Article 10 bis
I. - L'article 16 du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° Dans le 3°, les mots : « les fonctionnaires titulaires du corps de commandement et d'encadrement de la police nationale et les fonctionnaires stagiaires du corps de commandement et d'encadrement déjà titulaires de cette qualité, nominativement désignés par arrêté des ministres de la justice et de l'intérieur après avis conforme d'une commission » sont remplacés par les mots : « et les officiers de police » ;
2° Dans le 4°, les mots : « de maîtrise et d'application » sont remplacés par les mots : « d'encadrement et d'application », et les mots : « de la commission mentionnée au 3° » sont remplacés par les mots : « d'une commission ».
II. - Les 2° et 3° de l'article 20 du même code sont remplacés par un 2° ainsi rédigé :
« 2° Les fonctionnaires titulaires du corps d'encadrement et d'application de la police nationale n'ayant pas la qualité d'officiers de police judiciaire, sous réserve des dispositions concernant les fonctionnaires visés aux 3° et 4° ci-après ; ».
M. le président. L'amendement n° 23 rectifié, présenté par M. Courtois, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Compléter le I de cet article par un alinéa ainsi rédigé :
3° - Dans le sixième alinéa du même article, les références : « 2° à 4° » sont remplacées par les références : « 2° et 4° »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de coordination.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 10 bis, modifié.
(L'article 10 bis est adopté.)
Article 10 ter
L'article 706-88 du code de procédure pénale est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« S'il ressort des premiers éléments de l'enquête ou de la garde à vue elle-même qu'il existe un risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste en France ou à l'étranger ou que les nécessités de la coopération internationale le requièrent impérativement, le juge des libertés peut, à titre exceptionnel et selon les modalités prévues au deuxième alinéa, décider que la garde à vue en cours d'une personne, se fondant sur l'une des infractions visées au 11° de l'article 706-73, fera l'objet d'une prolongation supplémentaire de vingt-quatre heures, renouvelable une fois.
« À l'expiration de la quatre-vingt-seizième heure, et de la cent vingtième heure, la personne dont la prolongation de la garde à vue est ainsi décidée peut demander à s'entretenir avec un avocat, selon les modalités prévues par l'article 63-4. La personne gardée à vue est avisée de ce droit dès la notification de la prolongation prévue au présent article
« Outre la possibilité d'examen médical effectué à l'initiative du gardé à vue, dès le début de chacune des deux prolongations supplémentaires, il est obligatoirement examiné par un médecin désigné par le procureur de la République, le juge d'instruction ou l'officier de police judiciaire. Le médecin requis devra se prononcer sur la compatibilité de la prolongation de la mesure avec l'état de santé de l'intéressé.
« S'il n'a pas été fait droit à la demande de la personne gardée à vue de faire prévenir, par téléphone, une personne avec laquelle elle vit habituellement ou l'un de ses parents en ligne directe, l'un de ses frères et soeurs ou son employeur, de la mesure dont elle est l'objet, dans les conditions prévues aux articles 63-1 et 63-2, elle peut réitérer cette demande à compter de la quatre-vingt-seizième heure. »
M. le président. Je suis saisi de trois amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
Les deux premiers sont identiques.
L'amendement n° 48 est présenté par Mmes Boumediene-Thiery, Blandin et Voynet et M. Desessard.
L'amendement n° 76 est présenté par Mmes Assassi, Borvo Cohen-Seat, Mathon-Poinat et les membres du groupe communiste républicain et citoyen.
Ces deux amendements sont ainsi libellés :
Supprimer cet article.
La parole est à Mme Alima Boumediene-Thiery, pour présenter l'amendement n° 48.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Je l'ai dit et je le répète, les Verts savent qu'il est primordial de lutter contre le terrorisme et de protéger nos concitoyens. Mais protéger la vie des citoyens, c'est également protéger leurs droits et leurs libertés.
Or la proposition de prolongation de la durée de la garde à vue prévue à l'article 10 ter du projet de loi ne répond pas à ces deux impératifs. D'ailleurs, nul n'ignore que les infractions en matière de terrorisme sont d'ores et déjà lourdement réprimées et soumises à des régimes d'exception.
Tout d'abord, cette prolongation est superfétatoire puisque les magistrats utilisent déjà en la matière des dispositions préexistantes et rencontrent très peu de difficultés à maintenir en détention un suspect incarcéré.
De plus, le fait de prolonger la garde à vue de quarante-huit heures n'apporte rien, ou très peu, à l'enquête, compte tenu notamment de la possibilité de placement en détention provisoire, souvent utilisée, qui permet déjà de répondre aux impératifs de risque sérieux et imminent d'une action terroriste.
Ce que le Gouvernement tente ici de « garder à vue », ce sont non pas seulement les présumés terroristes, mais aussi un pan entier des droits et libertés des citoyens de ce pays.
S'agissant de la présence de l'avocat pendant la garde à vue, le bâtonnier auditionné par la commission des lois a rappelé qu'il convenait de cesser de considérer l'intervention de l'avocat comme un obstacle à l'instruction, car cette intervention permet au contraire de crédibiliser cette dernière, notamment en assurant les droits du présumé innocent. Il ne faut pas oublier, en effet, que l'avocat appartient à un ordre professionnel et que, à ce titre, il est soumis à des obligations.
En conclusion, monsieur le garde des sceaux, je souhaite vous poser les questions suivantes.
Que se passerait-il si, au bout de 143 heures et 55 minutes de garde à vue, on apprenait qu' « il existe un risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste en France ou à l'étranger » ? Prolongera-t-on à nouveau le délai de garde à vue ou placera-t-on la personne prévenue en détention provisoire ? Et, dans ce dernier cas, pourquoi ne pas le faire dès la quatre-vingt-seizième heure ?
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo Cohen-Seat, pour présenter l'amendement n° 76.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. L'article 10 ter a été ajouté par l'Assemblée nationale, qui a cru bon de durcir encore davantage le régime de la garde à vue.
En matière de terrorisme, le régime de la garde à vue est, depuis 1986, dérogatoire au droit commun, puisque celle-ci peut être prolongée de quarante-huit heures. L'avocat, quant à lui, ne peut intervenir qu'au bout de la soixante-douzième heure, ce qui, vous en conviendrez, est un délai déjà relativement long.
Le nouvel article 10 ter se situe donc dans la logique de surenchère pénale que nous connaissons bien, puisque nous la subissons depuis près de trois ans.
Nous venons d'achever l'examen de l'article 9, qui aggrave les peines d'emprisonnement. La garde à vue pourrait ainsi durer, si l'article 10 ter était adopté, jusqu'à six jours d'affilée. L'avocat, quant à lui, ne pourrait intervenir qu'au bout de la quatre-vingt-seizième heure.
Pourquoi, dans ces conditions, ne pas interdire totalement la présence de l'avocat, ou même priver des droits de la défense une personne soupçonnée de terrorisme ? Ce n'est pas pour rien que j'ai cité tout à l'heure le cas des prisonniers de Guantanamo.
Nous savons parfaitement que le fait de réduire le droit à la présence d'un avocat au cours de la garde à vue permet d'exercer toutes sortes de pressions sur la personne gardée à vue.
Par ailleurs, les raisons pouvant justifier une telle prolongation de la garde à vue sont particulièrement vagues, et donc dangereuses pour les libertés individuelles. En effet, un risque sérieux de l'imminence d'une action terroriste en France ou à l'étranger, ou bien les nécessités de la coopération internationale, si celles-ci le requièrent impérativement, suffiraient à justifier qu'une personne soit gardée à vue pendant six jours.
Le fait que le ministre de l'intérieur indique que la menace terroriste est « réelle et accrue » sans pour autant produire d'éléments concrets suffirait-il à prolonger la garde à vue ? Le fait d'activer et de maintenir le plan Vigipirate au niveau rouge constituerait-il également une raison suffisante pour prolonger une telle mesure ?
Vous devez tout de même convenir que le risque d'action terroriste à l'étranger est quasi permanent ! Cela pourrait-il néanmoins justifier une prolongation de la garde à vue ?
Nous savons très bien que les régimes dérogatoires censés s'appliquer dans un nombre de cas restreints - en l'occurrence le terrorisme - finissent bien souvent par s'appliquer à un ensemble de plus en plus vaste d'infractions. Nous l'avons vu encore récemment avec la loi Perben II concernant la criminalité organisée. Il y a fort à parier que cette disposition s'étende à l'avenir à d'autres catégories d'infractions et que les régimes d'exception deviennent la règle.
Enfin, il conviendrait de nous faire la démonstration du fait que la prolongation de la garde à vue constitue vraiment une mesure de prévention du terrorisme.
J'indique dès à présent que le groupe CRC demande un vote par scrutin public sur cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 97 rectifié bis, présenté par MM. Peyronnet, Badinter et Boulaud, Mmes Cerisier-ben Guiga et Tasca, MM. Collombat, Frimat et C. Gautier, Mme Khiari, MM. Mermaz, Sueur, Vantomme et Yung, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés, est ainsi libellé :
I. - Dans la première phrase du deuxième alinéa du texte proposé par cet article pour compléter l'article 706-88 du code de procédure pénale, remplacer le mot :
peut
par les mots :
a le droit de
II. - Compléter cet article par trois alinéas ainsi rédigés :
... - Dans le premier alinéa de l'article 63-4 du code de procédure pénale, après les mots : « la personne », le mot : « peut » est remplacé par les mots : « a le droit de ».
... - Dans le sixième alinéa du même article, après les mots : « la personne », les mots : « peut également » sont remplacés par les mots : « a le droit également de ».
... - Dans la première phrase du dernier alinéa de l'article 706-88 du code de procédure pénale, après les mots : « en application des dispositions du présent article », le mot : « peut » est remplacé par les mots : « a le droit de ».
La parole est à M. Robert Badinter.
M. Robert Badinter. Il s'agit d'apporter au texte une précision dont la portée symbolique est importante : s'agissant du droit à un avocat, le remplacement des mots : « peut demander » par les mots : « a le droit de demander » permettrait de rendre la rédaction de l'article 10 ter conforme à la Convention européenne des droits de l'homme et, de façon plus générale, aux règles relatives aux droits de la défense,
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Sur les amendements nos 48 et 76, la commission émet un avis défavorable. La prolongation de la garde à vue répond à un vrai besoin comme une délégation de la commission des lois a pu s'en rendre compte en rencontrant les juges d'instruction de la section antiterroriste du TGI de Paris.
En outre, le dispositif est entouré de réelles garanties puisque l'avocat peut intervenir à la quatre-vingt-seizième heure puis à la cent vingtième heure.
Enfin, il va de soi que ce dispositif sera mis en oeuvre dans le strict respect des principes de nécessité et de proportionnalité qui gouvernent la procédure pénale.
Quant à l'amendement n° 97 rectifié bis, il tend à prévoir que la personne dont la garde à vue est prolongée « a le droit de s'entretenir avec un avocat » et non pas, comme le texte proposé par l'Assemblée nationale le dispose, « peut s'entretenir avec un avocat ».
La commission avait émis un avis favorable sur cette amélioration rédactionnelle, sous réserve des coordinations nécessaires dans le code de procédure pénale. L'amendement n° 97 rectifié bis répondant à cette préoccupation, la commission émet un avis favorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. La possibilité de prolonger la garde à vue de vingt-quatre heures, renouvelable une fois, correspond à un souhait formulé auprès du Gouvernement par les juges antiterroristes.
On peut d'ailleurs s'interroger au vu des événements récents : c'est en effet au troisième jour que la personne interpellée a indiqué où se trouvait un important arsenal dissimulé en région parisienne.
J'aurais pu vous dire que cela s'était produit le cinquième jour, et là on m'aurait répondu que cette mesure était tout à fait utile.
« Pourquoi donc un délai de garde à vue de six jours et pas de dix jours ? », demanderont certains ? Il faut s'arrêter à un moment, c'est vrai. Sachez néanmoins que, dans cette affaire, le Gouvernement a été saisi d'une demande de la part des juges antiterroristes. Comme tout le monde reconnaît aujourd'hui l'efficacité de leur travail, nous avons pensé, modestement, qu'il valait mieux avoir raison en les suivant qu'avoir raison contre eux. C'est mon argument principal.
S'agissant de l'amendement n° 97 rectifié bis, le Gouvernement émet un avis défavorable, car toute la doctrine, toute la jurisprudence partent du mot « peut ». Nous craignons par conséquent des gloses sur l'intention du législateur, s'agissant de termes dont le sens n'est pas très éloigné.
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi, pour explication de vote sur les amendements identiques nos 48 et 76.
M. Nicolas Alfonsi. Ainsi que je l'ai indiqué hier, je voterai contre ces amendements de suppression.
Je le répète avec force : quel que soit le gouvernement en place, la durée de la garde à vue, si elle est portée à six jours, ne sera pas ramenée par la suite à quatre jours. C'est une tendance permanente : on proteste au moment du vote, mais ensuite, quand on est en charge des affaires du pays, on conserve le système précédemment instauré.
M. le président. Je mets aux voix les amendements identiques nos 48 et 76.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe CRC.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 64 :
Nombre de votants | 236 |
Nombre de suffrages exprimés | 236 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 119 |
Pour l'adoption | 34 |
Contre | 202 |
Le Sénat n'a pas adopté.
Je mets aux voix l'amendement n° 97 rectifié bis.
(L'amendement est adopté.)
M. le président. Je mets aux voix l'article 10 ter, modifié.
(L'article 10 ter est adopté.)
Article 10 quater
Dans l'article 800 du code de procédure pénale, après les mots : « en établit le tarif », sont insérés les mots : « ou fixe les modalités selon lesquelles ce tarif est établi ». - (Adopté.)
Articles additionnels après l'article 10 quater
M. le président. L'amendement n° 80 rectifié bis, présenté par MM. de Montesquiou et Pelletier, est ainsi libellé :
Après l'article 10 quater, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
I - Le premier alinéa de l'article 706-25-1 du code de procédure pénale est ainsi rédigé :
« L'action publique relative aux crimes prévus par le présent titre, ainsi que les peines prononcées sont imprescriptibles. »
II - Au premier alinéa de l'article 7 du code de procédure pénale, les mots : « sous réserve des dispositions de l'article 213-5 du code pénal » sont remplacés par les mots : « sous réserve des dispositions des articles 213-5 du code pénal et 706-25-1 du code de procédure pénale ».
La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Nous avons tous à l'esprit les attentats injustifiables commis à New York et à Washington en 2001, à Bali en 2002, à Madrid en 2004 ou encore à Londres en 2005. Désormais, la population mondiale vit sous la menace permanente d'un attentat terroriste de masse.
Les attentats de Madrid et de Londres ont confirmé que notre continent n'était pas à l'abri. Notre pays et nos ressortissants sont donc menacés eux aussi.
Il en est de même pour tous les pays de l'Union européenne. Il est donc indispensable que chaque État, individuellement et collectivement, se dote des instruments juridiques appropriés pour punir ces actes impardonnables.
C'est pourquoi notre pays doit à la fois adresser un signal fort à tous les terroristes et apporter une réponse spécifique en adaptant notre arsenal législatif aux nouveaux enjeux géostratégiques en matière de terrorisme. Nous devons donc doter notre droit pénal d'instruments nouveaux et appropriés pour permettre une meilleure répression des auteurs d'actes de terrorisme.
Cet amendement vise à renforcer les moyens à la disposition des autorités juridictionnelles en rendant imprescriptibles les crimes terroristes.
La gravité des infractions terroristes est telle que l'action publique ne doit pas s'éteindre. Pour cela, il convient de modifier le régime spécifique de l'infraction de crime de terrorisme afin d'interdire une impunité de ces crimes et de leurs auteurs.
Si l'imprescriptibilité des crimes terroristes est plus que légitime, il reste à lui donner une existence juridique en adoptant cet amendement.
Il est indispensable, mes chers collègues, de pouvoir poursuivre indéfiniment les auteurs de crimes terroristes.
Personne ne devrait être gêné d'une telle mesure, hormis ceux qui éprouvent de la sympathie pour les coupables de délits et de crimes de terrorisme !
Je donnerai un exemple concret : le mois dernier, une femme auteur d'un hold-up a été interpellée vingt-quatre ans et huit mois après les faits. Si cette femme avait commis un crime terroriste quatre mois plus tard, elle ne pouvait plus être considérée comme une criminelle. Aurait-il été préférable que la date de prescription soit atteinte ?
Mes chers collègues, la prescription ne sert en rien la société, elle permet seulement aux criminels et aux terroristes d'espérer se mettre à l'abri de toute sanction.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. La commission des lois a déjà eu l'occasion de se prononcer sur des dispositions identiques présentées par MM. de Montesquiou et Pelletier dans le cadre d'une proposition de loi ; elle avait alors émis un avis défavorable. En effet, seuls les crimes contre l'humanité sont imprescriptibles, et il convient de préserver la spécificité des règles applicables en cette matière, compte tenu de la nature même des faits en cause.
En outre, il faut rappeler que les règles de prescription sont d'ores et déjà plus rigoureuses en matière de terrorisme, puisque la prescription de l'action publique s'élève à vingt ans pour les délits et à trente ans pour les crimes, au lieu de trois ans et dix ans dans le droit commun.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. On n'arrête pas l'inflation !
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. La commission demande donc le retrait de cet amendement. À défaut, elle émettra un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Compte tenu de la conviction qui habite M. de Montesquiou, j'aimerais que nous réfléchissions ensemble sur l'utilité concrète de son amendement.
Nous sommes bien d'accord les uns et les autres : un crime terroriste est par essence public. (M. Aymeri de Montesquiou fait un signe d'assentiment.)
S'il est public, il est connu des autorités judiciaires, et, dans ce cas, il y a des actes d'enquêtes. (M. Aymeri de Montesquiou fait de nouveau un signe d'assentiment.)
A partir du moment où il existe des actes d'enquêtes, la prescription s'interrompt. De plus, comme l'a indiqué M. le rapporteur, elle est de trente ans.
Par conséquent, monsieur de Montesquiou, je suis navré de vous dire que votre amendement ne sert à rien.
En outre, dans l'état actuel de notre droit, les actes terroristes de masse - c'est le cas de New York - constituent aussi un crime contre l'humanité, sans pour autant entrer dans la partie symbolique de l'imprescriptibilité des crimes contre l'humanité qu'il est souhaitable de conserver, comme l'a dit M. le rapporteur.
Mais plutôt que de vous faire cette réponse de principe qui, je le sentais bien, ne vous aurait pas convaincu, je préférais vous montrer que la disposition présentée dans l'amendement n° 80 rectifié bis n'apportait concrètement rien à une situation qui, comme vous, nous scandalise et que nous souhaitons éradiquer.
M. le président. Monsieur de Montesquiou, l'amendement n° 80 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Aymeri de Montesquiou. Oui, monsieur le président, je le maintiens.
M. le garde des sceaux a bien présenté cet amendement sur le plan du principe. Nous sommes tous horrifiés par les attentats. Les victimes et leur entourage, me semble-t-il, estimeraient être mieux pris en considération si l'on distinguait les crimes terroristes des autres crimes.
M. le président. La parole est à M. le président de la commission des lois.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. M. de Montesquiou, en déclarant que personne ne devrait être gêné par la mesure qu'il propose, hormis ceux qui éprouvent de la sympathie pour les coupables de délits et de crimes de terrorisme, a prononcé une phrase difficilement acceptable !
M. Jean-Pierre Sueur. Merci de le dire !
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Ce n'est pas acceptable, mon cher collègue, et je le dis franchement.
M. Aymeri de Montesquiou. Je suis prêt à retirer cette phrase.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. En fait, ce que nous visons dans ce projet de loi, c'est l'efficacité de la lutte antiterroriste.
Monsieur de Montesquiou, il serait extrêmement dangereux d'adopter des dispositions législatives pour leur valeur symbolique, comme certains le veulent.
Dans ces conditions, nous devons nous attacher à élaborer un code pénal réellement applicable, afin de pouvoir poursuivre les terroristes le plus longtemps possible. Au demeurant, il s'agit de cas exceptionnels et, outre les crimes contre l'humanité - qui sont d'une autre nature : je pense aux criminels nazis -, les plus longues prescriptions sont bien celles qui sont prévues en matière de crimes terroristes. Ainsi ; elles sont de vingt ans pour les délits, et de trente ans pour les crimes. On ne peut donc pas dire que nous n'avons rien fait ! Je pense, au contraire, que nous sommes allés jusqu'au bout de ce que nous pouvions faire.
De plus, ce n'est pas faire injure aux victimes d'actes de terrorisme que de vouloir préserver l'équilibre de notre droit pénal !
Pour toutes ces raisons, la commission ne peut donc pas être favorable à cet amendement.
M. le président. L'amendement n° 81 rectifié bis, présenté par MM. de Montesquiou et Pelletier, est ainsi libellé :
Après l'article 10 quater, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
L'article 132-23 du code pénal est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Pour les crimes en matière de terrorisme, le condamné exécute la totalité de sa peine, sans pouvoir requérir l'application des trois premiers alinéas. »
La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou. Cet amendement a pour objet de renforcer les moyens qui sont mis à la disposition des autorités juridictionnelles en rendant incompressibles les peines prononcées pour les crimes terroristes : aucune diminution de la peine n'est ni envisageable ni tolérable pour ces crimes d'un genre bien particulier.
Ces crimes de terrorisme et le profil psychologique de ces criminels rendent légitime le fait que les peines prononcées en la matière soient incompressibles. Cet aménagement du régime répressif constitue une réponse proportionnée, et donc juste, aux crimes de terrorisme.
L'incompressibilité des peines est la réponse la plus évoluée et la plus acceptable face à ceux qui, hélas ! prônent le rétablissement de la peine de mort.
La psychologie et le fanatisme de ceux qui commettent ces crimes et ces délits terroristes rendent toute adaptation des peines inutiles, puisque la récidive devient un objectif personnel.
Cet amendement vise à dissuader les criminels terroristes de se réaliser dans la commission de crimes et dans l'action violente. La société doit se protéger et adopter cette mesure nouvelle, qui n'est que l'application stricte de la peine perpétuelle.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Patrick Courtois, rapporteur. Comme c'était le cas pour l'amendement précédent, la commission a déjà eu l'occasion d'émettre un avis défavorable sur cette disposition.
En premier lieu, la période de sûreté est applicable de plein droit aux crimes et délits terroristes punis d'au moins dix ans d'emprisonnement.
En second lieu, le principe d'une peine incompressible paraît contraire à nos engagements internationaux, notamment au troisième alinéa de l'article 10 du pacte international relatif aux droits civiques et politiques.
La disposition prévue dans cet amendement ne semble pas davantage conforme à nos règles constitutionnelles, le Conseil constitutionnel ayant reconnu, précisément, valeur constitutionnelle au principe d'individualisation de la peine.
Pour toutes ces raisons, je demande à M. de Montesquiou de bien vouloir retirer son amendement. A défaut, la commission y sera défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Cet amendement vise à interdire tout aménagement de peine pour les criminels convaincus d'actes de terrorisme.
Comme l'a rappelé M. le rapporteur, le Conseil constitutionnel a décidé, en 1994 - c'était sous la présidence de M. Robert Badinter, sauf erreur de ma part -, qu'il n'était pas possible d'interdire toute possibilité d'aménagement d'une peine privative de liberté. Cet amendement est donc, d'emblée, frappé d'inconstitutionnalité.
Par ailleurs, dans le cas d'une condamnation à perpétuité, la période de sûreté est de vingt-deux ans, ce qui constitue d'ores et déjà une garantie de protection réelle pour la société.
À cet égard, permettez-moi de revenir sur le rôle des juges de l'application des peines.
L'application des peines en la matière sera désormais centralisée à Paris. Les juges concernés, bien au fait des problèmes de terrorisme, pourront ainsi mieux évaluer la dangerosité des personnes condamnées pour actes de terrorisme que ne pourrait le faire un juge de l'application des peines de province.
Les aménagements de peine les plus adaptés seront donc proposés à ces terroristes par des juges de l'application des peines spécialisés.
Quoi qu'il en soit, je le répète, d'un point de vue constitutionnel, il n'est pas envisageable d'empêcher l'aménagement des peines. Je souhaite donc le retrait de cet amendement.
M. le président. Monsieur de Montesquiou, l'amendement n° 81 rectifié bis est-il maintenu ?
M. Aymeri de Montesquiou. Je suis surpris de la première argumentation de M. le rapporteur.
Depuis plusieurs années, on assiste à une montée en puissance des actes de terrorisme. Tous les ans, hélas ! des bombes font de nombreuses victimes. Or le droit est fait pour évoluer ; il doit donc s'adapter à la réalité.
M. le garde des sceaux nous dit que le juge de l'application des peines évalue la dangerosité d'un prisonnier. Dans ces conditions, pourquoi Mme Ménigon n'a-t-elle pas encore été libérée ? Compte tenu de son état de santé, il ne semble pas qu'elle représente un danger pour la société !
M. Aymeri de Montesquiou. Pardonnez-moi, je l'ignorais.
En tout état de cause, dans la mesure où vous considérez - et vous avez sans doute raison -, que cet amendement n'est pas constitutionnel, je le retire.
M. le président. L'amendement n° 81 rectifié bis est retiré.