PRÉSIDENCE DE M. Jean-Claude Gaudin
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
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décision du conseil constitutionnel
M. le président. M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel, par lettre en date de ce jour, le texte de la décision rendue par le Conseil constitutionnel sur la requête contre le décret du 17 juin 2004 portant convocation des collèges électoraux pour l'élection des sénateurs.
Cette décision du Conseil constitutionnel sera publiée au Journal officiel, édition des lois et décrets.
Acte est donné de cette communication.
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Service public de l'électricité et du gaz
Suite de la discussion d'un projet de loi déclaré d'urgence
M. le président. Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières.
Je rappelle que la discussion générale a été close.
Exception d'irrecevabilité
M. le président. Je suis saisi, par MM. Piras, Bel, Raoul, Reiner, Domeizel et les membres du groupe socialiste et apparenté, d'une motion n° 136, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 2, du règlement, le Sénat déclare irrecevable le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (n°383, 20032004).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à M. Bernard Piras, auteur de la motion.
M. Bernard Piras. Monsieur le ministre, le caractère manichéen qu'a pris ce débat est décevant,...
M. Bernard Piras. ... réducteur, et conduit à occulter les véritables questions de fond que pose ce texte.
M. Bernard Piras. En effet, la critique simpliste qui consiste à considérer que ceux qui s'opposent à ce projet sont archaïques et dépassés, en défendant uniquement un corporatisme, n'est pas suffisante.
Au demeurant, avant d'aller plus loin, précisons la nature de ce projet.
Il s'agit tout simplement de la privatisation d'EDF et de GDF, ou plutôt d'une privatisation qui ne le dit pas, d'une privatisation cachée, rampante.
La volonté du Gouvernement est bien là ; et, si la traduction n'en est pas encore totale, le premier pas est franchi. Cette retenue est liée à une stratégie politicienne : vous avez conscience du rejet massif que cette privatisation engendrerait, un rejet motivé par les conséquences, à court et moyen terme, que l'adoption de ce projet de loi entraînerait pour notre pays.
Ce projet n'est ni acceptable ni recevable, et les raisons objectives, réelles et vérifiées de s'y opposer sont nombreuses, indépendamment de toute idéologie.
En effet, monsieur le ministre, si cette privatisation est bien souhaitée par le Gouvernement, elle n'est ni justifiée ni imposée, comme vous tentez de nous le faire croire.
Ce texte a fait l'objet d'une campagne de communication massive, visant à en justifier les orientations face aux critiques des salariés de l'entreprise, de la population et des élus.
Plusieurs arguments ont été avancés, mais ils tombent les uns après les autres.
Tout d'abord, il faudrait abandonner le statut d'établissement public à caractère industriel ou commercial, car l'Europe n'accepte plus la garantie illimitée de l'Etat.
Rappelons que cette garantie est conçue comme une compensation des charges résultant de l'obligation de service public incombant à l'entreprise. La garantie de l'Etat tend à replacer l'entreprise, qui est soumise à des obligations de service public, dans une situation comparable à celle de ses concurrents. Sans la garantie de l'Etat, la continuité du service public, qui est une contrainte pour toute entreprise, serait remise en cause.
Cependant, il est tout à fait possible de placer les conditions d'emprunt au niveau de celles des entreprises privées.
Mais, surtout - et je voudrais m'attarder un peu plus longuement sur ce point -, la remise en cause du statut d'établissement public à caractère industriel ou commercial, ou EPIC, émane non pas d'une décision de la Commission européenne ou de la Cour de justice des Communautés européenne, mais d'un arrangement - je dis bien d'un arrangement - entre le précédent ministre des finances, M. Francis Mer, et la Commission. Ledit arrangement permet d'avaliser la politique de casse des services publics qui est actuellement menée par le Gouvernement.
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation. Tout ce qui est excessif est insignifiant !
M. Bernard Piras. S'il s'agissait réellement d'une décision qui s'impose à la France, ce serait particulièrement grave, car cela reviendrait à condamner le statut d'EPIC, et donc, in fine, la SNCF, Réseau ferré de France, RFF, ou La Poste.
M. Daniel Reiner. Absolument !
M. Bernard Piras. Ce n'est donc pas excessif, monsieur le rapporteur !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. La « casse » du service public, c'est quelque peu excessif !
M. Bernard Piras. Je ne vous cacherai pas mon inquiétude face à l'attitude du Gouvernement, mes chers collègues : ce qui est en train de se passer avec EDF et GDF ne constitue peut-être que les prémices d'un vaste mouvement de remise en cause du statut de tous nos établissements chargés d'un service public.
M. Roland Muzeau. C'est certain !
M. Bernard Piras. Il faudrait transformer EDF et GDF en société anonyme pour leur permettre d'aller lever des capitaux sur les marchés étrangers, nous dit-on.
Or le cash flow d'EDF et GDF les place parmi les meilleures signatures pour les banques et les établissements financiers : le passé a montré qu'EDF a financé, par ses propres moyens, la construction du parc électronucléaire et son développement international.
Par ailleurs, cela sous-entend-il que le nouveau parc nucléaire sera financé par des capitaux privés ? En raison de la lourdeur des investissements et d'une rentabilité à long terme, le privé sera-t-il intéressé ? Et, si oui, la sûreté ne sera-t-elle pas mise de côté ?
Vous souhaitez, monsieur le ministre, conférer un statut de SA à EDF et GDF pour varier les alliances et conquérir de nouveaux marchés.
Or il existe déjà un outil créé à cet effet : une filiale a été mise en place, EDF International SA.
A ce titre, le Gouvernement n'a d'ailleurs apporté aucune information sur la stratégie qu'EDF et GDF doivent mener à l'extérieur : consolidation du marché européen ou poursuite des investissements hors Union européenne ?
En outre, selon M. le ministre, le statut de SA lèverait le principe de spécialité.
Ce principe de spécialité imposé aux EPIC se justifie par le fait même que ces entreprises publiques de droit public ne peuvent pas s'engager dans des activités qui sont sans rapport avec leur raison d'être.
Or la loi du 10 février 2000 a élargi le domaine des compétences d'EDF, et le Conseil d'Etat a accepté une interprétation souple du principe de spécialité. Comme cela a été fait pour la SNCF, il serait possible d'élargir la mission d'établissement public. Il suffirait de modifier leur objet social, et une simple loi le permet.
Après analyse, il apparaît clairement que ces arguments flottants et variables ne tiennent pas, et surtout n'arrivent pas à masquer une réalité beaucoup moins avouable : une motivation idéologique et une nécessité financière.
Ce projet de loi n'est pas imposé.
L'idée, ici, n'est plus que cette réforme se justifie par elle-même par des raisons prétendument objectives, mais par des volontés, indépendamment de celles de Bruxelles, qui s'imposent au gouvernement actuel et sur lesquelles ce dernier n'aurait pas de prise.
Il en est ainsi du sommet de Barcelone, auquel Lionel Jospin a participé, qui vous obligerait à changer le statut d'EDF et de GDF. Or M. Monti, commissaire libéral européen, a rappelé officiellement que la France n'était pas tenue de changer le statut d'EDF et de GDF, et encore moins de privatiser l'entreprise.
En outre, cette vision est bien réductrice, la majorité actuelle oubliant que l'ouverture du marché de l'électricité correspond à une politique qui a été voulue par elle.
La première directive, du 19 décembre 1996, a conduit à la libéralisation du marché intérieur de l'énergie.
La directive du 26 juin 2003 concernant les règles communes pour le marché intérieur de l'électricité et abrogeant la directive de 1996 commande une ouverture du marché de l'électricité à tous les clients non résidentiels au 1er juillet 2004 et à tous les clients au 1er juillet 2007.
La majorité actuelle ne subit pas les orientations prises par le gouvernement Jospin, mais elle poursuit une politique qu'elle a préconisée et encouragée.
En outre, même si certains de mes amis politiques ont émis l'idée de privatiser une partie du capital, le congrès du parti socialiste à Dijon a permis de trancher cette question : les socialistes souhaitent à l'unanimité le maintien du statut public d'EDF et GDF.
Enfin, sans vouloir polémiquer, ...
M. Bernard Piras. Monsieur le ministre, vous avez donné le ton tout à l'heure. Il faut donc que je vous suive ! (Sourires.)
M. Bernard Piras. Sans vouloir polémiquer, disais-je, je vous rappelle qu'un illustre membre de l'UMP, M. Alain Juppé, a, dans un courrier du 19 juin 1996 adressé au président d'Electricité de France, défendu les principes suivants : non-modification du statut d'EDF ni de celui des salariés, préservation d'EDF dans ses missions de service public et d'entreprise d'Etat, préservation de la sécurité d'approvisionnement de notre pays.
Je referme ici la parenthèse, mais j'invite néanmoins nos collègues de l'opposition à une approche plus prudente de ce dossier, qui contient des enjeux essentiels pour l'avenir de notre pays.
Un autre élément s'imposerait au gouvernement actuel : la transformation en société anonyme l'actuel EPIC.
Or le statut de SA, qui relève du droit commercial et qui constitue le premier pas vers la privatisation d'EDF et de GDF, n'est pas la seule solution, d'autres ayant été avancées mais non explorées : une société mixte nationale, un statut coopératif européen, une société coopérative d'intérêt collectif...
Ces solutions permettraient de faire participer des acteurs différents, et surtout éviteraient tout risque d'OPA. Mais de telles pistes ont-elles au moins été évaluées ?
Prétendre ensuite que notre pays ne fait que se conformer aux orientations de l'Union européenne visant à libéraliser le marché de l'électricité et du gaz n'est pas soutenable.
Tout en respectant la signature internationale de la France, la loi du 10 février 2000, relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité et transposant la directive de 1996, a préservé notre organisation. Elle a même permis de réaliser des avancées significatives : définition du contenu du service public, programmation pluriannuelle des investissements, gestion transparente et non discriminatoire du réseau, définition de la notion de client éligible, création d'une commission de régulation de l'électricité, affirmation et renforcement de la notion de service public, introduction d'un droit fondamental, le droit à l'électricité pour tous.
La loi de 2000 a permis une transposition équilibrée de nos obligations européennes dans la continuité de notre stratégie, datant de plusieurs décennies, de maîtrise du système électrique. Il semble ainsi tout à fait possible de respecter les engagements de la France sans remettre en cause notre organisation. Affirmer : « c'est la faute à l'Europe » n'est pas un comportement courageux et responsable.
Le texte qui nous est proposé rompt cet équilibre au moment même où la politique de libéralisation des marchés du gaz et de l'électricité est remise en cause dans de nombreux pays et que le contexte énergétique est de plus en plus chaotique.
L'argumentation fluctuante et évolutive que vous proposez pour justifier votre projet de loi, monsieur le ministre, est étrange : on a l'impression d'une volonté inavouable et injustifiable. Ni les arguments juridiques ni les arguments économiques avancés n'imposent l'orientation qui a été prise, laquelle ne s'explique que par un choix politique.
Si les arguments plaidant en faveur de cette réforme font défaut, en revanche, ceux qui en légitiment le retrait sont nombreux, et portent tant sur son opportunité que sur sa légalité.
Les dispositions juridiques de ce texte vont profondément bouleverser l'organisation mise en place au lendemain de la Deuxième Guerre mondiale par les gaullistes et par la gauche, une organisation qui n'a pas été remise en cause depuis. Le général de Gaulle ne soulignait-il pas, d'ailleurs, que la politique ne se faisait pas à la corbeille ?
Cette organisation a, ne l'oublions pas, donné des résultats plus que probants dans le domaine de l'énergie, domaine qui a été l'un des moteurs de notre développement.
Pendant ce temps, l'Etat a joué un rôle fondamental, cet Etat à qui l'on souhaite désormais substituer des capitaux privés pour subir la loi d'un marché porteur, pour certains, de toutes les vertus.
Grâce à cette organisation, la France a mis en place une péréquation tarifaire, une sécurité d'approvisionnement, le financement de la recherche, la continuité et la sécurisation de la fourniture, le maintien d'un prix bas et prévisible et a recueilli la confiance des Français. Or, désormais, cette organisation serait désuète et dépassée...
Votre réforme, monsieur le ministre, est inopportune, au regard non seulement de la réussite d'EDF et de GDF, mais également du contexte géopolitique et climatique.
La facture énergétique de la France a augmenté de 5 % en 2003 à cause de la hausse du prix du pétrole, et cette tendance risque malheureusement de s'aggraver.
L'émergence croissante de nouveaux grands consommateurs, Chine et Inde, jugulée à l'incertitude des marchés en raison des conflits, va accentuer l'incertitude quant à notre approvisionnement en hydrocarbures.
De même, le contexte climatique et le réchauffement constaté de notre planète vont nous conduire à augmenter notre consommation d'énergie par la climatisation et l'irrigation et à diminuer nos émissions de gaz à effet de serre.
Face à ces constats, l'électricité est plus que jamais une énergie d'avenir à privilégier, car elle a déjà permis à la France de diminuer sa facture énergétique et de réduire d'un facteur trois son pourcentage par rapport au PIB.
Est-il vraiment opportun de tout remettre en cause ?
Cette crainte est d'autant plus fondée que les expériences de libéralisation ont abouti à des échecs retentissants. Les exemples sont nombreux : Italie, Espagne, Scandinavie, Grande-Bretagne, mais aussi Californie, avec une augmentation des prix et une incertitude quant à l'approvisionnement, et de fréquentes coupures de courant
A ce titre, en mars 2002, devant le conseil supérieur consultatif d'EDF et de GDF, qui organisait un forum sur la intitulé « L'électricité est-elle réductible à une marchandise ? », M. Carl Wood, membre de la commission de régulation de l'électricité californienne, a tenu les propos suivants : « Les actionnaires des sociétés de distribution ont subi une baisse de 50% des cours, les consommateurs une hausse de 40% des prix, les salariés de l'industrie électrique une réduction de 35% de leurs effectifs et le gouvernement californien un endettement de 9 milliards de dollars pour se substituer aux opérateurs afin de fournir de l'électricité pendant les quatre mois les plus durs de la crise. »
Ce bilan se passe de tout commentaire et nous ne pouvons aujourd'hui nous positionner sur un dossier aussi délicat sans tenir compte de telles expériences. Ces dysfonctionnements sont dus à la lutte à laquelle se sont livrés les producteurs et les distributeurs pour prélever le bénéfice le plus important.
Enfin, et ce n'est pas le moindre argument, ce projet n'est pas opportun au regard de l'électricité même, laquelle n'est pas un produit qui répond aux normes du marché. L'électricité n'est pas stockable et certains vont même jusqu'à considérer qu'elle est pour moitié un produit et pour moitié un service. Or un produit qui ne se stocke pas, dont la production doit égaler la consommation à chaque instant, est inadapté au jeu de la concurrence, à la loi du marché.
En outre, l'électricité n'est pas pour le consommateur un produit comme les autres. Au même titre que l'eau, elle est devenue un besoin fondamental qui doit être satisfait, l'accès à tous devant être garanti à un prix décent.
Une pénurie qui pourrait être organisée dans un but de spéculation pourrait avoir des répercussions dramatiques sur les personnes et sur notre économie en général.
Mais ce texte n'est pas seulement inopportun, il est également contraire à plusieurs dispositions constitutionnelles. Pour ces raisons, il ne doit donc pas être examiné par notre Haute Assemblée.
La nation va être spoliée.
Selon l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, la propriété étant un droit inviolable et sacré, nul ne peut en être privé, si ce n'est lorsque la nécessité publique, légalement constatée, l'exige, sous la condition d'une juste et préalable indemnité.
Le préambule de la Constitution de 1946, dont les dispositions sont toujours en vigueur, ainsi que la loi du 8 avril 1946 relative à EDF et GDF, distinguent bien les notions de nation et d'Etat, chacun des deux ayant un patrimoine qui lui est propre. Rappelons également que le souverain, c'est la nation, et non l'Etat.
Selon la loi de 1946, EDF et GDF appartiennent bien au patrimoine de la nation et non à celui de l'Etat, l'article 16 précisant même que ce capital est inaliénable.
Or la nation, se trouve, par l'article 23 du présent projet, dépossédée par l'Etat. Ainsi, le capital actuel d'EDF va être transféré à deux SA, c'est-à-dire devenir la propriété de l'Etat et d'autres actionnaires.
L'Etat n'étant pas propriétaire du capital d'EDF et de GDF, il ne peut décider de le transférer à deux SA, il ne peut disposer de biens ne lui appartenant pas. En agissant de la sorte, l'Etat s'approprie les biens de la nation, il y a donc bien dénationalisation.
En allant plus loin, on peut se demander si le Gouvernement est compétent pour déposer un projet de loi visant à transformer le statut d'EDF et de GDF. Seuls les représentants de la nation - mieux, la nation elle-même -, peuvent décider de leur avenir. Conformément à l'article 11 de la Constitution, l'organisation d'un référendum permettant d'exprimer la volonté nationale sur ce sujet s'impose.
En outre, conformément à l'article 17 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, il devrait être légalement constaté qu'une « nécessité publique » exige que la nation soit privée de sa propriété, ce qui n'apparaît pas dans le projet de loi ; en outre, un tel transfert de propriété n'est absolument pas assorti d'une juste et préalable indemnité.
Selon le préambule de la Constitution de 1946, « tout bien, toute entreprise, dont l'exploitation a ou acquiert le caractère d'un service public national ou d'un monopole de fait doit devenir la propriété de la collectivité ».
Selon ce texte, qui s'impose à nous, en cas de situation de monopole national ou de monopole de fait, l'entreprise doit devenir la propriété de la collectivité. Or nous sommes bien ici en présence d'un monopole de fait, ce réseau étant unique et devant le rester.
Selon le montage juridique proposé par ce texte, la société gérant ce réseau sera soumise notamment à une autre société, EDF SA, dans laquelle des capitaux privés seront présents. Ainsi, pour ce réseau de transport, des intérêts privés viendront se heurter à l'intérêt national.
Transférer un monopole à une entreprise privée serait sans doute très rentable pour les actionnaires, mais beaucoup moins favorable pour la qualité du service public, et en tout cas contraire à l'article cité précédemment.
Le loup serait-il en train d'entrer dans la bergerie ?
Le transfert des biens d'EDF relatifs au réseau public de transport d'électricité à la nouvelle SA soulève le même problème que celui qui a été évoqué précédemment, à savoir le transfert par l'Etat de biens ne lui appartenant pas.
Selon le préambule de la Constitution, « la nation assure à l'individu et à la famille les conditions nécessaires à leur développement ».
Depuis 1986, le Conseil constitutionnel attire l'attention sur le fait que « la nécessité de certains services publics nationaux découle de principes ou de règles de valeur constitutionnelle » et fait allusion à des services dont l'existence et le fonctionnement sont exigés par la Constitution, lesquels services ne sauraient être transférés au secteur privé.
Il est indéniable que la mise en place d'une société anonyme est la première étape vers un transfert complet au secteur privé.
Produits de première nécessité, l'électricité et le gaz doivent être accessibles à tous. Le service public de l'électricité et du gaz revêt donc une nature constitutionnelle.
Or le régime juridique du service public constitutionnel prévoit que ce type de service public doit être géré par des organismes publics. Un service public national est un service dont la nation a la responsabilité d'assurer l'activité.
Notons également que la substitution du contrat à la loi, contrat aux contours imprécis, laisse présager une abrogation implicite de l'article 1er de la loi de 2000 et, du même coup, une remise en cause totale du service public et de ses principes.
Cette contractualisation des missions de service public assignées à EDF et GDF fait sortir du champ parlementaire l'évolution des missions confiées par l'Etat à l'entreprise et coupe, s'il est encore possible de le faire, les liens entre la nation et le service public de l'électricité et du gaz.
Ainsi, l'Etat a intérêt à préserver le statut actuel d'EDF et de GDF. Par le principe de la continuité du service public, ce statut assure la continuité de l'Etat.
Perdant à terme toute autorité en matière d'énergie électrique et gazière, l'Etat s'en remet aux aléas des lois du marché. En agissant ainsi, monsieur le ministre, vous réduisez la souveraineté de notre pays.
Lorsque vous étiez dans l'opposition, monsieur le ministre, vous avez, avec vos collègues, ouvertement annoncé votre volonté de privatiser EDF et GDF. Le projet de loi qui nous est présenté aujourd'hui en est le premier pas, un premier pas caché, sournois, presque honteux. Les arguments que vous avancez pour justifier votre projet ne tiennent pas et s'écroulent les uns après les autres. Cette réforme n'est ni obligatoire ni imposée, elle relève de votre seule et unique volonté. Plus grave, elle se révèle inopportune, tant au regard des expériences, du contexte géopolitique et climatique que de la nature même de l'électricité.
Enfin, ce projet de loi est contraire à de nombreuses dispositions de notre Constitution et l'exception d'irrecevabilité que nous vous soumettons est tout à fait fondée.
La dénationalisation d'EDF et de GDF traduit une vision à très court terme du pouvoir politique actuel. Perdre la maîtrise de l'énergie électrique et gazière, c'est perdre un moyen d'action essentiel sur notre politique économique, sociale et environnementale.
Malheureusement, monsieur le ministre, je crains que cet aspect n'ait échappé à la majorité actuelle, aveuglée qu'elle est par les chantres du libéralisme effréné. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. Monsieur Piras, vous n'avez ni le souffle court ni la démonstration rapide : votre intervention a duré vingt et une minutes au lieu de quinze ! (Exclamations sur les travées du groupe socialiste.)
Quel est l'avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Je ne répondrai pas sur le fond à M. Piras : je le renverrai, lui et ses collègues, au discours que j'ai prononcé lors de la discussion générale, où je répondais à tous les arguments qu'ils ont développés. En revanche, je répondrais très précisément s'agissant de la rédaction même de la motion.
D'abord, en matière de production, EDF n'est pas en situation de monopole. En effet, il existe d'autres producteurs sur le territoire français, que ce soit de gros ou de petits producteurs : c'est le cas de certaines collectivités locales, voire de particuliers. Il est vrai, toutefois, qu'une situation de monopole existe pour le transport avec RTE, le réseau de transport d'électricité.
Concernant le gaz, il n'y a pas de situation de monopole, ni en matière de fournisseurs, GDF n'étant pas seul, ni en matière de distributeurs, puisque trois sociétés régionales distribuent le gaz dans toute la France.
Une seule entreprise pourrait donc être touchée par la rédaction de votre motion : l'obligation de conserver un capital public majoritaire pour la société ne vise que la société de transport d'électricité, et non EDF et GDF.
Pour ce qui concerne le gestionnaire du réseau public de transport d'électricité, je vous renvoie très précisément à l'article 5, premier alinéa. Et, pour le réseau public de transport de gaz, je vous renvoie au deuxième alinéa de l'article 10. Il y est prévu que les gestionnaires de transport demeureront des sociétés dont le capital sera détenu en totalité par les personnes publiques, ce qui assure la parfaite nationalisation de la seule activité qui pourrait poser problème, à savoir le transport. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. A l'imitation de M. Poniatowski, je me bornerai à un seul argument, celui qui est fondé en droit.
Monsieur Piras, je voudrais vous dire sans...
M. Daniel Reiner. Sans arrogance ? (Sourires.)
M. Guy Fischer. Ce n'est pas dans votre tempérament ! (Nouveaux sourires.)
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... mais avec courtoisie, avec gentillesse, je dirai même, si vous me le permettez, avec affection (Exclamations amusées sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC),...
Mme Marie-France Beaufils. N'en faites pas trop !
Mme Marie-France Beaufils. Oh là là !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ... que votre emportement sympathique sur l'alinéa 9 du préambule de la Constitution n'est pas justifié s'agissant de trois sociétés sur les quatre que vous avez visées : EDF ne saurait être un monopole de fait, puisque la directive a pour objet d'ouvrir à la concurrence - et, là où il y a concurrence, il ne peut y avoir monopole - pas plus que GDF ou son réseau de transport, Total, par exemple, ayant son propre réseau de transport.
Votre objection ne pourrait être valable que si l'on privatisait RTE, EDF-Transport dans la nouvelle dénomination. Or la loi prévoit effectivement que la nouvelle société restera à 100% publique.
Si j'ai bien compris, votre argument consiste à dire qu'étant donné qu'il y aura des intérêts privés, EDF ne sera plus vraiment une société publique. Or une société publique se définit comme une société dans laquelle l'Etat ou une société publique sont majoritaires.
M. Bernard Piras. Dans laquelle ils le restent !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. A 70 %, on reste majoritaire !
Et c'est cette loi-là que vous voudriez éventuellement déférer au Conseil constitutionnel, une loi aux termes de laquelle l'Etat ou la société publique sont majoritaires à 70 % ? Vous pourrez toujours expliquer au Conseil constitutionnel qu'un jour, peut-être, un gouvernement malicieux changera la loi, mais le Conseil va juger le texte qui lui est soumis, et ce texte offre toutes les garanties constitutionnelles à cet égard.
Par ailleurs, je ne peux pas vous laisser dire qu'il y aurait, d'une certaine manière, spoliation d'un bien de la nation française.
Il est vrai qu'EDF et GDF appartiennent à la nation et non pas à l'Etat, mais l'Etat est le représentant de la nation à travers le Parlement.
M. Bernard Piras. Le Congrès !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Non ! Le Congrès ne se réunit qu'en cas de modification de la Constitution. C'est le Parlement qui fait la loi, c'est l'expression de la volonté générale.
Aujourd'hui, la nation décide donc, par l'intermédiaire de ses représentants, de vendre. En effet, ce que vous appelez une privatisation - mais ce n'en est pas une - est une vente, nécessairement à un juste prix, puisque c'est une vente au prix du marché : dès lors que les actions sont sur le marché, elles sont appréciées par la simple règle du marché, et elles ne sont donc ni bradées ni abandonnées, comme vous le dites. Tout cela se passe d'une manière absolument régulière.
Quoi qu'il en soit, monsieur Piras, vous jouez le jeu de la procédure et, puisque nous l'avons fait aussi, je ne vous jette pas la pierre : la motion d'irrecevabilité offre à celui qui la présente l'occasion de répéter ses arguments.
Je crois avoir répondu aux vôtres tout à l'heure, sur le même ton que celui que vous avez employé.
M. Claude Domeizel. Non !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je vous ai ainsi répondu en ce qui concerne les déclarations qu'a faites M. Juppé en 1996 et que vous invoquez régulièrement : je vous ai expliqué que, depuis, était intervenue en 2001 une décision de la Commission.
Certes, je n'ai pas répondu, monsieur Domeizel - j'en conviens - sur les retraites, mais je le ferai tout à l'heure. Vous avez d'ailleurs posé un vrai problème de fond, nous devrons l'étudier, mais nous avons le temps de l'aborder.
Je vous ai en tout cas apporté une réponse sur les arguments les plus polémiques que vous avez à nouveau développés en défendant votre motion, monsieur Piras, et je ne vais pas me répéter à mon tour. Permettez-moi simplement de vous dire que je considère que cette motion d'irrecevabilité n'est pas fondée.
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 136, tendant à opposer l'exception d'irrecevabilité.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
M. Bernard Piras. Nous demandons un scrutin public, monsieur le président !
M. le président. Mon cher collègue, je ne puis accéder à votre demande, n'en ayant pas été saisi en temps utile.
M. Jean-Pierre Plancade. La courtoisie de M. le président est sélective !
M. Philippe Marini, rapporteur pour avis. Elle est réglementaire !
(La motion n'est pas adoptée.)
Question préalable
M. le président. Je suis saisi, par Mme Beaufils, M. Coquelle, Mmes Didier et Terrade, M. Le Cam et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 228, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (n° 383, 20032004).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls le droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Odette Terrade, auteur de la motion.
Mme Odette Terrade. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, nous célébrons actuellement, à travers le soixantième anniversaire de la Libération de notre pays, l'action exemplaire de ceux qui, dans un pays meurtri par la guerre, détruit économiquement, non seulement firent preuve d'audace politique, mais, de plus, témoignèrent d'une intelligence et de qualités humaines incomparables pour mettre en oeuvre le redressement de la France avec le programme du Conseil national de la Résistance.
Qu'ils en soient aujourd'hui honorés, pour avoir placé l'intérêt général au-dessus de l'intérêt particulier, en restituant à la nation les grands moyens de production monopolisés, « fruits du travail commun », comme ils l'affirmaient si justement !
C'est cet hommage que je tiens à rendre à ces femmes et à ces hommes, qui, dans leur diversité, surent unir leurs efforts pour faire preuve d'innovation et de modernité pour répondre aux aspirations de notre peuple, pour reconstruire notre économie, pour réaménager notre territoire et pour redonner à notre pays cette dignité si chèrement reconquise par l'action de la Résistance.
Je citerai, en particulier, l'action de Marcel Paul, ministre communiste, à qui revint l'insigne honneur de parapher les documents actant de la création de deux établissements publics, EDF et GDF, chargés d'assurer la production et le transport de l'énergie partout sur notre territoire et pour tous.
A toutes celles et à tous ceux qui le payèrent souvent de leur vie, nous devons non seulement les honneurs, à travers les cérémonies commémoratives, mais aussi la reconnaissance pour cette immense tâche accomplie et le respect pour tout ce qu'ils ont construit et que les générations suivantes ont su préserver, non sans luttes.
C'est cet esprit de résistance qui anime les salariés d'EDF-GDF, et nous les soutenons avec toute notre force pour que vous retiriez ce projet de privatisation, monsieur le ministre.
Vous voulez réprimer les travailleurs qui sont en lutte, vous voulez inquiéter l'ensemble des salariés en vous attaquant à quelques-uns, à ceux qui résistent non pour des intérêts corporatifs, mais pour défendre le service public dans l'intérêt de la nation. (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. Roland Muzeau. C'est pourtant la vérité, même si cela ne vous fait pas plaisir !
Mme Odette Terrade. Vous voulez vous attaquer à ceux qui s'opposent au changement de statut de l'entreprise, alors que votre silence a été impressionnant, monsieur le ministre (Nouvelles exclamations sur les mêmes travées)...
M. Roland Muzeau. Votre vedette, c'est M. Messier !
Mme Odette Terrade. ... lorsque la direction d'EDF a commis une faute lourde en finançant une campagne publicitaire qui a utilisé les ressources de l'entreprise pour favoriser le changement de statut avant même que la représentation nationale ne se soit prononcée.
Ce que vous nous demandez aujourd'hui, c'est de casser cet outil, de le céder au privé, non pas immédiatement, car la pression est trop forte, mais en catimini, comme vous l'avez fait pour France Télécom ou Air France, que votre prédécesseur s'était pourtant engagé à ne jamais privatiser.
Ce que vous nous demandez aujourd'hui, c'est de nous soumettre aux exigences de l'ultralibéralisme, aux intérêts du MEDEF, qui vous sont si proches.
Enfin, ce que vous nous demandez, c'est de renoncer à l'intérêt national en privilégiant l'intérêt privé.
Non, monsieur le ministre, les sénatrices et les sénateurs du groupe CRC, fidèles à l'esprit républicain qui les anime, ne cesseront, dans cette enceinte, de défendre les intérêts des salariés, l'intérêt des usagers, l'intérêt de la nation.
Quel fossé entre votre conception utilitariste de la politique et l'esprit visionnaire de ceux qui ont défendu les valeurs républicaines et humanistes mises en oeuvre par le Conseil national de la Résistance !
Permettez-moi de vous dire, monsieur le ministre, que nous souscrivons non seulement à cet idéal du Conseil national de la Résistance, mais aussi à cette capacité de concilier l'économique et le social en privilégiant l'intérêt des hommes et non celui de la finance, et nous affirmons que ce qui était possible hier l'est encore plus aujourd'hui.
Comment admettre que des hommes politiques, dans une situation aussi difficile que celle de l'après-guerre, aient été capables de construire un aussi bel outil qu'EDF et GDF, et que vous puissiez prétendre, aujourd'hui, dans une situation économique qui n'a rien à voir, qu'il n'est pas possible de faire vivre un véritable service public de l'énergie ?
C'est bien de cette ambition que vous manquez, ambition pour l'intérêt de notre pays, ambition pour l'intérêt collectif, ambition que vous mettez au seul service des intérêts privés.
Nous avons, dès les premiers instants, combattu cette privatisation annoncée d'EDF.
Ainsi, dès le 21 février 2002, je disais dans une question orale, avec quelque prémonition : « A en juger par le projet électoral de la droite, il ne fait aucun doute que l'ouverture du capital serait acquise si les forces libérales revenaient au pouvoir. »
Quelques mois plus tard, le 15 octobre 2002, lors de la transposition de la directive européenne du 22 juin 1998, qui ne concernait que le marché du gaz, le Gouvernement en profitait pour aller plus loin en incluant l'ensemble du marché énergétique. Nous avions alors dit à Mme Fontaine : « Le texte que vous nous présentez, madame la ministre, n'est pas neutre. Il représente bien une première tentative pour amener la question de la privatisation. »
C'est vous, monsieur le ministre, qui êtes chargé d'exécuter ce que vos prédécesseurs avaient si bien préparé.
Mme Odette Terrade. Notre attachement pour le service public n'est pas tourné vers le passé, comme vous avez pu le dire lors de votre intervention générale ; il répond à des aspirations fondamentales, à des aspirations universelles qui sont le besoin d'égalité, de solidarité et de maîtrise citoyenne.
Vous, vous répondez aux injonctions de l'accord général sur le commerce de services, l'AGCS, voulues par l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC ; vous appliquez très scrupuleusement, allant même bien au-delà, les directives européennes concoctées par la Commission de Bruxelles et adoptées par les différentes majorités du Parlement européen.
Cette libéralisation est le fondement même d'un dogme économique selon lequel la concurrence doit profiter aux clients et qu'elle entraîne inexorablement une baisse des prix et une meilleure qualité de service en lui laissant la liberté du choix.
Or que constatons-nous si nous nous arrêtons au sujet qui nous intéresse, celui de l'énergie ?
Qu'en est-il, depuis l'ouverture du marché, pour les industriels de notre pays ? Ils verront leur facture augmenter de 37,5 % en 2004.
La facture d'électricité a augmenté de 35,4 % cette année pour la SNCF et de plus de 50 % en deux ans. Ainsi, cette charge supplémentaire sera pour elle de 122 millions d'euros en 2004.
Ces charges plus importantes seront répercutées sur les prix à la consommation des produits issus de l'industrie automobile, chimique, des cimentiers et des papeteries, et participeront à l'augmentation du coût de la vie.
Le client particulier ne ressent pas encore ces effets, étant encore protégé par le monopole public d'EDF jusqu'en juillet 2007, soit juste après les élections présidentielles et législatives prochaines... Mais on peut facilement imaginer que la hausse sera ensuite au moins identique, sinon supérieure !
Le service en serait, nous dit-on, amélioré. Or l'expérience prouve le contraire : dans le domaine de l'énergie, la privatisation s'est soldée par une série de pannes et de dysfonctionnements liés aux manques d'investissements et à un entretien plus qu'aléatoire, mettant ainsi en danger les populations.
Le 14 août 2003, ce sont plus de 50 millions de personnes qui, dans les Etats de New York, de l'Ohio, du Michigan et de l'Ontario, se sont trouvées privés de courant.
Monsieur le ministre, votre projet de loi porte en lui tous les stigmates des effets que je viens de vous énumérer.
Cette déréglementation mise en oeuvre depuis plusieurs années et que nous avons dénoncée en toutes circonstances montre que les critères de la rentabilité capitaliste ne sont pas adaptés pour mettre en oeuvre une politique énergétique en rapport avec les besoins, non seulement de notre pays, mais aussi de la planète entière. Tous ces dérèglements font que la question de la sécurité ne peut être confiée au secteur privé, qui, comme je viens de le démontrer, n'en fait pas sa première préoccupation.
Un meilleur service, c'est aussi celui où les salariés et les usagers sont plus et mieux impliqués dans l'entreprise.
Le recul de la démocratie et de la transparence par la privatisation pourrait entraîner de graves conséquences sur la définition des politiques énergétiques et leur contrôle nécessaire, exigé par les citoyens.
Cette production d'énergie et de transport qui, en fonction de sa nature même, comporte des risques, suppose une meilleure information et un contrôle citoyen pour préserver la confiance entre les entreprises et les citoyens. Leur privatisation éventuelle ne peut qu'aggraver ce risque, puisque les salariés aujourd'hui présents dans les instances de conseils d'administration en sont rejetés lorsque le privé s'en empare.
Oui, monsieur le ministre, l'énergie n'est pas une marchandise comme les autres : c'est un bien commun qu'il ne faut surtout pas céder au secteur privé.
Cette idée n'est pas l'apanage des communistes : lorsque les entreprises privées électriques furent nationalisées, l'ensemble des forces politiques partageaient ce point de vue.
Le monopole a été institué dans le secteur de l'énergie pour des raisons de cohérence et d'efficacité économique. La privatisation permettrait, selon les dogmatiques du libéralisme, de créer plusieurs sociétés et, ainsi, une forme de liberté économique.
Qu'adviendra-t-il dans la réalité ? Prenons l'exemple de l'Allemagne, qui a ouvert son marché bien avant la France : seul 1 % du marché du gaz y est réellement ouvert à la concurrence alors que, en France, le marché est ouvert à 5 %. Auriez-vous donc plus de sympathie pour un monopole privé, ce qui justifierait votre parti pris en faveur de l'ouverture du capital ?
Je n'ai entendu personne s'offusquer, parmi les partisans du libéralisme et de la privatisation d'EDF et de GDF, de la situation de monopole de la société Total-Fina-Elf en France, qui, pour l'essentiel de son activité, est le fruit de deux fusions successives. Pourquoi ce qui est bon pour une multinationale privée devrait-il être inapplicable à un monopole public ?
Pourquoi vouloir démanteler EDF et GDF et rompre les liens qui les unissent, alors que rien ne le justifie économiquement ? II est indispensable de préserver la structure intégrée des entreprises de l'électricité et du gaz pour optimiser la construction et l'exploitation des installations, pour s'adapter aux nouveaux besoins.
La liberté de choix si souvent invoquée, monsieur le ministre, est un argument difficilement défendable lorsque nous assistons à la constitution de véritables monopoles privés laissant très peu de place à la concurrence à laquelle vous semblez attaché. Nous aimerions que vous manifestiez le même enthousiasme et la même énergie pour promouvoir la fusion EDF-GDF que pour celle de Sanofi-Aventis.
La fusion d'EDF et de GDF est non seulement tout à fait possible, mais elle est nécessaire. Or vous voudriez, monsieur le ministre, nous entraîner vers une solution tout à fait inverse, en cassant ce qui a été construit depuis des dizaines d'années et qui a montré son efficacité.
Mis en commun, le savoir-faire des personnels - gaziers et électriciens - présenterait plus d'intérêt que dans une mise en concurrence stérile. La synergie entre EDF et GDF ne peut que servir l'efficacité économique ; la longue expérience acquise entre les salariés des deux entités doit être préservée. Cette nécessaire fusion doit, par la mise en commun des savoir-faire, être facteur d'économie d'échelle et, financièrement, éviter les gâchis d'une séparation.
Comme à la Libération, il est nécessaire de créer un grand pôle public de l'énergie. Vous avez choisi, monsieur le ministre, la voie inverse en voulant brader à terme notre patrimoine industriel énergétique. Les salariés et les progressistes de notre pays n'ont pas l'intention de vous laisser faire.
Comme pour tout le reste de votre politique, vous avancez comme un véritable rouleau compresseur, écrasant tout sur votre passage : retraites, droits sociaux, sécurité sociale, tous les acquis de ces dernières décennies.
Vous voulez remodeler sur le fond notre société en la mettant au service du capitalisme mondialisé, et de façon à rendre impossible toute remise en cause en cas d'alternance. Vous voulez inscrire de façon pérenne les meilleures garanties pour vos amis les gros actionnaires. Telles sont, au fond, les raisons de votre acharnement.
Notre indépendance énergétique sera nécessairement en cause lorsque vous confierez à des intérêts privés ce qui relève de la compétence de l'Etat.
La transposition des directives européennes porte en elle tous les fondements du libéralisme, mais aucune d'entre elles n'incite à transformer le statut d'entreprise publique d'EDF.
Dès le 15 octobre 2002, je dénonçais le premier palier mis en place par l'ouverture du marché, les risques d'augmentation de tarifs de l'électricité, mais aussi l'augmentation des profits qui en découlait.
On peut facilement imaginer, monsieur le ministre, que votre préoccupation soit identique, puisque vous en créez les conditions. Les actionnaires vous en seront reconnaissants.
Ce projet de loi est néfaste pour notre économie, néfaste pour les usagers, qu'ils soient industriels ou particuliers, néfaste pour les salariés, néfaste pour la nation !
Parce que nous sommes attachés à cette notion de service public, qui permet d'appliquer le principe d'égalité sur tous les points de notre territoire ; parce que nous ne voulons pas voir s'appliquer des critères de gestion capitaliste dans le domaine de l'énergie, qui est un bien commun et non une marchandise comme les autres ; parce que nous ne voulons pas que des actionnaires privés engrangent des profits en favorisant la réduction des coûts au détriment des salariés et des investissements à long terme ; parce que nous refusons que l'indépendance énergétique de notre pays soit remise en cause en confiant l'entreprise à des intérêts privés ; parce que nous connaissons toutes les conséquences de la libéralisation à travers les expériences développées, en particulier aux Etats-Unis, sur les prix et la sécurité ; parce que nous sommes attachés au statut particulier d'EPIC décidé à Libération, qui garantit le principe d'égalité ; enfin, parce que nous sommes convaincus que l'entreprise publique est au coeur du modèle social français ; pour toutes ces raisons, nous, sénatrices et sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen, nous opposons la question préalable à votre projet de privatisation et nous demandons un scrutin public. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Madame Terrade, vous ne me tiendrez pas rigueur si je ne m'attarde pas sur le fond de votre intervention. (Exclamations sur les travées du groupe CRC.)
Mme Nicole Borvo. C'est dommage !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Nous en avons longuement débattu au cours de la discussion générale et je ne vous apprendrai rien de plus, je crois.
En revanche, vous me permettrez de répondre avec précision sur trois points de votre intervention.
D'abord, vous considérez que le projet de loi comporte des dangers pour EDF et pour GDF.
Mme Nicole Borvo. Oui !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Nous sommes, bien sûr, d'un avis totalement opposé et nous considérons au contraire que ce projet de loi est une véritable chance pour EDF et pour GDF.
Ce n'est pas pour le bon plaisir ou pour les beaux yeux de qui que ce soit, ou bien encore pour remplir les caisses de l'Etat que le Gouvernement a déposé ce texte (Mme Nicole Borvo s'exclame), mais parce que le marché s'ouvre de plus en plus, et que Bruxelles l'impose. Face à cette situation, il faut armer EDF et GDF pour leur permettre de riposter d'abord aux attaques. (M. Jean-Pierre Plancade proteste.)
Ces attaques ne sont pas négligeables. Cela a été souligné au cours de la discussion générale : EDF a perdu 20 % du marché des « éligibles » ; GDF, 21 %. Il faut donc que ces deux entreprises soient mieux armées demain pour répondre à ces offensives, qui, n'en doutez pas, vont se poursuivre avec la deuxième étape d'ouverture du marché, entrée en vigueur le 1er juillet dernier.
Il faut ensuite aider ces deux entreprises à être mieux armées, afin de payer les retraites des salariés. C'est le mérite de ce texte d'avoir également prévu un volet consacré à ce sujet.
Vous estimez ensuite - c'est le deuxième élément - que ce texte porte un coup fatal au service public. Je ne m'étendrai sur ce point, dont nous débattrons lors de l'examen des articles 1er et 2 et des amendements les précédant.
Je rappellerai simplement que toutes les missions de service public prévues dans la loi de 1946 sont reprises, comme le sont les missions de service public prévues dans la loi de 2000 relative à la modernisation et au développement du service public de l'électricité, ainsi que toutes les missions de service public prévues dans la loi de 2003 sur le gaz. Le Gouvernement, dans son texte, les renforce encore et, après les ajouts apportés par l'Assemblée nationale, qui a accompli un bon travail, à notre tour, nous les renforçons encore.
Certes, nous n'adoptons pas la série de propositions que vous nous soumettez, mais, à notre tour, nous les renforçons les missions de service public. Par conséquent, il est impossible de soutenir qu'un coup fatal est porté au service public.
Enfin - c'est le troisième et dernier élément -, ce projet de loi conduit, selon vous, à la privatisation à marche forcée.
M. Jean-Pierre Plancade. Rampante !
Mme Odette Terrade. En catimini !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Vous ne pouvez pas dire cela ! Je l'ai dit tout à l'heure dans mon intervention, et je ne sais plus à quel temps il faut le décliner ou sur quel ton le chanter...
Mme Nicole Borvo. Vous ne pouvez pas, n'essayez pas !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Ne vous inquiétez pas, je ne chanterai pas, je chante faux ! (Sourires.)
M. le président. Essayez l'Internationale ! (Rires.)
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. C'est un bon conseil, monsieur le président.
M. Guy Fischer. Nous aimerions entendre cela !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. En tout cas, je le redis, le seuil des 70 % du capital détenu par l'Etat ne sera pas remis en cause.
Mme Nicole Borvo. M. Marini veut déjà descendre à 50 % !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Ce seuil, je le rappelle, est le fruit de longues discussions et de longues négociations entre le Gouvernement et les partenaires sociaux. Ce la montre bien que le débat social et la concertation servent à quelque chose et permettent à un gouvernement de modifier sa position initiale !
M. Roland Muzeau. Cela ne vaut que pour aujourd'hui ! Demain sera un autre jour !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Le projet de loi prévoit que l'Etat détient 70 % du capital de ces entreprises. Or la privatisation n'intervient que lorsque l'Etat détient moins de 51 %, ce qui n'est pas le cas. Je ne suis donc pas du tout d'accord avec vous sur ce dernier point de votre argumentation.
C'est la raison pour laquelle la commission a émis un avis défavorable sur cette motion tendant à opposer la question préalable.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Madame Terrade, vous avez affirmé sur un ton très doux et très aimable - mais de manière inacceptable, si vous me permettez de le dire -, que nous proposions ce texte pour protéger les intérêts de nos amis les gros actionnaires.
Nous avons droit au respect de nos convictions. Certes, vous avez le droit de les combattre, mais nous avons aussi droit à la présomption d'innocence...
Mme Nicole Borvo. Ah ! Elle est bien mise à mal !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ...et à la présomption de sincérité de nos engagements, comme je vous fais crédit des vôtres : je ne pense pas du tout, madame Terrade, que vous agissiez à l'instigation d'un lobby ou d'un quelconque groupe de pression...
Mme Odette Terrade. Nous agissons pour les salariés !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. ...qui voudrait conserver des privilèges ou des financements avantageux pour telle ou telle formation politique. (Vives protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Allez au tribunal de Nanterre !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je ne vous permets donc pas non plus de soupçonner que nous défendions des intérêts privés ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Borvo. De quelle affaire parlez-vous ?
M. Roland Muzeau. Vous parlez de l'affaire Juppé ?
Mme Nicole Borvo. A Nanterre, des salariés sont jugés !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Vous avez ensuite invoqué la Résistance, madame Terrade.
J'ai infiniment de respect pour ceux qui se sont fait tuer durant la Résistance, y compris pour les membres du parti communiste qui, à partir de 1941, y ont laissé leur vie. Je pense d'ailleurs souvent à la MOI, la main-d'oeuvre immigrée.
En revanche, personne ne s'est engagé dans la Résistance pour EDF (Mme Odette Terrade s'exclame), mais tous l'ont fait pour libérer la France. Laissons-leur la pureté de cet engagement et, si vous le permettez, ne la récupérons pas pour nos combats politiciens. (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Mme Hélène Luc. C'est incroyable ! Nous menons un débat démocratique, pas un débat politicien !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. C'est un débat politicien que d'accuser ses adversaires d'agir au nom de d'intérêts privés !
Mme Hélène Luc. Donnez-nous des arguments ! Ne nous traitez pas de politiciens !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Invoquer la Résistance pour accuser ses adversaires, c'est très politicien !
Mme Hélène Luc. Nous défendons ce que nous croyons juste !
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Quoi qu'il en soit, la propriété publique de l'énergie n'offre aucune garantie. D'une part, la France, en 1978, a connu un black out ; ce n'est pas réservé à la Californie ! D'autre part, la propriété collective de l'électricité n'a pas non plus été une garantie pour le consommateur quand est survenue la catastrophe de Tchernobyl.
M. Gérard Longuet. C'est vrai !
M. Roland Muzeau. Que vient faire Tchernobyl dans ce débat ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. De la comparaison des systèmes, vous le savez, il est possible de tirer des leçons différentes !
Opposer la question préalable suppose qu'il n'y a pas lieu de délibérer. Au contraire, nous considérons qu'il y a lieu de le faire afin de tirer toutes les conséquences de l'ouverture à la concurrence, voulue par le gouvernement auquel vos amis ont participé. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 228, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 200 :
Nombre de votants | 313 |
Nombre de suffrages exprimés | 310 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 156 |
Pour l'adoption | 112 |
Contre | 198 |
Le Sénat n'a pas adopté.
M. le président. Je suis saisi, par Mmes Beaufils et Terrade, M. Muzeau et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, d'une motion n° 416, tendant au renvoi à la commission.
Cette motion est ainsi rédigée :
En application de l'article 44, alinéa 5, du règlement, le Sénat décide qu'il y a lieu de renvoyer à la commission des affaires économiques et du Plan, le projet de loi relatif au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises électriques et gazières (n° 383, 20032004).
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
Aucune explication de vote n'est admise.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la motion.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, rarement une motion de renvoi en commission n'aura été aussi fondée.
La forme imposée au débat que nous entamons aujourd'hui est elle-même inacceptable. En effet, alors que le texte a été adopté la semaine dernière, le 29 juin, par l'Assemblée nationale, le rapport sénatorial a été examiné dès le lendemain matin. Cette précipitation, qui devient malheureusement coutumière, n'a pas permis d'étudier sérieusement l'ensemble des questions et de fonder l'élaboration collective du rapport sur une première confrontation des idées.
Je me permets d'ailleurs d'attirer l'attention de la présidence du Sénat sur une lente dérive du travail effectué en commission. La surcharge législative explique sans doute le travail de plus en plus solitaire des rapporteurs, mais cette surcharge ne justifie pas seule la suppression des auditions en séance plénière des associations, des syndicats, des personnalités, des dirigeants.
La surcharge a « bon dos ». Ce prétexte - car c'est de cela qu'il s'agit - permet d'éviter la pleine information de notre assemblée et d'accélérer l'adoption de textes qui, par leur dogmatisme ultralibéral, mettent en cause la structure même de notre société.
L'habitude est aujourd'hui prise que le rapporteur auditionne seul, sans compte rendu public. Il faut mettre un terme à une telle pratique, qui nuit au travail parlementaire.
J'insiste d'autant plus sur ce point que nombreux sont ceux qui souhaitent renforcer le travail en commission au détriment de la séance publique, idée que nous combattons.
La précipitation du débat et la période choisie ne permettent pas de légiférer dans des conditions dignes. Une nouvelle fois, je tiens à dénoncer solennellement le recours abusif à la session extraordinaire.
La session unique a été instaurée en 1995 pour permettre d'améliorer la qualité du travail législatif et pour renforcer les moyens de contrôle du Parlement sur l'activité gouvernementale. Or nous assistons à un véritable détournement du sens de la Constitution.
La session extraordinaire devient ordinaire puisque, depuis trois ans, elle est utilisée pour permettre d'adopter, à l'abri des regards et de l'écoute populaire, des textes aussi essentiels que celui qui concernait les retraites, en 2003. Et, cette année, outre le projet de loi qui nous intéresse aujourd'hui, seront examinés le texte relatif à la décentralisation libérale et, bien sûr, le projet de loi relatif à l'assurance maladie, sans oublier la dernière étape de la privatisation d'Air France.
Monsieur le rapporteur, monsieur le président de la commission des affaires économiques, pour revenir à la préparation du débat relatif au statut d'EDF-GDF, est-il convenable de ne pas avoir procédé à l'audition de M. le ministre d'Etat, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, M. Sarkozy, alors que les quelques jours de débats à l'Assemblée nationale ont été pour lui l'occasion de se livrer à un jeu d'annonces peu compatible avec la tenue d'un débat contradictoire qui, pour être intéressant et productif, doit s'appuyer sur une distribution honnête des cartes ?
N'aurait-il pas été nécessaire, à la suite du débat à l'Assemblée nationale, de connaître précisément son avis sur le devenir des propositions qu'il a émises quant à l'ouverture du capital, son niveau ou sa mise en oeuvre ?
Le projet de loi évoque 50% d'ouverture du capital. M. le ministre a proposé de maintenir à 70% la participation publique et a même indiqué qu'il n'y avait pas urgence pour l'Etat de concéder la moindre part, évoquant même le maintien d'un capital à 100% public durant un an, et peut-être même durant plusieurs années.
On a pu lire, de-ci de-là, que cette proposition n'agréait ni au président d'EDF ni à celui de GDF. Pourquoi ne pas les avoir auditionnés sur ce point ?
L'économiste François Morin commentait ainsi dans un quotidien du 16 juin ces propositions ministérielles : « Le ministre de l'économie n'a pas cessé de faire des concessions sur la part qui pourrait rester aux capitaux privés : 34 %, puis 30 %, aujourd'hui 0 %. Est-ce là un vrai problème ? Une fois la loi votée, un simple décret suffira pour introduire une part de capitaux privés, et ensuite l'augmenter. » Ces propos sont frappés au coin du bon sens.
Sans même, a priori, que nous mettions en doute sa parole, M. Sarkozy peut-il engager ses éventuels successeurs, car il y en aura bien un jour ?
Les conditions de l'annonce du report de l'ouverture du capital à 2005 ne nous rassurent pas. Quelques heures après cette annonce, il a été indiqué que, de toute manière, la privatisation immédiate était impossible avant un an.
Cette question de la privatisation ne doit pas, selon nous, être l'objet d'une négociation. Le statut d'EDF-GDF doit rester public, et rien ne s'y oppose. Le travail de la commission n'a pas été poussé sur ce point.
Mis à part le dogmatisme étroit, que j'évoquais il y a un instant, quelle était la nature de l'obligation d'ouverture du capital ? M. Sarkozy n'a cessé de pointer du doigt la responsable : l'Europe. C'est cette dernière qui contraindrait le gouvernement à casser le statut public.
Monsieur le rapporteur, pourquoi n'avez-vous pas procédé en commission à l'audition publique de M. Monti et de Mme de Palacio, commissaires le premier chargé de la concurrence et la seconde de l'énergie ? Ces auditions étaient, à mon sens, indispensables après le débat à l'Assemblée nationale.
M. Monti a plusieurs fois indiqué que le choix du changement de statut incombait au gouvernement français. Le 10 juin 2003, auditionné par la commission d'enquête sur la gestion des entreprises publiques, présidée à l'Assemblée nationale par M. Douste-Blazy, il précisait que l'Etat pourrait continuer, sous certaines conditions, à octroyer sa garantie financière à une entreprise publique. « Nous réclamons uniquement l'élimination de la garantie illimitée de l'Etat », indiquait-il.
Enfonçant le clou, M. Monti, dans un courrier adressé le 29 janvier 2004 à Frédéric Imbrecht, secrétaire général de la fédération CGT mines-énergie, indiquait : « Le Gouvernement aurait pu avoir recours à d'autres moyens pour soumettre EDF à la législation sur le redressement et la liquidation judiciaire. »
Le Gouvernement, vous-même, monsieur le rapporteur, pouvez-vous nous dire clairement que l'un des objectifs essentiels du changement de statut d'EDF-GDF, de l'harmonisation européenne, est de pouvoir mettre un jour EDF-GDF en faillite, ce qui n'est évidemment pas possible avec le statut public ? Est-ce cela la modernité, la voie du progrès, l'ambition pour la France dont on se prévaut ici et là : permettre d'envisager la mise en faillite d'un patrimoine national comme EDF-GDF ?
Nous n'entrons pas dans le domaine de l'irrationnel ou du fantasme. L'actionnariat, la loi du marché sans le moindre frein peuvent dévaster des acquis formidables. Le seul exemple des fonds de pension américains peut nous faire craindre le pire.
Pourquoi le gouvernement français pousse-t-il plus loin les feux du libéralisme que le commissaire européen à la concurrence lui-même ? Cette simple question aurait mérité un long débat en commission. Il n'a pas eu lieu. Cela est d'autant plus regrettable que Mme de Palacio, commissaire à l'énergie, a volé au secours de M. Sarkozy, avec des déclarations tonitruantes et pour le moins caricaturales.
Ainsi, Mme de Palacio, membre du PPE de M. Aznar, a déclaré : « La Commission européenne a demandé à l'Etat français de retirer leur statut d'établissement public à EDF et GDF car elles ne peuvent pas bénéficier de la garantie de l'Etat. »
Ne serait-il pas nécessaire, monsieur le rapporteur, avant de poursuivre nos débats, de permettre à ces deux commissaires européens d'accorder leurs violons ? L'enjeu est trop lourd pour être fondé sur une incertitude ou sur une interprétation !
Mme de Palacio n'en est pas restée là, puisqu'elle a donné son verdict : « EDF doit devenir une entreprise comme Renault. » Sans mépris aucun pour l'industrie automobile, Mme de Palacio estime-t-elle que l'on construit des automobiles comme des centrales nucléaires ? Par ailleurs, notre très libérale commissaire appelle-t-elle de ses voeux un « Vilvorde » de l'énergie ?
Monsieur le rapporteur, alors que vous consacrez les premières pages de votre texte au marché européen de l'énergie, n'aurait-il pas été utile de procéder à ces deux auditions ? Le fait de savoir si le changement de statut était une obligation supranationale n'est tout de même pas secondaire !
Par ailleurs, pourquoi n'avoir pas prévu une audition publique des organisations professionnelles, des salariés et du patronat ? Il aurait été intéressant de connaître le point de vue de ces derniers, inquiets d'une augmentation sensible des prix avec une concurrence qui n'aurait donc pas toutes les vertus qu'on lui prête...
Sur cette question des augmentations, n'aurait-il pas été intéressant d'auditionner les auteurs d'une note interne d'EDF-GDF qui annonce une hausse de 15 à 20 % avec l'ouverture du marché ?
De même, n'aurait-il pas été intéressant de recevoir les dirigeants de grandes entreprises déjà soumises à la concurrence, comme M. Gallois pour la SNCF et Mme Idrac pour la RATP, qui font état de hausses de 50% de l'électricité sur deux ans, répercutées évidemment sur les usagers, et qui font connaître leurs graves inquiétudes ?
Enfin, et c'est sans doute le comble, ni M. Roussely pour EDF, ni M. Gadonneix pour GDF, n'ont été conviés pour éclairer l'ensemble de la commission sur leur analyse de la situation après la première lecture à l'Assemblée nationale. Peut-être aurait-il été intéressant d'interroger M. Roussely sur sa conception des libertés syndicales ?
Pour ma part, je trouve surprenant, voire effarant, le silence du rapport sur les causes de ce mouvement social dans l'entreprise. Cette conception de l'entreprise met en danger l'avenir d'EDF-GDF qui, justement, est fondé sur une grande solidarité, sur une communion entre les établissements et les agents.
Enfin, monsieur le rapporteur, alors qu'un important rapport sur l'idée même de fusion des deux établissements EDF et GDF a été demandé par M. Sarkozy lui-même, n'aurait-il pas été judicieux d'attendre le résultat de cette étude plutôt que de légiférer dans une telle précipitation ?
Mme Nicole Borvo. C'est sûr !
Mme Marie-France Beaufils. Ces quelques mots mettent en exergue le choix du saut dans l'inconnu, ou plutôt dans la jungle d'un capitalisme « libéré », alors que l'intérêt général, l'intérêt des salariés et des usagers, de notre peuple, nécessitait d'examiner toutes les solutions pour préserver la propriété publique de la collectivité, dans un monde hostile.
Par conséquent, mes chers collègues, avec cette motion tendant au renvoi à la commission, je vous invite à vous ressaisir et à créer enfin les conditions de la préservation d'EDF-GDF, entreprise publique qui fait l'honneur de notre pays. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Madame Beaufils, je ne vous surprendrai pas en vous annonçant que je ne partage pas l'ensemble de vos arguments.
Cependant, je suis d'accord avec les premiers points que vous avez développés.
Il est vrai que nous avons travaillé dans la précipitation.
Mme Hélène Luc. Ce n'est pas seulement de la précipitation !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Permettez-moi de vous dire que ce n'est pas la première fois, que le gouvernement soit de droite ou de gauche,...
Mme Hélène Luc. Jamais nous n'avons travaillé dans de telles conditions !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... et nous avons tous des exemples en tête que nous pouvons citer.
Il est également vrai qu'il y a une surcharge de travail législatif. Mais, là aussi, elle ne caractérise pas l'action de ce gouvernement...
Mme Nicole Borvo. Mais on peut toujours s'améliorer !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... car nous avons tous connu de telles situations, que le gouvernement soit de droite ou de gauche.
Le troisième point sur lequel je suis d'accord avec vous concerne la session unique. Je partage votre avis : elle a été instaurée pour alléger le travail législatif ; le moins qu'on puisse dire, c'est que cela n'a pas été un succès, il faut savoir le reconnaître.
Mme Hélène Luc. Vous contribuez à aggraver la situation !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Par ailleurs, vous ne pouvez pas dire que la question du statut d'EDF-GDF est nouvelle. Nous avons voté plusieurs textes qui, de près ou de loin, concernent ces entreprises.
Je vous rappelle que, en 1998, nous avons conduit ici des débats très importants. A la fin des années 1990, notamment avant les élections municipales de 2001, nous avons longuement débattu d'un texte relatif à Gaz de France. En 2000, nous avons débattu pendant de nombreuses heures et de nombreuses journées de la directive « électricité », dont notre collègue Henri Revol a été l'excellent rapporteur.
M. Henri Revol. Merci, mon cher collègue !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Il s'agit donc d'un sujet que nous avons déjà traité.
De surcroît, nous retrouvons peu ou prou les mêmes intervenants au sein de chaque groupe. Vous-même êtes intervenue à de nombreuses reprises.
Sur le travail de la commission, je voudrais dire deux choses.
Je dois dire que je vous trouve un peu de mauvaise foi (Protestations sur les travées du groupe CRC), ce qui me surprend parce que vous êtes une parlementaire assidue. Vous manquez très peu de séances de travail en commission, je suis à même d'en juger dans la mesure où moi-même y suis également présent assez souvent.
Il se trouve que notre commission procède à de très nombreuses auditions. C'était déjà le cas du temps de Jean François-Poncet, c'était encore le cas sous la présidence de Gérard Larcher, où nous avons très régulièrement auditionné, sans que cela soit nécessairement lié à ce texte, des patrons des entreprises du secteur énergétique - MM. Roussely et Gadonneix - ou des syndicats, que ce soient M. Imbrecht, M. Le Duigou ou M. Blondel.
Mme Marie-France Beaufils. Pas sur ce texte !
Mme Hélène Luc. Si vous ne les écoutez pas...
M. Ladislas Poniatowski., rapporteur. Il se trouve que Gérard Larcher avait une culture de contact, de dialogue et de discussion avec les syndicats qui était de bonne qualité. Grâce à lui, nous avons donc régulièrement procédé à des auditions.
Mme Marie-France Beaufils. Pas sur ce texte !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Mais j'en viens à votre motion.
Je disais que je vous avais trouvée un peu de mauvaise foi et que j'en avais été surpris. Toutefois, ma surprise s'est estompée lorsque je vous ai entendue dire qu'on aurait pu auditionner aussi ces personnalités après la première lecture à l'Assemblée nationale. Laissez-moi vous dire que les auditions, sur ce texte, de M. Roussely, de M. Gadonneix, de M. Brun -représentant les entreprises entrantes, les entreprises clientes -, ou de M. Imbrecht ont toutes été d'un très bon niveau et d'une très grande qualité. Je pense par ailleurs que nous avons été de « bons commissaire » car nous ne les avons pas ménagés et nous les avons bien interrogés.
Vous auriez voulu que le travail fait habituellement par un rapporteur le soit par toute la commission. Mais vous savez très bien que ce n'est pas possible et que tel n'a jamais été le cas !
Mme Hélène Luc. Il fallait écouter Bernard Thibault et surseoir à l'examen du texte !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Vous pourrez toujours renouveler ce reproche, mais c'est trop facile ! Pourquoi nommer un rapporteur sinon pour qu'il fasse ce travail d'auditions ?
J'ai la réputation d'auditionner de nombreuses personnes et j'en ai auditionné cinquante sur ce texte, la liste figure dans mon rapport. J'ai rencontré le ministre d'Etat et le ministre délégué à l'industrie.
Il est vrai que les auditions auxquelles j'ai procédé - et auxquelles procède tout rapporteur - ...
Mme Nicole Borvo. Nous ne sommes jamais désignés comme rapporteurs !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. ... n'ont pas été publiques. Mais vous ne pouvez pas dire que vous regrettez la surcharge de travail et ensuite dire que vous voudriez qu'il y ait plus de travail en commission !
Mme Hélène Luc. Il ne s'agit pas d'une surcharge de travail !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je terminerai en évoquant Mme Palacio et M. Monti.
M. Monti a été auditionné publiquement par notre commission et par la délégation pour l'Union européenne, notamment sur ce texte et sur le projet de loi d'orientation sur l'énergie. Cette audition a d'ailleurs été très intéressante. Vous ne pouvez donc pas dire qu'il n'y a pas eu d'auditions publiques : il y en a eu une.
Celle de Mme Palacio - et je vous demande de me pardonner - n'a pas été publique. Je l'ai cependant rencontrée et j'ai fait mon travail de rapporteur. Peut-être est-ce moi qui sortirai le plus enrichi de ce travail d'auditions, mais c'est le cas pour tous les textes de loi : vous ne pouvez pas demander à une commission de faire le travail d'un rapporteur. Ce n'est pas possible !
Toutes ces raisons justifient, à mon avis, que le présent texte ne soit pas renvoyé à la commission, qui a d'ailleurs donné un avis défavorable à ce renvoi. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Monsieur le président, le Sénat conduit ses travaux à son gré. Aussi, le Gouvernement n'a pas d'observations particulières à faire sur ce point. Il dira simplement au rapporteur : molto lavoro, molto honore, beaucoup de travail, beaucoup d'honneur. (Sourires.)
Mme Hélène Luc. S'il y en a qui sont prêts à travailler, ce sont bien les membres du groupe communiste !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 416.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin n° 201 :
Nombre de votants | 313 |
Nombre de suffrages exprimés | 305 |
Majorité absolue des suffrages exprimés | 153 |
Pour l'adoption | 106 |
Contre | 199 |
Le Sénat n'a pas adopté.
En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
Division additionnelle avant le titre Ier
M. le président. L'amendement n° 229 rectifié, présenté par Mme Beaufils, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier, ajouter la division et l'intitulé suivants :
TITRE Ier A
Bilan de l'ouverture à la concurrence et renégociation des directives
La parole est à Mme Evelyne Didier.
Mme Evelyne Didier. Nous avons déposé toute une série d'amendements qui ont pour objet de dresser un bilan précis sur les plans social, tarifaire, économique, industriel, du processus d'ouverture à la concurrence. Nous souhaitons que la poursuite de ce processus de libéralisation, avec l'ouverture totale du marché - y compris donc aux usagers domestiques - soit subordonnée à l'examen par le Parlement de ce bilan.
L'exemple des pays pionniers de la libéralisation nous oblige à dresser un tel bilan : la déréglementation du rail anglais suffirait à elle seule à justifier l'arrêt du processus d'ouverture à la concurrence.
Nous avons aussi déposé un certain nombre d'amendements qui, dans la même optique, visent à obtenir une renégociation des directives européennes et à introduire en leur sein une clause de réversibilité.
Les conséquences dramatiques de la libéralisation du rail anglais, la crise californienne et les coupures de courant en Italie doivent nous inciter à faire preuve d'une grande prudence qui rend légitime une telle clause de réversibilité.
Certes, un bilan d'étape est prévu en 2006. Nous disposons cependant à ce jour de nombreux éléments qui prouvent qu'il est urgent de dresser ce bilan avant de poursuivre le processus d'ouverture à la concurrence.
Il faut dresser aussi un tel bilan sur le plan économique et industriel. Les effets bénéfiques attendus de la libéralisation et de l'ouverture à la concurrence ne sont en effet pas au rendez-vous.
En matière de tarification des gros clients éligibles, c'est tout à fait flagrant. On nous avait promis une baisse des prix : c'est une inflation galopante que nous avons observée.
Dois-je souligner, monsieur le ministre, que tous les grands patrons de nos industries sont inquiets ?
Les titres de la presse se font l'écho de telles inquiétudes. En voici quelques exemples : « La SNCF proteste contre une augmentation de 40 % de sa facture d'électricité »- AFP, 26 mars 2004 - ; « Record sur les marchés du courant aux Etats-Unis en 2003 » - Enerpresse, janvier 2004 - ; « En Californie, la régulation a tourné à la catastrophe » - Le Monde, novembre 2003 - ; « Etats-Unis : chacun cherche sa solution à la crise » ; « Une mauvaise année pour la dérégulation au Canada, en Ontario » ; « Cinq livres de hausse de la facture pour éviter la pénurie d'énergie » ; « Londres met le black out sur les black out de l'été ».
C'est bien, monsieur le ministre, le monde des affaires qui est inquiet ! Tous ces articles en témoignent à travers un constat objectif et reflètent, au fond, l'opinion des décideurs économiques.
Ils sont édifiants quant aux effets de la libéralisation. Ils dénoncent la forte augmentation des prix et les possibles ruptures d'approvisionnement. Ils mettent en doute les affirmations gouvernementales concernant les effets bénéfiques de l'ouverture à la concurrence et du changement du statut d'EDF et de GDF.
Les augmentations de prix risquent d'affecter des secteurs importants de notre économie. Le cas de la SNCF est particulièrement éloquent. Nous risquons une répercussion en chaîne de la hausse du prix de l'électricité.
C'est pour lutter de manière radicale contre l'inflation, accusée de tous les maux, que l'on a mené à l'échelle européenne des politiques monétaires et budgétaires restrictives.
Aujourd'hui, un tel dérapage inflationniste, avec des répercussions en chaîne, risque de se produire du fait de la libéralisation de certains secteurs de notre économie. En tout cas, on pourra dire que l'inflation n'est pas un phénomène d'origine salariale, comme d'aucuns voudraient le faire croire !
Ne serait-ce que de ce seul point de vue - celui des répercussions en termes d'augmentation des prix -, un bilan doit être mené.
Les risques multiples liés au processus de déréglementation et les méfaits constatés exigent qu'un tel bilan soit dressé et que l'on engage un processus de renégociation des directives.
Tel est le sens de cet amendement, qui tend à créer un nouveau titre prenant en compte ces exigences.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
Je conviens avec vous, madame Didier, qu'un bilan doit absolument être dressé. C'est bien ce que prévoit l'article 26 de la directive de 2003 : un bilan de l'ouverture à la concurrence doit être réalisé en 2006 au niveau européen.
C'est le niveau européen qui est intéressant ! Il importera de savoir quelles auront été les conséquences de cette ouverture du marché chez nous et chez nos voisins. Nous pensons que c'est suffisant, et nous ne sommes donc pas favorable à un nouveau titre.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 229 rectifié.
(L'amendement n'est pas adopté.)
Articles additionnels avant le titre Ier
M. le président. L'amendement n° 230, présenté par Mme Beaufils, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier avant l'article 1er A, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Le gouvernement saisit la Cour de justice des communautés européennes dans le but de déterminer si la garantie de l'Etat impliquée par le statut d'établissement public contrevient à une norme européenne. L'examen du projet de changement de statut d'Electricité de France et de Gaz de France est suspendu jusqu'à ce que la Cour se soit prononcée.
La parole est à M. Roland Muzeau.
M. Roland Muzeau. Beaucoup de choses contradictoires ont été dites sur la question de la garantie illimitée de l'Etat liée au statut d'EPIC d'EDF et de GDF. Les commissaires européens chargés, d'une part, du droit de la concurrence et, d'autre part, du secteur énergétique se sont eux-mêmes contredits.
Nous proposons donc au Gouvernement de saisir la Cour de justice des Communautés européennes afin de déterminer si l'interprétation du droit communautaire par la Commission est effectivement fondée.
Le traité sur l'Union européenne ne préjuge pas du régime de la propriété des entreprises dans les Etats membres. Il est ainsi tout à fait défendable, même si la direction d'EDF le conteste, que les deux tiers du chiffre d'affaires de l'entreprise soient réalisés sur notre territoire national, en conformité donc avec les exigences européennes concernant les abus de position dominante.
Ce que contesterait la Commission, c'est la garantie illimitée de l'Etat que lui conférerait son statut d'EPIC. Mais l'Etat pourrait prendre des engagements solennels en la matière. Surtout, l'Etat pourrait contester cette interprétation auprès des institutions européennes, d'autant plus que la Commission, qui théoriquement n'accepte pas la garantie de l'Etat, la reconnaît bien souvent dans les faits quand celui-ci vient au secours de grands groupes qu'il n'est évidemment pas question de laisser sans soutien.
Tel est le cas d'Alstom, entreprise pour laquelle le Gouvernement n'a pas accepté d'emblée - et à juste titre - les demandes de la Commission.
La Commission n'a pas non plus contesté l'intervention de l'Etat en Grande-Bretagne quand il s'est agi de sauver British Energy ou les chemins de fer.
Si la Commission accepte que l'Etat français intervienne financièrement dans le cas d'Alstom - ce qui, je le répète, nous apparaît pleinement justifié -, elle manquerait singulièrement de cohérence en remettant en cause aujourd'hui le statut d'EDF. De plus, elle contreviendrait aux dispositions qu'elle a elle-même adoptées et qui ne contraignent pas le régime de la propriété dans les Etats membres.
Si tel était le cas, le Gouvernement ferait preuve de volonté politique en s'engageant à s'opposer à cette analyse de la Commission et à agir énergiquement, comme il a prétendu le faire s'agissant d'Alstom.
La saisine de la Cour de justice des Communautés européennes nous paraît donc tout à fait justifiée.
Tel est le sens de cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. La commission a émis un avis défavorable.
Certes, des contradictions sont apparues entre les déclarations de Mme Loyola de Palacio et de M. Mario Monti. Toutefois, comme je l'ai indiqué cet après-midi, je crois que Mme de Palacio connaît mieux le droit français des sociétés. C'est pourquoi elle a pu notifier à la France qu'il n'était plus possible qu'EDF et GDF bénéficient de la garantie de l'Etat et que ces deux entreprises, ne pouvant pas conserver le statut d'EPIC, devaient devenir des sociétés anonymes. Elle a été très précise sur ce point.
C'est la raison pour laquelle nous avons considéré qu'il n'était pas utile de saisir la Cour de justice des Communautés européennes et que nous avons émis un avis défavorable sur l'amendement n° 230.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de deux amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 231, présenté par Mme Beaufils, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier avant l'article 1er A, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Un rapport sur l'évolution des prix de l'électricité, d'une part, et du gaz naturel, d'autre part, à destination de clients éligibles, depuis l'ouverture à la concurrence est présenté au Parlement au plus tard, trois mois après la promulgation de la loi.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer. Nous souhaitons qu'un rapport soit présenté au Parlement trois mois au plus tard après la promulgation de la loi.
Il s'agit d'évaluer les effets de la libéralisation du secteur énergétique et les bénéfices pour les industriels de l'ouverture à la concurrence du secteur énergétique, qui aurait dû se traduire par une baisse des prix qui n'a pas eu lieu. En effet, alors que l'on nous promettait d'importantes baisses de prix, les prévisions sont aujourd'hui totalement démenties par les faits. Or cette baisse des prix est un argument qu'ont utilisé les promoteurs de la libéralisation du marché de l'énergie et de l'ouverture du capital d'EDF-GDF.
Les faits prouvent donc le contraire, d'autant qu'EDF-GDF, avec son statut actuel, offre les tarifs les moins élevés en Europe. Je note d'ailleurs que vous ne faites pas appel à cet argument dans l'exposé des motifs de votre projet de loi, monsieur le ministre.
Il nous semble important que soit établi un bilan de l'évolution des tarifs dans les pays ayant fait le choix de la libéralisation. Ce bilan intéresse tout le monde dans notre pays, les entreprises comme les usagers, usagers que nous appellerons bientôt des clients.
Reprenons l'exemple de la Californie sous un angle tarifaire. La loi votée en 1996 dans cet Etat visait à déréglementer le marché de l'énergie. Comme le projet de loi que vous nous présentez aujourd'hui, elle prévoyait de séparer la fonction de producteur de celle de distributeur-transporteur et mettait en place une bourse de l'électricité. Mais - et l'on retrouve là les mots, qui se veulent rassurants, du ministre des finances - la loi californienne plafonna les prix afin qu'ils restent « justes et équitables ».
Mme Hélène Luc. Eh oui !
M. Guy Fischer. Cela s'est soldé par un déficit croissant des entreprises de distribution, contraintes d'acheter leur électricité à des producteurs qui, eux, augmentaient leurs prix.
L'Etat de Californie a donc été amené à autoriser des augmentations successives de prix : en un an, les tarifs ont augmenté de 66 % pour les ménages et de 50 % pour les entreprises !
Ces augmentations n'ont pas empêché le principal distributeur californien, la Pacific Gas and Electric Company, de déposer son bilan en avril 2001, ce qui constitua la troisième plus grande faillite de toute l'histoire des Etats-Unis. Quel gâchis ! Monsieur le ministre, voulez-vous vraiment suivre cette voie en France ?
M. Roland Muzeau. Oui !
M. Guy Fischer. Par quel prodige pourrions-nous éviter les écueils qu'ont rencontrés les pays ayant fait le choix de la déréglementation si nous suivions la même politique ?
Au demeurant, il est inutile de franchir l'océan pour constater ces hausses : il suffit de se tourner vers la Grande-Bretagne, où l'on estime que les personnes dites « énergétiquement pauvres » sont de plus en plus nombreuses, ou encore vers la Suède, où les tarifs ont augmenté de 25 %.
En France, monsieur le ministre, demandez à M. Louis Gallois, président de la SNCF, ce qu'il pense de la libéralisation du marché de l'énergie, alors que la facture d'électricité de la SNCF a été majorée de 120 millions d'euros en 2004 ! Et l'on parle du déficit de la SNCF ! Quant à M. Jean-Louis Beffa, président de Saint-Gobain, quatrième consommateur d'électricité en France, il l'a lui même reconnu : « le monopole d'EDF a donné un avantage concurrentiel à la France ».
Selon le tableau dressé par l'Observatoire international des coûts énergétiques, les prix de l'électricité pour les entreprises dans quatorze pays industrialisés ont nettement augmenté entre février 2003 et février 2004, parallèlement à la dérégulation du secteur.
En Allemagne, les prix accusent une hausse pour la quatrième année consécutive. Ils ont progressé de 3,2 % en 2003 et de 9,3 % en 2004. Une telle augmentation des tarifs pose la question de l'égal accès de tous à l'énergie.
Les gros industriels ont été confrontés, en 2003, à une hausse moyenne de 40 %. Quant aux consommateurs domestiques, ils ont subi plusieurs augmentations du tarif des services.
Cette question de l'égalité de l'accès pour tous, si elle est sociale, se pose aussi sur le plan territorial : comment comptez-vous, dans le cadre d'une libéralisation du marché, préserver un même prix sur l'ensemble du territoire ?
C'est la raison pour laquelle nous avons déposé cet amendement tendant à la présentation d'un rapport au Parlement non pas en 2006, mais trois mois après la promulgation de la loi.
M. le président. L'amendement n° 235, présenté par Mme Beaufils, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier avant l'article 1er A, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Six mois après la promulgation de la loi relative au service public de l'électricité et du gaz et aux entreprises gazières, le gouvernement adresse au Parlement un rapport sur le bilan de l'ouverture à la concurrence dans le secteur énergétique. Ce rapport examine l'impact en termes d'emploi, d'aménagement du territoire et de coût de l'énergie de la transposition des directives européennes. Il comporte une étude prospective à horizon 2009 sur ces différents aspects.
La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, depuis 1995, l'Organisation mondiale du commerce, l'OMC, par le biais de l'Accord général sur le commerce des services, l'AGCS, procède à des négociations afin de libéraliser l'ensemble des secteurs qui, dans notre pays par exemple, sont restés sous contrôle public.
Nous sommes parvenus à une étape décisive du processus de libéralisation, étape qui exige la réalisation, en toute transparence, d'un bilan contradictoire sur les effets de ce processus de déréglementation.
Actuellement, il faut bien le dire, trop peu de personnes sont au courant de ces négociations. Il est urgent de permettre l'appropriation par tous de notre avenir, tel que le dessinent pour nous l'OMC et la Commission européenne, qui est impliquée dans cette casse à l'échelle mondiale de tous les mécanismes de solidarité. Or les populations ne cessent, depuis des années, de montrer leur attachement aux services publics.
Votre gouvernement fait particulièrement la sourde oreille aux manifestations de la rue. Oui, on le sait, ce n'est pas la rue qui décide ! Peut-être y a-t-il aussi les élections, d'ailleurs...
Cependant, aujourd'hui, de plus en plus d'associations, de particuliers, de communes, s'intéressent à la question et se déclarent « zones hors AGCS ».
Les engagements à caractère irréversible de l'accord sur le commerce des services conduisent à une libéralisation totale de ces services et transforment radicalement notre société. Cela ne doit pas se faire sans transparence, comme c'est le cas actuellement.
Les Parlements nationaux, tout comme le Parlement européen, sont exclus de ces débats fondamentaux pour notre avenir. Il s'agit bien d'un choix de société, qui nous engage à long terme et qui concerne les générations futures.
Cette question n'est pas, bien entendu, extérieure à notre discussion d'aujourd'hui, car votre projet de loi déréglemente des anciens monopoles publics, que chacun a apprécié depuis des décennies.
L'argument traditionnellement invoqué selon lequel l'ouverture des échanges n'aurait aucun effet sur le caractère public de la propriété des entreprises n'est pas recevable. De fait, la mise en concurrence exigera des entreprises une rentabilité et une compétitivité telles qu'elles ne pourront plus assumer leur mission de service public, ouvrant ainsi la voie à leur privatisation sous le prétexte qu'elles seront moins efficaces.
Aussi, nous souhaitons que le processus de libéralisation des services publics engagé dans le cadre de l'OMC soit gelé. La France avait su porter de telles exigences concernant l'Accord multilatéral sur l'investissement, l'AMI, voilà quelques années. Notre pays avait alors fait preuve de courage. Ayons aujourd'hui le courage de stopper toutes ces négociations, ou, tout au moins, de les mener au grand jour !
Il faut organiser un réel débat, dans le respect de la démocratie et du droit des peuples à choisir le type de société dans lequel ils souhaitent vivre et voir vivre leurs enfants et leurs petits-enfants.
Nous voudrions savoir quelle est, en ce domaine, la vision du gouvernement français. Quelles exigences sera-t-il capable de faire valoir auprès de cette institution internationale ?
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je suis d'accord avec notre collègue Guy Fischer, un bilan doit être établi dans les pays qui ont fait le choix de la libéralisation.
Vous demandez, monsieur Fischer, que ce bilan soit réalisé dans trois mois. Ce n'est pas sérieux ! On ne peut pas faire un bilan après trois mois ! Vous avez d'ailleurs vous-même rappelé, à la fin de votre intervention, qu'un bilan serait réalisé dans le courant de l'année 2006. Il nous semble que deux ans sont bien nécessaires pour observer les effets positifs ou négatifs de cette ouverture.
Nous considérons que le bilan prévu est suffisant. C'est la raison pour laquelle nous émettons un avis défavorable sur l'amendement n° 231.
Avec l'amendement n° 235, vous souhaitez, madame Borvo, qu'un bilan de l'ouverture à la concurrence soit réalisé six mois après la promulgation de la loi. Il me semble cependant que vous avez défendu, ma chère collègue, l'amendement n° 247, qui vise le gel des négociations de l'OMC. Mais nous y reviendrons, je pense, tout à l'heure...
Je tiens en tout cas à vous rappeler, madame la sénatrice, que le rapport de 2006 fera le bilan de l'ouverture à la concurrence et que, par ailleurs, l'article 1er prévoit déjà que les contrats de service public feront l'objet d'un rapport triennal, qui sera transmis au Parlement. Cela répond à la demande que vous formulez dans l'amendement n° 235.
La commission émet donc un avis défavorable sur cet amendement.
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. le président. Je suis saisi de six amendements faisant l'objet d'une discussion commune.
L'amendement n° 237, présenté par Mme Beaufils, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier avant l'article 1er A, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Un bilan démocratique et contradictoire des conséquences sociales du processus d'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie sera engagé dans les trois mois suivant la promulgation de la présente loi.
La poursuite de ce processus, et notamment l'ouverture à la concurrence pour les consommateurs domestiques, est subordonnée à l'examen de ce bilan par le Parlement.
La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. Un des arguments souvent utilisés pour justifier les privatisations est l'intérêt des clients, qui pourraient bénéficier, grâce au jeu de la concurrence, de baisses des tarifs.
Or, si la majorité a pu exposer ce genre d'argument pour la téléphonie, elle se montre fort discrète s'agissant de l'énergie. La réalité est têtue : difficile de nier qu'au contraire les tarifs augmentent !
Généralement, les industriels sont épargnés, et une augmentation concernant les seuls particuliers ne soulève pas de contestation flagrante. Mais, cette fois, nous assistons à un véritable tollé de la part des industriels, qui constatent, comme le disait notre collègue Guy Fischer, une flambée des prix, d'abord aux Etats-Unis, où les tarifs ont atteint des records en 2003, mais aussi sur les marchés spot de Londres ou d'Amsterdam, où le kilowattheure a atteint en pleine canicule des prix délirants, allant jusqu'à 2 euros alors qu'en France il était à 0,024 euros en juin 2003.
La SNCF, exemple que j'ai déjà cité lorsque j'ai défendu la motion tendant à opposer la question préalable, a ainsi vu sa facture d'électricité s'envoler de 40 %, et, comme les autres industriels, elle ne manquera pas de répercuter cette hausse sur les particuliers.
Il est donc nécessaire de mettre en oeuvre au plus vite un processus de contrôle et de bilan pour prévenir les dérapages éventuels. Du point de vue de l'efficacité économique, les exemples des pays libéralisés devraient en effet nous inciter à la prudence.
Selon le rapport réalisé par l'Observatoire international des coûts énergétiques, NUS Consulting, les prix de l'électricité ne cessent d'augmenter. L'Allemagne, pionnière dans la déréglementation du secteur, est un véritable exemple à ne pas suivre. Le prix de l'électricité y a augmenté de 9,3 % cette année, et la hausse se poursuit depuis quatre années consécutives !
François Roussely lui-même a rappelé que le monopole vertueux existant sur le marché français avait permis aux usagers de bénéficier de prix parmi les plus bas d'Europe. La France occupe en effet le neuvième rang d'après l'étude publiée par NUS Consulting.
Le rapport sur les prix de l'électricité fait également état du retour de tendance en ce qui concerne la libéralisation du secteur énergétique. Permettez-moi de citer un court extrait de ce rapport, qui est très éloquent : « Annoncée au début des années quatre-vingt-dix comme une "révolution" inéluctable et liée au développement de l'économie mondiale, la déréglementation sous sa forme actuelle est aujourd'hui sujette à interrogation, même dans de grands pays libéraux. »
Le phénomène de hausse des prix concerne aussi les prix forward, autrement dit les prix d'achat et de vente à l'avance.
Cette volatilité des prix a des conséquences économiques que l'on ne saurait ignorer : comment en effet équilibrer ses budgets et prévoir ses dépenses pour une entreprise quand les prix de l'énergie connaissent de telles envolées ?
Dans ces conditions, vous conviendrez avec moi, mes chers collègues, de l'utilité d'un bilan démocratique et contradictoire.
M. le président. L'amendement n° 238, présenté par Mme Beaufils, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier avant l'article 1er A, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Un bilan démocratique et contradictoire des conséquences tarifaires du processus d'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie sera engagé dans les trois mois suivant la promulgation de la présente loi.
La poursuite de ce processus, et notamment l'ouverture à la concurrence pour les consommateurs domestiques, est subordonnée à l'examen de ce bilan par le Parlement.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. En présentant l'amendement n° 237, Mme Terrade a aussi défendu cet amendement n° 238, sur lequel je ne reviens donc pas.
Je veux cependant ajouter une remarque sur ces deux amendements, remarque que M. le rapporteur voudra bien, je l'espère, entendre : le bilan ne portera pas seulement sur la période à compter de l'ouverture à la concurrence au 1er juillet de cette année, mais sur une ouverture de marché qui existe déjà.
Mme Nicole Borvo. Eh oui !
Mme Marie-France Beaufils. Je n'ai pas pris la parole tout à l'heure pour réagir, mais on ne peut pas dire qu'on se bornera à la période de trois mois à compter de la promulgation de la loi. Il y aura quand même plus d'antériorité dans la mise en oeuvre de la réforme !
M. le président. L'amendement n° 239 rectifié, présenté par Mme Beaufils, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier avant l'article 1er A, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Un bilan démocratique et contradictoire des conséquences industrielles du processus d'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie sera engagé dans les trois mois suivant la promulgation de la présente loi.
La poursuite de ce processus, et notamment l'ouverture à la concurrence pour les consommateurs domestiques, est subordonnée à l'examen de ce bilan par le Parlement.
La parole est à Mme Hélène Luc, à qui je présente mes voeux de prompt rétablissement après sa fracture du doigt.
Mme Hélène Luc. Je vous remercie, monsieur le président.
Nous avons eu de nombreuses occasions, au cours de la session ordinaire qui vient de s'achever, d'insister sur les conséquences sociales de l'ouverture à la concurrence des entreprises du service public.
L'accélération du passage des services publics à la concurrence a été décidée lors du sommet de Lisbonne - contre lequel, je le rappelle, nous nous sommes prononcés - sans qu'aucune étude ne mesure son impact sur le plan social.
Dans le domaine tarifaire, je crains fortement que les usagers n'aient à supporter de lourdes augmentations.
En termes de réductions importantes d'emplois, de rationalisation des coûts, de dégradation des conditions de travail, d'accroissement du recours à des emplois précaires, les exemples des télécommunications et de La Poste sont éloquents.
On parle souvent du rôle important de l'Etat, mais c'était l'objet même des nationalisations réalisées, avec les communistes, par le général de Gaulle !
D'aucuns estiment que le nombre d'agents serait trop important dans certains secteurs. Notre groupe continue quant à lui à penser que l'emploi et la qualité de l'emploi sont essentiels pour que des services de qualité soient assurés.
Lorsque des événements comme la terrible tempête de 1999 se produisent, lorsqu'il neige, lorsqu'il y a des feux de forêts, on loue les services de tous ces agents, mais, très vite, les vieux démons reprennent le dessus. Je veux aujourd'hui exprimer la reconnaissance des Français envers ces hommes et ces femmes du service public, pour leur compétence et pour leur dévouement.
Dans le domaine énergétique, la compétence est une question vitale. La complexité des installations de production d'énergie, leur haut degré de technicité et les risques encourus - d'abord par ceux qui y travaillent mais aussi par l'ensemble de la population - sont autant d'éléments qui exigent des salariés en nombre suffisant; bien formés, disposant des compétences individuelles et collectives leur permettant d'assumer ces responsabilités.
Nous savons que la recherche de la rentabilité à tout prix conduit à la rationalisation des coûts et des effectifs et remet en cause la sécurité et la sûreté. Nous avons eu l'occasion de souligner à quel point la sous-traitance - notamment la sous-traitance en cascade -, qui se généralise comme mode d'organisation de la production, accroît les risques d'accidents, parce qu'elle détruit les collectifs de travail essentiels à la bonne marche des entreprises.
On pourrait reprendre l'exemple du rail britannique : la catastrophe de Paddington constitue une illustration dramatique des conséquences de la déréglementation du rail anglais en termes de sécurité.
M. Bruno Sido. Ce n'est rien à côté de Tchernobyl !
Mme Hélène Luc. L'expérience britannique dans ce domaine illustre parfaitement les conséquences dramatiques auxquelles conduit la logique du profit et de l'insuffisance dans le domaine des services publics.
Les électeurs britanniques ne s'y sont pas trompés, puisque 60 % d'entre eux sont favorables à la renationalisation du rail.
Et que dire des coupures de courant en Californie, conséquences d'une politique qui laisse s'organiser la pénurie pour renchérir le prix de l'électricité, que certains citoyens américains ne peuvent d'ailleurs plus se payer ?
Nous sommes aussi nombreux à penser que le secteur de l'électricité nécessite des investissements dont la rentabilité, assurée dans le seul long terme, contrevient donc aux normes du privé, lesquelles s'alignent qui plus est sur les marchés financiers, où prime l'extrême court terme.
Or, on ne le dira jamais assez, la sécurité et la sûreté des installations dépendent des investissements à long terme. La qualité de nos services publics en dépend aussi.
Avec mes amis du groupe communiste républicain et citoyen, nous nous interrogeons sur les conséquences de l'ouverture du marché aux investissements privés en matière de financement des centrales nucléaires, et cela, monsieur le ministre, malgré les garanties que vous nous donnez.
M. le président. Veuillez conclure, madame Luc.
Mme Hélène Luc. Je termine, monsieur le président.
En ce qui concerne les installations gazières à haut risque, qui exigent une maintenance et un entretien constants, mon inquiétude est également très grande.
J'habite le Val-de-Marne, département dont je suis élue et où se situe la grande centrale Arrighi, dans laquelle travaillent de nombreux salariés d'EDF-GDF. A Villejuif seulement, ils sont près de 800. Nous sommes comptables de leur avenir !
Pour toutes ces raisons, nous souhaitons qu'un bilan sur les conséquences sociales du processus d'ouverture à la concurrence soit entrepris.
Ne nous objectez pas, monsieur le ministre, monsieur le rapporteur, que, trois mois, c'est trop court, ...
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Mais si !
Mme Hélène Luc. ... car ce serait complètement irresponsable !
Je le dis très sincèrement et très sérieusement, monsieur le ministre : vous n'auriez pas dû faire discuter ce projet de loi « à la sauvette ». Vous auriez dû écouter Bernard Thibault, qui demandait au Gouvernement de surseoir à son examen par le Parlement pour organiser au préalable un débat national sur l'énergie. De la sorte, le débat au Parlement aurait été le prolongement d'un débat qui aurait été conduit dans toute la France.
Nous souhaitons qu'un bilan sur les conséquences sociales du processus d'ouverture à la concurrence soit entrepris et nous souhaitons aussi que la poursuite du processus d'ouverture à la concurrence soit subordonnée à l'examen de ce bilan par le Parlement. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. Nous espérons, madame Luc, que vous avez été exhaustive s'agissant du Val-de-Marne...
Mme Hélène Luc. Non, monsieur le président : j'aurais pu parler aussi des salariés d'Alfortville !
M. le président. Ils ne sont pas menacés ! (Mme Hélène Luc proteste.)
L'amendement n° 240, présenté par Mme Beaufils, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier avant l'article 1er A, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Un bilan démocratique et contradictoire des conséquences en matière de continuité et de sécurité d'approvisionnement du processus d'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie sera engagé dans les trois mois suivant la promulgation de la présente loi.
La poursuite de ce processus, et notamment l'ouverture à la concurrence pour les consommateurs domestiques, est subordonnée à l'examen de ce bilan par le Parlement.
La parole est à Mme Odette Terrade.
Mme Odette Terrade. L'électricité n'étant pas stockable, il est nécessaire de maintenir une offre supérieure à la demande. Or, partout où le marché a été libéralisé, l'entretien des réseaux et des sites de production n'a pas été à la hauteur des besoins, ce qui a occasionné les dysfonctionnements que nous savons.
Il y a une incompatibilité fondamentale entre la libéralisation et la forte nécessité d'investissements pour produire dans des conditions de sécurité optimale.
Personne ne peut dire que EDF n'a pas assumé sa tâche d'approvisionnement dans de bonnes conditions de sécurité et de façon continuelle. Dans tous les pays où la libéralisation s'est effectuée, c'est exactement le contraire que l'on constate.
Le risque est également très important pour le gaz.
La France ne produisant pas de gaz, il lui faut l'importer, mais les pays fournisseurs sont éloignés et ont souvent des régimes politiques instables. Le stockage est donc nécessaire. Or il n'est pas sans risque.
Nous ne pouvons laisser perdurer de telles situations sans qu'un bilan contradictoire ne soit mené pour assurer dans l'avenir ce qui était assuré jusqu'à ce jour.
M. le président. L'amendement n° 241, présenté par Mme Beaufils, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier avant l'article 1er A, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Un bilan démocratique et contradictoire des conséquences en matière d'indépendance énergétique du processus d'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie sera engagé dans les trois mois suivant la promulgation de la présente loi.
La poursuite de ce processus, et notamment l'ouverture à la concurrence pour les consommateurs domestiques, est subordonnée à l'examen de ce bilan par le Parlement.
La parole est à Mme Evelyne Didier.
Mme Evelyne Didier. Nous demandons la publication d'un bilan démocratique et contradictoire des conséquences, en matière d'indépendance énergétique, du processus d'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie.
Nous le savons, la décision de Barcelone, tout comme la directive européenne de 2003, prévoit un rapport d'étape à l'horizon 2006.
Nous pensons, pour notre part, que nous ne pouvons attendre aussi longtemps avant d'obtenir une vision claire des conséquences de l'ouverture à la concurrence du marché de l'électricité.
De plus, la nécessité d'obtenir un bilan démocratique et contradictoire - j'insiste sur ce dernier terme - est une urgence sociale. En effet, malheureusement, trop de rapports, faute de prendre en compte une pluralité de critères - et je pense plus particulièrement aux critères d'efficacité sociale que l'on oublie souvent -, se sont transformés en rapports à charge contre nos entreprises publiques.
Notre groupe a déjà déposé, il y a plus d'un an, une proposition tendant à créer une commission d'enquête chargée d'évaluer un bilan des déréglementations effectuées soit au niveau national, soit au niveau européen. Cette proposition, étonnamment restée lettre morte, visait à sortir de l'idéologie libérale du « tout marché » pour vérifier, en toute transparence, que ces ouvertures à la concurrence parvenaient aux objectifs idylliques dont vous les parez : baisse des coûts pour les utilisateurs, transparence du marché, libre concurrence exercée entre une multiplicité d'opérateurs, garanties de sécurité des infrastructures etc.
Mais, vous le savez bien, ce bilan aurait contredit votre vision ultralibérale, car la réalité est bien différente. Je ne vais pas de nouveau citer tous les articles auxquels je me suis référée précédemment et qui se faisaient clairement l'écho de cette inquiétude et des mauvais coups portés...
Notre pays, qui assure son indépendance énergétique, est également l'un des principaux exportateurs d'énergie en Europe, mais qu'en sera-t-il avec l'arrivée de nouveaux vendeurs ? Qu'arrivera-t-il lorsque les cours de la Bourse détermineront l'achat de l'électricité ? Déjà, les prix grimpent pour les entreprises, et ils vont aussi grimper pour les collectivités si elles font l'erreur de rompre leur contrat avec EDF.
Nous ne devons donc pas attendre encore deux ans pour faire un bilan qui serait piloté par la Commission européenne. Il est nécessaire, dès maintenant et avant de poursuivre tout libéralisation, d'effectuer un vrai bilan, contradictoire, nous l'avons dit, permettant à tous de prendre, en conscience, les décisions favorables à notre pays.
M. le président. L'amendement n° 242, présenté par Mme Beaufils, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam, Mme Terrade et les membres du groupe Communiste Républicain et Citoyen, est ainsi libellé :
Avant le titre Ier avant l'article 1er A, ajouter un article additionnel ainsi rédigé :
Un bilan démocratique et contradictoire des conséquences en matière de protection de l'environnement du processus d'ouverture à la concurrence du secteur de l'énergie sera engagé dans les trois mois suivant la promulgation de la présente loi.
La poursuite de ce processus, et notamment l'ouverture à la concurrence pour les consommateurs domestiques, est subordonnée à l'examen de ce bilan par le Parlement.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils.
Mme Marie-France Beaufils. Je serai relativement brève, mes collègues ayant précédemment livré un certain nombre de réflexions sur les décisions d'ouverture à la concurrence de l'énergie, mais je rappellerai que cette ouverture ne date pas de cette année. Nous souhaiterions donc que soit mis en place un bilan démocratique et contradictoire de ses conséquences en matière de protection de l'environnement.
Nous aimerions pouvoir être certains que cette mise en concurrence et l'arrivée sur le marché d'un certain nombre de sociétés qui vont s'efforcer de rivaliser avec nos opérateurs que sont EDF et GDF n'auront pas de lourdes conséquences par rapport aux choix retenus lors de la discussion de la loi d'orientation sur l'énergie. Ces derniers prévoient en effet que, à côtés des moyens qui doivent être mis à disposition pour que l'entreprise publique EDF puisse véritablement mettre en oeuvre l'EPR, des moyens soient consacrés à améliorer l'utilisation des énergies renouvelables.
Nous souhaiterions donc qu'il soit procédé à un bilan pour mesurer quelles seront les incidences de cette ouverture, engagée maintenant depuis plusieurs années.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Sur tous ces amendements, n'en déplaise à notre collègue Mme Luc, je persiste et signe : je considère qu'un bilan, trois mois après la promulgation de la loi, serait prématuré.
Mme Hélène Luc. Mais vous avez déjà travaillé pour élaborer ce projet de loi !
M. Ladislas Poniatowski, rapporteur. Je vous ai écoutée ; écoutez-moi donc ...
En outre, je considère que, ce que la Commission doit transmettre au Parlement et au Conseil européen au plus tard le 1er janvier 2006, c'est un rapport détaillé décrivant les progrès accomplis concernant la création du marché intérieur de l'électricité.
Ce rapport couvrira notamment les sujets suivants : le processus d'ouverture à la concurrence, évoqué par Mme Terrade ; les conséquences tarifaires, évoquées par Mme Beaufils ; les conséquences industrielles de l'ouverture à la concurrence, évoquées par Mme Luc ; la sécurité de l'approvisionnement, évoquée très précisément par Mme Terrade ; l'indépendance énergétique, évoquée par Mme Didier, ainsi que les problèmes d'environnement, soulevés par Mme Beaufils.
De surcroît, ce rapport aura le mérite d'aborder tous ces sujets dans le cadre non pas simplement de la France, mais de l'ensemble des pays européens. Ce sera largement suffisant !
Voilà pourquoi nous avons émis un avis défavorable sur tous ces amendements, monsieur le président.
J'espère avoir été bref !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Patrick Devedjian, ministre délégué. Je n'ajouterai que quelques mots.
Précédemment, Mme Luc a dit avec à-propos qu'il fallait remonter jusqu'à 2001 pour trouver un bilan. Vous avez raison, madame, mais n'oubliez pas que la Commission a publié en 2003 un rapport d'étape sur l'ouverture depuis 2001 !
Les propos du rapporteur sont donc particulièrement pertinents, et le Gouvernement y souscrit.
M. le président. La parole est à M. Philippe Marini, pour explication de vote sur l'amendement n° 237.
M. Philippe Marini. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis un certain temps, j'entends s'exprimer des craintes...
M. Guy Fischer. Légitimes !
M. Philippe Marini. ... sur l'évolution des tarifs. Je crois utile de revenir calmement sur la situation de fait et sur l'analyse que l'on peut livrer concernant cette probable évolution.
Il convient, mes chers collègues, de distinguer trois types de clientèles : premièrement, les ménages ; deuxièmement, les professionnels qui sont concernés par la phase d'ouverture du 1er juillet 2004 ; troisièmement, les gros clients industriels, qui sont déjà des clients éligibles.
Je vais très brièvement revenir sur ces trois catégories pour qu'il n'y ait pas d'incertitude au sein de notre Haute Assemblée.
Les ménages ne sont pas éligibles avant 2007 et, pour eux, la facture d'électricité continue à dépendre du tarif fixé par le Gouvernement. Si l'on fait un peu de prospective, on constate que les tarifs ne devraient pas évoluer plus vite que l'inflation. Il convient d'ailleurs de rappeler que, pour ce qui concerne le passé immédiat, les tarifs ont baissé de 15 % entre 1995 et 2000, qu'ils ont augmenté de 1 % en novembre 2001 et de 3 % au 1er juillet 2003, pour diminuer de 1,5 % au 1er janvier 2004.
Les professionnels directement concernés par le projet de loi sont ceux qui consomment moins de 7 gigawattheure. Ces professionnels peuvent soit ne pas utiliser l'éligibilité et rester au tarif comme les particuliers dont je viens de parler, soit faire jouer leur éligibilité et choisir l'offre commerciale d'EDF ou celle d'un concurrent.
Pour les entreprises concernées, EDF s'est engagée, mes chers collègues, à ce que le prix proposé soit identique à celui du tarif sur les trois années à venir. Que l'on ne nous raconte pas donc pas de romans sur ce sujet ...
Qui plus est, cette offre sera complétée par des services complémentaires permettant, par exemple, aux entreprises de disposer d'une facturation multi-site, d'une offre personnalisée ou de conseils destinés à réduire leur consommation d'électricité. Or je rappelle que le texte de loi dont nous débattons porte précisément sur cette catégorie d'entreprises concernées par l'ouverture au 1er juillet 2004.
S'agissant des plus gros clients industriels, il convient de distinguer trois situations.
D'abord, ceux qui n'ont pas souhaité faire jouer leur éligibilité en 2000 et qui continuent à bénéficier d'un tarif particulièrement attractif d'EDF : 24 euros par mégawattheure pour ceux qui bénéficient du tarif « effacement jour de pointe », 28 à 30 euros par mégawattheure pour les autres.
Ensuite, ceux qui ont souhaité faire jouer en 2000 leur éligibilité, qui se retrouvent aujourd'hui avec un contrat à des prix de marché comparables à ceux de 1998 après avoir bénéficié pendant deux ans d'une forte baisse ans liée à une guerre des prix en Allemagne, ont déjà, en quelque sorte, « expérimenté » ce que vous appelez « la libéralisation » : ils ne s'en portent manifestement pas mal ! (Protestations sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Guy Fischer. Il n'y a pas eu une hausse de 40 % ? On a menti ?
M. Philippe Marini. Ce sont là des données factuelles que vous pouvez vérifier à bonne source, notamment auprès des services d'Electricité de France.
Enfin, il reste encore une dizaine de cas d'entreprises hautement consommatrices d'électricité qui bénéficiaient, avant 2000, de contrats spécifiques EJP - effacement jour de pointe - particulièrement favorables.
Que va-t-il se passer pour ces très gros clients ? Ils subissent actuellement de fortes hausses par rapport à 2002, et même par rapport à 1998, du fait de l'évolution des tarifs, notamment pour la partie transport, décidée par la commission de régulation de l'électricité.
Le Gouvernement a considéré, à juste titre, que cette évolution était préoccupante et il a missionné, pour évaluer la situation, l'inspection générale des finances. Vous voyez donc que le Gouvernement a anticipé votre souhait d'établir des bilans sur de tels sujets !
La mission rendra ses conclusions à la fin de ce mois : plusieurs pistes devraient être explorées, comme une nouvelle évolution du tarif transport, la définition d'un tarif européen pour les électro-intensifs, un abaissement de leur contribution aux charges de service public
Au total, mes chers collègues, l'ouverture à la concurrence doit permettre d'améliorer le service offert aux clients, voire de faire baisser les prix, puisque les concurrents d'EDF ont d'ores et déjà annoncé des offres à prix réduit pour certaines catégories de consommation.
Il est donc inutile d'essayer de faire peur aux différents clients des services d'électricité et nous avons vu, en particulier, que cette loi, pour ce qui est de ses conséquences, ne peut pas se traduire par tous les drames que vous nous annoncez. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La suite de la discussion est renvoyée à la prochaine séance.