PRÉSIDENCE DE M. GUY FISCHER
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
STATUT D'AUTONOMIE
DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE
Adoption des conclusions d'une commission
mixte paritaire sur un projet de loi organique
Adoption des conclusions modifiées
d'une commission mixte paritaire sur un projet de loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion :
- des conclusions du rapport (n° 169, 2003-2004) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française ;
- et des conclusions du rapport (n° 170, 2003-2004) de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi complétant le statut d'autonomie de la Polynésie française.
La conférence des présidents a décidé que ces deux textes feraient l'objet d'une discussion générale commune.
Dans la discussion générale commune, la parole est à M. le rapporteur.
M. Lucien Lanier, rapporteur pour le Sénat de la commission mixte paritaire. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte présenté par la commission mixte paritaire sur les dispositions restant en discussion, d'une part, du projet de loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française et, d'autre part, du projet de loi simple le complétant est le fruit d'un très large consensus entre le Sénat et l'Assemblée nationale.
L'esprit de consensus a d'ailleurs marqué de manière générale les travaux des deux assemblées. En effet, le texte adopté par les députés pour la loi organique comme pour la loi simple a repris, dans ses grandes lignes, la rédaction issue des travaux du Sénat.
Ainsi, sur les 198 articles du projet de loi organique, près des deux tiers ont été adoptés sans modification, et sur les 26 articles du projet de loi ordinaire, 15 ont été adoptés conformes. Quant aux quelque 80 amendements adoptés par l'Assemblée nationale, plus de la moitié présentaient un caractère rédactionnel, les autres apportant des compléments très opportuns et conformes aux options prises par le Sénat au cours de la première lecture. Il en est de même pour la loi simple, la moitié des 16 amendements de l'Assemblée nationale revêtant un caractère rédactionnel.
La commission mixte paritaire est donc très aisément parvenue à un accord retenant, pour l'essentiel, le texte adopté par l'Assemblée nationale saisie en second lieu et ne modifiant que treize articles de la loi organique et deux articles de la loi simple, principalement pour en améliorer la rédaction ou en préciser la portée. Elle a néanmoins apporté des modifications de fond sur trois points.
A l'article 106 de la loi organique relatif au mode de scrutin, elle a abaissé le seuil nécessaire à la répartition des sièges de 5 % des électeurs inscrits à 3 % des suffrages exprimés à l'assemblée de la Polynésie française. L'Assemblée nationale avait déjà ramené ce seuil de 10 % des suffrages exprimés à 5 % des électeurs inscrits. Néanmoins, dans un souci d'ouverture à l'égard de l'opposition, notre collègue Gaston Flosse a proposé, lors de la commission mixte paritaire, la suppression de tout seuil. La commission mixte paritaire a jugé cependant que l'absence de seuil pouvait présenter certains risques tels que la multiplication excessive de candidatures. En conséquence, un très large accord a été trouvé sur le principe, conforme à notre tradition républicaine, d'un seuil, mais fixé à un niveau peu élevé, soit 3 % des suffrages exprimés.
A l'article 113 de la loi organique, relatif aux conséquences de l'inéligibilité et de l'incompatibilité, la commission mixte paritaire, sur mon initiative, a supprimé l'exigence préalable d'une mise en demeure adressée par le haut-commissaire pour qu'un élu concerné par une incompatibilité mette fin à celle-ci. En effet, l'exigence d'une mise en demeure n'existe pour aucune autre collectivité de la République. En outre, elle rappelle par trop le souvenir d'une tutelle étatique, éloignée de l'autonomie recherchée. L'exigence d'un délai au terme duquel l'élu est automatiquement considéré comme démissionnaire d'office de son mandat s'il n'a pas renoncé à la fonction jugée incompatible paraît, en la matière, le dispositif le plus efficace, et c'est celui en faveur duquel la commission mixte paritaire s'est prononcée.
Enfin, à l'article 125 de la loi organique, relatif au fonctionnement des groupes politiques, et à l'article 131 bis, relatif aux questions des représentants de l'assemblée de la Polynésie française, la commission mixte paritaire a décidé de renvoyer certaines dispositions détaillées qui n'avaient pas leur place dans la loi organique au règlement intérieur de l'assemblée de la Polynésie française. Elle a, en revanche, confirmé les dispositions introduites par l'Assemblée nationale renforçant le droit d'expression des représentants de l'assemblée de la Polynésie française.
Telle est l'économie générale des textes proposés par la commission mixte paritaire pour la loi organique et pour la loi simple, textes qui devraient, je l'espère, susciter la plus large adhésion au sein de notre assemblée.
Je ne saurais conclure sans vous adresser, madame la ministre, nos remerciements pour le sens du dialogue que vous avez constamment manifesté au cours de nos travaux, ce dont témoigne le nombre d'amendements adoptés avec l'avis favorable du Gouvernement.
Désormais, la Polynésie française sera dotée d'un cadre institutionnel novateur qui lui laisse la plus large initiative pour assumer son destin. C'est pourquoi je voudrais redire toute notre confiance aux autorités polynésiennes, appelées désormais à relever le défi de cette autonomie renforcée.
M. le président. La parole est à Mme la ministre.
Mme Brigitte Girardin, ministre de l'outre-mer. Monsieur le président, monsieur le rapporteur, mesdames, messieurs les sénateurs, je ne reviendrai pas longuement sur l'excellent travail réalisé par la commission mixte paritaire qui a permis d'aboutir à une rédaction commune pour les articles qui n'avaient pas été votés dans les mêmes termes par l'Assemblée nationale et par le Sénat.
Le Gouvernement se rallie très volontiers au texte issu des travaux de la commission mixte paritaire et le soumet à votre approbation.
Pour ce qui concerne le mode de scrutin applicable aux élections à l'assemblée de la Polynésie française, les travaux de la commission mixte paritaire permettent, aux yeux du Gouvernement, de concilier tout à la fois l'exigence de pluralisme, la nécessité de constituer une majorité de gouvernement et la représentation équilibrée des différents archipels.
Par cohérence avec les nouvelles modalités retenues par la commission mixte paritaire pour l'admission à la répartition des sièges à l'assemblée de la Polynésie française, il convient d'ouvrir le remboursement des frais de propagande et des dépenses de campagne électorale aux listes ayant obtenu au moins 3 % des suffrages exprimés. En effet, le seuil retenu pour le remboursement de ces frais ne doit pas être supérieur au seuil des suffrages exprimés requis pour l'admission à la répartition des sièges, sauf à encourir un risque d'inconstitutionnalité pour rupture du principe d'égalité entre les candidats proclamés élus.
Le Gouvernement vous présentera donc un amendement en ce sens au projet de loi ordinaire. Il s'agit d'une simple mesure de coordination.
Le projet de loi organique portant statut d'autonomie de la Polynésie française et le projet de loi ordinaire la complétant qui vous sont soumis aujourd'hui pour adoption définitive résultent d'un important travail accompli par le Parlement. Ils sont la première traduction effective du principe d'autonomie consacré par l'article 74 de la Constitution en application de la réforme constitutionnelle du 28 mars 2003.
Comme j'ai déjà eu l'occasion de le dire devant vous, ces deux textes constituent un bon compromis entre un très large accroissement des compétences locales et la préservation des attributions de l'Etat. Ils concilient parfaitement libertés locales et état de droit dans le cadre d'un statut rénové qui s'inscrit dans le respect des principes de la République.
C'est pourquoi le Gouvernement vous demande d'adopter les conclusions de la commission mixte paritaire, sous réserve de l'amendement que je vous présenterai dans quelques instants. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Gaston Flosse.
M. Gaston Flosse. Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, mes chers collègues, nous arrivons à la fin de la procédure parlementaire sur le statut de la Polynésie française.
Ce soir, après le vote de l'Assemblée nationale, dont je ne doute pas qu'il sera conforme, quelles que soient les manoeuvres ou les insultes de certains députés, le Parlement aura fini son travail.
A ce stade, je tiens à rappeler que la Polynésie a attendu depuis 1996 que les modifications constitutionnelles nécessaires à l'évolution de son autonomie soient votées par le Congrès. Dès 1996, en effet, le législateur avait dû constater que la dévolution des compétences à la Polynésie et la protection de ces dernières ne pourraient aller aussi loin qu'il était souhaité.
La loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République a enfin apporté le socle qui nous était indispensable.
Nous avons toutefois remarqué, au cours de nos débats, que la réforme n'avait pas été aussi hardie qu'elle aurait dû et qu'elle aurait pu l'être.
La force législative des « lois du pays » manque et il existe des contradictions entre certains alinéas de l'article 72 de la Constitution et la partie de l'article 74 consacrée à l'autonomie.
Cela nous a obligés à construire et à rédiger des dispositifs parfois compliqués.
Je suis persuadé que la logique de la décentralisation et, pour ce qui concerne la Polynésie, de l'autonomie, voulue par le Président de la République et par le Premier ministre, conduira à de nouvelles évolutions constitutionnelles.
Toujours est-il que, dans le cadre fixé, des avancées statutaires essentielles ont été effectuées grâce à l'excellent projet du Gouvernement et au travail remarquable du Parlement.
A cet égard, je voudrais souligner que, si la Polynésie a attendu longtemps la réforme constitutionnelle, le travail statutaire qui a suivi a été efficace et rapide.
Il a été non seulement rapide mais aussi très sérieux, et les apports successifs du Sénat et de l'Assemblée nationale, synthétisés dans le texte de la commission mixte paritaire, ont permis de mettre au point un document qui fera date.
Je tiens à remercier très fortement et très vivement tous ceux qui y ont contribué. Bien sûr, par-dessus tout, il y a Jacques Chirac, avec son regard attentif et affectueux sur la Polynésie. Mais il y a aussi le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, qui, avec son gouvernement, a su comprendre notre attente.
Je voudrais vous dire plus particulièrement, madame la ministre, à quel point le travail avec vous et avec vos collaborateurs a été constructif, ouvert et fructueux.
M. Lucien Lanier, rapporteur. Très bien !
M. Gaston Flosse. Vous vous êtes attelée à ce projet avec la fougue et la ténacité que nous connaissons tous, et je veux solennellement vous rendre hommage.
Le rapporteur, Lucien Lanier, est devenu l'éminent spécialiste de l'autonomie (M. le rapporteur sourit), et le rapport qu'il a présenté au nom de notre commission des lois a lancé le débat dans la bonne direction.
Je lui en suis reconnaissant ainsi qu'au président, M. René Garrec, et à tous les membres de la commission des lois.
Mais, bien que nous soyons au Sénat, je ne veux pas oublier dans mes remerciements la commission des lois de l'Assemblée nationale, son rapporteur, M. Jérôme Bignon, et son président, M. Pascal Clément.
Vous avez fait confiance à la Polynésie. Elle vous assure par ma voix de sa gratitude. Mais elle vous dit aussi qu'elle saura ne pas trahir votre confiance : elle tient à rester un bon élève de la République.
Je pense pouvoir affirmer que nous avons déjà démontré notre sens du devoir dans la République.
Notre ralliement à la France libre à l'appel du général de Gaulle a montré que, lorsqu'il fallait se battre pour la France, les Polynésiens étaient prêts à verser leur sang.
Notre accueil des essais nucléaires nécessaires à la force de dissuasion, qui a permis à la France de maintenir son rang dans le concert des nations, nous a placés dans des situations difficiles, parfois intenables, à l'égard de nos voisins du Pacifique, et a créé des risques de subversion interne dont nous avons vu les manifestations en septembre 1995 : les indépendantistes, avec l'appui de groupes extérieurs, ont essayé à cette époque de renverser le gouvernement par la force en incendiant l'aéroport et une partie de la ville de Papeete.
J'étais convaincu que les essais, y compris la dernière série décidée par Jacques Chirac, étaient indispensables à la République, et c'est pourquoi je les ai défendus, en Polynésie et à l'étranger.
Je ne le regrette pas. Je demande seulement que l'on s'en souvienne et que l'on reconnaisse que la Polynésie a le sens du devoir et de l'intérêt national.
Mais, pour être bon élève, il ne faut pas seulement avoir le sens du devoir ; il faut aussi réussir.
Les instruments d'action que l'autonomie nous a permis d'acquérir ont-ils été mal utilisés ?
En dehors de détracteurs volontairement désinformés, je crois que tous nos visiteurs ont pu apprécier le développement de la Polynésie depuis 1991 et, plus encore, depuis 1996.
Notre population est de mieux en mieux éduquée, elle travaille, elle crée des entreprises, elle s'adapte au monde qui change en étant de plus en plus ouverte sur l'extérieur, mais elle est aussi prête au partage, et elle tient à conserver l'harmonie humaine que chacun peut constater chez nous.
J'ai déjà décrit la croissance de notre produit intérieur brut et la diminution de notre dépendance économique et financière. Je n'y reviens pas.
Chacun sait que toutes les étapes prévues dans la loi d'orientation de 1994, qui constituait notre « feuille de route », ont été franchies. Nous allons nous en fixer de nouvelles dans la réflexion que j'ai lancée sur le modèle de la charte de développement de 1991, la charte de Tahiti Nui 2015.
Nous continuerons à développer nos ressources propres pour moins dépendre de la solidarité nationale.
Comme j'ai eu l'occasion de le souligner à de nombreuses reprises, pour nous, l'autonomie politique est la clé de l'autonomie économique. Souhaitons-nous pour autant aller vers l'indépendance ? Non, mille fois non !
La Polynésie tient à rester française. Elle est française, et d'autant plus française qu'elle est plus polynésienne.
Elle a servi la République, elle est prête à la servir encore à la place que la République, par notre vote, mes chers collègues, va lui donner. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je tiens à exprimer de nouveau, comme je l'avais fait le 18 décembre dernier lors de la première et unique lecture de ce texte, notre profond regret de l'absence de débat réel au Sénat sur ce texte.
Je veux rappeler en effet le caractère formel de l'examen des 220 articles que comptaient les deux projets et des 250 amendements qui les accompagnaient.
Comment s'étonner de cette méthode, puisqu'il s'agit de faire adopter par le Parlement de la République un statut pour la Polynésie française taillé sur mesure pour le chef du gouvernement de Polynésie, ici présent, qui en deviendra le président, en application des dispositions aujourd'hui soumises au vote du Sénat ?
J'ai le regret d'affirmer, madame la ministre, qu'il s'agit d'un projet de loi relevant plus de la convenance personnelle que du réel souci de développement économique et social d'un territoire.
Bien sûr, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen sont favorables aux mesures permettant la prise en main par les Polynésiens de leur destin. Mais trop de dispositions, dont j'ai évoqué quelques morceaux choisis le 18 décembre, tant dans le domaine du libéralisme économique, qui constitue la toile de fond des projets de loi, que dans ceux de l'urbanisme ou du droit pénal, justifient notre totale hostilité.
J'ajouterai à cette liste une mesure surprenante et très négative sur le plan des principes, en particulier quant au respect du pluralisme à l'occasion des référendums en Polynésie française : l'article 158 prévoit ainsi que seront exclus de la campagne les partis et groupements politiques dont les listes de candidats ont obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés lors du dernier renouvellement de l'assemblée de la Polynésie française.
Je conteste vivement cette disposition, en attirant de cette tribune l'attention du Conseil constitutionnel sur l'éventuelle inconstitutionnalité d'une mesure aussi générale qui, manifestement, ne respecte pas les règles démocratiques élémentaires.
Ce point important ajouté, je réaffirme l'opposition totale de mon groupe aux conclusions de la commission mixte paritaire sur les deux projets de loi relatifs à la Polynésie française.
M. le président. La parole est à M. Claude Estier.
M. Claude Estier. Nous arrivons au terme de ce débat, et un constat s'impose : la volonté de faire passer en force le projet de loi organique et le projet de loi simple ne s'est jamais démentie tout au long de la navette parlementaire.
Certes, le Gouvernement est maître de l'ordre du jour prioritaire, mais rien au cours de la discussion n'est venu expliciter les raisons pour lesquelles cette réforme institutionelle devrait être examinée dans l'urgence. Au contraire, la transposition sur le plan local de la loi constitutionnelle du 28 mars 2003 relative à l'organisation décentralisée de la République, qui a procédé à la réécriture complète de l'article 74 de la Constitution, aurait dû nous permettre de prendre le temps non seulement d'approfondir les rapports que la métropole doit entretenir avec l'outre-mer dans sa globalité, mais aussi de considérer les spécificités locales. Ce n'est pas le choix qui a été retenu.
Les socialistes n'ont jamais été hostiles à l'autonomie. Nous l'avons prouvé à maintes reprises. Cette mise au point ne nous empêche cependant pas de remettre en cause l'argumentation principale selon laquelle le renforcement de l'autonomie serait le meilleur rempart contre l'indépendance du territoire. Il ne s'agit en réalité que d'un prétexte pour accroître les pouvoirs de l'actuel président et de son parti. Dire cela, monsieur Flosse, ce n'est pas proférer une insulte, c'est faire un constat !
A la lecture du nouveau statut, on ne peut qu'être frappé par la dérive présidentialiste qui se manifeste tout au long des nombreuses dispositions du texte. La quasi-totalité des amendements que nous avons déposés et qui avaient pour objet la mise en place de contre-pouvoirs et l'instauration de procédures plus transparentes et démocratiques ont été rejetés.
Nous contestons la valeur juridique de la formule « pays d'outre-mer » qui apparaît à l'article 2 du projet de loi organique, le constituant de 2003 n'ayant pas repris cette appellation à l'article 74 de la Constitution. Nous estimons également que la référence aux « lois du pays » pour qualifier certains actes de l'assemblée de Polynésie française pris dans les domaines énumérés à l'article 139 du projet de loi organique est non seulement inadaptée mais aussi source d'ambiguïté, voire d'insécurité juridique.
Par ailleurs, le projet de loi organique ouvre la possibilité à la Polynésie française d'intervenir dans le domaine législatif après autorisation gouvernementale par la prise d'un simple décret. Or la capacité législative du Parlement ne peut être déléguée qu'au seul Gouvernement et jamais à une collectivité territoriale, ce qu'est la Polynésie. Il appartient au seul législateur organique de prévoir ces transferts, mais non d'habiliter de manière générale le pouvoir réglementaire à autoriser la Polynésie française à intervenir dans le domaine de la loi.
Nous désapprouvons la disposition du projet de loi organique qui permet l'élection du président de la Polynésie française en dehors de l'assemblée - dès lors que la candidature aura été présentée par au moins un quart de ses membres -, car elle remet en cause la légitimité même de l'ensemble de l'exécutif polynésien au moment où il est proposé de renforcer considérablement les prérogatives du président et du conseil des ministres. On comprend la satisfaction que vient d'exprimer M. Flosse !
Rappelons au passage que notre collègue, qui a suivi activement l'évolution rédactionnelle de ces deux projets de loi comme on veille le lait sur le feu, en a profité pour proposer par voie d'amendements une réforme électorale consistant en un redécoupage des circonscriptions de la Polynésie, avec une nouvelle distribution et une augmentation du nombre de sièges de représentants à l'assemblée de Polynésie.
Bien plus ! Alors qu'actuellement, dans chaque circonscription, l'élection a lieu au scrutin de liste à la représentation proportionnelle selon la règle de la plus forte moyenne avec répartition des sièges aux listes ayant obtenu 5 % des suffrages exprimés, le scrutin proportionnel est abandonné au profit du scrutin majoritaire à un tour, la prime majoritaire s'élevant à un tiers des sièges, les autres sièges étant répartis à la proportionnelle entre les listes ayant obtenu 10 % des suffrages exprimés.
Dans un premier temps, l'Assemblée nationale a abaissé le seuil permettant de participer à la répartition des sièges de 10 % à 5 % des inscrits - et non des suffrages exprimés -, ce qui en pratique ne change rien à la révision électorale adoptée au Sénat. De telles dispositions couplées à la déclaration d'urgence de la réforme statutaire ne peuvent qu'entretenir la suspicion sur la dissolution prochaine de l'assemblée de la Polynésie une fois les textes définitivement adoptés.
Finalement, il a fallu attendre les conclusions de la commission mixte paritaire et la certitude d'une censure du Conseil constitutionnel pour que l'évolution erratique du seuil se stabilise à 3 % des suffrages exprimés. On ne peut que s'étonner qu'une disposition électorale de cette importance varie à chaque étape de la navette parlementaire. Cette nouvelle modification du seuil témoigne de la justesse des critiques que nous avons émises sur les risques d'atteinte au pluralisme dans le cadre des enjeux électoraux à venir en Polynésie. Il n'en reste pas moins que la prime majoritaire d'un tiers des sièges à pourvoir dans un scrutin à un tour demeure. Il s'agit donc non pas d'une avancée mais bien de la mise en place d'un monopole de représentation politique.
De nombreuses autres dispositions suscitent notre opposition, et au premier chef toutes celles qui organisent l'éloignement de la justice administrative.
La situation des communes de Polynésie n'est prise en considération qu'en apparence. Aucune marge de manoeuvre ne leur est réellement accordée.
Nous nous interrogeons également sur les conditions d'application des emplois réservés, sur la réelle protection du patrimoine foncier, sur les compétences nouvelles de la Polynésie française en matière de réglementation des jeux, loteries, casinos et paris, sur la possibilité reconnue à la Polynésie française de participer au capital de sociétés commerciales au seul motif très vague de l'intérêt général.
Enfin, nous regrettons vivement l'absence d'une consultation locale préalable sur la réforme statutaire, justifiée sans doute par la crainte d'un nouveau désaveu après les consultations organisées en Corse et aux Antilles. Pourtant, une telle procédure était attendue par de nombreux acteurs locaux qui n'ont pas compris ce choix.
Le renforcement de l'autonomie de la Polynésie française ne passe pas par la concentration de l'essentiel des pouvoirs entre les mêmes mains, sur fond de recul du contrôle des pouvoirs publics. Il doit reposer en revanche sur le respect nécessaire des équilibres démocratiques avec la prise en compte d'une représentation plus juste de l'ensemble du territoire qui va de l'institution communale jusqu'à la totalité de la collectivité.
A l'occasion de la présentation de cette vaste réforme institutionnelle, le rapporteur de la commission des lois, M. Lucien Lanier, l'avait qualifiée d'« accomplissement d'une longue suite de textes ». Il avait prudemment ajouté : « et probablement pas le dernier ». Il s'agissait d'une observation fort avisée. La surenchère institutionnelle étant permanente, nous connaissons d'ores et déjà la prochaine étape de l'évolution statutaire : l'élection du président de la Polynésie française au suffrage universel !
Madame la ministre, les citoyens polynésiens ont apporté à notre pays une contribution à la politique de défense de la République que nous ne devons jamais oublier. Au cours de ces débats, vous nous avez souvent reproché de faire preuve de condescendance, voire de dénigrement, envers nos compatriotes de Polynésie et vous n'avez cessé d'invoquer le respect des grands principes républicains. Mais lorsqu'on revient sur les conditions dans lesquelles se sont déroulés ces débats, n'est-ce pas vous, madame la ministre, qui faites preuve de dédain à leur égard ?
Aujourd'hui, en Polynésie française, nous le savons tous, la priorité est au développement économique plus qu'aux changements institutionnels. Vous vous êtes cantonnée à l'édification d'un énième statut à la demande et au seul profit de l'exécutif territorial.
Nous voterons donc contre les conclusions de la commission mixte paritaire parce que nous estimons que ces deux textes n'offrent pas à la Polynésie française les moyens réels de se gouverner librement et démocratiquement.
M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale commune ?...
La discussion générale commune est close.
PROJET DE LOI ORGANIQUE PORTANT STATUT
D'AUTONOMIE DE LA POLYNÉSIE FRANÇAISE
M. le président. Nous passons à la discussion du texte élaboré par la commission mixte paritaire.
Je rappelle que, en application de l'article 42, alinéa 12, du règlement, d'une part, aucun amendement n'est recevable sauf accord du Gouvernement ; d'autre part, étant appelé à se prononcer avant l'Assemblée nationale, le Sénat statue d'abord sur les amendements puis, par un seul vote, sur l'ensemble du texte.
TITRE Ier
DE L'AUTONOMIE
TITRE II
L'APPLICATION DES LOIS ET RE`GLEMENTS
EN POLYNÉSIE FRANÇAISE
Article 7
Dans les matières qui relèvent de la compétence de l'Etat, sont applicables en Polynésie française les dispositions législatives et réglementaires qui comportent une mention expresse à cette fin.
Par dérogation au premier alinéa, sont applicables de plein droit en Polynésie française, sans préjudice de dispositions les adaptant à son organisation particulière, les dispositions législatives et réglementaires qui sont relatives :
1° A la composition, l'organisation, le fonctionnement et les attributions des pouvoirs publics constitutionnels de la République, du Conseil d'Etat, de la Cour de cassation, de la Cour des comptes, du Tribunal des conflits et de toute juridiction nationale souveraine, ainsi que du Médiateur de la République et du Défenseur des enfants ;
2° A la défense nationale ;
3° Au domaine public de l'Etat ;
4° A la nationalité, à l'état et la capacité des personnes ;
5° Aux statuts des agents publics de l'Etat.
Sont également applicables de plein droit en Polynésie française les lois qui portent autorisation de ratifier ou d'approuver les engagements internationaux et les décrets qui décident de leur publication.
Article 9
L'assemblée de la Polynésie française est consultée :
1° Sur les projets de loi et propositions de loi et les projets d'ordonnance qui introduisent, modifient ou suppriment des dispositions particulières à la Polynésie française ;
1° bis Sur les projets d'ordonnance pris sur le fondement de l'article 74-1 de la Constitution ;
2° Sur les projets de loi autorisant la ratification ou l'approbation des engagements internationaux qui interviennent dans les domaines de compétence de la Polynésie française ;
3° Supprimé.
L'assemblée dispose d'un délai d'un mois pour rendre son avis. Ce délai est réduit à quinze jours, en cas d'urgence, à la demande du haut-commissaire de la République. Le délai expiré, l'avis est réputé avoir été donné.
En dehors des sessions, l'avis sur les projets d'ordonnance est émis par la commission permanente. Celle-ci peut également être habilitée par l'assemblée à émettre les avis sur les projets et propositions de loi autres que ceux modifiant la présente loi organique. Les avis sont émis dans les délais prévus à l'alinéa précédent.
Les consultations mentionnées aux alinéas précédents doivent intervenir, au plus tard, avant l'adoption du projet de loi ou de la proposition de loi en première lecture par la première assemblée saisie.
Les avis émis au titre du présent article sont publiés au Journal officiel de la Polynésie française.
Article 12
I. - Lorsque le Conseil constitutionnel a constaté qu'une loi promulguée postérieurement à l'entrée en vigueur de la présente loi organique est intervenue dans les matières ressortissant à la compétence de la Polynésie française, en tant qu'elle s'applique à cette dernière, cette loi peut être modifiée ou abrogée par l'assemblée de la Polynésie française.
II. - Le Conseil constitutionnel est saisi par le président de la Polynésie française après délibération du conseil des ministres, par le président de l'assemblée de la Polynésie française en exécution d'une délibération de cette assemblée, par le Premier ministre, le président de l'Assemblée nationale ou le président du Sénat. Il informe de sa saisine, qui doit être motivée, les autres autorités titulaires du pouvoir de le saisir ; celles-ci peuvent présenter des observations dans le délai de quinze jours.
Le Conseil constitutionnel statue dans un délai de trois mois.