PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
Nous poursuivons la discussion, en deuxième lecture, de la proposition de loi relative au traitement de la récidive des infractions pénales.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 87, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative au traitement de la récidive des infractions pénales (n° 23, 2005-2006).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Josiane Mathon, auteur de la motion.
Mme Josiane Mathon. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, la récidive n'est ni un problème anodin, car la récidive est synonyme d'échec, ni un problème qu'il faut traiter précipitamment ou dans un remue-ménage médiatique peu propice à la sérénité qui doit empreindre des débats ayant trait au droit pénal.
Malheureusement, que ce soit en première ou en deuxième lecture, ce texte a été placé sous les feux des projecteurs à la suite de faits divers tragiques, le Gouvernement l'ayant exhibé comme étant la réponse immédiate à la récidive.
La solution, nous a-t-on dit, existe et se présente sous la forme d'un bracelet électronique mobile, permettant de suivre à la trace les récidivistes potentiels ou les potentielles récidives
Avant de formuler un certain nombre d'objections, je tiens à rappeler que le Sénat avait prudemment reculé sur les dispositions relatives au bracelet électronique et avait manifesté le plus grand doute quant à son application. Les députés ne semblent pas avoir véritablement tenu compte des interrogations émises dans notre assemblée puisque le texte nous revient profondément modifié et durci.
En effet, nous critiquions déjà vivement les dispositions remettant en cause toutes les mesures d'aménagement des peines et permettant un allongement de la durée de détention que nous estimons totalement contreproductif en termes de lutte contre la récidive.
Aujourd'hui, nous constatons à regret que la liste de ces dispositions répressives s'est allongée et que, malgré l'accroissement de la durée d'emprisonnement, le Gouvernement et la majorité maintiennent leur volonté d'imposer une surveillance électronique mobile après la sortie de prison.
Le placement sous surveillance électronique mobile pourrait être ordonné soit dans le cadre du suivi socio-judiciaire, soit dans celui de la libération conditionnelle, soit enfin dans celui de la surveillance judiciaire.
Certes, la durée du placement sous surveillance électronique mobile a été nettement diminuée par rapport à ce qui était proposé en première lecture. Désormais, dans le cadre du suivi socio-judiciaire et de la libération conditionnelle, cette durée ne pourra plus excéder six ans - trois ans renouvelables une fois - en matière correctionnelle et dix ans - cinq ans renouvelables une fois - en matière criminelle, contre vingt et trente ans dans la première version du texte. Néanmoins, elle reste importante, ce qui n'est pas sans conséquences et ne s'accorde pas avec le rapport Fenech.
D'abord, le placement sous bracelet électronique mobile est une mesure totalement déshumanisée, qui prive, aussi longtemps qu'elle s'applique, l'ex-détenu du contact nécessaire avec un agent de probation ou encore un travailleur social. Il est étonnant de laisser sous le seul contrôle de la technique des personnes qui sont déstructurées psychologiquement et qui auraient besoin d'un accompagnement humain strict et encadrant.
Le bracelet électronique ne permet pas l'individualisation de la prise en charge de ces personnes, alors que l'accompagnement humain autorise justement une personnalisation du traitement ou de la mesure coercitive en fonction de l'évolution dans le temps du comportement de l'ex-détenu.
Ensuite, l'impact psychologique d'une telle mesure est particulièrement fort sur celui à qui elle est appliquée. A ceux qui diraient que les personnes susceptibles d'y être soumises ont commis des infractions graves, je répondrais simplement qu'elles auront déjà effectué leur peine de prison, que cette dernière aura été longue - davantage encore si ce texte est voté en l'état -, que, dès lors, la sanction qu'elles auront subie aura déjà rempli ses fonctions de sanction afflictive et infamante, qu'il nous faudra bien, un jour ou l'autre, réfléchir et « repenser » le sens de la peine.
L'impact psychologique du port du bracelet électronique n'est pas anodin puisque la surveillance s'effectuera 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7.
Je me contenterai de citer le rapport de Georges Fenech, député de votre majorité, sur le placement sous surveillance électronique mobile, car son commentaire se suffit presque à lui-même : « Les études sur le placement sous surveillance électronique démontrent que cet aménagement de peine peut rarement durer plus de 4 à 5 mois. Au-delà, la pression devient telle que les personnes placées sous surveillance électronique mobile ont tendance à commettre des violations de leurs obligations. »
Les durées prévues par la proposition de loi, même réduites par rapport au texte initial, restent disproportionnées, et l'efficacité d'un placement aussi long n'est absolument pas assurée.
Enfin, l'application du bracelet électronique constitue une entrave majeure à la liberté d'aller et venir. La surveillance est constante et peut durer une dizaine d'années. En ce sens, le port du bracelet exerce une contrainte physique importante sur la personne qui y est astreinte et constitue peut-être même une atteinte à l'intégrité physique.
Nous considérons bien évidemment que le placement sous surveillance électronique est assimilable à une peine et non à une mesure de sûreté.
Par conséquent, nous ne pourrions tolérer que ce placement s'applique à des personnes déjà condamnées et qu'il ait donc une portée rétroactive.
Le principe de non-rétroactivité de la loi pénale plus sévère, défini par l'article 8 de la Déclaration des droits de l'homme de 1789 - « Nul ne peut être puni qu'en vertu d'une Loi établie et promulguée antérieurement au délit,... » - garantit le principe de sûreté et est ainsi un des piliers de notre Etat de droit. Portalis a d'ailleurs écrit : « Partout où la rétroactivité serait admise, non seulement la sûreté n'existerait plus, mais son ombre même... ».
Pourtant, avant l'examen du texte par l'Assemblée nationale, la Chancellerie prévoyait bien d'appliquer de manière rétroactive le placement sous surveillance électronique mobile, tout en reconnaissant le risque d'inconstitutionnalité d'une telle mesure et en menaçant les parlementaires, en cas de saisine du Conseil constitutionnel, de les rendre responsables du premier drame impliquant un récidiviste.
Demander à la représentation nationale de fermer les yeux sur un principe constitutionnel, qui, de plus, est une garantie pour nos concitoyens d'échapper à l'arbitraire, est tout simplement scandaleux.
M. Laurent Béteille. C'est ce que vous avez fait la semaine dernière à propos de la vente à la découpe !
Mme Josiane Mathon. Les réactions ne se sont d'ailleurs pas fait attendre et, ce qui est rarissime, le président du Conseil constitutionnel, pourtant proche de la majorité, a lui-même tenu à rappeler : « Le respect de la Constitution est non un risque mais un devoir. »
Il a donc fallu trouver une astuce sémantique pour échapper à la censure constitutionnelle. Ainsi, le port du bracelet électronique ne serait plus une peine mais une mesure de sûreté, applicable dans le cadre des remises de peine. C'est ainsi qu'il fait son apparition dans les mesures de « surveillance judiciaire ».
Le dispositif est, pour la Chancellerie, imparable. Grâce aux réductions de peine, un détenu peut être libéré quelques années avant le terme de sa peine initialement prononcée. Or, avec ce nouveau dispositif de surveillance judiciaire, il pourrait être astreint par le juge de l'application des peines au port du bracelet électronique, mais uniquement pendant la durée égale aux remises de peine.
Pour justifier le fait que ce bracelet serait une mesure de sûreté, vous rangez l'obligation de le porter au même niveau que d'autres obligations, qui sont effectivement des mesures de sûreté, comme, par exemple : répondre aux convocations du juge de l'application des peines ou du travailleur social désigné ; prévenir le travailleur social de ses changements d'emploi ; se soumettre à des mesures d'examen médical, de traitement ou de soins, même sous le régime de l'hospitalisation ; ne pas se livrer à l'activité professionnelle dans l'exercice ou à l'occasion de laquelle l'infraction a été commise ; ne pas fréquenter les débits de boissons ; s'abstenir de paraître en tout lieu ou toute catégorie de lieux spécialement désignés, et notamment les lieux accueillant habituellement des mineurs.
A la lecture de ces diverses mesures de sûreté, l'argument selon lequel le placement sous surveillance électronique n'en serait qu'une nouvelle ne tient pas. Et ce n'est pas le simple fait de nommer, à l'article 7 comme à l'article 8, de nouveaux titre et sous-section du code pénal et de procédure pénale « Du placement sous surveillance électronique mobile à titre de mesure de sûreté » qui peut vous exonérer des règles de droit.
Les mesures de sûreté que j'ai énumérées sont, certes, contraignantes, mais vous ne pourrez pas sérieusement prétendre qu'elles le sont autant que le port du bracelet électronique.
Dans le dispositif présenté aujourd'hui, la contrainte physique est bien plus grande. La personne sera surveillée en permanence. Elle pourra être soumise à d'autres obligations, comme celles qui découlent du suivi socio-judiciaire, par exemple. Sa liberté d'aller et venir est ici fortement compromise.
Vous envisagez de pouvoir cumuler suivi socio-judiciaire et placement sous surveillance électronique. Mais le suivi socio-judiciaire est lui-même assimilé à une peine qui, comme l'a rappelé la Cour de cassation dans un arrêt du 2 septembre 2004, ne peut être prononcée que pour des infractions commises après l'entrée en vigueur de la loi du 17 juin 1998.
Le principe de non-rétroactivité déborde même le domaine strictement pénal, car il s'étend à tout texte prévoyant ou accentuant une répression. Il s'applique, par exemple, à la période de sûreté, alors qu'il s'agit d'une mesure relative à l'exécution de la peine et non d'une peine en elle-même, comme l'a admis le Conseil constitutionnel dans sa décision du 3 septembre 1986.
Le port du bracelet électronique, cela ne fait aucun doute pour nous, est bien une peine. Mais, apparemment, cela ne fait également aucun doute pour Georges Fenech, qui l'écrit très clairement dans son rapport :
« Force est de constater que le placement sous surveillance électronique mobile constitue une mesure fortement restrictive de la liberté d'aller et venir. Il a en outre un impact sur la vie de famille et de ce fait présente le caractère d'une peine, non seulement au regard des principes du droit français, mais également au regard de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'Homme.
« Il résulte de la plupart des auditions réalisées par la mission que le placement sous surveillance électronique mobile, bien qu'ayant un aspect préventif, ne peut pas être conçu comme une simple mesure de sûreté et qu'il doit être clairement rattaché à la notion de peine ».
Par conséquent, plusieurs dispositions de cette proposition de loi sont manifestement inconstitutionnelles.
En vertu de l'article 16, la surveillance judiciaire prévue à l'article 5 bis serait d'application immédiate. Etant donné qu'elle peut comprendre une obligation de porter le bracelet électronique et que cette mesure est assimilée à une peine, cette application immédiate est contraire au principe de non-rétroactivité de la loi pénale répressive.
Le même constat peut être fait à la lecture du nouvel article 131-36-9 du code pénal, puisque la juridiction qui prononce un suivi socio-judiciaire pourrait également ordonner le placement sous surveillance électronique mobile, alors que cette peine n'était pas encourue lors de la condamnation.
Enfin, l'article 8 bis A prévoit, dans son premier alinéa, que la personne faisant l'objet d'une libération conditionnelle peut être soumise aux obligations du suivi socio-judiciaire si elle a été condamnée pour un crime ou un délit pour lequel cette mesure était encourue. Dans son second alinéa, il prévoit que cette personne pourrait alors être placée sous surveillance électronique mobile. Mais c'est tout simplement impossible puisqu'il est clair dans le texte que cette peine n'était pas encourue au moment de la condamnation. A moins que l'article 8 bis A, ou tout du moins son second alinéa, ne puisse pas être d'application immédiate, mais alors, là encore, le principe de non rétroactivité n'a pas été respecté.
Bref, nous récusons le principe du bracelet électronique mobile tant sur le fond que sur la forme. Nous le jugeons inefficace en matière de lutte contre la récidive. A nos yeux, le recours à des dispositifs techniques de surveillance ne peut remplacer un réel accompagnement et un suivi humain. Et la situation est pire encore si le délinquant est un mineur.
Ensuite, on nous propose l'application immédiate de ce dispositif, ce qui n'est pas conforme à la Constitution, je pense l'avoir amplement démontré.
En conclusion, je ne peux que dresser un sombre portrait du texte qui nous est proposé aujourd'hui.
En effet, la présente proposition de loi ouvre la voie à une justice automatique. Si le Gouvernement a décidé, fort opportunément, de ne pas accepter les propositions de l'actuel ministre de l'intérieur en matière de peines planchers, il n'en reste pas moins que ce texte favorise une certaine automaticité des sanctions. J'en veux pour preuve l'incarcération immédiate et obligatoire des récidivistes ou encore la limitation de la possibilité offerte au juge de prononcer des sursis avec mise à l'épreuve.
Ensuite, cette proposition de loi laisse planer l'illusion qu'un enfermement toujours plus long est un moyen de lutter efficacement contre la récidive. Ainsi, le texte qui est issu des travaux de l'Assemblée nationale a-t-il été considérablement durci : allongement des périodes de sûreté et du temps d'épreuve de la libération conditionnelle ou encore impossibilité d'accorder une libération conditionnelle à un condamné récidiviste parent d'un enfant de moins de dix ans.
Toutes les études démontrent que l'emprisonnement, long et sans accompagnement, est désocialisant et facteur de récidive. Dès lors, la question se pose de savoir si le Gouvernement souhaite réellement lutter contre la récidive.
Mais il est vrai que donner aux services d'insertion et de probation les moyens d'accompagner les détenus pendant et après leur détention, mettre l'accent sur la réinsertion et sur tout ce qui peut effectivement avoir des effets positifs sur la prévention de la récidive, est beaucoup moins médiatique que ce texte.
C'est pourquoi nous soumettons au Sénat cette motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Il est vrai qu'en première lecture le Sénat avait émis des réserves quant à la constitutionnalité de deux aspects de la proposition de loi : d'une part, l'obligation faite au juge de décerner un mandat de dépôt à l'audience et, d'autre part, l'application immédiate du bracelet électronique tel qu'il était alors envisagé, à savoir une mesure de sûreté applicable après l'exécution de la peine.
Parvenu au stade de la deuxième lecture, je tiens à formuler deux observations.
En premier lieu, la modification qui a été proposée par le Sénat à l'article 4 permet, conformément à la décision que nous avions prise en première lecture, de donner au juge la faculté de délivrer un mandat de dépôt à l'audience et non de lui en faire obligation.
En second lieu, le dispositif relatif au placement sous surveillance électronique mobile a, vous le savez, été profondément modifié par les députés. L'application de cette mesure n'est plus envisagée que dans le cadre de la surveillance judiciaire, c'est-à-dire pendant la durée correspondant au crédit de réduction de peine.
J'ai déjà longuement expliqué dans la discussion générale les raisons qui, aux yeux de la commission, justifient dans ce cadre l'application du placement sous surveillance électronique mobile des personnes condamnées avant l'entrée en vigueur de la loi.
La commission, considérant que les doutes relatifs à la constitutionnalité du dispositif peuvent être levés, invite le Sénat à repousser cette motion.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Monsieur le président, je serai bref puisque nous avons déjà eu tout loisir de nous expliquer au cours de la discussion générale sur la constitutionnalité de ce texte.
Chacun aura constaté l'évolution juridique qui s'est produite entre la première et la deuxième lecture. La commission des lois et le Sénat dans son ensemble étaient très sensibles à la précision, à l'identité dans le temps entre, d'une part, les réductions de peine et, d'autre part, le port du bracelet électronique.
Je n'ai rien à ajouter. Toutes les précautions ont été prises, ce qui permet à tout le monde, d'un seul élan, de repousser cette motion.
M. le président. La parole est à M. Michel Dreyfus-Schmidt, pour explication de vote.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Nous ne pouvons qu'admirer les certitudes de M. le ministre, qui, dans sa réponse aux orateurs, a fait preuve d'une grande modestie en reconnaissant qu'il lui était souvent arrivé de se tromper. Nous constatons qu'il le fait une fois encore, même si nous lui laissons bien entendu le bénéfice de la bonne foi.
Nous avons eu, en commission, une longue discussion sur la constitutionnalité du dispositif concernant le placement sous surveillance électronique mobile. D'ailleurs, plusieurs amendements visent à supprimer l'affirmation selon laquelle il s'agit d'une mesure de sûreté. Cela signifie que le problème reste entier et que la commission n'est absolument pas convaincue. Je pense même que la plupart de ses membres sont persuadés du contraire.
Dès lors, il serait plus simple de voter la motion tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité. C'est en tout cas ce que fera le groupe socialiste.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 87, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par MM. Badinter, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Peyronnet et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 36, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur les conclusions de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale sur la proposition de loi, adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative au traitement de la récidive des infractions pénales (n° 23, 2005-2006).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, auteur de la motion.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, pour les auteurs originels de la présente proposition de loi, tous ceux qui doutent de l'efficacité de leurs remèdes simples sont de « belles âmes », autant dire les complices des violeurs et des assassins, prêts à sacrifier femmes et enfants pour un accroc fait aux principes du droit ou à la Constitution. Ne souhaitant pas plus leur laisser le monopole du coeur que celui du souci de l'efficacité, c'est de ce dernier point de vue que je me placerai dans cette intervention.
La première condition de l'efficacité d'une politique, c'est la continuité. A cet égard, on a vu mieux ! On nous demande en effet d'adopter aujourd'hui le contraire de ce que le Parlement a voté voilà un an.
En mars 2004, la loi Perben 2 fixait la règle d'or de l'exécution des peines : favoriser « l'insertion ou la réinsertion des condamnés ainsi que la prévention de la récidive ». Elle précisait que « l'individualisation des peines doit, chaque fois que cela est possible, permettre le retour progressif du condamné à la liberté et éviter ainsi une remise en liberté sans aucune forme de suivi judiciaire ». Or le coeur de la présente proposition de loi, c'est l'emprisonnement et la surveillance généralisés.
Il convient de se demander si les présupposés qui sont à l'origine de ce changement des principes résistent à une confrontation avec les faits ?
Premier présupposé : il y a des solutions générales à la récidive, phénomène générique.
Or les formes et, probablement, les mécanismes déclencheurs de la récidive sont très divers. Quel rapport peut-on établir entre la récidive massive de jeunes de dix-huit à vingt-cinq ans condamnés pour vol avec violence et celle de criminels de sang, dont le taux de récidive est de l'ordre de 0,5 %, ou encore celle des délinquants sexuels, chez qui le taux de récidive est de 1 % pour les crimes ? D'ailleurs, parler de délinquance sexuelle en général a-t-il un sens ? Des spécialistes tels que Xavier Lameyre en doutent.
Cela explique, monsieur le garde des sceaux, les difficultés que vous éprouvez avec les chiffres.
Qui est visé par votre texte ? Les récidivistes en général, et parmi eux les plus dangereux, ou seulement les délinquants sexuels, qui ne sont pas, tant s'en faut, tous dangereux ? A moins que vous ne visiez-vous que certains d'entre eux ? On s'y perd, et vous aussi, visiblement !
Le 27 septembre 2005, vous déclariez : « Ce sont 600 à 800 détenus qui, une fois dehors, pourraient commettre un nouveau crime sexuel. » De méchants examinateurs ayant ramené le résultat de vos calculs à une quarantaine de détenus, vous reteniez le chiffre de 70 devant l'Assemblée nationale : 40 ? 800 ? Ou encore 6 000, chiffre qu'a évoqué Hervé Morin devant l'Assemblée nationale ? De qui parle-t-on ? Selon la réponse, on change la nature du problème et des solutions à lui apporter. A problèmes différents, solutions différentes !
Deuxième présupposé : la solution générale, c'est l'alourdissement systématique des peines et la limitation des possibilités laissées au juge de les aménager.
Peu importe que la durée moyenne de la détention ait déjà quasiment doublé en vingt ans, que les récidivistes soient déjà condamnés, en moyenne, deux fois plus lourdement que les primo-délinquants, que le viol soit désormais autant, sinon plus, sanctionné que l'homicide, que les prisons soient surpeuplées, violentes et dans un état qui n'est pas à l'honneur de la France : incarcérer toujours plus, voilà la solution !
Qu'importe que, selon toutes les études, même pour les condamnations les plus lourdes, les taux de récidive soient plus faibles en cas de libération conditionnelle qu'en cas de sortie en fin de peine, lorsque la peine est aménagée que lorsqu'elle ne l'est pas.
Allonger le temps d'exécution des peines en prison, c'est réduire d'autant les possibilités d'aménagement et d'individualisation, donc augmenter le risque de récidive.
Les propagandistes de la proposition de loi l'ignorent si peu que leur discours reprend abondamment ce thème, sans en tirer, évidemment, aucune conséquence.
Voir du laxisme dans l'aménagement des peines, qui est d'ailleurs refusé par de nombreux condamnés, est un contresens. Rigidifier un peu plus le régime de cet aménagement, comme le fait le texte, ce n'est pas protéger la société, c'est la rendre encore plus vulnérable.
Que les mécanismes de réductions de peine créent des problèmes, c'est une évidence. Mais, plutôt que d'apporter un début de solution, le texte ajoute de nouvelles difficultés. Qu'en est-il, en effet ?
Au fil du temps, sous la pression de la surpopulation carcérale, les réductions de peine, de possibilité sont devenues un dû, de moyen d'individualisation un automatisme, de moyen éducatif une possible sanction, d'outil de l'application des peines un instrument de gestion des prisons. La loi Perben 2 n'a fait que théoriser une pratique imposée par l'état calamiteux des prisons françaises.
Désormais, dès son incarcération, le condamné voit calculer officiellement son temps de détention, sauf mauvaise conduite. C'est ce temps que prendront en compte le procureur, dans ses réquisitions, les juges et les jurés : c'est le monde à l'envers et l'on comprend que le public ne comprenne pas !
Comme l'écrit le président de l'Association nationale des juges de l'application des peines, dans le numéro de mars 2005 de Actualité juridique Pénal, « en pratique, les services de l'application des peines doivent parfois se livrer à une véritable course contre le temps pour aménager un emprisonnement que décrets de grâce, crédits de peine et réductions supplémentaires de peines viennent rapidement rogner ».
Le présent texte, au lieu de s'attaquer à cette difficulté, par exemple en donnant plus de place aux crédits de peine supplémentaires accordés au titre de l'article 721-1 du code de procédure pénale, les seuls à caractère vraiment éducatif, se contente de rogner sur les crédits automatiques des récidivistes.
Troisième présupposé : le processus psychologique au terme duquel un individu renonce à la délinquance est différent chez un primo-délinquant et chez un récidiviste. Inutile et dangereux, donc, de laisser au second les mêmes chances de s'amender qu'au premier !
Pourtant, cela ne correspond pas à l'expérience des professionnels : l'exception, c'est non pas le condamné qui évolue, mais celui qui n'évolue pas. Définir une politique de lutte contre la récidive à partir de l'exception, c'est la condamner à l'inefficacité.
Quatrième présupposé : la délinquance, comme les choix économiques de la vieille théorie libérale, procède d'un arbitrage rationnel des avantages et des coûts. Comme le souligne le ministre de l'intérieur, en charge de la justice : il faut que les récidivistes « comprennent que le risque qu'ils prennent n'en vaut pas la chandelle ».
Si ce principe s'applique à certaines formes de délinquance, c'est loin d'être le cas de la majorité, notamment de celles qui procèdent de la misère économique ou morale, de l'absence de maîtrise pulsionnelle.
D'ailleurs, si le « délinquant standard » se livrait à ce calcul, c'est non pas la dernière version du code pénal qu'il consulterait avant de passer à l'acte, mais les statistiques des affaires élucidées, lesquelles lui donneraient une idée des chances, non négligeables d'ailleurs, qu'il a de ne pas se faire prendre. Globalement, le taux d'élucidation des crimes et délits est de l'ordre de 30 %, ce qui nous place en queue du peloton européen. Lorsqu'on connaît la signification de ces chiffres, on n'est pas vraiment rassuré par le taux d'élucidation, supérieur à 75%, des homicides et des viols.
En conjecturant que, tout compte fait, la chance de passer à travers les mailles du filet est de l'ordre d'une sur deux plutôt que de trois sur quatre, je pense approcher de la réalité.
On se prend dès lors à penser que l'efficacité dans la lutte contre la récidive des crimes et délits, les plus légers comme les plus graves, passe plus par l'amélioration du taux d'élucidation réelle des affaires que par l'alourdissement des peines.
Cinquième présupposé : la peine idéale n'a pas de fin. Comment expliquer autrement l'occultation du fait que toute peine, aussi longue soit-elle, aura une fin ?
On ne l'avoue pas mais le modèle de la peine, c'est la surveillance à perpétuité. Un pays a porté ce modèle à sa perfection : les USA. C'est dans ce pays, qui détient le record mondial de l'incarcération avec 1 prisonnier pour 140 habitants - mieux que la Chine et la Russie ! - que l'on va chercher des leçons de lutte contre la délinquance.
C'est dans l'Etat de Floride qui pour 13 millions d'habitants compte plus de prisonniers que la France, qui rétablit la loi du Far West en autorisant à tirer le premier, que nous allons chercher nos modèles de lutte contre la récidive. Peut-être demain y prendrons-nous des modèles de fraude électorale ? (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)
A tant faire que de donner dans l'exotisme, pourquoi ne pas regarder aussi du côté du Canada ?
« Nous savons, disait en 1995 le solliciteur général du Canada, qu'il ne sert à rien d'adopter des lois plus vastes et plus strictes et d'incarcérer toujours plus de gens pour des périodes plus longues. Il suffit de voir ce qui se passe aux Etats-Unis pour voir où mène ce genre de stratégie. »
Sixième présupposé : il y a des solutions technologiques aux problèmes de société.
L'avantage est que l'on évite ainsi les questions qui fâchent. On pourra donc, sans contradiction et dans un même mouvement, pourchasser avec toujours plus de rigueur la délinquance sexuelle et encourager la pornographie ou l'exploitation marchande des enfants à la télévision, installer des radars automatiques sur le bord des routes et continuer à produire des bolides.
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Allons, cela n'a aucun rapport !
M. Pierre-Yves Collombat. Le placement sous surveillance électronique mobile, le PSEM, serait donc la solution technologique à la récidive.
Les précautions oratoires du type « Ce n'est pas une panacée » n'y changent rien. Ce que l'on fait miroiter, c'est que l'on tient là le moyen de localiser à chaque instant les individus dangereux, et donc de s'en protéger.
Enveloppées d'un discours confus, les dispositions que prévoit la proposition de loi sont pourtant en contradiction avec les enseignements de l'expérience.
Le placement sous surveillance électronique mobile est d'abord un objet juridique mal identifié. C'est, selon les besoins, une mesure de sûreté, voire une « mesure de police » nous dit le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée ; une mesure complémentaire de la peine, sinon une double peine, ou encore une modalité d'application de la peine, une mesure de surveillance judiciaire. Comme précision juridique, on devrait pouvoir trouver mieux.
Dans tous les pays, mais également dans le rapport Fenech, le placement sous surveillance électronique mobile est une peine spécifique ou une modalité d'application de la peine. Ici, c'est d'abord une mesure de sécurité et, accessoirement, tout ce que l'on voudra.
A qui faut-il appliquer cette mesure, et pour quelle durée ?
Selon les termes de la proposition de loi, il faudrait appliquer cette mesure aux personnes condamnées à plus de cinq ans d'emprisonnement que l'on juge dangereuses, pour des durées pouvant aller jusqu'à dix ans. Dans la proposition de loi initiale, il était même question d'une durée de vingt à trente ans.
Nulle part, même en Floride, les individus les plus dangereux ne sont placés sous surveillance électronique. Cette surveillance concerne plutôt les condamnés présentant de faibles risques, pour des durées moyennes de quelques mois, et pas toujours en continu.
Comme l'indique clairement le rapport Fenech, le placement sous surveillance électronique n'est supportable que par des personnalités suffisamment structurées - ce qui est rarement le cas des individus que la proposition de loi est censée viser en priorité - et pour deux ans au maximum.
Le placement sous surveillance électronique mobile est paré de toutes les vertus : il sert à tout : protéger les victimes potentielles, rééduquer et réinsérer, lutter contre la surpopulation carcérale, retrouver plus facilement les criminels.
Compte tenu du temps qui m'est imparti, je n'entrerai pas dans le détail...
M. Jean-Pierre Sueur. C'est dommage !
M. Pierre-Yves Collombat. Protéger par une surveillance permanente les victimes potentielles est, selon le rapport Fenech, une illusion, à laquelle aucun pays n'a succombé, pour des raisons techniques et financières. Il y a quelque temps, en Grande-Bretagne, le meurtre d'une bijoutière par un jeune homme placé sous surveillance électronique mobile a d'ailleurs montré les limites des solutions technologiques.
Quant aux effets sur la population carcérale, ils sont contestés.
Que le placement sous surveillance électronique mobile soit une mesure de rééducation et de réinsertion, on peut en douter. On en doutera d'autant plus que cette mesure n'est pas associée à un « accompagnement social fort », pour reprendre les termes du rapport Fenech. On peut également en douter compte tenu des possibilités réelles d'accompagnement. En Floride, Etat humaniste s'il en est, chaque agent de probation chargé du suivi d'un placement sous surveillance électronique mobile s'occupe de quinze ou vingt condamnés avec lesquels il est en contact quasi quotidien et qu'il voit au moins deux fois par semaine. Vous connaissez les statistiques concernant les moyens dont on dispose en France, même si, comme M. le garde des sceaux l'a fait remarquer, ceux-ci ont été augmentés.
Le seul bénéfice, donc, à attendre du placement sous surveillance électronique mobile, c'est une amélioration du taux d'élucidation des crimes et délits. C'est loin d'être négligeable, mais on est très éloigné de l'objectif de prévention et de protection qui est à l'origine de cette proposition de loi.
A quel prix ? On est ici dans le brouillard. Les estimations de coût fournies dans le rapport Fenech varient de 1 à 18. Certains orateurs chiffrent cette mesure à plusieurs centaines de millions d'euros, si elle était généralisée. Pour ma part, je n'en sais rien.
En tout état de cause, on développe une mesure dont on ignore véritablement le coût financier et, surtout, on risque de rogner les moyens de l'accompagnement tel qu'il existe.
On nous dit qu'il faut se saisir de toutes les possibilités permettant de lutter contre la récidive. C'est tout à fait exact, à condition que la technique soit assortie des moyens financiers adéquats. Si, pour faire fonctionner ce dispositif, on ponctionne les maigres moyens affectés à l'accompagnement, l'effet sera contraire à l'objectif visé.
Selon le rapporteur de la commission des lois de l'Assemblée, « la proposition de loi est le fruit d'une réflexion approfondie, fondée sur un diagnostic solide et incontesté ». Je pense avoir montré que la réflexion était superficielle, que le diagnostic était fragile et contesté par ceux-là même qui étaient censés l'étayer.
Il convient donc de remettre l'ouvrage sur le métier, d'où cette motion tendant à opposer la question préalable.
Aux amateurs de procédures expéditives, de solutions simples et générales aux problèmes complexes, je livre en conclusion ce témoignage du juge Gilbert Thiel.
Evoquant la dernière comparution de Guy Georges devant la juridiction correctionnelle avant que celui-ci bascule dans le crime en série, le juge écrit : « Devant cette juridiction correctionnelle, Guy Georges consent à passer des aveux de manière extrêmement sommaire, en prenant grand soin de présenter l'agression dont il reconnaît désormais être l'auteur comme ayant obéi à des mobiles d'ordre exclusivement pécuniaires. Dépassant les réquisitions du parquet, le tribunal correctionnel de Paris inflige à Guy Georges une peine de trente mois d'emprisonnement ferme pour violence sous la menace d'une arme en état de récidive légale. Car Guy Georges, son casier judiciaire l'atteste, a déjà été condamné pour des agressions. Et notamment pour des agressions à caractère sexuel... La juridiction répressive décerne de surcroît à l'audience un mandat de dépôt contre le prévenu.
« Voilà de la justice rapide, qui fait face sans délai à l'événement : agression le 25 août, arrestation le 8 septembre, jugement le 9 septembre et prison le même jour. »
Rapidité de la réponse pénale, prise en compte de l'état de récidive, lourdeur des peines, mandat de dépôt à l'audience : c'est tout ce que prévoit la présente proposition de loi. Pour quel résultat ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Par cette motion tendant à opposer la question préalable, vous voulez montrer qu'il n'y aurait pas lieu de débattre sur le thème de la récidive. C'est vraiment nier l'évidence, monsieur le sénateur : tous vos développements montrent qu'il y a matière à réfléchir et à décider.
En effet, la récidive est un phénomène réel, massif et inacceptable. Il est donc normal que le législateur se saisisse de cette question, qu'il ait engagé une réflexion. Une mission parlementaire a été mise en place sur ce sujet ; la navette parlementaire a duré plusieurs mois : il est donc normal que nous légiférions. C'est pourquoi je ne comprends pas le sens de votre motion tendant à opposer la question préalable.
La commission émet un avis défavorable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Pascal Clément, garde des sceaux. Il est assez surprenant de refuser de légiférer sur la récidive au motif que le Gouvernement a créé une commission d'analyse et de suivi de la récidive.
Je vous rappelle en effet que cette commission permettra de mieux connaître le phénomène et d'examiner comment la justice y répond, en application non seulement des textes existants mais également de ceux qui résulteront de la proposition de loi.
Puis-je encore vous rappeler, monsieur le sénateur, que ni l'Assemblée ni le Sénat n'ont, à l'époque, refusé d'adopter la loi n° 98-468 du 17 juin 1998 relative à la prévention et à la répression des infractions sexuelles ainsi qu'à la protection des mineurs, dite « loi Guigou », qui instituait le suivi socio-judiciaire destiné, selon les termes de l'article 131-36-1 du code pénal, à prévenir la récidive, au motif que le phénomène de la récidive n'était pas suffisamment analysé à l'époque par les pouvoirs publics.
C'est bien dire que, là encore, il s'agit non pas de s'appuyer sur des statistiques, mais de faire en sorte que la récidive soit évitée.
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yves Collombat, pour explication de vote.
M. Pierre-Yves Collombat. Monsieur le garde des sceaux, j'ai tenté de montrer toutes les difficultés et les contradictions de cette proposition de loi. Je constate que vous ne m'avez pas répondu sur le fond.
M. le président. La parole est à Mme Josiane Mathon, pour explication de vote.
Mme Nicole Borvo Cohen-Seat. Je voterai évidemment en faveur de la motion tendant à opposer la question préalable.
Elle s'applique au texte dont nous discutons. Monsieur le rapporteur, il ne s'agit pas de savoir s'il faut débattre de la récidive, il s'agit de savoir si cette loi permettra de réduire le nombre de récidives, lesquelles ne sont pas, contrairement à ce que vous avez dit, un phénomène massif.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix la motion n° 36, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet de la proposition de loi.
(La motion n'est pas adoptée.)
Demande de renvoi à la commission
M. le président. Je suis saisi, par MM. Badinter, Collombat, Dreyfus-Schmidt, C. Gautier, Peyronnet et Sueur, Mme Boumediene-Thiery et les membres du groupe Socialiste, apparentés et rattachés, d'une motion n° 37, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44 alinéa 5 du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des lois constitutionnelles, de la législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, la proposition de loi adoptée avec modifications par l'Assemblée nationale en deuxième lecture, relative au traitement de la récidive des infractions pénales (n° 23, 2005-2006).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8 du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à Mme Boumediene-Thiery, auteur de la motion.
Mme Alima Boumediene-Thiery. Monsieur le président, monsieur le garde des sceaux, mes chers collègues, permettez-moi au préalable de dire que personne au sein de cet hémicycle n'est insensible à la douleur des victimes de crime ou d'agression sexuels et de leurs familles.
Cependant, la douleur, aussi légitime soit-elle, ne peut en aucun cas justifier des mesures illégitimes.
Pourquoi demander un renvoi à la commission ? Plusieurs membres de cette assemblée vous feront remarquer que la commission des lois a très largement débattu de cette question,...
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. C'est sûr !
Mme Alima Boumediene-Thiery. ...et le rapporteur a d'ailleurs fait un excellent travail, et je l'en remercie.
Je suis pourtant convaincue que toute politique pénale, notamment en ce qui concerne un sujet aussi complexe et grave que la récidive, doit être élaborée en tenant compte de tous les éléments scientifiques et statistiques indispensables.
Cette politique doit être la plus raisonnée, la plus pondérée possible ; on se doit d'en débattre le plus possible.
Une politique pénale de prévention de la récidive doit exclure toute instrumentalisation polémique, toute inflation populiste et toute surenchère démagogique.
Traiter de la récidive suppose qu'un débat d'envergure nationale soit lancé.
Tout le monde doit être entendu : les victimes et leurs familles, les magistrats, les avocats, les membres de l'administration pénitentiaire, les médecins et les psychologues, les scientifiques, les associations et les ONG qui oeuvrent dans le domaine judiciaire et pénitentiaire et les condamnés, oui, éventuellement aussi les condamnés.
Traiter de la récidive suppose qu'on lance un vrai débat national dans lequel soient abordées des questions de fond.
Comment mieux prendre en compte la victime dans le processus pénal ? Quelles sont les missions dévolues à la prison ? Parmi ces missions, comment peut-on renforcer la mission de réinsertion ? Comment recueille-t-on des données scientifiques fiables quant à la récidive ? Quels sont les moyens dévolus à la justice et à l'administration pénitentiaire ? Quelle évaluation a-t-elle été faite de la mise en oeuvre de la première mesure de surveillance électronique fixe, instaurée par la loi de 1997 ? Quel est le bilan de la mise en oeuvre du suivi socio-judiciaire instauré par la loi de 1998 ? Doit-on faire évoluer la notion même de peine ? Quel sens donner alors à la peine ? Quels moyens consacre-t-on aux peines alternatives ? Jusqu'où doit-on utiliser l'évolution technique pour surveiller, contrôler, sanctionner ? Malheureusement, à l'heure où nous abordons ce sujet pourtant important, il nous est impossible de répondre à toutes ces questions.
Nous ne discernons aucune cohérence crédible dans les chiffres annoncés. Pour certains, comme M. le garde des sceaux, la proportion de personnes détenues pour délits ou crimes sexuels s'élèverait à 40 % et le taux de récidive criminelle, sur cinq ans, atteindrait 2,5 %. Une étude du ministère de la justice, effectuée par des universitaires pour la direction de l'administration pénitentiaire, estime au contraire que la proportion de détenus condamnés pour délits ou crimes sexuels serait de 20 % et le taux de récidive de moins de 1 %. Qui dit vrai ? Qui instrumentalise les chiffres pour accroître la peur, comme si la gravité du problème ne suffisait pas ?
Reste que ce 1 %, qui « devrait récidiver » dans les cinq ans, représente un défi pour l'appareil judiciaire et pour l'ensemble de notre société, d'autant qu'un seul récidiviste peut faire nombre de victimes, l'actualité l'a prouvé. Je vous l'accorde, même ce 1 % est inacceptable.
Compte tenu de cette bataille de chiffres, il me semble important de retourner en commission pour savoir exactement où nous en sommes. Selon le garde des sceaux, même les rapports des commissions font état de chiffres qui sont faux ! Par conséquent, il serait temps, et même urgent, de reprendre ce travail. Nous ne pouvons pas faire l'économie de plus de précisions, car nous n'avons pas le droit de jouer avec les peurs. Nous ne pouvons pas légiférer uniquement sur l'émotion des victimes.
Ce Gouvernement - et pas seulement M. Sarkozy, qui en constitue l'avant-garde médiatico-politique - joue du populisme sur l'ensemble des sujets et à tous les niveaux de la vie des Français. Ainsi, malheureusement, c'est par populisme pénal qu'on refuse de lancer ce débat d'envergure nationale, pour ne pas entendre les vraies réponses à de vraies questions !
Dans cette course effrénée à la démagogie et à l'instrumentalisation des drames, M. le garde des sceaux, supposé oeuvrer à la garantie de nos libertés et de nos droits fondamentaux, est allé jusqu'à appeler au viol de notre loi la plus fondamentale : la Constitution, en mettant au défi les parlementaires, afin qu'ils n'utilisent pas leur droit de saisine du Conseil constitutionnel. Pourtant, tout le monde le sait, non seulement ce principe de non-rétroactivité est constitutionnel, mais il s'inscrit dans l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Cette question va bien au-delà de la récidive elle-même : elle touche à l'essence même de notre justice et de notre démocratie. C'est l'une des raisons pour lesquelles je demande le renvoi de ce texte à la commission.
Il conviendrait de mettre en oeuvre les meilleures conditions, afin de rétablir quelques vérités aux yeux des Français.
Tout d'abord, contrairement à ce que l'on voudrait faire croire, le régime existant appliqué aux récidivistes en France est beaucoup plus sévère que partout ailleurs en Europe. Qu'il s'agisse du prononcé de la peine, de la détention avant, pendant ou après le procès, des conditions de libération et des mesures de contrôle, après la libération, les détenus qualifiés de récidivistes sont traités beaucoup plus strictement que les autres condamnés.
Ensuite, à la différence de tout ce qui a été avancé par le Gouvernement, les cas de récidive, notamment les plus violents, concernent un très petit nombre de personnes et la récidive est globalement en sensible recul en France.
C'est justement parce que le traitement actuel de la récidive est déjà des plus sévères et que - les données existantes le démontrent - le nombre de récidivistes est restreint, voire en recul, que nous ne pouvons pas, comme vous l'avez fait, monsieur le garde des sceaux, accuser les juges de laxisme judiciaire !
Contrairement à ce que tente de faire croire M. Sarkozy en jetant les juges en pâture lorsqu'il s'empare de chaque nouveau drame de violences ou de meurtres, ces derniers appliquent la loi, ce qui n'est pas encore interdit dans notre pays !
Toutefois, dans le champ d'application de la loi, et exclusivement dans ce champ préalablement défini, les juges disposent d'une certaine liberté.
Cette liberté se fonde notamment sur des principes tels que l'individualisation des peines, la liberté pour principe et la détention pour exception, ainsi que la réinsertion du condamné comme corollaire à la condamnation-réparation.
La liberté des juges permet de tenter de prendre en compte la spécificité du parcours de chaque prévenu, sa personnalité, et de prononcer la peine la plus juste, à la fois pour la victime, pour sa famille, pour la société et pour le condamné lui-même, tout cela alors que les magistrats sont de plus en plus démunis en termes de moyens humains et financiers.
Que valent les beaux discours sur la lutte contre la récidive lorsque les tribunaux ne disposent pas assez de juges, d'assistants de justice ou de greffiers, de salles convenables et sécurisées, d'ordinateurs et tout simplement de temps, notamment pour consulter le casier judiciaire du prévenu avant le prononcé de la peine ?
Ces discours cachent à peine la volonté du Gouvernement d'automatiser les peines ! Puisque les juges appliquent la loi, le Gouvernement la change, la transforme, la dévoie de son rôle premier de « sanction - réparation » pour un rôle de « sanction-vengeance ». Mais la justice, ce n'est pas la vengeance !
Dans ce système que l'on nous propose, la larme à l'oeil et les mains avidement posées sur les bulletins de vote des électeurs du Front national, tout est fait pour que les juges, nouveaux « supergreffiers », ne soient plus là que pour enregistrer des peines plancher qui ne veulent pas dire leur nom.
Dans une stratégie réfléchie d'offensive contre nos libertés et nos droits fondamentaux, il convient, d'une part, de ne pas oublier les atteintes portées aux droits de la défense, en particulier aux avocats par les lois Perben, et, d'autre part, de vous alerter sur le danger du renversement des principes subit actuellement par notre justice et par notre droit. La liberté, qui était la règle, devient l'exception, et la privation de liberté, qui était l'exception, deviendra la règle !
Oui, c'est l'équilibre que nous devons rechercher car, malheureusement, nous avons encore du mal à le trouver.
Les ministres changent, mais la politique du « tout - répressif » reste.
Dois-je vous rappeler que la justice suppose la quête d'un équilibre ?
D'abord un équilibre entre les droits de la victime et ceux du condamné, et c'est la prise en compte de ces deux types de droits qui alimente les droits et les garanties pour la société tout entière.
Ensuite un équilibre entre la sanction et la réparation, réparation pour la victime qui induit la réparation pour la société, laquelle induit une possibilité de réparation pour le condamné lui-même.
L'une des autres vérités que le Gouvernement tente de cacher aux Français, c'est que cette quête d'équilibre relatif caractérise le régime actuel du traitement de la récidive des infractions pénales.
A la répression, la loi du 17 juin 1998 a apporté une mesure de renforcement à la prévention : le suivi socio-judiciaire. Cette mesure a pour objet d'appréhender de manière globale la question de la récidive en amont, c'est-à-dire dès l'apparition du risque, et non pas uniquement lorsque ce risque s'est concrétisé.
Grâce à cette disposition, à sa sortie de prison, le condamné n'est pas livré à lui-même. Il peut bénéficier du suivi d'une série de professionnels du monde judiciaire, social et médical, qui vont, pour lui et avec lui tout d'abord, mais également pour ses victimes et le reste de la société, travailler pour sa réinsertion sociale et professionnelle.
Le suivi socio-judiciaire, qui est, comme le rappelle la Cour de cassation, une « peine complémentaire », suppose également la mise en oeuvre des mesures de contrôle et de surveillance.
En effet, le condamné doit répondre aux convocations du juge ou du travailleur social, se soumettre à des visites, prévenir de ses changements d'adresse, suivre des soins, voire une psychothérapie. S'il ne respecte pas cette série d'obligations, il peut se voir placer de nouveau en détention.
La loi de 1998 instaurant le suivi socio-judiciaire est l'exemple d'une mesure intelligente, qui a commencé à démontrer son efficacité pour l'intérêt général comme pour les intérêts particuliers des victimes et des condamnés.
Mais le Gouvernement n'a rien fait pour résorber les obstacles qui empêchent une meilleure mise en oeuvre de ce suivi socio-judiciaire. Il s'agit pourtant, je le rappelle, d'une mesure progressive dont le rayonnement optimal n'a pas encore été atteint. Le nombre de suivis socio-judiciaires prononcés par les tribunaux reste encore très limité. Il n'était que de 795 en 2003 ; il n'est que de 426 au 1er janvier 2005.
Alors que nous devons aujourd'hui légiférer afin de trouver une solution pour lutter contre la récidive, ce sur quoi tout le monde peut être d'accord, le Gouvernement s'est refusé à mettre en oeuvre l'évaluation de cette disposition. Pourquoi ? Parce qu'il aurait peut-être fallu reconnaître le manque de moyens !
Tous les magistrats rencontrés nous ont confirmé les résultats positifs d'une telle mesure. Pourquoi n'avons-nous pas pu étudier son renforcement par plus de moyens ? Voilà ce que nous aurions dû également faire en commission !
Ce Gouvernement n'a rien fait pour pallier l'absence considérable de moyens financiers, laquelle rend l'absence de moyens humains encore plus inacceptable ! Il se contente de mettre à mort non seulement les mesures de suivi socio-judiciaires, mais aussi tout un pan de la politique pénale en France. Cette mise à mort s'illustre notamment à travers la mesure phare de cette proposition de loi qu'est le placement sous surveillance électronique mobile.
Le bracelet électronique mobile n'est pas, comme certains ont pu le dire, une fausse bonne idée. C'est tout simplement un concept dangereux pour les victimes, dangereux pour les condamnés, dangereux aussi pour notre justice et notre démocratie.
Oui, cette mesure est dangereuse pour les victimes, car vous l'avez présentée comme « la » solution miracle, alors qu'il est reconnu que ce GPS pénitentiaire ne peut, à lui seul, empêcher la récidive.
Le fait d'avoir un GPS au pied et un radio-émetteur à la taille n'empêchera pas certains de commettre des crimes ou des délits, notamment ceux qui sont animés par des pulsions d'autant plus incontrôlables que la justice manque de moyens pour suivre ces individus sur le plan psychologique lorsqu'ils sont hors des murs de la prison.
Au mieux, et seulement si le système fonctionne correctement, cette mesure aidera la police à appréhender les prévenus. Dans ce cas, assumez ce dispositif pour ce qu'il est, à savoir une mesure de police, et non une mesure de justice, et discutons-en à ce niveau-là !
Le bracelet électronique mobile est également dangereux pour les condamnés, car il s'agit avant tout d'une peine, une peine complémentaire peut-être, mais certainement pas une mesure de sûreté ! Notre travail en commission n'a d'ailleurs pu confirmer votre vision, monsieur le garde des sceaux. Voilà une raison de plus pour revenir sur ce débat.
Ce bracelet électronique mobile constitue donc une double peine pour le condamné : une peine au-delà de la peine, au-delà des murs de la prison, une peine qui peut aller jusqu'à dix ans et qui, contrairement à tout ce qui est dit par le Gouvernement, n'empêchera pas de stigmatiser les condamnés.
En effet, dans notre société de plus en plus sécurisée, où des portiques de sécurité sont installés partout - dans les mairies, les écoles, les centres de recherche d'emploi, les magasins, les gares, les aéroports - et où il faut même parfois se déshabiller pour passer, les condamnés porteurs de ce bracelet seront tout de suite stigmatisés par d'éventuels employeurs, par des collègues, par des voisins, ou par le reste de la population.
Ce bracelet est également dangereux pour notre justice, non seulement parce qu'il consacre une américanisation de notre système, mais aussi parce qu'il remet en cause l'équilibre entre répression et prévention.
Enfin, il est surtout dangereux parce qu'il va parasiter une très grande partie du budget de la justice, budget déjà insuffisant. Même adoptée, cette mesure ne pourra être appliquée, faute de crédits.
Comme pour les chiffres sur la récidive, M. le garde des sceaux nous a orchestré, pour la mise en oeuvre de ce bracelet, une danse des prix, qui vont de 11 euros à plus de 60 euros par détenu ! La commission n'a pu obtenir une évaluation financière sérieuse. Nous devons retourner en commission pour obtenir des chiffres cohérents et un véritable budget !
Il n'est pas nécessaire de se laisser entraîner dans cette fausse polémique pour dire que la mise en oeuvre de ce bracelet coûtera. Oui, elle coûtera ! M. Hervé Morin, président du groupe UDF à l'Assemblée nationale, a estimé son coût à 153 millions d'euros par an, soit 2,5 % du budget actuel de la justice.
Cette somme exorbitante va vicier une partie du fonctionnement de la justice tout entière, qui a pourtant besoin de plus de moyens pour les mesures de réinsertion et de plus de moyens humains, comme les juges de l'application des peines et les agents de suivi et de probation. Monsieur le garde des sceaux, tout à l'heure vous nous demandiez des chiffres : il manque aujourd'hui à la justice 800 agents de probation.
Enfin, la logique de ce bracelet est dangereuse pour la démocratie française. En effet, cette politique pénale suppose une pratique pénale qui aboutit à la violation, lente mais continue, de nos libertés et droits fondamentaux les plus essentiels.
A cela, il convient d'ajouter qu'au-delà du débat sur la mise en oeuvre de ce bracelet nous devons nous demander s'il est éthique de l'utiliser.
Tous les défenseurs de ce système rétorquent continuellement qu'il ne faut pas avoir peur de ce qui n'est qu'un moyen technique comme les autres pour juguler la délinquance. Or ce n'est pas vrai. Le bracelet électronique mobile n'est pas un simple moyen technique. Avec cette mesure, le Gouvernement réalise le tour de force : rétablir à la fois la flétrissure, la relégation et la tutelle pénale.
Mais, surtout, devons-nous continuellement céder à la tentation technologique, avec notamment pour objectif d'atteindre une société parfaite ? Que ferons-nous lorsque la science et la technique nous donneront la possibilité d'implanter des puces dans le corps des personnes afin de suivre non seulement leurs déplacements, mais également leurs taux d'adrénaline, d'endorphine ou encore de testostérone ? Franchirons-nous alors le pas et accepterons-nous tous ensemble, en adoptant une loi, de basculer dans une société où triompherait le règne d'un certain « fascisme technologique » ?
La réponse des Verts est claire, ferme et définitive : c'est non !
Pour toutes ces raisons, nous ne pouvons pas faire l'économie d'un véritable débat de fond, d'un véritable examen des chiffres, du budget. C'est pourquoi je demande le renvoi à la commission de la proposition de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Je peux admettre que Mme Alima Boumediene-Thiery soit opposée à certaines, voire à toutes les dispositions du texte, et qu'elle les combatte, mais j'ai beaucoup plus de mal à comprendre qu'elle demande un renvoi à la commission pour défaut d'informations !
Cela fait un peu plus d'un an qu'au sein de la commission des lois du Sénat nous étudions ce texte. Cela fait plus de trois mois que nous connaissons la deuxième version amorcée par l'Assemblée nationale et présentée devant sa commission des lois au tout début du mois de juillet. Au Sénat, nous nous sommes réunis à de nombreuses reprises en commission des lois pour l'examen en deuxième lecture de ce texte et nous avons procédé à des auditions publiques, auxquelles vous avez pu participer. S'il est un texte sur lequel le passage en séance a été préparé, c'est bien celui-ci !
Par conséquent, la commission émet un avis défavorable sur cette motion de renvoi à la commission.
M. Laurent Béteille. Très bien !
M. le président. Le Gouvernement souhaite-t-il s'exprimer ?...
Je mets aux voix la motion n° 37, tendant au renvoi à la commission.
(La motion n'est pas adoptée.)
M. le président. En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Je rappelle que, aux termes de l'article 42, alinéa 10, du règlement, à partir de la deuxième lecture au Sénat des projets ou propositions de lois, la discussion des articles est limitée à ceux pour lesquels les deux chambres du Parlement n'ont pas encore adopté un texte identique.
TITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES À LA RÉCIDIVE, À LA RÉITÉRATION ET AU SURSIS
Article additionnel avant l'article 1er
M. le président. L'amendement n° 88, présenté par Mmes Borvo Cohen-Seat, Mathon, Assassi et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Avant l'article 1er, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Dans le troisième alinéa (2°) de l'article 143-1 du code de procédure pénale, le mot : « trois » est remplacé par le mot : « cinq »
La parole est à Mme Josiane Mathon.
Mme Josiane Mathon. Notre amendement, j'en suis bien consciente, n'a a priori pas de rapport direct avec la présente proposition de loi. Cependant, il existe un lien entre détention provisoire, surpopulation carcérale et récidive.
Le nombre de personnes en détention provisoire n'est pas admissible. Il représente plus d'un tiers de la population carcérale, ce qui est considérable, étant donné que ces personnes sont toujours présumées innocentes.
Le recours à la détention provisoire est malheureusement un peu trop systématique : c'est ainsi que les prisons se retrouvent complètement engorgées et que des détenus provisoires se mêlent aux condamnés dans un climat violent et criminogène.
Cette surpopulation carcérale est également un facteur de récidive puisque l'accompagnement des détenus durant leur peine est quasiment impossible.
Aussi, notre proposition consiste à limiter le recours à la détention provisoire. Actuellement, l'article 143-1 du code pénal prévoit que la détention provisoire ne peut être ordonnée ou prolongée que si la personne mise en examen encourt une peine criminelle ou une peine correctionnelle d'au moins trois ans. Nous proposons de porter ce minimum à cinq ans, le contrôle judiciaire pouvant toujours être ordonné pour les personnes encourant une peine correctionnelle inférieure à cinq ans.
Cette proposition ne peut laisser le Gouvernement indifférent compte tenu des déclarations que vous avez faites, monsieur le garde des sceaux, au début du mois de septembre, lors de l'installation des nouveaux membres de la commission nationale de suivi de la détention provisoire. Vous vous étiez alors dit préoccupé par l'ampleur du recours à la détention provisoire. Selon vous, celle-ci « doit être contenue dans les limites strictement nécessaires, au regard notamment du principe de la présomption d'innocence. »
M. Jean-Jacques Hyest, président de la commission des lois. Absolument !
Mme Josiane Mathon. Quelques jours plus tard, vous jugiez positive la condamnation de la France par la Cour européenne des droits de l'homme sur ce sujet, estimant que la détention provisoire « est souvent devenue un réflexe qui n'est pas fatalement bon ».
Nous vous donnons aujourd'hui la possibilité de concrétiser vos paroles et de permettre la limitation du recours à la détention provisoire. Aussi, nous espérons que vous émettrez un avis favorable sur notre amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. François Zocchetto, rapporteur. Madame Mathon, vous proposez de relever de trois ans à cinq ans la durée de la peine encourue permettant le placement en détention provisoire.
Vous avez dit vous-même que cette question n'avait pas de relation directe avec le thème de la récidive. C'est une première raison pour émettre un avis défavorable.
Aujourd'hui, la détention provisoire peut s'accomplir dans un cadre assez équilibré. Je partage votre point de vue, et je ne suis certainement pas le seul ici, selon lequel il importe que la détention provisoire soit utilisée avec discernement. Cette mesure reste néanmoins nécessaire pour mettre un terme à certaines infractions, pour empêcher tout simplement l'auteur des faits de s'échapper, voire pour protéger le prévenu lui-même dans certaines circonstances.
Il n'y a donc pas lieu de modifier l'article du code de procédure pénale sur ce point.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?