sommaire
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
2. Candidatures à des organismes extraparlementaires
3. Modification de l'ordre du jour
4. Protection des inventions biotechnologiques. - Adoption d'un projet de loi
Discussion générale : MM. Christian Jacob, ministre délégué aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation ; Jean Bizet, Daniel Soulage, Gérard Le Cam, Pierre Laffitte, Daniel Raoul.
M. le ministre délégué.
Clôture de la discussion générale.
Amendements nos 1 et 2 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre délégué. - Adoption des deux amendements.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 3 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre délégué. - Adoption de l'amendement supprimant l'article.
Amendements nos 4 à 6 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre délégué. - Adoption des trois amendements.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 7 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre délégué. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 8 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre délégué. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 9 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre délégué. - Adoption.
Amendements nos 10 à 12 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre délégué. - Adoption des trois amendements.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 13 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre délégué, Gérard Le Cam, Daniel Raoul. - Adoption.
Adoption de l'article modifié.
Amendements nos 14 à 16 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre délégué. - Adoption des trois amendements.
Adoption de l'article modifié.
Amendements nos 17 à 19 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre délégué. - Adoption des trois amendements.
Adoption de l'article modifié.
Amendement no 20 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre délégué. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Amendement no 21 de la commission. - MM. le rapporteur, le ministre délégué. - Adoption de l'amendement rédigeant l'article.
Mme Adeline Gousseau, M. le rapporteur.
Adoption du projet de loi.
5. Mise au point au sujet d'un vote
MM. Daniel Raoul, le président.
6. Nomination de membres d'organismes extraparlementaires
Suspension et reprise de la séance
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
7. Délai limite pour le dépôt d'amendements
8. Communication relative à une commission mixte paritaire
9. Dépôt d'un rapport du Gouvernement
10. Scrutins pour l'élection de juges à la Haute Cour de Justice
11. Scrutin pour l'élection de juges à la Cour de Justice de la République
MM. Roland Muzeau, le président.
13. Aménagement, protection et mise en valeur du littoral. - Débat sur l'application d'une loi
MM. Jean-Paul Alduy, président du groupe de travail de la commission des affaires économiques et de la commission des lois ; Patrice Gélard, rapporteur du groupe de travail de la commission des affaires économiques et de la commission des lois ; Paul Natali, Joseph Kerguéris, Gérard Le Cam, Nicolas Alfonsi, Mme Yolande Boyer, MM. Pierre Hérisson, Pierre-Yvon Trémel, Mme Dominique Voynet.
14. Election de juges à la Haute Cour de justice
15. Election de juges à la Cour de justice de la République
16. Prestation de serment de juges à la Haute Cour de justice
17. Prestation de serment de juges à la Cour de justice de la République
18. Aménagement, protection et mise en valeur du littoral. - Suite d'un débat sur l'application d'une loi
M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
Clôture du débat.
19. Désignation d'une sénatrice en mission
20. Dépôt d'une proposition de loi
21. Dépôt d'une proposition de résolution
22. Textes soumis au Sénat en application de l'article 88-4 de la Constitution
24. Ordre du jour
compte rendu intégral
PRÉSIDENCE DE M. Adrien Gouteyron
vice-président
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
Candidatures à des organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle au Sénat que M. le Premier ministre a demandé au Sénat de bien vouloir procéder à la désignation de sénateurs appelés à siéger au sein de plusieurs organismes extraparlementaires.
Les commissions des affaires culturelles, des affaires économiques, des affaires sociales et des lois ont fait connaître leurs candidats.
Ces candidatures ont été affichées et seront ratifiées, conformément à l'article 9 du règlement, s'il n'y a pas d'opposition, à l'expiration du délai d'une heure.
3
Modification de l'ordre du jour
M. le président. J'informe le Sénat que la question orale n° 570 de M. Jean Boyer est retirée, à la demande de son auteur, de l'ordre du jour de la séance du mardi 2 novembre 2004.
Par ailleurs, la question n° 568 de M. Georges Mouly pourrait être inscrite à l'ordre du jour de la même séance.
Il n'y a pas d'opposition ?...
Il en est ainsi décidé.
4
Protection des inventions biotechnologiques
Adoption d'un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n°55, 2001-2002) relatif à la protection des inventions biotechnologiques [Rapport n° 30 (2004-2005)].
Dans la discussion générale, la parole est à M. le ministre délégué.
M. Christian Jacob, ministre délégué aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais tout d'abord vous présenter les excuses de M. Patrick Devedjian, qui aurait souhaité défendre lui-même le texte relatif à la protection des inventions biotechnologiques, mais qui participe aujourd'hui à Berlin au conseil des ministres franco-allemand.
Le projet de loi qui est soumis à l'examen du Sénat a pour objet de parachever la transposition dans notre droit interne de la directive du 6 juillet 1998 relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.
Je souhaiterais souligner d'emblée que le Sénat a d'ores et déjà mené une réflexion approfondie sur les questions de brevetabilité du vivant, notamment à travers les réflexions menées par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques, que préside M. le sénateur Henri Revol. J'en profite pour saluer plus particulièrement les travaux de la commission des affaires économiques et de son rapporteur, M. Jean Bizet, spécialiste de ces questions.
La tâche est d'autant plus urgente que la directive aurait dû être transposée depuis le 30 juillet 2000 et que la France a été condamnée pour défaut de transposition par la Cour de justice des Communautés européennes le 1er juillet 2004. J'emploie le terme « urgente », car le domaine des biotechnologies représente en effet l'un des principaux champs de découvertes et d'innovations dans lesquels l'Europe prend du retard.
Avant d'exposer les principes issus de la directive dont le projet de loi prévoit la transposition, je voudrais brièvement situer l'enjeu que constitue la protection juridique par le brevet pour le développement du secteur des biotechnologies. L'Europe a pris dans ce domaine, je le disais, un retard qu'elle doit rapidement combler.
Les biotechnologies interviennent dans des domaines très divers tels que ceux de la santé, de l'agriculture, de l'agroalimentaire et de la protection de l'environnement.
Elles permettent également de résoudre de nombreux problèmes de détection et de traçabilité dans le cadre de la répression des fraudes, de la police scientifique, de la lutte contre le terrorisme et de la recherche en paternité.
Près de 61 % des entreprises européennes de biotechnologies travaillent en priorité pour la santé, 32 % le font pour l'agriculture, l'agroalimentaire et la santé animale et 7 % pour l'environnement.
Ce secteur regroupe en France de grands laboratoires publics, des groupes importants ainsi que de petites entreprises privées où la recherche y est prépondérante.
Pourtant, les pays européens ont pris du retard par rapport aux Etats-Unis ou au Japon, faute d'une approche juridique harmonisée. Les brevets sont en effet absolument essentiels aux progrès techniques dans ce domaine.
Le système des brevets participe à l'innovation de deux manières.
D'abord, il assure, pendant une période de temps limitée mais suffisamment longue, la reconnaissance d'un monopole au profit de l'inventeur en rétablissant les dépenses de recherche-développement réalisées pour parvenir à l'invention brevetée.
Ensuite, il est une source d'information capitale. En effet, en contrepartie du monopole temporaire qu'il octroie, le dépôt d'un brevet implique obligatoirement la divulgation de l'invention et sa publication par les offices de brevet comme l'Institut national de la propriété industrielle, l'INPI, en France. Ce système assure ainsi l'éclosion de nouvelles inventions elles-mêmes sources d'innovations futures.
La directive de 1998 a défini des règles communes aux Etats membres dans ce secteur d'avenir.
Elle est fondée sur le constat que l'extension de la brevetabilité aux inventions impliquant une matière biologique est nécessaire pour assurer une protection effective de la propriété intellectuelle.
Elle précise ainsi les conditions et les limites dans lesquelles la protection par un brevet peut être obtenue pour des inventions portant sur la matière biologique.
Je rappelle que ce texte a été adopté par le Parlement européen et par le Conseil, à l'issue de négociations longues et complexes. Il constitue désormais un compromis équilibré entre les considérations économiques, éthiques et de société.
La directive prévoit plusieurs garanties éthiques pour cette brevetabilité, notamment en excluant tout ce qui n'est qu'une découverte de l'existant naturel et ne fait donc pas appel à l'inventivité technique.
Sont exclus de la brevetabilité, outre le corps humain, les variétés végétales et les races animales.
La directive prévoit par ailleurs des garanties spécifiques concernant le corps humain, qui ont été largement débattues dans le cadre de la loi du 6 août 2004 relative à la bioéthique.
Enfin, elle prend en compte les interrogations pour l'avenir en prévoyant des évaluations périodiques.
Pour les inventeurs, les déposants et les entreprises, la directive met un terme à une situation d'incertitude juridique résultant des divergences importantes sur ces questions entre les législations et les pratiques tant nationales qu'internationales.
De ce fait, les déposants ne pouvaient pas toujours déterminer avec certitude si leurs inventions étaient ou non susceptibles d'être brevetées.
Après la transposition, les scientifiques et les industriels européens bénéficieront d'une sécurité juridique accrue et pourront bâtir une stratégie de propriété industrielle à plus long terme et donc investir dans les technologies innovantes, dont le rôle est crucial.
Le projet de loi qui vous est soumis transpose fidèlement les principes issus de la directive.
Il applique notamment au domaine des biotechnologies le principe fondamental en droit des brevets selon lequel celui-ci ne protège que les inventions, c'est-à-dire des solutions techniques à des problèmes techniques et en aucun cas les simples découvertes.
Dans ce cadre clairement établi, le projet de loi vise trois objectifs : assurer la protection des inventions portant sur la matière biologique et en déterminer les conditions, la portée et les limites ; assurer le respect des règles protégeant la vie animale et végétale ; organiser les relations entre les titulaires de brevets et, d'une part, les agriculteurs ou éleveurs acquéreurs de matériel biologique couvert par des brevets, d'autre part, les titulaires de droits sur les obtentions végétales.
L'ensemble du dispositif établit un équilibre entre les droits des brevetés et ceux du domaine public de nature à rassurer le citoyen tout en satisfaisant aux besoins de l'industrie et de la recherche.
Son adoption mettra définitivement notre pays en accord avec ses obligations communautaires.
Pour conclure, je veux vous assurer que le Gouvernement sera naturellement très attentif aux travaux du Sénat et aux améliorations que celui-ci souhaitera apporter au texte qui vous est soumis pour nous permettre de transposer fidèlement la directive. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, permettez-moi d'exprimer d'emblée ma très grande satisfaction de voir ce projet de loi enfin examiné par le Sénat, près de trois ans après son dépôt et plus de quatre ans après l'échéance fixée par nos obligations communautaires...
Par ce texte sera enfin assurée la transposition complète en droit national de la directive communautaire 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.
Sans revenir sur les multiples événements qui ont jalonné l'histoire de cette transposition difficile - je les évoquerai tout à l'heure -, je salue au moins le prochain aboutissement de ce long processus.
Avec mon excellent collègue Jean-Marc Pastor, j'avais déjà abondamment présenté les multiples enjeux de l'industrie des biotechnologies pour l'Europe dans le rapport d'information que la commission des affaires économiques a adopté l'an passé. Je vous en rappelle le titre, qui me paraît de circonstance : « Quelle politique des biotechnologies pour la France ? »
Je tiens seulement à souligner que les biotechnologies représentent un enjeu pour une agriculture indépendante, innovante et durable, qu'elles constituent aussi un enjeu stratégique pour une économie de la connaissance, qu'elles sont enfin un enjeu commercial international.
Dans son rapport d'information sur les OGM, la commission des affaires économiques déplorait particulièrement les risques auxquels l'Europe s'exposait en ne prenant pas la mesure de l'enjeu biotechnologique : dépendance à l'égard des détenteurs étrangers de procédés ou produits protégés par la propriété intellectuelle, fuite des cerveaux, appauvrissement des capacités de croissance de notre continent. Permettez-moi de citer cette phrase du rapport qui l'exprime sans ambages : « Le comblement du fossé technologique croissant entre l'Europe et les Etats-Unis, particulièrement dans le domaine des biotechnologies, apparaît comme le pilier géostratégique de la place qu'occupera l'Europe dans le monde du XXIe siècle. »
C'est pourquoi cette transposition de la directive protégeant les inventions biotechnologiques est la bienvenue. Je ne vous cacherai pas que j'aurais certes préféré faire d'une pierre deux coups et transposer par la même occasion l'autre directive communautaire en souffrance, la directive 2001/18/CE, qui est relative à la dissémination des OGM dans l'environnement.
Mais, monsieur le ministre, ce n'est pas la voie retenue par le Gouvernement. Pourriez-vous en tout cas nous confirmer que l'annonce faite par le Président de la République, il y a quelques jours, dans le Cantal, d'un texte sur les OGM signifie qu'un projet de loi sera soumis sans tarder au Parlement afin de transposer cette directive 2001/18/CE ? Cela compléterait le cadre législatif propice à un véritable essor de l'industrie des biotechnologies en Europe.
Le présent projet de loi de transposition de la directive 98/44/CE répond à la fois à des impératifs économiques et juridiques tout en intégrant des préoccupations éthiques.
Je tiens d'abord à expliquer en quoi la non-transposition de la directive 98/44/CE contribue au retard européen en matière de biotechnologies. Ce retard, vous le savez, est préoccupant. Alors que le nombre de brevets biotechnologiques sur chacun des deux continents était comparable dans les années quatre-vingt-dix, il est aujourd'hui trois fois plus important aux Etats-Unis que dans l'Union européenne ! Or, pour les seuls domaines médical et industriel, donc sans même inclure l'agriculture, on estime le marché potentiel mondial des biotechnologies à l'horizon 2010 à plus de 2 000 milliards d'euros, soit environ deux fois le produit intérieur brut de la France.
Pourquoi ce retard ? Certainement pour deux raisons, qui ne sont pas sans lien : le manque de financement et le défaut de protection intellectuelle.
Pour lever les fonds considérables qu'exige la recherche en sciences du vivant, les entreprises européennes de biotechnologie ont besoin de faire valoir des brevets qui sont la garantie d'un juste retour sur investissement. Sinon, le fossé qui sépare notre industrie des biotechnologies de celle des Etats-Unis ne pourra jamais être comblé.
L'objectif a été fixé à Lisbonne : faire de l'Europe « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde ». D'où la stratégie européenne en matière de biotechnologies, qui passe par la mise en place définitive du brevet communautaire, c'est-à-dire d'un brevet uniforme et valable dans tous les Etats membres, mais aussi par la protection des inventions biotechnologiques grâce à la directive 98/44/CE que nous transposons ici.
Même si ce n'est pas directement mon propos, je voudrais insister publiquement sur l'importance cruciale qui s'attache à la finalisation d'un brevet communautaire. Il est essentiel, monsieur le ministre, que la France ratifie le protocole de Londres et contribue à l'aboutissement de la négociation en cours au Conseil européen, laquelle achoppe sur la valeur juridique des traductions des brevets. Un tel brevet communautaire représente en effet le vecteur d'une véritable Europe de la recherche dont nous avons cruellement besoin.
J'en reviens à la directive qui nous occupe aujourd'hui. Son adoption a nécessité dix années de débats et deux propositions de la Commission -l'une en 1988, l'autre en 1994- pour aboutir enfin en 1998. De plus, à ce jour, cette directive applicable au 30 juillet 2000 n'a été transposée que dans neuf Etats membres de l'Union européenne à quinze, et dans quinze Etats membres de l'Union européenne à vingt-cinq.
Pourquoi avoir tant tardé à transposer ? Un débat compliqué et des hésitations diverses ont traversé l'ensemble des familles politiques sur ce sujet.
Je rappellerai seulement que, malgré la résolution de l'Assemblée nationale d'octobre 1996, dont l'initiative revient à M. Jean-François Mattei, le gouvernement français a non seulement voté en faveur de la directive 98/44/CE, mais a même joué un rôle décisif dans son adoption le 6 juillet 1998. D'ailleurs, la France ne s'est pas jointe à l'action engagée par les Pays-Bas en octobre 1998 devant la Cour de justice des Communauté européennes.
Par la pétition qu'il a lancée et qui a reçu le soutien de plusieurs scientifiques, dont le professeur Axel Kahn, pour demander la renégociation des articles 5 et 6 de la directive, relatifs au corps humain, M. Jean François Mattei a appelé à limiter la portée des brevets sur les séquences géniques humaines. Cette préoccupation a aussi reçu un écho dans le rapport rendu par le député socialiste Alain Claeys, en décembre 2001, dans le cadre de l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques. Ces inquiétudes éthiques ont nourri la réticence française à une transposition complète.
Le projet de loi que nous examinons aujourd'hui, et qui a été déposé le 31 octobre 2001, en est le témoin puisqu'il exclut les dispositions relatives au corps humain.
Mais l'hypothèse d'une renégociation de la directive est devenue, au fil du temps, de moins en moins réaliste. La Cour de justice des Communautés européennes a condamné la France en manquement pour non-transposition de la directive le 1er juillet 2004, et nous sommes désormais menacés d'astreinte financière. Si la transposition de la directive répondait à une exigence économique, elle fait désormais figure d'impératif juridique.
C'est d'ailleurs l'un des partisans de la renégociation qui, devenu ministre de la santé en mai 2002, a engagé la transposition de la directive dans le cadre plus large de la révision des lois de bioéthique de 1994. Ainsi, la loi bioéthique d'août dernier comprend un titre IV relatif à la protection juridique des inventions biotechnologiques, qui transpose les dispositions sur le corps humain.
La partie la plus difficile de la transposition étant réalisée, il nous reste aujourd'hui à transposer le reste de la directive.
Ce projet de loi appelle deux remarques : d'une part, il s'inscrit dans un cadre éthique aujourd'hui consolidé, d'autre part, il est rédigé de la façon de la plus consensuelle possible.
La transposition s'inscrit en effet dans un cadre offrant des garanties éthiques à trois niveaux.
Tout d'abord, des garanties qui tiennent à des exclusions générales du champ de la brevetabilité : le «modèle européen » de brevetabilité du vivant exclut du champ du brevet tout ce qui n'est qu'une découverte de l'existant naturel, et qui ne fait donc pas appel à l'inventivité scientifique. De ce fait, le corps humain, les variétés végétales et les races animales ne sont pas brevetables. Il faut sans cesse le répéter.
Ensuite, des garanties plus précises relatives au problème spécifique du corps humain, dont la transposition a été assurée par la loi Mattei qui a encore sécurisé ce cadre éthique, et il n'est pas question d'y revenir.
En dernier lieu, des garanties quant au contrôle des risques pris pour l'avenir : risque que trop de brevets tuent le brevet, risque de concentration des brevets dans les pays développés, interrogations sur l'adaptation du texte à l'évolution des sciences de la vie. Face à ces questions, la vigilance reste de mise et la Commission européenne en a pleinement conscience.
Ces garanties étant posées, le projet que nous examinons m'apparaît assez consensuel. Il l'est sur la forme, puisque le gouvernement actuel reprend intégralement le texte dans l'état où l'avait déposé le gouvernement Jospin, mais il l'est aussi sur le fond.
En effet, le premier aspect du texte - articles 1 à 7- est de garantir le principe général de protection des inventions portant sur la matière biologique, mais aussi de l'assortir de réserves liées à l'ordre publique, de conditions ainsi que de limites.
Le deuxième aspect du texte - articles 8 et 9- est d'organiser des licences obligatoires pour concilier la non-brevetabilité des races animales et des variétés végétales avec la brevetabilité d'inventions portant sur des éléments biologiques d'origine animale ou végétale.
Le troisième aspect du texte - articles 10 et 11 - n'est pas strictement exigé par la transposition de la directive et porte sur le renforcement plus général des licences obligatoires et des licences d'office.
Toutefois, la commission des affaires économiques estime que ce texte pourrait être utilement amélioré. Outre plusieurs amendements destinés à assurer la nécessaire coordination entre le projet de loi, tel que déposé en novembre 2001, et l'état actuel du droit de la propriété intellectuelle, résultant des articles 17 et 18 de la loi bioéthique, elle vous proposera des amendements au texte dans un double objectif : d'une part, assurer une meilleure conformité du texte à la directive ; d'autre part, assurer la survie des entreprises semencières européennes par une coexistence harmonieuse et équilibrée entre le droit des brevets et celui des obtentions végétales.
Pourquoi transposer fidèlement ? Tout simplement pour asseoir la sécurité juridique. En effet, des écarts, même légers, sauf s'ils sont purement rédactionnels, risquent de créer des brèches d'incertitude qui sont autant de failles exploitables devant les tribunaux. De tels litiges sont nécessairement longs et coûteux et porteraient donc préjudice aux entreprises et laboratoires de biotechnologie, pour une utilité nulle puisque le tribunal fera certainement primer in fine le texte communautaire sur le texte national.
En outre, une transposition ambiguë, frileuse voire inquiète, constituerait un signal négatif à l'égard de l'industrie biotechnologique, qu'il s'agit au contraire de promouvoir. D'ores et déjà, le retard de transposition n'a pas contribué à donner une image positive de la France aux yeux de ces industriels. Une transposition fidèle permettrait, à l'inverse, de faire la preuve de la volonté française de construire l'Europe de la recherche.
Le deuxième objectif est la sauvegarde des entreprises semencières européennes. La commission des affaires économiques propose à cet effet d'introduire, à l'article 7 du présent texte, l'exception dite du « sélectionneur » : celle-ci permet d'utiliser librement les variétés végétales protégées par un titre d'obtention végétale à des fins de création variétale.
Le droit européen des brevets organise une dérogation par rapport à la protection du brevet, mais cette dérogation vise exclusivement les actes accomplis à titre expérimental. Cette « exemption de recherche » permet d'utiliser l'invention brevetée à des fins de recherche, mais sans doute pas de l'utiliser pour créer de nouvelles variétés végétales. Cela signifie que le travail du sélectionneur, aujourd'hui permis par le droit des obtentions végétales, ne serait plus possible sur les variétés transgéniques, dont le nombre va croissant. Si tel était le cas, les petites et moyennes entreprises semencières européennes seraient alors obligées de demander des licences aux multinationales détenant des brevets sur ces variétés transgéniques.
C'est pour éviter ce scénario monopolistique que la commission des affaires économiques propose d'introduire en droit des brevets l'exception du sélectionneur. Il s'agit d'une garantie qui s'inscrit dans les traditions agricoles française et européenne et il n'y pas de raison de laisser l'équivoque du droit européen s'interpréter à rebours de cette tradition. C'est le seul moyen pour la France de rester dans les tout premiers pays semenciers, et sans doute le seul moyen pour l'Europe de garantir son indépendance alimentaire.
Sous réserve de ces amendements, la commission des affaires économiques vous invite, mes chers collègues, à adopter le présent projet de loi.
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste, 31 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 14 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes ;
Groupe du rassemblement démocratiqueet social européen, 9 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Daniel Soulage.
M. Daniel Soulage. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous sommes appelés aujourd'hui à légiférer dans l'urgence sur un projet de loi pourtant déposé sur le bureau du Sénat en novembre 2001. Je ne peux donc que déplorer que nous n'ayons pu disposer que de quelques jours pour travailler sur un texte porteur d'enjeux aussi importants pour les secteurs de la recherche et de l'industrie, qui vise à instaurer une protection juridique des inventions biotechnologiques, en permettant leur brevetabilité. Cela permettra de modifier radicalement l'environnement juridique et financier des entreprises biotechnologiques françaises et européennes.
Ces entreprises ont pris un retard dramatique par rapport à leurs concurrentes américaines du fait d'un manque de financement. Ainsi le forum consultatif sur les biotechnologies Union européenne - Etats-Unis a évalué ce déficit de financement européen à un milliard de dollars en 2003.
Cela tient à la structure de notre système bancaire, où le capital risque reste marginal, mais cela tient surtout à l'absence de garanties offertes aux prêteurs en matière de propriété intellectuelle. En effet les entreprises du secteur des biotechnologies sont caractérisées par un processus de recherche et de développement très long et coûteux avant de disposer d'un produit commercialisable, quand les recherches aboutissent. C'est donc peu dire que le secteur est très risqué pour les investisseurs.
Or le développement des biotechnologies, qui ne se limitent pas, loin de là, aux OGM tant décriés par une partie de nos concitoyens, est un facteur crucial d'indépendance nationale. Dans le secteur de la santé humaine, plus de 50% des nouveaux médicaments sont issus des techniques d'ingénierie moléculaire et cellulaire. Dans le secteur industriel, les biotechnologies permettent de mettre au point de nouveaux matériaux ou procédés.
De plus, à une heure où l'économie de la connaissance, avec la mise en place de pôles de compétitivité, comme l'a justement préconisé notre collègue député Christian Blanc, est une clé indispensable pour lutter contre les délocalisations, il est indispensable de mettre en place tous les outils nécessaires pour permettre à notre recherche et à notre industrie de rester compétitives.
Pour les seuls domaines médical et industriel, le marché potentiel mondial des biotechnologies à l'horizon 2010 a été évalué à plus de 2 000 milliards d'euros, soit environ deux fois le PIB de la France, comme l'a souligné notre rapporteur. II est absolument inenvisageable que la France et l'Europe restent en dehors de ce marché.
Partant du constat du grave retard européen en matière de biotechnologies, la Commission européenne et le Conseil européen ont élaboré un plan en trente points visant à la création d'un véritable espace des biotechnologies, à l'amélioration des outils de financement et à la protection de la propriété intellectuelle.
En tant que parlementaires, nous devons donc prendre nos responsabilités et permettre la mise en place d'un environnement favorable au développement des biotechnologies. Toutefois je souhaiterais revenir sur deux points.
Tout d'abord, il faut rappeler l'avancée représentée par la loi relative à la bioéthique dans la transposition de la directive 98/44/CE. Depuis l'adoption de cette directive, l'essentiel du débat sur ce texte s'est cristallisé en France sur ses articles 5 et 6 relatifs à la brevetabilité d'éléments du corps humain et à ses implications éthiques. La loi bioéthique d'août 2004 a permis, à l'issue d'un débat parlementaire très riche, de trancher sur cette question et de déterminer dans le champ de l'humain ce qui pouvait faire l'objet de brevets.
Par ailleurs, la distinction entre invention et découverte, posée par la directive, limite également les possibilités de brevets déposés sur le vivant. En effet, tout ce qui n'est qu'une découverte de l'existant naturel, et qui ne fait donc pas appel à l'inventivité scientifique, est exclu du champ de la brevetabilité.
Une application de ce principe est l'exclusion des variétés végétales et des races animales du champ de la brevetabilité ainsi que l'exclusion du corps humain. Cette définition européenne du brevet sur le vivant, très différente de sa conception américaine, est donc propre à limiter les excès. Elle peut permettre d'éviter l'apparition de nouvelles contraintes pour les chercheurs, dues à une accumulation des brevets, à des redevances en cascade pour tous leurs propriétaires et à l'existence de brevets larges pouvant englober des pans entiers de secteurs de recherche.
Le second point que je souhaite aborder a trait à la coordination entre le droit des brevets et celui des obtentions végétales. L'agriculteur que je suis ne peut que se féliciter des propositions de notre rapporteur concernant l'exception du sélectionneur. En effet, le certificat d'obtention végétale, système qui est utilisé pour protéger la création variétale en Europe, est un dispositif équilibré.
Il comporte ainsi deux exceptions au droit de propriété sur les variétés, dont une seule a été reprise dans la directive 98/44/CE, celle qui est relative au droit d'un agriculteur d'utiliser une partie de sa récolte pour resemis, dans des conditions définies.
La seconde exception, dite exception du sélectionneur, permet l'usage, à des fins de créations nouvelles, de la variété génétique représentée par les variétés protégées et légalement accessibles.
Or lorsqu'une variété végétale est protégée par un certificat d'obtention végétale, elle peut également bénéficier d'une protection par brevet si elle incorpore un gène servant de support à une invention. Il est donc nécessaire de coordonner les deux droits de propriété intellectuelle sur une telle variété transgénique.
Je partage l'analyse de M. le rapporteur selon laquelle l'exception du sélectionneur est la seule qui soit à même de permettre aux petites et moyennes entreprises semencières européennes de survivre.
Pour toutes ces raisons, le groupe de l'Union centriste, au nom duquel je m'exprime, est favorable à ce texte et soutiendra les modifications proposées par la commission.
Il me reste à remercier et à féliciter notre rapporteur Jean Bizet et la commission des affaires économiques et du Plan pour leur excellent travail. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je me permets d'aborder ce débat par quelques considérations sur les conditions de travail de notre assemblée, considérations qui ne sont d'ailleurs pas sans lien avec l'examen du présent projet de loi.
Les deux sessions ordinaire et extraordinaire qui viennent de s'écouler ont vu une succession de coups de force politiques visant à court-circuiter les prérogatives des parlementaires en ne leur permettant pas d'effectuer leur travail dans de bonnes conditions.
En effet, cette boulimie gouvernementale de textes s'est accompagnée de la multiplication de projets de loi déclarés d'urgence concernant des sujets particulièrement importants, qu'il s'agisse du changement de statut et de la privatisation des grandes entreprises de service public de l'électricité et du gaz, EDF-GDF, de la privatisation de la compagnie aérienne Air France, qui avait pourtant particulièrement bien résisté à la crise du secteur, du bouleversement du champ de régulation des communications électroniques et des services de communications audiovisuelles, de la réforme de la sécurité sociale, etc., autant de textes touchant aux fondements mêmes de l'organisation et du fonctionnement de notre société.
L'encombrement du calendrier parlementaire et cette précipitation à légiférer dans des domaines des plus importants pour l'avenir de notre pays ont eu tendance à transformer le Parlement en simple chambre d'enregistrement, et ce d'autant plus que les amendements de l'opposition étaient, dans la majorité des cas, systématiquement rejetés sans réel débat de fond.
Or force est de constater que, malgré les déclarations d'intention, le Gouvernement semble vouloir poursuivre dans la même voie.
Ainsi, le fait de recourir à la procédure des ordonnances pour ouvrir la session parlementaire avec un projet de loi de simplification du droit comportant plus de soixante articles et touchant des domaines multiples, mais non des moindres, en est une parfaite illustration!
De même, la volonté de consacrer le lundi ou le vendredi, jours traditionnellement réservés au travail en circonscription, à l'examen en séance publique de textes transposant des directives européennes en est un autre exemple tout aussi parfait !
Or, nous le savons très bien, les directives européennes touchent à des questions et à des choix de sociétés si cruciaux qu'elles devraient exiger un délai suffisant, et ce compte tenu , notamment, du caractère de plus en plus technique des textes européens qui versent parfois dans l'hermétisme le plus total.
A cela s'ajoute le fait que l'on assiste de plus en plus, sur des sujets des plus graves et généralement lourds de conséquences, à des contradictions parfois rédhibitoires entre notre propre législation et le droit communautaire. Autrement dit, les directives d'inspiration fortement libérale sur le plan économique et anglo-saxonne sur le plan juridique heurtent de plein fouet notre conception de certains choix cruciaux de société.
Cette directive 98/44/CE en est tout à fait exemplaire, et ce à plusieurs égards.
En premier lieu - c'est la raison pour laquelle le gouvernement de gauche les avait préalablement retirés de son projet de loi - les articles 5 et 6 relatifs à la brevetabilité du vivant ont suscité de multiples débats et polémiques débordant les clivages politiques traditionnels tant les enjeux éthiques qu'ils comportent sont considérables.
Lors de la discussion en séance publique, notre groupe, et il n'était pas le seul, s'était fermement opposé à l'article 5. C'est ainsi que mon collègue et ami Guy Fischer s'adressait, le 8 juin dernier, à la majorité sénatoriale, en ces termes : « La brevetabilité des éléments du corps humain, notamment de son génome, mais plus largement du vivant dans sa totalité, fait toujours l'objet de notre opposition majeure à la position que vous avez prise tout au long de l'examen de ce texte. Vous êtes bien embarrassés et je vous comprends. Comment en effet pouvez-vous, comme le fit M Mattei, comme vient de le faire M Douste-Blazy, comme l'a exposé notre rapporteur - avec tout le respect que je lui dois - affirmer à la fois qu'il y a incompatibilité entre la loi française et la directive européenne, sans pour autant avoir le courage politique de revenir sur celle-ci ?
« En cela, les scientifiques vous renvoient dos à dos, mes chers collègues, en disant qu'il appartient au pouvoir politique de renégocier la directive européenne. Au lieu d 'en étudier la faisabilité, vous faites de la « haute voltige » pour éviter d'affirmer que vous n'entendez pas revenir sur une directive pourtant largement incriminée par la communauté scientifique et une grande partie des formations politiques. ».
Vous considérez, monsieur le rapporteur, que « l'hypothèse d'une renégociation de la directive devenant, au fil du temps, de moins en moins réaliste, l'obligation de transposer complètement le texte a fini par s'imposer. »
Pour notre part, nous continuons de penser que de nombreuses et graves questions demeurent posées par cette directive visant la protection des inventions biotechnologiques. Le flou, par exemple, persiste toujours entre ce qui relève de l'invention et ce qui relève de la découverte.
Enfin, loin de chercher, comme le réclamaient lors du débat sur la loi bioéthique des scientifiques patentés, à laisser ouverte la possibilité de réviser la directive, vous vous réjouissez de son adoption totale et définitive par le biais d'un texte rendu plus conforme encore à l'esprit même de la directive.
En deuxième lieu, la mise en place d'un droit européen de la brevetabilité dans le domaine des biotechnologies comporte d'énormes enjeux économiques touchant tant le secteur de la santé que celui de l'agro-industrie ou encore celui de l'industrie pharmaceutique, car, il faut le souligner, avant toute chose, le brevet confère à son détenteur le droit d'exploiter commercialement son invention.
Dès lors, qui oserait nier que le domaine des biotechnologies, celui des manipulations génétiques ayant abouti aux organismes génétiquement modifiés, les OGM, offrent d'énormes perspectives de profits, voire des rentes de monopoles, aux multinationales du secteur ?
Là encore, au nom des impératifs de compétitivité, la transposition complète et définitive de la directive se justifierait, et ce en faisant fi des enjeux et réflexions éthiques et sociétaux à la clé !
J'observe que, contrairement à l'esprit du texte déposé par le gouvernement de gauche, vous prenez soin, monsieur le rapporteur, à travers un certain nombre d'amendements, de rendre le présent projet de loi plus conforme à la directive.
Nous sommes un peu pris de court pour mesurer l'exacte portée des modifications que vous proposez. Le moins que l'on puisse dire est que vous ne laissez guère de marge de manoeuvre et de souplesse d'appréciation au législateur.
Vous justifiez cette volonté d'assurer une meilleure conformité du texte à la directive par le souci d'éviter de futurs litiges qui pourraient porter préjudice aux entreprises et aux laboratoires de biotechnologies. Tout cela est discutable et relève de choix politiquement bien différents de ceux de l'ancien gouvernement de gauche, ainsi que cela apparaîtra sans doute au cours de ce débat et lors de la deuxième lecture.
En tout cas, c'est bien un choix politique qui consiste à opter pour une certaine souplesse dans la transposition, en laissant la porte ouverte à de possibles renégociations dans des domaines où l'évolution technologique est extrêmement rapide et introduit des changements radicaux.
Enfin - et si je m'adresse si souvent à vous, monsieur le rapporteur, c'est bien parce que vous modifiez substantiellement un projet de loi déposé en novembre 2001 -vos propositions vont au-delà du contenu même de la directive, puisque vous introduisez l'exception du sélectionneur afin, précisez-vous, « d'assurer la survie des entreprises semencières européennes par une coexistence harmonieuse et équilibrée entre le droit des brevets et celui des obtentions végétales ».
Je m'interroge, pour ma part, sur le sort réservé à notre petite paysannerie, dont la survie est essentielle à l'aménagement de notre territoire. En effet, à qui profite, en définitive, l'extension de la brevetabilité sur le plan européen ?
Comme il est d'ailleurs souligné à juste titre dans le rapport, le règlement communautaire prévoyant d'exonérer les petits agriculteurs du paiement d'une rémunération au titulaire du certificat d'obtention végétale n'a jamais été introduit en droit français. Une telle discrimination positive à l'égard des petits agriculteurs - les autres devant s'acquitter d'une redevance pour bénéficier du privilège de l'agriculteur -, me semble tout à fait opportune.
Il n'en demeure pas moins que l'on ne peut que s'inquiéter de la domination et des pressions qu'exercent aujourd'hui les grandes entreprises semencières sur les agriculteurs qui produisent des semences fermières pour leur propre exploitation.
Face au développement des biotechnologies et des pratiques de sélection de nouvelles variétés, il paraît évident que les semenciers cherchent à obtenir le monopole de la reproduction des graines. Par divers moyens, ils tentent, depuis une dizaine d'années, de soumettre les agriculteurs à une obligation d'achat de leurs semences, que ce soit à travers, par exemple, des contrats de qualité qui permettent aux agriculteurs d'écouler leur production moyennant l'achat de semences ou par le biais du développement de la « brevetabilité » qui permet l'appropriation privative de la semence, ou encore parce que les semences hybrides ou à base d'OGM ne peuvent être reproduites par les agriculteurs eux-mêmes. A terme, les semences de ferme, au demeurant moins coûteuses que les semences hybrides, tout en étant de qualité comparable, sont-elles condamnées à disparaître ?
De telles questions méritent d'être posées face à l'emprise de plus en plus évidente des grands groupes semenciers mondiaux.
En conclusion, et au vu des interrogations qui demeurent, je crois qu'il aurait été nécessaire de procéder aux traditionnelles auditions concernant un projet de loi dont les enjeux économiques et sociaux sont avérés. Nous ne pouvons donc que regretter cette nouvelle précipitation et, dans l'attente d'éventuels approfondissements au cours de la navette, le groupe CRC s'abstiendra sur ce projet de loi.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte.
M. Pierre Laffitte. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est significatif que nous examinions aujourd'hui, avec quelques modifications judicieuses apportées par notre commission des affaires économiques, un texte de transposition d'une directive européenne initié par le gouvernement Jospin.
La transposition partielle dans la loi Mattei répondait déjà à la nécessaire révision des lois de bioéthique de 1994 dans un sens correspondant d'ailleurs à ce que, au nom de la commission des affaires culturelles, j'avais moi-même souhaité à cette même tribune, voilà dix ans.
De la même façon, il est significatif que le présent projet de loi, important par ses conséquences, soit défendu par M. Christian Jacob, ministre délégué aux petites et moyennes entreprises, au commerce, à l'artisanat, aux professions libérales et à la consommation, c'est-à-dire l'ensemble des forces vives, à la seule exception des grands groupes. Personnellement, je m'en réjouis, car les biotechnologies concernent tout le monde. Il s'agit, en effet, du secteur le plus dynamique des hautes technologies, qui connaît un développement particulièrement fort au niveau des start up et des laboratoires de recherche, appuyé, le cas échéant, par le capital risque en Europe - pas suffisamment, à mon goût, si on le compare à celui des Etats-Unis.
Ce projet de loi vise à apporter une capacité supplémentaire aux pays européens qui, sinon, risquent, dans ce domaine qui va probablement devenir plus important que celui des nouvelles technologies de l'information et de la communication, capital pour la modernisation de notre économie qui en a bien besoin au moment où le monde se partage entre un certain nombre de grandes régions avec les nouveaux entrants que sont la Chine, l'Inde, le Japon, à côté des partenaires occidentaux, à savoir l'Europe, qui est un peu en retard, les Etats-Unis et le Canada.
En outre, la convergence entre les technologies de l'information et le monde du vivant est un phénomène capital qui ne fait que commencer.
En effet, la société de l'information dans laquelle nous sommes entrés bénéficie des progrès fantastiques de ce que l'on appelle la numérisation, qui, grâce à des méthodes modernes et des algorithmes adaptés, constitue un progrès dans le stockage et la rapidité de traitement de l'information. Elle permet désormais de modéliser et de simuler avant de construire ou d'agir et cela est vrai pour tout, qu'il s'agisse des systèmes de production d'électricité et de leur transport, de leur stockage éventuel ou de leur consommation à propos de laquelle des questions nouvelles se posent.
En effet, nous disposons non seulement de centrales électriques, mais aussi d'énergies éoliennes dont la production est aléatoire. Cela correspond donc à une complexification.
Dans d'autres domaines, la gestion de la complexité est maintenant bien établie. Je pense, en particulier, à la construction aéronautique, où désormais on ne réalise plus de prototypes avant de construire un avion. En effet, celui-ci est modélisé, avant que l'on procède à des simulations en faisant varier toute une série de paramètres pour savoir lesquels permettront d'améliorer la portance, la maniabilité et donc de diminuer les risques de perte de contrôle.
En conséquence, les simulations permettent de ne pas élaborer de prototype et de construire tout de suite l'avion numéro 1. Cela permet de gagner beaucoup d'argent.
Comparons cette méthodologie à ce qui se passe, par exemple, dans l'industrie pharmaceutique. La création d'un nouveau médicament coûte à peu près autant qu'un nouvel avion. Mais, à l'heure actuelle, l'industrie pharmaceutique procède à de multiples essais de médicaments, parfois cent, avant de réussir. Ce médicament lui coûte alors près de cent fois le prix de ce que coûterait un avion.
C'est comme si, dans l'industrie aéronautique, on construisait cent avions différents pour savoir celui qui, au premier essai en vol, se crash le moins vite ou ne se crash pas.
Les simulations et modélisations permettent donc de diminuer de beaucoup le coût d'un nouveau médicament majeur.
Une fondation, en cours de création, sera consacrée à la gestion de la complexité, de la simulation et de la modélisation du vivant. Elle sera abritée par la Fondation Sophia Antipolis.
Le ministre de la recherche abonde ce type de fondation à une hauteur égale au financement du privé, de façon à permettre de multiplier par deux l'importance de la recherche qui sera effectuée grâce aux financements privés combinés aux financements publics. Tous les centres de recherche qui ont besoin d'un financement complémentaire tireront évidemment un grand bénéfice de cette mesure.
Par ailleurs, la loi Aillagon sur les fondations ayant amélioré les déductions fiscales aux entreprises qui financeront des fondations, la combinaison des deux dispositifs mis en place par Gouvernement permet d'obtenir une multiplication par cinq pour les industriels intéressés par une recherche mutualisée dans le secteur. Cela intéresse au plus haut point les laboratoires de recherche publics et privés et renforce leur partenariat.
Nous allons donc pouvoir, dans le domaine particulier des biotechnologies et de la modélisation du vivant, aboutir à des résultats positifs.
Le présent débat sur la protection juridique de ces opérations permettra au secteur privé de réagir et, grâce au modèle des fondations largement pratiqué outre-atlantique, de trouver des financements de façon que nous ne soyons pas en retard par rapport aux autres compétiteurs et que nous puissions créer de la richesse, donc des emplois. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, avant de vous livrer mon sentiment sur ce projet de loi, je tiens à souligner la valeur et la rigueur du rapport de la commission. J'y vois la marque de l'honnêteté intellectuelle de son rapporteur, M. Jean Bizet, que je salue, honnêteté que j'avais déjà pu apprécier lors de la rédaction d'un rapport d'information sur les OGM par un groupe de travail ad hoc. Je salue également le travail de ses collaborateurs.
En juillet 2003, la Commission européenne avait décidé de saisir la Cour de justice européenne à l'encontre de huit pays, dont la France, au motif qu'ils n'avaient pas encore mis en oeuvre la directive 98/44/CE relative à la protection juridique des inventions biotechnologiques.
M. Pierre Laffitte. Mieux vaut tard que jamais !
M. Daniel Raoul. Cette directive, qui aurait dû être transposée en droit national pour le 30 juillet 2000, vise, rappelons-le, à clarifier certains principes du droit des brevets appliqués aux inventions technologiques, tout en assurant le respect de règles éthiques rigoureuses.
Le Gouvernement de Lionel Jospin avait donc déposé, à cet effet, un projet de loi en octobre 2001. Le texte proposé aux parlementaires n'opérait qu'une transposition partielle de la directive européenne puisqu'il maintenait en l'état l'article L.611-17, issu des lois bioéthiques de 1994, qui prévoyait que « le corps humain, ses éléments et ses produits ainsi que la connaissance de la structure totale ou partielle d'un gène humain ne peuvent, en tant que tels, faire l'objet de brevets ».
Il n'était pas question, à l'époque, d'entériner notamment l'alinéa 2 de l'article 5 de la directive qui dispose qu' « un élément isolé du corps humain ou autrement produit par un procédé technique, y compris la séquence ou la séquence partielle d'un gène, peut constituer des inventions brevetables ».
Les débats sur les articles 5 et 6 de la directive ont divisé les membres du gouvernement français et les parlementaires bien au-delà des clivages politiques traditionnels.
Aucune position définitive n'ayant été arrêtée - certains demandaient même une renégociation de l'article 5, comme l'ont souligné M. le rapporteur et M. Le Cam - et, le temps passant, la Cour de justice des communautés européennes a condamné la France en manquement, pour non-transposition complète de la directive. Le 5 octobre dernier, une procédure d'astreintes financières a été lancée.
Mais entre-temps, le Gouvernement français avait décidé, dans le cadre de la dernière loi relative à la bioéthique - la loi du 6 août 2004 - d'intégrer la problématique liée aux articles 5 et 6 de la directive.
Certains parlementaires ont néanmoins continué à stigmatiser les obstacles éthiques, politiques, techniques liés à l'un des points les plus « épineux » de la directive, à savoir la brevetabilité de la matière biologique, qui peut s'étendre à des éléments isolés du corps humain lorsque les conditions de brevet sont remplies.
A ce point du débat, je tiens à regretter, après M. Le Cam, la précipitation qui a présidé au dépôt d'un projet de loi aussi important et son inscription en catastrophe à l'ordre du jour du Sénat.
Dans l'urgence, donc, et en raison d'imminentes sanctions financières, le Gouvernement a déposé le projet de loi de Lionel Jospin, en faisant abstraction de la dernière loi relative à la bioéthique.
On peut regretter ce choix qui ne permet pas une grande lisibilité des différents points abordés. On peut aussi contester le fait que la partie la plus délicate de la transposition de la directive ait trouvé sa place dans un titre IV relatif à la protection juridique des inventions technologiques dans la loi relative à la bioéthique du 6 août 2004.
Cette directive, outre les aspects que j'évoquais plus haut, prévoit aussi des licences obligatoires pour concilier la non-brevetabilité des races animales et des variétés végétales avec la brevetabilité d'inventions portant sur des éléments d'origine animale ou végétale. Eu égard aux enjeux sous-tendus, nous pensions qu'elle méritait un examen plus approfondi. N'oublions pas la portée de ce texte sur l'avenir de la recherche à l'échelon européen, mais aussi mondial, et sur l'engagement financier des Etats européens qui y adhèrent !
Oui ou non, l'Europe sera-t-elle, demain, l'un des grands pôles d'investissement pour la recherche internationale ? Elle doit son retard actuel dans le secteur stratégique des biotechnologies à la non-transposition de cette directive par de trop nombreux pays qui, outre des aspects éthiques - qui sont respectables - souhaitaient aussi retarder un engagement financier lourd et durable dans le temps. Pour les seuls domaines médical et industriel, le marché potentiel mondial des biotechnologies à l'horizon 2010 a été évalué à plus de 2 000 milliards d'euros.
Nous adhérons au fait que ce texte s'inscrit dans un cadre éthique consolidé et qu'il peut ainsi aborder l'ère du post-séquençage du génome humain, c'est-à-dire l'exploitation des données des génomes, dans un climat plus serein, apaisé et riche de promesses pour l'avenir de tous. Je pense notamment aux domaines de la santé humaine, avec des applications thérapeutiques et de nouveaux médicaments issus de nouvelles molécules, de l'industrie, avec de nouveaux matériaux, de l'agriculture, même si l'exploitation des applications potentielles dépend et dépendra du cadre juridique fixé aux plantes génétiquement modifiées.
J'attends bien entendu avec beaucoup d'impatience le projet de loi qui devrait être soumis au Parlement, conformément aux déclarations du Président de la République.
J'approuve l'amendement déposé par M. le rapporteur concernant l'exception du sélectionneur et qui donne satisfaction au Groupement national interprofessionnel des semences, le GNIS. En qualité de parlementaire du Maine-et-Loire, vous comprendrez que je m'attache à l'importance que cela peut avoir pour un certain nombre d'industries semencières.
Grâce à ce projet de loi, une sécurité juridique accrue permettra aux scientifiques, mais aussi aux industriels européens, de bâtir une stratégie de propriété industrielle à plus long terme et donc d'investir toujours plus dans des technologies innovantes.
Au-delà de la protection de la propriété industrielle, qui est nécessaire pour cet engagement, permettez-moi de m'interroger sur la place qu'occupe la recherche dans notre pays et sur les fonds que l'Etat entend investir pour maintenir la France à une place honorable ou, mieux, être leader parmi les leaders.
Je vous rappelle, mes chers collègues, qu'à la fin de la semaine se tiendront, à Grenoble, les états généraux de la recherche. Je me tourne vers M. Pierre Laffitte, qui a beaucoup contribué aux travaux de l'office parlementaire dans ce domaine. Des enjeux fondamentaux vont se décider.
Permettez-moi de rappeler à cette occasion la formidable aventure du CERN, qui fête ce mois-ci ses cinquante ans d'existence.
Au sein du CERN, des savants français ont brillé par leurs connaissances et leur savoir aux côtés de leurs collègues européens. Ils ont cru en des projets très ambitieux pour l'époque et ont pu financer et faire financer un accélérateur de particules qu'aucun pays, à titre individuel, n'aurait pu engager et faire progresser financièrement dans le temps.
La France a donc des potentialités énormes dans le secteur de la recherche, mais aussi dans les domaines connexes de l'espace, avec Ariane ou Galileo, ou de l'aéronautique, avec Airbus. Je ne peux donc que m'indigner des propos martelés depuis maintenant deux ans selon lesquels la recherche est en crise.
Ce discours pessimiste a fini par convaincre que la recherche française était structurellement déficiente et inadaptée à la compétition spécifique internationale.
Si la recherche est en crise, c'est d'abord et avant tout parce qu'elle manque de moyens financiers et humains.
M. André Lejeune. C'est la vérité !
M. Daniel Raoul. Les crédits alloués pour le budget civil de recherche et développement pour 2004 étaient en baisse à structure constante puisque « la progression affichée » n'était pas équivalente à l'inflation estimée.
En outre, il convient de se remémorer l'engagement de M. Jacques Chirac de porter les dépenses de recherche à hauteur de 3% du PIB - objectif fixé par l'Union européenne à Lisbonne. Le Président de la République avait déclaré que : « l'engagement doit être historique et surclasser tout ce qui a été fait dans le passé - je pense à ce qui été injecté que ce soit au CEA, au CERN - pour créer une économie de la connaissance la plus compétitive du monde. Le montant des dépenses publiques et privées consacrées à la recherche et au développement devait être porté à 3% du PIB avant la fin de cette décennie. La France pourrait être alors, dès 2007, en tête des pays de l'Union européenne ».
Le décalage entre la baisse budgétaire enregistrée par la recherche dès 2003 et cette déclaration laisse un peu songeur !
Dans le projet de budget pour 2005 - nous y reviendrons - les perspectives ne sont pas optimistes, loin de là. La recherche française est sommée de se réformer, ce que je peux comprendre, à condition qu'on lui en donne les moyens. Le déblocage de 1 milliard d'euros est assorti de la «volonté d'instaurer, en contrepartie des efforts financiers dans ce domaine, une réforme du pilotage de la politique de la recherche ». Il n'y a pas, derrière cette affirmation, un grand dessein d'ambitions fortes pour la France, comparable à celui que nous avons connu après la Seconde Guerre mondiale.
Depuis deux ans, les crédits des laboratoires ont diminué d'une manière drastique, le renouvellement des personnels n'a pas été préparé.
Monsieur le ministre, le Gouvernement se doit de proposer une véritable politique de la recherche, sinon les états généraux de la recherche qui se tiendront les 28 et 29 octobre à Grenoble, et qui doivent inspirer le projet de loi d'orientation et de programmation promis par M. Jacques Chirac, risquent de décevoir des milliers de chercheurs.
En conclusion, et malgré ces dernières constatations, nous voterons la transposition complète de la directive de 1998, tout en affirmant notre extrême vigilance face aux évolutions des secteurs concernés et aux interrogations fondamentales qu'elles soulèvent en termes de responsabilité sociale et d'exigence éthique.
Comme je l'avais exprimé lors de l'examen par l'Office parlementaire d'évaluation des choix scientifiques et technologiques du rapport d'Alain Claeys sur les conséquences des modes d'appropriation du vivant sur les plans économique, juridique et éthique, je me fais, à titre personnel, le porte-parole de nombreux chercheurs, des chercheurs cliniques en particulier, qui demandent au législateur d'être plus « offensif » sur les possibilités qui leur sont données de s'engager sur la voie de la thérapie génique. Pour ma part, je considère que, compte tenu des connaissances dont nous disposons, nous sommes à la limite de la non-assistance à personnes en danger.
Mes chers collègues, le groupe socialiste votera donc le projet de loi relatif à la protection des inventions biotechnologiques visant à la transposition de la directive européenne concernée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre délégué.
M. Christian Jacob, ministre délégué. Mesdames, messieurs les sénateurs, nous aurons l'occasion, au cours de l'examen des articles, de revenir sur les différents aspects qui ont été abordés.
Je tiens cependant à d'ores et déjà vous confirmer, monsieur le rapporteur, que le Gouvernement présentera effectivement un projet de loi relatif aux OGM, comme l'a annoncé le Président de la République il y a quelques jours.
J'ai bien noté vos différentes remarques, notamment sur le protocole de Londres et sur la nécessité de limiter ou de diminuer les coûts du brevet européen ; nous y reviendrons dans la suite de la discussion.
Je partage tout à fait votre volonté de faire valoir l'exception du sélectionneur-obtenteur pour une meilleure vulgarisation de la science, dans le respect des droits du brevet, et l'amendement que vous avez présenté en ce sens, au nom de la commission, correspond tout à fait à la volonté du Gouvernement.
Monsieur Soulage, je partage votre volonté de mener des actions en faveur des biotechnologies. Je rappelle qu'un groupe de travail sur les industries de la santé a été mis en place auprès du Premier ministre et que, par ailleurs, les entreprises de biotechnologies bénéficieront d'un soutien à l'innovation. Vous aurez, mesdames, messieurs les sénateurs, l'occasion de revenir sur ce point lors de l'examen du projet de loi de finances.
Quant aux pôles de compétitivité, vous savez qu'ils ont été mis en place à l'occasion du dernier CIADT, le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, qu'a présidé le Premier ministre.
Monsieur Le Cam, les agriculteurs, notamment les petits agriculteurs, ont besoin plus que d'autres encore que la recherche se développe, et lorsque l'on favorise les mesures d'exception de l'obtenteur, ils en bénéficient largement. Sans la recherche, nous en serions encore, pour prendre l'exemple des céréales, à des variétés comme le Capelle ou l'Etoile de Choisy, variétés qui se cultivaient il y a quarante ans et qui n'ont pas les qualités panifiables ni les qualités de rendement de celles dont nous disposons aujourd'hui.
Il ne faut donc surtout pas, de mon point de vue, opposer recherche et agriculture. Au contraire, tout cela va dans le sens de l'intérêt général, dans le sens du développement d'une recherche qui corresponde à l'attente des consommateurs comme à l'attente du marché.
Monsieur Laffitte, je vous remercie de votre approche générale du sujet. Vous avez souligné la nécessité de conforter notre politique en matière de développement technologique et de recherche. Comme vous, je pense que la transposition de la directive à laquelle va procéder le Sénat ce matin va nous permettre d'apporter un cadre juridique mieux approprié au secteur de la recherche en biotechnologies.
Monsieur Raoul, enfin, je vous remercie du soutien que vous apportez à ce projet de loi, qui est effectivement consensuel. Vous nous avez dans un premier temps reproché de reprendre un projet du gouvernement précédent,...
M. Daniel Raoul. Je n'ai jamais formulé un tel reproche ! Pour une fois que vous faites une bonne action ! (Rires.)
M. Christian Jacob, ministre délégué. Je vous remercie de nous en savoir gré, et j'y suis sensible ! Car notre intérêt commun est que nous avancions dans le même sens.
Tels sont, monsieur le président, les points que je souhaitais rappeler avant que ne s'ouvre la discussion des articles.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ? ...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
TITRE IER
DISPOSITIONS RELATIVES À LA TRANSPOSITION DE LA DIRECTIVE 98/44/CE DU PARLEMENT EUROPEEN ET DU CONSEIL DU 6 JUILLET 1998
Article 1er
L'article L. 611-10 du code de la propriété intellectuelle est complété par un 4. ainsi rédigé :
« 4. Sous réserve des dispositions des articles L. 611-17 et L. 611-18, sont brevetables aux conditions prévues au 1. les inventions portant sur un produit constitué en totalité ou en partie de matière biologique, ou sur un procédé permettant de produire, de traiter ou d'utiliser de la matière biologique.
« Est regardée comme matière biologique la matière qui contient des informations génétiques et se reproduit ou peut être reproduite dans un système biologique. »
M. le président. L'amendement n° 1, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour le 4. de l'article L. 611-10 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :
des articles L. 611-17 et L. 611-18
par les mots :
des articles L. 611-17, L. 611-18 et L. 611-19
L'amendement n° 2, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans le second alinéa du texte proposé par cet article pour le 4. de l'article L. 611-10 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots:
se reproduit ou peut
par les mots:
peut se reproduire ou
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. C'est sous réserve des articles L. 611-17 et L. 611-18 que les inventions biotechnologiques sont rendues brevetables dans le projet de loi. Or la loi d'août 2004 relative à la bioéthique a réaménagé le code de la propriété intellectuelle, ce qui oblige à revoir la référence aux articles L. 611-17 et L. 611-18.
L'objet de l'amendement n° 1, de coordination avec la loi relative à la bioéthique, est donc de soumettre la brevetabilité de la matière biologique aux réserves qui vont désormais figurer aux articles L. 611-17, L. 611-18 et L. 611-19 du code de la propriété intellectuelle.
L'amendement n° 2 vise quant à lui à assurer la transposition la plus fidèle possible de la directive, afin d'éviter toute insécurité juridique.
La définition de la matière biologique vise, dans la directive, la matière « autoreproductible ou reproductible ». S'il n'est pas souhaitable d'introduire ces néologismes en droit national, il convient cependant de veiller à garder leur sens dans la rédaction française. C'est pourquoi la notion de capacité de reproduction - spontanée ou non - doit être mise en avant. Cet amendement a donc pour objet de mettre le verbe « peut » en facteur commun des deux modes de reproduction de la matière biologique : spontanée ou provoquée.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 1.
M. le président. Je mets aux voix l'article 1er, modifié.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
Les paragraphes b et c de l'article L. 611-17 du même code sont abrogés.
M. le président. L'amendement n° 3, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Supprimer cet article.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Il s'agit d'un amendement de cohérence.
Comme le prévoyait l'article 2, l'article 17 de la loi relative à la bioéthique a isolé, dans l'article L. 611-17 rédigé sous une nouvelle forme, la non-brevetabilité pour contrariété avec l'ordre public et les bonnes moeurs, ce qui rend caduc l'article 2. C'est pourquoi cet amendement en propose la suppression.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'article 2 est supprimé.
Article 3
Il est inséré, après l'article L. 611-17 du même code, l'article L. 611-18 ainsi rédigé :
« Art. L. 611-18 - 1° Ne sont pas brevetables :
« a) Les races animales ;
« b) Les variétés végétales telles que définies à l'article 5 du règlement (CE) n° 2100/94 du 27 juillet 1994 ;
« c) Les procédés essentiellement biologiques pour l'obtention des végétaux et des animaux : sont considérés comme tels les procédés qui font exclusivement appel à des phénomènes naturels comme le croisement ou la sélection ;
« d) Les procédés de modification de l'identité génétique des animaux de nature à provoquer chez eux des souffrances sans utilité médicale substantielle pour l'homme ou l'animal, ainsi que les animaux issus de tels procédés.
« 2° Nonobstant les dispositions du 1°, les inventions portant sur des végétaux ou des animaux sont brevetables si l'application de l'invention n'est pas limitée à une variété végétale ou à une race animale déterminées.
« 3° Les dispositions du c) du 1° n'affectent pas la brevetabilité d'inventions ayant pour objet des procédés techniques notamment un procédé microbiologique, ou un produit obtenu par ces procédés ; est regardé comme un procédé microbiologique tout procédé utilisant ou produisant une matière biologique ou comportant une intervention sur une telle matière. »
M. le président. L'amendement n° 4, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
I. Rédiger comme suit le premier alinéa de cet article :
Les articles L. 611-19 et L. 611-20 du même code sont remplacés par un article L. 611-19 ainsi rédigé :
II. En conséquence, au début du deuxième alinéa de cet article, remplacer la référence :
Art. L. 611-18
par la référence :
Art. L. 611-19
L'amendement n° 5, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans l'avant-dernier alinéa (2°) du texte proposé par cet article pour l'article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :
l'application de l'invention
par les mots :
la faisabilité technique de l'invention
L'amendement n° 6, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
A. Dans le premier membre de phrase du dernier alinéa (3°) du texte proposé par cet article pour l'article L. 611-18 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :
des procédés techniques notamment un procédé microbiologique
par les mots :
un procédé technique, notamment microbiologique,
B. En conséquence, à la fin du même membre de phrase, remplacer les mots :
obtenu par ces procédés
par les mots :
obtenu par un tel procédé
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. L'amendement n° 4 est de cohérence.
La loi relative à la bioéthique a déjà créé un article L. 611-18 consacré à la brevetabilité du corps humain et de ses éléments. De surcroît, elle a dédié un nouvel article L. 611-19 à la question de la brevetabilité en matière animale et un nouvel article L. 611-20 à celle de la brevetabilité en matière végétale.
Ces deux nouveaux articles méritent toutefois d'être revus : d'une part, ils ont été élaborés à droit constant, puisqu'ils reproduisent les dispositions figurant antérieurement aux b et c de l'ancien article L. 611-17 du code, et, de ce fait, n'opèrent pas de transposition complète de la directive 98/44/CE ; d'autre part, il paraît difficile, voire impossible, de ne pas les fusionner en un seul article, dans la mesure où l'animal et le végétal font l'objet de dispositions juridiques communes.
C'est pourquoi, à la place de l'insertion prévue d'un article L. 611-18, ce numéro étant désormais celui d'un article consacré à l'humain, cet amendement de cohérence tend au remplacement des articles L. 611-19 et L. 611-20 par un seul et nouvel article L. 611-19.
L'amendement n° 5 est également un amendement de cohérence avec la directive communautaire. En effet, le présent projet de loi retient comme condition de brevetabilité le fait que l'« application » de l'invention déborde une seule variété végétale ou une seule race animale, alors que la directive vise la « faisabilité technique ». Le texte communautaire pose ainsi une condition relative au procédé, à la façon de faire, alors que le texte national lie la brevetabilité au champ d'application, en aval du procédé.
Si le texte national impose que l'application de l'invention, plutôt que sa seule faisabilité, ne se limite pas à une seule variété ou race, il devient sans doute plus exigeant. Aussi, afin d'éviter tout conflit d'interprétation sur ce point précis entre le texte national et le texte communautaire, cet amendement vise à revenir à la rédaction communautaire.
Enfin, l'amendement n° 6 est purement rédactionnel.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 3, modifié.
(L'article 3 est adopté.)
Article 4
Le deuxième alinéa de l'article L. 612-5 du même code est remplacé par les dispositions suivantes :
« Lorsque la description d'une invention impliquant une matière biologique à laquelle le public n'a pas accès ne permet pas à l'homme du métier d'exécuter l'invention, cette description n'est jugée suffisante que si la matière biologique a fait l'objet d'un dépôt auprès d'un organisme habilité. Les conditions d'accès du public à ce dépôt sont fixées par décret en Conseil d'État. »
M. le président. L'amendement n° 7, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Au début du texte proposé par cet article pour le deuxième alinéa de l'article L. 612-5 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots:
Lorsque la description d'une invention impliquant une matière biologique à laquelle le public n'a pas accès ne permet pas à l'homme du métier d'exécuter l'invention, cette
par les mots:
Lorsqu'une invention impliquant une matière biologique à laquelle le public n'a pas accès ne peut être décrite de manière à permettre à l'homme du métier d'exécuter cette invention, sa
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Le champ des inventions soumises à obligation de dépôt est légèrement plus large dans le texte de droit national que dans le texte communautaire. En effet, celui-ci vise toute invention ne pouvant être décrite de manière à permettre à un homme du métier de la réaliser, alors que le présent article vise toute invention dont la description ne permet pas à un homme de métier de la reproduire. La rédaction proposée dans le présent article inclut donc les inventions ne pouvant, par nature, être précisément décrites - comme le prévoit la directive -, mais également les inventions qui auraient pu être précisément décrites mais ne l'ont pas été.
C'est pourquoi l'amendement n° 7 vise à aligner strictement le texte national sur le texte communautaire en visant les inventions « ne pouvant être décrites afin de permettre à l'homme de métier de les reproduire ».
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 4, modifié.
(L'article 4 est adopté.)
Article 5
L'article L. 612-12 du même code est ainsi modifié :
I. - Le 4° est remplacé par les dispositions suivantes :
« 4° Qui a pour objet une invention manifestement non brevetable en application des articles L. 611-17 et L. 611-18 ; ».
II. - Le dernier alinéa est remplacé par les dispositions suivantes :
« En cas de non-conformité partielle de la demande aux dispositions des articles L. 611-17 et L. 611-18 ou L. 612-1, il est procédé d'office à la suppression des parties correspondantes de la description et des dessins. »
M. le président. L'amendement n° 8, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
A la fin du texte proposé par le I de cet article pour le 4° de l'article L. 612-12 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :
des articles L. 611-17 et L. 611-18
par les mots :
des articles L. 611-17, L. 611-18 et L. 611-19
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Le I de l'article 5 vise à substituer à l'ancien renvoi à l'article L. 611-17 un renvoi aux articles L. 611-17 et L. 611-18 du code, la création de ce dernier article étant prévue à l'article 3 du présent texte.
Or, en raison de l'adoption de la loi relative à la bioéthique d'août dernier, qui a créé un autre article L. 611-18, et de la fusion prévue en un article L. 611-19 des deux articles L. 611-19 et L. 611-20, créés dans la loi relative à la bioéthique, la non-brevetabilité repose désormais sur trois articles du code, les articles L. 611-17, L. 611-18 et L. 611-19.
C'est pourquoi cet amendement de coordination prévoit de remplacer la référence aux articles L. 611-17 et L. 611-18 envisagée dans le présent article par une référence aux articles L. 611-17 à L. 611-19.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 5, modifié.
(L'article 5 est adopté.)
Article 6
Il est inséré, après l'article L. 613-2 du même code, les articles L. 613-2-1, L. 613-2-2, L. 613-2-3 et L. 613-2-4 ainsi rédigés :
« Art. L. 613-2-1. - La portée d'une revendication couvrant une séquence génique est limitée à la partie de cette séquence directement liée à la fonction spécifique concrètement exposée dans la description.
« Art. L. 613-2-2. - Sous réserve des dispositions de l'article L. 613-2-1, la protection conférée par un brevet à un produit contenant une information génétique ou consistant en une information génétique s'étend à toute matière dans laquelle le produit est incorporé et dans laquelle l'information génétique est contenue et exerce sa fonction ou procure son résultat technique.
« Art. L. 613-2-3. - La protection conférée par un brevet relatif à une matière biologique dotée, du fait de l'invention, de propriétés déterminées s'étend à toute matière biologique obtenue à partir de cette matière biologique par reproduction ou multiplication et dotée de ces mêmes propriétés.
« La protection conférée par un brevet relatif à un procédé permettant de produire une matière biologique dotée, du fait de l'invention, de propriétés déterminées s'étend à la matière biologique directement obtenue par ce procédé et à toute autre matière biologique obtenue, à partir de cette dernière, par reproduction ou multiplication et dotée de ces mêmes propriétés.
« Art. L. 613-2-4. - La protection visée aux articles L. 613-2-2 et L. 613-2-3 ne s'étend pas à la matière biologique obtenue par reproduction ou multiplication d'une matière biologique mise sur le marché sur le territoire d'un État membre de la Communauté européenne ou d'un Etat partie à l'accord sur l'Espace économique européen par le titulaire du brevet ou avec son consentement, lorsque la reproduction ou la multiplication résulte nécessairement de l'utilisation pour laquelle la matière biologique a été mise sur le marché, dès lors que la matière obtenue n'est pas utilisée ensuite pour d'autres reproductions ou multiplications. »
M. le président. L'amendement n° 9, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Remplacer les deux premiers alinéas de cet article par un alinéa ainsi rédigé :
Il est inséré, après l'article L. 613-2-1 du même code, les articles L. 613-2-2, L. 613-2-3 et L. 613-2-4 ainsi rédigés :
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. L'article 17 de la loi relative à la bioéthique a d'ores et déjà introduit l'article L. 613-2-1 dans le code en des termes identiques à ceux qui sont prévus dans le projet de loi et l'a même complété par des dispositions apportant des garanties importantes sur le maintien de l'accès au vivant sous brevet.
En conséquence, puisque cette insertion dans le code a déjà été opérée, cet amendement de cohérence vise à la supprimer dans le présent texte.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. L'amendement n° 10, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par cet article pour l'article L. 613-2-2 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :
de l'article L. 613-2-1
par les mots :
des articles L. 613-2-1 et L. 611-18
L'amendement n° 11, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par cet article pour l'article L. 613-2-2 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots:
sa fonction
par les mots:
la fonction indiquée
L'amendement n° 12, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans le texte proposé par cet article pour l'article L. 613-2-2 du code de la propriété intellectuelle, supprimer les mots :
ou procure son résultat technique
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. L'amendement n° 10 est encore un amendement de cohérence visant à une meilleure conformité du texte national à la directive.
Le projet de loi prévoit de soumettre l'extension de protection par brevet aux dispositions de l'article L. 613-2-1, lequel circonscrit la portée d'une revendication couvrant une séquence génique. Or la directive soumet cette extension aux dispositions de son article 5, paragraphe 1, qui consacre la non-brevetabilité du corps humain et de la découverte de ses éléments - y compris les gènes - et dont la transposition a été effectuée à l'article L. 611-18 par la loi relative à la bioéthique.
Cet amendement tend donc à compléter la référence prévue à l'article L. 613-2-1 par une référence à l'article L. 611-18, ces deux articles pouvant conjointement se lire comme la transposition du point 1 de l'article 5 de la directive : tout détenteur de brevet sur une séquence génique humaine se trouve ainsi empêché d'interdire l'exploitation commerciale de toute matière incorporant une portion de cette séquence génétique si elle n'y exerce pas sa fonction brevetée.
L'amendement n° 11 est un amendement de précision. En effet, il n'est pas possible de laisser subsister une rédaction qui laisserait penser qu'à chaque gène correspond une fonction, et une seule.
Cet amendement tend donc à préciser que la fonction que doit exercer le gène dans la matière protégée est celle qui est indiquée dans la demande de brevet et non une autre.
L'amendement n° 12 est un amendement de suppression visant à mieux mettre en conformité ce texte avec la directive.
Aux termes du projet de loi, pour bénéficier de l'extension de la protection du brevet, la matière doit contenir l'information génétique et cette information doit exercer sa fonction ou alors, ce qui représente un ajout par rapport à la directive, procurer son résultat technique. Cet ajout ne se justifie pas : cet amendement en prévoit donc la suppression.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 6, modifié.
(L'article 6 est adopté.)
Article 7
Il est inséré, après l'article L. 613-5 du même code, les articles L. 613-5-1 et L. 613-5-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 613-5-1. - Par dérogation aux dispositions des articles L. 613-2-2 et L. 613-2-3, la vente ou tout autre acte de commercialisation de matériel de reproduction végétal par le titulaire du brevet, ou avec son consentement, à un agriculteur à des fins d'exploitation agricole implique pour celui-ci l'autorisation d'utiliser le produit de sa récolte pour la reproduction ou la multiplication par lui-même sur sa propre exploitation.
« Les conditions de cette utilisation sont celles qui sont prévues par l'article 14 du règlement (CE) n° 2100/94 du 27 juillet 1994.
« Art. L. 613-5-2. - Par dérogation aux dispositions des articles L. 613-2-2 et L. 613-2-3, la vente ou tout autre acte de commercialisation d'animaux d'élevage ou d'un matériel de reproduction animal par le titulaire du brevet, ou avec son consentement, à un agriculteur implique pour celui-ci l'autorisation d'utiliser, le cas échéant moyennant rémunération, le bétail protégé pour un usage agricole. Cette autorisation emporte la mise à disposition de l'animal ou du matériel de reproduction animal pour la poursuite de son activité agricole, mais exclut la vente dans le cadre d'une activité commerciale de reproduction. »
M. le président. L'amendement n° 13, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
A. Après le texte proposé par cet article pour l'article L. 613-5-2 du code de la propriété intellectuelle, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
« Art. L. 613-5-3.- Les droits conférés par les articles L. 613-2-2 et L. 613-2-3 ne s'étendent pas aux actes accomplis en vue de créer ou de découvrir et de développer d'autres variétés végétales. »
B. En conséquence, rédiger comme suit le premier alinéa de cet article :
Il est inséré, après l'article L. 613-5 du même code, les articles L. 613-5-1, L. 613-5-2 et L. 613-5-3 ainsi rédigés :
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Cet amendement est le plus important : il s'agit de l'exception du sélectionneur.
Il tend à introduire, pour des raisons d'harmonisation entre le droit des brevets et le droit des obtentions végétales, mais aussi pour assurer la survie des entreprises semencières européennes, l'exception du sélectionneur. Celle-ci permet d'utiliser librement les variétés végétales protégées par un titre de propriété intellectuelle à des fins de création variétale.
Le droit européen des brevets organise une dérogation par rapport à la protection du brevet, mais cette dérogation vise exclusivement les actes accomplis à titre expérimental. On retrouve cette disposition appelée « exemption de recherche » en droit national, à l'article L. 613-5 du code de la propriété intellectuelle. Elle permet d'utiliser l'invention brevetée à des fins de recherche, ce qui évite de paralyser l'innovation. Le brevet continue ainsi de promouvoir le progrès scientifique.
Le droit des obtentions végétales organise également une dérogation similaire par rapport à la protection apportée par le certificat d'obtention végétale. Cette dérogation figure dans la convention internationale pour la protection des obtentions végétales et permet d'effectuer librement des actes à titre expérimental, mais aussi afin de créer ou de découvrir et de développer d'autres variétés végétales.
La portée de l'exemption de recherche en matière de brevets reste incertaine et la jurisprudence a pu l'interpréter plus ou moins strictement.
Or, lorsqu'une variété végétale est protégée par un certificat d'obtention végétale du fait qu'elle est distincte, homogène et stable, elle peut également bénéficier d'une protection par brevet si elle incorpore un gène servant de support à une invention qui a été brevetée en raison de sa nouveauté, de son caractère inventif et de son applicabilité industrielle.
Chacun des deux droits de propriété intellectuelle doit pouvoir s'exercer pleinement sur une telle variété génétique. Il est important, notamment, que le travail du sélectionneur à partir de cette variété puisse s'effectuer aussi librement que le prévoit la convention protégeant les obtentions végétales et ne nécessite pas une licence du détenteur de brevet.
Certains ont pu s'inquiéter du fait que la protection du brevet pourrait empêcher l'exercice du privilège du sélectionneur.
Afin de lever ces inquiétudes et pour assurer que les droits conférés par le brevet n'empêcheront pas d'exercer les droits attachés au certificat d'obtention végétale, cet amendement prévoit, par sécurité, d'insérer une exemption du sélectionneur dans le droit des brevets relatifs aux inventions végétales. Il s'agit d'une mesure favorisant une coexistence équilibrée entre le brevet et le certificat d'obtention végétale. Elle est seule à même de permettre aux petites et moyennes entreprises semencières européennes de survivre ; elle seule peut autoriser la France à garder l'ambition de rester dans les tout premiers pays semenciers. L'indépendance alimentaire de notre continent est en jeu.
Cette mesure préserve totalement le droit qui s'attache au brevet comme au certificat d'obtention végétale pour ce qui est de la commercialisation d'une variété dérivée de la première. Une telle commercialisation nécessite l'accord du détenteur du droit de propriété intellectuelle et ne peut se faire que moyennant le paiement d'une redevance.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Christian Jacob, ministre délégué. L'amendement n° 13 tend à concilier le droit des brevets et celui des obtentions végétales, pour répondre à un enjeu économique qui appelle toute notre attention et qui concerne l'ensemble de la filière semencière.
Je rappelle que les variétés végétales font actuellement l'objet d'une protection sous la forme d'un certificat d'obtention végétale, un COV. Elles peuvent également être couvertes par un brevet lorsqu'elles incorporent un gène qui sert de support à une invention qui a été brevetée, en raison de sa nouveauté, de son caractère inventif ou de son application industrielle.
Le droit des obtentions végétales prévoit deux types d'exceptions à la protection.
D'une part, une exception permet aux agriculteurs d'utiliser sur leur exploitation et pour leurs besoins une partie de leur récolte à des fins de reproduction ou de multiplication. C'est le « privilège de l'agriculteur », qui autorise, sous certaines conditions, l'utilisation des semences de ferme.
D'autre part, une exception limite le droit de l'obtenteur pour les actes accomplis aux fins de création de nouvelles variétés. C'est le « privilège du sélectionneur », qui permet d'utiliser tout le matériel génétique des variétés végétales protégées aux fins de travaux de sélection.
Cette double exception figure à la fois dans la convention internationale pour la protection des obtentions végétales, dite convention « UPOV », et dans le règlement (CE) 2100/94 pour les certificats d'obtention végétale communautaires.
La directive que nous transposons aujourd'hui a bien prévu le privilège de l'agriculteur mais pas celui du sélectionneur. Elle ne l'a pas non plus formellement prohibé. Mais il y a là une question de cohérence entre les deux textes communautaires qui mériterait d'être clarifiée.
Cependant, je dois indiquer que, en droit des brevets, une dérogation, codifiée à l'article L. 613-5 du code de la propriété intellectuelle, est d'ores et déjà prévue pour les actes accomplis à titre expérimental. Couramment dénommée « exemption pour la recherche », elle permet d'utiliser l'invention brevetée à des fins de recherche.
Il est admis que cette exemption entre dans le cadre de l'article 30 de l'accord ADPIC qui autorise « des exceptions limitées aux droits exclusifs conférés par un brevet, à condition que celles-ci ne portent pas atteinte de manière injustifiée à l'exploitation normale du brevet, ni ne causent un préjudice injustifié aux intérêts légitimes du titulaire du brevet. »
Elle est reconnue par nos partenaires européens mais a une portée différente selon les Etats. A ce jour, elle n'a, en effet, pas donné lieu à une harmonisation sur le plan communautaire.
Nous devons naturellement être très attentifs à une transposition exacte de la directive. La navette nous permettra de réfléchir à sa portée exacte sur les questions dont nous débattons en ce moment pour infléchir, si nécessaire, le projet qui vous est soumis.
Mais je crois pouvoir dire que la directive n'affecte pas cette exemption pour la recherche qui, dans le cadre du droit des brevets, doit permettre de répondre, au moins en partie, aux légitimes préoccupations exprimées par votre commission.
Reste néanmoins posée la question du champ exact d'application de l'exemption pour la recherche, pour laquelle nous ne disposons que d'une jurisprudence limitée.
L'amendement de la commission peut donc permettre de lever cette interrogation dans le cas qui nous intéresse en visant sans ambiguïté les « actes accomplis en vue de créer ou de découvrir et de développer d'autres variétés végétales. »
Il aboutirait à retenir en droit français une solution identique à celle qui est envisagée dans le projet de loi allemand, lequel tend également à régler la portée juridique de l'exception pour la recherche à l'égard de la création, de la découverte et du développement d'une nouvelle variété végétale.
Avec cet amendement, il est important de le souligner, le droit qui s'attache au brevet comme au COV serait préservé pour ce qui est de la commercialisation, laquelle impliquerait l'accord du détenteur du droit de propriété intellectuelle et ne pourrait se faire que sous réserve du paiement d'une redevance.
C'est pourquoi, sous le bénéfice de l'ensemble de ces observations, le Gouvernement émet un avis favorable sur l'amendement n° 13 et remercie la commission de sa contribution.
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam, pour explication de vote.
M. Gérard Le Cam. Cet amendement comporte certes des aspects positifs, mais pour l'instant je m'abstiendrai. Je serai peut-être amené à revoir ma position en deuxième lecture, si certains éclaircissements nous sont apportés.
Ce que je voudrais répondre aux propos qu'a tenus M. le ministre tout à l'heure, c'est que nous sommes favorables à la recherche ; nous ne sommes pas des obscurantistes !
Ce que nous n'apprécions pas, c'est que ces recherches soient souvent guidées par des préoccupations pécuniaires, des tentatives de domination de pays à pays. Nous préfèrerions que l'avenir de l'espèce humaine constitue la première préoccupation de ces grands groupes pour lutter, notamment, contre la famine.
Il existe de nombreux cas où le retour aux espèces originales est nécessaire ; je pense, par exemple à la pomme de terre en Amérique du Sud. Le monopole sur les semences de riz, notamment, pourrait engendrer demain de véritables catastrophes dans certains grands pays très peuplés.
Si l'on pousse à leur terme les finalités du monde de la recherche, en tout cas de certains grands monopoles, on pourrait arriver à cette situation où un seul pays du globe pourrait pratiquement nourrir tous les autres, à condition qu'il n'y ait pas de problème climatique majeur, sinon cela provoquerait une catastrophe mondiale.
Au regard de tous ces doutes sur la philanthropie des grands groupes semenciers, je préfère m'abstenir.
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul, pour explication de vote.
M. Daniel Raoul. Il s'agit sans doute de l'amendement le plus important que nous ayons à examiner et j'y suis très favorable. Son enjeu est considérable, puisqu'il évite toute interprétation de la directive 98/44/CE et permet à l'ensemble des semenciers français, qui sont leaders à l'échelon européen, de bénéficier de protections en matière de développement et d'innovation.
Je voterai donc cet amendement, et je tiens à dire que si M. le rapporteur ne l'avait pas déposé, je l'aurais fait moi-même.
M. le président. Je mets aux voix l'article 7, modifié.
(L'article 7 est adopté.)
Article 8
Il est inséré, après l'article L. 613-15 du même code un article L. 613-15-1 ainsi rédigé :
« Art. L. 613-15-1. - Lorsqu'un brevet fait obstacle à l'obtention ou à l'exploitation d'un droit sur une variété végétale, la concession d'une licence de ce brevet peut être demandée dans la mesure où cette licence est nécessaire pour l'exploitation de la variété végétale à protéger et pour autant que la variété constitue à l'égard de ce brevet un progrès technique important et présente un intérêt économique certain.
« Lorsqu'une telle licence est accordée, le titulaire du brevet obtient à des conditions équitables, sur demande présentée au tribunal, la concession d'une licence réciproque pour utiliser la variété protégée.
« Les dispositions des articles L. 613-12 à L. 613-14 sont applicables. »
M. le président. L'amendement n° 14, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Au début du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 613-15-1 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :
Lorsqu'un brevet fait obstacle à l'obtention ou à l'exploitation d'un droit sur une variété végétale, la concession d'une licence de ce brevet peut être demandée
par les mots :
Lorsqu'un obtenteur ne peut obtenir ou exploiter un droit d'obtention végétale sans porter atteinte à un brevet antérieur, il peut demander la concession d'une licence de ce brevet
L'amendement n° 15, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans le premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 613-15-1 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :
à l'égard de ce brevet
par les mots :
à l'égard de l'invention revendiquée dans ce brevet
L'amendement n° 16, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
A la fin du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 613-15-1 du code de la propriété intellectuelle, remplacer le mot :
certain
par le mot :
considérable
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. La rédaction proposée par le projet de loi laisse croire qu'un brevet est susceptible de faire obstacle à l'obtention d'un droit sur une variété végétale, alors que l'octroi d'un tel droit sera toujours conditionné par la satisfaction des trois critères habituels, à savoir distinction, homogénéité et stabilité de la variété. Jamais un brevet ne pourra faire obstacle à l'octroi de ce droit.
L'amendement n° 14 prévoit une nouvelle formulation, directement inspirée de l'article 12 de la directive communautaire, afin de viser clairement le cas où l'obtention d'un droit sur une variété peut porter atteinte à un brevet antérieur. Ce cas correspond à la demande de protection d'une variété incluant un gène protégé par brevet.
L'amendement n° 15 est un amendement rédactionnel. Le progrès technique et l'intérêt économique ne sauraient s'apprécier entre un titre de propriété, à savoir le brevet, et une variété végétale. Ils ne peuvent s'apprécier qu'entre l'invention, protégée par ledit brevet et cette variété.
J'en viens à l'amendement n° 16, qui permet une meilleure cohérence par rapport au texte de la directive.
Cet article vise l'octroi de licences obligatoires en cas de dépendance d'une obtention végétale à l'égard d'un brevet. Il dispose que, si l'obtention ou l'exploitation d'un droit sur une variété végétale est empêchée par un brevet, peut être demandée la concession d'une licence de ce brevet, à deux conditions cumulatives : que cette licence soit nécessaire pour l'exploitation de la variété végétale à protéger et que la variété constitue à l'égard de ce brevet un progrès technique important et présente un intérêt économique certain.
L'intérêt économique doit être « certain » selon le texte national, alors que le texte communautaire, directement inspiré des accords ADPIC de l'Organisation mondiale du commerce, exige qu'il soit « considérable ». Une exacte conformité à la directive impose de rétablir l'adjectif « considérable ». C'est l'objet de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 8, modifié.
(L'article 8 est adopté.)
Article 9
Il est inséré, après l'article L. 623-22 du même code, les articles L. 623-22-1 et L. 623-22-2 ainsi rédigés :
« Art. L. 623-22-1. - Lorsqu'un droit d'obtention végétale fait obstacle à l'exploitation d'un brevet portant sur une invention biotechnologique, le titulaire du brevet peut demander la concession d'une licence pour l'exploitation de la variété protégée par le droit d'obtention, dans la mesure où cette licence est nécessaire à l'exploitation du brevet et pour autant que cette invention constitue à l'égard de la variété végétale un progrès technique important et présente un intérêt économique certain. Le demandeur doit justifier qu'il n'a pu obtenir du titulaire du droit d'obtention une licence d'exploitation et qu'il est en état d'exploiter la variété de manière effective et sérieuse.
« Art. L. 623-22-2. - La demande de licence prévue à l'article L. 623-22-1 est formée auprès du tribunal de grande instance.
« La licence est non exclusive. Le tribunal détermine notamment sa durée, son champ d'application et le montant des redevances auxquelles elle donne lieu. Ces conditions peuvent être modifiées par décision du tribunal, à la demande du titulaire du droit ou de la licence.
« Les droits attachés à cette licence ne peuvent être transmis qu'avec l'entreprise ou la partie de l'entreprise ou le fonds de commerce auquel ils sont attachés.
« Lorsqu'une telle licence est accordée, le titulaire du droit d'obtention obtient à des conditions équitables, sur demande présentée au tribunal, la concession d'une licence réciproque pour utiliser l'invention protégée.
« Si le titulaire d'une licence ne satisfait pas aux conditions auxquelles cette licence a été accordée, le titulaire du certificat d'obtention végétale et, le cas échéant, les autres licenciés peuvent obtenir du tribunal le retrait de cette licence. »
M. le président. L'amendement n° 17, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Au début de la première phrase du texte proposé par cet article pour l'article L. 623-22-1 du code de la propriété intellectuelle, remplacer les mots :
Lorsqu'un droit d'obtention végétale fait obstacle à l'exploitation d'un brevet portant sur une invention biotechnologique, le titulaire du brevet
par les mots :
Lorsque le titulaire d'un brevet portant sur une invention biotechnologique ne peut exploiter celle-ci sans porter atteinte à un droit d'obtention végétale antérieur, il
L'amendement n° 18, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Dans la première phrase du texte proposé par cet article pour l'article L. 623-22-1 du code de la propriété intellectuelle, supprimer les mots :
dans la mesure où cette licence est nécessaire à l'exploitation du brevet et
L'amendement n° 19, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
A la fin de la première phrase du premier alinéa du texte proposé par cet article pour l'article L. 623-22-1 du code de la propriété intellectuelle, remplacer le mot :
certain
par le mot :
considérable
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. L'amendement n° 17 est un amendement rédactionnel visant à rendre symétriques et conformes à la directive la rédaction des dispositions relatives aux cas de dépendance d'un droit d'obtention végétal à l'égard d'un brevet et celle des dispositions relatives aux cas de dépendance inverses.
L'amendement n° 18 est également rédactionnel. Il n'est pas utile d'exiger que la licence demandée au titulaire du droit d'obtention végétale soit nécessaire à l'exploitation du brevet, puisque le cas visé est justement celui dans lequel un droit d'obtention végétale fait obstacle à l'exploitation d'un brevet.
Enfin, l'amendement n° 19 a le même objet que l'amendement n° 14. Il s'agit ici de l'octroi de licences obligatoires en cas de dépendance d'un brevet à l'égard d'une obtention végétale.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'article 9, modifié.
(L'article 9 est adopté.)
Titre II
DISPOSITIONS RELATIVES AU RENFORCEMENT DES LICENCES OBLIGATOIRES ET DES LICENCES D'OFFICE
Article 10
L'article L. 613-15 du même code est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. L. 613-15. - Lorsque le titulaire d'un brevet ne peut l'exploiter sans porter atteinte à un brevet antérieur dont un tiers est titulaire, le tribunal de grande instance peut lui accorder une licence d'exploitation du brevet antérieur dans la mesure nécessaire à l'exploitation du brevet dont il est titulaire et pour autant que cette invention constitue à l'égard du brevet antérieur un progrès technique important et présente un intérêt économique certain.
« La licence accordée au titulaire du brevet postérieur ne peut être transmise qu'avec ledit brevet.
« Le titulaire du brevet antérieur obtient, sur demande présentée au tribunal, la concession d'une licence réciproque sur le brevet postérieur.
« Les dispositions des articles L. 613-12 à L. 613-14 sont applicables. »
M. le président. L'amendement n° 20, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
A la fin du deuxième alinéa de l'article L. 613-15 du code de la propriété intellectuelle, le mot : « certain » est remplacé par le mot : « considérable ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Cet amendement a le même objet que les amendements nos 14 et 16. Les licences visées ici sont celles de dépendance d'un brevet postérieur à l'égard d'un brevet antérieur.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'article 10 est ainsi rédigé.
Article 11
L'article L. 613-16 du même code est remplacé par les dispositions suivantes :
« Art. L. 613-16. - Si l'intérêt de la santé publique l'exige et à défaut d'accord amiable avec le titulaire du brevet, le ministre chargé de la propriété industrielle peut, sur la demande du ministre chargé de la santé publique, soumettre par arrêté au régime de la licence d'office, dans les conditions prévues à l'article L. 613-17, tout brevet délivré pour :
« a) Un médicament, un dispositif médical, un dispositif médical de diagnostic in vitro, un produit thérapeutique annexe ;
« b) Leur procédé d'obtention, un produit nécessaire à leur obtention ou un procédé de fabrication d'un tel produit ;
« c) Une méthode de diagnostic ex vivo.
« Les brevets de ces produits, procédés ou méthodes de diagnostic ne peuvent être soumis au régime de la licence d'office dans l'intérêt de la santé publique que lorsque ces produits, ou des produits issus de ces procédés, ou ces méthodes sont mis à la disposition du public en quantité ou qualité insuffisantes ou à des prix anormalement élevés, ou lorsque le brevet est exploité dans des conditions contraires à l'intérêt de la santé publique ou constitutives de pratiques déclarées anti-concurrentielles par une décision administrative ou juridictionnelle.
« Lorsque la licence a pour but de remédier à une pratique déclarée anti-concurrentielle ou en cas d'urgence, le ministre chargé de la propriété industrielle n'est pas tenu de rechercher un accord amiable avec le titulaire du brevet. »
M. le président. L'amendement n° 21, présenté par M. Bizet, au nom de la commission, est ainsi libellé :
Rédiger ainsi cet article :
Au cinquième alinéa de l'article L. 613-16 du même code, les mots: « en quantité et qualité insuffisantes » sont remplacés par les mots: « en quantité ou qualité insuffisantes ».
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. A l'occasion de la loi relative à la bioéthique, une nouvelle rédaction de l'article L. 613-16 a été adoptée ; elle a malencontreusement rendu cumulatives deux conditions qui étaient alternatives dans le code, et qui le sont dans le présent projet de loi ainsi que dans les accords ADPIC de l'Organisation mondiale du commerce.
Les licences d'office doivent pouvoir être prises dans l'intérêt de la santé publique, soit si la quantité des produits ou procédés visés est insuffisante, soit si leur qualité est insuffisante. C'est pourquoi cet amendement tend à remplacer le « et » par un « ou ».
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. En conséquence, l'article 11 est ainsi rédigé.
Article 12
La présente loi est applicable en Polynésie française, dans les îles Wallis et Futuna, dans les Terres australes et antarctiques françaises, en Nouvelle-Calédonie et à Mayotte. - (Adopté.)
Vote sur l'ensemble
M. le président. Avant de mettre aux voix l'ensemble du projet de loi, je donne la parole à Mme Adeline Gousseau, pour explication de vote.
Mme Adeline Gousseau. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les biotechnologies sont un enjeu stratégique majeur, en France et en Europe, hautement concurrentiel avec les Etats-Unis et les pays asiatiques.
En effet, les biotechnologies constituent un secteur de recherche de pointe et un secteur clé du développement de demain, car elles permettent de nombreuses applications utiles à l'homme, à sa santé, à son environnement, ainsi qu'à l'agriculture.
Les biotechnologies ont aussi des implications économiques fortes pour notre industrie et nos emplois.
Dans ce cadre, la protection par le brevet est un point fondamental. En effet, dans ce domaine, nous accusons du retard, notamment par rapport aux Etats-Unis, et nous risquons d'être dépendants de ceux qui détiennent les brevets.
Par ailleurs, le brevet donne une perspective qui permet de se lancer dans des recherches longues.
Enfin, il vise, non seulement l'invention, mais aussi le savoir-faire d'un laboratoire qui donne confiance aux investisseurs.
Il était par conséquent d'autant plus nécessaire de transcrire dans notre droit la directive 98/44/CE que celle-ci étend la brevetabilité aux inventions impliquant une matière biologique et que nous avions déjà dépassé les délais limites pour effectuer cette transposition.
Les articles concernant la brevetabilité du vivant ayant été traités dans la loi bioéthique, je ne reviendrai pas sur ces débats ; il nous restait donc à traiter du domaine végétal et animal.
Ce sera chose faite si nous adoptons le texte qui nous est soumis aujourd'hui, enrichi, de plus, par les travaux de notre rapporteur, notre collègue Jean Bizet.
Dans le domaine des biotechnologies, notre position a toujours été claire et responsable : garantir notre compétitivité au niveau international et affirmer une forte exigence éthique.
Nos présents travaux reflétant cette position, le groupe UMP apportera son soutien au texte qui nous est présenté ce matin.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean Bizet, rapporteur. Je voudrais saluer la réflexion qui a été menée tout au long de ce débat sur l'ensemble des travées de cette assemblée.
Si le temps qui nous a été imparti pour travailler la directive avait été plus long, M. Le Cam n'aurait peut-être pas tenu, sur la domination ou le retour aux espèces originelles, les propos qu'il a tenus et qui n'ont pas contribué à élever le débat.
Le rapport que nous avions élaboré avec notre collègue Jean-Marc Pastor en juin 2003 nous avait permis de recueillir un consensus auprès de l'ensemble des groupes politiques sur ce sujet des biotechnologies.
Je voudrais rappeler l'importance - cela a été dit en préambule - des sciences du vivant. C'est un marché de plus de 2 000 milliards d'euros qui s'ouvre à nous à l'horizon 2010. Je souhaite par conséquent que nous allions plus loin, en particulier avec la transposition de la directive communautaire 2001/18, qui nous donnera un arsenal législatif complet dans ce domaine.
Je souhaite également la mise en place du brevet communautaire, qui est la pierre angulaire de toute application des sciences du vivant et même bien au-delà. Cela nous permettrait en quelque sorte de répondre à l'appel de Lisbonne et donc, comme l'a souhaité le Conseil, de faire de l'espace européen « l'économie de la connaissance la plus compétitive et la plus dynamique du monde. »
Hier, nous étions, par rapport aux Etats-Unis, des spectateurs, certes engagés, mais des spectateurs quand même, dans le domaine des nouvelles technologies de l'information et de la communication. A la veille d'un formidable marché et de formidables inventions dans le domaine des sciences du vivant, je souhaite que les chercheurs et les industriels comprennent le message qu'au travers de cette transposition nous leur adressons.
M. le président. Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix l'ensemble du projet de loi.
M. Gérard Le Cam. Le groupe communiste républicain et citoyen s'abstient.
(Le projet de loi est adopté.)
5
MISE AU POINT AU SUJET D'UN VOTE
M. le président. La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul. Monsieur le président, je vous transmets la demande la rectification de vote formulée par notre collègue M. Pierre-Yves Collombat qui, lors du scrutin n° 10 sur l'amendement n° 403 rectifié présenté par Mme Anne-Marie Payet, a été comptabilisé comme ayant voté pour, alors qu'il souhaitait voter contre.
M. le président. Acte vous est donné de cette mise au point, monsieur Raoul.
6
NOMINATION DE MEMBRES D'organismes extraparlementaires
M. le président. Je rappelle que les commissions des affaires culturelles, des affaires économiques, des affaires sociales et des lois ont proposé des candidatures pour plusieurs organismes extraparlementaires.
La présidence n'a reçu aucune opposition dans le délai d'une heure prévu par l'article 9 du règlement.
En conséquence, ces candidatures sont ratifiées et je proclame :
- M. Pierre Laffitte membre de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications ;
- M. Bernard Fournier membre du Conseil d'administration de l'Institut national de l'audiovisuel.
- MM. Jean-Luc Miraux membre titulaire et Jean Marc Todeschini membre suppléant de l'Observatoire national de la sécurité des établissements scolaires et d'enseignement supérieur ;
- Mme Catherine Troendle et M. Yannick Bodin membres titulaires, et Mme Annie David et M. André Vallet membres suppléants de la Commission de surveillance et de contrôle des publications destinées à l'enfance et à l'adolescence ;
- M. Jean-Claude Merceron membre suppléant du Comité national de l'information statistique ;
- M. André Ferrand membre titulaire du Conseil supérieur de la coopération ;
- M. Charles Revet membre titulaire de la Commission supérieure du Crédit maritime mutuel ;
- MM. Gérard Delfau, Pierre Hérisson, Bruno Sido et Pierre-Yvon Trémel membres titulaires de la Commission supérieure du service public des postes et télécommunications ;
- M. Jean Pépin membre titulaire du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire ;
- M. Daniel Raoul membre titulaire du Comité national de l'initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) ;
- M. Bruno Sido membre titulaire du Conseil consultatif de l'Internet ;
- M. François Fortassin membre titulaire de la Commission supérieure des sites, perspectives et paysages ;
- MM. Marcel Deneux membre titulaire et Daniel Reiner membre suppléant du Conseil national des transports ;
- M. Daniel Soulage membre titulaire du Conseil national du tourisme ;
- M. Charles Revet membre titulaire de la Commission consultative pour la production de carburants de substitution ;
- M. Jean-Pierre Vial membre titulaire du Conseil national de la montagne ;
- Mme Gisèle Printz, membre titulaire du Conseil supérieur de la coopération ;
- MM. Claude Domeizel, André Lardeux et Dominique Leclerc, membres titulaires du Conseil d'orientation des retraites ;
- MM. Bernard Cazeau et Alain Vasselle, membres titulaires du Haut Conseil pour l'avenir de l'assurance maladie ;
- Mme Valérie Létard, membre titulaire du Conseil de surveillance du Fonds de financement de la protection complémentaire de la couverture universelle du risque maladie ;
- M. Alain Milon, membre titulaire du Haut conseil du secteur public ;
- M. Paul Blanc, membre titulaire du Conseil national de la montagne ;
- M. Jean-Marc Juilhard, membre titulaire et M. Marcel Lesbros, membre suppléant du Conseil supérieur des prestations sociales agricoles ;
- M. Dominique Leclerc, membre titulaire du Comité de surveillance du Fonds de solidarité vieillesse ;
- M. Alain Vasselle, membre titulaire du Comité de surveillance de la Caisse d'amortissement de la dette sociale ;
- M. François-Noël Buffet, membre titulaire du Conseil supérieur de l'adoption ;
- M. Christian Cointat, membre titulaire du Comité national de l'initiative française pour les récifs coralliens (IFRECOR) ;
- M. Charles Guené, membre titulaire du Conseil d'orientation du Comité interministériel de prévention de risques naturels majeurs ;
- M. Jean-Patrick Courtois, membre titulaire du Conseil national de la sécurité routière ;
- M. Jean-Paul Virapoullé, membre titulaire du Haut Conseil du secteur public ;
- Mme Michèle André, membre titulaire du Conseil national de la montagne ;
- M. Charles Guené, membre titulaire et M. Bernard Saugey, membre suppléant du Comité des finances locales ;
- M. Pierre Jarlier, membre titulaire du Conseil national de l'aménagement et du développement du territoire ;
- Mme Jacqueline Gourault, membre titulaire de l'Observatoire de l'emploi public.
Mes chers collègues, l'ordre du jour de ce matin étant épuisé, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à seize heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à onze heures dix, est reprise à seize heures cinq, sous la présidence de M. Jean-Claude Gaudin.)
PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
7
délai limite pour le dépôt d'amendements
M. le président. Mes chers collègues, comme vous le savez, nous entamerons demain, mercredi 27 octobre, à quinze heures, la discussion du projet de loi de programmation pour la cohésion sociale tel qu'il a été complété par une lettre rectificative du Premier ministre en date du 20 octobre 2004.
Réunie ce matin, la conférence des présidents a fixé, à la demande de la commission des affaires sociales, au mercredi 27 octobre, à dix-sept heures, le délai limite pour le dépôt des amendements présentés sur les articles 37-1 à 37-8 de ce projet de loi.
Le délai limite applicable aux amendements présentés sur les autres articles de ce projet de loi demeure fixé à aujourd'hui, mardi 26 octobre, à dix-sept heures.
8
COMMUNICATION RELATIVE à UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de simplification du droit est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
9
DÉPÔT D'UN RAPPORT DU GOUVERNEMENT
M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre le rapport d'évaluation de l'état de la réserve militaire en 2003, établi en application de l'article 29 de la loi du 22 octobre 1999 portant organisation de la réserve militaire et du service de défense.
10
SCRUTINs POUR L'ÉLECTION DE JUGES À LA HAUTE COUR DE JUSTICE
M. le président. L'ordre du jour appelle les scrutins pour l'élection de douze juges titulaires et pour l'élection de six juges suppléants à la Haute Cour de justice.
Ces scrutins auront lieu dans la salle des conférences, où des bulletins de vote sont à la disposition de nos collègues.
Pour être valables, ces bulletins de vote ne doivent pas comporter plus de douze noms pour l'élection des juges titulaires, et plus de six noms pour l'élection des juges suppléants.
Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour ces élections.
Les juges titulaires et les juges suppléants nouvellement élus seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.
Je prie M. Gérard César, secrétaire du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote.
Il va être procédé au tirage au sort de quatre scrutateurs titulaires et de deux scrutateurs suppléants, qui opéreront le dépouillement du scrutin.
(Le tirage au sort a lieu.)
M. le président. Le sort a désigné :
Scrutateurs titulaires : Mmes Hélène Luc, Janine Rozier et Monique Papon, M. Joseph Kergueris.
Scrutateurs suppléants : MM. Roland Muzeau et Nicolas Alfonsi.
Les scrutins pour l'élection de douze juges titulaires et de six juges suppléants à la Haute Cour de justice sont ouverts.
Ils seront clos dans une heure.
11
SCRUTIN POUR L'ÉLECTION DE JUGES À LA COUR DE JUSTICE de la république
M. le président. L'ordre du jour appelle le scrutin pour l'élection de six juges titulaires à la Cour de justice de la République et de leurs six juges suppléants.
Je rappelle que la majorité absolue des suffrages exprimés est requise pour être élu.
Le scrutin aura lieu dans la salle des conférences, où des bulletins de vote sont à la disposition de nos collègues.
Pour être valables, les bulletins ne peuvent pas comporter plus de six noms pour les juges titulaires et plus de six noms pour les suppléants, le nom de chaque titulaire devant être obligatoirement assorti du nom de son suppléant.
En conséquence, la radiation de l'un ou des deux noms, soit celui du titulaire, soit celui du suppléant, entraîne la nullité du vote pour l'autre.
Les juges titulaires et les juges suppléants nouvellement élus seront immédiatement appelés à prêter serment devant le Sénat.
Je prie Mme Michelle Demessine, secrétaire du Sénat, de bien vouloir superviser les opérations de vote.
Il va être procédé au tirage au sort de deux scrutateurs titulaires et d'un scrutateur suppléant qui opéreront le dépouillement du scrutin.
(Le tirage au sort a lieu.)
M. le président. Le sort a désigné :
Scrutateurs titulaires : MM. Jean-Claude Frécon et François Autain.
Scrutateur suppléant : M. Charles Guené.
Le scrutin pour l'élection de six juges titulaires à la Cour de justice de la République et de leurs six juges suppléants est ouvert.
Il sera clos dans une heure.
12
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à M. Roland Muzeau, pour un rappel au règlement.
M. Roland Muzeau. Monsieur le président, mes chers collègues, par ce rappel au règlement relatif à l'organisation de nos travaux, je tiens à vous faire part de ma totale désapprobation quant aux conditions qui président à la discussion du texte dit « Borloo-Larcher ».
Déjà, sur le texte « Borloo », les conditions de travail et de consultation nécessaires à une étude sérieuse d'un tel projet n'ont absolument pas été réunies.
Mais, plus grave encore, nous subirons les effets de l'introduction, en dernière minute, du projet « Larcher », avec huit articles ayant tous trait au droit du travail, réformant le code du ou annulant les apports de jurisprudences diverses, par exemple les jurisprudences Framatome et Majorette.
La portée de telles dispositions méritait au moins que tout soit fait pour réduire les conséquences dévastatrices de la méthode.
C'est la raison pour laquelle le groupe communiste républicain et citoyen a formulé ce matin des propositions en conférence des présidents, et il est inadmissible que quasiment toutes aient été repoussées. En effet, seul le sursis de vingt-quatre heures accordé pour déposer des amendements sur les huit articles du projet « Larcher » a été admis.
Cette attitude de la conférence des présidents est d'autant plus inadmissible que nous voyons bien comment les débats risquent de se dérouler.
Le MEDEF, dont le culot et la morgue sont sans limite, a officiellement déposé ce matin vingt-deux amendements entièrement rédigés : ne manque plus que le nom du parlementaire qui les défendra !
Le groupe CRC n'acceptera jamais que le MEDEF considère le Sénat comme une instance d'enregistrement de ses propres exigences.
Je renouvelle donc, monsieur le président, la demande du groupe communiste républicain et citoyen de ne pas mêler dans un même débat le texte « Borloo » et le texte « Larcher ». (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
Mme Hélène Luc. Il a raison !
M. le président. Mon cher collègue, la conférence des présidents, qui a eu ce matin à débattre de la question que vous venez de soulever, a pris un certain nombre de décisions.
Au demeurant, je vous donne acte de votre rappel au règlement et je ne manquerai pas de faire part à M. le président du Sénat des remarques que vous venez de formuler.
13
aménagement, protection et mise en valeur du littoral
Débat sur l'application d'une loi
M. le président. L'ordre du jour appelle le débat sur l'application de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral.
La parole est à M. le président du groupe de travail de la commission des affaires économiques et de la commission des lois.
M. Jean-Paul Alduy, président du groupe de travail de la commission des affaires économiques et de la commission des lois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je tiens tout d'abord à me féliciter de l'initiative prise par le Sénat d'organiser un débat en séance publique sur la protection et la mise en valeur du littoral, à la suite du rapport que le groupe de travail commun à la commission des lois et à la commission des affaires économiques a élaboré sur l'application de la loi du 3 janvier 1986 dite « loi littoral ».
Ayant eu l'honneur de présider ce groupe, je brosserai les grandes lignes du travail qu'il a effectué, en rappelant les raisons qui ont justifié sa saisine, ainsi que les axes de réflexion autour desquels se sont structurées nos propositions. Notre collègue Patrice Gélard, rapporteur de ce groupe de travail, vous présentera une analyse détaillée de nos propositions, les mettant en perspective avec, d'une part, les mesures en faveur du littoral proposées par le Gouvernement lors du Comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire du 14 septembre dernier et, d'autre part, les modifications prévues dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, actuellement en discussion.
Les travaux du groupe de travail s'inscrivent en effet dans toute une chaîne de réflexions.
Au départ, en juillet 2003, la commission « littoral », que je présidais, du Conseil national d'aménagement et de développement du territoire - CNADT - a lancé un message d'alerte. Celui-ci a été suivi d'un rapport de la DATAR. Un groupe de travail a alors été constitué, tant au Sénat qu'à l'Assemblée nationale. A la suite du CIADT de septembre dernier, des fenêtres législatives se sont ouvertes, notamment dans le cadre du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, j'y faisais allusion à l'instant.
Je tiens à rappeler brièvement que la loi du 3 janvier 1986 dite « loi littoral » avait un quadruple objectif : préserver les espaces rares et sensibles ; gérer de façon économe la consommation d'espace par l'urbanisation et les aménagements touristiques ; ouvrir plus largement le rivage au public ; enfin, accueillir en priorité sur le littoral les activités dont le développement est lié à la mer.
Cette loi, votée au moment de la mise en place de la décentralisation, s'efforçait de concilier, d'une part, un enjeu national de protection d'un espace identifié, à juste titre, comme fragile et convoité, d'autre part, les nouvelles responsabilités et compétences des collectivités territoriales, notamment en matière d'urbanisme.
Avant l'heure, cette loi, qui reste une bonne loi, comme Patrice Gélard et moi-même n'avons cessé de le souligner, se plaçait dans une optique de « développement durable » - même si cette expression n'était pas utilisé à l'époque -, en cherchant à préserver les richesses naturelles d'un territoire, lesquelles sont la source de son attractivité et de son développement économique, social et culturel, afin de pérenniser ce développement.
Cependant, plus de dix-huit ans après l'adoption de cette loi, force est de constater qu'elle n'a pas totalement réussi à établir le « mode d'emploi » adéquat, permettant d'aboutir à une gestion équilibrée de cet espace tant convoité. En effet, l'espace littoral suscite un triple attrait, résidentiel, touristique et économique, et induit de ce fait des conflits d'usage exacerbés.
Faute d'avoir pris les décrets d'application et d'avoir établi, chaque année, les rapports d'évaluation pourtant imposés par la loi, l'Etat a laissé se développer une jurisprudence abondante et souvent contradictoire. Dès lors, cette loi a été ressentie comme excessivement contraignante par les élus locaux, confrontés à l'évolution des besoins de leurs populations, aux demandes d'activités nouvelles et aux pressions qui en résultent concernant le foncier et le maintien des activités traditionnelles.
Le Sénat, représentant des collectivités territoriales et acteur engagé en matière d'aménagement du territoire, ne pouvait donc rester en marge du débat ; d'où la constitution de notre groupe de travail, qui représente non seulement toutes les sensibilités politiques, mais aussi les différents espaces littoraux, et qui a entendu, en plus de quarante auditions, tous les acteurs impliqués dans la gestion de cet espace.
La saisine du Sénat répondait ainsi au message d'alerte lancé en juillet 2003 par la commission « littoral » du CNADT, que j'évoquais tout à l'heure et qui soulignait la disparition inquiétante de l'identité sociale, culturelle et économique du littoral ainsi que le « gaspillage d'atouts et de ressources géographiques, économiques et humaines à haute valeur ajoutée qui ne sont pas renouvelables ». Cette même commission constatait dans le même temps, pour s'en féliciter, une forte spécificité du littoral par rapport au reste du territoire national, eu égard, notamment, à son exceptionnelle attractivité démographique.
Face à ce constat, la commission « littoral » proposait d'élargir la définition du littoral, afin de mieux prendre en compte les interdépendances de la zone côtière vers la terre et vers la mer. Elle préconisait d'élargir la politique du littoral, au-delà de sa dimension strictement environnementale, à ses dimensions sociale, culturelle et économique, afin d'établir un authentique projet de territoire porté par les acteurs locaux et défini à une échelle pertinente. Il s'agissait en quelque sorte, comme l'indique le titre de notre rapport, de « mutualiser » l'aménagement du territoire littoral.
Le rapport du groupe de travail sénatorial, après avoir rappelé les objectifs et le contenu de la loi littoral elle-même, s'attache à l'identification précise de ses difficultés d'application. Il établit tout d'abord un constat de carence imputable à l'Etat s'agissant de la publication même des décrets d'application, certains d'entre eux n'ayant été publiés qu'en mars 2004, alors que d'autres, notamment le décret relatif aux concessions de plage, sont toujours en attente.
Ce rapport met également l'accent sur le faible nombre de documents locaux de planification qui ont été adoptés, qu'il s'agisse de directives territoriales d'aménagement, les DTA, ou de schémas de mise en valeur de la mer, les SMVM, qui devaient pourtant permettre de traduire localement les obligations de la loi littoral.
Cet état de fait a laissé les élus locaux très démunis et a induit de multiples contentieux, ainsi qu'une insécurité juridique tout à fait préjudiciable. En effet, c'est très largement par le biais de la jurisprudence qu'ont été élaborées les règles d'application de la loi.
Au-delà de ce constat en demi-teinte sur la mise en oeuvre de la loi littoral - et non pas, je le répète, sur la philosophie et les dispositions de la loi elle-même -, le groupe de travail a voulu redonner tout son sens à celle-ci, grâce à des propositions permettant de mettre en place une gestion intégrée du littoral, ce que j'ai appelé précédemment une « mutualisation » de l'aménagement du territoire. Cette approche nouvelle s'inscrit résolument dans l'esprit de la décentralisation puisqu'elle propose de définir la politique du littoral en concertation avec l'ensemble des acteurs concernés, à un niveau géographique pertinent et sous l'autorité des collectivités locales regroupées.
Les propositions du groupe de travail s'articulent autour de trois axes.
Premièrement, renforcer la concertation, la planification et la décentralisation en matière de gestion du littoral, principalement en faisant des SCOT littoraux, les schémas de cohérence territoriale, les documents uniques de planification spatiale, lesquels intégreraient les dispositions des DTA et des SMVM.
Deuxièmement, adapter les règles d'urbanisme, afin de permettre un meilleur équilibre entre protection et aménagement. Il s'agit, notamment, de la superposition peu cohérente de la loi montagne et de la loi littoral sur certains territoires ou encore de la nécessité de permettre aux SCOT ou, à défaut, aux plans locaux d'urbanisme - PLU - de justifier qu'une urbanisation qui n'est pas située en continuité est compatible avec les objectifs de protection du littoral. Patrice Gélard y reviendra plus en détail.
Troisièmement, réformer le Conservatoire de l'espace littoral et des rivages lacustres. C'est ce dernier point que je m'attacherai à développer, et d'abord pour indiquer que le groupe de travail est unanime à souligner la nécessité d'accroître les moyens humains et financiers de ce Conservatoire, faisant sienne la proposition de réforme de notre collègue Louis Le Pensec.
Il s'agit de placer le Conservatoire à la tête d'un réseau d'établissements publics, sans doute birégionaux, agissant pour son compte et sous son contrôle. Les conseils de rivages, dans lesquels les collectivités territoriales sont parties prenantes, assumeraient le rôle de conseil d'administration de ces établissements.
Il convient, à ce sujet, de se féliciter de l'engagement pris par le Gouvernement, lors du CIADT du 14 septembre dernier, de proposer prochainement les adaptations juridiques nécessaires pour renforcer, par façade maritime, la coopération entre le Conservatoire et les collectivités territoriales.
Je crois pouvoir dire aujourd'hui que la réflexion est achevée, que le dispositif juridique est quasiment prêt et qu'il fait l'objet d'un large consensus. Pourquoi ne pas l'intégrer, dès lors, dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, que le Sénat va examiner en deuxième lecture en janvier 2005 ? Ce texte, en effet, comprend déjà des mesures spécifiques pour le littoral, notamment la création, grâce à l'adoption d'un amendement déposé par Patrice Gélard, d'un Conseil national du littoral.
Je tiens néanmoins à dire que nous ne ferons pas l'économie d'un vrai débat sur les capacités, à la fois financières et humaines, d'intervention du Conservatoire de l'espace littoral.
Dans le projet de loi de finances pour 2005, les moyens de fonctionnement du Conservatoire sont simplement reconduits à hauteur de 7,4 millions d'euros, sans création d'emploi. Mais les dotations en autorisations de programme et crédits de paiement sont en baisse, respectivement de 23 % et de 17 %.
Certes, lors du CIADT du 14 septembre dernier, le Gouvernement a décidé de doter le Conservatoire, pour 2005, de 8 millions d'euros supplémentaires en autorisations de programme comme en crédits de paiements, qui seront inscrits dans le collectif budgétaire de fin d'année. Mais ce procédé nuit à la lisibilité des dotations effectivement attribuées à cet organisme et sur lesquelles le Parlement est appelé à voter.
En outre, et plus généralement, on peut se demander si cela permettra effectivement au Conservatoire de remplir ses missions, à savoir, d'une part, l'acquisition de terrains, alors même que les prix du foncier ne cessent d'augmenter, et, d'autre part, la réhabilitation et l'aménagement des terrains acquis. Cette activité, en effet, a pris une place très importante, car elle est essentielle pour assurer la préservation des espaces naturels et leur ouverture au public - j'allais dire : leur « appropriation » par le public - dans des conditions satisfaisantes.
Il faut également souligner que les collectivités territoriales gèrent près de 90 % des sites du Conservatoire. Cela se traduit par des engagements financiers qui, pour certaines communes, pèsent parfois lourdement. Je m'inquiète, dans ces conditions, de ne pas retrouver dans le projet de loi de finances pour 2005 la mesure, annoncée lors du CIADT, consistant à étendre l'éligibilité au Fonds de compensation de la TVA des dépenses des collectivités territoriales pour les travaux réalisés sur les propriétés du Conservatoire. Il s'agit pourtant d'une mesure importante pour pérenniser la dynamique indispensable entre l'intervention nationale et la gestion locale des terrains acquis par le Conservatoire.
Plus généralement, il nous faut réfléchir à la définition de ressources supplémentaires et pérennes pour le Conservatoire, afin de lui permettre de poursuivre son action essentielle. Deux voies méritent d'être étudiées : d'un côté, une taxe additionnelle à la taxe locale d'équipement, perçue sur les permis de construire ; de l'autre, la taxe spéciale d'équipement que le projet de loi de programmation pour la cohésion sociale prévoit d'attribuer aux établissements publics fonciers créés en milieu urbain.
Comme vous pouvez le constater, monsieur le secrétaire d'Etat, le groupe de travail, loin de remettre en cause l'économie générale de la loi littoral, en réaffirme au contraire tout l'intérêt, tout en préconisant un changement de méthode de planification et un renforcement des moyens du Conservatoire, afin de lui restituer tout son sens et, finalement, toute sa cohérence.
Je laisse maintenant à Patrice Gélard le soin de vous apporter, notamment, des précisions sur l'ensemble des dispositifs juridiques qu'il nous paraît nécessaire d'envisager pour donner, justement, plus de cohérence à la loi littoral. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur du groupe de travail de la commission des affaires économiques et de la commission des lois. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je m'empresse de préciser que je suis en parfait accord avec ce que vient de dire M. Alduy, notamment en ce qui concerne le Conservatoire du littoral. Vous me permettrez donc de ne pas revenir sur ce point.
Je ferai quelques remarques préliminaires.
Tout d'abord, nous n'avons jamais eu l'intention de remettre en cause la loi littoral. Cette dernière, le président du groupe de travail l'a dit, est, pour l'essentiel, une bonne loi. Par conséquent, il était hors de question, pour nous, de favoriser un quelconque bétonnage du type Costa Brava, par exemple. Il s'agissait principalement, pour notre groupe de travail, de mettre en lumière quelques oublis ou dysfonctionnements qui risquaient, à terme, de paralyser tout simplement l'application de cette loi.
Par ailleurs, alors que la France est l'un des pays d'Europe qui a la plus grande façade maritime, nous, les élus du littoral, n'avons pas du tout le même dynamisme que les élus de la montagne. Nous défendons mal notre littoral parce que nous sommes éclatés entre de nombreux littoraux différents et que, par conséquent, nos préoccupations sont différentes : certains défendent les grands ports, d'autres la pêche, d'autres le tourisme, d'autres encore la conchyliculture ou des activités du même genre. Nous n'avons donc pas l'unité dont font preuve les montagnards, qui ont réussi à constituer, au sein du Parlement, un groupe de pression important.
C'est la raison pour laquelle, monsieur le secrétaire d'Etat, il est indispensable de rapidement mettre en place le Conseil national du littoral, comme il existe un Conseil national de la montagne.
Cette instance permettra de suppléer à la carence de l'Etat en ce qui concerne le rapport annuel, qui n'a vu le jour qu'une seule fois. Elle permettra également de conjuguer toutes les forces des élus et des participants à la mise en valeur du littoral, pour obtenir des résultats comparables à ceux que l'on connaît en montagne.
En fait, pratiquement depuis Colbert, la France profonde se désintéresse de la mer et de son littoral. Nous avons tort de négliger la richesse considérable que représentent, pour l'avenir de notre pays, notre littoral et les possibilités d'échange avec l'extérieur qu'il offre.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ces remarques préliminaires étant faites, un constat s'impose : la loi littoral, loi importante, reflétant des préoccupations modernes, a connu une mise en oeuvre difficile et quelque peu conflictuelle.
D'abord, comme l'a souligné le président Alduy, le littoral connaît, depuis 1986, d'importantes mutations : sa population s'accroît et continuera de croître ; des activités connaissent, le long du rivage, un développement continu tandis que d'autres - je pense aux activités primaires, comme la pêche ou l'élevage des salmonidés ou autres poissons, à la conchyliculture, sans oublier les exploitations agricoles en bord de mer - subissent ou vont subir des difficultés croissantes.
Ensuite, les conflits d'usage se multiplient, qu'il s'agisse des pêcheurs, de l'activité portuaire, des éoliennes, des plaisanciers, etc. Il n'est pas simple de faire cohabiter des intérêts divergents, voire antagonistes.
Par exemple, nous assistons à la transformation progressive de terrains de camping en lotissements, avec des espèces de caravanes ayant en fait vocation à demeurer au même endroit. Les maires sont complètement démunis et ne savent pas comment réagir pour empêcher la transformation de leurs terrains de camping en zones d'habitation permanente.
Cette situation découle en fait, et M. Alduy l'a dit tout à l'heure, de mesures d'application tardives ou incomplètes.
Le très mauvais décret du 20 septembre 1989 a aggravé la loi et a rendu plus difficile son application. Il ne correspond à aucune réalité. On peut d'ailleurs s'interroger sur les motifs qui ont conduit les auteurs de ce décret à rendre d'application quasi générale des dispositions de la loi. Ainsi, toute lande ou toute dune ont vocation à devenir des sites remarquables, même si elles ne présentent aucun caractère remarquable. Il faut intégralement réécrire ce décret.
Le décret du 26 novembre 2000 a limité la possibilité de construire dans les espaces remarquables. Heureusement, ce décret a été corrigé par le décret de mars 2004. Il n'en demeure pas moins que le pouvoir réglementaire a déformé la volonté du législateur.
Bien sûr, nous nous félicitons de la parution, dix-huit ans après l'adoption de la loi, du décret du 29 mars 2004, qui fixe la liste des communes riveraines des deltas et des estuaires, ainsi que du décret précisant les modifications de délimitation du domaine public.
Cela étant, il manque encore au moins deux décrets : le décret fixant la liste des communes qui participent aux équilibres économiques et écologiques du littoral ; le décret sur les concessions de plages, dont la parution est extrêmement urgente.
Autre décret très attendu : celui qui permettrait l'application de l'article L. 146-6-1 du code de l'urbanisme, lequel prévoit l'élaboration d'un schéma d'aménagement pouvant autoriser la reconstruction dans la zone des cent mètres.
Il faut noter aussi l'absence des documents locaux de planification. A l'heure actuelle, il n'existe qu'un seul schéma de mise en valeur de la mer : celui de l'étang de Thau ; d'autres schémas sont en cours d'élaboration, mais ils n'ont toujours pas été adoptés. De même, il n'existe qu'une seule DTA, qui concerne les Alpes-maritimes ; trois sont toutefois en cours d'élaboration. L'absence de ces documents de planification est extrêmement gênante.
A cela s'ajoute une jurisprudence qui a pris une trop grande place, qui est parfois contradictoire et qui aboutit à un certain nombre de dysfonctionnements. Je citerai notamment l'inadaptabilité de la loi littoral à certaines configurations de territoire. Ainsi, la Corse est soumise simultanément à la loi littoral et à la loi montagne, ce qui rend impossible la mise en valeur touristique de l'île.
Voilà le bilan qu'il convenait de dresser.
Que faut-il faire dans les mois à venir ?
Comme l'a dit tout à l'heure le président Alduy, il est nécessaire de mettre en place une gestion intégrée du littoral. Cela ne peut être fait par l'Etat parce que les littoraux sont différents : on ne peut appliquer la même règle à la Corse, aux Alpes-maritimes, au Languedoc-Roussillon, au Nord-Pas-de-Calais, à la Manche et au pays de Caux !
Le problème est de savoir qui devra être le maître d'ouvrage d'une telle gestion intégrée. Au sein du groupe de travail, nous sommes tombés d'accord pour faire du SCOT le document majeur qui doit animer cette gestion intégrée. Or il se trouve fort heureusement que les SCOT sont en cours d'élaboration et ne sont donc pas encore adoptés. Ainsi, ils se substitueront aux schémas de mise en valeur de la mer.
Mais deux précautions devront être prises : il faudra impérativement que soient pris l'avis de la commission supérieure des sites et que le préfet donne son accord. Ces deux éléments sont nécessaires pour que les dispositions qui relevaient normalement de la compétence de l'Etat soient intégrées dans le SCOT et deviennent les dispositions essentielles.
C'est d'ailleurs ce que nous avions proposé dans l'amendement que nous avons présenté lors de l'examen du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, l'article 75 sexies de ce texte visant à faire du SCOT l'élément fondamental. Je regrette d'ailleurs que l'Assemblée nationale ait, dans une certaine mesure, dénaturé la proposition que nous avions faite ici même et que le Sénat avait adoptée. En effet, elle a permis le maintien des schémas de mise en valeur de la mer à côté des SCOT. Donc, il y aurait deux régimes juridiques différents. Au cours de la navette, nous devrions pouvoir résoudre ce problème, afin que, sous le contrôle du préfet et de la commission des sites, un seul document traite de la gestion du littoral : le SCOT.
Par ailleurs, il faut utiliser plus systématiquement les possibilités de demande de transfert de gestion du domaine public maritime de l'Etat vers les collectivités locales. Du reste, un certain nombre de gestionnaires du domaine public maritime commencent à s'ouvrir à cette possibilité. Comment imaginer qu'un port qui assure la gestion d'un domaine maritime gère en même temps la plage située à côté et les espaces naturels ou remarquables qui sont sur ce territoire, alors que la commune voisine est tout à fait équipée pour le faire ?
S'agissant de cette gestion intégrée du littoral, nous n'avons pas souhaité résoudre la question du maître d'oeuvre. Celui-ci pourra être tantôt une région, tantôt un département, tantôt une communauté de communes ou une communauté d'agglomération, tantôt un syndicat de pays. Tout dépendra du littoral.
En tout cas, pourront être ainsi mis en oeuvre des dispositifs qui ne peuvent guère l'être actuellement. Aujourd'hui, on peut voir des cas où c'est la commune touristique importante abritant des hôtels, des restaurants et des magasins qui bénéficie de toutes les retombées financières, alors que la plage, longue de quinze kilomètres, est située sur le territoire de la commune voisine, petite commune rurale, qui n'a aucune ressource et ne peut rien faire. Il n'y a donc pas de gestion intégrée.
Cela me permet de souligner au passage quelques anomalies de la loi littoral. Cette loi s'applique à tout le territoire d'une commune, quelle que soit la profondeur de celle-ci. Si une commune compte seulement vingt mètres de littoral et a vingt-cinq kilomètres de profondeur, la loi littoral s'applique sur l'ensemble du territoire de cette commune. A l'inverse, une commune très proche du littoral, mais qui, elle, n'a pas de rivage, ne va pas être visée par la loi littoral, alors même qu'elle en vit. Il faudra corriger de telles anomalies.
Sans remettre en cause la philosophie générale de la loi littoral, nous préconisons l'adaptation de quelques règles d'urbanisme relativement simples.
Ainsi, nous proposons de revenir à la définition originelle des espaces remarquables. Cela remet en cause le décret que j'ai évoqué tout à l'heure.
Nous proposons également de prévoir que, dans les espaces remarquables, le SCOT ou, exceptionnellement, le PLU pourrait comporter, un peu à l'instar de ce que prévoit la loi montagne, un plan d'aménagement ayant reçu l'accord du préfet après avis de la commission des sites, qui définirait les conditions d'implantation des constructions et aménagements, ainsi que leur condition de localisation et de qualité architecturale. Le classement en espace remarquable devrait pouvoir être accompagné de l'élaboration d'un projet de gestion permettant, comme pour les zones Natura 2000, d'en assurer la mise en valeur, ce qui n'est pas le cas actuellement.
S'agissant de la bande des cent mètres, il serait nécessaire de publier très rapidement les décrets d'application relatifs, d'une part, à la reconstruction des équipements existants à l'intérieur de cette bande et, d'autre part, aux concessions de plage, car les maires sont privés de moyens d'action.
Je dirai quelques mots sur le problème des grands lacs, qui sont soumis à la loi littoral et, très souvent aussi, à la loi montagne.
Nous voudrions permettre au SCOT, pour les quatre plus grands lacs de plus de 1 000 hectares - lacs du Bourget, de Serre-Ponçon, d'Annecy et Léman -, d'instituer, en accord avec le préfet coordonnateur de massif et après avis du comité de massif, une limite au-delà de laquelle seule la loi montagne s'applique. En revanche, pour tous les autres lacs de plus de 1 000 hectares, nous souhaiterions que, au terme d'une période transitoire, seule la loi montagne s'applique.
On pourrait aussi songer à rétablir, outre-mer, la promenade le long des plages dans la limite des cinquante pas géométriques. En effet, à certains endroits, le passage n'est plus possible, car certains propriétaires l'ont ni plus ni moins privatisé. Il faudra progressivement, sans heurt, faire évoluer cette situation.
Voilà, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, les quelques remarques que je souhaitais formuler et qui avaient simplement pour objet de mettre l'accent sur quelques dysfonctionnements.
En définitive, nous souhaitons que ces dysfonctionnements disparaissent, que les collectivités locales, somme toute responsables de la qualité du littoral, disposent d'une marge de manoeuvre telle que, même très étroite, elle leur permette d'adopter certains documents d'urbanisme . C'est ainsi que nous aurons, comme les zones de montagne avec la loi montagne, des possibilités d'adaptation, de modernisation, et surtout que nous pourrons répondre aux exigences de toute sorte dont le littoral est l'objet, qu'il s'agisse des équipements ruraux, des équipements des professions traditionnelles, du nécessaire développement de la plaisance ou des activités économiques.
Pour autant, cela ne doit pas en aucune façon favoriser le bétonnage. Je crois justement, au contraire, qu'une gestion intégrée, planifiée, grâce à un document comme le SCOT, dont l'objet est d'encadrer ces développements, nous permettra d'aboutir au résultat que nous recherchons : sauvegarder le littoral dans l'intérêt de tous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe Union pour un mouvement populaire, 76 minutes ;
Groupe socialiste, 49 minutes ;
Groupe de l'Union centriste, 20 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen, 15 minutes ;
Groupe du Rassemblement démocratique et social européen, 12 minutes ;
Réunion administrative des sénateurs ne figurant sur la liste d'aucun groupe, 8 minutes.
Dans la suite du débat, la parole est à M. Paul Natali.
M. Paul Natali. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avant d'en venir au fond du débat que nous avons la chance d'avoir aujourd'hui sur la loi littoral, je tiens à souligner le rôle extrêmement positif de notre Haute Assemblée, qui a apporté une excellente contribution sur le sujet.
Je souhaite en particulier rendre hommage au travail qui a été effectué à travers la mise en place d'un groupe commun aux commissions des lois et des affaires économiques. Sous l'autorité de nos collègues Jean-Paul Alduy et Patrice Gélard, ce groupe, qui a organisé un grand nombre d'auditions, a produit un rapport tout à fait intéressant, lequel a le mérite de présenter des propositions concrètes, visant à améliorer l'application de la loi littoral, dont le moins que l'on puisse dire est qu'elle offre un bilan contrasté sur le plan national, mais franchement médiocre en ce qui concerne la Corse.
Le législateur a le devoir, chacun en convient, de voter des textes d'intérêt général, en étant inspiré par une volonté d'équilibre et d'équité. Mais cela ne signifie pas pour autant qu'il faille oublier les particularités locales, qu'elles soient géographiques, sociologiques ou politiques.
A travers la loi de 1986, qui a été conçue pour répondre au triple attrait - résidentiel, touristique et économique - de l'espace littoral, tout en préservant les espaces rares et sensibles, on a donc cherché à établir un équilibre entre protection et développement.
Ont ainsi été posées des règles qui sont les mêmes pour la côte dunkerquoise et pour la Corse, pour la côte landaise et pour la Côte d'Azur. Or les problématiques y sont bien différentes et, à l'évidence, près de deux décennies après l'entrée en vigueur de la loi de 1986, l'application qui en a été faite sur l'île jusqu'à présent ne correspond nullement aux réalités de la Corse, non plus d'ailleurs qu'à la lettre de cette loi.
La loi littoral, dans le cas de la Corse, est en effet essentiellement une loi de protection et très peu une loi d'aménagement.
Avant même d'avoir développé mon propos, je sens déjà souffler le vent des accusations récurrentes que de bonnes âmes touchées par l'intégrisme écologiste profèrent contre tous ceux qui osent dire haut et fort que le littoral corse est insuffisamment aménagé pour répondre au besoin de développement, notamment économique, de ses habitants. « Vous voulez bétonner, vous n'avez aucun respect pour l'environnement... », disent ces bonnes âmes. Mais, je le répète, les élus corses du littoral, dont je suis, n'ont aucune envie de défigurer l'île où ils vivent et à laquelle ils sont attachés viscéralement.
Pour autant, notre responsabilité est de penser à l'avenir de nos jeunes, si durement frappés par le chômage. Si nous voulons créer des emplois en Corse, il faut permettre les conditions du développement économique. Or le développement économique de la Corse, ce n'est pas la culture du litchi ou de la tomate naine, c'est le tourisme. Et sans l'aménagement du littoral, le tourisme ne pourra pas se développer. C'est aussi simple que cela !
Comme je le disais précédemment, en Corse, la loi littoral est surtout une loi de protection et très peu une loi d'aménagement. En effet, avec ses 1 000 kilomètres de côtes et une dominante de communes littorales de caractère rural, le mécanisme de la constructibilité en continuité des agglomérations existantes n'a joué que dans une proportion infime, à la mesure de la quasi-inexistence de l'urbanisation. De plus, la création des « hameaux nouveaux » est, en Corse, inadaptée sur les plans foncier et sociologique, tous ceux qui connaissent l'île en conviendront.
Afin d'illustrer mon propos, je ferai une comparaison qui me semble pertinente : pour 1 000 kilomètres de côte entre Banyuls et Menton, 50 000 permis de construire ont été délivrés en 2002. Pour la même période et le même nombre de kilomètres, seulement 2 900 permis ont été délivrés en Corse. Ces chiffres parlent d'eux-mêmes.
Les dérogations à la loi littoral ouvertes par la loi du 22 janvier 2002 pour améliorer la situation se sont révélées insuffisantes. Des aménagements législatifs très concrets peuvent être réalisés pour sortir la Corse de l'ornière où elle se trouve du fait de l'application actuelle de la loi littoral.
Tout d'abord, il me semblerait souhaitable, puisque la problématique est assez proche, de s'inspirer de l'amendement Brottes, qui, à l'occasion de l'examen de la loi SRU, a assoupli la loi montagne en autorisant des zones d'urbanisation diffuses, délimitées, respectueuses de l'environnement et des paysages.
Il conviendrait également de tenir compte du ratio d'urbanisation par rapport à la superficie de la commune et d'assouplir ou de préciser la notion de « hameau nouveau », afin, notamment, qu'un hôtel de 100 ou 150 chambres puisse être considéré comme un hameau nouveau au sens de la loi littoral. L'augmentation de nos capacités d'hébergement est, je le redis avec force et vigueur, la condition principale du développement de la Corse.
Lors d'une réunion du groupe de travail du Sénat sur la loi littoral, j'avais formulé le voeu qu'une étude spécifique soit menée sur l'application de cette loi en Corse, afin que des propositions particulières puissent être faites pour l'améliorer.
Je renouvelle aujourd'hui solennellement ce souhait devant vous, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, avec l'espoir qu'il pourra y être répondu favorablement, car il y va de l'avenir de notre île et de son développement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Joseph Kergueris.
M. Joseph Kergueris. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, plus de dix-huit ans après son adoption à l'unanimité, la loi littoral est à nouveau au coeur de nos préoccupations.
Plusieurs rapports y ont été consacrés au cours des derniers mois : un document de la DATAR, mais également les comptes rendus de deux groupes de travail parlementaires, l'un à l'Assemblée nationale et l'autre au Sénat Nous avons pu apprécier la pertinence des propositions du groupe de travail sénatorial, présidé par Jean-Paul Alduy et dont le rapporteur est Patrice Gélard.
Il convient de bien remettre en perspective l'objet de ces différents travaux parlementaires. Plusieurs associations de protection de l'environnement se sont en effet émues du contenu de ces deux rapports et ont dénoncé l'attitude de certains parlementaires, désireux, selon elles, de permettre un « bétonnage » accru des côtes.
Que les choses soient bien claires : l'objectif visé par le groupe de travail sénatorial et, je le suppose, par nos collègues de l'Assemblée nationale était de dresser un bilan de l'application de cette loi et d'améliorer le dispositif existant sans le dénaturer, de manière qu'elle puisse véritablement s'appliquer.
En effet, la loi littoral a mis en place un dispositif prometteur, mais celui-ci s'est avéré trop contraignant et difficile à mettre en oeuvre en l'absence de décrets d'application.
La loi littoral est avant tout une loi d'aménagement et d'urbanisme qui vise à la protection des équilibres biologiques et écologiques, à la préservation des sites, des paysages et du patrimoine culturel et naturel du littoral, à la préservation et au développement des activités économiques liées à la proximité de l'eau, à la mise en oeuvre d'un effort de recherche et d'innovation portant sur les particularités et les ressources du littoral.
Toutefois, au cours des dernières décennies, la loi littoral n'a pu, à elle seule, permettre que soit maîtrisé l'ensemble des mutations auxquelles le littoral a été confronté. Je pense bien sûr à la pression démographique, les zones littorales cumulant une densité très forte et un rythme de croissance de la population supérieur à celui de la population totale, sans oublier la saturation des ports de plaisance.
Plus préoccupante encore pour l'élu local que je suis est la situation des activités primaires. Si les activités de conchyliculture ont bien résisté, il n'en est pas toujours de même pour l'agriculture littorale, qui subit de plein fouet les conséquences de la pression foncière.
Ainsi, les élus locaux sont aujourd'hui confrontés à nombre de problèmes qui restent sans réponse : conflits d'usage, réduction de l'activité agricole sous l'effet de la pression foncière, saturation ponctuelle des ports de plaisance, occupations illégales du domaine public maritime.
Par ailleurs, l'absence de clarté du texte, faute de décrets d'application, a favorisé la résolution des conflits par la voie contentieuse, au grand désarroi des élus et des professionnels.
En effet, la loi littoral renvoyait, pour la détermination de son champ d'application, à des décrets : sur la liste des communes riveraines des estuaires et des deltas, sur celle des communes qui participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux et, enfin, sur celle des estuaires les plus importants. Si le décret relatif aux estuaires a finalement été publié le 29 mars 2004 - dix-huit ans après la loi ! -, le décret fixant la liste des communes qui participent aux équilibres économiques et écologiques littoraux fait encore défaut ; d'où le développement d'importants contentieux.
Par ailleurs, l'article L. 146-6-1 du code de l'urbanisme, qui prévoit l'élaboration d'un schéma d'aménagement pouvant autoriser la reconstruction d'une partie des constructions ou des bâtiments existant dans la bande des cent mètres n'est pas applicable en l'absence de décret. C'est pourquoi, monsieur le secrétaire d'Etat, je me permets d'attirer votre attention sur la nécessité d'une publication rapide de celui-ci.
Enfin, les décrets d'application relatifs aux espaces remarquables sont très contestés, en raison de l'extension de la notion d'« espace remarquable » qu'ils introduisent. Les classements élaborés au milieu des années quatre-vingt-dix par les services de l'Etat ont ainsi pu englober des espaces naturels n'ayant de remarquable que le fait de n'être pas urbanisés, ou des espaces agricoles intensifs sans valeur écologique évidente.
De plus, la classification en zone remarquable n'est pas toujours très conforme à la réalité. Si je prends l'exemple de mon département, le Morbihan, dans la petite commune de Sainte-Hélène, où 50 % du territoire communal est classé en zone NDs, le blocage de la construction a entraîné une baisse significative de la population.
En outre, le décret n° 2000-1272 du 26 novembre 2000, modifiant l'article R. 146-2 du code de l'urbanisme, a limité la possibilité de construire, dans les espaces remarquables, aux seuls locaux d'une superficie maximale de vingt mètres carrés de surface hors oeuvre brute.
Ce décret a eu, dans les territoires agricoles et conchylicoles, des conséquences très importantes puisque ne pouvaient plus être construits des bâtiments d'exploitation agricoles ou conchylicoles Outre qu'elle constitue une entrave majeure au développement de ces activités, cette disposition a même fait obstacle à la mise aux normes des bâtiments imposée notamment par les textes européens.
De plus, le premier alinéa de l'article n'autorisait que la réalisation de chemins piétonniers, interdisant ainsi le passage des cyclistes, ce qui, dans certaines zones touristiques, soulève des problèmes majeurs.
De façon plus générale, ces dispositions n'ont pas toujours permis d'assurer une gestion efficace de ces espaces, parfois condamnés à l'abandon alors même que leur classement en espace remarquable impliquait une hausse de la fréquentation du public. Les difficultés de gestion ont pu ainsi conduire à la dégradation de certains espaces remarquables, liée à l'impossibilité d'y réaliser les aménagements publics nécessaires.
Autre lacune : la marge d'interprétation de la loi en fonction des situations géographiques rendait nécessaire sa traduction en fonction des réalités locales, rôle imparti aux documents de planification, dont le bilan est insatisfaisant. Nous avons évoqué les SMVM, les DTA ; la superposition de tous ces documents ne donne pas aux collectivités locales les moyens de mettre en oeuvre une gestion intégrée de leur territoire.
Ces collectivités locales ont également été confrontées aux imprécisions de la loi : l'indétermination des notions retenues par celle-ci et la carence des documents de planification ont entraîné une grande période d'incertitude juridique, incertitude renforcée par l'opposabilité directe de la loi aux décisions individuelles, particulièrement préjudiciable aux communes.
Cette période a été caractérisée par une inflation de recours et d'exceptions d'illégalité des plans d'occupation des sols.
Ainsi la loi littoral a-t-elle pu être perçue par les maires comme une source importante de complications, voire comme une entrave au développement.
Pour remédier à ces lacunes, le groupe de travail sénatorial a fait des propositions équilibrées, qui devraient permettre de débloquer des situations souvent conflictuelles.
Désormais, il me paraît indispensable de renforcer la concertation avec les élus locaux. A ce titre, la création d'un Conseil national du littoral me semble intéressante, mais, surtout, je crois indispensable de renforcer la planification au niveau local. La mise en place d'une gestion intégrée du littoral suppose l'élaboration effective de documents de planification. Cette responsabilité, le doyen Gélard l'a dit, doit incomber aux collectivités territoriales par le biais des SCOT.
Il est donc indispensable d'étendre aux SCOT la possibilité actuellement réservée aux SMVM de déterminer les vocations des différents secteurs de l'espace maritime et d'édicter les sujétions particulières intéressant les espaces maritime, fluvial ou terrestre attenants, nécessaires à la préservation du milieu marin et littoral.
L'initiative et l'élaboration des dispositions à prendre à cet égard relèveront ainsi de la compétence des collectivités, l'accord de l'Etat restant bien sûr nécessaire pour les dispositions afférentes au volet maritime.
Il faut également permettre aux SCOT ou, à défaut, aux plans locaux d'urbanisme, de justifier, avec l'accord du préfet, qu'une urbanisation qui n'est pas située en continuité est compatible avec les objectifs de protection du littoral.
Je suis particulièrement intéressé par une proposition du groupe de travail concernant les espaces remarquables.
Il me semble impératif de revenir, comme cela a déjà été dit, à la définition originelle des espaces remarquables, à savoir des espaces qui présentent un intérêt exceptionnel, voire unique, requérant dès lors un régime de protection renforcé.
En revanche, les zones qui sont simplement naturelles doivent être protégées au titre d'autres législations, suffisantes pour en assurer la conservation.
Enfin, s'agissant des sites partiellement construits, à l'instar des villages classés en espace remarquable - à cet égard, il faudrait que soit définitivement arrêtée la définition d'un village, tant elle varie d'un lieu à l'autre en France -, leur déclassement serait opportun, à l'occasion d'une révision du PLU.
Le classement en espace remarquable devrait en outre être accompagné d'un projet de gestion permettant d'en assurer la mise en valeur. Ce projet, intégré dans le SCOT ou dans le PLU, définirait ainsi les aménagements et constructions nécessaires au maintien et au développement des activités traditionnellement implantées dans ces zones. C'est là la mesure qui répond le mieux aux attentes des élus locaux.
J'ai constaté que le CIADT du 14 septembre dernier avait fait siennes nombre de nos propositions concernant le Conservatoire du littoral : le renforcement du rôle de deux missions régionales, la simplification des outils de planification et de nouvelles incitations pour l'élaboration des documents de planification des « SCOT littoraux » ou des SCOT comprenant des communes littorales.
Je regrette cependant qu'il ne soit pas allé plus loin dans la démarche et que la question de la définition des espaces remarquables n'ait pas été abordée.
En conclusion, les élus locaux doivent actuellement composer avec un texte qui ne leur permet pas de résoudre les problèmes auxquels ils sont confrontés.
Il est impératif, monsieur le secrétaire d'Etat, de le clarifier au plus vite. L'Etat doit en permettre une bonne application et publier les décrets encore en attente. Les contentieux devraient s'en trouver limités.
Il est nécessaire de développer la concertation entre les instances nationales et les élus locaux pour mieux adapter les mesures aux réalités locales.
Enfin, il est également nécessaire de trancher sur la définition du rivage, la définition actuelle retenant une limite supérieure en éternel mouvement. Monsieur le secrétaire d'Etat, dans ce domaine, ce n'est pas être conservateur que de ne point se rallier au parti du mouvement. (Sourires et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Très bien !
M. le président. La parole est à M. Gérard Le Cam.
M. Gérard Le Cam. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, où veut en venir exactement le Gouvernement ? C'est la question que chacun se pose après la publication des rapports des groupes de travail de l'Assemblée nationale et du Sénat, après le CIADT du 14 septembre 2004 et de nombreuses déclarations ministérielles.
S'agit-il de trouver un savant équilibre entre les appétits des promoteurs immobiliers et les préoccupations des défenseurs de l'environnement ? Ou bien s'agit-il de répondre aux attentes des élus et des populations des communes littorales, de permettre un développement harmonieux et durable de ces dernières, de réduire significativement les contentieux juridiques liés à l'urbanisme en faisant évoluer certaines dispositions du code de l'urbanisme ?
J'avoue préférer cette seconde hypothèse, qui présente l'avantage de conserver l'esprit de la loi de 1986 - une bonne loi, votée à l'unanimité -, laquelle devait offrir aux communes du littoral une alternative à la sanctuarisation ou au bétonnage.
Je pourrais, si j'en avais le temps, transposer cette situation à la loi du 9 janvier 1985 relative au développement et à la protection de la montagne. Cependant, nous en discuterons prochainement, lors de la seconde lecture du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, dans le chapitre concernant la montagne.
Les difficultés que soulève une bonne application de la loi littoral sont multiples. Pour n'en citer que quelques-unes, j'évoquerai l'imprécision de nombre de ses termes, soumis à des interprétations subjectives et par conséquent variables, le retard accumulé dans la prise de décrets indispensables, le dessaisissement des élus au profit des tribunaux et des services instructeurs, une lecture réductrice de la loi.
Les communes du littoral, vues de loin, sont souvent idéalisées, selon des clichés touristiques tels que la virginité et la beauté des paysages, la liberté, les vacances, la plage, le soleil, la pêche artisanale, etc.
La réalité est à la fois moins idyllique et plus complexe : le littoral est avant tout une zone de vie du 1er janvier au 31 décembre. Pendant deux mois, les communes voient leur population multipliée par 5, 10, voire davantage.
Le littoral est également une zone d'activités liées, d'une part, à la mer et, d'autre part, au littoral lui-même : les pêches côtière et hauturière, la pisciculture, la conchyliculture et l'algoculture côtoient l'agriculture, le tourisme, le nautisme, les transports maritimes, les industries portuaires, l'énergie, la défense nationale, la pêche récréative, éventuellement dans un contexte d'urbanisation.
Tout cela montre qu'une perception réductrice du littoral par ses nouveaux occupants, limitant celui-ci à un espace de nature, crée de multiples conflits, qui s'inscrivent dans la judiciarisation croissante de la société.
L'image de la nouvelle ruralité, que j'avais eu l'occasion de développer ici même il y a quelques mois, n'est pas sans rapport avec celle d'une « littoralité ».
Certes, l'urbanisation du littoral va être au coeur de nos contributions. Cependant, ne perdons pas de vue qu'elle ne constitue plus qu'une des très nombreuses manifestations des multiples conflits d'usage qui animent cette zone particulièrement exploitée et convoitée.
Concernant la méthode, les parlementaires que nous sommes refusent le choix de la voie réglementaire pour résoudre les difficultés liées à la loi littoral. Cette voie est non seulement antidémocratique, mais encore elle risque d'être insuffisante et inefficace.
Il serait préférable que soit préalablement organisé un grand débat national sur la loi littoral. Les contributions des habitants, des élus, des associations du littoral, par leur richesse, refléteraient les réalités locales tout en permettant à la démocratie participative de fonctionner.
Il serait également souhaitable que, simultanément, nous prenions connaissance du contenu des décrets en préparation.
A ce propos, monsieur le secrétaire d'Etat, vous avez annoncé la création d'une mission spécifique chargée « d'identifier les besoins en matière de données géographiques, économiques, sociales et écologiques, de repérer les opérateurs et les maîtres d'oeuvre, de hiérarchiser les priorités, de préciser les rôles respectifs de l'Etat et des collectivités locales, d'évaluer les budgets nécessaires ». Allez-vous prendre des décrets avant février 2005, date à laquelle cette mission remettra ses propositions ? Si oui, lesquels ?
Un important travail de réflexion et de proposition sur l'application de la loi littoral est en cours sur le terrain. Ce travail pointe une par une les difficultés rencontrées par les élus et les populations. J'ose espérer que la mission spécifique en tiendra compte avant de remettre ses propositions.
L'autre crainte, monsieur le secrétaire d'Etat, est que la loi littoral ne soit modifiée au détour de textes législatifs tels que le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, le projet de loi de modernisation agricole ou je ne sais quel autre texte. Cette méthode ne permet de répondre que partiellement aux problèmes, sans offrir une vision globale du texte ainsi modifié. C'est ainsi que le Conseil national du littoral est créé par la loi relative au développement des territoires ruraux.
Venons-en aux difficultés rencontrées concrètement sur le terrain.
Concernant la bande des cent mètres, le bon sens voudrait qu'on puisse reconstruire les immeubles incendiés ou en ruine, sous réserve de respecter le style local et les hauteurs du bâti.
De véritables sanitaires ou locaux de surveillance en dur, bien intégrés, seraient plus élégants que les sanisettes en PVC et les abris de chantier trop souvent vus sur nos côtes.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Tout à fait !
M. Gérard Le Cam. La création de parkings paysagers à proximité des plages pourrait être assouplie afin de faciliter l'accès à celles et ceux qui n'ont pas les moyens de louer une résidence à proximité du rivage.
Ces trois mesures devraient contribuer à réduire sensiblement les difficultés liées au caractère inflexible du III de l'article L. 146-4.
S'agissant des espaces proches du rivage, il conviendrait tout d'abord de bien définir la notion d'urbanisation qui concerne aujourd'hui de la même façon un immeuble de quatre étages, une maison particulière, un tunnel en plastique, une serre ou un parc de stationnement.
Sur ces espaces, la constructibilité se heurte à de multiples difficultés, ce qui implique que soient précisées définitivement les notions d'agglomération, de hameau, de village, d'extension et de densification.
En Bretagne, tout particulièrement, la densification des hameaux pourrait apporter une solution aux problèmes en comblant les « dents creuses ». Les zones situées au-delà des espaces proches du rivage devraient pouvoir accueillir une extension de l'urbanisation en continuité des hameaux existants, afin de compenser les rigidités de la loi littoral, selon la volonté des élus et dans le cadre de leurs documents d'urbanisme.
L'agriculture, notamment le maraîchage, souffre des règles qui régissent les espaces proches du rivage.
Il serait souhaitable que l'on tienne compte de la qualité agricole des terrains pour les rendre constructibles ou non, de la nécessaire mise aux normes des exploitations, de la possibilité d'ériger des tunnels en plastique intégrés au paysage par des écrans végétaux.
Maintenir les conditions d'existence d'une agriculture côtière, c'est aussi assurer des limites à l'urbanisation et garantir une diversité des paysages.
Enfin, la notion d'« espace proche du rivage » pourrait être doublement encadrée, tout d'abord par la détermination d'une distance maximale du rivage, ensuite par des critères de visibilité, appréciés tant en considération du rivage que des limites de l'espace considéré.
La formule du « hameau nouveau intégré à l'environnement » n'est pas suffisamment utilisée, nous dit-on ; sans doute est-ce en raison des difficultés administratives et des problèmes d'interprétation qu'elle soulève. Il conviendrait donc de préciser le contenu possible de ces « hameaux nouveaux intégrés » et d'en favoriser l'accès aux plus modestes.
Le rapport sénatorial préconise une hiérarchisation tant des espaces remarquables mentionnés à l'article L. 146-6 du code de l'urbanisme que des protections y afférentes.
A notre avis, un espace est remarquable ou non au regard de la définition qui en est donnée par le code de l'urbanisme, à savoir les parties naturelles des sites inscrits ou classés en application de la loi du 2 mai 1930, modifiée, des parcs nationaux ainsi que les réserves naturelles.
La notion d'espace caractéristique doit être précisée ou supprimée dans la mesure où elle ne contribue pas à faciliter l'interprétation des textes.
Enfin, nous pourrions préciser que les espaces naturels s'entendent comme étant les espaces non agricoles qui ne sont ni urbanisés, ni altérés, ni dégradés significativement par l'activité humaine.
Le rapport sénatorial préconise d'inclure un volet maritime dans les SCOT, volet qui devrait être approuvé par le préfet, et de supprimer les SMVM.
L'idée est intéressante, sous réserve que le plus grand nombre participe à l'élaboration du SCOT et du volet maritime de celui-ci, sous réserve aussi que la compatibilité des PLU et autres documents d'urbanisme s'articule correctement avec le SCOT et à condition que ces documents soient enfin opposables. Cela contribuerait à rendre leurs responsabilités aux élus et à réduire les contentieux.
A ce sujet, de très nombreuses difficultés sont pointées par les élus, liées au POS non approuvé et au passage du POS au PLU lorsque des terrains ayant obtenu un certificat d'urbanisme dans le cadre du plan d'occupation des sols deviennent inconstructibles dans le nouveau PLU.
Le groupe de travail du Sénat propose d'« accroître les moyens du Conservatoire de l'espace littoral, de lui adjoindre une réserve d'établissements publics de gestion auxquels les collectivités territoriales seraient associées et d'étendre le régime des contraventions de grande voirie ». Cela va plutôt dans le bon sens : chacun connaît et reconnaît l'action du Conservatoire, dont les moyens financiers semblent préservés pour l'instant, grâce à une acrobatie financière de la loi de finances rectificative pour 2004.
Nous savons également que la coopération des collectivités territoriales en termes de gestion et de financement est déterminante et qu'elle explique en grande partie le succès comme le bilan du Conservatoire du littoral.
Ce qui nous inquiète à cet égard concerne, d'une part, les moyens qui seront alloués au Conservatoire pour les années à venir et, d'autre part, la conception décentralisatrice du Gouvernement. Nous craignons en effet de voir les charges des collectivités locales devenir de plus en plus substantielles, afin d'assurer le financement des « agences de rivage » évoquées dans un futur projet de loi « Conservatoire du littoral »
Le transfert du domaine public maritime aux collectivités contribue également à accentuer leurs charges.
Il serait bon, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous éclairiez notre assemblée sur les moyens que le Gouvernement destine au Conservatoire et aux collectivités locales pour les années à venir. De la pérennité de ces moyens dépendra le succès des actions du Conservatoire.
Quant aux moyens financiers des collectivités territoriales, c'est un vaste débat. Mais nous savons que, si celles-ci sont étranglées financièrement, elles chercheront des solutions dites « de rentabilité », souvent préjudiciables au littoral lui-même.
L'article 1er de la loi littoral a pour objet, entre autres, « la protection des équilibres biologiques et écologiques ». Il convient à cet égard de rappeler que tous les maux ne viennent pas du littoral : ils viennent aussi des fleuves qui charrient chaque année près de 650 000 tonnes d'azote et 43 800 tonnes de phosphore, ce qui contribue au phénomène d'eutrophisation ; je signale que plus de 30 000 mètres cubes d'algues vertes sont ramassés en Côtes d'Armor chaque année !
A propos des marées noires et des dégazages, la sécurité et la sûreté des transports maritimes ont certes progressé. Cependant, le rapport de la DATAR souligne : « Une logique d'indemnisation continue d'être privilégiée sur une logique de responsabilisation des affréteurs. Tout ce qui n'a pas été sérieusement traité en amont, finit à la mer, qui est réceptacle naturel des bassins versants. La maîtrise de ces pollutions très diverses et le plus souvent dangereuses nécessite également des efforts financiers et législatifs importants. »
En ma qualité de membre de l'Observatoire du réchauffement climatique, je voudrais également attirer votre attention sur les conséquences du relèvement du niveau de la mer lié à ce réchauffement : ce relèvement risque d'accélérer l'érosion du littoral et surtout d'accroître les inondations et submersions marines, ce qui n'est pas sans incidence sur l'éventuelle inconstructibilité à moyen terme de zones littorales importantes.
Monsieur le secrétaire d'Etat, sans vouloir être exhaustifs, nous avons écouté ce que disent à la fois la population et les élus, afin de recenser les problèmes rencontrés dans l'application de la loi littoral.
Un certain nombre de critères guident notre réflexion.
Tout d'abord, nous partons du principe selon lequel une commune littorale n'est pas et ne peut pas être figée, elle doit rassembler les conditions pour assurer le développement harmonieux et durable de son territoire, l'accueil et l'hébergement de ceux qui vivent là toute l'année, ainsi que des personnes qui viennent y passer leurs vacances.
Le maintien de la diversité des activités économiques est essentiel au bon équilibre de ces collectivités.
Enfin, une attention toute particulière doit être portée à l'accessibilité de tous à la côte et, naturellement, l'accueil des plus modestes doit être encouragé et favorisé par des facilités d'aménagement et des dispositions fiscales.
Ce débat aura, je l'espère, son utilité. Mais, devant l'ampleur et la diversité des difficultés rencontrées par les élus, qui sont dans leur très grande majorité opposés au bétonnage des côtes, une remise à jour de la loi aurait été plus efficace que des séries de décrets à venir, les effets pervers de la décentralisation ou des morceaux de textes de loi rattachés ici et là.
Quoi qu'il en soit, il est indispensable de conserver le socle de la loi littoral de 1986 et ses principes fondateurs énoncés à l'article 1er, concernant la recherche spécifique au littoral, la protection des équilibres biologiques et écologiques et la préservation des activités économiques.
Le littoral doit être rendu à ses habitants, ses élus et ses gestionnaires, qui seront les garants d'espaces où les spéculations en tous genres et les contentieux doivent sensiblement s'atténuer, à défaut de disparaître.
Prudence de la démarche, précision des mots et pérennité des financements doivent guider le Gouvernement dans ses actions à venir concernant le littoral. C'est le voeu que nous formons. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je dirai d'emblée mon approbation totale et sans réserve du rapport du groupe de travail sénatorial, auquel j'ai participé, car il dresse de la situation actuelle, avec une clarté remarquable, un état très précis : tous les textes ont été en quelque sorte passés au scanner.
Je tiens d'ailleurs à rendre hommage à l'action conduite par le président du groupe de travail, M. Jean-Paul Alduy, ainsi qu'à son rapporteur, M. Patrice Gélard.
La richesse des propositions contenues dans ce rapport est évidente et les pistes de réflexion qu'il indique sont tout à fait pertinentes.
Je me conterai, au cours de cette brève intervention, de soulever quelques interrogations.
Est-il normal, par exemple, que le principe d'égalité ait été si souvent rompu à travers des décisions tantôt extravagantes, tantôt impressionnistes, rendues par l'administration, dont l'indignation est parfois sélective, ou par des juges ?
Est-il normal que des menaces puissent continuer à peser sur l'activité des animateurs de l'économie, sans égard pour les risques qu'ils courent ?
Est-il normal que des associations - je suis extrêmement prudent en les évoquant, car le simple fait de dire qu'elles doivent conduire leurs actions de façon normale et sans excès vous fait immédiatement soupçonner d'irascibilité à leur égard - trouvent dans la loi littoral des niches juridiques leur permettant d'introduire des recours tous azimuts, qui font planer une totale incertitude sur les activités économiques et sur ceux qui les assument ?
Que dire du concept de « hameaux nouveaux », difficile à cerner selon les régions ?
Que dire de celui d'« espace remarquable » ? La notion d'espace remarquable est en effet, par définition, très relative. Il est évident que vingt-cinq arpents de maquis situés au pôle Nord constituent un espace remarquable. En revanche, des hectares de maquis en Corse ou de lande en Bretagne sont d'une banalité absolue et, par conséquent, non remarquables. Pourtant, aux termes de la loi, ces espaces sont remarquables dès lors qu'ils n'ont pas été urbanisés.
L'autre intérêt du rapport réside dans le récolement de tous les textes qui, depuis Colbert, se sont ajoutés les uns aux autres sur ce sujet. D'ailleurs, une interrogation demeure, à laquelle vous devrez répondre, monsieur le secrétaire d'Etat : ne faudrait-il pas refondre tous ces textes épars dans un texte global sur le littoral ? Mais cette tâche risque d'être trop ambitieuse, surtout dans la situation actuelle.
Si l'on ajoute au concept d'espace remarquable les textes relatifs aux sites classés, aux ZNIEFF, les zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique, ou encore le programme Natura 2000 - textes qui ne sont pas opposables aux tiers, ce que les citoyens ignorent, mais qui sont invoqués en permanence dans les débats administratifs -, il est évident que l'on n'en sort pas !
Je me livrerai, à partir de certains des propositions contenues dans le rapport du groupe de travail sénatorial, à une sorte de « leçon de choses » sur la Corse.
Je m'exprime ici avec précaution car, comme je le disais tout à l'heure en aparté à notre collègue Mme Voynet, je ne souhaite pas que certains, en écoutant mes propos, aient le sentiment que mes préoccupations sont exclusivement insulaires.
Il reste que la situation corse est une parfaite illustration des effets de la discrimination positive. Ce principe doit certes s'appliquer, sans pour autant servir de simple alibi, mais il est contrarié, surtout en Corse, par la pensée « écologiquement correcte ».
Le principe de la discrimination positive consiste à considérer que, dans des situations différentes, on ne peut pas appliquer la même solution. A cet égard, l'exemple de l'application de la loi littoral en Corse est édifiant.
Sur 1 000 kilomètres de côtes, 400 kilomètres sont déjà tombés dans le domaine public, dont 200 kilomètres sur l'initiative du Conservatoire du littoral. Notre collègue M. Le Pensec connaît bien cette question.
Je préside le conseil de rivage depuis trente ans : on sait tout ce qui a été fait dans ce domaine. Comme cela a été dit à cette tribune, aucun élu n'est soupçonnable : nous sommes tous soucieux de maintenir la loi littoral, en en adaptant certains points, et pas seulement de façon homéopathique.
La Corse compte donc 400 kilomètres de côtes relevant du domaine public.
Prenons maintenant la côte ouest, soit quasiment 500 kilomètres, c'est-à-dire la distance séparant Menton de Marseille. En excluant la poche démographique du golfe d'Ajaccio, sur ces 500 kilomètres de côtes, on dénombre 15 000 habitants. Bien entendu, si vous appliquez la loi littoral d'une façon indifférenciée, des blocages peuvent se produire à tous les niveaux.
Comme le disait mon collègue Jérôme Polverini, qui a été entendu par notre groupe de travail, la loi littoral est plus une loi d'ordre public - sa signification sous-jacente serait au fond : moins on construit, moins on plastique ! - qu'une véritable loi d'aménagement ou de protection du littoral.
Il faut bien avoir cela à l'esprit et tordre le cou à l'idée selon laquelle les élus n'auraient pas protégé le littoral. Ce n'est pas vrai ! Nous avons au contraire été les premiers à mener une action correcte de protection du littoral.
Comme l'a dit notre collègue Paul Natali, si vous voulez construire, vous devez être attentifs à la contradiction qui existe entre le discours officiel sur le développement économique, ces propos lénifiants tenus en permanence par les représentants de l'Etat, et la réalité.
Où voulez-vous induire ce développement économique, sinon sur la côte ? Pour produire de la farine de châtaignes, on ne va tout de même pas s'installer à 500 mètres d'altitude !
Mais je mets quiconque au défi de me désigner, sur l'ensemble de la côte corse, cinq sites susceptibles d'accueillir des hôtels quatre étoiles, ou quatre, cinq, six unités hôtelières de 150 chambres. Pourquoi ? Les obstacles sont multiples : ou le site est classé, ou l'on se heurte à l'absence d'équipements appropriés, ou le site figure dans l'atlas du littoral, ou bien encore il fait partie du programme Natura 2000. On se heurte à chaque fois à une nouvelle contrainte. Il faut toujours avoir cette réalité à l'esprit.
Les rédacteurs du rapport ont énoncé une éclatante vérité en prévoyant la possibilité de justifier, dans les SCOT ou les plans locaux d'urbanisme, avec l'accord du préfet, qu'une urbanisation non située en continuité est compatible avec les objectifs de protection du littoral.
Si l'Etat et nous-mêmes ne nous emparons pas de ce problème, cette pensée « écologiquement correcte » continuera de se développer.
Aujourd'hui, même si cela peut paraître paradoxal, il existe une sorte de « racisme pro-corse », alimenté par le show business. Ces personnes confortablement installées dans leurs villas nous disent : il faut protéger la Corse à tout prix, il faut « mériter » la Corse, il faut comprendre ces braves gens, et autres sornettes de ce genre.
On pense à Chateaubriand et à ces conseils qui obligent toujours ceux qui les reçoivent, en l'occurrence les Corses, et jamais ceux qui les donnent, ces personnes dans leurs villas qui, redoutant sans doute un attentat, prennent toutes les précautions pour parer au danger.
Sur ce point, il faut donc impérativement modifier le dispositif.
Si une réforme « homéopathique » est déjà intervenue sous le gouvernement Jospin, comme je l'indiquais voilà un instant à Mme Voynet, l'assemblée de Corse, pour sa part, avait indiqué qu'il convenait de faire évoluer la loi littoral. « Courageusement », les gouvernements successifs ont accepté les propositions faites, lesquelles ont été repoussées par une certaine famille d'esprit. On connaît la suite... Il faut donc changer le dispositif, instaurer la discontinuité.
Je donnerai une dernière illustration du désordre actuel, tout en demeurant persuadé que cette situation se présente ailleurs qu'en Corse : mon propos aura donc une portée générale, et il ne s'agit pas ici d'exprimer des préoccupations particulières.
Dans une commune que je connais bien, le principe de discontinuité, dont l'application est suggérée dans le rapport, a déjà été mis en oeuvre. En 1992, en effet, le préfet et la commission des sites s'étaient tous deux prononcés en faveur d'une urbanisation sur le territoire de cette commune qui, à 99%, n'était pas urbanisée et dont 200 des 7 000 hectares pouvaient être urbanisés en discontinuité. J'attire votre attention sur ce dernier point, mes chers collègues, car l'un d'entre nous, voilà un instant, a évoqué une certaine commune qui n'était pas urbanisée à hauteur de 50 %.
La solution de bon sens avait alors prévalu, et le préfet avait décidé d'autoriser l'urbanisation. Pendant six ans, le POS s'est trouvé en contradiction avec la loi littoral. Des permis de construire ont été délivrés, un hameau nouveau a surgi de terre. Puis, alors que l'on aurait pu continuer de construire, l'Etat a changé complètement sa politique et, par voie d'exception, a attaqué tous les permis de construire, au motif, mes chers collègues, qu'il n'y avait pas de hameau...
Me suis-je bien fait comprendre ? Un hameau nouveau a pu être créé, parce que l'on avait « levé le pied » dans l'application de la loi littoral, mais les permis de construire délivrés par la suite ont été attaqués au motif qu'il n'existait pas, en théorie, de hameau. Telle est la situation dans cette commune au regard de la loi littoral, et les difficultés de cet ordre risquent de se multiplier si l'on n'introduit pas le principe de discontinuité.
En conclusion, monsieur le secrétaire d'Etat, la situation est simple : notre ambition n'est pas de tout changer ou de faire un code du littoral, elle est d'obtenir une adaptation de la loi littoral sur certains points particuliers, s'agissant notamment de la discontinuité, afin que nous puissions avancer un peu. Une autre solution pourrait être d'accorder un pouvoir d'expérimentation. Je vous laisse juge, monsieur le secrétaire d'Etat, et j'attends votre réponse. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Yolande Boyer.
Mme Yolande Boyer. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, le rapport paru en juillet à l'issue de nos travaux constitue un travail de qualité, réalisé à la suite d'une quarantaine d'auditions. Que ses auteurs, ainsi que celles et ceux qui ont aidé à sa rédaction, en soient remerciés.
Toutefois, après les compliments, place aux mises en garde et aux interrogations : attention, ce rapport ne doit pas servir de prétexte à une remise en cause de la loi littoral, qui est certes imparfaite dans son application, mais claire dans ses principes.
Rappelons, à cette occasion, une phrase de son article 1er qui manifeste bien l'esprit général l'inspirant : « Le littoral est une entité géographique qui appelle une politique spécifique d'aménagement, de protection et de mise en valeur. »
Le littoral n'est pas un territoire comme un autre, et sa protection, son aménagement doivent donc répondre à des règles particulières. En 1986, la loi littoral avait pour objet de coordonner les mesures jusque-là disparates destinées à maîtriser la pression subie par le littoral français. En effet, l'attrait que présente ce dernier en faisait une richesse convoitée, et donc menacée. La vocation initiale de la loi était de définir un équilibre dans l'aménagement d'un espace devenu collectif et appartenant au patrimoine de la nation tout entière.
Pourtant, « pendant la protection, l'urbanisme continue », selon les termes du rapport rédigé par Mme Bersani pour le compte du Conseil général des ponts et chaussées. Cet avis est corroboré par l'IFEN, l'Institut français de l'environnement, qui considère le littoral français comme l'un des plus artificiels d'Europe. Ainsi, 12 % des logements et 7 % des locaux construits chaque année en France sont réalisés sur une bande littorale représentant moins de 4 % du territoire national.
L'attractivité du littoral et donc la pression engendrée dans cet espace ont encore été accrues avec l'implantation de nouvelles activités économiques et sociales, sans que les usages traditionnels aient disparu. Il en résulte que les espaces naturels et agricoles sont aujourd'hui en régression.
L'objectif de protection n'est donc que partiellement atteint, les abus les plus manifestes liés au bétonnage à outrance semblant cependant avoir été prévenus.
Par ailleurs, la situation est-elle satisfaisante s'agissant de l'autre vocation de la loi littoral, à savoir le développement des territoires ? La force des insatisfactions exprimées tant par les professionnels de la pêche ou du mareyage que par les agriculteurs ou les élus locaux permet d'en douter.
A cet égard, la profusion de rapports est révélatrice d'un malaise. Les éléments figurant dans celui dont nous débattons sont proches de ceux qui ont été mis en exergue par le conseil national de l'aménagement du territoire ou dans le rapport du Conseil économique et social régional de Bretagne paru en juin 2004.
Devant ces constats, il s'agit aujourd'hui de penser la politique du littoral de manière globale, afin de remédier aux défauts originels de cette dernière que sont la sectorisation, le manque de concertation et de transparence, le défaut de prise en compte des spécificités locales. Il faut en finir avec la gestion au coup par coup des conflits entre protection et développement, entre secteurs, entre réglementations discordantes.
Je relèverai d'ailleurs, à la suite de plusieurs de mes collègues, que les élus locaux sont souvent isolés face à ces conflits. Le manque de coordination entre les intervenants représente un réel problème. Si l'on se réfère aux propos tenus par la majorité des élus du littoral, ceux-ci sont attachés aux objectifs visés au travers de la loi mais déplorent une application chaotique. Ils regrettent particulièrement la multiplication des contentieux et, par voie de conséquence, la constitution d'une jurisprudence foisonnante, contradictoire et souvent incompréhensible.
Le manque de suivi, notamment sur le plan réglementaire, après le vote d'une loi littoral parfois imprécise - quels sont les espaces proches du rivage ? qu'est-ce qu'une extension de l'urbanisme ? -, est l'une des causes principales des difficultés rencontrées.
Ce n'est pourtant pas aux tribunaux de décider de la politique du littoral ! Sur ce point, l'insécurité juridique est un frein majeur à la pacification de la situation. Il a fallu attendre dix-huit ans pour que la plupart des décrets d'application soient pris ! Ainsi, le décret n° 2004-310 est paru le 29 mars 2004 en catimini, quelle que soit par ailleurs son utilité sur le fond. Cette « discrétion » a fait immédiatement réagir les élus et les associations, qui n'ont à aucun moment été associés à la rédaction dudit décret, pas plus d'ailleurs que notre groupe de travail. Cette façon de faire a anéanti toute chance de bonne compréhension du texte par les citoyens. Le manque de transparence est toujours source de conflits, et l'élaboration de ce décret n'échappe pas à la règle.
J'en viens maintenant aux outils et aux méthodes à favoriser.
Il s'agit tout d'abord de la gestion intégrée des zones côtières, telle que définie dans la recommandation européenne 2002/413/CE, cette nouvelle approche étant centrée sur la nécessité de développer une politique partenariale et contractuelle. Les retards actuels, les incertitudes sur l'avenir des contrats de plan Etat-région augurent mal d'une volonté réelle du Gouvernement de progresser, en matière de politique du littoral, vers un partenariat effectif entre les collectivités territoriales et l'Etat.
Il s'agit ensuite de la politique en matière de décentralisation : aujourd'hui, le Gouvernement est engagé par de nouveaux textes, critiquables et critiqués, qui auront inévitablement une incidence sur la politique du littoral. En restreignant les moyens financiers des collectivités territoriales et en organisant la concurrence entre territoires, ces textes hypothèquent grandement tout espoir d'une politique active en faveur des zones littorales.
Il s'agit enfin du Conservatoire de l'espace littoral : les propositions concernant cet outil unanimement salué vont dans le sens des préconisations du rapport rendu par notre collègue Louis Le Pensec au Premier ministre en 2001.
M. Le Pensec avait par exemple suggéré de placer le Conservatoire à la tête d'un réseau d'établissements publics agissant pour son compte et sous son contrôle, les collectivités territoriales étant associées à la gestion. Cette proposition est reprise dans le rapport du groupe de travail, et je m'en réjouis.
En revanche, les coupes budgétaires opérées au détriment du Conservatoire sont des signes inquiétants, et M. Alduy s'est exprimé sur ce point tout à l'heure.
Vous m'objecterez, monsieur le secrétaire d'Etat, que le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire du 14 septembre 2004 a décidé d'accroître de 8 millions d'euros le montant des crédits inscrits dans le projet de loi de finances pour 2005.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Voilà !
Mme Yolande Boyer. Certes, mais je vous renverrai à la proposition initiale, qui était de 11,5 millions d'euros, contre 26,33 millions d'euros en 2002. Si au moins notre rapport a pu servir à éviter que l'on en reste au montant initialement prévu, ce n'est déjà pas si mal. Cependant, tout cela montre qu'il n'y a pas de volonté du Gouvernement de pérenniser cet outil remarquable ! Cela est néanmoins indispensable, comme l'ont également souligné plusieurs des intervenants qui m'ont précédée. Les moyens supplémentaires qui seront consentis concernent les investissements et non l'augmentation des effectifs des personnels, pourtant bien nécessaire.
S'agissant de la création du conseil national du littoral, prévue dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux actuellement en discussion au Parlement, celle-ci est destinée à concrétiser une approche partenariale entre l'Etat, les associations, les acteurs économiques et, bien entendu, les élus pour la définition et le suivi de la politique littorale. Malheureusement, on risque d'en rester une fois de plus au stade des bonnes intentions. Nous pensons pour notre part que ce conseil peut être un bon outil, à la condition qu'on lui donne les moyens de fonctionner.
Quant au thème de l'urbanisme, il me semble constituer la partie la plus délicate du rapport.
En effet, force est de reconnaître que la loi littoral a posé et pose toujours un certain nombre de problèmes insolubles dans des communes côtières. Cette situation est la conséquence, notamment, des défaillances de l'Etat depuis la promulgation de la loi littoral en 1986. Les aménagements proposés par le groupe de travail risquent de présenter les mêmes défauts que la loi initiale : imprécisions et insécurité juridique menacent d'être au rendez-vous pour les citoyens et les élus locaux. Nous avons tous compris l'intérêt de limiter, voire de proscrire, les constructions ou installations liées aux activités agricoles ou forestières de nature à porter atteinte à l'environnement et aux paysages. Il faut cependant se garder d'empêcher tout développement économique, car le littoral est et doit demeurer un lieu de vie et de travail pour nos concitoyens.
C'est dans cet état d'esprit que, voilà quelques années, j'ai essayé de contribuer à rendre compatibles le code de l'urbanisme et la loi littoral, par la défense d'un amendement adopté à l'unanimité lors de l'élaboration de la loi d'orientation agricole. Cet amendement a permis d'affirmer le rôle de la commission départementale des sites, perspectives et paysages. Cinq ans plus tard, l'usage et l'interprétation du dispositif prévu par cet amendement en font un outil pour la protection du littoral et l'évaluation des projets, nous garantissant contre le risque de dérive, au rebours des craintes de ceux qui y voyaient une victoire du lobby de l'agriculture intensive.
On constate aujourd'hui le développement viable de certaines activités compatibles avec le respect du principe de protection du littoral. Dans le domaine agricole, l'essor de l'agriculture biologique en est une illustration. Faire vivre une famille en milieu littoral grâce à une activité respectueuse de l'environnement : ne serait-ce pas là un exemple d'activité raisonnée sur lequel on devrait s'attarder ?
A cet égard, j'ai en tête le cas d'un agriculteur finistérien qui, aujourd'hui, pâtit d'une lecture très stricte du code de l'urbanisme. En quelques années, il a démontré que son exploitation agricole biologique est viable, mais on lui interdit la construction d'un hangar de stockage agricole de 150 mètres carrés au coeur de son exploitation, qui lui permettrait d'asseoir durablement son activité. La demande de permis de construire présentait pourtant un volet paysager, de manière à limiter l'impact de la construction sur le site. Puisqu'il ne s'agit pas d'une installation classée telle qu'un atelier porcin ou un élevage de volailles, ce qui soulèverait la question délicate du traitement des effluents, pourquoi ne serait-on pas en mesure aujourd'hui d'évaluer la nature réelle d'un tel projet ?
Je ne voudrais pas limiter mon propos à la seule dimension agricole, même s'il s'agit d'un sujet particulièrement sensible en Bretagne, monsieur le secrétaire d'Etat. La question de la construction d'édifices d'intérêt public, comme les stations d'épuration, les parcs de stationnement de véhicules et autres équipements nécessaires dans les zones de forte pression touristique, pourrait, pour partie, être résolue dans la concertation et la responsabilisation locales ainsi qu'en faisant appel au bon sens.
II faut offrir aux acteurs du débat sur la protection du littoral les moyens d'atteindre la maturité d'une réflexion concertée. L'Etat doit y jouer pleinement son rôle en fixant un cadre et des règles, à charge pour les échelons locaux - regroupés, pourquoi pas, au sein de schémas de cohérence territoriale - de définir une politique commune pour le littoral à travers un mode de fonctionnement et un schéma de prise de décision.
Les SCOT sont en effet un axe qui mérite examen, mais ce ne sera pas non plus l'instrument miracle qui réglera tout. Il est essentiel de souligner l'importance que devront jouer les pays « maritimes » dans la définition d'une politique commune de planification efficace et compréhensible. L'objectif est de permettre aux élus de plusieurs collectivités de travailler ensemble à la définition d'une politique commune pour le littoral, d'une politique d'aménagement du territoire, de développement économique et de soutien aux activités traditionnelles, tout en protégeant le patrimoine naturel.
Cependant, l'Etat doit assumer son rôle de vigilance, empêcher les dérives et veiller, par des mesures adaptées, à ce que l'objectif de la loi littoral - la protection de l'environnement - demeure.
L'Etat dispose pour cela de plusieurs leviers.
Il dispose tout d'abord d'un levier fiscal. Il est nécessaire de favoriser l'engagement des collectivités dans des démarches significatives de protection des territoires, au besoin par des incitations fiscales adaptées. Aujourd'hui, pour un élu, il est plus facile de laisser construire des logements, qui seront une source de revenus sous forme de taxes, alors que la protection en termes marchands « ne rapporte rien » !
Ensuite, l'Etat et ses services doivent faire preuve de pédagogie en menant une véritable action de sensibilisation et d'explication.
Enfin, l'Etat dispose de l'outil réglementaire et législatif. Qu'est-ce qu'un hameau ? Qu'est-ce qu'un village ? Les définitions sont différentes selon les régions de France. Comment définit-on les espaces remarquables et les espaces proches du rivage ? Une définition précise des notions d'urbanisation et de continuité s'impose.
Les travaux des parlementaires pointent avec acuité les lacunes et les difficultés de la loi. Ils précisent également les enjeux. Nous sommes donc en présence d'informations tangibles permettant à l'Etat d'impulser les moyens d'une politique réaliste et déterminée de protection de notre littoral en partenariat avec les habitants.
Le littoral est un lieu de vie pour tous les citoyens. Faisons en sorte qu'il s'affirme aussi comme un lieu de citoyenneté. Nous souhaitons que, d'une gestion pacifiée du littoral, découle une protection renouvelée. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson.
M. Pierre Hérisson. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais tout d'abord saluer l'excellent travail des auteurs de ce rapport, qui fait le nécessaire bilan de l'application de la loi littoral dans notre pays.
Ce rapport ne cherche pas à remettre en cause ou à critiquer la loi littoral, qui est une bonne loi. Je ne dis pas cela parce qu'elle a été adoptée à l'unanimité ; je ne pense pas, en effet, que les lois votées à l'unanimité soient toujours les meilleures. Elles ont un certain nombre de vertus, mais elles présentent aussi de gros défauts, comme celui de contenir des ambiguïtés.
Les propositions qui figurent dans ce rapport me permettent de dire que la loi littoral n'est pas un sujet tabou, contrairement à ce que certains pensent. Il est logique que, au bout de dix-huit ans, une société comme la nôtre, au-delà du bilan nécessaire et sans volonté aucune de remettre en cause les principes fondamentaux de la protection du littoral, procède à des ajustements.
En effet, certaines difficultés sont apparues. Celles-ci nous ont obligés à mettre en place soit un schéma de cohérence territoriale, soit des mesures nécessaires au développement économique de notre pays. Nous vivons en économie de marché, et nous n'allons pas construire les équipements touristiques nécessaires au développement des activités lacustres et nautiques à des distances qui ne seraient pas considérées comme raisonnables par la clientèle des établissements !
Désespérément optimiste, je reste persuadé que notre mission est aussi de rendre les choses possibles. Lorsque nous voulons protéger, il nous faut faire attention aux glissements involontaires qui rendraient toute réalisation systématiquement impossible.
Mon intervention portera plus particulièrement sur l'application de la loi littoral aux lacs de plus de 1 000 hectares situés en zone de montagne : le lacs Léman, les lacs du Bourget, d'Annecy, de Serre-Ponçon et de Sainte-Croix sont les cinq principaux lacs de montagne concernés par la loi littoral, mais également par la loi montagne.
Maire depuis bientôt trente ans d'une commune où s'applique la loi littoral, président du syndicat intercommunal du lac d'Annecy, je m'exprime aussi au nom de l'ensemble de nos collègues qui rencontrent des difficultés du fait que leur commune se situe près de l'un de ces plans d'eau.
J'aimerais, monsieur le secrétaire d'Etat, que vous nous apportiez des éclairages sur des dispositions qui pourraient à l'avenir être plus clairement définies afin d'éviter les difficultés et les ambiguïtés au moment de l'élaboration des documents administratifs, les contentieux administratifs et une jurisprudence quelque peu incohérente : les jugements s'apparentent en effet plus à la roulette russe qu'à une jurisprudence constante ! (Sourires.)
Je vous poserai donc trois questions, monsieur le secrétaire d'Etat.
La loi littoral, avec l'application de la bande des cent mètres aux lacs de plus de 1 000 hectares qui se situent en zone de montage, pourrait-elle intégrer une véritable politique du « trait », lequel serait établi dans les documents administratifs et soumis à enquête publique ? Les recours pourraient être purgés, puis l'élaboration d'un véritable document de cartographie permettrait d'éviter à l'avenir l'essentiel des contentieux. En effet, le nombre de ces derniers ne peut pas continuer à augmenter dans ce domaine.
Pourrions-nous également obtenir des garanties sur le renforcement des moyens financiers du Conservatoire de l'espace littoral et des précisions quant à la pérennité des recettes le concernant, et ce afin de pouvoir mener une véritable politique d'ouverture des rivages au public ? Autour des lacs concernés, l'envolée des prix du foncier rend totalement impossible les acquisitions de propriétés bâties ou non bâties à des fins d'ouverture ou de protection des espaces naturels sensibles par les collectivités locales. La loi ouvre le droit de préemption au Conservatoire de l'espace littoral ou, par délégation, au conseil général ou, en dernier lieu, à la collectivité locale. Trop souvent, celle-ci est laissée seule, et elle ne dispose pas des moyens financiers suffisants pour réagir dans des conditions satisfaisantes.
Enfin, dans la bande des cent mètres, où se situe bien souvent la zone de préemption, pourrions-nous rechercher la simplification ? Les collectivités pourraient-elles faire valoir leur droit de préemption sans qu'apparaisse parfois une contradiction entre la volonté de protection des espaces naturels sensibles et la nécessité de l'ouverture au public ?
Monsieur le secrétaire d'Etat, à propos de la politique du « trait », j'ai beaucoup apprécié que l'Assemblée nationale adopte un amendement en ce sens. Je vous invite d'ailleurs, mes chers collègues, à suivre l'Assemblée nationale sur ce point lorsque cet amendement sera discuté au Sénat dans quelques semaines. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-Yvon Trémel.
M. Pierre-Yvon Trémel. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, je voudrais à mon tour dire combien je me félicite de l'occasion qui nous est donnée de débattre de l'application de l'une des lois les plus célèbres de notre patrimoine législatif, et je tiens à remercier ceux qui ont contribué à l'inscription de ce débat à l'ordre du jour des travaux de la Haute Assemblée.
Le Sénat, représentant des collectivités territoriales, répond ainsi à une forte attente des élus du littoral, tant ceux-ci sont aujourd'hui confrontés à des pressions, à des difficultés face auxquelles nous n'avons pas le droit de les laisser seuls.
Toutes ces dernières semaines, les quotidiens régionaux de l'Ouest, que vous connaissez bien, monsieur le secrétaire d'Etat, ont consacré des pages entières aux problèmes concrets vécus au sein de nombreuses communes du littoral breton. Je puis vous assurer, monsieur le président du groupe de travail, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les membres du groupe de travail que le rapport n° 421 du Sénat a été et est très lu. Il suscite, vous vous en doutez, des réactions contradictoires.
Je m'autorise à citer quelques titres relevés dans ces quotidiens : « Loi littoral : les maires grognent » ; « La loi littoral fait grincer les dents des maires du département », « Les maires veulent plus de clarté » ; « Loi littoral : sous la plage, les pavés ? » ; « Loi littoral : un rapport qui divise » ; « Littoral, la loi est dure » ; « Malaise face à la loi littoral », ...
Dans le département des Côtes-d'Armor, où soixante-six communes sont concernées, la situation est tellement tendue actuellement que l'association départementale des maires a choisi de faire de l'application de la loi littoral le thème principal de son congrès qui se tiendra samedi prochain.
A l'échelle nationale, cette tension est tout aussi perceptible. Ce n'est donc pas un hasard si, au cours de cette seule année 2004, ont été consacrés à la situation de notre littoral et à l'évaluation de la loi littoral un rapport du Sénat, un rapport d'information de l'Assemblée nationale, un rapport de la Délégation à l'aménagement du territoire et à l'action régionale, une partie importante du comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, des dispositions dans le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux et - je tiens aussi à le citer - un excellent rapport rendu par le conseil économique et social régional de Bretagne en juin dernier.
Parmi les conclusions à tirer de ces différents travaux et contributions, apparaissent de nombreux points de convergence, notamment au niveau du diagnostic.
Tout d'abord, l'espace littoral continue de subir de fortes pressions : il suscite de nombreux conflits d'usage, souvent difficiles à réguler. Ainsi que vous l'avez rappelé, monsieur le président du groupe de travail, il s'agit d'un espace fragile, convoité et confronté à des mutations lourdes.
Ensuite, la loi littoral de 1986 est pertinente. C'est une bonne loi, cependant handicapée par l'absence ou l'inadéquation des décrets d'application, par la faiblesse des outils de planification, ainsi que par certaines difficultés de lisibilité.
A ce titre, les jugements portés lors de l'élaboration des deux rapports parlementaires sont très sévères, mais ils sont, hélas ! objectifs.
Ainsi, M. le président Alduy explique que l'Etat n'a pas été « à la hauteur de ses ambitions » et M. le rapporteur Gélard dénonce « la piètre qualité, l'élaboration tardive et l'absence de publication des décrets nécessaires à la mise en oeuvre de la loi ».
Le rapport de l'Assemblée nationale va encore plus loin. Il déclare que « le pouvoir réglementaire a assez largement failli à la mission qui lui était assignée par le législateur, consistant à préciser, en collaboration avec les élus, les conditions locales de l'application de la loi littoral».
Ces deux rapports parlementaires utilisent ainsi le même langage pour dénoncer les mêmes déficiences, que plusieurs de nos collègues ont déjà évoquées.
D'abord, les décrets d'application sont parus tardivement et, à ce jour, certains sont toujours attendus !
Ensuite, plusieurs des décrets parus, comme celui concernant les espaces remarquables, ont fait l'objet d'une interprétation extensive, ce dont nous avons pu mesurer les effets dans de nombreuses communes : désormais, certains considèrent que « tout ce qui n'est pas construit est espace remarquable » !
J'ajoute que les documents de planification se sont révélés inadaptés.
Je veux ici apporter un témoignage concernant les SMVM, ou schémas de mise en valeur de la mer.
Dans le département des Côtes-d'Armor, sur 3 SMVM qui ont été lancés - c'est, je crois, un record national - un seul, après des années d'études, des réunions innombrables et beaucoup de relances, a presque abouti !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Tout est dans le « presque » ! (Sourires.)
M. Pierre-Yvon Trémel. Initié en 1993, le schéma de mise en valeur de la mer du Trégor-Goélo attend aujourd'hui une finalisation par un décret en Conseil d'Etat !
Je crois avoir été un acteur présent et très motivé dans l'élaboration de ce SMVM. Or, force est de constater que la procédure est trop longue, trop lourde et connaît des retards souvent dus à une insuffisance des crédits de l'Etat !
L'ambition affichée dans les directives territoriales d'aménagement, les DTA, n'a pas, elle non plus, été comblée !
Le vide et la faiblesse réglementaires ont, dès lors, laissé une place trop importante à la jurisprudence. Cet état de fait crée une insécurité juridique qui devient aujourd'hui insupportable dans de nombreuses communes du littoral.
Pour ce qui concerne l'état des lieux, dans la mesure où nous ne disposons d'aucun rapport annuel de l'Etat, je salue la qualité du travail d'évaluation que le Parlement vient d'effectuer.
Toutefois, je souhaiterais exprimer deux regrets concernant le rapport du Sénat.
Tout d'abord, j'aurais aimé y trouver un développement décrivant l'hétérogénéité du littoral français, à laquelle M. le rapporteur a fait largement allusion dans son intervention.
Il s'agit là, en effet, d'un phénomène qui renforce la complexité de la problématique devant laquelle nous nous trouvons.
J'attendais aussi plus d'audace et de pistes envisagées pour sortir de l'insécurité juridique en matière d'urbanisme.
Quoi qu'il en soit, la seule question qui vaille désormais est celle du devenir de ces rapports. Concrètement, quelles seront les suites qui vont être données aux propositions qu'ils contiennent ?
M. Jean-Paul Alduy, président du groupe de travail. Bonne question !
M. Pierre-Yvon Trémel. Certes, nous savons déjà que certaines propositions vont devenir des réalités, à la suite notamment du comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, le CIADT, ainsi que du vote du projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.
Les outils de planification vont également être simplifiés, avec une reconnaissance des SCOT. Je dois dire que, sur ce dernier point, les opinions quant aux résultats à attendre de cette mesure sont partagées.
En revanche, nous restons sur notre faim en matière de clarification des règles d'urbanisme. Une telle clarification serait pourtant utile pour permettre un meilleur équilibre entre protection du littoral et aménagement du territoire.
A ce sujet, je me permettrai de mentionner les conclusions d'un groupe de travail mis en place par l'association départementale des maires des Côtes-d'Armor.
Ce groupe de travail a procédé en septembre à une classification par thèmes des problèmes rencontrés dans les soixante-six communes concernées par la loi littoral, et a ainsi mis en lumière un certain nombre de réalités : les difficultés rencontrées sur la bande des cent mètres concernent six communes ; les espaces proches du rivage, dix communes ; le principe de continuité du bâti existant, dix communes ; la définition des hameaux et villages, six communes ; les certificats d'urbanisme positifs et le refus du permis de construire, dix communes ; les espaces remarquables, trois communes ; enfin, les difficultés liées à la transformation des POS en PLU concernent la quasi-totalité des soixante-six communes !
Je ne sais si un tel inventaire pourrait s'appliquer à tous les départements côtiers, mais vous conviendrez qu'il illustre bien certaines difficultés vécues par les maires du littoral.
Pour ma part, ayant visité assez souvent ces communes du littoral, je pense sincèrement que des solutions pourraient être trouvées avec un peu de bon sens et une volonté réelle de concertation. Cela impliquerait au minimum des visites communes des lieux de la part des maires et des agents de l'administration.
Je crois aussi, monsieur le secrétaire d'Etat, qu'il est nécessaire de veiller à ce que les positions arrêtées par les différents représentants de l'Etat soient cohérentes. A ce titre, je remarque que les services de la Direction départementale de l'équipement, d'une part, et les autorités chargées du contrôle de légalité, d'autre part, prennent des décisions souvent contradictoires ! Voilà qui est parfaitement incompréhensible pour les élus et la population !
A présent, je souhaiterais évoquer rapidement les trois problèmes qui rendent nécessaire, à mes yeux, une clarification de la loi littoral dans les meilleurs délais.
Le premier d'entre eux concerne la pérennité des exploitations agricoles.
Quelques situations deviennent ingérables lorsqu'il s'agit, pour des agriculteurs, de procéder à des actions de mise aux normes obligatoires ou de réaliser des travaux de modernisation, comme la construction de serres dans des zones légumières.
Le deuxième problème est lié au principe de l'urbanisation en continuité dans l'ensemble du territoire d'une commune littorale
Le premier alinéa du fameux article L. 146-4 du code de l'urbanisme prévoit que « l'extension de l'urbanisation doit se réaliser, soit en continuité avec les agglomérations et villages existants, soit en hameaux nouveaux intégrés à l'environnement ».
En Bretagne, le cas des hameaux nouveaux ne pose pas de problème fondamental, et il n'y a guère de difficultés sur l'interprétation du terme « agglomération », puisqu'il s'agit du centre-ville ou du centre-bourg, ainsi que de leur périphérie immédiate.
En revanche, l'interprétation du terme « villages existants » pose des problèmes incommensurables. Les tribunaux, après un travail d'exégèse, considèrent qu'un village est un « ensemble d'habitations permanentes » comportant « un lieu de vie publique », comme une place, une chapelle, une mairie annexe ou un débit de boissons.
M. Pierre Hérisson. Un bureau de poste !
M. Pierre-Yvon Trémel. On est progressivement arrivé à un « urbanisme de prétoire » et - je le crois sincèrement - à une déformation de l'esprit même de la loi littoral.
En 1986, l'objectif était d'éviter l'extension du mitage dans les communes côtières. C'était évidemment un objectif louable, qu'il faut maintenir. Mais, dans le même temps, il faut permettre une densification mesurée des mitages existants, car cela ne change plus rien.
Il faut, monsieur le secrétaire d'Etat, stopper cette inflation contentieuse en clarifiant ce principe de l'urbanisation en continuité, notamment en introduisant dans la loi la notion de « densification mesurée » que j'évoquais à l'instant.
Enfin, le troisième problème concerne la compatibilité entre la loi littoral et les documents d'urbanisme approuvés.
Dans de nombreuses communes, des POS ont été instruits, construits et approuvés dans le cadre d'une étroite relation entre l'Etat et les collectivités locales.
Pour adopter un POS dans une commune du littoral, il a fallu - et certains d'entre vous l'ont vécu, mes chers collègues - plusieurs années de concertation et de travail, tant les pressions diverses sont fortes.
Or, en se fondant sur la jurisprudence, le contrôle de légalité demande maintenant fréquemment à des maires de retirer des arrêtés accordant des permis de construire, alors même que ceux-ci sont pris sur la base de certificats d'urbanismes positifs.
Les maires sont confrontés à une insécurité juridique qui devient insupportable. Les voilà ballottés, interpellés de manière contradictoire par l'Etat, ainsi que par les propriétaires de terrains déclarés constructibles, les détenteurs de permis ou de certificats d'urbanisme positifs, les associations de protection de l'environnement, et même par les voisins, soucieux de défendre leur pré carré ! (Sourires.)
Il n'est plus acceptable de voir des familles passer « du rêve au cauchemar » et des élus sous pression juridique permanente !
J'attends donc, monsieur le secrétaire d'Etat, que, à l'occasion de ce débat, vous puissiez nous faire connaître la position et les intentions du Gouvernement face à ces situations concrètes, vécues très difficilement.
Je sais que cet appel au bon sens, à la clarification et au retour à l'esprit initial de la loi est susceptible de créer des inquiétudes et des protestations par crainte d'une remise en cause fondamentale de la loi littoral.
Aussi, je tiens à lever toute équivoque, en affirmant clairement et fortement que telle n'est pas du tout l'intention des élus du littoral ! Ces derniers reconnaissent la pertinence de cette loi et sont, de surcroît, des acteurs très engagés dans la mise en oeuvre d'outils de protection et de valorisation du littoral.
Pour preuve, la boîte à outils de protection est largement utilisée. Je mentionnerai les SMVM, les sites Natura 2000, les réserves naturelles, les contrats de baie, les zones de préemption, les comités de bassins versants, les zones naturelles d'intérêt écologique, faunistique et floristique, ou ZNIEFF, ainsi que les schémas d'aménagement et de gestion des eaux, les SAGE.
Il convient aussi de souligner le rôle essentiel joué par le Conservatoire de l'espace littoral : dans notre département, il est propriétaire de 1200 hectares sur 22 sites !
Toute aussi utile est l'action du conseil général : celui-ci a fait l'acquisition de 600 hectares sur 40 sites ! Au total, le Conservatoire de l'espace littoral et le département possèdent 40 kilomètres sur les 350 kilomètres de notre front de mer !
Grâce à de solides partenariats contractualisés, le Conservatoire, le département, les collectivités locales et les associations peuvent mener ensemble des actions de protection, de valorisation, de sensibilisation et des projets éducatifs.
En Bretagne, monsieur le secrétaire d'Etat, nous faisons finalement depuis longtemps - peut-être sans le savoir (Sourires) - de la gestion intégrée des zones côtières.
Nous sommes même prêts à aller encore plus loin dans cette direction, en recherchant plus de cohérence et une meilleure organisation avec des moyens financiers adaptés !
Mais ce volontarisme ne doit pas être freiné ni troublé par les effets de l'insécurité juridique en matière d'urbanisme !
Les élus des communes du littoral demandent en fait une lecture plus équilibrée de la loi de 1986, dont le titre mérite d'être rappelé : « Loi relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral » !
Alors même qu'ils ont la volonté de continuer à participer activement à la protection du littoral, les élus ne peuvent accepter que des dérives dans l'application de la loi aboutissent à bloquer tout aménagement, tout développement de leur collectivité !
Ils ne peuvent pas plus accepter de voir leurs communes devenir des « réserves », avec un foncier et un immobilier inaccessibles aux autochtones ! (Sourires.)
Leur appel, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, est aujourd'hui pressant. Nous avons le devoir d'entendre leurs voix et de leur apporter des réponses. Celles-ci passent par la publication des derniers décrets attendus, par une approche globale évitant un traitement trop sectoriel et créant les conditions de sortie de l'insécurité juridique, et par une relance du dialogue à tous les niveaux, pour vraiment construire ensemble un développement équilibré et durable de notre littoral. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à Mme Dominique Voynet.
Mme Dominique Voynet. Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mesdames, messieurs les sénateurs, la loi du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral, dite loi « littoral », constitue à bien des égards une loi de développement durable cherchant à préserver les richesses naturelles d'un territoire parce qu'elles sont, aussi, sources de son attractivité et garantes de son développement économique, social et culturel.
La loi fut adoptée à l'unanimité - il n'est pas sûr que ce serait encore le cas aujourd'hui -, témoignant de la clairvoyance et de l'exigence des parlementaires. II est vrai que le jeu en valait la chandelle : mettre fin au massacre organisé du littoral, qui avait atteint un tel niveau que la majorité des Français en était choquée. Marinas, endiguements, urbanisation sauvage, pollutions terrestres, ports privés... contribuaient à la destruction, parfois irrémédiable, de cette fragile interface entre la mer et la terre.
L'application de la loi a été un combat difficile pour tous les ministres de l'environnement.
Comme le souligne le rapport de notre commission, la rédaction des décrets fut lente et chaotique. Aujourd'hui encore, la plupart d'entre eux n'ont pas été publiés. Non pas parce que l'administration de l'Etat ne les aurait pas préparés, mais parce que la pression de quelques lobbies de la destruction durable, pour lesquels « littoral » rime avec « profit », a conduit à des remises en cause continuelles de cette loi. Rares sont les lois qui ont, autant que celle-ci, justifié au fil du temps le dépôt ou la tentative de dépôt de tant d'amendements, de tant de cavaliers législatifs destinés, de façon frontale ou plus détournée, à la vider de tout contenu, de tout caractère contraignant...
Je dois noter avec satisfaction que tous les ministres en charge de l'environnement ont toujours lutté contre ces attaques. J'ai été moi-même confrontée à plusieurs tentatives bien préparées de remise en cause de la loi, y compris dans cette enceinte. Je pense par exemple aux pressions destinées à permettre que la loi sur la protection du littoral ne s'applique pas en Corse. Un arbitrage du Premier ministre - il fut, je l'avoue, difficile à obtenir - a évité cette catastrophe. Je tiens d'ailleurs à saluer la poignée d'élus corses qui, à l'époque, m'ont apporté leur soutien.
Si l'efficacité de la loi a pu être discutée parfois, si elle n'a pu empêcher la dégradation de certains sites, c'est d'abord parce que les moyens de la faire respecter ont été chichement mesurés. C'est ensuite parce que, sur le terrain, une ingéniosité diabolique a été déployée, avec souvent la complicité passive et même parfois le soutien explicite des élus locaux, pour en négocier l'application, pour en contourner les dispositions, pour inventer exceptions, accommodements et interprétations... Bungalows, paillotes et autres bâtiments à charpente métallique ont fait les beaux jours des exégètes de la loi littoral, sans même parler des villas construites sans permis de construire sur le littoral de la Corse et de la Guadeloupe, avec la complicité active des services de l'Etat !
Anecdotique ? Je veux bien, car la loi a montré « globalement » son efficacité. Selon la DATAR, elle a permis « d'éviter les grandes opérations immobilières et changé certaines pratiques, en favorisant la densification et l'urbanisation plus en retrait de la mer, moins fréquemment en site vierge. Elle n'a cependant empêché ni les constructions illégales ni le grignotage des espaces naturels ».
Le Conservatoire de l'espace littoral s'est révélé être un instrument efficace pour préserver les zones naturelles du littoral en dépit d'un manque continuel de moyens. Son succès est tel que beaucoup souhaitent aujourd'hui que son expérience serve de base à la mise en place de conservatoires des espaces naturels terrestres.
Pourquoi changer une loi qui gagne ? Ce serait utile, car on peut toujours faire mieux et que, on l'a vu, de nouvelles menaces sont apparues, ainsi que de nouveaux conflits d'usage que je ne songe pas à minorer. Je pense notamment à la perspective d'une concentration accrue de la population le long des fleuves et sur le littoral, dans les prochaines années. Avec une densité de population deux fois et demie supérieure à la moyenne nationale, avec une dynamique économique bien réelle et une pression touristique qui ne se dément pas, le littoral a déjà de lourds défis à relever.
Mais, évidemment, on tremble à l'idée d'ouvrir la boîte de Pandore, et on pressent qu'une remise en chantier aujourd'hui n'aboutirait qu'à un affaiblissement.
Notre inquiétude est d'autant plus forte que nous découvrons dans le rapport du Sénat que certains membres de la commission « estiment aujourd'hui que l'application de la loi littoral connaît certaines dérives, préjudiciables principalement aux habitants de ces espaces mais aussi à leurs élus ».
Vous me permettrez de douter que la majorité des habitants de ces espaces se considèrent comme victimes de la loi ; leur avis n'a d'ailleurs pas été sollicité. En revanche, j'admets volontiers qu'elle entrave de nombreux élus dans leur souhait d'aménager, d'équiper, de bétonner. Elle est faite pour cela !
Le problème, ce serait l'intervention des juges ! Mais, mesdames, messieurs les sénateurs, c'est parce que de nombreux élus ne respectent pas la loi qu'ils sont sanctionnés ! Soit ils sont victimes de recours abusifs et les tribunaux déboutent les détracteurs, soit ils ont outrepassé le droit et ils sont sanctionnés. Il est vrai que, dans le domaine de l'environnement, il est des élus qui ne considèrent pas qu'ils devraient, comme en toute chose, être les premiers à respecter la loi.
La protection du littoral est un enjeu national et doit le rester. Je suis d'accord pour offrir de la flexibilité aux régions ; Nicolas Alfonsi est un républicain exigeant, et il conviendra du fait qu'il faut refuser de remettre en cause les fondements même de la loi, comme par exemple l'inconstructibilité de la bande des cent mètres. Je juge d'ailleurs que, dans des espaces particulièrement sensibles et remarquables, la profondeur de cette bande protégée devrait pouvoir être portée à trois cents mètres.
Si un dialogue doit s'établir entre l'Etat, les élus et les gestionnaires d'espaces protégés, permettant à des solutions originales et innovantes d'émerger, dans le cadre d'une souplesse permise par la loi, il paraît difficile en revanche d'exposer les élus locaux à la pression des promoteurs, aux exigences des agents économiques et aux sollicitations amicales des particuliers.
A ce titre, les propositions qui ont été évoquées de faire du schéma de cohérence territoriale, le SCOT, le document de référence pour l'urbanisme côtier peuvent être dangereuses.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Ah !
Mme Dominique Voynet. En laissant le pouvoir de décision à ceux qui subissent les pressions des aménageurs, on court le risque d'accélérer l'urbanisation - j'ai vu que vous aviez bien identifié ce risque et prévu quelques filets de protection.
C'est un fait, la construction en zone littorale est plus étalée et plus individualiste que dans l'intérieur des terres, avec un phénomène d'appropriation de criques ou de chemins côtiers. Pour prévenir ce gaspillage d'espace, les experts prônent de favoriser les hébergements marchands, en gîtes ruraux notamment, créateurs d'emplois et offrant un meilleur taux d'occupation.
Pour éviter le « mitage » des côtes, on ne peut que plaider aux côtés de la DATAR pour des projets concertés d'aménagement. Je pense, par exemple, au syndicat mixte d'aménagement de la côte picarde, qui associe les communes, la région, les chasseurs et les écologistes dans la gestion d'espaces naturels et de structures touristiques respectueuses de l'environnement.
Ce n'est pas, évidemment, le seul problème que nous ayons à régler. Nous devons aussi prendre en compte l'utilisation de la mer à proximité, diminuer voire éradiquer les pollutions d'origine industrielle, urbaine, agricole, lutter contre la banalisation des milieux, notamment pour la création d'espaces de loisirs.
La qualité du littoral détermine aussi celle des milieux marins adjacents, y compris pour la ressource économique qu'ils représentent. La « mariculture », la conchyliculture, la pêche côtière dépendent étroitement de ce que nous faisons pour le littoral. Il faut accélérer, simplifier la réalisation des schémas de protection et de mise en valeur du milieu marin, et pas forcément y renoncer.
Le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire du 14 septembre dernier a décidé d'affecter 8 millions d'euros supplémentaires au budget du Conservatoire de l'espace littoral prévu pour 2005, permettant à celui-ci de retrouver le niveau financier de l'année 2000. Néanmoins, les moyens accordés au Conservatoire sont insuffisants. L'objectif du « tiers sauvage », continuellement ressassé, ne doit pas être une incantation magique mais doit devenir une réalité.
Le CIADT a renoncé à modifier la loi littoral; nous ne pouvons, dans le contexte actuel, que nous en féliciter. Mais l'annonce de modifications de la loi par quelques décrets d'application nous inquiète beaucoup. Quels nouveaux mauvais coups préparez-vous ?
Je suis surprise que vous n'ayez pas pris en compte le rapport de Louis Le Pensec, lequel avait fait de nombreuses propositions intéressantes. La France a soutenu et approuvé le programme d'action de la convention sur la diversité biologique sur les zones marines et côtières, y compris sa révision lors de la dernière conférence des parties en février dernier.
Je suis sidérée de constater que, dans la pratique, l'Etat n'en tient absolument pas compte. A quoi servent donc les engagements français sur le plan international ?
L'Union européenne s'est fixé comme objectif de stopper la diminution de la diversité biologique d'ici à 2010. Aucune des mesures annoncées ne fait référence à cet engagement, pourtant confirmé par le Président de la République. Croyez-vous que vos propositions vont permettre d'atteindre l'objectif ? Je ne le pense pas.
Je pense tout particulièrement aux départements et aux territoires d'outre-mer. Les mangroves et les récifs coralliens sont parmi les écosystèmes les plus riches de la planète. Nous avons la responsabilité particulière de préserver ces milieux sur notre territoire.
Je sais que vous aimez la mer, monsieur le secrétaire d'Etat. Ne soyez pas le premier ministre de l'histoire à affaiblir une loi qui a su résister, jusqu'à aujourd'hui, à toutes les alternances politiques et à toutes les pressions ! (M Jean Desessard applaudit.)
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Election de juges à la Haute Cour de justice
M. le président. Voici le résultat du scrutin pour l'élection des douze juges titulaires à la Haute Cour de justice.
Nombre de votants | 237 |
Nombre de suffrages exprimés | 229 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 115 |
Ont obtenu :
M. Roland Courteau : 229 voix ; M. Claude Saunier : 229 voix ; M. Yves Détraigne : 227 voix ; M. Hubert Haenel : 227 voix ; M. Patrice Gélard : 226 voix ; M. Jean-Jacques Hyest : 226 voix ; M. Georges Othily : 226 voix ; M. Bernard Saugey : 226 voix ; M. Jean-Pierre Cantegrit : 223 voix ; M. José Balarello : 222 voix ; M. Michel Dreyfus-Schmidt : 222 voix ; Mme Nicole Borvo : 222 voix.
MM. Roland Courteau, Claude Saunier, Yves Détraigne, Hubert Haenel, Patrice Gélard, Jean-Jacques Hyest, Georges Othily, Bernard Saugey, Jean-Pierre Cantegrit, José Balarello, Michel Dreyfus-Schmidt et Mme Nicole Borvo ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, je les proclame juges titulaires à la Haute Cour de justice.
Voici le résultat du scrutin pour l'élection des six juges suppléants à la Haute Cour de justice.
Nombre de votants | 234 |
Nombre de suffrages exprimés | 223 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 112 |
Ont obtenu :
M. Pierre-Yves Collombat : 219 voix ; M. Pierre Fauchon : 219 voix ; M. Jean Faure : 218 voix ; M. Roger Karoutchi : 218 voix ; M. Michel Charasse : 217 voix ; M. Jacques Peyrat : 216 voix.
MM. Pierre-Yves Collombat, Pierre Fauchon, Jean Faure, Roger Karoutchi, Michel Charasse et Jacques Peyrat ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés, je les proclame juges suppléants à la Haute Cour de justice.
15
Election de juges à la Cour de justice de la République
M. le président. Voici le résultat du scrutin pour l'élection de six juges titulaires et de leurs suppléants à la Cour de justice de la République :
Nombre de votants | 229 |
Nombre de suffrages exprimés | 219 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 110 |
Ont obtenu :
Mme Josette Durrieu et M. Claude Saunier : 218 voix ; M. Michel Dreyfus-Schmidt et M. Jean-François Picheral : 216 voix ; M. Hubert Haenel et M. Charles Guené : 216 voix ; M. Pierre Fauchon et M. Michel Mercier : 213 voix ; M. José Balarello et M. Hugues Portelli : 212 voix ; M. Laurent Béteille et M. Jean-René Lecerf : 212 voix.
Ayant obtenu la majorité absolue des suffrages exprimés sont proclamés juges à la Cour de justice de la République :
Mme Josette Durrieu, titulaire, et M. Claude Saunier, suppléant.
M. Michel Dreyfus-Schmidt, titulaire, et M. Jean-François Picheral, suppléant.
M. Hubert Haenel, titulaire, et M. Charles Guené, suppléant.
M. Pierre Fauchon, titulaire, et M. Michel Mercier, suppléant.
M. José Balarello, titulaire, et M. Hugues Portelli, suppléant.
M. Laurent Béteille, titulaire, et M. Jean-René Lecerf, suppléant.
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PRestation de serment de juges à la Haute Cour de justice
M. le président. Mme et MM. les juges titulaires à la Haute Cour de justice et MM. les juges suppléants à la Haute Cour de justice vont être appelés à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l'article 3 de l'ordonnance n° 59-1 du 2 janvier 1959 portant loi organique sur la Haute Cour de justice.
Je vais donner lecture de la formule du serment, telle qu'elle figure dans la loi organique. Il sera procédé ensuite à l'appel nominal de Mme et MM. les juges titulaires puis de MM. les juges suppléants. Je les prie de bien vouloir se lever à leur banc, lorsque leur nom sera appelé, et répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure. »
Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes et de me conduire en tout comme digne et loyal magistrat. »
(Successivement, MM. Yves Détraigne, M. Hubert Haenel, M. Patrice Gélard, M. Jean-Jacques Hyest, M. Bernard Saugey, M. José Balarello, M. Jean-Pierre Cantegrit et M. Michel Dreyfus-Schmidt, juges titulaires, et MM. Pierre-Yves Collombat, M. Pierre Fauchon et M. Michel Charasse, juges suppléants, se lèvent à l'appel de leur nom et disent, en levant la main droite : « Je le jure ».)
M. le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d'être prêté devant lui.
MM. Roland Courteau, Claude Saunier, Georges Othily, Mme Nicole Borvo, MM. Jean Faure, Roger Karoutchi et Jacques Peyrat, qui n'ont pu assister à la séance d'aujourd'hui, seront appelés ultérieurement à prêter serment devant le Sénat.
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PRestation de serment de juges à la Cour de justice de la République
M. le président. Mme et MM. les juges titulaires et MM. les juges suppléants à la Cour de justice de la République vont être appelés à prêter, devant le Sénat, le serment prévu par l'article 2 de la loi organique n° 93-1252 du 23 novembre 1993 sur la Cour de justice de la République.
Je vais donner lecture de la formule du serment. Il sera procédé ensuite à l'appel nominal de Mme et MM. les juges titulaires puis à l'appel nominal de MM. les juges suppléants. Je les prie de bien vouloir se lever à l'appel de leur nom et de répondre, en levant la main droite, par les mots : « Je le jure ».
Voici la formule du serment : « Je jure et promets de bien et fidèlement remplir mes fonctions, de garder le secret des délibérations et des votes et de me conduire en tout comme un digne et loyal magistrat ».
(Successivement, MM. Michel Dreyfus-Schmidt, Hubert Haenel, Pierre Fauchon, José Balarello, juges titulaires, et MM. Charles Guené, Michel Mercier, juges suppléants, se lèvent à l'appel de leur nom et disent, en levant la main droite : « Je le jure ».)
M. le président. Acte est donné par le Sénat du serment qui vient d'être prêté devant lui.
Mme Josette Durrieu, MM. Laurent Béteille, Claude Saunier, Jean-François Picheral, Hugues Portelli et Jean-René Lecerf, qui n'ont pu assister à la séance d'aujourd'hui, seront appelés ultérieurement à prêter serment devant le Sénat.
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aménagement, protection et mise en valeur du littoral
Suite d'un débat sur l'application d'une loi
M. le président. Nous reprenons le débat sur l'application de la loi n° 86-2 du 3 janvier 1986 relative à l'aménagement, la protection et la mise en valeur du littoral.
Dans la suite du débat, la parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. François Goulard, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je me réjouis, comme l'ont fait un certain nombre d'entre vous, de l'inscription de ce débat à l'ordre du jour réservé de votre assemblée. Il était en effet utile que nous puissions nous exprimer longuement sur la grande loi du 3 janvier 1986 et sur ses conséquences.
Avant de répondre point par point aux différents orateurs, je vous livrerai quelques réflexions d'ordre général.
Tout d'abord, je me sens en harmonie avec celles et ceux - à l'exception, peut-être, de Mme Voynet, mais elle me le pardonnera - qui se sont exprimés à cette tribune. Nous faisons en effet des constats communs puisque nous sommes, pour beaucoup d'entre nous, des élus du littoral. Nous savons donc quelles sont les difficultés réelles, ce qui nous permet de porter des appréciations assez voisines qui vont au-delà des clivages politiques.
Ensuite, je me sens également en harmonie, monsieur le président, monsieur le rapporteur, avec l'esprit de votre rapport. Votre travail, d'une très grande qualité, pousse loin l'analyse et contient des propositions audacieuses.
Les Français ont parfois, malheureusement, une connaissance assez superficielle, voire touristique, du littoral. Beaucoup de nos compatriotes ne savent pas à quel point, au-delà de sa nécessaire protection, le littoral constitue un enjeu en termes de développement : un nombre important de personnes y vivent, elles ont besoin d'y trouver des emplois et des conditions d'existence favorables.
C'est une réalité que les élus du littoral ne peuvent ignorer, M. le sénateur des Côtes-d'Armor l'a dit, mais on n'en a pas assez conscience sur l'ensemble du territoire national.
En conséquence, la loi du 3 janvier 1986 revêt un caractère symbolique et toute idée d'y porter atteinte entraîne immédiatement une levée de boucliers, qui peut se comprendre eu égard à l'esprit de la loi mais qui se comprend moins bien au vu des inconvénients, que vous avez tour à tour évoqués, mesdames, messieurs les sénateurs, auxquels sont confrontés les élus.
Il n'empêche que - ce fait politique ne peut être négligé - les Françaises et les Français, dans leur ensemble, sont extraordinairement attachés à la loi du 3 janvier 1986. Il faut donc faire preuve d'une prudence extrême à son endroit, car elle constitue un symbole fort.
C'est un texte fondateur, puisqu'il a inauguré une nouvelle perception des questions qui se posent sur notre littoral.
Ce point devait être d'emblée souligné pour répondre à ceux d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, qui ont appelé de leurs voeux des modifications parfois sensibles de cette loi.
Par ailleurs, je veux également insister sur la diversité du littoral français, qui pose une véritable difficulté au législateur que vous êtes.
En effet, la rédaction d'un texte de portée générale s'avère assez malaisée à mettre en oeuvre puisqu'elle doit s'appliquer à des situations très contrastées : mers subissant ou non les marées, côtes rectilignes sablonneuses, côtes très découpées - comme celles de la Bretagne -, hauteur extrêmement variable des falaises.
De plus, l'occupation du littoral est très variée et le degré d'urbanisation très inégal. On a cité le cas de la Corse, et j'y reviendrai, mais il ne faut pas confondre le littoral français avec quelques zones limitées où les plus grands excès ont été commis.
Quoi qu'il en soit, le législateur rencontre une véritable difficulté lorsqu'il s'agit de définir des règles d'application adaptées à l'ensemble du littoral français.
Par ailleurs, les élus locaux chargés de la gestion des collectivités territoriales du littoral rencontrent eux aussi des difficultés : fluctuations saisonnières de la population dues à la fréquentation touristique, gestion de l'attractivité du littoral, qui est une chance pour toutes les régions concernées mais qui constitue également un défi, prix du foncier qui gêne, par exemple, la construction des logements sociaux, et textes législatifs qui sont, à l'instar de celui qui fait l'objet de notre débat aujourd'hui, plus contraignants qu'ailleurs.
Monsieur le président du groupe de travail, vous avez axé votre propos sur le Conservatoire de l'espace littoral, qui fait naturellement l'objet d'une attention particulière de la part du Gouvernement.
Contrairement à ce que certains ont pu dire dans le cours de leurs interventions, il n'est évidemment pas question de mettre en cause, de quelque façon que ce soit, le Conservatoire, son rôle et ses missions.
Plusieurs d'entre vous, mesdames, messieurs les sénateurs, ont rappelé que, lors du CIADT du 14 septembre dernier, une dotation complémentaire de 8 millions d'euros, en autorisations de programme comme en crédits de paiement, a été attribuée au Conservatoire. Ces crédits correspondent à des besoins réels.
J'en profite pour dire immédiatement à Mme Voynet qu'il ne sert de rien de surdoter budgétairement un établissement public si les consommations ne suivent pas : cela s'appelle de l'affichage ! Et je suis obligé de vous dire, madame la sénatrice, que, à certaines époques, pour des raisons d'affichage politique, des établissements publics, notamment à vocation environnementale, ont été surdotés - je fais allusion, pour être plus précis, à l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de l'énergie, l'ADEME -, alors que la consommation des crédits ne suivait pas. Je ne crois pas qu'il s'agisse là d'une bonne politique.
Il faut que le Conservatoire de l'espace littoral ait les crédits dont il a besoin pour remplir son rôle ; il les aura l'année prochaine, grâce à cette dotation complémentaire ; il les aura également au fil du temps.
Par ailleurs, la création d'une imposition particulière sur les équipements portuaires a été proposée pour constituer une ressource affectée du Conservatoire.
M. Patrice Gélard, rapporteur du groupe de travail. C'est idiot !
M. François Goulard, secrétaire d'Etat. Ce serait selon moi une erreur profonde ! En effet, une telle disposition irait à l'encontre de la volonté exprimée par plusieurs d'entre vous : protéger le littoral, naturellement, tout en mettant en avant les atouts maritimes de la France. Or les atouts portuaires constituent un enjeu majeur pour un pays comme le nôtre.
Par conséquent, taxer spécifiquement les investissements portuaires - dont nous avons besoin mais qui sont coûteux - au profit de la protection du littoral serait, à mon sens, une mauvaise politique.
Il faut que le budget de l'Etat donne au Conservatoire les moyens d'assurer ses missions, mais la surtaxation des équipements portuaires serait une profonde erreur.
L'augmentation des prix du foncier a également été évoquée. C'est une réalité, certes, mais les collectivités locales ont aussi un rôle à jouer en la matière. Le classement des terrains dans les documents d'urbanisme est en effet une assez bonne façon de peser sur les coûts du foncier en cas d'acquisition par le Conservatoire. C'est une arme non négligeable, qui doit être largement utilisée.
Monsieur le rapporteur, j'ai beaucoup apprécié vos propos.
Le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux, examiné récemment par l'Assemblée nationale, a été modifié par amendement pour créer le conseil national du littoral. Aux termes d'un amendement du Gouvernement, ce conseil sera consulté sur tout projet de décret relatif à la gestion du domaine public maritime. Une telle mesure, monsieur le rapporteur, devrait être de nature à répondre à vos préoccupations.
Pour autant, je suis tout à fait d'accord avec vous : les élus du littoral doivent, à l'instar des élus de la montagne, être directement associés à la discussion de toutes ces grandes questions.
Le décret du 20 septembre 1989, qui a étendu la notion d'espaces remarquables, a également été critiqué. J'ai entendu dire tout à l'heure qu'il avait en quelque sorte durci les dispositions législatives et qu'il était allé plus loin que la loi : telle n'est pas la position du Conseil d'Etat, qui a considéré que ce décret était parfaitement conforme à la loi. Il est même ressorti des discussions du Conseil d'Etat que ce décret aurait pu être encore plus protecteur qu'il ne l'était eu égard aux dispositions législatives qu'il était chargé de mettre en oeuvre.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Tout à fait !
M. François Goulard, secrétaire d'Etat. Quant aux espaces proches du rivage, j'insiste sur l'arrêt du Conseil d'Etat du 3 mai 2004 concernant la commune de Guérande. Il apporte en effet une modification fondamentale à la jurisprudence relative à la définition des espaces proches du rivage, grâce à une règle qui combine trois critères. Cette règle est beaucoup plus adaptée que celle de la simple distance qui prévalait jusqu'à présent.
Certains intervenants ont critiqué la jurisprudence. Il arrive, mesdames, messieurs les sénateurs, qu'elle soit aussi extrêmement positive, ce qui est le cas ici puisqu'un progrès a manifestement été réalisé.
Il a également été dit, mesdames, messieurs les sénateurs, que les textes d'application de la loi du 3 janvier 1986 n'avait pas été publiés en temps et en heure. Sans doute ont-ils, pour certains d'entre eux, tardé. Mais force est de constater, madame Voynet, que le décret sur les estuaires, qui était important puisqu'il conditionnait l'application du texte à certaines communes, n'a pas été publié alors que vous étiez au gouvernement. C'est le gouvernement d'après 2002 qui l'a fait paraître !
Quoi qu'il en soit, il reste aujourd'hui fort peu de décrets d'application à paraître sur cette loi.
L'un d'entre eux, qui ne paraîtra sans doute jamais, permet d'étendre le champ d'application de la loi littoral à des communes rétrolittorales ou des communes d'estuaire en amont de la limite de salure des eaux : en l'absence de demande, ce décret n'a pas lieu d'être.
Quant au décret d'application de l'amendement Gaillard, il sera transmis prochainement au Conseil d'Etat, de même que le décret d'application du texte relatif aux concessions de plage.
En tout état de cause, au vu des difficultés rencontrées par les élus sur leur littoral, il était nécessaire que l'on essaie de préciser, en concertation avec eux, la rédaction des textes, ce qui est extraordinairement délicat tant il est vrai que cette rédaction doit couvrir des situations très diverses et généralement complexes.
Je retiens en tout cas, monsieur le rapporteur, cette notion centrale de gestion intégrée du littoral et d'association des collectivités territoriales, ainsi que l'outil majeur que peut constituer le schéma de mise en valeur de la mer, réformé comme vous l'avez proposé.
A cet égard, l'amendement adopté par l'Assemblée nationale s'inspire très directement de vos propositions, même s'il n'est pas exactement conforme à ce que vous souhaitiez, monsieur le rapporteur. Néanmoins, la commission mixte paritaire nous offrira peut-être l'occasion d'aboutir à un texte parfait sur ce point.
Le schéma de cohérence territoriale, le SCOT, qui couvre normalement un territoire assez large, permettra certainement de mieux concilier protection, développement et aménagement. A mon sens, le juge administratif, qui est animé par le souci de protéger le littoral, sera à même d'accepter la planification territoriale envisagée par les élus s'il constate la cohérence de l'approche d'ensemble d'un groupe de collectivités.
Je précise que l'avis conforme du préfet en la matière n'est exigible que sur la partie qui relève exclusivement de l'Etat, à savoir le domaine public maritime.
Je précise également que, au terme de ces travaux de planification urbaine, des hameaux peuvent être créés sur des espaces proches du rivage. Ce n'est pas interdit par la loi, mais simplement soumis à des considérations d'ensemble que le juge appréciera.
Monsieur Natali, s'agissant de la Corse, l'une des caractéristiques de la loi du 3 janvier 1986 est de permettre l'accroissement de l'urbanisation dans les zones déjà construites alors que cette possibilité est extrêmement restreinte pour les zones vierges. Le législateur a en effet eu une véritable volonté de protection des espaces naturels.
Il me semble que les propositions qui ont été faites dans le rapport du groupe de travail en matière de gestion intégrée ouvrent un certain nombre de perspectives qu'il faut étudier. Par ailleurs, je partage totalement votre analyse sur les possibilités qu'offre le tourisme pour le développement économique de l'île.
M. Joseph Kerguéris connaît à merveille, comme ses collègues, les questions relatives au littoral.
J'ai annoncé la publication prochaine du décret d'application de l'amendement relatif à la reconstruction de bâtiments édifiés avant 1986 dans la bande des cent mètres située le long du littoral. Je connais également les difficultés de la commune de Sainte-Hélène, sur la Ria d'Etel.
Les avis qu'émettent les services de l'Etat sont parfaitement légitimes, mais il faut toujours considérer que ce sont les collectivités territoriales qui arrêtent leurs décisions en matière de documents d'urbanisme. En effet, les services de l'Etat ne rendent qu'un avis aux collectivités territoriales en ce qui concerne la définition des espaces proches du rivage et des espaces remarquables et ce n'est qu'ensuite, au titre du contrôle de légalité, que le représentant de l'Etat a la possibilité de constater s'il y a une illégalité au regard de la loi, et que le juge tranche le cas échéant.
J'insiste sur ce point : l'avis des services de l'Etat, pour légitime qu'il soit, n'est qu'un avis émis au moment de l'élaboration des documents d'urbanisme par les collectivités territoriales. Les élus ne doivent pas à être timides ! On peut naturellement comprendre leurs réticences au regard des risques d'annulation contentieuse, mais il faut aussi quelquefois savoir faire prévaloir son point de vue. Les services de l'Etat - comme personne, d'ailleurs - ne sont pas infaillibles.
Je voudrais dire à Gérard Le Cam qu'il n'est aujourd'hui dans les intentions de personne, en tout cas d'aucun élu, de permettre le bétonnage des côtes. Cette époque est révolue. Oui, certaines de nos côtes ont été bétonnées. Au demeurant, je ne sais s'il m'appartient de le faire, mais je tiens à dire que ce bétonnage remonte surtout à une époque où les permis de construire étaient délivrés par l'Etat et non par les élus locaux.
M. Jean-Paul Alduy, président du groupe de travail. Exactement !
M. François Goulard, secrétaire d'Etat. Je n'accepte pas ce procès trop facile qui est fait à des élus qui seraient soumis à des tentations, à des pressions amicales ou moins amicales. Il est des périodes dans notre histoire au cours desquelles on a été plus ou moins sensible aux questions de développement durable, de protection de l'environnement, mais l'époque à laquelle on négligeait ces questions est aujourd'hui très largement révolue, et les élus locaux n'ont pas à recevoir de leçon en matière de protection du littoral : ce serait plutôt à eux d'en donner. (M. Pierre Hérisson applaudit.)
Il n'est pas question, naturellement, de modifier en quoi que ce soit, la loi littoral, ni par voie réglementaire, ni d'ailleurs par voie législative. Telle n'est en tout cas pas l'intention du Gouvernement.
Vous avez critiqué la modification sur quelques points de la loi sur le développement des territoires ruraux et vous nous reprochez un manque de vision globale.
Je ne suis pas d'accord avec vous : votre rapport parlementaire nous a donné cette vision globale et c'est en s'inspirant de cette vision cohérente, approfondie, riche, que nous avons pensé qu'un certain nombre de modifications pouvaient être introduites dans notre législation. Ces dernières ne sont rien d'autre que la conclusion d'un travail parlementaire particulièrement sérieux, et elles sont également l'aboutissement des travaux parallèles qui ont été conduits par l'Assemblée nationale.
La mission d'évaluation confiée à plusieurs corps d'inspection n'a pas vocation à déboucher sur des décrets, c'est une mission assez classique.
Je souhaite faire la même réponse à M. Nicolas Alfonsi concernant la Corse. Le plan d'aménagement et de développement durable de la Corse est peut-être de la responsabilité de la collectivité territoriale ; il pourrait constituer un début de solution à un certain nombre des difficultés que vous avez évoquées.
Madame Boyer, je partage votre avis sur les difficultés créées par l'attractivité du littoral et sur les tensions qu'elle induit. Je partage également votre appréciation concernant l'imprécision relative des termes de la loi littoral. Cependant, peut-on aller plus loin dans la rédaction d'un tel texte ? C'est une vraie question, et je ne crois pas qu'il y ait de solution idéale lorsque l'on traite d'une pareille matière.
Là où je ne suis plus d'accord avec vous, c'est que je ne crois pas du tout que la décentralisation soit un obstacle au développement des régions du littoral, bien au contraire. Je n'évoquerai que le transfert de compétences en matière portuaire qui, à mon avis, permettra de faire jouer à plein la dynamique de développement que peuvent apporter les équipements portuaires dans nos régions ; vous savez ce qu'il en est dans le Finistère...
En ce qui concerne les difficultés de l'agriculture littorale, je crois, comme vous, qu'il existe des perspectives encourageantes.
Monsieur Hérisson, j'ai envie de vous dire que, contrairement à ce que vous pensez, rien n'est tabou pour le législateur,...
M. Pierre Hérisson. Ce n'est pas moi qui le pense !
M. François Goulard, secrétaire d'Etat. ...à une condition expresse, c'est que celui-ci respecte la Constitution. Le législateur est donc libre de ses initiatives, il me semblait important de le rappeler.
En ce qui concerne les grands lacs de plus de mille hectares, la jurisprudence est complexe, je partage votre avis. Je ne reviens pas sur ce que j'ai dit sur les moyens du Conservatoire : ils lui seront octroyés.
Il est important de préciser qu'il existait un chevauchement entre la loi montagne et la loi littoral. L'amendement adopté à l'Assemblée nationale répond à votre préoccupation, et je prends l'engagement devant vous ce soir que le décret en Conseil d'Etat qui rendra effective la séparation entre les deux textes en matière d'application sera pris le plus rapidement possible. Je m'y engage afin de mettre fin à une situation d'imbrication excessive des législations qui complique la vie des élus de vos régions.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Très bien dit !
M. François Goulard, secrétaire d'Etat. A M. Trémel, je veux dire que nous connaissons l'inquiétude des élus, comme nous connaissons les difficultés créées par la loi littoral, qui constitue cependant le seul moyen de parvenir au résultat que nous cherchons à atteindre les uns et les autres. On ne peut pas faire l'économie de textes contraignants si l'on veut parvenir à une protection efficace du littoral ! Toute la question est de concilier les objectifs de développement avec cet impératif de protection.
Le décret sur les espaces remarquables n'est pas plus sévère que la loi, je l'ai dit ; c'est du moins l'avis du Conseil d'Etat et, sur ce plan, on peut lui faire confiance.
Un certain nombre de vos demandes appelleraient des modifications législatives, et c'est précisément sur ces sujets que nous risquons d'avoir des divergences, car je ne suis pas du tout convaincu que les textes réglementaires puissent aller aussi loin que vous le dites.
Le dispositif actuel des schémas de mise en valeur de la mer n'est absolument pas satisfaisant. Ces schémas sont un outil utile, je dirai même nécessaire, dans la mesure où, pour le domaine public maritime, nous n'avons pas de planification. C'est donc le seul moyen dehors de résoudre les conflits d'usage, et c'est pourquoi il fallait absolument simplifier sa mise en oeuvre.
Le recours au décret en Conseil d'Etat doit être l'exception, car c'est une procédure d'une lourdeur extrême. En effet, les discussions au sein des ministères dans notre pays n'ont pas la réputation d'être rapides.
Nous aboutirons donc à une clarification des textes par un double processus de décentralisation pour la partie terrestre - on aurait, comme le propose M. Gélard, la possibilité d'agir dans le cadre des SCOT - et de déconcentration pour la partie relative au domaine public maritime, en donnant la compétence aux préfets.
Mme Voynet a une vision assez différente de la nôtre, mais sans doute connaît-elle mieux les élus de Seine-Saint-Denis que ceux du littoral (Sourires).
Les élus, je l'ai dit, sont totalement conscients des besoins de protection du littoral.
On a critiqué la publication tardive des décrets, et il est vrai que certains ont mis du temps à paraître, mais leur non-publication n'a pas retardé l'application de la loi, à l'exception du décret estuaire. Ce n'est d'ailleurs pas, je l'ai dit, le gouvernement auquel appartenait Mme Voynet qui a finalement fait paraître ce décret.
Quant à la bande des cent mètres, il faut rappeler que les élus qui le souhaitent ont la possibilité, dans les documents d'urbanisme que sont les SCOT et les PLU, d'étendre la protection du rivage. A Mme Voynet, donc, de convaincre les élus d'y procéder quand la configuration des lieux le justifie.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je conclurai en vous disant que le Gouvernement partage totalement les préoccupations exprimées par M. le rapporteur et par le groupe de travail. C'est, en effet, dans l'équilibre entre la nécessaire protection du littoral, souhaitée par l'ensemble de nos compatriotes, et la volonté de développer les zones côtières au bénéfice de leurs populations que se trouve la juste voie.
Nous devons donc mettre en oeuvre une gestion intégrée et concertée du littoral en associant étroitement les élus locaux, et en réformant la procédure du schéma de mise en valeur de la mer. C'est une amélioration concrète, simple, qui n'exige pas de remettre en cause ce texte important et très largement salué qu'est la loi du 3 janvier 1986.
Telles sont, mesdames, messieurs les sénateurs, les intentions du Gouvernement dans ce domaine. ((Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. Le débat est clos.
19
DÉsignation d'unE sénatRICE en mission
M. le président. M. le président a reçu de M. le Premier ministre une lettre en date du 26 octobre 2004 par laquelle il a fait part au Sénat de sa décision de placer en mission temporaire auprès de M. le ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales Mme Marie-Thérèse Hermange, sénatrice de Paris.
Acte est donné de cette communication.
20
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE LOI
M. le président. J'ai reçu de MM. Jean-Jacques Hyest, Christian Cointat et François Zocchetto une proposition de loi relative aux compétences du tribunal d'instance, de la juridiction de proximité et du tribunal de grande instance.
La proposition de loi sera imprimée sous le n° 41, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale dans les conditions prévues par le règlement.
21
DÉPÔT D'UNE PROPOSITION DE résolution
M. le président. J'ai reçu de MM. Bernard Frimat, Simon Sutour, Louis Le Pensec, Robert Badinter, Pierre Mauroy, Jean-Pierre Bel, Mmes Catherine Tasca et Dominique Voynet et les membres du groupe socialiste, apparentés et rattachés une proposition de résolution tendant à la création d'une commission d'enquête sur la gestion des fonds publics en Polynésie française.
La proposition de résolution sera imprimée sous le n° 40, distribuée et renvoyée à la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
22
TEXTEs SOUMIS AU SÉNAT EN APPLICATION DE L'ARTICLE 88-4 DE LA CONSTITUTION
M. le président. J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Avant-projet de budget rectificatif n° 11 au budget 2004 : Etat général des recettes - Etat des recettes et des dépenses par section - section III - Commission.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2511 annexe 11 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de règlement du Parlement européen et du Conseil concernant la création d'un registre européen des rejets et transferts de polluants et modifiant les directives 91/689/CEE et 96/61/CE du Conseil.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2730 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil relative à la conclusion, au nom de la Communauté européenne, du protocole CEE-ONU sur les registres des rejets et transferts de polluants.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2731 et distribué.
J'ai reçu de M. le Premier ministre le texte suivant, soumis au Sénat par le Gouvernement, en application de l'article 88-4 de la Constitution :
- Proposition de décision du Conseil relative à l'échange d'informations extraites du casier judiciaire.
Ce texte sera imprimé sous le n° E-2732 et distribué.
23
DÉPÔT De RAPPORTs
M. le président. J'ai reçu de M. Alain Gournac un rapport supplémentaire fait au nom de la commission des affaires sociales sur la lettre rectificative (n° 31, 2004 2005) au projet de loi de programmation pour la cohésion sociale (n° 445 rectifié, 2003-2004).
Le rapport sera imprimé sous le n° 39 et distribué.
J'ai reçu de M. Bernard Saugey, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion sur le projet de loi de simplification du droit.
Le rapport sera imprimé sous le n° 42 et distribué.
24
ordre du jour
M. le président. Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment fixée au mercredi 27 octobre 2004, à quinze heures et le soir :
Discussion du projet de loi, complété par une lettre rectificative (n° 445 rectifié, 2003-2004) de programmation pour la cohésion sociale.
Rapport (n° 32, 2004-2005) fait par M. Louis Souvet et Mme Valérie Létard, au nom de la commission des affaires sociales.
Rapport (n° 39, 2004-2005) fait par M. Alain Gournac, au nom de la commission des affaires sociales.
Avis (n° 33, 2004-2005) de M. Jean-Patrick Courtois, fait au nom de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Avis (n° 34, 2004-2005) de M. Dominique Braye, fait au nom de la commission des affaires économiques et du Plan.
Avis (n° 37, 2004-2005) de M. Paul Girod, fait au nom de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Aucune inscription de parole dans la discussion générale n'est plus recevable.
Le délai limite pour le dépôt des amendements est expiré à l'exception de celui portant sur les articles 37-1 à 37-8, qui est fixé au mercredi 27 octobre 2004, à dix-sept heures.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures.)
La Directrice
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD