compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Philippe Richert
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
MISsion d'information
M. le président. L'ordre du jour appelle l'examen de la demande présentée par la commission des affaires culturelles, tendant à obtenir du Sénat l'autorisation de désigner une mission d'information portant sur l'entretien et la sauvegarde du patrimoine architectural.
Il a été donné connaissance de cette demande au Sénat au cours de sa séance du 5 octobre 2005.
Je vais consulter le Sénat sur cette demande.
Il n'y a pas d'opposition ?...
En conséquence, la commission des affaires culturelles est autorisée, en application de l'article 21 du règlement, à désigner cette mission d'information.
3
règlement définitif du budget de 2004
Discussion d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, portant règlement définitif du budget de 2004 (nos 1, 2).
Monsieur le ministre délégué, mes chers collègues, sur l'initiative de la commission des finances et de son président, la discussion traditionnelle du projet de loi de règlement est animée, cette année, d'un souffle nouveau puisque, afin de respecter l'esprit de la LOLF - la loi organique relative aux lois de finances - trois ministres « dépensiers » viennent aujourd'hui rendre compte au Sénat de leur gestion et enrichir nos débats par leur présence.
Au nom du président du Sénat, je remercie le Gouvernement d'avoir accepté le principe de cette innovation, qui permettra à chacun d'entre nous d'apprécier in concreto la mise en oeuvre de l'autorisation budgétaire donnée par le Parlement.
Je vous rappelle qu'à l'issue de la discussion générale, au cours de la discussion des articles, lorsque nous aborderons les articles 3 et 4 relatifs aux dépenses ordinaires et en capital des ministères, nous aurons, selon la formule de M. le président de la commission des finances, Jean Arthuis, trois « débats sectoriels interactifs » portant sur les crédits successivement du ministère des affaires étrangères, du ministère de l'agriculture et de la pêche et du ministère de la culture et de la communication.
J'aurai l'occasion de rappeler, le moment venu, les modalités d'organisation de chacun de ces débats.
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-François Copé, ministre délégué au budget et à la réforme de l'Etat, porte-parole du Gouvernement. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, nous sommes réunis, en ce début de session, pour examiner le projet de loi portant règlement définitif du budget de 2004.
Nous aurons débattu de ce projet de loi avant d'aborder l'examen du projet de loi de finances pour 2006 : nous serons donc en conformité avec les exigences de notre nouvelle « constitution financière », laquelle, depuis le 1er janvier 2005, gouverne désormais nos travaux en matière budgétaire et nous conduit à préparer le prochain budget selon le nouveau format LOLF, avec des missions et programmes. Ce premier budget LOLF, c'est le projet de loi de finances pour 2006, dont nous discuterons dans quelques jours. Pour tout vous dire, je meurs d'impatience de me retrouver devant vous à cette occasion ! (Sourires.)
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Cette impatience est partagée !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Mais pour l'heure, en attendant ce moment, je salue l'initiative du Sénat,qui, en précurseur, sous l'impulsion du président de sa commission des finances, Jean Arthuis, a permis l'organisation de cette discussion selon la logique de la LOLF. Ce débat préfigure ainsi, deux ans avant la date prévue, ce que sera, dans ce nouveau cadre, la discussion du projet de loi portant règlement définitif.
Les « pères » de la LOLF ont en effet souhaité revaloriser la place du projet de loi de règlement et en faire, à l'avenir, un temps fort de la vie parlementaire.
C'est en effet l'occasion, pour le Parlement, non seulement de vérifier l'exécution chiffrée du budget, mais aussi d'évaluer l'efficacité de la dépense publique et la performance de l'administration, tout en disposant, dans le même temps, d'éléments sur le patrimoine de l'Etat.
Nous aurons ainsi un chaînage vertueux entre les projets annuels de performance, les PAP, qui sont les annexes explicatives du projet de loi de finances, et les rapports annuels de performance, les RAP, qui présenteront les résultats atteints et serviront de support à l'examen du projet de loi de règlement. Je ne sais s'il faut préférer les PAP aux RAP ni lequel de ces deux sigles est le plus « branché » ! (Sourires.)
M. Joël Bourdin. Question de génération ! (Nouveaux sourires.)
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Quoi qu'il en soit, chacun comprend bien que, derrière ces sigles, se cache une innovation majeure dans la manière de traiter notre budget et de le présenter en toute transparence aux Français. En effet, chacun d'entre eux pourra désormais mesurer l'efficacité publique, en évaluant les résultats obtenus ministère par ministère, mission par mission ou programme par programme.
Les outils de cette réforme se mettent peu à peu en place. Nous venons de déposer les projets annuels de performance qui composent le projet de loi de finances pour 2006. Il nous faudra attendre l'année 2007 pour disposer des premiers rapports annuels de performance.
Le projet de loi de règlement est d'abord la photographie fidèle de la situation budgétaire du pays à la fin de l'exercice 2004. Il permet non seulement de mettre en valeur des atouts, notamment une totale maîtrise des dépenses de l'Etat, mais aussi de tirer des enseignements concernant les progrès à réaliser.
De ce point de vue, l'année 2004 a été une année très utile, notamment pour codifier, dans la LOLF, des outils de bonne gestion de l'exécution. Je pense notamment à la réserve de précaution ou à la règle de comportement, s'agissant de l'affectation des éventuels surplus fiscaux.
Le projet de loi de règlement est ensuite l'occasion de rappeler le cap que nous avons donné à notre politique de finances publiques. Si bons soient les résultats de l'année 2004, qui attestent une réduction du déficit budgétaire de 13 milliards d'euros, et ce grâce aux prévisions prudentes d'Alain Lambert, alors ministre délégué au budget, nous devons poursuivre nos efforts. En effet, la dégradation de nos finances publiques est structurelle : elle a été causée par la politique procyclique des années 1999 à 2001, qui a gaspillé les fruits de la croissance. Je reviendrai sur ce point dans un instant.
J'évoquerai en premier lieu la photographie de l'exécution budgétaire en 2004. Selon moi, celle-ci comporte deux principaux motifs de satisfaction.
Le premier motif de satisfaction tient à la stabilisation effective des dépenses de l'Etat, qui s'établissent à 283,6 milliards d'euros, soit 55 millions d'euros en deçà du plafond de l'autorisation voté par votre assemblée. Le Gouvernement a donc respecté les engagements pris puisque les dépenses de l'Etat ont été strictement maîtrisées : en 2004, comme en 2003, par rapport au plafond de dépenses voté par le Parlement, il n'a pas été déboursé un euro de plus.
Il s'agit d'un premier élément concret sur lequel je souhaite insister. En effet, le fait d'atteindre cet objectif était très important pour trois raisons : d'abord, en raison du respect qui s'impose à l'égard de l'autorisation parlementaire ; ensuite, pour montrer aux Français que, dans un contexte économique difficile, les finances de l'Etat étaient tenues ; enfin, pour prouver à nos partenaires européens la crédibilité de nos engagements quant à la réduction des déficits publics. C'est ainsi que se construit la confiance !
La stabilisation des dépenses a été rendue possible grâce à la constitution précoce d'une réserve de précaution de 7 milliards d'euros : ainsi, 4 milliards d'euros de crédits initiaux et près de 3 milliards d'euros de crédits des gestions antérieures ont été mis en réserve.
J'ajoute que toutes ces opérations ont été conduites dans une totale transparence à l'égard du Parlement, qui a été préalablement informé de toutes ces décisions.
Le second motif de satisfaction est lié au fait que nous avons su gérer le rebond conjoncturel des recettes en 2004.
L'année 2003 avait été une année difficile, avec un repli des recettes fiscales de plus de 3 %. Les recouvrements de ces dernières avaient fait plus qu'accentuer les effets de la chute de croissance qui s'est amorcée à la fin de l'année 2001 et qui a prolongé ses effets jusqu'à la fin de l'année 2003. La langueur de l'activité économique avait eu un impact mécanique sur le produit des recettes fiscales, qui accusait une moins-value de 9 milliards d'euros.
Dans ce contexte difficile, le gouvernement a décidé de laisser jouer ce que les économistes appellent les « stabilisateurs automatiques ». Autrement dit, il a choisi de ne pas compenser les moins-values de recettes fiscales par des augmentations d'impôts ou des économies supplémentaires, afin de ne pas casser la dynamique de croissance. En effet, de telles mesures auraient eu un effet récessif, contraire à ce que l'on peut souhaiter en pareil cas.
Un tel choix a été payant puisque nous avons retrouvé en 2004 une activité économique favorable, avec une croissance annuelle de 2,3 %, et ce en dépit de la hausse des prix du pétrole en 2005. Nous restons ainsi dans le peloton de tête de la zone euro en termes de croissance.
Plus de croissance, c'est plus de recettes : la question est ensuite de savoir ce que l'on fait de ces recettes. Le Gouvernement a fait un choix simple et clair : la totalité des plus-values de recettes fiscales, qui s'élèvent au total à 9,2 milliards d'euros, a été affectée à la réduction du déficit. Nous avons pris cette décision, à laquelle je tenais personnellement, lorsque nous avons eu la confirmation, au mois de février dernier, du montant considérable de ces plus-values. J'ai considéré qu'il était important de prouver aux Français notre souci collectif de nous « bagarrer » contre le montant excessif de nos déficits et de nos dettes. Certes, il reste beaucoup à faire, mais je forme le voeu que, sur ce sujet, la Haute Assemblée s'associe à la détermination qui nous anime.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Nous vous soutiendrons, monsieur le ministre !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je vous en remercie, monsieur le rapporteur général.
Tout oppose la gestion du rebond conjoncturel de l'année 2004 à l'épisode moins glorieux des années 1999 à 2000.
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Ah ! L'héritage...
M. Michel Dreyfus-Schmidt. Eh oui !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ... mais éphémères, liées à la bulle Internet - comme toutes les bulles, celle-ci a éclaté, entraînant un ralentissement brutal de la croissance - ont alors été dilapidées en dépenses nouvelles et baisses d'impôts non financées, ce qui a provoqué, comme cela devait arriver, une dégradation structurelle et profonde de nos finances publiques liée au fait qu'il nous fallait assumer de nombreuses charges pérennes, parmi lesquelles figurent, en tête de peloton, les dépenses faramineuses engendrées par les 35 heures. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Michel Dreyfus-Schmidt. C'est une nouveauté dans votre bouche !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. De 1998 à 2001, la précédente majorité avait bénéficié de plus de 70 milliards d'euros de plus-values de recettes fiscales : 55 % d'entre elles ont nourri des augmentations de dépenses pérennes, 30 % ont été consacrées à des baisses d'impôts non financées et 15 % seulement ont été affectées à la réduction du déficit sur la période.
M. Jean-Jacques Jégou. Cela ne règle pas le problème !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. C'est dire que, dans ce domaine, il faut toujours être vigilant ! Si je fais cette évocation, ce n'est pas pour revenir sans cesse sur le passé, c'est pour nous remettre en mémoire cet épisode, afin de ne pas réitérer les mêmes erreurs.
M. Philippe Marini, rapporteur général. Très bien !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. C'est d'ailleurs dans cet esprit que nous avons travaillé lorsque, en 2004, nous avons décidé d'affecter intégralement les plus-values de recettes fiscales à la réduction du déficit, réalisant ainsi, avec 13 milliards d'euros, la plus forte réduction du déficit budgétaire jamais enregistrée.
Je résume : nous avons pleinement maîtrisé la dépense depuis trois ans, conformément à ce qui avait été voté. Nos dépenses ont toutes été consacrées à financer des politiques publiques qui ont stimulé la croissance, et le retour de croissance ainsi obtenu, alors même que les taux des impôts ont diminué, a produit des recettes fiscales que nous avons consacrées à la réduction du déficit, en « bon père de famille ». Bref, c'est la gestion idéale, il faudrait agir ainsi tous les ans ! (Exclamations ironiques sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Jacques Jégou. Tout va bien ! C'est la méthode du docteur Coué !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Quels enseignements pouvons-nous tirer de l'exécution de ce budget ?
J'en vois deux. Il nous faut améliorer nos outils de pilotage de l'exécution budgétaire : c'est ce que nous avons fait. Il nous faut aussi poursuivre l'assainissement de nos finances : c'est dans cet esprit que je voudrais travailler avec vous.
L'année 2004 a permis d'améliorer la palette des instruments qui sont à notre disposition pour mieux gérer l'exécution budgétaire. Nous en avons au moins deux exemples : le premier concerne la réforme des modalités de la régulation budgétaire, le second, la nécessité de définir en amont une règle de comportement sur l'affectation des éventuels surplus fiscaux.
Sur la régulation budgétaire, nous avons travaillé très utilement tout au long de cette année, avec l'aide de MM. Lambert et Migaud, et des commissions des finances des deux assemblées. Après une large concertation, nous avons modifié notre constitution financière, la LOLF, afin de pouvoir répondre à des critiques récurrentes. Il était reproché aux gouvernements, quelle que soit d'ailleurs leur couleur politique, les annulations ou gels de crédits effectués dès le début du mois de janvier, dans une opacité totale et déresponsabilisante.
Il nous a paru utile de changer cette situation dont personne ne peut se satisfaire : ni le Parlement,...
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Bien sûr !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ...qui vote les crédits sans connaître les mesures de régulation, ni les ministres qui ne savent absolument plus à quel saint se vouer puisque ce genre de décision tombe, si j'ose dire, du ciel. Dans la vie quotidienne du ministre du budget, prendre ce genre de décision n'est pas le moment le plus agréable !
Nous avons donc modifié le dispositif avec l'appui du président et du rapporteur général de votre commission des finances, que je remercie. Nous avons prévu une information obligatoire des assemblées, dès le projet de loi de finances initial, sur les mesures envisagées par le Gouvernement pour respecter l'autorisation fixée par le Parlement. Nous avons aussi décidé de mettre en réserve de façon systématique, au sein de chaque programme, une part des crédits appelée tranche conditionnelle ou révisable. Le dispositif sera plus efficace, plus transparent et plus responsable, puisque les gestionnaires connaîtront, dès le ler janvier de chaque année, les crédits sur lesquels ils pourront compter à coup sûr.
Dans le projet de loi de finances pour 2006, nous mettons en oeuvre cette modification de la LOLF. Je vous annonce, d'ores et déjà, que le pourcentage retenu est de 2 %, ce qui correspond à une mise en réserve nette de 4 milliards d'euros. Ce chiffre correspond à la moitié de ce que nous avons dû faire en 2005. Pour être complet, je précise que le taux sur les crédits hors rémunération a été fixé à 5 %, soit une tranche ferme de 95% dès le ler janvier.
Sur la gestion des surplus fiscaux, il nous fallait progresser pour éviter de répéter les errements du passé. Dorénavant, la loi organique votée le 12 juillet dernier oblige le Gouvernement à préciser, à l'avance et en toute transparence, l'utilisation qu'il compte faire des éventuelles plus-values de recettes fiscales qui apparaissent en cours de gestion. En période de reprise économique, ce surplus de recettes est inévitable. Le sujet pourra ainsi être évoqué dans le débat.
La loi organique pose désormais une double exigence : l'information du Parlement au préalable et son information a posteriori, le Gouvernement devant naturellement rendre compte de la gestion des plus-values de recettes. Là encore, il s'agit d'un progrès très significatif des outils de pilotage de nos finances publiques.
La loi de finances pour 2006 est le premier exercice de mise en oeuvre de ce dispositif. La règle de comportement budgétaire que nous vous proposons est détaillée dans l'article d'équilibre.
Le dispositif est simple : en cas de surplus, celui-ci doit être utilisé dans sa totalité pour réduire le déficit. Une seule exception est prévue, conformément aux engagements pris par le Premier ministre le 16 août dernier : les éventuels surplus fiscaux sur les recettes pétrolières résultant de la hausse des prix seront restitués aux Français. L'Etat ne bénéficiera pas de « recettes d'opportunité ». C'est la raison pour laquelle, à la demande du Premier ministre, nous avons réuni avec M. Thierry Breton, une commission de transparence sur la fiscalité pétrolière présidée par M. Bruno Durieux. Elle doit rendre ses premières conclusions demain, jeudi 13 octobre. Nous en tirerons naturellement toutes les conséquences.
Je voudrais maintenant dire un mot rapide sur l'esprit dans lequel j'aborde nos prochaines échéances. Notre objectif central reste l'assainissement de nos finances publiques. Je me dois cependant de rappeler que ces dernières restent convalescentes.
Si la réduction du déficit budgétaire en 2004 est incontestablement une bonne nouvelle - dans notre histoire budgétaire, jamais le déficit ne s'est autant amélioré d'une année sur l'autre - l'esprit de responsabilité qui me guide m'interdit tout triomphalisme qui serait de mauvais aloi alors que notre déficit budgétaire demeure à un niveau encore beaucoup trop élevé. La persistance de cette situation pose d'ailleurs un problème alors que le niveau des recettes reflète depuis 2004 une situation conjoncturelle moins défavorable qu'en 2003 et que, par ailleurs, le Gouvernement a stabilisé les dépenses de l'Etat en volume pour les années 2003, 2004, 2005 et 2006. Et ce n'est pas qu'un effet d'annonce ; la réalité en témoigne. Il faut maintenant passer à la vitesse supérieure.
Le déficit du budget de l'Etat est en réalité un déficit structurel, qui reflète un déséquilibre entre les recettes et les dépenses. Il y a à cela plusieurs explications.
Tout d'abord, les réformes de structure ont été insuffisantes à la fin des années 1990. Il aurait fallu engager beaucoup plus tôt les réformes majeures que le pays attendait, notamment celles des retraites et de l'assurance maladie. Les décisions adéquates auraient dû être prises en période de croissance économique. Les prendre maintenant procède évidemment d'une sage décision, mais leur application est plus difficile.
Mme Nicole Bricq. On voit ce que ça donne !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Ensuite, la politique budgétaire très expansionniste menée à la fin des années 1990, avec des augmentations importantes de la dépense publique ou des baisses d'impôts non financées, a accru le processus de déficit structurel.
Enfin, les transferts importants de recettes de l'Etat au profit d'autres institutions publiques, qu'il s'agisse d'ailleurs de l'Europe, des collectivités locales ou de la sécurité sociale, ont naturellement aggravé le déficit structurel de l'Etat.
Je voudrais à cet égard rappeler que le déficit budgétaire prévu pour 2006 traduit une stabilisation par rapport à l'année 2005. Cette stabilité cache en réalité un effort de redressement important. Nous devons en effet prendre en compte l'augmentation mécanique des prélèvements sur recettes au profit de l'Union européenne et des collectivités locales - 3 milliards d'euros en 2006, contre seulement 700 millions en 2005 - ou la perte par l'Etat d'une recette de 3 milliards d'euros provenant de la Caisse d'amortissement de la dette sociale. Celle-ci va cesser ses versements au budget général le 1er janvier prochain. C'est donc près de 5 milliards d'euros qu'il nous a fallu trouver pour stabiliser ce déficit. Je me permets de livrer cet élément à votre réflexion, mais nous aurons naturellement l'occasion d'en reparler lors de la discussion du projet de budget pour 2006. Vous voyez à quel point nous sommes partis de loin !
Face à cette situation contraignante pour l'Etat, notre stratégie comporte trois volets.
En premier lieu, nous avons développé une politique économique qui favorise l'emploi et améliore notre potentiel de croissance et, ce faisant, renforce le socle de ressources de l'Etat et des organismes sociaux. C'est le plan d'urgence pour l'emploi : si le taux de chômage baisse, nous aurons des recettes supplémentaires. Ce sont ensuite les mesures prises pour soutenir le pouvoir d'achat : la hausse du SMIC, ...
Mme Nicole Bricq. Ce n'est pas vrai !
M. Jean-François Copé, ministre délégué....la revalorisation de la prime pour l'emploi, ou le déblocage de la participation. Ce sont enfin les mesures pour développer les investissements et l'attractivité du territoire. A cet égard, je vous donne rendez vous lors de la discussion du projet de loi de finances pour 2006 ...
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. ...pour débattre de l'importante réforme de la taxe professionnelle, attendue depuis très longtemps.
En deuxième lieu, nous souhaitons renforcer nos exigences dans la maîtrise des dépenses publiques. Les dépenses prévues pour 2006 sont stabilisées en volume, cela pour la troisième année consécutive.
Mme Nicole Bricq. Le sujet, c'est 2004, pas 2005 ou 2006 !
M. Jean-François Copé, ministre délégué. Je vous proposerai de travailler ensemble pour aller vers une stabilisation de la dépense en valeur, ce qui constituera naturellement une avancée très importante.
En troisième lieu, l'effort de l'Etat doit désormais être partagé. C'est dans cet esprit que j'ai proposé d'instituer une conférence annuelle des finances publiques à laquelle pourraient participer des représentants des collectivités locales et de la sécurité sociale, afin de réfléchir à la manière de mieux maîtriser ensemble l'évolution des dépenses publiques et des impôts.
Pour conclure, je dirai que l'année 2004 a été indubitablement une bonne année budgétaire à la fois par les résultats atteints en matière de maîtrise de la dépense et de réduction du déficit et par les progrès réalisés, en termes de méthode, dans la gestion de l'exécution.
Ce projet de loi de règlement traduit les résultats d'une année prometteuse pour nos finances publiques, au cours de laquelle le Gouvernement, avec le soutien de la majorité de votre assemblée, a amorcé une politique qui correspond aux attentes des Français en termes de gestion publique. Aussi, mesdames, messieurs les sénateurs, je vous demande, au nom du Gouvernement, de bien vouloir, après en avoir débattu, approuver cet excellent projet de loi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur général.
M. Philippe Marini, rapporteur général de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les propos de M. le ministre ayant été très précis et, à mon sens, fort convaincants, mes propres remarques pourront être brèves.
Comme vous le savez, ce projet de loi de règlement marque une période de transition. A la suite de la discussion générale, vont s'engager des débats thématiques par anticipation sur la logique de la loi organique relative aux lois de finances du 1er août 2001.
Quoi qu'il en soit, et même sous le régime actuel, la loi de règlement est le moment de vérité budgétaire, de l'arrêté des comptes, c'est le moment d'apprécier en termes financiers et comptables la réalité de l'action gouvernementale.
Nous avons la chance d'examiner aujourd'hui une bonne année, grâce au rebond de l'activité économique et au redressement de l'élasticité des recettes fiscales à la croissance.
Les chiffres contenus dans le projet de loi nous donnent des sujets de satisfaction sur lesquels je me propose de revenir, sans taire naturellement les motifs d'inquiétude. La « bouffée d'oxygène budgétaire » de 2004 consécutive à l'augmentation des recettes fiscales n'a pas résolu, et de loin - mais comment aurait-il pu en aller autrement ? - les problèmes de fond de nos finances publiques.
Au vu de ce constat, la discussion de la loi de règlement est l'occasion de tirer les leçons de l'année 2004 et de dresser des perspectives non seulement de politique budgétaire, mais aussi de méthode. Il s'agit de poursuivre l'objectif partagé par notre commission et le Gouvernement : l'assainissement financier de notre pays, c'est-à-dire la réapparition des marges de manoeuvre destinées à nous permettre de mieux façonner l'avenir que nous ne le faisons actuellement avec un déficit et une dette d'une telle ampleur.
Parmi les sujets de satisfaction, il y a, il est vrai, une forte réduction - grâce vous en soit rendue, monsieur le ministre - du déficit budgétaire, réduction de l'ordre de 13 milliards d'euros, la plus forte constatée depuis vingt ans.
Parallèlement, ont été tenus les engagements pris à l'égard du Parlement : le montant des dépenses effectuées en 2004, soit 283,7 milliards d'euros, est exactement conforme au montant des crédits inscrits en loi de finances initiale.
Comment sommes-nous parvenus à ces résultats flatteurs ? Grâce à ce que je me propose d'appeler « les dividendes de la prudence ».
Mme Nicole Bricq. Oui !
M. Philippe Marini, rapporteur général. La prudence a prévalu lors de l'élaboration du projet de loi de finances pour 2004. Nous savons en effet que le taux de croissance a été estimé de façon particulièrement prudente et que, ajouté à l'amélioration induite de l'élasticité des recettes fiscales, cela est directement à l'origine des 9 milliards d'euros de recettes supplémentaires.
De façon très raisonnable, le gouvernement d'alors avait fait l'hypothèse d'une croissance de l'économie égale à la moyenne des prévisions des économistes que l'on a l'habitude de consulter, les économistes dits du consensus, soit 1,7 %, et c'est bien par rapport à cette prévision prudente que l'amélioration de la conjoncture a conduit à une exécution de la loi de finances sensiblement meilleure que prévu.
Monsieur le ministre, bien entendu, en ces temps de préparation de l'examen du projet de loi de finances pour 2006, le Sénat, en particulier sa commission des finances, espère retrouver les mêmes marges de prudence, introduction possible à des plus-values de recettes fiscales, voire à des améliorations dans le financement de certaines fonctions de l'Etat. Nous le savons bien, lorsque l'on procède de manière inverse, avec des prévisions un peu trop volontaristes et des élasticités un peu soufflées, c'est le contraire qui se produit, à savoir des annulations de crédits et des nouvelles un peu négatives qu'il faut savoir gérer au fur et à mesure du déroulement de l'exercice.
Nous remarquons, et nous en sommes heureux, que, entre les ouvertures de crédits et les réalisations, l'exécution du budget pour 2004 fait apparaître une augmentation à notre sens vertueuse de la fraction que représentent les dépenses en capital, les dépenses d'investissement, tant civiles que militaires. En fin d'année, elles se trouvent au rendez-vous à un niveau, en proportion et en valeur absolue, sensiblement plus élevé que celui qui avait été prévu dans la loi de finances. Pour cela aussi, monsieur le ministre, le Gouvernement mérite des appréciations très élogieuses de la part de la commission des finances.
Cependant, et malgré ces appréciations, des motifs d'inquiétude persistent.
M. Jean Arthuis, président de la commission des finances. Cela commençait pourtant bien !
M. Philippe Marini, rapporteur général. Il convient tout d'abord de se souvenir que le déficit structurel demeure au niveau de 3,5 % du produit intérieur brut : il est certes plus bas que les 4 % atteints en 2003, mais reste sensiblement plus élevé que la moyenne des autres pays de l'Union européenne, qui s'établit à 2,3 %.
Au demeurant, une analyse un peu plus fine montre qu'en Europe le déficit structurel est surtout le fait des Français et des Allemands. La moyenne des déficits structurels hors France et Allemagne est en effet très sensiblement inférieure à ceux de nos deux pays, qui, on le sait, connaissent une certaine crise de la gestion de leurs finances publiques, reflétant sans doute par là même une certaine crise de leurs modèles économiques et sociaux.
Par ailleurs, en dépit de la bonne tenue de la croissance en 2004, la France continue d'accuser un déficit primaire significatif, de l'ordre de 5,8 milliards d'euros. Dès lors, mécaniquement, l'endettement augmente de façon autonome, ce que les bas taux d'intérêt dont nous bénéficions encore occultent quelque peu. Nous sommes donc dans une situation qui pourrait assurément être beaucoup moins confortable, beaucoup plus préoccupante si l'évolution globale nous conduisait à devoir vivre avec un redressement de la courbe des taux d'intérêt, en particulier sur le long terme.
Ensuite, monsieur le ministre, nous avons observé - et c'est sans doute la seule petite critique que j'oserai en cet instant - que le Gouvernement n'a pas pu complètement résister, à la fin de 2004, à la tentation du pilotage du solde en fin d'exercice.
Vous savez l'attention que, comme la Cour des comptes, nous apportons à l'évolution des reports. Certes, vous avez respecté la norme dite du « zéro volume », mais il se pourrait que ce soit au moyen ou au prix d'un certain gonflement, par rapport à l'année précédente, des reports, ce qui pèse sur les dépenses de 2005. La régulation budgétaire pratiquée en fin d'exercice était bien nécessaire, la commission vous en donne acte, mais peut-être a-t-elle conduit à renvoyer à l'année 2005 les difficultés immédiates !
Mme Nicole Bricq. C'est sûr !
M. Philippe Marini, rapporteur général. C'est la crainte que l'on peut exprimer en observant, notamment, l'évolution des dotations du ministère de la défense, qui, d'une certaine manière - la Cour des comptes le rappelle également -, du fait de leur importance, ont servi de variable d'ajustement.
Vous me permettrez de citer la Cour des comptes, qui estime que cette gestion aboutit à reporter « l'assainissement réel des finances de l'Etat à plus tard, alors que la croissance de la fin 2004 pouvait offrir l'occasion d'une action plus en profondeur sur les dépenses, donc sur les déficits et sur la dette ».
Quoi qu'il en soit, et malgré ces aspérités habituelles dans la langue qu'utilise la Cour des comptes, reconnaissons ensemble, mes chers collègues, que le bilan tel qu'il est arrêté pour 2004 est globalement un bilan flatteur.
Quelles leçons tirer de tout cela pour l'avenir ? Il est tout à fait clair, monsieur le ministre, et vous le confirmiez tout à l'heure, que l'on ne saurait différer davantage les ajustements de structure auxquels on est en mesure de procéder dès maintenant.
Au nom de la commission, nous nous sommes permis de rappeler, lors du débat d'orientation budgétaire, ce que signifient pour nous « les sept piliers de la sagesse budgétaire ». Aussi me permettrai-je, mes chers collègues, de renvoyer aux échanges que nous avions eus alors. Il est toutefois une question que je voudrais livrer à votre sagacité et, là aussi, nous partageons largement la réflexion de la Cour des comptes.
Monsieur le ministre, la règle du « zéro volume » est-elle suffisamment rigoureuse, est-elle suffisamment générale, son assiette est-elle suffisamment large ? En d'autres termes, lorsque l'on observe que l'augmentation des prélèvements sur recettes a été de plus de 50 % entre 1999 et 2004, ne devrait-on pas raisonner sur les dépenses de l'Etat au sens large, sur les dépenses au sens économique et non plus seulement au sens comptable du terme, bref, sur ce que l'on appelle aujourd'hui les dépenses de l'Etat, mais aussi sur les prélèvements sur les recettes de l'Etat ?
Comme nous l'avons observé au cours des derniers exercices budgétaires, il est clair que le seul respect de la règle du « zéro volume » n'est pas la réponse à toutes les préoccupations, même si, monsieur le ministre, il faut bien entendu vous donner acte de la ténacité avec laquelle vous vous y êtes tenu. Mais si l'on veut, par exemple, financer de manière saine des réductions d'impôt, ne faut-il pas aller plus loin dans la démarche ? Ne faut-il pas s'interroger sur les contreparties, qui pourraient prendre la forme d'une réduction effective des dépenses, qu'il s'agisse de prélèvements sur recettes, de dépenses fiscales nouvelles ou de dépenses de l'Etat au sens strict du terme ?
Seule une mise en oeuvre résolue de la loi organique, notamment en matière de gestion des dépenses de personnel - rubrique dont la croissance aurait dépassé, selon la Cour des comptes, 3 % en 2004 -, permettra de parvenir à cette restructuration, à ce reformatage de l'action de l'Etat en fonction des résultats, c'est-à-dire de la performance. Chacun sait combien la commission des finances est attachée aux objectifs de la LOLF et à sa mise en oeuvre pleine et entière.
Nous pensons que dorénavant, dès l'an prochain, mais encore davantage les années suivantes, la discussion du projet de loi de règlement sera non plus un exercice formel d'approbation des comptes, mais l'examen au fond de l'efficacité et de l'utilité des dépenses publiques. C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, je suggère que l'intitulé de ce texte soit à l'avenir modifié : il me semble que nous serions plus fidèles à l'esprit de la LOLF en débattant non plus d'un projet de loi « de règlement », mais, par exemple, d'un projet de loi « portant compte rendu de gestion de l'Etat et approbation des comptes de l'exercice n ». En effet, c'est bien le compte rendu de gestion qui va prendre le pas sur l'arrêté des « comptes comptables », si l'on veut bien m'autoriser cette expression.
Lorsque nous disposerons de batteries d'indicateurs comportant des valeurs prévisionnelles et des valeurs réelles, nos rapporteurs spéciaux, nos rapporteurs pour avis, l'ensemble de nos collègues qui s'intéresseront à ces sujets, auront tous les moyens de poser des questions, de demander des justifications, d'exprimer des idées ou des commentaires sur l'exécution réelle des budgets, non seulement en termes chiffrés, mais aussi en termes d'appréciation qualitative, d'appréciation des performances obtenues par l'Etat grâce à l'argent public dont nous votons l'attribution.
Monsieur le ministre, voilà des perspectives bien inusuelles pour un modeste projet de loi de règlement. La présence en bon nombre de mes collègues me renforce dans l'opinion que nous sommes en train de voir se transformer les habitudes grâce à ce levier tout à fait exceptionnel que constitue la loi organique relative aux lois de finances. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'UC-UDF, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)