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Politique de l'archéologie préventive

Débat sur un rapport d'information

(Ordre du jour réservé)

Mme la présidente. L'ordre du jour appelle un débat sur le rapport d'information de M. Yann Gaillard sur la politique de l'archéologie préventive (n° 440, 2004-2005).

La parole est à M. le rapporteur spécial.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation, auteur du rapport d'information sur la politique de l'archéologie préventive. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question de l'archéologie préventive a déjà donné lieu à de nombreux débats au sein de notre hémicycle, que ce soit lors de l'examen des projets de lois de finances ou lors de la discussion de dispositions législatives relatives à la redevance d'archéologie préventive.

Dans un contexte de mécontentement des élus locaux et de multiplication du nombre des cas aberrants, cas dans lesquels le montant de la redevance était très largement supérieur au coût du projet d'aménagement envisagé, j'ai mis en oeuvre, en 2004, en ma qualité de rapporteur spécial des crédits de la mission Culture, un contrôle sur le financement de l'archéologie préventive.

En 2004 et en 2005, ce contrôle m'a conduit à procéder à de très nombreuses auditions, à des déplacements en province et à l'étranger - en Italie et au Royaume-Uni -, afin de visiter des chantiers, de dresser des diagnostics et de rencontrer les services prescripteurs, en l'occurrence les DRAC, les directions régionales des affaires culturelles, et les services chargés de la liquidation de la redevance, à savoir les DRAC et les DDE, les directions départementales de l'équipement.

Je précise que ce contrôle a été réalisé avec l'assistance d'un magistrat de la Cour des comptes, selon la procédure prévue par l'article 58 de la LOLF - cette loi organique relative aux lois de finances que nous vénérons tous ! -, dont c'était la première application, ce qui me remplit de fierté.

Les conclusions du rapport d'information intitulé « Pour une politique volontariste de l'archéologie préventive » ont été adoptées à l'unanimité par la commission des finances le 29 juin 2005. À cette occasion, il a été décidé de donner suite à ce rapport, en lui consacrant une séance réservée de l'ordre du jour des travaux de notre assemblée : nous y sommes.

Les réponses que vous voudrez donc bien apporter à mes questions, monsieur le ministre, sont attendues depuis presque un an, ce qui explique l'attention toute particulière que nous leur porterons.

L'archéologie préventive pose un problème qui pourrait presque être qualifié d'irritant. Elle ne concerne grosso modo que 1 700 agents et son budget ne s'élève qu'à 100 millions d'euros environ. Elle n'en a pas moins mobilisé trois inspections générales en trois ans - finances, intérieur et culture -, une société de conseil dénommée Conjuguer, qui a rédigé un rapport, et une nouvelle mission interministérielle, qui a rendu son rapport tout récemment, dans le cadre des audits de modernisation lancés par M. Jean-François Copé.

Fait plus troublant encore : en 2001, 2003 et en 2004, après avoir connu une longue stabilité dans un régime associatif, celui de l'Association pour les fouilles archéologiques nationales, l'AFAN, née en 1973, on s'est senti obligé de revenir sur le sujet, sans pour autant l'épuiser puisque nous voici obligés d'en reparler encore.

Pourquoi tant de peine et si peu de succès ? En raison, me semble-t-il, d'une erreur stratégique, celle qui a été commise en 2001, avec la création d'un établissement public national. C'était en quelque sorte un compendium du système français : absence de concertation entre les ministères, lourdeurs administratives, redevance complexe et mal perçue, contestations des élus, inquiétudes des personnels.

Le mauvais tournant est alors pris. Au lieu de continuer à négocier avec les aménageurs et de décentraliser l'association ou l'organisme lui succédant, on crée un double système de redevance, finançant, d'une part, le diagnostic et, d'autre part, la fouille. Les prescriptions de recherches archéologiques préventives augmentent de manière exponentielle. Les communes se révoltent. La redevance ne rentre pas.

En 2004, à l'occasion de la discussion de la loi du 9 août relative au soutien à la consommation et à l'investissement, dite quelquefois « loi Sarkozy », est adopté un nouveau régime qui a le mérite de tenter d'approcher de plus près la réalité physique des travaux.

Les travaux relevant du code de l'urbanisme sont taxés sur la base de la surface hors oeuvre nette, la SHON, à laquelle sont appliqués les taux de la taxe locale d'équipement, la TLE, laquelle serait d'ailleurs, dit-on à mots couverts, remise en question dans certains cercles administratifs, ce qui nous entraînerait encore dans une nouvelle aventure. La redevance est alors liquidée par les DDE.

Les travaux soumis à étude d'impact ou à autorisation administrative préalable restent, comme auparavant, taxés sur la base de l'emprise au sol, à savoir 0,32 euro par mètre carré. La redevance est alors liquidée par les DRAC.

En fait, l'ensemble du sujet est désormais divisé fiscalement et administrativement en deux catégories. Même si ce n'est pas la seule cause, cette décision est à l'origine de la crise financière qui n'a cessé d'accabler l'archéologie préventive française.

Rappelons que le produit de la redevance d'archéologie préventive devait être compris, en 2004, entre 70 millions et 80 millions d'euros, d'après les estimations fournies au législateur lors de l'examen de la loi du 9 août 2004. Les DRAC auraient dû traiter 20 % des dossiers de diagnostic et recouvrer 80 % du produit de la redevance, les DDE devant traiter 80 % des dossiers et recouvrer 20 % du produit de la redevance.

Les changements incessants de législation ont contribué à retarder la mise au point d'un logiciel permettant aux DRAC de liquider la redevance sur les opérations relevant du code de l'environnement. Et il n'est pas exclu que les difficultés qu'elles ont rencontrées aient pu aussi démobiliser les DDE, réputées pourtant plus aguerries sur la partie du dossier relevant de leur compétence.

Une même différence a été constatée en 2005 entre la prévision budgétaire de recettes, soit 19,7 millions d'euros, c'est-à-dire 30 % des 60 millions d'euros estimés pour le produit de la redevance, et la réalité des encaissements, qui n'ont atteint que 0,7 million d'euros.

Le rapport demandé par le ministère de la culture à la société Conjuguer a évalué le potentiel fiscal de la redevance d'archéologie préventive, la RAP, à 52,7 millions d'euros, soit un rendement net de 43 millions d'euros. L'INRAP, l'Institut national de recherches archéologiques préventives, estime que son besoin de financement est de l'ordre de 65 millions d'euros. Il manquerait donc, chaque année, entre 17 millions et 23 millions d'euros.

Aux difficultés de perception de la redevance s'ajoute la dérive de I'INRAP en matière de personnel, aggravant ainsi sa situation.

Cet établissement public n'a pas tiré les conséquences de l'ouverture du marché des fouilles à de nouveaux concurrents agréés : services archéologiques des collectivités locales et entreprises. Or quarante-deux agréments ont été accordés par le ministre, dont une dizaine au profit d'entreprises.

Les différents tableaux chiffrés relatifs aux effectifs de l'INRAP révèlent des contradictions et des obscurités, en dépit desquels on peut inférer les constatations suivantes.

Les effectifs ont connu une augmentation régulière : 1 585 équivalents temps plein étaient inscrits au budget prévisionnel pour 2002, 1 594 au budget prévisionnel pour 2003 et 1 753 au budget prévisionnel pour 2005.

Le nombre réel de personnes physiques constaté en moyenne annuelle au 31 décembre s'est accru sur le moyen terme : 1 686 en 2002, 1 553 en 2003 et 1 749 en 2004. La moyenne annuelle des effectifs de l'AFAN était de 1 498, dont 1 291 CDI et 207 CDD.

Au total, les dépenses de personnel inscrites au budget prévisionnel de l'INRAP pour 2005 étaient de près de 65 millions d'euros, soit 56,7 % des 114,705 millions d'euros de dépenses prévues. Les dépenses de personnel étaient de 53,21 millions d'euros en 2003 et de 48 millions d'euros en 2002.

Il a alors été recouru à des mesures d'urgence pour garantir le financement de l'INRAP.

En 2002, son déficit constaté a atteint 11,5 millions d'euros, malgré une avance remboursable du Trésor de 23 millions d'euros.

En 2003, un accord d'autoassurance a été passé entre le ministère de la culture et le ministère des finances. En contrepartie de l'absence de gels de crédits et de mesures d'économies budgétaires, le ministère de la culture s'est engagé à financer par redéploiement de crédits et de subventions le déficit de l'INRAP afin de compenser un déficit cumulé depuis 2001 de 39 millions d'euros. Conformément à cette attente, le ministre de la culture a comblé le déficit de l'exercice 2003, se montant à 27,5 millions d'euros.

En 2004, la subvention du ministère de la culture s'est élevée à 11,5 millions d'euros, afin de compenser le déficit antérieur - les reliquats de 2002 et de 2003 -, sans que soit prévu le financement du déficit de l'exercice 2004, qui a atteint 12 millions d'euros.

En 2005, après un arbitrage ministériel, l'avance de trésorerie de 23 millions d'euros a été transformée en prêt du Trésor. Elle sera remboursée sur trois ans, chaque remboursement étant compensé par une subvention spéciale du ministère de la culture...

Compte tenu de cette situation, la commission des finances a alors formulé plusieurs recommandations, adoptées à l'unanimité.

Premièrement, elle a préconisé de renoncer à une nouvelle réforme de la redevance d'archéologie préventive et d'améliorer sa liquidation et son recouvrement : surtout pas d'autre loi !

Deuxièmement, elle a préconisé de surveiller strictement l'évolution des dépenses de personnel de l'INRAP, dont il convient de préciser qu'il est géré, en dépit de ces difficultés, par un président et une directrice dont je ne conteste ni la compétence ni la valeur.

Troisièmement, elle a préconisé de restreindre les diagnostics, sur la base d'une politique scientifique de l'archéologie préventive, définie au niveau national par le Conseil national de la recherche archéologique, le CNRA, et, surtout, par les commissions interrégionales de la recherche archéologique, les CIRA, qui ne sont pas toujours d'accord entre elles. En effet, le monde de l'archéologie, comme bien d'autres en France, est divisé en écoles.

Le principe de base de cette nouvelle politique archéologique devra être le suivant, comme le déclare le directeur de l'architecture et du patrimoine : « La recherche archéologique ne présente un intérêt par rapport à la préservation des vestiges archéologiques que si elle permet de valider ou d'infirmer une hypothèse historique technique ou scientifique nouvelle. L'archéologie doit être définie au préalable et non relever d'une politique du coup par coup, remise en cause à l'occasion de chaque nouveau chantier. »

Quatrièmement, notre commission a préconisé de développer la pertinence de la carte archéologique, comme c'est le cas en Italie, avec des résultats probants. Cette carte est prévue par la loi du 17 janvier 2001 et quatre-vingts personnes issues de l'AFAN et recrutées par la DAPA y travaillent. Votre rapporteur spécial a pu voir quelques projections d'une carte archéologique nationale encore embryonnaire au cours d'une démonstration organisée à son attention par le ministère de la culture. Le développement de cette carte est indispensable à la mise en place d'une politique volontariste de l'archéologie préventive en France.

Cinquièmement, elle a préconisé de favoriser le développement de services concurrents de l'INRAP en agréant des opérateurs privés et les services d'archéologie préventive des collectivités territoriales qui en font la demande.

Compte tenu du mouvement d'inquiétude générale auquel j'ai déjà fait allusion et à la suite de ces recommandations, des avancées encourageantes ont été enregistrées, même si de nombreuses questions demeurent sans réponse.

Des engagements de deux ordres ont été pris devant votre rapporteur spécial lors d'une réunion qui s'est tenue le 24 mai 2005 au ministère de la culture, en présence du directeur de l'architecture et du patrimoine.

Ce dernier a entendu mettre en avant l'accroissement des rentrées fiscales, à système juridique inchangé. Il a annoncé l'installation, à cet effet, dès mai 2005, d'un logiciel adapté dans les DRAC, la nomination de responsables de la redevance au sein de celles-ci, des actions de formation du personnel et la publication de deux circulaires relatives aux aménagements relevant du code de l'urbanisme, d'une part, et aux infrastructures linéaires, d'autre part.

Le directeur de la DAPA s'est en outre engagé à favoriser la mise en place d'une politique archéologique volontariste, fondée sur des critères scientifiques - si elle n'était fondée que sur des critères financiers, elle serait considérée comme illégitime - et impliquant le CNRA et, surtout, les CIRA.

Ces engagements semblent en voie d'être concrétisés, comme en témoignent les informations qui m'ont été communiquées à l'occasion de ce débat.

Le logiciel informatique annoncé a été mis en place dans les DRAC en juin 2005. Il a été adapté et permet un suivi précis de la liquidation de la redevance incombant aux services du ministère de la culture.

Toutes les DRAC ont nommé deux personnes responsables de la redevance d'archéologie préventive : un agent des services généraux et un agent du service régional de l'archéologie.

La formation du personnel des DRAC a été améliorée, les circulaires attendues ont été publiées et le nombre d'opérateurs agréés est passé de quarante-deux à cinquante-quatre.

La redevance d'archéologie préventive est, selon la direction générale de la comptabilité publique, mieux recouvrée. Le taux de recouvrement, qui n'était que de 29,3 % en 2004, est passé, en cumulé, à 46,2 % en 2005 et, pour les années 2004, 2005 et 2006, à 59,2 % en 2006, toujours en cumulé : le progrès est notable.

Si l'on peut se féliciter de cette évolution, plusieurs questions restent sans réponse.

Les CIRA et le CNRA ont-ils avancé, sous l'égide du ministère, dans la définition d'une politique nationale de l'archéologie préventive ? Comme l'écrit M. François Baratte, président du CNRA, dans le rapport remis au Parlement sur la mise en oeuvre de la loi du 17 janvier 2001, « il est ainsi du devoir du Conseil à la fois de proposer des règles pour le fonctionnement des procédures nouvelles, de tirer le bilan des recherches accomplies sur l'ensemble du territoire et d'ouvrir des perspectives de recherche. »

Dans quelle proportion le territoire français est-il désormais couvert, de façon opérationnelle, par la carte d'archéologie préventive ?

Le ministère a-t-il pris des mesures incitatives afin que les agents de l'INRAP créent, pourquoi pas, leur propre entreprise d'archéologie préventive et demandent à être agréés ?

L'exercice de la tutelle de l'État sur l'INRAP a-t-il été renforcé, comme le recommandait votre rapporteur ?

Quelle a été, dans cette perspective, l'évolution des effectifs de l'INRAP en un an ?

Comment évoluent les délais des chantiers de diagnostic, qui sont un sujet de préoccupation réel et légitime pour les aménageurs et les collectivités territoriales ?

Les activités de l'INRAP sont-elles désormais ventilées par nature afin de tracer clairement l'affectation des ressources aux missions qu'elles doivent financer, à savoir diagnostics, fouilles et recherche ?

Les délais de publication des rapports de recherche sont-ils respectés ?

Quelles mesures le ministère de la culture envisage-t-il de prendre pour améliorer le recouvrement de la redevance ?

La situation financière de l'INRAP s'est-elle améliorée ? Lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2006, la commission des finances avait estimé que, compte tenu du rendement prévisionnel de la redevance d'archéologie préventive, le budget de l'INRAP ne pourrait pas être équilibré sans une subvention de l'État de l'ordre de 10 millions d'euros. Elle avait même présenté en ce sens un amendement « scélérat » (Sourires), qui avait reçu un avis défavorable du Gouvernement et que le Sénat n'avait pas adopté. Une fois de plus, la commission des affaires culturelles n'avait pas suivi ! (Nouveaux sourires.)

L'audit de modernisation mené sur l'INRAP, aboutissant aux mêmes conclusions que la commission des finances, s'inquiétait de l'évolution de la situation budgétaire et financière de l'institut.

Monsieur le ministre, pouvez-vous nous affirmer aujourd'hui que l'INRAP n'aura pas besoin en 2006 d'une subvention spéciale et qu'elle sera en état - ce serait un progrès inespéré - de rembourser l'avance de trésorerie, transformée en prêt du Trésor en 2005, qui lui a été consentie, et qui atteignait 23 millions d'euros ?

Certes, de réels progrès ont été faits dans la gestion de ce dossier difficile, qui concerne, de surcroît, des personnels passionnés, que j'ai eu l'occasion de rencontrer lors de mon contrôle et dont le travail très difficile et très fatigant doit être salué.

Le rapport de février 2006 remis au Parlement sur la mise en oeuvre de la loi du 17 janvier 2001 montre l'importance du travail accompli. Son tome II, notamment, présente des synthèses thématiques et géographiques des recherches effectuées - je pense notamment à la Picardie - et prouve que des enseignements essentiels peuvent être tirés de l'archéologie préventive.

Néanmoins, je relève une petite faute psychologique : il semble que l'établissement n'ait pas eu le réflexe d'essayer de trouver un chantier par département, pour satisfaire tous nos collègues. Je note quelques manifestations de déception à cet égard. Pour ma part, j'ai la chance de compter un chantier dans mon département. (Sourires.)

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Ah !

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. J'en reviens à nos préconisations fondamentales : améliorer le recouvrement- c'est en bonne voie - ; rationner le diagnostic - c'est difficile, car il faut que la motivation ne soit pas uniquement financière ; sinon elle serait rejetée par le milieu.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Rationner, rationner...

M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cela veut dire « piloter » !

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. Je continue de regretter, monsieur le ministre, que vous n'ayez pas eu l'occasion de présider vous-même le CNRA pour lancer cette politique.

Il convient également de multiplier les intervenants susceptibles de procéder aux fouilles, afin que l'INRAP ne soit pas seul et qu'un chantier trouve toujours un opérateur, car rien n'est plus douloureux pour les aménageurs et rien n'est plus néfaste à la réputation de l'INRAP que les retards dans les chantiers. C'est encore ce qui coûte le plus cher !

Enfin, il faut aussi que les Français apprennent à aimer l'archéologie. L'INRAP a réalisé de nombreuses publications, très intéressantes, notamment un beau volume sur la France archéologique. Après tout, c'est de nous-mêmes qu'il s'agit, ce qui justifierait sans doute, de la part des archéologues, un petit effort vis-à-vis de leurs concitoyens. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF.)

Mme la présidente. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 47 minutes ;

Groupe socialiste, 32 minutes ;

Groupe Union centriste-UDF, 14 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;

Groupe du rassemblement démocratique et social européen, 9 minutes ;

Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 7 minutes.

Dans la suite du débat, la parole est à M. Ivan Renar.

M. Ivan Renar. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, l'archéologie préventive a été reconnue par les lois de 2001 et 2003, et on ne peut que se réjouir de cette avancée de civilisation tant l'archéologie préventive est indispensable à une meilleure connaissance scientifique de la longue histoire de nos sociétés.

Il nous revient de toujours mieux mettre en lumière ce formidable héritage enfoui et surtout de le transmettre aux générations futures, d'autant qu'il existe une forte demande de nos concitoyens pour mieux connaître et comprendre l'histoire de l'humanité et l'expérience des générations qui nous ont précédés.

Découvrir nos racines, pour mieux comprendre le présent et préparer l'avenir, c'est une exigence à la fois scientifique et populaire dont il faut se féliciter.

Nous constatons en effet une forte prise de conscience collective sur l'importance de cette discipline scientifique que constitue l'archéologie préventive. Si, pendant bien des décennies, nos musées n'ont fait la part belle qu'aux découvertes archéologiques menées à l'étranger, en Grèce, en Égypte ou en Italie, par exemple, aujourd'hui, les amateurs de plus en plus nombreux savent que notre sous-sol est riche d'un patrimoine remarquable, trop longtemps négligé.

Il est heureux que les pouvoirs publics se soient dotés d'une loi et d'un établissement public national favorisant les fouilles. Ainsi, il est indéniable que l'archéologie préventive renouvelle l'approche du passé et a permis de revoir certaines idées reçues sur l'organisation sociale et territoriale des sociétés gallo-romaines, pour ne citer que ce seul exemple.

Bref, si l'archéologie préventive et l'INRAP n'existaient pas, il faudrait les inventer ! Car le patrimoine archéologique est comme un incunable précieux dont chaque page déchirée est à jamais détruite. De nombreux vestiges ont scandaleusement été détruits au cours de la seconde partie du siècle dernier, ce qui n'a pas manqué de susciter une vive émotion chez nos concitoyens.

Aujourd'hui, l'activité d'aménagement du territoire national reste très intense : l'équivalent d'un terrain de football est retourné en profondeur toutes les huit minutes et l'on découvre en moyenne un site important par kilomètre de nouvelle infrastructure routière ou ferrée, sans parler des multiples aménagements urbains. C'est dire l'importance des enjeux !

Plus personne ne conteste que le patrimoine archéologique constitue un véritable trésor pour l'humanité. Il est donc légitime que ce soit la collectivité, par le biais d'un service public de l'État, qui soit habilitée à régir, étudier, diffuser cette mémoire collective irremplaçable.

La recherche archéologique dans notre pays relève bien de l'intérêt général et, par conséquent, l'archéologie préventive est bien une mission de service public. Pour des raisons d'argent ou à cause de l'impatience des aménageurs, trop de découvertes ont été anéanties à jamais.

C'est pourquoi l'archéologie ne peut être livrée aux seules lois du marché et de la rentabilité. Pourtant, depuis sa promulgation en 2001, la loi est remise en question et les moyens de l'INRAP sont régulièrement amputés.

On ne peut pas, comme vous l'écrivez, cher Yann Gaillard, décrire la grande compétence de l'INRAP et de ses archéologues et, dans le même temps, demander une réduction des moyens de l'établissement.

Bien sûr, votre rapport n'est pas un document uniquement à charge contre l'archéologie préventive. Sans nier certaines difficultés réelles de l'INRAP, je constate que plusieurs ministères voudraient jeter le bébé avec l'eau du bain.

Cela s'inscrit dans l'air du temps : de nombreux technocrates nous vantent les vertus d'une concurrence libre et non faussée en s'efforçant de nous faire croire que la notion même de service public appartiendrait au passé et, à ce titre, ne serait plus qu'un vieil objet n'intéressant que... l'archéologie.

Comme le disait déjà mon ami Jack Ralite en 2003, « le budget est malmené, comme mis en examen, et je pressens qu'est en train de s'ouvrir un vrai débat de la dépense culturelle, comme si, sans le dire, on lui reprochait d'exister ».

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Non !

M. Ivan Renar. Je ne parle pas de vous, monsieur le ministre !

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. Ah !

M. Ivan Renar. Je pense à ceux qui, tous les matins en arrivant au bureau, tendent le poing vers le musée d'Orsay ou la Bibliothèque nationale en criant vengeance ! (Sourires.)

Notre pays ne peut pas promouvoir de façon crédible la diversité culturelle, y compris à l'UNESCO, s'il ne se donne pas les moyens de faire vivre et d'éclairer ce que furent les productions humaines d'hier, qu'elles soient économiques, sociales ou culturelles.

Les Français sont passionnés par leur histoire comme en témoigne le succès des recherches généalogiques ou encore celui, fulgurant, de la consultation en ligne des archives numérisées de l'INA, que vous évoquiez hier soir, monsieur le ministre. On a eu raison de se doter des moyens nécessaires à la sauvegarde de ces documents audiovisuels si fragiles et de permettre leur diffusion à un large public : c'est là une sorte d'« archéologie préventive » du XXIe siècle.

De la même manière, on a eu raison de se doter, avec l'INRAP, des moyens de donner une nouvelle vie aux vastes gisements de mémoire que recèle notre sous-sol.

Et si l'archéologie préventive a un coût, elle est surtout un investissement d'avenir : à ce titre, elle n'a pas de prix ! Elle est partie intégrante de l'exception culturelle et lui donne encore plus de force. Car, on le sait, il n'y a pas de création sans assimilation critique de l'héritage du passé.

Alors, après avoir amputé drastiquement les moyens de l'établissement public qu'est l'INRAP, ce qui engendre inévitablement des difficultés dans la poursuite de ses missions de service public, je redoute, pour parler franchement, que ce nouveau rapport n'aboutisse qu'à lui infliger le coup de grâce.

Certes, les compétences de l'INRAP et de ses archéologues ne sont pas contestées, et chacun se réjouit du résultat inespéré des fouilles. À Marseille, par exemple, elles ont permis de mettre au jour un sanctuaire qui date de la fondation de la ville, soit quelque 600 ans avant notre ère : c'est le plus ancien monument architectural de France qui a été ainsi exhumé, valant à ce site exceptionnel d'être classé ! Il en est de même des vestiges de la Lutèce gallo-romaine, à deux pas du Sénat, sur le site de l'Institut Curie.

Le problème est que, sur un secteur devenu concurrentiel depuis la loi de 2003, l'INRAP ne maîtrise pas son carnet de commandes puisque c'est l'État et ses services archéologiques qui prescrivent. Les conséquences de la loi de 2003 n'ont pas été tirées, ce qui rend le pilotage de l'établissement hasardeux, avec un déficit croissant, induit par le dispositif législatif lui-même.

L'ouverture à la concurrence, introduite par la loi de 2003, est-elle de nature à améliorer la qualité des missions scientifiques des différents opérateurs ? Avez-vous, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, des analyses précises sur ce sujet ? Pour ma part, je pense qu'elle a été de nature à accroître les délais de diagnostics et fouilles archéologiques de plusieurs mois, là où la concurrence était présente.

Notre connaissance historique peut-elle se soumettre au jeu de la concurrence ? Doit-on écrire l'histoire de France avec tantôt Vinci, tantôt Total, Arcélor ou une société suisse ? Peut-on envisager un dispositif où l'INRAP soit au coeur des projets et non plus en voiture-balai ? Ne peut-on pas, au contraire, fédérer autour de l'INRAP les opérateurs majeurs de l'archéologie préventive, les compétences locales, régionales, privées, les universités, le CNRS, afin de bâtir des projets opérationnels de qualité, plus attractifs en termes de coûts et de délais ?

L'INRAP a conscience de ses faiblesses et les analyse tout en préconisant des solutions, qu'il s'agisse du coût prohibitif des fouilles pour les aménageurs, du principe de financement aligné sur le concept, inadapté, du « pollueur-payeur », des délais de réalisation trop longs et, enfin, des conséquences néfastes d'un système de gestion archaïque, incohérent et bureaucratique.

On ne peut que se féliciter que l'INRAP n'hésite pas à se remettre en question de façon constructive, soucieux de mieux répondre aux attentes des archéologues comme à celles des aménageurs.

Alors, plutôt que de s'acharner sur l'INRAP, dont les missions sont fixées par la loi, ne faudrait-il pas que le Gouvernement et l'État se dotent d'une véritable vision stratégique afin de développer cette essentielle mission de civilisation qu'est l'archéologie préventive ? Pour ce qui concerne les opérateurs, celle-ci est aujourd'hui entrée dans les moeurs. Plus que jamais, nous avons besoin de l'INRAP et d'un engagement fort de l'État à ses côtés.

Je suis persuadé que les personnels de l'INRAP, très attachés à la notion de service public, ne demandent qu'à mettre en place des procédures et dispositifs plus souples et cohérents afin de toujours mieux développer l'archéologie préventive et l'appropriation des découvertes et recherches scientifiques par un vaste public.

Et si certains trouvent qu'il y a trop d'archéologues, pour ma part, je pense qu'il n'y en a pas assez pour faire face aux 300 000  permis de construire déposés chaque année, sans parler des nouveaux grands projets d'infrastructures sur notre territoire.

Les archéologues ne demandent qu'à être sur le terrain et à travailler en bonne intelligence avec les aménageurs publics ou privés, sans lesquels il n'y aurait pas d'archéologie préventive.

L'ensemble des acteurs concernés souhaitent que tout soit mis en oeuvre pour permettre à l'INRAP d'être un outil efficace au service de la science, en lien avec les services archéologiques des collectivités territoriales.

C'est pourquoi je préconise, avec mes amis, la mise sur pied d'une table ronde - elle pourrait se tenir au Sénat - réunissant les élus, les archéologues, les pouvoirs publics, les aménageurs publics et privés, sans oublier les services de l'État, afin de procéder à un état des lieux partagé et de proposer une évolution du mode de fonctionnement actuel et la pérennisation de l'archéologie préventive en adossant son financement sur un dispositif équilibré où l'État doit prendre toute sa part.

La loi de 2001, puis celle de 2003, dont l'impact est mesurable, doivent être analysées du point de vue tant des prescriptions que de la capacité de l'INRAP à y faire face dans les mois et les années à venir.

Le rapport dont nous débattons succède à trois inspections générales en trois ans, émanant de trois ministères, finances, intérieur et culture, sans oublier la mission interministérielle en cours. Comme j'aimerais y voir une marque d'intérêt de l'État pour l'archéologie préventive !

Mais j'ai du mal à comprendre cette logique qui souligne l'importance de l'archéologie préventive et, dans le même temps, envisage de lui couper encore davantage les vivres. L'INRAP, principal opérateur en la matière, est aujourd'hui sous perfusion.

Les archéologues, malgré des compétences reconnues, sont maintenus dans une grande précarité. Actuellement, aucun moyen n'est dévolu à la formation d'une nouvelle génération d'archéologues. Pourtant, l'archéologie préventive n'est pas un luxe ; elle est au contraire une science en mouvement qui peut encore bouleverser l'état des connaissances de l'histoire de notre pays.

C'est une formidable machine à remonter le temps, qui témoigne que tout est éphémère mais que rien ne meurt vraiment. Je ne le répéterai jamais assez, ce qui coûte cher, ce n'est pas la culture, c'est l'absence de culture. Je ne vois pas comment on peut afficher l'ambition d'une politique volontariste de l'archéologie préventive sans lui donner les moyens humains et financiers nécessaires à la pleine réalisation de ses missions.

Il est plus que temps de réunir les acteurs concernés dans le cadre d'une table ronde, dont l'objectif est bien d'apporter des réponses concrètes aux dysfonctionnements et aux incohérences repérés tout en pérennisant cet outil national essentiel de l'archéologie préventive qu'est l'INRAP.

Ce n'est qu'en s'appuyant sur l'expérience, la pertinence de l'analyse de tous ceux qui sont aux premières loges que l'on pourra vaincre les obstacles aujourd'hui bien repérés et permettre un développement durable de l'archéologie préventive, dont le service public que constitue l'INRAP est une pièce maîtresse. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

Mme la présidente. La parole est à Mme Anne-Marie Payet.

Mme Anne-Marie Payet. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, je remercie notre collègue Yann Gaillard d'avoir fait inscrire à l'ordre du jour de notre assemblée une question essentielle pour l'aménagement de notre territoire et la préservation de la richesse de notre patrimoine, qui concerne un grand nombre de communes et qui fait suite à son excellent rapport d'information sur l'INRAP.

En effet, il s'agit, dans le cadre d'une discipline scientifique récente, d'une intervention humaine déterminante pour de nombreux projets en faveur de la protection des éléments du patrimoine, révélés à l'occasion d'opérations d'aménagements.

Cette question est d'importance lorsqu'on sait que le sol de France est habité vraisemblablement depuis plus d'un demi-million d'années et que 20 000 générations s'y sont succédé, marquant différemment leur passage.

Au cours du siècle dernier, plus particulièrement depuis une cinquantaine d'années, le rythme des aménagements s'est considérablement accéléré et les risques de destruction de sites archéologiques s'en sont trouvés multipliés.

La carte archéologique, qui ne couvre encore qu'une partie du territoire, ainsi que les diagnostics archéologiques permettent de percevoir les perspectives de l'existence de sites, témoins historiques de notre civilisation et de son évolution.

Il est d'ailleurs certain que, si la technique pouvait un jour radiographier avec précision l'ensemble du territoire en surface comme en profondeur, nous pourrions éviter certaines de ces opérations très coûteuses.

L'état d'esprit dans lequel nous sommes aujourd'hui quant à la sauvegarde du maximum de nos richesses constitue un élément de cohésion indispensable, au service de toutes les générations. Les technologies de demain et les progrès scientifiques permettront peut-être de visionner le sous-sol avec plus de précision et de parfaire notre connaissance sur l'ensemble des différents domaines ayant trait à l'archéologie.

L'archéologie préventive est une sorte de médecine visant à préserver la richesse de notre patrimoine le plus ancien, un moyen de parfaire sa conservation, mais aussi un excellent outil de valorisation et de promotion de nos richesses.

Situer la place de l'archéologie préventive, c'est dire aussi qu'elle représente 90 % de l'activité archéologique française, avec plus de 2 000 interventions par an, 252 000 journées d'archéologues, pour un coût de près de 120 millions d'euros.

Le chantier est impressionnant : chaque année, environ 60 000 hectares sont affectés en France par des travaux de terrassement, dont 12 % font l'objet d'un diagnostic archéologique. À titre de comparaison, à quelques semaines de la Coupe du monde, j'indiquerai que cela représente la surface d'un terrain de football toutes les quatre minutes.

Les progrès techniques remarquables et le recours à des moyens de plus en plus élaborés permettent une datation très proche de la réalité. Cette rapidité technologique, le plus souvent, dépasse la réflexion législative et encore plus la réglementation administrative. Par exemple, entre la loi du 1er août 2003 sur l'archéologie préventive et le décret d'application qui la concerne, un an s'est écoulé. Comment, dans ces conditions, anticiper et même préparer des programmes d'investissement essentiels au développement local ?

Si l'on a mis fin au monopole de l'Institut national de recherches archéologiques préventives et permis l'agrément de plusieurs services archéologiques de collectivités, il n'en demeure pas moins que les communes ou les communautés de communes, notamment les plus rurales d'entre elles, se trouvent contraintes de recourir à des entreprises privées particulièrement éloignées et, le plus souvent, peu ou pas intéressées par ce type d'études.

À ces difficultés s'ajoutent les complexités administratives permanentes, mais aussi des délais d'attente et de réponse insupportables. Dans certaines communes, il a fallu attendre près d'un an pour obtenir les réponses de la DRAC et de la DDE : c'est beaucoup trop long !

De plus, comment concilier archéologie et économie ? La question se pose d'autant plus que l'archéologie impose des délais incontournables, incompressibles, alors que, malheureusement, la vie économique nécessite des réponses rapides et immédiates pour soutenir des projets de développement.

Le temps de l'économie et le temps de l'archéologie sont totalement différents ; je dirai même qu'ils ne font pas bon ménage.

C'est pourquoi il convient d'appliquer la loi non pas de façon stricte et uniformément contraignante, mais au contraire avec une plus grande souplesse dans certaines parties de notre territoire où la dimension archéologique n'est pas la même qu'au coeur de sites exceptionnels et prestigieux.

Nos territoires, pas plus d'ailleurs que notre patrimoine, ne peuvent souffrir l'opacité et les longueurs ; ils ont besoin d'une plus grande cohérence, notamment dans la réalisation de leurs projets. L'archéologie ne doit pas être le frein de l'évolution économique, tout comme l'économie ne doit pas être l'ensevelissement d'une partie de notre histoire.

C'est cette problématique particulière qui guide aujourd'hui notre réflexion et à laquelle nous devons apporter des réponses. En effet, nos services sont confrontés à ces deux problèmes majeurs : d'une part, la gestion des procédures d'instruction des dossiers et, d'autre part, le recouvrement des redevances qui sont dues au titre du diagnostic et des fouilles.

Ces difficultés se doublent d'une autre problématique : celle du budget de l'INRAP, et ce d'autant que la pleine mise en oeuvre de la LOLF nous oblige à un contrôle approfondi du fonctionnement et du travail de cette structure. Il n'empêche, la crise financière est toujours là et des solutions doivent impérativement y être apportées.

On peut agir sur les recettes, soit par un relèvement des taux, soit par un élargissement de l'assiette. La création d'un mécanisme d'assurance a aussi été envisagée, mais ce dispositif me semble peu opportun et difficilement opérationnel.

De la même façon, la simplification des procédures est nécessaire et, à cet effet, nous pourrions nous inspirer de l'exemple anglais. Mais des mesures marginales ne permettront pas de résoudre tous les problèmes.

En tout état de cause, les solutions que nous devons apporter doivent être ambitieuses et se situer à la hauteur des enjeux. La sauvegarde de notre patrimoine et la préservation des intérêts économiques des territoires me semblent à ce prix. La décentralisation fonctionnelle, évoquée par M. le rapporteur spécial, m'apparaît comme une piste judicieuse, tout comme la nécessité d'un contrôle plus important sur la gestion des ressources humaines de l'INRAP. À cet égard, nous ne pouvons que saluer la qualité de ses agents.

Cependant, comme M. Yann Gaillard, j'estime que la mise en place d'une véritable et ambitieuse politique de l'archéologie est nécessaire. En particulier, il importe de repenser l'organisation fonctionnelle de l'archéologie française, mais aussi d'envisager une nouvelle forme de programmation des fouilles. Dans ce cadre, il s'agirait en effet d'instaurer une programmation des fouilles en fonction de leur pertinence, de leur intérêt scientifique et de la nature des travaux prévus. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

Mme la présidente. La parole est à M. Yves Dauge.

M. Yves Dauge. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, comme l'a dit notre collègue Yann Gaillard, expert sur le sujet, nous voilà donc réunis de nouveau, comme annoncé, pour débattre de l'archéologie préventive. Je vous épargne la relecture des interventions que j'ai faites en 2003 sur le sujet, mais je pourrais tenir les mêmes propos aujourd'hui.

Les difficultés financières prévues ont malheureusement pris des proportions beaucoup plus grandes qu'on ne pouvait le craindre.

Le contexte est devenu si brouillé et difficile à décrypter que j'admire l'administration d'avoir pu élaborer un rapport aussi complet. Vous n'y êtes pour rien, mes chers collègues, mais la complexité du système qui a été inventé est telle qu'il est difficile de s'y retrouver dans les chiffres et qu'il faut s'y reprendre à plusieurs reprises, muni de sa calculette, pour savoir ce qu'il y a à additionner, à soustraire, et articuler les résultats dans la durée.

Cela me rappelle la discussion que nous avons eue dans cette enceinte sur le secteur sauvegardé et la position du Conseil constitutionnel, qui, au nom de l'intérêt général, avait censuré des dispositifs pourtant limpides en comparaison de celui qu'on est en train de confectionner.

Comment allons-nous expliquer à nos concitoyens le système que nous avons mis en place si nous éprouvons nous-mêmes des difficultés à le comprendre ?

Monsieur le rapporteur spécial, vous nous déconseillez de modifier la législation au motif qu'elle est déjà trop compliquée. Je veux bien vous suivre à cet égard, mais je ne m'engagerais pas par une promesse définitive, car il n'est tout de même pas interdit de faire plus simple !

Si je peux vous rejoindre sur le fait que la mécanique de redevance de 2001 méritait incontestablement d'être revue, car elle était inadéquate et injuste, je maintiens les réserves que j'avais formulées à l'époque sur le dispositif général, qui a placé l'INRAP dans une situation où il ne prescrit pas et ne recouvre pas, mais se trouve soumis à la pression constante du terrain pour faire toujours plus vite.

Vous nous promettez que l'ouverture des fouilles à la concurrence permettra d'alléger la charge de l'INRAP et, ainsi, de favoriser le développement de son activité. Y croyez-vous vraiment ? Pour ma part, là encore, j'ai consulté les chiffres et je peux vous dire qu'ils sont dérisoires !

En revanche, la création de services d'archéologie dans les départements et les grandes collectivités est une chose positive. Cela étant, je ne me fais pas trop d'illusions sur ce point, car c'est un projet qui coûte très cher et, compte tenu des contraintes financières qui pèsent sur les budgets des départements et des collectivités locales, je doute que l'on voie exploser partout de grands services archéologiques dans les prochaines années. En tout cas, j'aimerais qu'il en soit ainsi, car je ne suis aucunement choqué, bien au contraire, par une montée en puissance des collectivités.

Quoi qu'il en soit, la concurrence est quasiment nulle dans notre région, monsieur le ministre. Je vous signale d'ailleurs que la mise en concurrence impose la constitution de dossiers d'appel d'offres, ainsi que l'établissement de cahiers des charges, et par des personnels compétents. L'INRAP ne peut pas s'en charger puisqu'il ne peut être à la fois juge et partie. Or les aménageurs que j'ai rencontrés refusent de se tourner vers le secteur privé, préférant s'adresser à l'INRAP. On tourne en rond !

Mais le problème fondamental reste la longueur des délais. Plus vous lancez des appels d'offres avec des procédures longues, plus vous allongez les délais. Cela relève non pas de l'idéologie, mais du bon sens ! En réalité, il n'existe pratiquement pas de bureau privé compétent. Dans ces conditions, il est difficile d'établir un cahier des charges pour lancer la concurrence, d'autant que des diagnostics doivent être effectués au préalable.

J'en reviens à la question du financement. Derrière les chiffres - mais je reste modeste, car je ne suis pas sûr d'avoir tout compris ! -, il reste que le déficit est chronique. Une légère amélioration se dessine certes, mais on est parti de si bas ! Un véritable redressement exige d'atteindre un certain niveau de ressources : les montants de 80 millions ou 70 millions d'euros ont été cités. Ils pourraient tomber à 50 millions d'euros, à condition de mettre en oeuvre une politique drastique de réduction de la commande, mais ce n'est pas ce que vous préconisez.

Vous avez raison d'évoquer une politique scientifique, mais celle-ci suppose un investissement lourd en matière de cartographie et de définition de la stratégie. Si l'effort est consenti, une telle politique permettra éventuellement d'arrêter une programmation plus rationnelle, mettant en avant les priorités, et d'apaiser ainsi la tension que nous subissons.

En fait, nous travaillons le nez dans le guidon, sous la pression de tout le monde. Il nous faut sortir de la situation très désagréable dans laquelle nous nous trouvons tous, vous, nous-mêmes, les élus, les archéologues.

Et cela n'arrangera rien de chercher à se rassurer en soulignant les éléments positifs. Sans vouloir m'appesantir sur la question patrimoine, pour ne pas être méchant, je dirai simplement que l'on a cru pendant longtemps que la situation des crédits du patrimoine allait s'arranger. En fait, elle n'a cessé de se dégrader. (M. le ministre fait la moue.) Par conséquent, il ne suffit pas de croire que, si nous avons tous la volonté d'améliorer le système, nous en sortirons un jour. Rien n'est moins sûr !

Il importe, à mes yeux, d'expertiser honnêtement le déficit chronique du système actuel. Il est financé sur les lignes budgétaires du ministère de la culture, que je défends, monsieur le ministre - et je ne pense pas qu'un seul de nos collègues dans cet hémicycle ne songe à autre chose qu'à le défendre. Or, comme vous n'avez pas été bien traité en termes de crédits du patrimoine, ces derniers ne vous permettent pas de financer le déficit de l'INRAP. Certains ont même préconisé de la financer par un prélèvement sur le revenu des privatisations des autoroutes !

Dans la situation actuelle, je pense que nous nous grandirions à nous dire la vérité telle qu'elle est, afin de définir une vision à cinq ans, au minimum, des équilibres potentiels. Il faut nous inscrire dans une lisibilité et une visibilité dont tout le monde parle, mais qui n'existe pas. J'ai le sentiment que, à l'heure actuelle, nous sommes dans une opacité totale.

Cette incertitude est lassante et source de tensions pour les archéologues et tous ceux qui interviennent dans ce domaine, alors même qu'un hommage unanime est rendu à leur travail.

Dès lors, la politique scientifique de l'archéologie soulève une question essentielle : quel est le bon niveau d'investissement en matière de diagnostic et de fouilles en France ? Sachant que ces opérations supposent un investissement préalable substantiel et, ensuite, un régime de croisière, quelles sont les recettes qui permettront d'équilibrer les comptes ? Quelles techniques utiliser ?

Si l'on conserve les deux systèmes en place, monsieur le rapporteur spécial - ce que, personnellement, je regretterais car, je l'ai dit, j'aurais préféré un dispositif plus simple -, jouons alors sur les taux, soit celui de la taxe locale d'équipement, soit celui de la taxe sur le foncier non bâti, et procédons à un recrutement adapté. Cela me désole, en effet, de voir les DRAC consacrer autant de temps au recouvrement, alors qu'elles ont mieux à faire.

M. Yann Gaillard, rapporteur spécial. Ce ne sont pas elles qui s'en occupent !

M. Yves Dauge. Transformer en agents de recouvrement des personnels recrutés pour mettre en oeuvre une politique culturelle, c'est quand même un peu décevant !

Cela étant, monsieur le rapporteur spécial, je prends acte des propos que vous avez tenus. Vous avez indiqué que le taux de la redevance d'archéologie préventive pourrait passer de 0,3 % à 0,5 % de la TLE et de 0,32 à 0,33 ou 0,34 euro le mètre carré. Je n'y suis pas opposé, mais je doute que cela suffise à rétablir l'équilibre des comptes.

Il me paraît essentiel d'aller chercher l'argent là où il se trouve, sinon, ce sont les lignes budgétaires du ministère de la culture qui devront supporter le déficit.

Par ailleurs, s'agissant des exonérations de la RAP, il est choquant de constater que notre région, monsieur le ministre, compte 500 lotissements privés exonérés. Et c'est le ministère de la culture qui les finance, avec les crédits du patrimoine. Or les promoteurs concernés ont les reins solides et pourraient très bien participer au paiement de la redevance, ce qui serait la moindre des choses. Supprimons donc les exonérations illégitimes !

Je sais que vous avez évoqué cette question des exonérations, monsieur le ministre, car les lotisseurs ont demandé à votre collègue du ministère de l'équipement d'exonérer les lotissements pour ne pas ralentir leur construction, en arguant du développement spectaculaire de leur activité.

Mais il faut voir aussi quels sont les désastres engendrés par une politique de lotissements tous azimuts dans les périphéries urbaines, où l'on consomme l'espace naturel de manière aberrante !

La suppression de ces exonérations permettrait de gagner sur deux plans : non seulement en maîtrisant mieux la construction des lotissements dans le cadre des politiques urbaines, mais aussi en les assujettissant à la redevance.

Bien entendu, il s'agit là d'une solution que je suggère dans l'urgence, pour essayer de trouver des sources de financement permettant de tendre vers l'équilibre financier.

J'ai vu les déficits s'accumuler au cours des différents exercices. Il y a donc des dettes qu'il faudra rembourser. En 2006, une amélioration peut être notée, car l'INRAP va pouvoir récupérer certains fonds. En revanche, si aucune mesure n'est adoptée, 2007 sera l'année du grand déficit et du grand rendez-vous. Or le projet de budget pour 2007 est déjà en cours d'élaboration.

Je pense que ce sujet ne soulève pas entre nous de vaine polémique. Il s'agit d'une belle cause, à laquelle chacun d'entre nous croit. Je souhaite simplement que l'administration et le Parlement continuent à travailler. Un certain nombre de personnes dans notre assemblée connaissent très bien ce dossier. Point n'est besoin, pour l'instant, d'élaborer une nouvelle loi. Il convient seulement de retrouver l'équilibre. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - M. Jacques Legendre applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. Éric Doligé.

M. Éric Doligé. Madame la présidente, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur spécial, mes chers collègues, comme vient de le dire M. Dauge, il n'existe aucune polémique entre nous. Les uns et les autres, nous exprimons notre vision, notre sentiment concernant l'archéologie préventive en fonction de notre connaissance du terrain. Nos propos seront probablement assez proches. La prise en considération de ces différents éléments permettra peut-être de dégager une doctrine un peu générale.

Pour ce qui me concerne, monsieur le ministre, je vais profiter de ma présence à cette tribune pour formuler un certain nombre de remarques dont je veux vous faire part depuis déjà longtemps. Il s'agit de vous exprimer la manière dont je ressens le quotidien sur le terrain.

Notre passé est sous nos pieds et nous n'en connaissons qu'une infime parcelle. L'archéologie n'a pas de prix, comme le disait voilà quelques instants Ivan Renar.

Les uns et les autres, nous pouvons énoncer de multiples formules afin de louer et de vanter les bienfaits de l'archéologie. L'avantage d'une telle démarche est qu'elle fait plaisir, mais elle présente l'inconvénient de ne faire nullement avancer un dossier qui agace parfois, qui inquiète souvent et qui peut perturber l'économie.

Personne dans cet hémicycle n'oserait dire que l'archéologie préventive n'a pas de raison d'être, qu'elle est superflue. Nous pensons tous le contraire. Elle est utile et présente un intérêt majeur. Par conséquent, l'INRAP est également utile.

Ce préalable étant posé, il faut regarder la réalité en face et ne pas occulter les difficultés ni les conséquences d'un système inadapté.

Monsieur le ministre, mon sentiment est probablement partagé par de nombreux élus locaux, de nombreuses entreprises et beaucoup d'autres acteurs. Devant faire face à la réalisation d'une autoroute, de zones d'activité, de déviations et de collèges, je ne peux vivre le quotidien de l'archéologie sans en retirer un certain « ressenti », dont je tiens à vous faire part. Ne disposant que de quelques minutes, j'irai directement à l'essentiel. C'est pourquoi mon propos pourra peut-être vous donner l'impression d'être quelque peu critique.

La connaissance du passé est une bonne chose, mais il ne faut pas qu'elle pénalise l'avenir. Or telle est encore trop souvent la situation. Aujourd'hui, nous avons l'occasion de poser à nouveau le problème et, si nous ne le traitons pas, bientôt, il sera trop tard.

Heureusement, ce dossier n'est pas médiatique, sinon nous ne saurions expliquer que certaines aides soient refusées à des personnes confrontées à des difficultés d'emploi par manque de moyens collectifs alors qu'à leur porte, 1 million ou 2 millions d'euros peuvent être consacrés à une fouille dont on sait qu'elle ne révolutionnera pas la connaissance. Je pourrais vous citer des exemples.

Tous mes collègues présents dans cet hémicycle ont certainement lu avec passion les deux tomes du rapport du ministère de la culture du mois de février 2006 remis au Parlement sur la loi du 17 janvier 2001. Le premier tome comporte 97 pages et le second, 448.

Intellectuellement, ces documents sont forcément de très grande qualité. Nous y trouvons des mots et des expressions qui font rêver, ainsi qu'une présentation de quelques découvertes remarquables. Mais ils ne contiennent aucune véritable remise en cause. Y sont seulement énoncés des regrets relatifs aux retards de recouvrement de recettes, regrets aussitôt tempérés par la démonstration que, finalement, la situation s'améliore. C'est vrai, mais les efforts dans ce sens sont insuffisants. Comme vient de le dire M. Dauge, nous verrons ce qu'il en sera en 2007.

Après la lecture assidue des 545 pages de ce rapport, je ne perçois pas un grand mouvement vers la réforme, alors que cette dernière est nécessaire.

Dans le second tome, qui passe en revue les résultats régionaux significatifs de ces dernières années, j'ai eu la faiblesse de lire la partie consacrée à la région Centre, plus particulièrement au Loiret. Sachant que j'ai participé au règlement de plusieurs millions d'euros, je pensais avec innocence en avoir pour mon argent... (Sourires.) Quelle ne fut pas ma déception ! Le Loiret n'a rien de remarquable...

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre. C'est l'Indre-et-Loire qui est remarquable ! (Nouveaux sourires.)

M. Éric Doligé. Tout juste est-il indiqué que l'on a eu confirmation d'éléments que l'on connaissait déjà et de la présence d'occupations rurales anciennes.

Chacun sait que la France a été habitée au cours des millénaires par plus d'un milliard d'individus, ce qui peut laisser supposer qu'il est possible de trouver des traces de leur présence à chaque fois que le sous-sol de notre pays est exploré.

Si la lecture des deux tomes peut laisser penser que tout va globalement bien, je ne peux cependant oublier d'autres publications extérieures. Un récent rapport ayant pour objet d'auditer la gestion et le fonctionnement de l'INRAP et d'examiner le rendement de la redevance pointe de nombreux dysfonctionnements. En tiendrez-vous compte, monsieur le ministre ?

Les collectivités et les entreprises dénoncent de plus en plus le caractère inacceptable des coûts, des délais, de l'arbitraire, du manque d'information.

Par ailleurs, le personnel de l'INRAP ne paraît pas être très satisfait de sa situation. Comment voulez-vous être serein quand vous évoluez dans un système sans perspective claire ?

Point n'est besoin de lire entre les lignes le rapport de la Cour des comptes pour comprendre que le système est plus que perfectible.

L'excellent rapport de notre collègue Yann Gaillard comporte des chapitres à l'énoncé évocateur. Notons « le déficit chronique de l'INRAP, et la dérive relative du recrutement », « des "solutions" séduisantes mais illusoires », « des perspectives incertaines » ou encore « pour une politique de programmation de l'archéologie préventive ».

Monsieur le ministre, ce rapport qui a été remis voilà déjà un an, ce qui, je le reconnais, est bien peu à l'échelle du temps de l'archéologie, du paléolithique, du néolithique, etc., a-t-il suscité des interrogations ?

Pour ma part, lorsque je lis tous ces documents fort argumentés, je n'ai pas le sentiment qu'ils aient influé sur la vie quotidienne de l'archéologie.

Malgré mon expérience très réduite, mais en raison des euros qui ont été apportés par les collectivités et entreprises du département, ainsi que du temps passé à étudier des solutions pour limiter les conséquences économiques, je me permets de formuler quelques remarques et même quelques propositions.

Je ferai référence à la région Centre. Étant donné que vous la connaissez, comme certains de mes collègues, monsieur le ministre, vous aurez certainement en mémoire certains de ces exemples.

Tout d'abord, les prescriptions de diagnostics archéologiques signées dans cette région par le directeur régional des affaires culturelles, par délégation du préfet de région, se heurtent depuis un bon semestre environ à de réelles difficultés d'exécution.

L'INRAP, qui dispose d'une sorte de monopole, étant seulement en concurrence avec les structures dépendant des collectivités territoriales là où ces dernières ont pu être créées, n'a plus les capacités financière et humaine de remplir sa mission.

Selon les calculs des responsables locaux de l'INRAP, les prescriptions de diagnostics en région Centre, qui sont établies à partir des frais de fonctionnement des chantiers, auraient augmenté de près de 125 % sur dix-huit mois et de 365 % si sont prises en compte les procédures de l'autoroute A 19. Dès lors, se pose un inextricable problème pour les aménageurs et pour l'administration, aboutissant à de sérieuses difficultés pour le développement économique de ce territoire. Les lignes suivantes, reprenant la législation et la réglementation qui l'accompagne, esquissent de possibles solutions.

Tout d'abord, pour ce qui concerne la saisine en matière d'archéologie préventive, l'administration saisie d'une demande provenant d'un aménageur dispose d'un délai d'un mois, porté à deux mois dans le cas d'un dossier soumis à étude d'impact, pour édicter, le cas échéant, une prescription de diagnostic. En l'absence de décision dans les délais, l'État est réputé y avoir renoncé.

Il s'agit bien d'une possibilité mais, dans la région Centre, elle prend un caractère systématique, ce qui aboutit mécaniquement aux difficultés actuelles. Il serait donc intéressant qu'en la matière la loi puisse mieux encadrer la saisine en demandant à l'administration de se référer, par exemple, à une politique préalable de fouilles arrêtée par le préfet de région, sur proposition de la commission interrégionale de la recherche archéologique.

À cet égard, est-il indispensable pour la recherche et la connaissance scientifiques de fouiller toutes les anciennes fermes gauloises de la grande plaine de Beauce ?

La motivation du diagnostic est prise, quant à elle, au nom du préfet de région, par le directeur régional des affaires culturelles du Centre, sur proposition du service régional de l'archéologie, le SRA. Elle ne réclame pas de motivation particulière autre que la motivation générale et propre aux décisions administratives ordinaires. Elle n'impose pas non plus d'explications précises à caractère technique et scientifique.

Dans la région Centre, la prescription est quasiment automatique à partir d'une certaine superficie, en l'occurrence 2,5 hectares, que l'état des informations scientifiques disponibles porte ou non à soupçonner la présence de vestiges, alors que la carte archéologique est assez pauvre chez nous.

Par ailleurs, la prescription de diagnostic n'est assortie d'aucun délai de réalisation s'imposant à l'opérateur public ou à un opérateur dépendant d'une collectivité locale, et cela pour une raison très simple : un aménageur peut à tout moment renoncer à son projet et la durée d'un chantier est aussi fonction de son étendue. Dans l'hypothèse où l'absence de commencement d'exécution de la prescription serait imputable à l'opérateur public du fait de ses engagements et de sa charge de travail, le SRA peut proposer au préfet de région la fixation de délais de réalisation à l'INRAP.

Aujourd'hui, dans la région Centre, du fait de l'augmentation du nombre de diagnostics au cours des deux dernières années, le système est engorgé, d'autant que l'INRAP refuse, à juste titre, de signer des conventions que son budget ne lui permet pas d'honorer.

Dès lors, quelques modifications pourraient transformer le cadre législatif afin de prononcer plus rapidement la caducité de la prescription de diagnostic. Pourrait être fixé un délai automatique d'intervention à partir de la demande d'un aménageur sollicitant un opérateur public.

Mais le préfet a toute liberté pour prescrire une date de démarrage de chantier de diagnostic et pour en repousser le commencement de plusieurs mois. La fixation des délais d'intervention serait comptabilisée dans ce cas à partir de la saisine. Cette hypothèse éviterait un examen administratif par le SRA, au cas par cas, de tous les dossiers en souffrance, faute pour I'INRAP de pouvoir aujourd'hui les assurer.

J'en viens maintenant à la procédure administrative postérieure au travail de diagnostic archéologique.

La législation ne fixe aucune durée au chantier de diagnostic archéologique. Il s'agit là d'une affaire concernant l'aménageur et l'opérateur public, les deux étant liés sur ce point par un engagement contractuel. Il en va autrement à l'issue du chantier, tous les délais encadrant les décisions administratives étant comptabilisés à partir de la date de remise des rapports par les responsables de diagnostic. L'administration dispose à partir de ce moment-là d'un délai de trois mois pour prendre la décision d'effectuer des fouilles.

Les difficultés de l'INRAP, conjuguées dans la région Centre aux exigences particulièrement pointilleuses du SRA, ont conduit à une certaine dérive en matière de délais. En effet, quelques rapports jugés insuffisants d'un point de vue scientifique, ayant été estimés sommaires ou évasifs par leurs censeurs, furent retournés à leurs auteurs pour compléments et précisions. Dès lors, lorsque l'administration n'a pas considéré le document comme recevable, l'aménageur, faute d'alternative, demeure suspendu à la seule décision du SRA et à la diligence du responsable du rapport, condamné à reprendre son travail. Sur ce point, il serait intéressant d'apporter quelques changements à la législation.

Ainsi, l'administration devrait être tenue de se prononcer dans un délai de trois mois à partir de la date de libération des terrains par l'opérateur et non plus de celle de la remise des rapports, comme aujourd'hui. Dans ce délai, l'administration prendrait les décisions qui lui reviennent soit sur le fondement d'un rapport, soit à partir de fiches techniques que les responsables de chantier viendraient présenter devant la CIRA.

Enfin, à l'issue de ce délai de trois mois, pour un projet donné, la contrainte archéologique serait automatiquement levée pour les superficies non touchées par une prescription de fouille, sans qu'il soit nécessaire de prendre une décision administrative particulière.

Les difficultés budgétaires de l'INRAP, quant à elles, ont été largement évoquées par les orateurs précédents. Je ne m'y attarderai donc pas. Cependant, je souhaite citer quelques exemples d'opérations locales précises.

Dans un cas de figure, il a été indiqué aux acteurs locaux que la présence humaine de l'époque mérovingienne, attestée par des restes de constructions et divers objets, nécessiterait des fouilles approfondies. En l'espèce, en fonction du cahier des charges qui sera imposé par le SRA, le coût des fouilles pourrait peser particulièrement sur l'équilibre financier de l'opération. Mes chers collègues, je ne vous donnerai pas de plus amples détails. En tout cas, lorsque l'on fait le bilan d'une telle opération et que l'on prend en considération le coût potentiel des fouilles archéologiques, on peut s'interroger sur son utilité...

Tout à l'heure l'un de nos collègues se demandait si l'on pourrait porter de 32 centimes d'euro à 50 centimes d'euro par mètre carré le taux de la redevance d'archéologie préventive. Mais sait-on que certaines terres de la Beauce se vendent à 60 centimes d'euro le mètre carré, valeur estimée par les domaines ? Ainsi, après avoir versé 60 centimes d'euro par mètre carré lors de la vente, l'intervenant devrait payer 50 centimes pour le diagnostic et une somme supplémentaire pour les fouilles. Le propriétaire a quelque mal à comprendre que la valeur de son terrain soit âprement négociée à un centime d'euro près alors qu'on est prêt à consacrer à l'archéologie des sommes qui peuvent être deux, trois ou quatre fois supérieures au prix du terrain. Il conviendrait d'étudier cet aspect avec attention.

Monsieur le ministre, il nous faut aujourd'hui préparer l'avenir. Le sauvetage de l'INRAP passe par une politique de remise en cause de l'établissement tel qu'il est et qui ne répond aux attentes ni des archéologues, ni des aménageurs, ni de la tutelle.

Seule une veille économique permanente peut permettre une rationalisation des projets et la planification de l'activité. Il n'est que temps de mettre en oeuvre, par-delà les querelles partisanes, un projet d'établissement motivant tous les personnels pour construire un concept archéologique acceptable par tous les acteurs.

Il est nécessaire de mener en parallèle une réforme fondamentale, consistant à regrouper un certain nombre de services de l'État intéressés par le sujet. Il est indispensable d'associer les collectivités territoriales à ce dispositif nouveau et de développer le partenariat local.

Le client, souvent la collectivité, voire l'industriel, ne connaît pas, aujourd'hui, la réalité de son investissement en matière archéologique. Il faut simplifier les procédures d'instruction par l'intégration des diagnostics, des évaluations et des fouilles.

Il est essentiel de mutualiser le financement, pour assurer une assiette permettant la pérennisation du dispositif de financement, et de développer le mécénat, en vue d'une meilleure valorisation scientifique.

Un comité de pilotage de cette évolution doit être organisé et présidé par un élu assisté d'aménageurs, de scientifiques et de gestionnaires.

Le nouveau dispositif opérationnel pourrait être bâti sur le schéma suivant : mise en place d'une structure souple fondée sur le projet archéologique le plus proche du terrain pour la partie scientifique et opérationnelle ; regroupement des projets dans des agences de moyens assurant la gestion du partenariat et de la sous-traitance ; création d'un certain nombre de centres scientifiques et techniques fonctionnant en réseau et regroupant les compétences scientifiques, ainsi que d'une structure nationale assurant la cohérence scientifique du tout, la gestion regroupée garantissant les moyens de mise en oeuvre du dispositif et le contrôlant , enfin, dans un second temps, regroupement de tous les services de l'État concernés, ce qui permettrait de redéployer des compétences vers les projets scientifiques.

L'analyse que quelques collègues et moi avons faite montre que des économies de fonctionnement pourraient être réalisées grâce à ce dispositif.

Monsieur le ministre, nous nous accordons, les uns et les autres, à reconnaître la qualité des archéologues ainsi que la nécessité de travailler pour mieux connaître notre passé et, peut-être, mieux comprendre comment les choses se sont organisées sur notre territoire. À cet égard, le département du Loiret, que je représente ici, n'est pas en reste puisqu'il contribue pour un montant non négligeable, à côté de l'État, au financement, notamment, d'un film documentaire valorisant les fouilles archéologiques liées au chantier de l'autoroute A19, L'Autoroute à remonter le temps : cela prouve bien tout l'intérêt que nous portons à ce sujet.

Il reste que la situation actuelle appelle des révisions. Il n'est pas possible de présenter l'emploi comme une priorité et, chaque fois qu'un projet d'investissement est mis au point, nous laisser confrontés à des délais et à des coûts qui se révèlent incompatibles avec cette priorité, comme l'a dit tout à l'heure l'un de nos collègues.

Il faut donc rapprocher la réalité de l'archéologie et celle du terrain afin de trouver une solution intermédiaire qui soit satisfaisante.

En conclusion, je vous ferai une sorte de clin d'oeil, monsieur le ministre, en vous disant qu'il ne faut pas charger l'archéologie de tous les maux et prétendre qu'elle ralentirait à elle seule le développement économique. J'en veux pour preuve cette anecdote récente : sur une zone d'activité, à Gien, des fouilles archéologiques intéressantes étaient conduites, qui ont été stoppées par la DIREN parce que des traces de batraciens ont été découvertes ! Elles ne seront relancées qu'une fois les batraciens retrouvés. (Sourires.) L'archéologie n'est donc pas toujours le seul frein au développement économique !

Il faut que tous les acteurs concernés se réunissent et réfléchissent de façon constructive et non plus désordonnée aux projets scientifiques, à l'opportunité de mener ou non des fouilles, au diagnostic.

Monsieur le ministre, pour finir sur une note positive - j'ai, certes, formulé quelques critiques, mais aussi des propositions, dont j'espère que certaines auront retenu votre attention -, je dois vous dire que la qualité des hommes qui oeuvrent sur le terrain et celle des représentants de l'État permettent de faire avancer les choses et de compenser les quelques imperfections de la loi ainsi que les quelques difficultés de financement et d'organisation dont souffre l'INRAP. (Applaudissements.)

Mme la présidente. La parole est à M. Jacques Legendre.

M. Jacques Legendre. Madame la présidente, monsieur le ministre, mes chers collègues, encore un débat sur l'archéologie ! Je pense qu'il nous faut nous en réjouir : pendant trop longtemps, en effet, pendant des dizaines d'années, il n'avait pas été question d'archéologie au Parlement. Il faut reconnaître que, depuis 2001, le rythme des débats s'est singulièrement accéléré.

Il faut sans doute y voir non seulement une preuve de l'intérêt que les pouvoirs publics, le Parlement et les Français portent à l'archéologie, c'est-à-dire à la connaissance de notre passé et de ce qui est inscrit dans le sous-sol, de notre volonté de traiter sérieusement la préservation d'une source historique essentielle, mais aussi le signe de la conscience que cela ne va pas tout seul et qu'il faut arbitrer entre l'aspiration à la connaissance et les nécessités de la vie et de la préparation du futur.

Je tiens, à l'occasion de ce débat, à formuler tout d'abord un souhait : celui que nous ne commettions pas une erreur de perspective.

Nous parlons parfois de l'archéologie, parfois de l'INRAP. L'INRAP est un instrument au service de l'archéologie. Il ne faut pas confondre une politique globale et un instrument très important au service de cette politique.

L'erreur de la loi de 2001 était de vouloir instaurer, en France, un monopole dans le domaine de l'archéologie préventive. C'était en particulier une erreur s'agissant du recrutement. J'ai entendu, tout à l'heure, mon collègue M. Ivan Renar s'inquiéter du recrutement. Il faut en effet que, chaque année, des jeunes motivés puissent entrer dans la profession d'archéologue. Où sont-ils formés ? Essentiellement au sein des universités. L'instauration d'un monopole suppose évidemment, à un moment donné, un recrutement massif, suivi ensuite, chaque année suivante, de recrutements à la marge, alors que le nombre des étudiants en archéologie dans les universités, lui, n'est pas limité. Il s'ensuit donc une pression terrible et, du fait de ce monopole, il ne peut être répondu à toutes les demandes d'intégration au sein de celui-ci, aussi justifiées soient-elles.

Rien que pour cette raison, instaurer un monopole était dangereux.

L'idée du Parlement, en 2003, fut de mettre en place, à côté de cet instrument para-étatique qu'est en fin de comte l'INRAP, des services archéologiques relevant des collectivités territoriales, voire d'organismes privés.

Il est inutile de rouvrir le débat qui avait eu lieu entre nous voilà deux ou trois ans sur ce dernier point. En effet, dans le domaine de l'archéologie, les organismes privés ne se sont pas multipliés et la crainte de voir l'appétit de lucre se répandre dans le domaine de l'archéologie s'est finalement révélée vaine.

Ce que je regrette, c'est que les collectivités territoriales n'aient pas été plus nombreuses à se doter de services archéologiques. Nous ne serions pas confrontés aux difficultés actuelles si les organismes de ce type étaient plus nombreux. L'on en compte, paraît-il, cinquante-quatre, une quarantaine étant financée par des collectivités territoriales. C'est peu, monsieur le ministre !

Si j'ai un regret à formuler et, peut-être, un petit reproche à faire, je dirai que les collectivités territoriales n'ont pas été suffisamment incitées à se doter de services archéologiques, si bien que nous sommes encore à une étape intermédiaire entre la loi de 2001 et celle de 2003.

Nous avons mis officiellement un terme au monopole par la loi, mais, dans la pratique, un seul organisme se charge du diagnostic et reçoit l'essentiel des commandes en matière de fouilles parce qu'il est le seul réellement apte à pouvoir intervenir.

Nous demandons à l'INRAP de répondre rapidement tout en n'augmentant plus ses moyens, parce qu'il serait effectivement dangereux de les accroître de manière inconsidérée, et nous le mettons de ce fait dans une situation extrêmement difficile.

Il est urgent que nous franchissions enfin cette étape intermédiaire. Je souhaite, monsieur le ministre, que vous ayez la volonté de rencontrer les représentants des collectivités territoriales, des régions, des départements et des grandes agglomérations pour que, sur l'ensemble de notre territoire, un nombre important d'organismes ayant toutes les compétences requises soient capables d'agir dans le domaine archéologique.

Il y a urgence. Si nous restons encore quelque temps dans cette situation, il ne faudra pas nous étonner que les plaintes continuent à pleuvoir, en particulier celles des investisseurs.

J'ai découvert, monsieur le ministre, en arrivant en séance, l'existence d'un rapport sur ce sujet au Parlement. J'ignore pourquoi je ne l'avais pas reçu et n'avais même pas été informé de son existence : c'est un peu déplaisant pour celui qui, en 2003, fut ici même rapporteur du projet de loi relatif à l'archéologie préventive et se fait un devoir d'exercer le droit de suite qui est celui de tout rapporteur d'un texte de loi au Parlement.

J'ai eu néanmoins la joie, monsieur le ministre, en feuilletant ce rapport, de voir que ma région et mon département du Nord étaient mentionnés pour des fouilles qui ont eu lieu dans la communauté d'agglomération dont je suis le président : j'y lis avec intérêt que la connaissance de la période du Haut Moyen Âge a progressé grâce à ces fouilles.

Cependant, cela rappelle à l'investisseur que je suis aussi par ailleurs que, à côté de ma satisfaction de découvrir les traces d'un habitat carolingien, dont attestent la présence de métiers à tisser et celle de dix-sept tombes d'enfants enterrés à cette époque, dont les squelettes ont été retrouvés en bon état de conservation, il est un autre aspect dont il me faut parler ici, car il m'a rendu extrêmement nerveux tout l'été et tout l'automne de l'année passée.

Votre serviteur et les élus de ma région ont, en effet, craint de voir une entreprise textile française prestigieuse, fleuron de la confection de linge de table et membre du Comité Colbert - ce qui n'est pas rien, dans notre pays ! - revendue à un financier américain qui avait la tentation de transférer cette très ancienne usine aux États-Unis, en Chine ou en Europe centrale, en tout cas hors de notre sol.

Cette délocalisation eût été à tous points de vue une perte ; soixante-cinq emplois auraient été supprimés. Il nous appartenait donc de convaincre cet investisseur de sauver les emplois menacés ; nous pouvions espérer le voir en créer trente-cinq de plus et, peut-être, construire une usine neuve, chose fort rare, de nos jours, dans le secteur du textile en France.

Pour mener notre projet à bien, il nous fallait proposer un terrain et respecter des délais extrêmement courts : un investisseur arrivant de New York ne comprend pas qu'en France, en un an, il ne soit pas possible de construire une usine et de la rendre opérationnelle !

Nous avons relevé ce défi. Le seul terrain dont disposait mon agglomération était celui où il y avait eu prescription de diagnostic, lequel a révélé qu'il fallait faire des fouilles, à cause de cette trace de poteaux carolingiens. Il a fallu beaucoup d'efforts financiers et la bonne compréhension de l'INRAP - je tiens à le saluer, car nous avons finalement réussi à régler le problème - pour parvenir à sauver soixante-cinq emplois, à en créer une trentaine d'autres et à voir l'usine s'achever. Mais après quelles inquiétudes, monsieur le ministre !

Il faut savoir que, dans la concurrence entre territoires, qu'il s'agisse d'une concurrence interne à la France ou d'une concurrence avec l'étranger, les prescriptions de fouilles archéologiques et l'allongement des délais qui en résulte peuvent jouer un rôle tout à fait important.

C'est bien pourquoi nous serait extrêmement précieuse une carte indiquant quels sont les territoires soumis à imposition de diagnostic et, au-delà, le diagnostic étant fait, ceux où il y aurait éventuellement obligation de procéder à des fouilles, afin qu'on n'ait pas à découvrir qu'elles sont nécessaires au dernier moment, quand un investisseur vient exiger de se voir livrer une usine dans six ou huit mois, sous peine d'aller la construire en Chine, en Europe centrale ou ailleurs.

Car, de nos jours, les choses se passent ainsi, que cela nous plaise ou ne nous plaise pas ! À nous d'en tirer les conséquences et de faire en sorte que l'archéologie ne vienne pas, au nom d'une éventuelle connaissance du passé, se mettre en balance avec la préservation de l'avenir, des emplois et de la vie. L'archéologie n'est pas fautive, mais telle est bien la réalité des choses à laquelle se trouvent parfois confrontés les investisseurs.

Monsieur le ministre, ne pourrait-on pas faire des diagnostics uniquement quand ils sont nécessaires ? À mon avis, actuellement, ils sont prescrits un peu trop systématiquement, en tout cas dans ma région, ce qui n'était pas le cas auparavant. Pourquoi ? La question mérite d'être posée.

Par ailleurs, ne pourrait-on établir des diagnostics sans utiliser le terrain immédiatement après ? En effet, actuellement, les méthodes de diagnostic sont telles, en l'occurrence des tranchées tous les cinq mètres, et leurs conséquences sont si lourdes que ce terrain ne peut plus être remis en culture ensuite. Cela explique que l'on n'ose pas anticiper sur une demande éventuelle.

Comment dire à un cultivateur qu'il ne peut plus ensemencer et doit se priver d'une récolte, au motif que dans trois, quatre ou cinq ans, on aura besoin de son terrain et qu'en attendant il faut lever la prescription archéologique ? Il y a là une difficulté.

Ne pourrait-on pas, avec les moyens actuels dont on dispose, mettre en place des approches de diagnostic ayant des effets moins lourds sur le terrain ? Je n'en sais rien. Je souhaite simplement que cet aspect du problème soit examiné.

Monsieur le ministre, l'archéologie demande souvent aux investisseurs et aux collectivités locales des efforts financiers importants. Certains les comprennent, d'autres moins. Les Français sont capables de s'intéresser à l'histoire que révèle leur sous-sol, mais en contrepartie des efforts importants qui leur sont demandés - dans l'exemple que je citais, la somme en jeu représentait 1 million d'euros pour ma collectivité : ce n'est pas rien ! -, ils attendent que les fruits des recherches soient portés à leur connaissance et que l'archéologie puisse être popularisée.

Certes, on parle plus d'archéologie qu'avant. Il convient de saluer les efforts faits en ce domaine, notamment par l'INRAP. Toutefois, les résultats des fouilles doivent être connus systématiquement et le plus rapidement possible, et les objets éventuellement montrés. La loi comporte d'ailleurs des dispositions à cet égard.

Monsieur le ministre, il a été également prévu dans la loi que nous ayons régulièrement un débat au Parlement, à l'occasion de la remise du rapport. Notre discussion n'est qu'un rapport d'étape par rapport à la mise en oeuvre de l'archéologie en France, mais je me réjouis qu'elle ait lieu aujourd'hui, tout en espérant que ce ne sera pas la dernière.

Monsieur le ministre, ne nous laissez pas au milieu du gué. Il faut convaincre les collectivités de s'engager dans la constitution de services archéologiques régionaux. Plutôt que de modifier la loi, il vaut mieux tirer toutes les conséquences de son esprit. En France, nous avons le droit de connaître notre passé, mais cette connaissance ne saurait insulter la préparation de l'avenir. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. - Mme Gisèle Printz applaudit également.)

Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.

M. Renaud Donnedieu de Vabres, ministre de la culture et de la communication. Madame la présidente, mesdames, messieurs les sénateurs, je suis heureux de ne pas quitter le Sénat. (Sourires.) En effet, il était un peu plus d'une heure, la nuit dernière, lorsque nous avons conclu, de façon positive, le débat sur les rapports et la conciliation, qui n'est jamais facile à obtenir, entre le droit d'auteur et Internet.

Me trouvant de nouveau devant vous aujourd'hui, je m'aperçois qu'il n'est pas facile non plus de trouver le point d'équilibre entre, d'une part, les nécessités de la mémoire, de l'histoire et de l'archéologie, et, d'autre part, les impératifs et l'urgence du développement.

En vous écoutant expliquer à juste titre, monsieur Legendre, ces difficultés et ces antagonismes, je me disais qu'il nous fallait effectivement innover, trouver des solutions nouvelles et responsabiliser chacun. Au-delà même de votre action, qui est exemplaire, cet enjeu de l'archéologie et du patrimoine doit être mieux connu et davantage porté par les collectivités territoriales et par l'ensemble de nos concitoyens.

Face à chaque projet, par définition toujours différé et toujours attendu du fait de l'omniprésence des questions financières, il existe un sentiment d'impatience. Et pour peu que l'intérêt historique d'un site et le respect du passé justifient la mise en oeuvre de fouilles et légitiment le fait que l'on porte une attention particulière à la préservation de l'environnement, on entre alors dans un antagonisme fondamental qu'il faut s'efforcer de dépasser, le respect de l'histoire apparaissant s'opposer aux impératifs de l'heure.

Notre patrimoine, dans ses diverses composantes, constitue une chance pour notre collectivité nationale. Mémoire de notre nation, il porte nos valeurs en France et dans le monde. Il témoigne de l'attractivité culturelle exceptionnelle de notre pays. Il est un facteur de développement économique et social, générateur d'emploi et créateur de métiers valorisés. Il est aussi un facteur d'intégration individuelle et d'identité collective, plus indispensable que jamais dans notre monde ouvert, changeant et dans notre société fragmentée. Cet aspect m'apparaît essentiel : c'est le moteur de mes convictions et de mon action ? D'où l'intérêt que je porte à notre débat.

Voilà pourquoi notre responsabilité envers le patrimoine est immense. Mais les enjeux pour notre pays sont tels que les réponses isolées ne sont plus possibles. J'ai donc fixé aux réformes que j'ai entreprises depuis deux ans deux objectifs très clairs : premièrement, instaurer et consolider le nouveau partage des responsabilités entre l'État et les collectivités territoriales autour d'un engagement commun, afin que notre collectivité nationale fasse à la fois plus et mieux pour notre patrimoine ; deuxièmement, simplifier et moderniser le droit du patrimoine, afin de le rendre plus efficace et plus compréhensible par nos concitoyens.

Dans le champ très étendu du patrimoine, c'est le sujet particulier de l'archéologie préventive qui mobilise aujourd'hui le Sénat, grâce à l'initiative de M. Yann Gaillard, rapporteur spécial de la commission des finances pour les crédits de la culture. Je tiens à saluer la qualité et l'intérêt de la mission que vous lui avez confiée, qui a permis de faire progresser la réflexion dans ce domaine complexe et important de l'action publique.

Avant de répondre le plus précisément possible au contenu de vos interventions, je souhaite rendre hommage devant la Haute Assemblée, représentant les collectivités territoriales de la République, à toutes celles et à tous ceux qui, à l'INRAP et ailleurs, sur le terrain, dans les chantiers de fouilles, mais aussi dans les instituts de recherches et les établissements d'enseignement, permettent d'aménager notre territoire en préservant notre patrimoine et en réécrivant chaque jour une page de notre histoire. Leur réputation et leur professionnalisme sont tels que de nombreux pays étrangers souhaitent bénéficier de leur talent et de leur compétence.

La France, comme vous l'avez souligné, madame Payet, est un pays au peuplement si ancien et si divers que la masse des données recueillies tout au long des quelque 2 000 fouilles réalisées chaque année a bouleversé nos connaissances sur le demi-million d'années d'histoire de ce territoire qui est devenu la France.

J'ai bien entendu vos préoccupations. Elles portent, tout d'abord, sur la ressource affectée à cette grande cause nationale qu'est la redevance d'archéologie préventive, la RAP. Elles portent, ensuite, sur la situation de notre opérateur public, l'Institut national de recherches archéologiques préventives, l'INRAP, désormais accompagné dans sa tâche par d'autres opérateurs agréés. Vos préoccupations portent, enfin, sur les conditions de la recherche archéologique, c'est-à-dire l'affinement progressif de la carte archéologique et la rationalisation de la conduite des diagnostics dans le cadre d'une programmation scientifique.

L'année qui vient de s'écouler a permis de franchir une étape significative dans la consolidation du dispositif d'ensemble, législatif, réglementaire, financier et scientifique.

Votre important rapport d'information, monsieur Gaillard, a grandement contribué, et je vous en remercie, aux analyses indispensables à l'élaboration progressive de solutions opérationnelles. Comme vous le savez, cette question a fait l'objet de l'un des tout premiers audits de modernisation lancés dans le cadre de la réforme de l'État.

Avant d'évoquer les points majeurs que vous avez abordés, je voudrais rappeler mon attachement aux principes généraux de la loi du 17 janvier 2001, réaffirmés en 2003 et en 2004, qui tendent à concilier les exigences respectives de la recherche scientifique, de la conservation du patrimoine, mémoire de notre nation, et celles du développement économique et social.

En témoigne le récent rapport au Parlement. Je suis désolé que les conditions de la diffusion de ce rapport n'aient pas été parfaites. Celui-ci a été porté au Parlement, remis ou diffusé par le secrétariat général du Gouvernement le 19 avril : le circuit d'acheminement n'a peut-être pas parfaitement fonctionné. Nous aurions dû vous le transmettre directement.

Mon objectif, comme le vôtre, cher Ivan Renar, est effectivement de garantir un mode de financement solide et pérenne, échappant aux aléas budgétaires, et qui assure durablement la mise en oeuvre des principes de raison et d'équité.

Comme l'a indiqué M. le rapporteur spécial, il serait hasardeux de s'engager inconsidérément dans une nouvelle réforme législative qui viendrait bouleverser de fond en comble le dispositif actuel résultant de la loi du 17 janvier 2001, déjà modifiée à trois reprises.

Cela étant dit, nous n'avions pas hésité à le faire à l'époque. Dans les premières semaines de ma prise de fonctions en tant que ministre de la culture et de la communication, à chaque fois que je me rendais à l'Assemblée nationale ou au Sénat pour les questions d'actualité, j'étais interpellé par des parlementaires sur les situations aberrantes constatées sur le terrain et qui risquaient, si l'on y prenait garde, de menacer l'ensemble du dispositif. C'est la raison pour laquelle vous avez été amené à légiférer de nouveau au cours de l'année 2004.

L'audit de modernisation propose, lui aussi, « de ne pas revenir sur les principales caractéristiques du système en vigueur » et recommande de « stabiliser le dispositif actuel », et d'améliorer les procédures relatives à la redevance d'archéologie préventive.

Vous avez soulevé, monsieur le rapporteur spécial, la question de la redevance d'archéologie préventive. Je suis en mesure de vous indiquer que les engagements pris pour améliorer son rendement en 2005 ont été tenus.

Les directions régionales des affaires culturelles, les DRAC, dont ce n'était pas l'habitude et qui ont été amenées à se former à cette nouvelle responsabilité, ont liquidé plus de 32 millions d'euros au cours de l'année, doublant ainsi le rendement de 2004. L'INRAP a encaissé, depuis le début 2006, plus de 20 millions d'euros, soit dix fois plus que pendant le premier trimestre de 2004, ce qui constitue un rythme conforme aux prévisions de perception inscrites au budget primitif 2006 de cet établissement. Bien sûr, nous suivrons mois après mois l'évolution de cette performance, pour constater, je l'espère, sa constance.

S'agissant de la filière qui relève du ministère de l'équipement, les chiffres précis de liquidation doivent être connus ces jours-ci et je n'en dispose donc pas encore. En 2005, le rendement net a été de 13 millions d'euros, après 36 millions d'euros de dégrèvements consécutifs à l'exercice du droit d'option prévu par la loi de 2004 et désormais éteint.

J'en ai conscience, l'ensemble du dispositif demeure fragile et ces chiffres devront encore être améliorés dans l'année en cours, puis consolidés en 2007. J'ai donné instruction à mes services pour que la rationalisation des procédures préconisée par l'audit soit poursuivie à rythme forcé.

Dans vos interventions, madame, messieurs les sénateurs, vous vous êtes intéressés à la situation particulière de l'Institut national de recherches archéologiques préventives. Nous ne devons pas perdre de vue que cet établissement, créé en 2001, est tout naturellement en phase de construction. Les deux rapports de 2005 ont permis de déterminer les orientations majeures susceptibles d'améliorer son fonctionnement.

Je rappelle que le niveau d'intervention retenu lors de la discussion parlementaire de 2003 suppose que la redevance génère un rendement de l'ordre de 80 millions d'euros. Ce montant autorise la prise en compte de la totalité des diagnostics raisonnablement prescrits sur le territoire national, ainsi que l'abondement régulier du Fonds national d'archéologie préventive, le FNAP, destiné à aider les aménageurs pour les fouilles, notamment en milieu rural.

Vous vous inquiétez de la capacité du FNAP à assurer son rôle de cofinanceur. En 2005, 80 dossiers de prise en charge ont pu être traités, pour un montant global de 15 millions d'euros. Ces prises en charge « de droit », prévues par la loi, concernent les logements sociaux et les habitations individuelles construites par les particuliers pour eux-mêmes.

Au fur et à mesure de l'amélioration des conditions de liquidation de la redevance, l'intervention du FNAP s'étendra au subventionnement d'autres opérations d'aménagement, selon les critères établis par la commission créée en 2005 conformément à la loi. Ces critères sont ceux de l'intérêt général et tiennent compte de l'équilibre financier des projets.

Le budget global de l'INRAP - diagnostic et fouilles, hors FNAP - s'élève, pour 2006, à 128 millions d'euros. Il est marqué, monsieur Renar, par la stabilité des moyens par rapport à 2005, notamment en termes d'emploi. Toutefois, l'urgence particulière qui s'attache à la réalisation de certains grands chantiers d'aménagement - je pense en particulier à celui de l'A19, dans le département du Loiret, que vous avez évoqué, monsieur Doligé - exigeait des mesures particulières, pour renforcer les ressources humaines nécessaires. J'y ai pourvu par le recrutement exceptionnel d'une cinquantaine d'agents en contrat à durée déterminée.

Dans un cadre général d'emploi destiné à rester stable -j'y veillerai -, il me semble important de favoriser l'emploi opérationnel et d'élaborer des règles pour adapter la présence du personnel sur le terrain en tenant compte des besoins constatés dans les régions. Il s'agit, là encore, d'un équilibre qui n'est pas facile à opérer, comme les débats, qui résonnent encore dans mes oreilles, d'un récent comité technique paritaire ministériel en témoignent.

Il me semble essentiel de garantir désormais, et sans dérive, le niveau d'intervention de l'INRAP tel qu'il a été adopté par son conseil d'administration pour 2006, et, quand je prends des engagements, je les tiens ! Je ne souhaite donc pas de faux procès sur ce sujet.

Dans ces circonstances, je serai particulièrement attentif à l'évolution du rendement de la redevance, dont j'ai demandé le suivi au jour le jour. C'est sur cette base que j'envisagerai, le cas échéant, de conduire une réflexion sur les adaptations éventuellement nécessaires, soit par une contribution budgétaire dans le cadre du programme Recherche, soit par un ajustement du périmètre de la redevance.

Le constat, je le ferai avec vous, mesdames, messieurs les sénateurs, dans une transparence totale, et si je suis amené à proposer des solutions qui heurtent certains de mes collègues du Gouvernement, je ne doute pas que je bénéficierai de votre concours et de votre soutien attentif.

Cette réflexion, monsieur Dauge, nous pourrons, je le souhaite en tout cas, la mener ensemble.

J'observe que le budget adopté pour 2006 prévoit à l'heure actuelle le remboursement partiel de l'avance consentie en 2003 par le Trésor.

J'ai donné des instructions précises à la direction de l'administration générale et à la direction de l'architecture et du patrimoine pour renforcer, comme le préconisent les deux rapports, l'exercice de la tutelle du ministère sur l'établissement public de recherche, dans un esprit constructif.

Une lettre de cadrage a fixé à l'établissement ses objectifs pour 2006, dans le cadre du « contrat de performance » qui sera élaboré avec sa direction générale et qui vise à améliorer globalement sa gestion et son fonctionnement.

Cette amélioration de gestion passe notamment par un perfectionnement des outils analytiques qui permettront de suivre les recettes et les dépenses par nature d'activité, afin d'aboutir à un suivi plus fin et plus détaillé des résultats de l'établissement.

Les décisions qui ont été prises concernant l'INRAP s'appliquent d'ailleurs à l'ensemble des actions menées dans le domaine du patrimoine géré par ministère, tant il est vrai que les informations les plus précises dues aux progrès de l'informatique de gestion nous sont nécessaires pour nous permettre d'affecter les crédits aux actions qui sont non seulement les plus urgentes - elles sont nombreuses - mais aussi qui appellent une dépense immédiate.

D'une façon générale, il est certain que c'est dans l'amélioration de la gestion de l'établissement, et non pas dans une augmentation mal définie de son budget, que devront être trouvées les capacités supplémentaires d'intervention et d'amélioration des délais, ce dernier point, mesdames, messieurs les sénateurs - et je pense particulièrement à vos observations, madame Payet -, étant en effet absolument prioritaire à mes yeux.

Votre rapport écrit, monsieur Gaillard, a, tout comme le récent audit, soulevé la question du contrôle des prescriptions émises par les services de l'État.

Le rôle de ministre de la culture est avant toute chose d'assumer pleinement, et c'est un honneur, le caractère scientifique de cet aspect de la politique du patrimoine, qui est aussi une politique de la recherche.

Dans la politique de prescriptions mise en oeuvre par les services déconcentrés, il est en effet primordial que les choix soient fondés sur des critères scientifiques validés par les instances consultatives émanant de la communauté archéologique : les commissions interrégionales de la recherche archéologique et le Conseil national de la recherche archéologique, qui ont la mission essentielle de veiller à la cohérence de la programmation nationale.

Sur ce point également, le rapport au Parlement vous apporte, je crois, les informations attendues. Je souligne l'évolution contrôlée du taux de prescription, passé de 15 % en 2001 à 8 % à la fin de 2005, alors même que le nombre de dossiers traités par les services a fortement augmenté, en corrélation avec l'activité économique, ce qui est évidemment une bonne chose.

Ce taux atteint désormais un seuil qu'il serait dangereux d'abaisser, au risque d'exposer les aménageurs et les services de l'État à la découverte fortuite, au cours de travaux, de vestiges devant être fouillés dans l'urgence.

Certes, monsieur Legendre, quand la réalisation d'investissement important revêt un caractère d'urgence, on pourrait envisager de procéder en quelque sorte par anticipation à des fouilles, mais une telle solution soulèverait de redoutables problèmes de financement : qui financerait quoi et qui jouerait le rôle de « banquier relais » de l'opération ?

J'ai d'ores et déjà diligenté l'inspection générale de l'architecture et du patrimoine pour effectuer le suivi de deux interrégions à forte activité, le Centre Île-de-France et la Picardie, où, à la suite de vos remarques, j'ai constaté des difficultés. C'est dans ce cadre, monsieur Doligé, que des moyens prioritaires ont pu être ajoutés.

Par ailleurs, la direction de l'architecture et du patrimoine conduit à ma demande une enquête nationale détaillée, de façon à disposer d'informations précises et complètes sur les prescriptions et sur leur traduction en charge réelle sur les opérateurs.

J'ai fixé enfin à mes services des objectifs précis d'harmonisation des pratiques sur le plan national et de réalisation de bilans de l'activité scientifique, région par région, bilans qui doivent éclairer, comme je le disais précédemment, la politique de prescriptions archéologiques. Les trois quarts des régions sont d'ores et déjà engagées dans l'élaboration de ce bilan, que toutes devront avoir entrepris avant la fin de l'année.

Ces mesures s'inscrivent donc dans l'esprit des débats parlementaires de 2003 pour aboutir à une maîtrise de la prescription guidée par des choix scientifiques. Ceux-ci bénéficient de l'enrichissement, de la mise à jour et de la critique des données de la carte archéologique nationale, qui est une priorité de mes services déconcentrés.

J'estime que la publication des travaux de fouilles est une nécessité, tant, bien entendu, du point de vue scientifique que pour la diffusion de la connaissance au-delà du seul public spécialisé, pour familiariser nos concitoyens avec leur histoire. J'envisage d'ailleurs de créer une journée nationale de l'archéologie préventive pour que le travail des archéologues soit mieux connu par nos concitoyens, ce qui, me semble-t-il, serait de nature à créer les responsabilités collectives nécessaires dans ce domaine.

Il serait paradoxal que l'archéologie soit vécue seulement comme une contrainte, sans que tous ses acteurs puissent bénéficier des produits qu'elle génère en termes de connaissance et d'attachement au territoire.

Cette question de la publication est importante, et j'ai l'intention de réunir à ce sujet et de présider personnellement le Conseil national de la recherche archéologique pour lui soumettre l'élaboration d'un programme national de publication, y compris sous forme numérique.

Je proposerai à ce même conseil un programme de rationalisation et de mise à niveau des dépôts archéologiques nécessaires à la sauvegarde des produits de fouilles et une réflexion sur les modalités de mise en valeur des objets archéologiques significatifs, ce qui devrait répondre, monsieur Legendre, à la préoccupation que vous avez exprimée.

Ce tableau de l'archéologie ne serait pas complet si je n'évoquais pas les efforts entrepris par les collectivités territoriales pour diversifier l'offre d'intervention aux côtés de l'INRAP par de nouveaux opérateurs en archéologie préventive. Leur rôle, comme vous l'avez indiqué, monsieur  Legendre, est essentiel dans le traitement de manière urgente des délais de mise en oeuvre des diagnostics.

À ce jour, cinquante-deux structures, dont quarante publiques et douze privées, ont obtenu un agrément sur avis du Conseil national de la recherche archéologique, quarante-neuf d'entre elles pour effectuer des fouilles. Ce sont ainsi plus de cinquante structures publiques - les services archéologiques de collectivité territoriale - et privées qui peuvent intervenir sur l'ensemble du territoire national aux côtés de l'établissement public.

Je tiens à saluer l'engagement de certaines collectivités, dont l'Indre-et-Loire et l'Eure-et-Loir, qui ont créé un service départemental, et le Loiret, qui a créé un poste en préfiguration d'un futur service.

Je suis conscient, mesdames, messieurs les sénateurs, de la complexité parfois irritante de cette question de l'archéologie et du caractère récurrent des interrogations qui s'attachent à son mode d'organisation, mais je puis vous affirmer que je suis aussi résolu que vous et que trouver le point d'équilibre quand se pose la question du financement de l'INRAP et qu'il m'incombe de faire le choix des redéploiements au sein de mon ministère est un exercice qui, pour le coup, ne me plaît pas ! Nous devons donc trouver les recettes qui donneront définitivement au ministère les moyens d'assumer de façon performante cette responsabilité.

De ce point de vue, permettez-moi de redire que la Haute Assemblée a joué un rôle majeur dans la prise de conscience de l'enjeu archéologique et dans l'amélioration progressive de ses modalités d'organisation.

La phase de stabilisation n'est pas achevée, et des améliorations considérables restent à apporter. Soyez sûrs en tout cas que je demeure particulièrement attentif aux observations que votre Haute Assemblée, par son expérience des problèmes locaux et sa compétence à dépasser la technicité des débats, ne manquera pas de formuler pour que notre action s'inscrive dans une politique ambitieuse, solide, durable du patrimoine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF. - M. Yves Dauge applaudit également.)

Mme la présidente. Le débat est clos.