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Dossier législatif : proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France
Discussion générale (fin)

Droit de vote et d'éligibilité des étrangers aux élections municipales

Rejet d'une demande de discussion immédiate d'une proposition de loi constitutionnelle

 
 
 

M. le président. Je rappelle au Sénat que, en application de l'article 30, alinéas 1 et 4, du règlement du Sénat, Mme la présidente Nicole Borvo Cohen-Seat et M. le président Jean-Pierre Bel ont demandé la discussion immédiate de la proposition de loi constitutionnelle visant à accorder le droit de vote et d'éligibilité aux élections municipales aux étrangers non ressortissants de l'Union européenne résidant en France.

Cette demande a été signée par au moins trente sénateurs dont la présence en séance publique a été constatée par appel nominal.

Le délai prévu par l'article 30, alinéa 2, du règlement est expiré et le Sénat a terminé l'examen du dernier point inscrit par priorité à l'ordre du jour réservé du Sénat.

En conséquence, je vais appeler le Sénat à statuer sur la demande de discussion immédiate.

Je rappelle que, en application de l'alinéa 6 de l'article 30 du règlement, le débat engagé sur cette demande « ne peut jamais porter sur le fond ».

Ont seuls droit à la parole l'auteur de la demande, un orateur contre, le président ou le rapporteur de la commission, et le Gouvernement.

Aucune explication de vote n'est admise.

La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, auteur de la demande.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, je parle ici au nom de M. Jean-Pierre Bel, de Mme Marie-Christine Blandin, et, plus généralement, de l'ensemble des membres du groupe socialiste et apparenté ainsi que du groupe CRC du Sénat.

Décidément - l'heure tardive le montre - il faut beaucoup d'opiniâtreté pour bousculer le fait majoritaire dans notre assemblée.

La mise en oeuvre, aujourd'hui, de la procédure de discussion immédiate par au moins trente sénatrices et sénateurs pour que vienne en débat une proposition de loi constitutionnelle relative au droit de vote et d'éligibilité des étrangers non communautaires aux élections municipales constitue une réponse au refus systématique d'inscription à l'ordre du jour des propositions de loi présentées par l'opposition sénatoriale.

Pourtant, aux termes de la réforme constitutionnelle de 1995, a été instaurée une journée d'initiative parlementaire qui, dans l'esprit et selon la lettre de la Constitution, doit être organisée de façon pluraliste. Or, à la différence de ce qui se passe à l'Assemblée nationale, la majorité sénatoriale n'a jamais accepté que les groupes de l'opposition aient la liberté de choisir les thèmes qu'ils souhaitaient pour ce qu'il est convenu d'appeler leur « niche parlementaire ».

Au moment où certaines personnalités de la majorité évoquent un statut pour l'opposition, nous en sommes, au Sénat, réduits à utiliser des procédures indirectes pour obliger la majorité à débattre - seulement débattre - des propositions de l'opposition.

Ici, la journée d'initiative parlementaire s'est réduite, au fil des années, à un ordre du jour complémentaire, souvent, d'ailleurs, très utile au Gouvernement.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Nous venons d'adopter une de vos propositions de loi. Votre propos est un peu paradoxal !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette journée mensuelle devrait être un moment de respiration démocratique dans notre assemblée, un moment de confrontations des idées, un moment de vrais débats, à la différence de cette litanie de textes imposés souvent à marche forcée par un gouvernement qui n'a jamais autant considéré Sénat et Assemblée nationale comme de vulgaires chambres d'enregistrement.

Nous voulons témoigner ici qu'il est temps de mettre fin à cette domination sans partage de notre assemblée par une majorité assise sur un mode de scrutin injuste. C'est pour cette raison que le groupe communiste républicain et citoyen ainsi que le groupe socialiste et apparenté ont décidé de « prendre le taureau par les cornes » en soumettant au débat une proposition de loi qui leur tient particulièrement à coeur : le droit de vote et d'éligibilité des étrangers aux élections municipales.

D'emblée, je tiens à préciser que le texte qui est soumis aujourd'hui est une reprise de la proposition de loi constitutionnelle adoptée par l'Assemblée nationale le 3 mai 2000.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. Pas tout à fait !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il n'est pas possible, en effet, en application de l'article 30 du règlement du Sénat, de reprendre un projet de loi. C'est la raison pour laquelle nous avons, en commun, déposé une nouvelle proposition de loi, dont les termes sont identiques à ceux du texte que je viens d'évoquer.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. Pas tout à fait !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette référence à l'étape importante franchie voilà cinq ans, par le biais, justement, d'une niche parlementaire, explique que nous ne proposions pas d'aller plus loin dans l'instauration du droit de vote et d'éligibilité. Le débat devra avoir lieu pour d'autres élections.

Pour l'heure, nous proposons de franchir un cap significatif, déjà validé par l'une des deux chambres du Parlement : l'Assemblée nationale. Il s'agit d'un cap démocratique d'une adresse solennelle au monde : la République française est fidèle à ses idéaux de justice, de citoyenneté, d'ouverture.

En ces heures de doute sur la capacité de notre pays à accueillir, à intégrer des populations d'origine étrangère, l'accès au droit de vote manifesterait sans ambiguïté que notre société est bien tournée vers l'avenir.

Cette proposition de loi constitutionnelle répond également à un objectif immédiat : réparer la discrimination, que nous avons, nous, membres de l'opposition, toujours regrettée, entre étrangers communautaires et étrangers non communautaires.

Ainsi, dès 1992, nous avions souligné la grande injustice qui consistait à accorder le droit de vote et d'éligibilité à un ressortissant de l'Union européenne récemment établi sur notre sol et à le refuser à un salarié algérien ou marocain résidant en France depuis trente ans.

En 1992, le droit de vote des étrangers communautaires a, en effet, été intégré dans la Constitution. Une directive du 19 décembre 1994 a généralisé ce principe à tous les pays membres. Elle a été transposée en droit interne par une loi organique promulguée le 25 mai 1998.

Un intéressant rapport publié par le Sénat, comparant les législations de différents pays européens, l'indique : « Les ressortissants des pays de l'Union européenne ont pu voter aux élections européennes pour la première fois en 2001. Quant aux autres étrangers, quelle que soit la durée de leur séjour dans notre pays, ils sont exclus du droit de vote. »

Ce même rapport souligne les prises de position d'un certain nombre de personnalités en faveur du droit de vote et rappelle le vote émis par l'Assemblée nationale le 3 mai 2000.

Il montre que de nombreux pays européens ouvrent la citoyenneté aux résidents étrangers. Ainsi, l'Irlande a pris cette décision depuis 1963. La Belgique, le Danemark, le Luxembourg, les Pays-Bas, la Suède et certains cantons suisses ont déjà adopté une législation comparable au texte que nous souhaitons voir examiné aujourd'hui. L'Espagne, le Portugal, le Royaume-Uni accordent le droit de vote à des ressortissants de certains pays.

La France peut-elle longtemps rester en retrait ?

Cette discrimination entre étrangers communautaires et étrangers non communautaires est difficile à admettre et suscite une grande frustration, notamment chez les enfants de ces hommes et de ces femmes qui, devenus Français, n'ont jamais vu leur parents ou leurs grands-parents voter.

Les résidents étrangers établis sur notre sol disposent des droits civils, économiques et sociaux. Ils en partagent les devoirs, mais leurs droits s'arrêtent à la porte des bureaux de vote. Une telle discrimination est indéfendable.

Depuis de nombreuses années, les groupes parlementaires de gauche ont déposé des propositions de loi pour mettre fin à cette injustice. Pour notre part, c'est le 5 avril 1990, sur l'initiative de Mme Luc, que nous avons déposé la première sur le bureau du Sénat.

Celle que nous défendons aujourd'hui est celle de toute la gauche et je me réjouis de l'initiative commune que j'ai l'honneur de présenter aujourd'hui.

L'opinion publique, longtemps réticente, est maintenant majoritairement favorable. Un sondage rendu public en octobre indique, en effet, que 63 % des Françaises et des Français sont favorables au droit de vote des étrangers aux élections municipales

Peut-être cette évolution explique-t-elle un ralliement progressif, tout au moins en paroles, de certains membres de la majorité...

En 1999, M. de Robien s'est prononcé pour le droit de vote des étrangers aux élections locales ; le 3 mai 2000, M. Borloo a voté pour le texte que j'évoquais ; en 2001, ce fut au tour de M. Bayrou de basculer ; enfin - cerise sur le gâteau ! - c'est M. Sarkozy qui, le 25 octobre, a pris à revers son propre parti, qu'il préside au demeurant, en s'exprimant pour le droit de vote, ce avant - notons-le  - de mettre le feu aux banlieues !

Il s'agit tout de même de trois ministres, et non des moindres, ainsi que des deux présidents des deux partis de la majorité. Et je ne rappellerai pas que M. Jacques Chirac, futur Président de la République, s'était exprimé dès 1977 en faveur du droit de vote des étrangers aux élections municipales.

Pourtant, tout indique, à moins d'une heureuse surprise, que la majorité sénatoriale, nonobstant les prises de positions loin d'être anodines que je viens d'évoquer, s'apprête, non seulement à refuser d'approuver la proposition de loi constitutionnelle présentée par le groupe socialiste et apparenté et par le groupe communiste républicain et citoyen, mais, surtout, à écarter l'idée même d'une discussion sur le sujet.

Il faut, en effet, préciser que les largesses du règlement du Sénat à l'égard de l'opposition ont leur limite.

Ainsi, l'article 30, présentement mis en oeuvre, comporte deux étapes. Il est d'abord procédé à un vote sur l'ouverture ou non de la discussion sur la proposition de loi visée, au terme d'un débat réduit à sa plus simple expression : un orateur pour, un orateur contre, une intervention de la commission et, éventuellement, du Gouvernement, aucune explication de vote n'étant autorisée. C'est regrettable, puisque cela empêche certains de s'exprimer.

Tout porte à croire que nous ne dépasserons pas cette étape ce soir.

M. Pascal Clément, garde des sceaux, ministre de la justice. C'est vrai !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. C'est vraisemblable !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. La majorité se trouve donc devant une contradiction : déjuger ses propres responsables ou donner, pour une fois, du crédit à une proposition de l'opposition, au risque de froisser une partie des siens.

Certains déclarent, à l'UMP notamment, qu'il est trop tôt pour agir, qu'il faut attendre 2007 pour engager cette réforme. J'estime, avec les signataires de cette proposition de loi, qu'il ne serait pas tolérable de repousser aux élections municipales de 2014 l'instauration du droit de vote et d'éligibilité des étrangers à ces élections, alors que de nombreux pays de l'Union européenne ont fait leur cette avancée démocratique.

Mme Marie-Christine Blandin le disait avec pertinence : la France n'a déjà pas été parmi les premiers pays européens à accorder le droit de vote aux femmes ; souhaitons qu'elle ne soit pas le dernier à l'accorder aux étrangers lors des élections municipales !

M. Roland Courteau. Très bien !

Mme Hélène Luc. Absolument !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Il est trop simple d'afficher des positions pour séduire telle ou telle frange de l'électorat et de ne pas les assumer au moment du vote.

Je considère qu'un éventuel refus de discussion de la part de la majorité sénatoriale serait grave à deux titres : sur le plan de la forme, tout d'abord, car cela signifierait une nouvelle fois le refus d'accorder tout pouvoir d'initiative digne de ce nom à l'opposition.

Je rappelle que la demande d'inscription à l'ordre du jour de cette proposition de loi est récurrente ; jamais elle n'a été acceptée par la conférence des présidents du Sénat. Sachez, monsieur le président, que nous prendrons date et que nous n'aurons de cesse de faire respecter nos droits dans cette institution qui doit enfin rompre ave une conception monolithique, archaïque et antidémocratique du fait majoritaire.

Quel est le sens de notre assemblée, quel sera son devenir s'il ne peut supporter d'aborder un tel sujet dans la sérénité ? Le Sénat, qui se prévaut d'assurer la représentation des collectivités territoriales, offre pourtant un cadre tout désigné pour débattre des conditions de mise en oeuvre du mode de scrutin pour les élections municipales.

Ce refus de discuter serait grave, ensuite, sur le fond, car la majorité sénatoriale bloquerait la possibilité d'entamer un débat fondamental sur l'évolution de la citoyenneté, sur les rapports entre citoyenneté et nationalité, sur l'intégration.

La toute récente explosion de violence dans les quartiers difficiles manifeste, au-delà du caractère répréhensible des dégradations perpétrées à cette occasion, un mal-être, une crise d'appartenance qui interpelle fortement l'ensemble de la société. Que les jeunes concernés soient Français - ce qu'ils sont pour la plupart - ou non, tous vivent leur rapport à l'immigration comme une exclusion, comme un facteur de discrimination.

Cette explosion, comme l'ont noté les premières études, y compris celles de la police elle-même, n'avait pas de caractère communautariste. C'était un cri que la majorité devra bien entendre un jour.

Bien entendu, la réponse doit être apportée sur le plan de la formation, de l'emploi, de l'accès à la culture, du logement, de la lutte contre la pauvreté et les discriminations. En un mot, il doit s'agir d'une réponse globale. L'envoi d'un signe fort d'ouverture de la société française, la manifestation franche d'une volonté d'intégration permettront sans nul doute d'établir un dialogue avec cette jeunesse trop souvent méprisée et exclue.

Le droit de vote est l'un de ces signaux tant attendus par de nombreux jeunes, pour leurs parents et leurs grands-parents.

Monsieur le président, mes chers collègues, le Sénat va devoir trancher entre une attitude de progrès, d'épanouissement démocratique, et une posture de repli, de fermeture, d'exclusion.

Nous souhaitons que la Haute Assemblée opte pour le débat, qui permettra d'échanger et de confronter nos points de vue.

Mes chers collègues, sachons montrer une conception ouverte de notre nation, fidèle aux promesses universalistes de la République ; sachons relever le défi du vivre ensemble.

Sachons aussi être les héritiers de ceux qui ont fait la République, qui en ont diffusé le rayonnement de par le monde ; sachons démontrer, à l'instar de Jean Jaurès, que la République est un acte permanent de confiance en l'homme. (Bravo ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Patrice Gélard, contre la demande de discussion immédiate.

M. Patrice Gélard. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, ce qui me frappe aujourd'hui, dans le dépôt de cette proposition de loi, ce sont les objectifs visés.

Mme Dominique Voynet. Ils sont limpides !

M. Patrice Gélard. Il s'agit, dans l'immédiat, non pas de proposer une révision de la Constitution, mais de réaliser un coup médiatique et de nous mettre en difficulté. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

M. Philippe Goujon. C'est évident !

Mme Hélène Luc. Vous êtes vraiment défensif !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cela ne vous honore pas !

M. Patrice Gélard. Je vais tenter de le démontrer simplement.

On nous a rappelé à plusieurs reprises qu'avait été adoptée, en mai 2000, une proposition de loi déposée par un groupe qui n'existe plus mais qui existait à l'époque, le groupe RCV, qui comprenait des républicains, des chevènementistes et des écologistes.

Mme Dominique Voynet. Radicaux et citoyens !

M. Patrice Gélard. Ce qui est étonnant, c'est que la majorité de l'époque a donné l'impression de vouloir accepter cette proposition, mais l'a profondément dénaturée, et ce de trois façons.

Elle a d'abord dénaturé le texte en l'amendant pour en atténuer la portée. Les élections municipales devaient ainsi être seules concernées, et non les élections locales dans leur ensemble.

Mme Dominique Voynet. C'était pour vous convaincre !

M. Patrice Gélard. Il était précisé, par ailleurs, que les étrangers ne pouvaient accéder aux fonctions de maire ou d'adjoint et ne pouvaient participer aux élections sénatoriales.

Ensuite, elle a limité la portée de la proposition de loi pour donner des gages à différents partenaires.

Cette proposition de loi a, bien évidemment, été adoptée par la majorité de l'Assemblée nationale, mais - c'est le troisième point - les choses se sont arrêtées là. Pendant deux ans, le texte adopté par l'Assemblée nationale n'est pas parvenu au Sénat. Or qui avait, à cette époque, de 2000 à 2002, le quasi-monopole de la fixation de l'ordre du jour du Sénat,...

M. Jean-Jacques Hyest, rapporteur. Le Gouvernement : M. Jospin.

M. Patrice Gélard. ...si ce n'est le Gouvernement, alors dirigé par M. Jospin ?

En d'autres termes, vous avez adopté ce texte à l'Assemblée nationale, puis vous l'avez enterré. (Murmures sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Tout à coup, aujourd'hui, cette proposition de loi reparaît, peut-être justement parce que l'UMP, comme l'UDF d'ailleurs, ont abordé ce problème clairement !

Nous avons, en effet, décidé d'examiner en profondeur les différentes dispositions que ce texte entraînait et les conséquences qu'il portait en lui.

Mme Hélène Luc. Vous n'allez pas l'adopter !

M. Patrice Gélard. Mais je parle contre cette demande, madame Luc !

Mme Hélène Luc. Cela se voit !

M. Patrice Gélard. Il est vrai que, en 2000, nous n'avons pas voté en faveur de ce texte. Toutefois, comme l'a souligné tout à l'heure Mme Borvo, nous avons évolué, les uns et les autres, et nous avons décidé d'engager le débat.

Cela pose cependant un certain nombre de problèmes. Ainsi, on constate une certaine confusion entre citoyenneté et droit de vote : l'article 3 de la Constitution porte à l'heure actuelle très clairement que « sont électeurs tous les nationaux français majeurs des deux sexes », voilà tout.

Madame Borvo, vous avez cité tout à l'heure un certain nombre de pays où les étrangers jouissent effectivement du droit de vote aux élections locales.

M. Patrice Gélard. Ce que l'on oublie de dire pourtant, c'est que, dans ces pays, il est impossible, ou presque, d'acquérir la nationalité. (Marques d'approbation sur les travées de l'UMP.) Le droit de vote aux élections locales est donc le seul moyen d'associer à la vie démocratique locale des gens présents sur ces territoires depuis cinq, dix ou quinze ans et qui ne deviendront jamais ressortissants de ces pays.

Or la tradition française, c'est la tradition de l'intégration,...

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez raison d'en parler !

M. Patrice Gélard. ...la tradition de l'acquisition de la nationalité française par le mariage, par la naissance sur le territoire national, par l'acquisition de diplômes français ou par d'autres moyens.

La France est le pays du monde où l'acquisition de la nationalité est la plus facile et la plus simple. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)

Mme Hélène Luc. Ce n'est pas simple, pourtant !

M. Patrice Gélard. Il y a donc un choix à faire : on devient Français et l'on acquiert le droit de vote ainsi qu'une série d'autres droits, ou bien l'on refuse la nationalité française. (Nouvelles protestations sur les mêmes travées.)

Nous vous avons écoutés et, nous aussi, nous avons le droit de parler. C'est cela la démocratie !

Le système français, par conséquent, réside dans la facilité d'accès à la nationalité, dans la volonté d'une intégration pleine et entière par la nationalité française, et non par l'acquisition d'un droit de vote partiel et limité.

Pour conclure, je tiens à dire que nous sommes prêts à engager le débat, mais nous ne voulons pas de la discussion en catimini, à la va-vite, que vous nous demandez ce soir.

Nous sommes prêts à débattre sur une longue période, parce que cette question remet en cause les fondements mêmes de la démocratie française, qui remontent à 1789.

N'oublions pas que la notion de citoyen ne saurait être modifiée en un tour de main ou par une proposition de loi.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. C'est pourtant ce que l'on a fait au sujet des ressortissants communautaires !

M. Patrice Gélard. La méthode qui consiste à déposer brutalement une proposition de loi, si intéressante soit-elle, afin de l'adopter à toute vitesse et en catimini, à cette heure tardive,...

Mme Hélène Luc. Ce n'est pas un argument !

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous vous égarez !

M. Patrice Gélard. ... n'est pas bonne, n'est pas logique.

Le vrai débat devra donc avoir lieu, notamment, à l'occasion de l'élection présidentielle de 2007.

Soyons sérieux : allons-nous demander au Président de la République d'organiser un référendum sur cette question, quand nous savons que les référendums aboutissent, en France, au résultat exactement inverse de celui que l'on recherche ?

Allons-nous organiser un référendum sur une question aussi importante que le droit de vote des étrangers, alors que ce point réclame un débat de fond qui n'a encore jamais eu lieu au sein du Parlement français ?

Mme Hélène Luc. Des sondages montrent que les Français y sont favorables !

M. Patrice Gélard. C'est pourquoi le groupe UMP refuse la discussion immédiate de cette proposition de loi constitutionnelle et demande qu'elle soit renvoyée à une date ultérieure, afin qu'elle fasse l'objet d'un véritable débat, lors de l'élection présidentielle, par exemple. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)

M. Guy Fischer. Ou aux calendes grecques !

M. le président. La parole est à M. le président de la commission.

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. Je ferai tout d'abord observer à Mme Borvo, qui disait que l'on n'examinait jamais les propositions de loi déposées par son groupe, que tel n'a pas été le cas ce soir, puisque nous venons justement d'adopter, avec une notable unanimité, des propositions de loi issues de l'opposition.

M. Guy Fischer. Combien cela en fait-il, en définitive ?

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Vous avez accepté des propositions de loi, mais nous n'avons pas l'initiative !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. Pour en revenir à la demande qui a été formulée, je dirai que l'utilisation de la procédure de discussion immédiate, prévue à l'article 30 du règlement, imposerait à la commission des lois et au Sénat un débat sans préparation, ce qui me paraît particulièrement inopportun s'agissant d'une révision constitutionnelle.

Le paradoxe est, d'ailleurs, que la procédure de discussion immédiate s'applique manifestement à l'examen des textes de loi ordinaires. En effet, un délai de quinze jours est nécessaire avant de délibérer d'un texte de loi organique.

Réviser la Constitution de cette manière n'est donc pas possible. L'examen d'un sujet aussi fondamental pour la démocratie ne peut avoir lieu dans la précipitation, après l'épuisement de l'ordre du jour - et sans doute des parlementaires ! -, en fin de séance publique.

La question du droit de vote des étrangers aux élections municipales ne saurait être débattue sereinement dans de telles conditions.

L'adoption définitive d'une proposition de loi constitutionnelle suppose une procédure lourde de révision de la Constitution, je le rappelle.

Le débat sur le droit de vote des étrangers aux élections locales est récurrent en France. Si le texte adopté par l'Assemblée nationale n'a jamais été présenté devant le Sénat, c'est sans doute parce que, quoi qu'on en dise, il n'y avait pas consensus sur ce sujet.

Quant aux sondages, madame Luc, je n'y crois guère. Si l'on devait élaborer les lois d'après les sondages, ce serait fort intéressant !

Mme Hélène Luc. Les sondages relatifs au référendum du 29 mai 2005 montraient bien quelle direction on prenait !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. Durant peu de temps !

Pour répondre à un certain nombre d'allégations qui ont été émises, je dirai que le Sénat procède à de très intéressantes études de droit comparé. Notre pays se caractérise par le droit du sol, par une acquisition de la nationalité française par naturalisation qui est beaucoup plus facile que dans d'autres pays où le droit du sang prime.

Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Cette position ne tient pas au regard des mesures touchant les ressortissants communautaires !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. Le débat portant sur le statut des citoyens communautaires pour les élections locales a eu lieu. Ces citoyens se trouvent dans une situation précise : la France reconnaît une citoyenneté de l'Union européenne. La question est donc absolument différente.

Je me souviens que, lorsque nous avons institué le droit de vote aux élections locales des citoyens européens, certains voulaient étendre ce droit à tous les étrangers. Nous avions justement établi une distinction entre les uns et les autres.

Pour tous ces motifs, il me semble que ce débat mérite mieux qu'une discussion immédiate.

Mme Hélène Luc. Ce n'est pas un argument !

M. Robert Bret. Supprimez l'article 30, ce sera plus rapide !

M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission. Vos arguments ne m'ont pas convaincu, et je considère que l'on ne peut pas examiner ainsi cette proposition de loi ; ce ne serait pas utile en l'instant. Nous pourrons, en revanche, en débattre le moment venu.

Mme Hélène Luc. Démagogie !

M. le président. La parole est à M. le garde des sceaux.

M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, vous me permettrez d'intervenir brièvement.

Le débat que vous lancez une fois de plus, madame Borvo, est évidemment légitime puisque, comme l'a dit M. Hyest, un certain nombre de pays, certes dans un contexte différent, ont instauré le droit de vote des étrangers aux élections municipales.

Notons l'évolution de la société française qui, grâce à l'Europe, a déjà accepté l'extension du droit de vote aux citoyens de l'Union, pour les élections européennes bien sûr, mais également pour les élections municipales. Si l'on veut bien se souvenir des mentalités françaises voilà une quinzaine d'années encore, « ce n'était pas gagné » !

Nous sommes donc témoins de cette évolution que la plupart d'entre nous, me semble-t-il, juge positive.

Le mérite de cette proposition de loi est de faire réfléchir. Elle fait réfléchir à nouveau, puisque vous l'avez déposée et redéposée. Je crois qu'il faut respecter l'évolution de la société française en organisant le débat, comme vous le faites ce soir, un peu tardivement. Peut être, toutefois, trouvera-t-il un écho.

D'année en année, de décennie en décennie, les Français acceptent une évolution de la citoyenneté, nous le voyons bien. Le fond du débat, en effet, est de répondre à cette question : quels sont les droits attachés à la citoyenneté ? Cette notion était très fermée, en droit français ; elle a tendance à s'ouvrir à cause de l'Europe.

S'ouvre-t-elle au-delà de l'Europe ? C'est une autre question, qui ne pourra être tranchée qu'après une consultation nationale ; elle ne saurait évidemment l'être à deux heures du matin devant la Haute Assemblée.

C'est une consultation nationale qu'il s'agit d'organiser, avec les maires, avec l'ensemble des élus français, avec les associations et, globalement, avec tous les citoyens français, qui doivent prendre part à la discussion.

Lorsque nous sentirons, les uns et les autres, que le débat est mûr, alors - mais je ne veux pas présumer de l'évolution de la société française -, peut-être le gouvernement du moment déposera-t-il, non pas incidemment mais avec une volonté forte, un projet en ce sens sur le bureau des assemblées parlementaires.

C'est ainsi, je crois, qu'il convient de procéder. Je respecte tout à fait le point de vue que vous défendez, mais l'heure est venue d'aller nous coucher et non point de voter !

M. le président. Je mets aux voix la demande de discussion immédiate.

Je suis saisi de deux demandes de scrutin public émanant, l'une, du groupe CRC et, l'autre, du groupe UMP.

Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 52 du règlement.

(Le scrutin a lieu.)

M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...

Le scrutin est clos.

(Il est procédé au comptage des votes.)

M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 78 :

Nombre de votants 312
Nombre de suffrages exprimés 312
Majorité absolue des suffrages exprimés 157
Pour l'adoption 119
Contre 193

La discussion immédiate n'est pas ordonnée.

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