurs collègues de l'Assemblée nationale se sont abstenus, et je m'étonne encore plus de la déclaration faite au nom du groupe socialiste par notre collègue Bernard Piras avant que s'ouvre le débat.
Si nous nous dirigeons vers un vote conforme après l'étude en commission, c'est que ce texte a atteint, grâce aux travaux approfondis menés en première lecture au Sénat et enrichis par l'Assemblée nationale, un équilibre tout à fait satisfaisant, comme l'a souligné Mme la ministre.
S'agissant des parties du projet de loi dont j'ai la charge en tant que rapporteur, c'est-à-dire des titres IV et V, je vous rappelle qu'ils ont essentiellement pour objet de donner, pour la première fois en plus de quarante ans d'exercice des activités nucléaires dans notre pays, un fondement législatif complet au régime des installations nucléaires de base tout en l'actualisant. Notre Haute Assemblée avait essentiellement apporté un grand nombre de clarifications pour améliorer ce système.
En outre, le titre IV a considérablement renforcé les prérogatives des inspecteurs des installations nucléaires de base, désormais dénommés « inspecteurs de la sûreté nucléaire ».
Nous avions également eu ce souci d'amélioration sur le titre V, consacré aux dispositions diverses et transitoires, afin de procéder aux différentes coordinations rendues nécessaires par la création d'une autorité administrative indépendante.
En ce qui concerne les principales modifications introduites par les députés sur ces parties, je souhaiterais brièvement vous les résumer.
S'agissant du titre IV du projet de loi, relatif au régime juridique des installations nucléaires de base, l'essentiel des ajouts introduits par l'Assemblée nationale tendent, tout d'abord, à mieux identifier les procédures applicables aux installations de stockage de déchets radioactifs, conformément aux orientations retenues dans le projet de loi relatif à la gestion des déchets nucléaires.
L'Assemblée nationale a également prévu l'homologation ministérielle des prescriptions définies par l'ASN en matière de rejets dans l'environnement pour les installations nucléaires de base, les INB.
Surtout, les députés ont inséré des dispositions afin de renforcer le rôle des comités d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail, les CHSCT, dans les installations nucléaires de base en matière de prévention des risques et d'améliorer la qualité des interventions des entreprises extérieures au sein des INB.
Les députés ont également ramené à deux ans le délai dont disposent les tiers pour former un recours de pleine juridiction contre les décrets d'autorisation de création ou de mise à l'arrêt définitif des INB. Enfin, ils ont permis au juge d'assortir ses injonctions de remise en état des sites d'une astreinte.
En ce qui concerne le titre V, consacré aux dispositions diverses, l'Assemblée nationale a, tout d'abord, maintenu le régime actuel d'inspection du travail dans les centrales de production d'électricité d'origine nucléaire en procédant aux adaptations liées à la création d'une autorité administrative indépendante.
Un amendement a également été voté afin que les dispositions relatives aux compétences de l'ASN entrent en vigueur au plus tard le 31 mars 2007.
Pour terminer, les députés ont indiqué explicitement que les fonctionnaires et agents affectés ou mis à disposition de l'ASN pourront retourner dans leur administration ou établissement d'origine à compter de l'entrée en vigueur des dispositions relatives aux compétences de l'ASN.
En définitive, vous le comprendrez, je ne peux que confirmer le fait que les députés ont travaillé dans le même état d'esprit que nous sur les parties dont j'ai la charge. En effet, les convergences de vues entre les deux assemblées sont évidentes et aucun des éléments essentiels que nous avions adoptés en première lecture n'a été remis en cause. C'est pourquoi je n'ai, moi non plus, pas d'amendements à vous proposer.
Je vous propose donc également, au nom de la commission des affaires économiques, d'adopter le texte du projet de loi en l'état puisque la rédaction des articles me semble totalement satisfaisante et m'apparaît respecter l'esprit du vote de la Haute Assemblée en première lecture. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Billout.
M. Michel Billout. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, nous sommes donc quelques-uns à être à nouveau réunis pour examiner le projet de loi relatif à la transparence et la sécurité nucléaire.
Je tiens, à cet égard, à mentionner la qualité des débats au sein de cet hémicycle, ainsi qu'à l'Assemblée nationale en première lecture.
Madame la ministre, vous avez souhaité, dans un esprit constructif, que ce texte puisse être largement amendé par les parlementaires, y compris ceux de l'opposition.
Dans ce sens, la levée de l'urgence a été un signe fort pour nous laisser le temps de travailler dans des conditions à la hauteur des enjeux.
Alors comment expliquer votre volonté d'obtenir un vote conforme sur ce texte ? C'est totalement contradictoire avec ce que je viens de souligner.
Certes, nous bénéficions d'une deuxième lecture, mais nous savons d'emblée que le texte ne bougera pas d'une virgule parce qu'il doit être adopté en l'état. Nous ne pouvons nous satisfaire de cette décision. C'est un déni du rôle des parlementaires qui nous est insupportable, particulièrement sur un sujet aussi important. J'y reviendrai dans la conclusion de mon intervention.
Concernant le projet de loi, nous reconnaissons que ce texte comporte des points positifs, notamment en ce qui concerne la transparence en matière nucléaire.
Nous estimons que la création d'un Haut comité pour la transparence sur la sécurité nucléaire, chargé de veiller à la garantie du droit à l'information, est une bonne mesure même si nous souhaiterions que sa saisine soit élargie aux parlementaires, aux représentants des organisations syndicales ainsi qu'aux représentants du comité d'hygiène, de sécurité et des conditions de travail.
De plus, nous estimons que ce texte fait oeuvre utile en reconnaissant l'existence légale des commissions locales d'information et en élargissant leurs pouvoirs, notamment concernant la possibilité de faire réaliser des études endémiologiques.
Nous sommes assez satisfaits de ces garanties apportées par la loi, même si, concrètement, les CLI ne disposent pas de réels pouvoirs de contrainte pour obtenir certains documents et que l'exercice de leur nouvelle compétence dépendra largement de la hauteur de leur financement.
Cependant, nous sommes plus circonspects sur le droit à l'information créé à l'article 4. Nous estimons qu'en restreignant ce droit aux documents qui ne sont touchés ni par le secret défense, ni par le secret commercial ou industriel, ce texte ne permet pas de garantir effectivement ce droit.
Cette nouvelle obligation est source d'insécurité juridique pour les exploitants qui ne sauront pas quels documents ils sont dans l'obligation de fournir. Nous estimons donc que ce projet de loi aurait dû renvoyer à un décret pris en Conseil d'État la liste des documents transmissibles.
En outre, si nous considérons l'information de la population indispensable, nous pensons également qu'il ne faut pas oublier l'information des salariés de ce secteur.
L'exercice de la démocratie sociale est un élément important de la transparence nucléaire.
De ce point de vue, le statut d'EPIC d'EDF permettait un minimum de consultation des personnels grâce aux dispositions statutaires.
Aujourd'hui, la situation s'est nettement dégradée : les salariés sont systématiquement écartés de toutes les questions de sécurité.
Le nouveau chapitre 1er bis du titre III, introduit par l'Assemblée nationale, permet de répondre en partie à ces préoccupations en étendant les prérogatives du CHSCT aux domaines de la sûreté nucléaire. Nous avions déjà, en première lecture, déposé un certain nombre d'amendements dans ce sens. Certains, qui avaient été rejetés ici, ont même été adoptés à l'Assemblée nationale, notamment la participation des CHSCT à l'élaboration du plan d'urgence interne. Nous nous en félicitons.
Ainsi, les dispositions prévues par le code du travail pour les sites SEVESO sont dorénavant étendues aux installations nucléaires de base. Les CHSCT notamment seront consultés sur le recours à la sous-traitance et leurs réunions seront élargies aux représentants des entreprises sous-traitantes.
Cependant, une nouvelle fois, si cette intention est louable, elle sera fortement limitée.
Cette disposition ne s'appliquera pas dans les centrales nucléaires de production d'électricité où le recours à la sous-traitance est pourtant de plus en plus pratiqué.
Nous regrettons tout de même que ces nouveaux pouvoirs restent limités à l'information sans pouvoir d'expertise ni d'analyse de sûreté et de droit d'alerte.
Sur le fond, je rappellerai tout de même que les politiques de libéralisation du secteur énergétique et de l'ouverture du capital d'EDF ont de lourdes conséquences concernant la transparence nucléaire elle-même.
La gestion privée des entreprises énergétiques correspond à un recul démocratique important puisque les citoyens et les salariés n'ont plus leur mot à dire. Ce déficit démocratique est alors potentiellement facteur de manque de transparence.
De plus, non seulement la mise en oeuvre des principes de libéralisation dans le secteur énergétique est source d'un déficit de transparence, mais également les impératifs du marché sont difficilement compatibles avec ceux de sûreté en matière nucléaire.
Même s'il s'agit d'une énergie permettant de lutter efficacement contre le réchauffement climatique et qu'en l'état actuel des connaissances elle est la mieux à même de répondre à l'explosion des besoins, son développement et son acceptation par les citoyens ont pour corollaire la garantie d'une sécurité maximale.
Je voudrais, à ce sujet, vous rappeler que, depuis maintenant cinq années, les rapports annuels de l'inspecteur de la sûreté nucléaire et de la radioprotection, ainsi que celui des autorités de sûreté nucléaire, alertent sur les incidences de la recherche de la compétitivité associée à la libéralisation du secteur.
Ils soulignent notamment l'évolution des conditions d'exploitation pour tenir compte des aléas du marché et garantir l'augmentation des marges financières.
De plus, la libéralisation du secteur de l'énergie, associée à la privatisation d'EDF, s'est traduite par une place grandissante de la sous-traitance et la dégradation des conditions de travail et sociales des salariés.
J'en veux pour preuve que 80 % des doses d'irradiation reçues dans le nucléaire et 70 % des accidents du travail sont subis par les salariés de la sous-traitance. L'émergence de la concurrence dans ce secteur tend à faire disparaître la professionnalisation des gestes requis.
L'Autorité de sûreté nucléaire souligne à ce sujet que « lorsque des prestataires d'EDF sous-traitent à des entreprises qui, à leur tour, font appel à la sous-traitance, il devient difficile de contrôler effectivement la qualification de l'intervenant et la qualité des travaux. »
Le recours à l'emploi précaire dans les centrales nucléaires ou électriques y est le double de celui qui est constaté dans l'industrie, atteignant parfois 70 % dans les activités les plus exposées aux risques professionnels.
Ainsi, depuis septembre 2005, de source syndicale, « quatre plans d'urgence internes ont été déclenchés à la suite d'incidents importants » dans des centrales nucléaires françaises.
EDF donne un bon exemple de ces dérives puisque le bénéfice record réalisé en 2005 sert à offrir 1,441 milliard d'euros de dividendes aux actionnaires, somme qui ne servira donc ni à financer le projet industriel de l'entreprise énergétique, ni à augmenter les garanties sociales des salariés.
C'est dans ce contexte particulier que vous souhaitez désengager l'État en créant une nouvelle Autorité administrative indépendante, aux pouvoirs exorbitants et qui, pourtant, ne serait responsable devant personne.
Cette nouvelle autorité administrative indépendante serait chargée du contrôle de la sécurité nucléaire, de la radioprotection et de l'information afin de renforcer la confiance des citoyens dans le nucléaire.
Nous estimons pourtant que, dans ce domaine, une externalisation de ces services par l'État, loin de garantir une indépendance renforcée, laisse présager une pression accrue des grands groupes industriels.
L'avis rendu par le Conseil d'État en 1999 allait dans le même sens : la sûreté nucléaire est un sujet trop important pour qu'il soit externalisé par le pouvoir politique. L'État doit disposer d'une appréciation d'ensemble de la politique de sécurité nucléaire, qui comprend la sécurité civile, mais également la sûreté et les radioprotections.
Dans ce sens, on ne peut que regretter que le Gouvernement se dessaisisse de tout rôle pratique dans l'élaboration de la réglementation relative aux installations nucléaires de base.
Cette loi affecte directement le droit du travail en modifiant en profondeur l'organisation du contrôle en ce domaine.
Ainsi, l'article 2 bis indique que la nouvelle autorité peut prendre, en tant que de besoin, des dispositions réglementaires à caractère technique pour compléter les conditions ou modalité d'application des règlements pris en matière de sûreté nucléaire et de radioprotection, notamment la surveillance de l'exposition des travailleurs aux rayonnements ionisants.
Au contraire, nous aurions besoin d'une approche unifiée de la prévention des risques du travail. Celle-ci s'est d'ailleurs traduite par l'instauration du document unique réalisé par le ministère du travail visant à intégrer la radioprotection des travailleurs dans le dispositif global de prévention des risques professionnels.
Pourtant ce texte transfère de fait à la nouvelle autorité des prérogatives en matière de risques professionnels exercés actuellement par le ministère chargé du travail.
L'article 32 de ce texte soustrait également les salariés des installations nucléaires de base des centrales productrices d'électricité au corps d'inspection du travail placé sous la tutelle directe du ministre chargé du travail par l'intermédiaire des DRIRE, les directions régionales de l'industrie, de la recherche et de l'environnement. Dorénavant, les inspecteurs seront placés sous la responsabilité de l'autorité de sûreté nouvellement créée.
Ainsi, en confiant le contrôle de la réglementation du travail dans les installations nucléaires à des inspecteurs dépendant de la nouvelle autorité, ce texte organise un transfert de prérogatives relevant du droit du travail créant un véritable régime d'exception. Ces inspecteurs ne bénéficieront pas du statut spécifique et des garanties des inspecteurs du travail.
En outre, malgré la présence du nouvel article 2 bis A, le partage des rôles entre l'autorité nouvellement créée et le Gouvernement ne tend pas à une clarification des responsabilités.
De plus, cette nouvelle autorité va disposer des moyens de la direction générale de sûreté nucléaire et de radioprotection. Nous aurions alors souhaité que ce projet de loi explicite les moyens humains qui seront maintenus dans les services de l'État pour procéder à l'instruction des demandes visant à la création de grandes installations nucléaires.
Je tiens également à souligner qu'aucune obligation européenne ou internationale n'imposait la création d'une autorité administrative indépendante.
Les conventions sur la sûreté radiologique de 1994 et de 1997 pointent l'objectif de l'indépendance de l'autorité dans l'exercice de ces fonctions, mais pas de l'organisme lui même.
La création de cette autorité est donc purement idéologique.
L'article 13 de la loi est, dans ce sens, particulièrement emblématique. En réglementant la procédure relative aux demandes de changement d'exploitation des installations nucléaires de base, il ne distingue pas ce qui relève des installations nucléaires de base productrices d'électricité des autres installations.
Plus clairement, comment ne pas analyser ce manque de précision comme étant la porte ouverte à la mise en concurrence de l'exploitation de l'installation nucléaire civile ? Souhaitez-vous donc permettre à Suez, déjà exploitante en Belgique, de s'installer en France, par exemple ?
La coïncidence de sa possible fusion avec GDF serait alors plutôt significative.
Dans ce contexte particulier, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen estiment qu'une clarification des intentions du Gouvernement sur l'avenir des entreprises encore publiques que sont EDF et GDF est souhaitable avant toute externalisation des missions de sécurité actuellement sous compétence gouvernementale.
Dans cette optique, ils estiment que seule la maîtrise publique de la politique énergétique permettrait de garantir la transparence et la sécurité en matière nucléaire.
Pour toutes ces raisons, nous ne pourrons que voter contre ce projet de loi.
Par ailleurs, puisqu'il apparaît aujourd'hui qu'aucun des amendements déposés en deuxième lecture ne pourra faire l'objet d'un échange sérieux, j'informe dès à présent notre assemblée que le groupe CRC, en signe de protestation contre une parodie de débat et un manque certain de respect du travail parlementaire, ne participera pas au pseudo-examen des articles. (M. Robert Bret applaudit. - Les sénateurs du groupe CRC quittent l'hémicycle.)
M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin.
M. Christian Gaudin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, alors que nous venons de célébrer le xxè anniversaire de la catastrophe de Tchernobyl, la transparence et la sûreté en matière nucléaire sont plus que jamais d'actualité.
Cet anniversaire a réactivé le traumatisme causé par ce drame, les statistiques sur le nombre des cancers ou des maladies thyroïdiennes présentées à cette occasion par les médias alimentant la méfiance à l'égard d'une filière perçue a priori comme opaque et dangereuse.
Dès lors, il est indispensable de renforcer la confiance de nos concitoyens. Le développement du nucléaire sera d'autant mieux accepté que le pays accordera sa confiance à cette technologie.
Heureusement, la France a, depuis longtemps, tiré les leçons non seulement de sa gestion, mais aussi et surtout de sa mauvaise communication à propos de la catastrophe de Tchernobyl.
Nous savons tous dans quel contexte s'est opéré le choix de la filière nucléaire française. Aujourd'hui, principal producteur européen d'énergie nucléaire, la France a acquis, au fil des ans, une maîtrise de l'ensemble de la filière nucléaire, alors que plusieurs de nos voisins européens ont hésité à progresser dans cette voie.
Désormais, il en va tout autrement. Le renchérissement des hydrocarbures et la crise du gaz déclenchée par la Russie ont relancé le débat nucléaire en Europe. La nouvelle coalition CDU-SPD arrivée au pouvoir en Allemagne envisage sinon de revenir sur le principe de la sortie du nucléaire, du moins d'en repousser l'échéance, tandis que des pays comme l'Italie ou l'Espagne reconsidèrent la pertinence de leur moratoire sur l'énergie nucléaire.
En outre, le nucléaire a acquis une nouvelle légitimité face à l'enjeu majeur du réchauffement climatique. C'est ainsi qu'en France le programme nucléaire a permis de diminuer les émissions de gaz carbonique d'environ 40 % par rapport au niveau qu'elles auraient atteint avec des centrales thermiques classiques, soit 350 millions de tonnes de CO2 évitées par an.
L'objectif pour la France est à présent de rester à l'avant-garde de la technologie nucléaire, notamment grâce à l'expansion de l'EPR, que nous avons approuvée lors du vote de la loi d'orientation sur l'énergie, ainsi qu'à l'implantation du projet ITER à Cadarache.
La relance de ces nouveaux projets, ainsi que le renouvellement du parc nucléaire actuel constituent une réelle nécessité, et ce malgré le coût du démantèlement des plus anciennes centrales et la question délicate du traitement des déchets nucléaires.
Je me félicite d'ailleurs que le calendrier parlementaire nous permette de traiter au cours de la même semaine de ces deux problèmes, celui des déchets et celui de la transparence, afin que nous puissions élaborer une réflexion plus globale en la matière.
Alors que la première génération de centrales nucléaires arrive en fin de vie et que nous devons gérer de façon définitive les déchets radioactifs à haute activité et de longue durée, il est indispensable d'obtenir l'adhésion d'une large majorité de la population à cette filière.
C'est dans cette optique que, dorénavant, « la transparence et la rigueur des contrôles vont de pair avec le développement de notre programme nucléaire », ainsi que l'a souligné, le 22 février dernier, le Président de la République.
Certes, depuis plus de quarante années que fonctionne réellement le nucléaire à vocation industrielle, il existe un code de bonnes pratiques tant pour l'administration que pour les exploitants. Mais force est de constater qu'il reposait avant tout sur un cadre réglementaire et un ensemble évolutif de ce que l'on a coutume d'appeler le retour d'expérience.
Le projet de loi relatif à la transparence et à la sécurité en matière nucléaire était donc très attendu, non seulement par les parlementaires, mais aussi et surtout par l'opinion publique, par nos concitoyens.
Ce texte apporte un cadre législatif utile et nécessaire à une problématique qui reste délicate et sera au centre des préoccupations dans les années à venir.
Sur le fond, il est clair que ce projet de loi est utile en ce qu'il donnera une véritable assise juridique et publique en matière de transparence, de sûreté nucléaire et de radioprotection.
Notre arsenal reposait jusqu'alors, d'une part, sur deux ou trois lignes de la loi de 1961 relative à la lutte contre les pollutions atmosphériques et les odeurs et, d'autre part, sur la loi de 1980 sur le transport de matières nucléaires. Trente ans, ou presque, se sont écoulés. Cette période a été marquée par un grand embarras ; nous partagions alors le sentiment selon lequel moins on en parlait, moins on risquait de rencontrer de problèmes. Cette époque est, heureusement, totalement révolue.
En faisant référence à deux principes fondamentaux déjà reconnus en matière d'environnement, le principe du pollueur-payeur et celui de participation du public, ce texte se situe parfaitement au centre des préoccupations actuelles, à un moment où le besoin de transparence et l'exigence de sécurité par rapport à des activités dangereuses dépassent le cercle des riverains des installations nucléaires.
Toutefois, la véritable nouveauté de ce projet de loi, qui a fait suite à la lettre rectificative du 22 février dernier, réside dans la création d'une institution indépendante du pouvoir politique, l'Autorité de sûreté nucléaire.
Ce projet de loi prévoit de conférer à cette dernière des missions et de lui accorder des moyens étendus pour lui permettre de contrôler le respect de grands principes.
Il est vrai que des débats et des inquiétudes se sont cristallisés autour de cette autorité indépendante. Que faut-il en penser vraiment ?
Comme l'ensemble du groupe UC-UDF, au nom duquel je m'exprime, je m'inquiète de la démultiplication des autorités indépendantes qu'il nous est demandé d'autoriser depuis quelques années ; d'après le Conseil d'État, il en existe désormais plus d'une trentaine.
Certes, ce type de statut, notamment lorsqu'il permet d'éviter que l'État ne soit à la fois juge et partie, en tant qu'État actionnaire ou État régulateur, dans des activités économiques stratégiques, peut présenter des avantages.
Cependant, les autorités administratives indépendantes doivent demeurer une formule réservée aux domaines où la nécessité de leur existence s'impose avec évidence.
Or la tendance à créer des autorités administratives indépendantes se fait jour dès qu'un problème apparaît. À ce titre, je rappellerai qu'en 1999 notre collègue Mme Dominique Voynet, alors ministre de l'environnement, avait déposé un projet de loi relatif à la transparence et à la sûreté en matière nucléaire dans lequel il était envisagé de créer une autorité administrative indépendante chargée de la sûreté nucléaire et étant habilitée à prendre des mesures de police.
Le Conseil d'État, dans un avis, s'est prononcé contre ce texte en rappelant que ces mesures de police administrative devaient demeurer de la compétence du Gouvernement.
Au-delà de ce projet de loi, la formule de l'autorité administrative indépendante n'est pas neutre au regard de l'exercice du pouvoir gouvernemental et du rôle de l'État, garant de l'intérêt général, qui s'accommode mal de sa parcellisation.
De façon plus matérielle, la démultiplication des autorités administratives indépendantes a également un coût, qu'un État impécunieux a de plus en plus de mal à assumer.
Lors de la navette parlementaire, la commission des affaires économiques du Sénat ainsi que nos collègues députés ont cherché à délimiter le plus nettement possible les compétences relevant de l'État et celles qui sont dévolues à cette nouvelle autorité.
Celle-ci se doit d'assurer les conditions de la transparence et du contrôle, et, par voie de conséquence, d'apporter les informations dont la crédibilité ne doit pas être remise en cause par la confusion des responsabilités des pouvoirs.
En revanche, il convient de réaffirmer avec netteté à cette tribune que la décision in fine après un débat préalable, y compris au Parlement, revient aux gouvernants, son application relevant des services de l'État.
Dès lors, l'équilibre sera sans doute difficile à tenir, ce qui n'est qu'une raison supplémentaire pour que le Gouvernement et le Parlement soient vigilants.
En conclusion, madame la ministre, et en vous apportant le soutien du groupe UC-UDF, il me reste à féliciter les rapporteurs de la commission des affaires économiques de leur excellent travail. (Applaudissements sur les travées de l'UC-UDF et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, c'est avec gravité que je pose la question : de quelle transparence discutons-nous ici ce matin ?
Nous nous apprêtons à faire semblant - oui, à faire semblant ! - de discuter, en deuxième lecture, d'un texte sur la transparence nucléaire, sachant pertinemment que ce débat est d'ores et déjà confisqué au détriment des parlementaires.
Laissez-moi vous dire quelle fut ma stupéfaction lorsque j'ai pris connaissance du rapport de la commission des affaires économiques, laquelle propose d'adopter le texte en l'état.
Avons-nous donc été naïfs de nous réjouir de la levée de l'urgence sur ce texte ! Nous voyons aujourd'hui combien la démocratie est bafouée, bernée, humiliée !
Dans un contexte surréaliste, vous nous mettez, madame la ministre, devant le fait accompli, ce qui ne fait pas honneur à notre pays, celui des droits de l'homme !
J'ai le regret de constater, une fois de plus, l'extraordinaire opacité qui règne dès qu'il s'agit du nucléaire.
Fuites radioactives, transports de déchets nucléaires, sécurité des installations : loin de moi la tentation de caricaturer la situation. Certes, des progrès ont été réalisés en matière de transparence, qu'il s'agisse de progrès anecdotiques ou dérisoires, tels que l'installation de Webcams dans certaines salles de l'usine de retraitement de la Hague - qui permettent aux curieux de vérifier qu'il n'y a rien à voir et qu'il ne se passe rien ! - ou de progrès plus consistants, comme l'illustre la revue « Contrôle » relatant, en février 2006, dans un dossier sur le risque nucléaire, une passionnante interview d'Yves Miserey, journaliste au Figaro, sur la façon dont on avait géré en France et, de l'autre côté de la frontière, en Suisse, les conséquences de l'accident de Tchernobyl.
Cela étant dit, on peut sans crainte affirmer qu'il y a loin de la coupe aux lèvres, des bonnes intentions à la transformation des pratiques !
Ainsi, l'information prodiguée par les exploitants et par l'État reste soit extrêmement générale, au motif qu'il s'agit de sujets complexes, inaccessibles au commun des mortels, soit techniquement précise et, de façon quasi maniaque, exhaustive, sur le mode : « Ils veulent des informations ? Ils en auront ! »
Certes, on peut considérer comme un progrès la possibilité donnée aux experts associatifs de prendre connaissance, en quelques heures, des milliers de pages de données et d'analyses techniques des études préliminaires de sûreté des installations nucléaires, mais cela est-il suffisant ?
Je dois ici saluer le travail civique - on aurait dit autrefois « de vulgarisation » - d'une qualité intellectuelle reconnue par les acteurs de la filière eux-mêmes et réalisé par des organisations telles que le Groupement des scientifiques pour l'information sur l'énergie nucléaire, le GSIEN, Global Chance, ou WISE, organismes qui, s'ils sont régulièrement sollicités par maints acteurs publics ou privés, comme la Commission européenne, ne le sont pas par l'État français !
Serions-nous donc entrés dans l'ère de la transparence ? Je ne le crois pas, pas plus qu'aucun des protagonistes du récent débat public sur l'EPR !
Chacun s'en souvient, le porte-parole du réseau « Sortir du nucléaire », Stéphane Lhomme, a, voilà deux semaines, été arrêté et placé en garde à vue pour possession de documents classés secret défense. La direction de la surveillance du territoire, ou DST, après avoir perquisitionné à son domicile, a saisi son ordinateur à la recherche d'un document d'EDF, destiné au directeur général de la sûreté nucléaire, établissant que l'EPR n'est pas conçu pour résister à une attaque terroriste par voie aérienne ! Ce document, classé confidentiel défense, a ainsi été saisi. Or que reproche-t-on exactement à Stéphane Lhomme ?
Pourquoi la DST s'obstine-t-elle à mettre la main, de façon particulièrement coercitive, sur un document dont la plupart des associations et des personnes intéressées par le débat public sur l'EPR ont pris connaissance depuis belle lurette, si ce n'est pour siffler la fin de la récréation et impressionner ceux qui ont pris au mot la volonté affichée par le Gouvernement d'engager le débat, dans le respect de nos concitoyens ?
Il ne s'agit pas là d'un incident malencontreux. Ce qui est grave, madame la ministre, ce n'est pas seulement l'usage abusif du secret défense ou du secret commercial, prétexte utilisé par la COGEMA pour distiller, au compte-gouttes, aux ministères en charge de la sûreté nucléaire les données concernant ses contrats ; ce n'est pas non plus la tentative d'intimidation de militants qui en ont vu d'autres. Ce qui est grave, c'est l'humiliation et la décrédibilisation du travail passionnant et novateur engagé par la commission particulière du débat public, la CPDP, sur ce dossier.
À cet égard, je voudrais citer l'opinion émise par cette commission : « Au moment où le pouvoir politique marque sa volonté de rappeler le respect dû au secret défense en faisant interpeller Stéphane Lhomme, il est regrettable qu'il ignore les conclusions d'un très sérieux groupe de travail mis en place par la Commission nationale du débat public, sur les obstacles à l'accès à l'information dans le domaine du nucléaire et sur les voies possibles pour progresser vers une véritable transparence. Les débats publics sur les déchets nucléaires et le futur réacteur EPR à Flamanville, qui viennent de s'achever, ainsi qu'une enquête menée à cette occasion sur les pratiques en matière de transparence dans divers pays occidentaux, démontrent la nécessité de pouvoir accéder aux documents d'expertise pour permettre une véritable démocratie participative en accord avec la convention d'Aarhus ratifiée par la France.
« Ces travaux ont montré l'intérêt d'une concertation sur ces questions et fait émerger des pistes de réflexions. Cette voie doit être poursuivie pour construire un dialogue argumenté sur des sujets complexes, touchant à un domaine aussi sensible que l'avenir énergétique, et pour éviter la radicalisation des positions à laquelle on assiste.
« Il ne suffit pas de ratifier des conventions ou de voter des lois pour que la transparence se fasse. »
Madame la ministre, laissez-moi vous dire qu'il est extrêmement rare que les membres d'une commission de débat public signent conjointement un texte qui met en cause la stratégie des pouvoirs publics et dénonce l'attitude de ceux qui veulent interrompre le dialogue engagé !
Après l'arrestation de Stéphane Lhomme, nombreux sont ceux qui ont décidé de mettre ce document classé à la disposition du public, par solidarité avec les personnes poursuivies, mais aussi par respect pour la transparence, dont nous avons la vacuité de parler ce matin en examinant ce texte scandaleux.
Madame la ministre, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne résiste pas à la tentation de citer certaines des phrases de ce document, non parce qu'elles seraient particulièrement édifiantes, mais pour m'associer à ceux qui, tout comme moi, ont mis sur leur site internet ce texte contesté : « Nonobstant l'aptitude du projet EPR à faire face à des chutes d'avion, il convient de noter qu'EDF n'envisage pas d'assurer une capacité de résistance vis-à-vis de tout acte de guerre ou tout acte terroriste envisageable. La prévention de ceux-ci ou la limitation de leur effet relève essentiellement de la puissance publique. » Et ce n'est qu'une phrase parmi d'autres !
Madame la ministre je tiens évidemment ce rapport à votre disposition, même si j'imagine que dans vos services, au moins, il a été lu.
Ces propos prennent tout leur sel au moment où vient de se poser, à Flamanville, un petit avion de Greenpeace. Cet atterrissage est un geste inamical, me direz-vous. Non ! Il s'agit d'un geste d'alerte citoyenne, qui vise à montrer que le risque évoqué par la Commission nationale du débat public n'est pas théorique. Compte tenu du contexte international, nous devons nous préparer à faire face à des risques et à des difficultés d'un genre nouveau.
Déqualifier l'opposant, nier l'évidence, distiller l'information au compte-gouttes, en utilisant des mots-valises, des expressions qui n'évoquent rien, ou si peu, pour le public, voilà qui reste banal.
Je pense, par exemple, au terme « incident », utilisé pour qualifier les dysfonctionnements, parfois sérieux, des installations. Il s'agit là, me direz-vous, d'un terme choisi à l'échelle internationale. Voilà qui est bel est bon ! Il n'empêche que, lorsqu'on est confronté à un incident de niveau 2 ou de niveau 3, la difficulté est parfois déjà majeure !
Nous n'avons pas oublié les mensonges sur le nuage de Tchernobyl. La possible mise en examen, vingt ans après les faits, du responsable français de la radioprotection de l'époque nous rappelle, de façon encore plus impérieuse, l'urgence de la mise en place d'un dispositif d'accès à l'information et d'une réelle culture de la transparence. Plus jamais ça, dans une grande démocratie comme la nôtre !
J'avais cru comprendre que c'est de cela qu'il nous serait donné de débattre, ainsi que des modalités permettant de « couper le cordon » entre ceux qui, au sein des entreprises, sont chargés de produire de l'énergie électrique et ceux qui, dans l'appareil d'État, sont les garants d'un haut niveau de sécurité, de sûreté et de radioprotection.
Or, au lieu de cela, nous discutons d'un projet de loi qui dépouille l'État de ses prérogatives régaliennes et de ses devoirs au profit d'une poignée de personnes issues de ce qu'il est convenu d'appeler « le lobby nucléaire ».
Lors de son examen à l'Assemblée nationale, le texte de ce projet de loi a été joliment toiletté. J'ai noté, par exemple, que certains amendements que j'avais déposés au Sénat et que vous aviez rejetés ont été adoptés par l'Assemblée nationale. Ils vous paraissent à présent tout à fait désirables, puisque vous n'envisagez pas de revenir sur ces dispositions ! Force est pourtant de constater que le contenu du projet de loi reste le même.
La Haute autorité, pudiquement rebaptisée « Autorité de sûreté nucléaire » - un nom d'usage imposé par un directeur inamovible et constamment soucieux d'élargir et de consolider les limites de son royaume -, concentre tous les pouvoirs. Si elle ne doit rendre de comptes à personne - c'est apparemment en cela que réside son indépendance ! -, elle est irresponsable, puisqu'elle n'est pas dotée de la personnalité morale.
Cette autorité administrative indépendante organisera son expertise, se contrôlera elle-même et sera en outre chargée de veiller à la transparence et à l'accès à l'information. Le « curseur » astucieusement placé « là où il faut », paraît-il, entre les attributions de l'autorité de sûreté et les responsabilités du Gouvernement ne fait que mettre en lumière l'improbable opérationnalité du système.
L'Autorité de sûreté nucléaire, ou ASN, sera dotée du pouvoir réglementaire et se contrôlera elle-même. Les pouvoirs de contrôle, d'expertise et d'information se trouveront entre les mains de cinq personnes qui auront fait carrière dans l'industrie nucléaire et au profit desquelles les règles de limite d'âge auront été opportunément modifiées.
De plus, rien n'indique de façon précise à l'article 2 octies du projet de loi que les membres de ce collège tout puissant auront interdiction de siéger dans les conseils d'administration de grandes entreprises ou de grandes écoles.
Madame la ministre, je veux insister sur l'expertise, qui me paraît menacée par votre texte. Lorsque je détenais votre portefeuille, nous avions organisé l'indépendance des experts à l'égard du CEA, en créant l'IRSN, l'Institut de radioprotection et de sûreté nucléaire, par fusion de l'OPRI, l'Office de protection contre les rayonnements ionisants, et de l'IPSN, l'Institut de protection et de sûreté nucléaire.
Aujourd'hui, cette indépendance est largement remise en cause par ce texte. L'Autorité de sûreté nucléaire a toujours un droit de regard sur le budget de l'expert. Pis, l'IRSN ne dépend plus de l'État mais se trouve placée de fait sous l'autorité de cette « nouvelle ASN ».
L'IRSN n'est toujours pas tenu de publier ses expertises, alors qu'il s'évertue depuis des années à communiquer de lui-même ses recherches au public et aurait bien besoin d'un appui législatif, qui lui donnerait formellement le pouvoir de communiquer et d'informer.
Le concours d'experts étrangers n'est pas encouragé par le projet de loi, alors même que cette collaboration scientifique au-delà des frontières des États tendait à se mettre en place, de façon plus fréquente, à la satisfaction de tous.
La pluralité de l'expertise reste un beau principe, dont il n'est pas dit un seul mot dans ce projet de loi. En confiant à l'autorité administrative indépendante la charge d'informer le public, vous réduisez, je le crains, le Haut comité pour la transparence et l'information sur la sécurité nucléaire à n'être plus qu'une coquille vide.
En effet, je me demande pourquoi les ministres ou les présidents des commissions parlementaires saisiraient ce haut comité pour se procurer des informations qu'ils pourront obtenir en interrogeant le président de l'Autorité de sûreté nucléaire, ainsi que le prévoit l'article 2 ter A du projet de loi.
Madame la ministre, c'est pourtant là une question essentielle. La transparence et l'accès à l'information sont les deux axes autour desquels doit être organisée une gouvernance démocratique digne de ce nom. Or, le Gouvernement, qui utilise la convention d'Aarhus pour prétendre honorer ses engagements internationaux, ne dupe personne quant à ses véritables intentions.
Vous avez toléré, madame la ministre, de sérieuses remises en cause de la liberté d'informer. Je pense, par exemple, à l'interdiction de distribuer des tracts au sujet du transport des déchets nucléaires.
Par ailleurs, ma curiosité n'est toujours pas satisfaite sur un point pourtant important : quand nous lirez-vous l'avis du Conseil d'État relatif à la création de l'autorité administrative indépendante chargée de la sûreté nucléaire, de la radioprotection et de l'information ? N'est-ce pas le moins que vous puissiez faire alors que nous parlons de transparence ?
J'ai donc bien des raisons, mesdames, messieurs les sénateurs, de vous demander de refuser de voter ce texte qui brade la sûreté nucléaire, bride l'expertise et bafoue la transparence.
Mme Dominique Voynet. J'ajoute que je m'associe à la démarche de nos collègues de gauche pour protester contre la mauvaise manière qui est faite à ce texte en deuxième lecture.
M. Bruno Sido, rapporteur. Vos collègues de gauche sont tous partis ! Il n'y a plus personne pour vous applaudir !
M. le président. La parole est à M. Jean-Pierre Fourcade.
M. Jean-Pierre Fourcade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je suis très surpris de l'attitude qu'ont adoptée certains de nos collègues, qui ont refusé de continuer à siéger sur leurs travées.
En effet, nous discutons aujourd'hui d'une question très importante, non seulement pour le présent mais aussi pour l'avenir, car les enjeux de la transparence et de la sécurité en matière nucléaire détermineront nombre de nos actions au cours des prochaines années.
Ce projet de loi a été discuté de manière très ouverte en première lecture au Sénat et à l'Assemblée nationale. Je remercie d'ailleurs Mme la ministre de l'écologie et du développement durable d'avoir, à plusieurs reprises dans son intervention, salué la qualité du travail parlementaire et souligné que le texte issu de nos délibérations portait très largement l'empreinte des préoccupations des commissions du Sénat et de l'Assemblée nationale.
Par conséquent, s'agissant d'un sujet important, sur lequel un très gros travail a été fourni, les propos que je viens d'entendre sur la démocratie qui aurait été bafouée, humiliée - que sais-je encore ! -, me paraissent tout à fait excessifs.
Madame la ministre, je tiens à vous assurer de l'appui unanime du groupe UMP, que je représente ici. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. - Mme Dominique Voynet quitte l'hémicycle.)
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Nelly Olin, ministre. Je tiens à remercier MM. Gaudin et Fourcade du soutien apporté par leurs groupes et de la qualité de leurs interventions.
Je regrette que Mme Voynet ait quitté l'hémicycle ! Toutefois, comme mes propos figureront dans les comptes rendus des débats, elle pourra en prendre connaissance.
Mme Voynet a noté que ce projet de loi permettait tout de même quelques avancées. J'en suis ravie ! Elle a ajouté que celles-ci restaient insuffisantes. Je ne partage pas son avis. Elle a souligné qu'il ne suffisait pas de faire adopter un projet de loi pour faire progresser la transparence. Sur cet unique point, je suis d'accord avec elle.
Comme l'ont souligné certains sénateurs, ainsi que MM. les rapporteurs, le travail du Gouvernement en matière de transparence ne se limite pas à ce projet de loi.
Je note que Mme Voynet a été ministre de l'environnement, puisque tel était le nom de ce ministère voilà quelques années. Alors qu'elle disposait de beaucoup de temps, quatre ans, me semble-t-il, pour faire adopter un texte de loi, qu'elle avait d'ailleurs mûri, elle n'y est pas parvenue. Parler de transparence, c'est bien, mais agir, c'est mieux ! Or, c'est précisément ce que fait le Gouvernement aujourd'hui.
Messieurs Billout et Gaudin, j'ai noté que vous avez tous deux salué les avancées importantes permises par ce projet de loi. Elles sont dues, comme M. Fourcade l'a rappelé, au débat très ouvert qui a eu lieu en première lecture, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. Je vous remercie pour cet hommage rendu.
Monsieur Billout, vous déplorez bien sûr la contradiction entre le travail ouvert et constructif qui a été mené et la décision de vous proposer d'adopter aujourd'hui le texte du projet de loi en l'état. Pour ma part, je n'y vois aucune contradiction. C'est justement grâce à l'excellent travail réalisé en première lecture, tant à l'Assemblée nationale qu'au Sénat, que le texte que nous examinons aujourd'hui a pu aboutir, comme l'ont souligné vos rapporteurs. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets de loi, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux assemblées du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
TITRE IER
DISPOSITIONS GÉNÉRALES