PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président. La parole est à Mme Monique Papon.
Mme Monique Papon. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la France n'a pas à rougir de son système éducatif, car les progrès de la démocratisation de l'école ont été importants au cours des vingt dernières années.
Pourtant, chacun s'accorde à reconnaître que notre système scolaire a besoin d'être rapidement « revisité » pour pouvoir répondre à l'évolution de notre société.
En effet, aujourd'hui - cela a déjà été dit, mais je n'hésite pas à le répéter -, le nombre de jeunes n'ayant acquis aucune qualification au cours de la scolarité obligatoire reste trop élevé ; celui des élèves ne maîtrisant pas les connaissances de base à l'entrée en sixième s'établit encore à 15 % et l'école reste confrontée à un noyau dur d'élèves en échec.
Est-il acceptable que les élèves ne sachent pas lire en quittant le CP ?
M. Didier Boulaud. Il y a des cycles !
Mme Monique Papon. Aussi, ne devrait-on pas envisager de repenser l'apprentissage de la lecture ? Pourquoi, par exemple, ne pas l'aborder en grande section de maternelle, pour les enfants qui y sont prêts ?
Pourquoi ne pas nous inspirer de méthodes telles que celles de Célestin Freinet ou du docteur Montessori, en prenant le meilleur de chacune ?
Entendons-nous bien ! Je ne fais pas ici l'apologie de ces méthodes : je pense simplement qu'elles pourraient servir à engager une réflexion sur l'apprentissage, l'apprentissage de la lecture, de l'écriture et de la découverte, afin peut-être d'élaborer de nouvelles méthodes mieux adaptées à la société dans laquelle vivent nos enfants. Il faut certes leur apprendre à lire et à écrire, mais il faut surtout leur apprendre à comprendre. Le plus important est sans doute de transmettre le savoir ; mais n'est-il pas aussi important de lui donner un sens ?
Je me félicite, pour ma part, du débat démocratique qui s'est instauré. Des nombreuses réunions auxquelles j'ai participé dans mon département ressortent toujours les mêmes préoccupations.
M. René-Pierre Signé. Vous sortez le soir !
Mme Monique Papon. Il est souvent question de l'insécurité en milieu scolaire, des incivilités, du non-respect de l'autorité. Les enseignants nous disent leurs difficultés à inculquer les limites dans un monde sans limites. L'école ne s'appuie plus sur les valeurs traditionnelles ; elle entre désormais en concurrence avec de nouveaux pôles d'autorité prônant plus ou moins consciemment le « no limit », par le biais notamment de certaines émissions de télévision ou de certains jeux vidéo. En outre, la véritable autorité de l'adulte ne peut être crédible que si ce dernier n'impose pas des règles qu'il transgresse lui-même très allégrement. (Très bien ! sur les travées de l'UMP.)
On nous parle beaucoup de difficultés d'orientation, de la nécessaire valorisation de l'enseignement manuel et des métiers, de l'écart qui se creuse entre les matières dites « nobles » et celles qui le sont moins, de l'absence de vrais liens et de souplesse dans les échanges entre l'enseignement général et l'enseignement professionnel.
Parallèlement, il est souvent question du socle commun des classes de collège, qui fonde la nécessité que tous les collégiens de troisième aient acquis une culture commune sans pour autant que soient empêchés d'avancer ceux qui l'ont acquise beaucoup plus tôt, et surtout, sans que les élèves soient répartis entre des classes dépotoirs, d'un côté, et des classes d'élite, de l'autre.
Monsieur le ministre, je pourrais continuer de dresser le catalogue des constats qui ont été recueillis au cours des divers débats tant il balaie les nombreux thèmes que la commission Thélot a élaborés. Je préfère cependant vous faire part des propositions qui alimentent la réflexion des publics que nous avons rencontrés lors de ces réunions, au cours desquelles les questions fusent.
Ne faut-il pas revoir les méthodes d'apprentissage fondamentales enseignées dans les IUFM et exiger une évaluation de leurs résultats ?
Ne serait-il pas plus efficace et moins coûteux d'envisager pour les jeunes enseignants des tutorats sur le terrain, auprès d'enseignants chevronnés ?
Et, puisque l'enseignement professionnel apparaît souvent comme le parent pauvre de l'éducation nationale, pourquoi ne pas généraliser, avant la troisième et en fonction de l'âge et de la maturité des élèves, des dispositifs reposant sur l'alternance entre l'enseignement général et l'enseignement professionnel, entre les établissements scolaires et les entreprises ?
Nos interlocuteurs nous interrogent aussi sur la coopération entre les parents et les enseignants. Elle est indispensable pour la réussite scolaire des enfants, et il faut veiller à promouvoir la place des parents dans les différents conseils et instances décisionnelles. Encore faut-il respecter les compétences des uns et des autres, et veiller à ce que chacun sache jusqu'où il peut aller sans porter atteinte à l'identité de l'autre.
Quant aux jeunes participant à ces débats - il est très intéressant de les écouter -, ils ont souvent exprimé leur souhait d'une véritable autorité, qui ne peut cependant s'imposer à eux que si les adultes savent leur montrer que ce qui leur est demandé leur permet de grandir, de réussir leur vie, et que le monde que nous leur proposons en vaut la peine.
A l'issue de ces réunions, j'ai acquis le sentiment que, au-delà de leur contribution à la préparation de la future loi d'orientation, qui donnera, je l'espère, un nouveau souffle à l'éducation nationale pour les dix ans à venir, il nous faut nous féliciter de l'impact positif qu'auront eu les débats sur la vie des établissements, à condition, bien sûr, de bien exploiter ce qui s'est exprimé.
Les travaux de la commission présidée par M. Claude Thélot, auquel je tiens à rendre ici hommage, vont donc se poursuivre. Je souhaite que, grâce aux synthèses des auditions passées et à venir, la démocratie soit plus éclairée et mieux informée en vue d'affronter les nouveaux défis de notre temps. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry, ministre. Madame Papon, je vous remercie très chaleureusement du travail de terrain que vous avez accompli, à l'instar d'ailleurs de nombre de parlementaires de la majorité.
En effet, il était très important que vous participiez non seulement aux travaux de la commission nationale présidée par M. Claude Thélot, mais aussi à l'organisation et à l'animation des débats sur le terrain, car, la plupart du temps, ceux qui ne sont pas des spécialistes de l'éducation nationale n'ont jamais l'occasion de s'exprimer. A chaque fois qu'un débat s'engage dans un établissement, ce sont d'abord les représentants officiels de tous horizons qui interviennent. Votre contribution aura donc été extrêmement utile, puisqu'elle aura permis à ceux qui prennent rarement la parole de pouvoir le faire.
Les problèmes dont vous vous êtes fait l'écho sont très importants. Comme je le disais au commencement de ce débat, disposer des résultats d'un sondage est très différent de recueillir les conclusions d'une discussion qui a duré plusieurs heures, malheureusement en comité restreint,...
M. René-Pierre Signé. Très restreint !
M. Luc Ferry, ministre. ... puisque, en moyenne, les 19 000 à 20 000 rencontres organisées ont réuni une cinquantaine de personnes, afin de permettre à chacune d'entre elles d'exprimer son point de vue et de faire entendre sa voix.
Je n'aurai pas le temps d'apporter une réponse à toutes les questions que vous avez soulevées, madame Papon, mais celle de la juste place des parents dans le système éducatif me semble fondamentale. Elle devra certainement être abordée dans le projet de loi d'orientation que nous rédigerons à l'automne prochain.
Comme vous l'avez souligné très justement, si les parents jouent un rôle indispensable et font partie de la communauté éducative, l'école n'est cependant pas la maison du père. On le voit bien, d'ailleurs, avec le débat sur les insignes religieux ! A un moment donné, la sphère publique doit être disjointe de la sphère privée, celle de la famille. La juste place des parents dans le système éducatif n'est donc pas aisée à définir ; des réponses nouvelles à cette question ancienne devront être apportées au travers de la future loi d'orientation, en se fondant notamment sur les expériences qui ont été évoquées au cours des débats que vous avez organisés ou animés sur le terrain.
J'aurai peut-être l'occasion, tout à l'heure, de revenir sur certains des nombreux autres éléments auxquels vous avez fait référence, s'agissant en particulier de la tradition. (M. le président de la commission des affaires culturelles applaudit.)
M. le président. La parole est à M. Ivan Renar.
M. Ivan Renar. Monsieur le ministre, je vous ferai d'abord observer que, sur ces questions, nous avons tous travaillé, quelles que soient les travées sur lesquelles nous siégeons.
Beaucoup de choses ont déjà été dites, et je me bornerai à évoquer ici deux sujets qui, malheureusement, ont été éludés au cours du débat national sur l'avenir de l'école.
Le premier est celui de l'enseignement supérieur, lequel constitue pourtant l'un des maillons fondamentaux de notre système éducatif. J'avais déjà traité de ce thème au moment de l'examen du projet de budget. Certes, parmi les vingt-deux questions définies par la commission Thélot, la onzième l'aborde en partie, mais elle concerne la préparation et l'organisation de l'entrée des élèves dans l'enseignement supérieur, et ne porte nullement sur les missions et les enjeux de ce dernier. Ils s'inscrivent pourtant dans une démarche qui commence dès l'entrée de l'enfant à l'école maternelle.
Du même coup, ce sont des centaines de milliers de jeunes citoyens majeurs qui ont été écartés du débat, alors qu'ils auraient pu donner un avis précieux sur l'ensemble d'un système qu'ils pratiquent depuis leur entrée en maternelle et sur l'avenir qu'on leur propose, sujet sur lequel ils pensent légitimement avoir leur mot à dire. S'agit-il d'une occasion manquée ? D'un manque d'ambition du Gouvernement ? En tout cas, c'est dommage, d'autant que tous les indicateurs sont au rouge, qu'il s'agisse du cri d'alerte lancé par nos chercheurs ou d'un rapport récent, très alarmant, sur la situation de l'université.
A cet égard, on ne peut que constater que notre économie risque plus encore de régresser dans la course technologique mondiale si elle ne renforce pas sa capacité d'innovation, laquelle dépend étroitement de la qualité de l'enseignement supérieur et de la recherche, domaines dans lesquels, si nous ne sommes pas ou plus au rendez-vous, les Etats-Unis et le Japon, aujourd'hui, la Chine et l'Inde, demain, règneront sans partage.
Je considère pour ma part que l'enseignement supérieur a pour vocation première de former des citoyens et de développer plus encore leur esprit critique. Il s'agit là aussi de donner aux jeunes gens les outils intellectuels indispensables pour combattre l'irrationnel mercantile ou sectaire, pour les inciter à participer activement à la vie démocratique nationale.
Bien sûr, l'enseignement supérieur a également pour mission d'offrir aux étudiants une formation technique nécessaire à l'exercice de leurs futures activités professionnelles. Toutefois, il ne saurait être soumis aux seules exigences du marché du travail, sauf à généraliser la pratique du numerus clausus, dont on peut mesurer aujourd'hui les conséquences désastreuses.
Il faut réaffirmer haut et fort que la République a pour objectif de permettre l'accès à l'enseignement supérieur du plus grand nombre. Cela nécessite une politique audacieuse d'aide aux étudiants les plus défavorisés, au rebours de la tendance actuelle à la forte augmentation des frais d'inscription, de logement, de restauration et de sécurité sociale.
De fait, l'accès à l'enseignement supérieur devient peu à peu censitaire, les jeunes issus des milieux les plus modestes étant contraints de trouver dans l'urgence une activité rémunérée, au détriment de la poursuite de leurs études.
Ces quelques réflexions montrent qu'un débat sur l'enseignement supérieur était et demeure nécessaire.
La seconde question éludée a trait à la place des arts et de la culture scientifique.
Sur ce point, comment ne pas rappeler que, malgré les efforts réalisés par les inspecteurs d'académie et des enseignants courageux, l'éducation nationale a une responsabilité déterminante dans l'abstention culturelle. C'est pourquoi il importe de modifier en profondeur la situation de l'éducation artistique, mais aussi celle de la culture scientifique, marginalisée et insuffisante, pour ne pas dire en déshérence, voire en souffrance.
La recherche artistique ou scientifique, voilà pourtant l'audace de l'homme ! Renoncer à cette impétueuse audace, c'est renoncer au progrès, à la raison et à l'avenir même. Les orientations actuelles du ministère de l'éducation nationale réduisent la place des arts et font peu de cas de la culture scientifique à l'école, minorant ainsi la place faite aux formes plus ouvertes de projets partenariaux avec les artistes, les structures culturelles, les scientifiques.
Si l'on reprend les vingt-deux questions définies par la commission Thélot, comment ne pas voir que l'art et la culture scientifique sont des éléments de réponse majeurs ?
En effet, l'art invite au partage du beau, de l'émotion, de l'imaginaire. Il suscite le désir d'aller à la rencontre de soi-même, mais aussi de l'autre. C'est essentiel, et vous le savez bien, monsieur le ministre : l'art change la vie, l'art invite à être acteur de sa propre vie, donc à être un citoyen à part entière. En ce sens, l'art n'est-il pas le plus court chemin qui mène de l'enfant à l'adulte éclairé ?
Chaque enfant, dès son plus jeune âge, devrait disposer d'une piste d'envol. Considérons les enfants, tous les enfants, quelles que soient leurs origines sociales et économiques, pour ce qu'ils sont : exigeants, ouverts, curieux, en quête de sens.
A cet égard, je prends toujours l'exemple d'un gosse auquel ses parents achètent un petit train. Il se promène avec son petit train, il apprend le train, il apprend la locomotive, cela ne lui pose pas de problème. Un jour, il arrive à l'école, il faut bien apprendre à écrire « train » et « locomotive » ; « locomotive », dix lettres pour un petit objet comme ça, « train », cinq lettres et c'est grand comme ça ! Il est confronté à l'arbitraire du signe.
C'est cela, la culture, et elle ne peut pas être rabaissée, on ne peut pas faire naître au monde si l'on n'assure pas cela, d'où l'urgence de mettre en place une école « élitaire pour tous » où l'on ne traiterait pas le pauvre dans l'enfant, mais l'enfant dans le pauvre.
Autant qu'à l'école, les enfants ont droit au théâtre, au musée, au concert, au cinéma de qualité.
Mme Danielle Bidard-Reydet. Très bien !
M. Ivan Renar. Comment ne pas rêver à la généralisation d'une opération du type « lycéens au cinéma », « collégiens au cinéma », « écoliers au cinéma », débouchant sur un travail remarquable d'éducation à l'image, réalisée en concertation avec l'éducation nationale, les collectivités locales et le Centre national du cinéma, par des professeurs volontaires qui donnent le meilleur d'eux-mêmes ? Les résultats, qui concernent déjà un million d'élèves, sont remarquables. L'égalité des chances, c'est aussi cela. C'est à l'épreuve du feu que l'on se brûle, c'est à l'épreuve de l'art que l'on en suscite le désir.
Plus que jamais, osons donc l'audace de la création artistique, sans oublier la culture scientifique. Alors que les jeunes se détournent des filières scientifiques, que la fuite des cerveaux s'accélère, il est urgent de rendre à cette dernière la place qui lui revient, sauf à ce que notre pays renonce au progrès, à la raison et à l'avenir même. Dans notre société peuplée de tant d'objets techniques et technologiques, dans ce monde lézardé par les sectarismes, la violence, les intégrismes, l'obscurantisme ou la montée de l'irrationnel, la lutte contre l'illettrisme scientifique, comme la place des arts, est un enjeu plus que jamais fondamental, un enjeu de civilisation, la condition même de la survie de notre civilisation. C'est pourquoi il faut bien sortir de cette pensée suicidaire selon laquelle il serait fatal que la culture, y compris la culture scientifique, vienne toujours après tout le reste.
Voici la question essentielle : l'école, en ce début de siècle, est-elle prête à accueillir les avancées scientifiques et l'art contemporain, à se les approprier, pour en faire une force de réflexion ?
Tels sont, monsieur le ministre, les éléments que j'aurais aimé voir placer au coeur des questions posées dans le cadre du débat national sur l'avenir de l'école. Mais il n'est pas trop tard pour bien faire : qu'en pensez-vous ? (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry, ministre. Monsieur Renar, il n'est nullement absurde de considérer que l'enseignement supérieur aurait dû être plus largement pris en compte dans ce grand débat qu'il ne l'a été, même s'il a tout de même été évoqué à propos des classes préparatoires, de la formation des maîtres et de l'articulation entre l'enseignement scolaire et l'enseignement supérieur, au travers par exemple de la onzième question, relative à la préparation et à l'organisation de l'entrée dans ce dernier.
Cela étant, ajouter l'université à la liste des thèmes à part entière de notre grand débat, qui portait déjà sur l'école primaire, le collège et le lycée, eût été à mon sens extrêmement risqué, d'autant que l'enseignement supérieur concerne d'autres publics et se trouve confronté à des problématiques très différentes de celles de l'école. C'est là non pas, de ma part, une position de principe, mais une simple attitude pragmatique. Etendre le champ du débat n'aurait pas contribué à rendre celui-ci plus fécond, bien au contraire.
S'agissant des enseignements artistiques, je soulignerai qu'ils n'étaient nullement exclus du débat. Cette thématique a été abordée par de nombreux biais, il nous reste à attendre de connaître les synthèses réalisées par la commission Thélot.
En tout état de cause, aucune question ne portait spécifiquement sur l'enseignement de telle ou telle discipline particulière, qu'il s'agisse de la philosophie, des mathématiques ou des lettres, non plus que sur l'initiation à certaines formes de culture, par exemple les cultures régionales. Cependant, tous ces aspects étaient bien entendu implicitement inclus, notamment, dans le champ de la cinquième question, relative au socle commun de connaissances et de compétences à acquérir. Il était donc tout à fait possible d'en traiter.
En conclusion, j'observerai que, ces dernières années, on a pu constater, en matière de culture, une confusion des rôles, fâcheuse à mes yeux, entre le ministère de l'éducation nationale et le ministère de la culture.
Eu égard au temps qui m'est imparti, mes propos ne pourront être que schématiques et simplificateurs, mais il me semble que le rôle du ministère de la culture est de sensibiliser le public, de mettre en valeur la culture et de la rendre accessible par tous les moyens possibles et imaginables.
En revanche, l'enseignement des arts, et même de la culture artistique, relève d'une autre démarche. Il suppose des apprentissages, l'acquisition de repères et de connaissances. La fonction du ministère de l'éducation nationale est de les dispenser.
Or, dans un certain nombre de dispositifs, tels que les classes à projet artistique et culturel, les deux dimensions n'ont pas été distinguées, d'où des résultats très variables, qui n'ont d'ailleurs même pas encore été évalués à l'heure actuelle.
Par conséquent, si l'on veut approfondir la question que vous avez posée de manière très légitime, monsieur Renar, il conviendra de pousser beaucoup plus loin la réflexion sur la différence des missions entre, d'une part, le ministère de la culture, et, d'autre part, le ministère de l'éducation nationale, qui ne peut se contenter de paillettes, de mesures « cosmétiques » et de gadgets, mais doit, y compris et surtout dans le domaine artistique, délivrer un véritable enseignement, fondé sur des connaissances précises. A cet égard, monsieur Renar, vous avez eu raison d'affirmer qu'il nous reste du travail à accomplir !
M. Ivan Renar. En avant, monsieur le ministre !
M. Didier Boulaud. Il y a des gens chargés d'établir les programmes !
M. le président. La parole est à M. François Fortassin.
M. François Fortassin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, les réflexions que je vais vous livrer émanent de quelqu'un qui fut, dans sa vie antérieure, un enseignant, qui se réclame de la pensée de Jules Ferry et, plus près de nous, de celle de René Billères, et enfin qui est un produit de l'école de la République.
Monsieur le ministre, je suis, pour le moins, très surpris que, dans votre propos liminaire, vous n'ayez fait aucune référence à la laïcité ni à l'école de la République.
M. Luc Ferry, ministre. On ne parle que de cela !
M. François Fortassin. Peut-être n'ai-je pas été suffisamment attentif, mais cela m'étonnerait ! Vous avez évoqué ces thèmes en répondant aux orateurs, c'est vrai, mais pas dans votre intervention liminaire.
Cela étant, je voudrais, avec humilité et modestie, même si ce ne sont pas là des vertus que je prône forcément (Sourires), faire part de quelques observations.
S'agissant tout d'abord de la lutte contre l'illettrisme, vous l'avez certes inscrite à votre programme, monsieur le ministre, mais il faut relever que, dans les années soixante, on comptait 3 % d'illettrés dans notre pays, alors que ce taux oscille aujourd'hui entre 15 % et 20 % ! C'est tout de même là un formidable échec pour notre système éducatif, dont on dit pourtant, comme de notre système de santé, qu'il est le meilleur du monde ! Sans doute est-ce la vérité, mais il s'adresse très vraisemblablement, beaucoup plus que voilà vingt ou trente ans, à une élite.
A cet égard, j'ai déjà eu l'occasion, monsieur le ministre - cela vous avait quelque peu irrité, mais, après tout, ce n'est pas bien grave ! -, de vous dire que lorsque des élèves jouent au ballon dans une cour de récréation, on parle aujourd'hui d'« apprenants qui tentent de maîtriser le paramètre rebondissant dans un espace interstitiel de liberté ». (Sourires.)
M. Jean-Claude Carle. Excellent !
M. François Fortassin. A l'évidence, on est, si je puis employer cette expression familière, « à côté de la plaque ». Il me semble que l'objectif premier de l'école de la République devrait être de faire en sorte que tous les élèves soient en mesure d'y trouver leur place.
Sur ce plan, j'ai tendance à penser que les très bons élèves n'ont pas besoin de l'école de la République : ils réussiront quand même. (Murmures dubitatifs sur les travées de l'UMP.) A l'heure actuelle, les programmes sont de plus en plus prétentieux, au point que l'on essaie d'expliquer à des gamins de quatrième la différence entre une agriculture extensive, une agriculture intensive et une agriculture productiviste ! Si 15 % seulement d'entre eux suivent, bonjour les dégâts ! Pourtant, ces notions figurent dans tous les livres d'histoire et de géographie utilisés en classe.
Il faudra donc affirmer fortement l'objectif que j'ai évoqué. Je n'ai pas, bien entendu, la recette pour lutter contre l'illettrisme. Si c'était le cas, je vous la donnerais. Il est clair cependant que, aujourd'hui, le langage souvent tenu n'est pas compris par les enfants de milieux défavorisés, et même par d'autres.
Il faudrait également prendre en considération la violence à l'école. C'est un phénomène récent, qui n'avait pas la même ampleur voilà dix ou quinze ans. Il ne serait pas inutile de rappeler que l'école est un lieu de travail, de discipline et de respect, même si des affirmations aussi simples ne font pas très bien dans le paysage. Selon moi, il ne serait pas ridicule d'assurer une véritable éducation civique, une véritable éducation citoyenne. Elle serait aussi utile que l'étude du système de reproduction de l'ornithorynque ou du crapaud accoucheur ! (Sourires.)
Il serait tout aussi utile de rappeler, dans les cours d'instruction civique, que les élèves sont là pour apprendre, les enseignants pour enseigner, les élèves étant au centre du système éducatif, plus que les parents d'élèves.
M. René-Pierre Signé. Il fallait le dire !
M. François Fortassin. Certes, ce n'est plus à la mode, mais je ne suis pas tenté par les engouements du temps.
MM. Michel Moreigne et René-Pierre Signé. Très bien !
M. François Fortassin. Quant à la laïcité, elle est le fondement de notre éducation nationale et tant que vous ne réfuterez pas le terme de « ministre de l'éducation nationale », il sera bon de l'affirmer ailleurs que dans la loi. Il serait notamment bienvenu de dire que la laïcité consiste d'abord à considérer que la religion, quelle qu'elle soit, est du domaine privé, et que c'est autre chose qui est enseigné à l'école.
M. René-Pierre Signé. Bravo !
M. François Fortassin. Ces principes républicains devraient s'imposer à tous, indépendamment des sensibilités des uns et autres.
Je terminerai en évoquant le recrutement des enseignants. Certes, tout enseignant doit tirer son autorité de son savoir et de son charisme, mais de bonnes cordes vocales ne sont pas superflues face à des enfants qui n'ont pas toujours envie de vous écouter. Le charisme ne se mesure pas forcément au savoir.
Il est tout de même curieux que ceux qui ont passé un concours aussi difficile que l'agrégation n'aient été confrontés que pendant quelques demi-heures, ici ou là, à des élèves. En effet, ils ne savent pas si après trois cours ils ne seront pas « bordélisés ».
M. Didier Boulaud. Ce sont les ministres qui le sont !
M. François Fortassin. Vos travaux antérieurs ont fait autorité, monsieur le ministre, et vous avez mérité notre respect. Mais je ne suis pas intimement convaincu que vous soyez un laïc fortement pénétré de sa mission. Si vous nous démontrez le contraire, je reconnaîtrai que je me suis trompé. Sinon, je dirai que vous avez été un excellent ministre, mais un peu à contre-emploi. (Applaudissements sur les travées du RDSE.)
M. Didier Boulaud. C'est le trésor de Rackham le Rouge !
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry, ministre. Monsieur Fortassin, vous enfoncez, avec une véhémence sympathique, des portes qui sont si largement ouvertes que je crains pour vous à l'arrivée ! (Sourires.) En effet, je crois être celui qui a le plus parlé, à tort ou à raison, de la laïcité et de la République au cours des derniers mois. Je prends les paris. Et je l'ai fait non seulement au titre de mes fonctions ministérielles mais également par conviction. Depuis plusieurs mois, nous travaillons en effet à la rédaction d'un livret républicain.
Quant au référentiel bondissant, désormais célèbre et condamné par Claude Allègre à juste titre, je ne vois pas pourquoi je serais irrité que vous le dénonciez puisque je n'en suis pas l'auteur. Au contraire, j'ai cherché à simplifier le plus possible le vocabulaire des programmes d'instruction civique et d'éducation civique.
Cela étant dit, je ne crois pas que la question de la reproduction, fût-elle intensive ou extensive,...
M. René-Pierre Signé. La production !
M. Luc Ferry, ministre. ... soit totalement misérable dans les cours de biologie. Je dis bien « reproduction ». Il s'agissait d'une tentative de finesse, mais peut-être aurais-je dû m'abstenir ! Il n'est pas absurde que la biologie, notamment la question de la reproduction, figure dans les programmes. Cela vaut la peine de s'y arrêter.
Par ailleurs, si vous reprenez ces programmes - car tout le monde en parle sans jamais les regarder -, vous constaterez qu'ils ne sont pas si prétentieux que cela. Prêtez attention aux programmes d'histoire en classe de seconde : en résumé, c'est un peu de formation sur la Grèce antique, sur l'Empire romain, sur la Méditerranée en évoquant les rencontres entre les religions et, ensuite, l'humanisme, la Réforme puis la Révolution française. Trouvez-vous vraiment que c'est prétentieux ou absurde ? Non, honnêtement, ces programmes sont beaucoup moins mauvais qu'on ne le dit. Mais encore faut-il prendre un peu de temps pour les regarder de plus près, car ce n'est pas si facile que cela.
Par conséquent, monsieur Fortassin, la discussion me paraissant préférable à des mises en cause personnelles, je suis prêt à organiser avec vous une réunion de travail au ministère, quand vous le souhaiterez. Vous choisirez vous-même un des programmes qui vous irritent ou vous désespèrent et nous en parlerons. Nous essayerons de manière constructive, tous les deux, de traduire nos échanges concrètement en une réforme des programmes, que l'on soumettra au conseil national des programmes. Voilà la proposition positive que je vous fais, pour mettre un peu d'huile dans les rouages entre nous ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. René-Pierre Signé. Il viendra !
M. le président. La parole est à M. René-Pierre Signé. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste. - Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.)
M. Didier Boulaud. Il a un club de fans à droite ! Je ne sais pas comment il s'y prend !
M. René-Pierre Signé. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il me faut d'emblée reconnaître l'opportunité de la consultation que le Gouvernement vient de mettre en oeuvre. (Ah ! sur plusieurs travées de l'UMP.) Par le nombre de réunions, par la nature variée des intervenants et par la largeur des thèmes abordés, on peut saluer la démarche. Je ne suis pas sûr, toutefois, qu'elle ait suscité le grand engouement espéré et que le succès ait été au rendez-vous. Les enseignants sont un peu désabusés, pour des raisons que je n'évoquerai pas. Quant aux parents, ils ne croient plus beaucoup aux consultations à grand tapage et pensent que le résultat de celles-ci n'est pas à la hauteur de l'affichage.
Cependant, l'ampleur de cette consultation était justifiée dans la perspective d'une loi d'orientation et pertinente puisqu'elle abordait un sujet aussi central que l'avenir de l'école.
Ouvrir le débat sur l'avenir de l'école paraît en effet pertinent puisque de cet avenir dépend notre avenir tout court. Quelles doivent-être les missions de l'école, à l'heure de l'Europe et pour les décennies à venir ? A vrai dire, l'école est au coeur du projet des Lumières. Ce projet s'appuie sur le postulat selon lequel la meilleure façon de construire une société juste et prospère est de faire une société de citoyens éclairés, c'est-à-dire éduqués.
Car, si elle n'est pas fondée sur la raison, la citoyenneté risque fort d'être un leurre. Si chaque citoyen ne possède pas l'instruction nécessaire à son autonomie intellectuelle, il risque d'être un pseudo-citoyen.
Cette adhésion à la citoyenneté est toujours d'actualité, et elle l'est même plus que jamais. C'est précisément notre tâche de représentants du peuple de réactualiser sans cesse cette vocation. Il s'agit de faire passer chacun du statut de consommateur à celui de citoyen. Le seul moyen reste l'éducation de tous, dès le plus jeune âge, non pas uniquement à l'initiation à l'informatique et aux rouages de la Bourse, mais également aux bonnes techniques de communication. Il faut mieux comprendre pour mieux agir sur les relations dites complexes qui régissent notre environnement. Il faut savoir pour comprendre et comprendre pour agir ou, au minimum, être vigilant. Il faut être démocrate en somme, mais surtout être libre, c'est-à-dire connaître ce qui détermine notre vie. En un mot, il faut montrer que le savoir que l'on acquiert à l'école est utile, qu'il libère, nous forme, nous ouvre l'esprit et nous permet de comprendre le monde.
La formation à la citoyenneté doit mériter un traitement particulier dans votre projet de loi d'orientation. L'abstention massive et quasi endémique mais surtout les tensions communautaires qui agitent notre pays nous y poussent.
C'est dire que la laïcité doit y tenir une bonne place. La laïcité, porteuse des valeurs républicaines, vieille doctrine de gauche, que vous vous êtes un peu vite, un peu trop vite, me semble-t-il, appropriée. (Exclamations sur plusieurs travées de l'UMP.) Si ce n'est vous, monsieur le ministre, c'est votre majorité !
M. Didier Boulaud. On voit le résultat ! Ils n'étaient pas formés pour ça !
M. René-Pierre Signé. La laïcité commence à l'école, car c'est là que se forme l'homme de demain, mais elle s'exerce tout au long de la vie, partout où il y a une différence. La laïcité, c'est la tolérance, qui s'exprime dans le respect du droit de chacun (Ah ! sur les travées de l'UMP), c'est l'égalité des chances et c'est une notion qui vient de loin, de la philosophie des Lumières, des philosophes grecs, peut-être de Protagoras. La laïcité, c'est le refus de tout signe de différence, de tout signe d'appartenance visiblement arboré.
M. Didier Boulaud. « Visiblement arboré ! » Belle formule !
M. René-Pierre Signé. Monsieur le ministre, ce sujet mérite, en effet, qu'on légifère. C'est une position personnelle.
Un autre objectif devrait être le renforcement de l'esprit démocratique chez nos concitoyens, et donc chez nos jeunes. Poussons les gens à lire entre les lignes des articles de presse, à saisir ce que les images de télévision ne disent pas d'elles-mêmes, montrons que le réel n'est pas si complexe et que les réflexes immédiats de pensée ne sont pas si médiocres. A la suite de Marie Curie, on peut dire que dans la vie, rien n'est à craindre, tout est à comprendre.
Et cela même si nous devons nous concentrer d'abord sur l'essentiel, le triptyque de Jules Ferry, c'est-à-dire lire, écrire, compter, et, pour compléter ce triptyque, cliquer, afin de ne pas être les illettrés de demain.
Mais sans autorité, il n'y a pas d'apprentissage possible. Sans ouverture au monde et sans outil pour le comprendre, il n'est pas de connaissances vivantes. Chacun doit y mettre du sien, nous le savons : les élèves doivent réapprendre à écouter et à respecter les professeurs. Je crois que l'objectif dérivé de la loi d'orientation sera de faire prendre conscience à tous les acteurs que l'école est leur lieu à tous, que l'éducation est leur but commun et que chaque acteur pris indépendamment ne peut réussir que si les autres acteurs sont associés, se sentent bien et trouvent un sens à leur présence au sein de l'institution scolaire.
Certes, la « massification » de l'école a profondément modifié le rapport à l'école. Mais ne perdons pas de vue que s'il y a crise de l'école, c'est qu'il y a avant tout crise de la société. Il faut englober l'école dans un débat social global général. La société sécrète, pour l'école, mille difficultés : inégalités sociales, familles éclatées, territoires fragilisés, etc. Il faut donc lui donner beaucoup de moyens. Il faut aussi admettre que les professeurs ne sont plus les possesseurs uniques des savoirs et les prescripteurs du rapport au monde. La télévision, les ordinateurs et les valeurs individualistes et marchandes brouillent sans cesse leur message. N'oublions pas non plus que les parents doivent comprendre que l'école ne peut pas tout et que les valeurs et les connaissances qu'elle enseigne doivent être prolongées à la maison, dans la mesure du possible.
Doit-on remettre en cause le collège unique, monsieur le ministre ? Il me semble que non. Une culture, un socle commun sont nécessaires. La spécialisation vient ensuite. Si certains pensent que cela freine les bons élèves, ils oublient de dire que cela évite aussi aux élèves moins doués de s'enliser trop tôt sur des voies de garage.
M. Laurent Béteille. Cela n'est pas certain !
M. René-Pierre Signé. Il est sage de votre part d'avoir considéré que dégager les missions de l'éducation et les moyens - financiers et humains - qu'il convient d'y consacrer n'est pas une simple question technique. Cela relève du débat politique. J'espère qu'il ne s'agit pas d'un faux dialogue posant des questions dont les réponses seraient déjà acquises. Vous avez écouté l'ensemble des acteurs. J'espère que vous les entendrez.
Pour ma part, j'attendrai la discussion de votre projet de loi d'orientation. Le ton du débat risque d'être différent. Aujourd'hui, si je suis reconnaissant, je reste vigilant. Ce sont des principes dont je ne peux me départir et que j'ai acquis à l'école publique, laïque et obligatoire. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry, ministre. Monsieur Signé, je voudrais vous remercier de la qualité de votre intervention et de la modération de ton, qui est extrêmement sympathique dans ce débat.
Vous avez souligné, à juste titre, la nécessité de cours d'instruction civique, d'éducation civique. Je vous rejoins sur ce point. Cependant, je voudrais vous inviter, nous inviter tous, à une réflexion plus approfondie sur ce thème.
J'entends très souvent dire qu'il faut renforcer les cours d'éducation civique dans nos écoles et que l'on a besoin de cette éducation civique. Mais lorsque l'on regarde de près les programmes et, surtout, les pratiques en matière d'éducation civique, on s'aperçoit que deux écueils sont, hélas ! assez présents : premièrement, les leçons de morale de notre enfance, on peut le regretter, ne fonctionnent plus aujourd'hui, notamment en matière de lutte contre les communautarismes, le racisme et l'antisémitisme ; deuxièmement, les cours de droit constitutionnel pour les enfants ne sont pas non plus une réussite. Malheureusement, nos cours d'instruction civique, très désuets, n'ont pas trouvé à l'heure actuelle un nouvel essor, et sont inefficaces.
Je proposerai prochainement un livret républicain pour renouveler ces cours et leur donner un nouveau souffle, par le biais, notamment, de films documentaires, ou de fiction. Je vous l'ai dit déjà, ici même, monsieur Signé, voir des films comme Nuit et Brouillard ou La liste de Schindler, ou un très bon documentaire sur les juifs de Vichy, c'est plus efficace, lorsque l'on doit lutter contre l'antisémitisme dans une classe, que de rappeler les textes canoniques des grandes déclarations des droits de l'homme, quelle que soit par ailleurs, évidemment, la nécessité de rappeler ces textes (M. Philippe Nogrix applaudit.) Mais ce n'est pas incompatible ; on n'est pas obligé de choisir l'un ou l'autre. Faire lire à des adolescents un livre comme Le Choix de Sophie, les inviter à réfléchir sur une problématique comme celle qui est mise en oeuvre dans ce roman, peut parfois être plus efficace que de leur dispenser un cours de droit constitutionnel très abstrait, qui ne les mobilisera pas.
Donc, nos cours d'éducation civique ont besoin d'un nouveau souffle, d'une nouvelle dimension. Je vous proposerai bientôt, si vous le permettez, une réflexion sur ce point, au cours de laquelle nous pourrons travailler utilement ensemble et bénéficier de vos remarques. En tout cas, merci à vous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Jean-Claude Carle.
M. Jean-Claude Carle. Monsieur le président, permettez-moi tout d'abord de vous féliciter d'avoir pris l'initiative d'organiser ce débat.
Il paraît en effet souhaitable que, dans le cadre du grand débat sur l'avenir de l'école voulu par le Président de la République, les élus de la nation puissent s'exprimer.
Permettez-moi, en préalable, d'exprimer un regret et de formuler une interrogation.
Je regrette, en effet, monsieur le ministre, de ne pas voir à vos côtés le ministre chargé de l'enseignement agricole.
Composante essentielle de notre système éducatif, l'enseignement agricole est, je le sais, cher à M. Hervé Gaymard, mais celui-ci est retenu à l'Assemblée nationale, où il défend le projet de loi relatif au développement des territoires ruraux.
Quant à l'observation, elle concerne non pas le fond de ce débat, mais sa forme. Je ne nie pas l'intérêt, bien au contraire, des questions-réponses et de l'interactivité qu'elles permettent, mais le débat sur l'école vient à peine de s'achever et je ne voudrais pas que cette formule apporte de l'eau au moulin de ceux qui clament que le débat n'est qu'illusion et que le projet de loi est déjà ficelé.
Je le sais, le Gouvernement est et sera respectueux des avis et des propositions formulés par nos concitoyens. Vous venez d'ailleurs de le confirmer, monsieur le ministre.
En effet, l'école n'est ni la propriété du Gouvernement, ni celle de telle ou telle formation politique, ou de telle ou telle organisation syndicale ou professionnelle, ni même celle des enseignants. L'école appartient à chaque Française et à chaque Français.
Je souhaite que ceux qui font souvent référence à l'expression populaire, et qui doutent de l'utilité de ce grand débat, respectent à l'avenir les souhaits des Français envers l'école.
La commission mise en place par M. le Premier ministre fera en toute transparence et en toute indépendance la synthèse des avis et des propositions exprimés par nos concitoyens.
Que ceux qui auraient encore quelques craintes fassent confiance au président de la commission, M. Claude Thélot, dont chacun reconnaît la compétence et l'indépendance d'esprit, et qui n'est pas homme à se faire dicter sa copie par qui que ce soit.
Cette remarque de forme étant faite, j'en viens au bien-fondé de notre débat d'aujourd'hui.
L'éducation est la première ligne du budget de la nation. Avec plus de 60 milliards d'euros, cette priorité nationale mérite en effet mieux que les quelques heures que lui consacre notre assemblée à l'occasion de l'examen du projet de loi de finances, surtout si ce débat se déroule, comme ce fut le cas en 1998, un dimanche après-midi !
Cette nécessité d'un suivi plus important du Parlement était d'ailleurs l'une des propositions formulées, en 1998, par la commission d'enquête présidée par notre collègue Adrien Gouteyron. Force est de constater que, jusqu'à aujourd'hui, elle n'a pas été très entendue. Or le budget consacré à l'éducation a doublé en quinze ans, pour atteindre 1 650 euros par an et par habitant.
C'est la première dépense de la nation, mais, plus qu'une dépense, c'est, pour moi, un investissement, le meilleur qui soit, celui du savoir et de sa transmission à ceux qui seront et feront la France de demain : nos enfants.
Le savoir est la clé de la réussite individuelle et collective.
Toutefois, comme tout investissement et, qui plus est, lorsqu'il s'agit du premier, il est normal que le Parlement, comme chaque citoyen, puisse en apprécier les retours. Aujourd'hui, 15 millions de jeunes sont scolarisés, soit près du quart de la population.
Cette démocratisation de l'école confirme les propos du Président de la République, qui disait : « L'école a été le rêve de la République. Elle reste sa plus belle conquête. » Cependant, il ajoutait : « Aujourd'hui, elle exprime son désarroi et s'interroge sur ses missions. »
En effet, malgré les efforts continus déployés depuis deux décennies, certains résultats ne sont pas très satisfaisants. Je n'y reviendrai pas, cela a été largement évoqué au cours des deux mois de débat.
Le « toujours plus de moyens » n'est donc pas la seule bonne réponse. Notre école, bien que se voulant égalitaire, n'assume plus aujourd'hui l'égalité des chances. Un fils d'ouvrier a dix-sept fois moins de chances d'entrer dans une grande école qu'un fils de cadre supérieur.
La situation pourrait se résumer par cette phrase - elle m'a beaucoup frappé d'une enseignante lors d'un débat dans mon département : « L'école va bien pour les enfants qui vont bien. » Or, chacun le sait, tous nos enfants ne vont pas bien. Lors de cette même réunion, un professeur ajoutait que, dans l'une de ses classes, 40 % des enfants connaissaient une situation familiale difficile.
Cette réalité dépasse le cadre de l'école, ses compétences et sa mission. Jamais l'école ne pourra, ni ne devra, remplacer la famille. L'éducation, c'est d'abord la responsabilité du père et de la mère.
En tant que rapporteur de la commission d'enquête sur la délinquance des mineurs, j'ai pu apprécier combien ceux qui ont sombré dans la délinquance étaient en situation de rupture familiale et de décrochage scolaire : la rue concurrence alors l'école. Heureusement, ils ne constituent qu'un pourcentage infime de la population scolaire.
Ceux qui ne vont pas bien, ce sont aussi ces 158 000 jeunes qui sortent chaque année sans diplôme ou sans qualification du système scolaire.
Ceux qui ne vont pas bien, ce sont ceux qui ont été mal orientés. Comment rester insensible aux protestations de ce père de famille s'élevant contre l'avis du principal du collège qui voulait à tout prix orienter son fils en lycée, alors que ce dernier souhaitait préparer un diplôme de menuisier-ébéniste par la voie de l'alternance !
Et, à l'inverse, comment ne pas comprendre le découragement des enseignants qui voient les parents contester leurs décisions, alors qu'ils les ont prises dans l'intérêt de l'enfant ?
Ceux qui ne vont pas bien, ce sont aussi ces jeunes qui arrivent au collège sans maîtriser les fondamentaux, et qui auront les pires difficultés à accéder à la « culture commune », pour reprendre l'expression de M. Aschieri, et pour lesquels le collège et l'école primaire n'apportent pas de réponse satisfaisante.
Ceux qui ne vont pas bien, ce sont également ces étudiants qui, au terme d'un bac + 6, poussent non pas la porte d'une entreprise ou d'une administration, mais celle de l'ANPE, ou, au mieux, intègrent un emploi sous-qualifié. Certes, le diplôme protège, mais à quel prix, souvent ? Méfions-nous des slogans qui donnent bonne conscience, mais qui estompent la réalité.
Notre priorité et notre devoir sont donc de développer une école qui aille bien, pas seulement pour les enfants qui vont bien, mais pour tous les enfants, et de restaurer cette égalité des chances, inscrite dans le marbre de la Constitution.
La difficulté réside, pour reprendre l'expression du président Thélot, non dans le « pourquoi », mais dans le « comment », car les 15 millions de jeunes, comme l'a écrit Hervé Bazin, sont « tous égaux, tous non pareils ».
Membre de la commission du débat sur l'école, je me garderai d'affirmations péremptoires, hâtives et prématurées. Je me permets simplement d'émettre quelques réflexions personnelles, qui s'appuient sur ce que j'ai ressenti au cours des dizaines de débats auxquels j'ai participé dans mon département et dans ma région.
Nous sommes face à deux formidables problèmes, l'un culturel, l'autre structurel, le second étant consécutif au premier.
Notre société a trop fortement hiérarchisé les formes d'intelligence et, par voie de conséquence, notre système éducatif s'est structuré sur ce postulat.
Il me semble donc indispensable et urgent de sortir de cette aberration culturelle et de manifester dans la loi, même si les problèmes culturels s'inscrivent plus dans le temps que dans les textes, notre volonté de mettre sur un même niveau toutes les formes d'intelligence et d'y définir les moyens, les méthodes et les pédagogies appropriées, ainsi que les évaluations et les suivis nécessaires, afin d'aider ceux qui, aujourd'hui, ne vont pas bien, et qui sont laissés sur le bord du chemin, malheureusement.
Car s'ils ne vont pas bien, n'est-ce pas d'abord parce que l'on a ignoré ou pas su développer la forme d'intelligence qui est en eux ?
Cela nécessite une évaluation des fondamentaux au terme du primaire, la mise en place de voies différenciées au collège et au lycée, avec toutes les passerelles nécessaires, plus le développement de parcours plus itératifs à la fin du secondaire.
La difficulté me semble être moins une question de moyens que de volonté politique forte afin que notre système éducatif apporte une réponse simultanée au projet du jeune, aux besoins de l'économie et aux contraintes d'aménagement du territoire.
Je suis convaincu que la sagesse et le bon sens des Français, qui ont été nombreux à s'exprimer au cours de ce débat, nous y aideront grandement, pour peu que chacun d'entre nous veuille bien non pas abandonner ses convictions, qui sont indispensables à la démocratie, mais quitter un tant soit peu ses certitudes.
Et permettez-moi de conclure, monsieur le ministre, sur cette citation de Victor Hugo, notre illustre collègue, qui écrivait, à la suite de la visite d'un bagne, ce qui donne au propos toute sa dimension : « Un enfant qu'on enseigne est un homme qu'on gagne ».
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous confirmer votre volonté de faire gagner nos enfants, tous nos enfants, et nous dire si ce débat est bien un débat pour agir ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry, ministre. Je voudrais tout d'abord remercier mon ami Jean-Claude Carle au moins pour deux choses, à commencer par l'hommage qu'il a rendu à l'enseignement agricole, dont on parle beaucoup trop peu en France. La raison en est simple : il est très performant et constitue même un modèle. Il y aura d'ailleurs beaucoup à reprendre de sa pratique dans nos réflexions, y compris dans la rédaction de la future loi d'orientation, notamment en termes de fonctionnement des établissements et de leurs conseils d'administration, ainsi qu'au regard de leur autonomie.
Je suis entouré fort heureusement d'excellents spécialistes de cet enseignement, que je connais, par ailleurs, d'assez près.
Ensuite, je voudrais vous remercier d'avoir abordé comme vous l'avez fait la question des savoirs. Il est, je le sais, un tropisme un peu facile qui consiste à dire que, la loi de 1989 ayant mis l'enfant au centre du système, il faut maintenant y mettre les savoirs.
Tout cela est d'ailleurs vrai, mais il faut aller plus loin, comme vous l'avez fait, monsieur le sénateur, ce dont je vous sais gré.
On a tendance à considérer que l'école a pour fonction de former des citoyens. C'est exact et personne ne le conteste, mais ce n'est pas sa fonction principale. Il est peut-être beaucoup plus important encore de rappeler que la mission fondamentale de l'école, d'une manière générale, est de faire entrer les enfants et les élèves dans un univers qui justement est non pas l'univers de la vie quotidienne, mais celui des savoirs, d'accès difficile.
Pour accéder à cet univers qui n'est ni trivial, ni banal, ni quotidien, cet univers de la culture scolaire qu'on ne rencontre qu'à un moment de sa vie et, la plupart du temps, jamais après, il faut trois choses.
Tout d'abord, il faut l'aide d'un professeur qui vous donne le goût et qui vous donne les perspectives, et c'est cela, la mission des enseignants.
Puis il faut travailler. Il n'y a pas de ticket d'entrée dans le monde de la culture des adultes sans travail.
Enfin, il faut dire à nos enfants, à nos élèves - j'emploie volontairement les deux termes parce que cela concerne à la fois l'éducation et l'enseignement -, que ce monde de la culture scolaire, ce monde plus généralement de la culture adulte est parfois beaucoup plus riche, beaucoup plus intéressant et beaucoup plus profond que le monde de l'enfance et qu'entrer dans cet univers-là, devenir adulte et même parfois vieillir n'est pas forcément un déclin. Quand c'est réussi, c'est même tout le contraire.
Telle est la mission fondamentale de l'école, mais je ne veux pas anticiper sur les conclusions du débat et commencer à rédiger un petit bout de loi d'orientation. J'attendrai, et j'espère que vos travaux permettront que cette discussion-là s'ouvre.
Pour tout cela, cher Jean-Claude Carle, soyez encore une fois remercié. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Michel Moreigne.
M. Michel Moreigne. Monsieur le ministre, il faut bien que quelqu'un vous le dise : les projets de modification de la carte des formations pour la rentrée scolaire de 2004 suscitent de très vives réactions chez les parents, les élèves et les enseignants ; M. Todeschini, tout à l'heure, n'a fait qu'effleurer le sujet.
En Limousin, la dernière version de la carte scolaire du second degré signifie la fermeture de formations, de filières et d'options, et la restitution de plusieurs dizaines d'emplois d'enseignants, ce qui est grave pour un territoire aussi fragile et aussi peu peuplé. Je vous épargne le palmarès de la région, vous le connaissez, monsieur le ministre, mais, en cas de nécessité, je le tiens à votre disposition.
Dans mon département, la Creuse, alors que le nombre des élèves s'accroît dans le primaire, des postes seraient encore supprimés.
Dans le second degré, le projet de carte scolaire s'accompagne de la disparition programmée de filières dans les lycées professionnels et les lycées d'enseignement général et technologique, mais aussi de la suppression d'options dans de nombreux établissements. Les collèges sont également menacés de réductions importantes de leurs heures d'enseignement.
Ces mesures, chacun s'accorde à le dire, menacent l'existence même des structures éducatives et vont à l'encontre des efforts entrepris par la région, le département et les collectivités locales de manière générale pour maintenir un maillage efficace du territoire en matière d'éducation et de formation, ne serait-ce qu'en ce qui concerne les équipements, tels que les restaurants scolaires ou les internats, bien que, dans ce dernier cas, la mode fluctue selon les régions.
Il est à noter que ces mesures, qui ne sont, à l'évidence, guère positives, ont été annoncées au moment même où l'Assemblée nationale était saisie du projet de loi de développement des territoires ruraux, censé conforter les zones les plus fragiles !
Dans votre dernière Lettre aux parlementaires, monsieur le ministre, vous indiquez que vous utilisez des critères clairs et équitables pour la répartition des postes, notamment un indicateur territorial « traduisant la préoccupation - ô combien partagée ! - du maintien du service public dans les zones rurales », un indicateur social traduisant « la volonté de favoriser la réussite des élèves issus des catégories sociales les plus défavorisées », ainsi qu'un indicateur des contraintes.
En réalité, vos projets vont à l'encontre d'une politique d'aménagement et de développement du territoire.
Vous vous accorderez sans doute avec moi pour constater que l'avenir d'un pays, c'est sa jeunesse et sa cohésion socio-territoriale. Il n'y a pas d'avenir, pour la jeunesse, sans qualification, sans offre éducative qui épouse les enjeux du développement local.
La cohérence de votre politique serait-elle de porter des coups aux personnes et aux départements les moins favorisés ? Je ne peux pas le croire. Mais il faut bien constater que votre politique parie sur une démographie faible pour résorber le chômage et semble s'accommoder de cette problématique pour réduire le périmètre des services publics, notamment celui de l'éducation.
Les départements les plus fragiles de France, comme celui que je représente ici, réclament que leur carte scolaire soit la traduction d'une ambition, d'un « grand dessein » national, et non pas l'expression d'une pure logique comptable, voire statistique.
Les enseignants, les parents et les élèves souhaitent qu'à une carte scolaire plus équitable corresponde notamment une dotation horaire globale améliorée et pas toujours systématiquement réduite.
En Limousin, le projet de carte des formations dans le secondaire doit être présenté au conseil académique de l'éducation nationale le 27 janvier. Nous y sommes ! Demain, jeudi, la réunion du conseil technique paritaire académique sera accompagnée d'une manifestation très vigoureuse, semble-t-il, des élèves et des parents, et d'une grève tout aussi vigoureuse des enseignants. D'ici au 27 janvier, monsieur le ministre, peut-on espérer que votre ministère, via Mme la rectrice, évidemment, pourra revoir sa copie ?
Car il vous faut bien, monsieur le ministre, assumer la responsabilité de cet état des choses.
Pouvez-vous confirmer, ce que nous savons tous ici, que les recteurs ne font qu'appliquer vos directives ?
Alors, comment percevez-vous certaines attitudes, notamment celle d'un élu qui a demandé publiquement le départ de la rectrice de l'académie de Limoges, allant jusqu'à crier au « complot politique des socialistes et du rectorat », complot aboutissant, selon cette personne, à déshabiller Pierre, en l'occurrence, les lycées d'Aubusson, pour habiller Paul, c'est-à-dire Bourganeuf ? Bref, la rectrice ainsi mise en cause par un membre de votre majorité est-elle susceptible de partir, comme sanctionnée par sa tutelle, ou atteint-elle tout simplement l'âge de la retraite de cette catégorie de très hauts fonctionnaires dont chacun sait qu'ils sont nommés en conseil des ministres ?
Enfin, pour conclure, permettez-moi de formuler une proposition. Serait-il impossible de déterminer une sorte de métabolisme de base - c'est le médecin qui parle (Sourires) - des personnels enseignants, métabolisme de base au-dessous duquel on ne saurait descendre dans les dotations en personnel ? (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry, ministre. Monsieur le sénateur, on souhaiterait parfois que les élus puissent voir comment s'établit la carte scolaire. Je suis certain qu'ils comprendraient beaucoup mieux nos décisions.
Ainsi, depuis l'année dernière - cela ne s'était jamais fait à ma connaissance dans l'histoire de l'éducation nationale ; en tout cas pas depuis que les statistiques existent -, nous avons travaillé sur le stock d'emplois, et non pas simplement sur le flux.
M. Gouteyron sait très bien ce que cela signifie, mais pour ceux qui ne sont pas spécialistes de cette technique d'élaboration de la carte scolaire, je vais donner quelques précisions.
Quand des postes étaient créés - ce qui n'était pas toujours le cas mais, dans les périodes d'augmentation démographique, il y eut toujours création de postes supplémentaires - on affectait plus de postes dans les académies où il y en avait moins au départ et on en affectait moins là où il y en avait plus. On travaillait sur le flux, c'est-à-dire, par exemple, sur les trois mille postes qui étaient créés cette année-là.
Pour la première fois donc, nous avons travaillé sur le stock, en jouant sur les inégalités qui existent entre les académies, certaines ayant été, pendant des années, surdotées par rapport à d'autres.
Cela nous a conduits à nous livrer à un exercice extrêmement difficile et peu agréable consistant à retirer certains postes dans les académies surdotées pour les affecter dans des académies sous-dotées.
En fait, la cause principale du bon déroulement technique de la rentrée scolaire est le gros travail de préparation de la carte scolaire que nous avons réalisé cette année.
Pour ce qui est de l'académie de Limoges, elle a tout simplement perdu, en quinze ans, un peu plus de huit mille élèves. Selon les statistiques de l'INSEE, qui, je crois, sont justes sur ce point, entre 2000 et 2005, elle perdra encore un peu plus de trois mille élèves. Si nous n'en tenions pas compte en termes de postes, nous ferions preuve d'irresponsabilité et nous organiserions l'inégalité entre les régions, ce que vous pourriez nous reprocher.
La gauche a dit que la décentralisation risquait d'accroître les inégalités entre les régions. Nous faisons exactement ce que l'Etat doit faire, c'est-à-dire que nous opérons une péréquation entre les régions, en nous attaquant enfin à la gestion du stock, et non pas seulement à celle du flux.
Pour en revenir à l'académie de Limoges, je vous dirai que tous les sites d'Aubusson sont maintenus. Il n'y a aucune difficulté à cet égard. Mme la rectrice de l'académie de Limoges est en discussion avec les différents partenaires depuis un mois afin de mettre en place, le mieux possible, cette carte scolaire, en tenant compte de cet impératif d'égalisation entre les différentes régions de France. Je le répète, monsieur Moreigne, si vous étiez à nos côtés lors de la réalisation de ce travail, vous seriez probablement d'accord avec nous. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président. La parole est à M. Philippe Richert.
M. Philippe Richert. Je voudrais tout d'abord remercier M. le ministre et le féliciter d'avoir organisé cette consultation nationale. On peut gloser, mais la participation à ce débat de toutes les parties prenantes dans l'ensemble du territoire national est, en soi, une réussite. Si ce type de débat avait eu lieu dans le passé, nous n'en serions pas aujourd'hui à rencontrer quotidiennement un certain nombre de difficultés dans nos établissements. Je veux donc vous exprimer, à vous, monsieur le ministre, et à votre collègue M. Darcos, toute ma satisfaction.
A ce stade de notre discussion, il m'est difficile d'aborder des questions nouvelles par rapport à tous les sujets qui ont déjà été évoqués.
J'en retiendrai deux : d'une part, les difficultés et les perspectives du métier d'enseignant et, d'autre part, l'aide à la scolarisation des enfants handicapés.
Permettez-moi tout d'abord de citer quelques chiffres, en reprenant en partie certains de vos propos, monsieur le président.
Notre pays compte près de 900 000 enseignants, premier et second degrés confondus, dont 40 % partiront à la retraite d'ici à 2010, c'est-à-dire dans six ou sept ans. Sur cette période, il nous faudra recruter 35 000 nouveaux enseignants par an, soit environ un étudiant titulaire d'une licence sur trois. Or, dans certaines disciplines comme les sciences, les langues vivantes ou certaines filières technologiques, le faible nombre de candidats est d'ores et déjà très préoccupant.
Ce défi rend donc impératif de restaurer l'intérêt pour le métier d'enseignant en lui redonnant une attractivité aujourd'hui bien érodée. Il nous ouvre, par ailleurs, une formidable opportunité, celle de redéfinir les contours d'une fonction qui a connu, ces dernières années, de profondes mutations.
Les manifestations du printemps dernier contre la réforme des retraites et la décentralisation, par leurs motivations sous-jacentes plus complexes, ont été l'expression d'un certain malaise ou mal-être du corps enseignant, qui est bien réel.
Les conditions d'exercice du métier ont, nul ne le conteste, beaucoup changé, bien souvent dans le sens d'une dégradation. Les missions des professeurs sont devenues confuses. A trop leur demander pour pallier les carences éducatives des familles en particulier, on leur a donné parfois le sentiment qu'ils s'écartaient de leur rôle, primordial et essentiel, de transmission de savoirs et de connaissances auquel ils se destinaient avant tout.
Confrontés à la grande hétérogénéité des élèves, à leur manque de motivation, à des phénomènes de violences, à la dégradation de la relation d'autorité qui allait parfois jusqu'à la contestation des savoirs transmis, les professeurs se sentent isolés, désarmés.
La traduction de notre projet éducatif pour les prochaines années repose, en grande partie, sur les enseignants qui en seront les maîtres d'oeuvre au quotidien. Ils ont besoin de regagner confiance et foi en leur mission, en eux-mêmes, et de s'appuyer de nouveau sur une reconnaissance sociale qu'ils ne perçoivent plus aujourd'hui.
Le métier d'enseignant doit redevenir attractif, je dirai compétitif, afin de maintenir la qualité des recrutements à la hauteur des exigences requises.
Cinq tables rondes mises en place l'an passé ont permis d'engager, entre le ministère et les organisations syndicales, des réflexions sur ce métier d'enseignant et d'identifier les principales difficultés ou sources de blocages.
Il nous faut, maintenant, passer à l'action.
Tout d'abord, il nous faudra mieux accompagner la carrière des enseignants, en veillant en particulier à ce que l'entrée dans le métier, pour les enseignants les plus jeunes et donc les plus fragiles, ne se fasse pas quasi systématiquement par l'affectation sur un poste difficile, comme c'est aujourd'hui le cas pour six sortants d'IUFM sur dix.
Par ailleurs, pour encourager les vocations et ensuite entretenir la flamme tout au long d'une carrière que l'on sait difficile, en raison de l'usure morale liée à la tâche, le métier d'enseignant a besoin d'oxygène. On adresse bien souvent, non sans une part de raison, le reproche d'un certain hermétisme ou cloisonnement au milieu enseignant, malgré la diversité de ses statuts et de ses conditions d'exercice.
Pour ouvrir l'école sur l'extérieur, sur l'entreprise, ne faut-il pas rapprocher les enseignants de leur environnement économique et social ?
L'éducation nationale dispose, dès à présent, d'outils pour concrétiser cette ambition. Ainsi, développer le recours à la validation des acquis de l'expérience comme procédure alternative de recrutement des enseignants, dans les disciplines professionnelles notamment, permettrait de faire bénéficier les élèves d'une expérience concrète, d'un savoir-faire.
En outre, afin d'accommoder les fins de carrière, la loi portant réforme des retraites a introduit la notion de « seconde carrière » destinée à offrir aux enseignants une phase de respiration, au sein de l'administration ou dans le secteur privé, qui vienne marquer une rupture dans leur face-à-face avec les élèves. Je vous garantis qu'à cinquante, cinquante-cinq, presque soixante ans, on a parfois besoin de cette respiration...
Quelles pourraient être, monsieur le ministre, les traductions réglementaires et les perspectives réelles et concrètes de cette mesure, qui doit entrer en vigueur à la rentrée 2004 ?
Au demeurant, par-delà les rigidités statutaires, il nous revient aujourd'hui de considérer l'organisation des enseignements en premier lieu par rapport aux besoins des élèves. Cela suppose plus de souplesse pour instituer et valoriser l'investissement, ô combien déterminant, des professeurs auprès des élèves et des familles en dehors des heures de cours stricto sensu. Se pose alors toute la question de l'accompagnement du temps consacré au suivi des élèves en grandes difficultés, à l'aide à l'orientation, au dialogue avec les parents d'élèves, au travail pédagogique en équipe. Il nous faut trouver, là aussi, de nouvelles pistes.
Une autre piste mérite également d'être explorée : celle de la bivalence, voire de la polyvalence, que l'on pourrait mettre en place, au niveau des collèges notamment, au moins pour les classes de sixième. Comment pouvons-nous aller au-delà ?
Enfin, cet effort d'adaptation doit se traduire au niveau de l'éducation nationale par une véritable formation continue, elle aussi indispensable. Trop souvent, au moment où, dans les établissements, les enseignants commencent à appliquer une réforme, une nouvelle est déjà annoncée. On ne peut pas continuer ainsi, sans mettre en place une formation continue adaptée. Comme vous le voyez, monsieur le ministre, il y a là des champs importants à faire évoluer.
Cela me conduit à aborder le second point de mon intervention : la scolarisation des enfants handicapés, que va traiter le projet de loi relatif au handicap dont le Parlement discutera prochainement, et les efforts qui doivent être réalisés au niveau de l'école pour participer à ce grand chantier.
Une question se pose à propos des assistants de vie scolaire, les AVS. Un effort considérable a été réalisé, puisque les AVS sont passés de 1 000 en 2002 à 6 000 en 2004, mais reste le problème de leur formation.
On avait évoqué la possibilité d'avoir recours à des contrats d'insertion dans la vie sociale, les CIVIS, pour permettre à des associations comme le Chaînon manquant, qui oeuvre depuis de nombreuses années en Alsace, de continuer à faire ce travail essentiel d'accompagnement en formation, d'encadrement des AVS, ce que ne sait pas faire l'éducation nationale aujourd'hui. Il serait dommage que les 4 000 AVS qui sont en poste ne puissent pas faire profiter les handicapés et leurs familles de cet apport essentiel.
Il me semble que, là aussi, des perspectives peuvent s'ouvrir. Qu'en est-il de ces postes CIVIS ? Qu'en est-il de cet accompagnement possible ? Merci, monsieur le ministre, de nous donner d'ores et déjà des réponses à ces questions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry, ministre. Monsieur le sénateur, au début de votre intervention, vous avez posé une question très importante, qui d'ailleurs a été également soulevée par M. Gouteyron, je veux parler du recrutement d'enseignants nécessaire pour remplacer les départs à la retraite d'ici à 2008, 2010.
Il s'agit, sans doute, du problème le plus important que nous aurons à résoudre dans les cinq années qui viennent, avec celui de l'autorité.
La seule vraie réponse à ce problème du recrutement est la revalorisation, ou la valorisation, du métier d'enseignant, qui est devenu peu attractif.
A ceux qui travaillent dans le privé et qui, jetant un regard un peu lointain sur le monde de l'enseignement, ont parfois tendance à dire, de façon un peu ironique, que les professeurs travaillent peu, qu'ils ont beaucoup de vacances, que sais-je, autant de propos blessants pour les enseignants, je réponds qu'il faut y regarder d'un peu plus près car, dans toutes les disciplines où il y a concurrence de recrutement avec le privé, nous sommes en déficit d'enseignants, et ce déficit ne fait que s'aggraver. Cela signifie que le métier n'est pas si attractif que cela !
Même si les questions matérielles sont, bien sûr, très importantes, les enseignants ont choisi leur métier pour d'autres motifs que l'argent, c'est évident, sinon ils auraient fait autre chose. Aussi, même si la revalorisation matérielle ne doit pas être sous-estimée, ce n'est pas le facteur principal.
Le facteur principal, c'est la qualité de vie dans le métier. Or, à bien considérer les choses, on constate que le problème numéro un est celui de la motivation des élèves. En effet, lorsque vous faites un cours dans le brouhaha, tandis que les élèves parlent, vous perdez le sens de votre métier. Au lieu d'avoir le plaisir d'enseigner, vous affrontez l'épreuve terrible de vous sentir ennuyeux et inutile ! Or c'est cela que vivent des centaines de milliers de professeurs aujourd'hui. Il faut avoir le courage de le dire.
M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles. Eh oui !
M. Luc Ferry, ministre. Souvent, les enseignants n'osent pas l'avouer. Je me souviens très bien que, lorsque j'étais moi-même professeur et qu'il m'arrivait de rater un cours, c'est la dernière chose dont je me vantais auprès de mes collègues ou de mes amis. On se sent tout de suite extrêmement honteux d'avoir raté son cours. Les enseignants vivent cela très mal. Parfois, ils s'aperçoivent qu'il n'y a eu que cinq minutes de bonnes sur une heure de cours.
C'est cela que nous devons changer. J'attends beaucoup du grand débat qui a eu lieu cette année, comme des propositions que vous pourrez nous faire, ainsi que des conclusions de la commission Thélot sur ce point : comment peut-on rendre ce métier plus attractif ?
On pourrait imaginer des modalités permettant aux enseignants de travailler plus souvent à deux ou à trois.
C'est une hypothèse parmi d'autres. Il est souvent plus intéressant et, dans une certaine mesure, plus aisé de faire cours à deux. On met en place un projet éducatif et la présence d'un collègue est motivante.
Comme vous pouvez le constater, je réfléchis tout haut devant vous. J'aimerais que, à votre tour, vous nous fassiez des propositions pour améliorer les conditions d'exercice du métier d'enseignant et le rendre plus attractif. Si nous n'y parvenons pas, ne nous dissimulons pas la vérité : nous courons tout simplement à la catastrophe.
Je dirai maintenant un mot du handicap, car je ne veux pas laisser votre interrogation sans réponse, monsieur le sénateur.
Pour les AVS, deux cents heures de formation sont prévues. L'éducation nationale ne peut pas se charger de cette formation car elle n'est pas outillée pour cela. C'est la raison pour laquelle nous avons mis en place des partenariats avec plusieurs institutions spécialisées dans la formation d'éducateurs capables de prendre en charge le handicap.
Nous avons fait en sorte que cette formation soit mise en oeuvre tout de suite, mais aussi de pouvoir recruter, y compris parmi les candidats qui n'auraient pas le baccalauréat, des AVS qui seraient déjà formés dans les associations compétentes en matière de handicap.
Cela pose la question du CIVIS, car en utilisant comme assistants d'éducation des jeunes qui viennent des associations déjà formés, déjà habitués à faire ce travail, il ne faudrait pas que l'on « déshabille » ces associations. C'est pourquoi mon collègue François Fillon va mettre à notre disposition 3 000 CIVIS qui seront affectés en priorité à ces associations pour qu'elles ne soient pas déficitaires de notre fait.
Voilà qui, j'espère, monsieur le sénateur, doit répondre à vos questions. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président. La parole est à M. Pierre Martin.
M. Pierre Martin. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, le débat public sur l'avenir de l'école ayant eu lieu, c'est à présent aux parlementaires de s'exprimer pour évoquer leurs expériences et les réflexions que suscite le sujet.
Réformer, peut-être même reformer l'école, lui permettre d'évoluer pour répondre aux exigences culturelles et économiques d'une société évolutive, inquiète de l'avenir et incertaine des perspectives qui s'ouvrent à l'échelle mondiale ; rétablir la confiance dans l'école de la République afin qu'elle continue d'assurer sa mission essentielle, celle de former les citoyens de demain en jouant son rôle d'ascenseur social ; pérenniser la qualité de notre système scolaire servi par des acteurs compétents : tels sont quelques-uns des objectifs applicables à l'école sur notre territoire.
Toutefois, la réponse à apporter à des objectifs communs doit tenir compte des spécificités propres aux zones urbaines et aux zones rurales.
C'est aux spécificités de l'école rurale que je m'attacherai pour vous rapporter quelques impressions tirées de mes mandats d'élu, ainsi que de mes fonctions d'enseignant au sein du monde rural.
Il est avéré que les mutations sociodémograhiques, auxquelles il convient d'ajouter les restructurations administratives et les mesures en faveur du développement ont modifié les enjeux et les conditions de fonctionnement de l'action éducative en milieu rural.
Ainsi confronté aux défis actuels, le milieu rural veut jouer sa carte dans la compétition des territoires et rester fidèle aux valeurs de solidarité et de participation sociale qui lui sont propres.
C'est dans ce contexte qu'il lui faudra imaginer de nouveaux terrains d'apprentissage, permettant aux jeunes de mieux s'impliquer dans les réalités scolaires, économiques et culturelles.
Il devra contribuer, au niveau de ses institutions, à la lutte contre l'illettrisme et intégrer une politique scolaire dans ses politiques locales d'aménagement, tout en tenant compte de l'évolution démographique et, bien sûr, de son enveloppe budgétaire.
La scolarisation en milieu rural est un enjeu d'aménagement du territoire, pour lequel l'Etat et les collectivités locales sont devenus partenaires et codécideurs.
Indéniablement, l'école en milieu rural évolue entre exigences de gestion, souci de proximité et demande de qualité. Et la construction de l'école de demain nécessite une dynamique qui repose sur le principe d'union des compétences et de tous les acteurs.
C'est pourquoi la réussite scolaire fait appel au partage des responsabilités : celle du maître, qui n'a pas, il faut le dire, le monopole de l'éducation, qui doit pouvoir se recentrer sur son rôle et définir sa place dans la société ; celle des parents, qui doivent apporter un complément indispensable au travail du maître ; celle des élus locaux, bien entendu, et des associations.
Oui, l'éducation est l'affaire de tous, il ne faut jamais cesser de le rappeler.
Me référant au domaine sportif, je dirai simplement que nous devons tous nous mettre au service de l'équipe pour gagner, et surtout faire gagner nos enfants.
Les élèves doivent évoluer sur les meilleurs terrains éducatifs, encouragés, aidés, soutenus par leurs entraîneurs - directeurs et professeurs des écoles -, leurs managers sportifs - ministres et services départementaux -, leurs supporteurs - parents et cellule familiale. Ce sont évidemment les élèves qui forment l'essentiel de l'équipe.
Les collectivités territoriales sont aussi là, aux côtés des élèves, pour assumer leur mission de constructeur et de gestionnaire des équipements et des espaces scolaires qui permettront à l'équipe de s'entraîner pour atteindre le but et transformer l'essai.
Dans le souci de réussir ce challenge, le département de la Somme a compris la nécessité de se pencher sur le problème de la réussite scolaire, et il s'est montré innovant dans ce domaine : scolarisation organisée à la mesure du territoire, création de nouvelles structures - les regroupements pédagogiques concentrés -, implication pour la réussite scolaire.
Je sais que vous avez eu connaissance de cette expérience, monsieur le ministre. C'est pourquoi je me permets de vous poser la question de savoir si vous pensez qu'elle pourrait être étendue à tout le territoire rural, afin de servir au mieux la cause de l'éducation de l'enfant.
J'évoquerai maintenant rapidement le thème de la formation des enseignants.
Dans une société qui respire au rythme des annonces médiatiques, l'école est accusée de tous les maux : échec scolaire, chômage, violence. Ce sont autant de maux qui bousculent nos représentations sociales à valeur fondatrice : celle de l'enfance, symbole d'innocence, et celle de l'école, lieu de la découverte et du savoir.
N'accordons pas aujourd'hui par nos voix plus d'importance et de crédit aux discours alarmants ou fatalistes, mais oeuvrons efficacement pour le retour aux valeurs qui ont fait de notre système éducatif le modèle que nous enviait le monde, et clamons-le haut et fort.
C'est bien, en effet, de modèle qu'il s'agit. Une société sans modèle est une société qui végète, qui régresse et qui s'éteint.
Il ne saurait, dès lors, être question de déroger au principe premier de l'enseignement qui est d'instruire, pour que chacun puisse s'élever par le mérite, trouver sa place dans l'organisation sociale. L'enseignement n'est pas voué à s'adapter, par faiblesse ou manque de courage, au gré des crises de la société !
La réussite scolaire ne s'acquiert qu'au prix de l'excellence et, par-dessus tout, grâce à celle des enseignants, qui doivent également être des modèles, donc être bien formés.
Nous savons combien leur rôle est décisif pour l'avenir de nos enfants, et ce dès le plus jeune âge.
Un corps enseignant de haut niveau et ouvert à la remise en question conditionne son adaptation efficace aux évolutions fort complexes d'un monde en perpétuelle mutation.
Hier, hussard de la République, l'instituteur était apprécié, reconnu, respecté : il était une référence et un modèle.
Evidemment, je n'ai nul désir de revenir à un passé révolu ou de me laisser aller à la lamentation nostalgique.
Mais peut-être faut-il s'interroger sur le système qui, depuis des décennies, a détérioré l'image, la notoriété et le prestige du professeur.
Comment réhabiliter sa mission dans ce lieu de pédagogie des maîtres, l'IUFM, où nos apprentis-enseignants s'approprient un savoir abstrait sans lien consistant avec les réalités sociales, économiques et culturelles ?
L'école procède, de nos jours, d'une organisation hermétique qui fixe elle-même les programmes, décide de la finalité des études et forme les jeunes professeurs au métier.
Depuis trop longtemps, nous assistons impuissants, à une dérive faisant de l'école cette institution autarcique qui supplée la famille ainsi que tous les acteurs qui peuvent concourir à une véritable formation des enfants à la vie active. Or elle ne peut remplir seule cette mission. Si elle parvenait à mener à bien sa fonction première, qui est de dispenser le savoir et les connaissances, ce serait déjà bien !
Toutefois, on confie trop de prérogatives au professeur et on essouffle le système éducatif en voulant lui faire remplir des fonctions qui incombent à la société tout entière.
Redonnons confiance aux enseignants, des enseignants qui ont envie d'enseigner et qui feront partager leur envie aux élèves. Redonnons un sens à leur mission, en recentrant leur action, en accordant au mérite toute sa place, en restaurant leur autorité et en leur permettant de s'ouvrir plus librement à toute la société.
L'école n'est pas faite pour garder indéfiniment des jeunes dans le système scolaire. Elle doit, avec les moyens qui lui sont accordés, préparer notre jeunesse à la vie post-scolaire.
A partir de ce principe, il faut nécessairement que des relations soient nouées non seulement avec tous les partenaires intervenant dans la scolarité de l'enfant, mais aussi avec le monde qui emploie, afin de préparer cet enfant à la connaissance des métiers.
Monsieur le ministre, quel souffle nouveau comptez-vous apporter à la formation des maîtres et à son organisation, pour que ceux-ci puissent retrouver le sens de leur mission première, transmettre le savoir, et comment envisagez-vous d'ouvrir et de clarifier les relations entre tous les acteurs du système éducatif pour mieux les responsabiliser à la réussite scolaire de nos enfants ? (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry, ministre. Monsieur le sénateur, je me garderai bien de répondre à votre dernière question dans la mesure où c'est précisément celle qui est au centre du débat actuel. J'attends évidemment les conclusions de celui-ci avant de me prononcer.
En revanche, j'aborderai le problème des écoles rurales et, plus généralement, celui de la présence nécessaire du service public en milieu rural.
Voilà cinquante ans encore, l'image emblématique du village français, c'était en particulier son école et sa mairie, qui occupaient souvent un seul et même bâtiment.
Je revois la petite école où j'étais élève : la mairie était au milieu ; à droite, la classe des filles, évidemment classe unique, et, à gauche, la classe des garçons. De tels édifices, d'une belle architecture fin xixe, début xxe, ont symbolisé pendant des décennies les villages de France.
Aujourd'hui, un tiers des communes rurales n'ont plus d'école communale. La question se pose - le Premier ministre nous en a saisis, Xavier Darcos, qui est en charge de ce dossier, et moi-même - de savoir comment maintenir la présence de ce service public en milieu rural, en particulier dans les petites communes.
Nous avons choisi de mettre en place des systèmes de réseaux d'écoles.
Tout d'abord, nous avons demandé aux inspecteurs d'académie de nous indiquer le schéma territorial souhaitable.
Ensuite, la loi de décentralisation doit nous permettre d'instituer un cadre juridique adéquat. Sera en particulier instituée la fonction de coordonnateur de réseau d'écoles ce qui offrira au passage une solution au douloureux problème des directeurs d'école puisque ces coordonnateurs bénéficieront d'une décharge partielle ou totale de service.
Telle est la réponse que je puis vous apporter, monsieur Martin. Ce ne sont pas des mots : tout cela connaît un début de réalisation, que la loi de décentralisation voulue par le Premier ministre, Jean-Pierre Raffarin, nous permettra de poursuivre.
M. le président. La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck. Le grand débat national sur l'avenir de l'école prend aujourd'hui un nouveau tournant. Les réunions publiques organisées sur l'ensemble du territoire national viennent de prendre fin. Elles ont permis à un grand nombre de nos concitoyens, pour la première fois - grâce à vous, monsieur le ministre -, de s'exprimer directement, avec l'assurance de voir leurs remarques relayées et prises en compte.
Nous entrons désormais dans une phase de synthèse des différentes réunions et c'est dans ce contexte que la représentation nationale est aujourd'hui réunie pour apporter sa contribution à ce grand débat.
Dans cette perspective, je tiens à aborder la problématique récurrente de la violence scolaire, quinzième des vingt-deux thématiques proposées par la commission Thélot. Cette question demeure l'une des plus préoccupantes, et les chiffres en témoignent puisqu'elle se classe en deuxième position sur la grille de répartition des vingt-deux sujets traités dans les réunions publiques.
Le phénomène de violence au sein des établissements scolaires est apparu comme un problème majeur pour l'éducation nationale dès le milieu des années quatre-vingt-dix. Lorsqu'on est élu d'un département confronté de très près à cette réalité - la Seine-Saint-Denis, pour ce qui me concerne -, on ne peut que s'en inquiéter davantage.
Les chiffres sont éloquents. Malgré les divers plans de lutte contre la violence à l'école mis en place en une décennie, les actes de violence n'ont pas cessé puisqu'on en a recensé plus de 81 000 au cours de l'année scolaire 2001-2002. Même si l'on a constaté une baisse en 2002-2003, avec environ 72 000 faits de violence enregistrés, ce chiffre reste alarmant, d'autant que 40 % de l'ensemble des faits sont signalés par 10 % des établissements.
Cette baisse n'est pas due au hasard. Dès la rentrée scolaire de 2002, monsieur le ministre, vous vous êtes engagé dans une lutte active contre ce phénomène. C'est ainsi qu'ont été mis en place divers dispositifs tels que les contrats de vie scolaire, les livrets des devoirs et des droits qu'ont été créés des classes et des ateliers relais, qui accueillent de façon temporaire les élèves en voie de rupture avec l'école. On peut encore citer le développement de certaines sanctions telles que la pratique de l'exclusion-inclusion, qui permet à un élève sanctionné de rester dans l'enceinte de l'établissement afin d'y effectuer des tâches scolaires ou d'intérêt collectif.
Cette liste non exhaustive des mesures que vous avez engagées pour lutter contre ce phénomène témoigne de l'importance des moyens mis en oeuvre pour enrayer cette réalité, qui manifeste une rupture entre de nombreux jeunes et l'école.
Il est d'ailleurs significatif que des actes de violence soient constatés jusque dans les classes de maternelle. Les témoignages d'enfants en bas âge agressés sont malheureusement là pour l'attester.
Les actions globalement très positives engagées par le Gouvernement ont vocation à être complétées afin que l'école redevienne un lieu d'apprentissage, au sein duquel enseignants et élèves se respectent et ne voient pas leurs activités perturbées par des menaces en tout genre. C'est dans cette perspective que vous travaillez, monsieur le ministre, axant votre action tant sur l'aspect de la prévention que sur celui de la sanction, et les mesures que vous avez adoptées donnent des résultats encourageants.
En effet, si l'on prend un département comme la Seine-Saint-Denis, on constate une apparente augmentation des actes de violence. Mais l'agrégation statistique masque ici une réalité tout autre : les agressions sont majoritairement verbales. Dans les autres catégories d'agressions, on observe au contraire une baisse.
Cela pose la question de la fiabilité de l'outil statistique, qu'il faudrait normaliser avec les chefs d'établissement, afin de donner une réponse plus efficace aux problèmes qu'ils rencontrent.
Cependant, la situation demeure préoccupante sur de nombreux points, au premier rang desquels on peut citer le racisme en milieu scolaire, qui manifeste une montée des communautarismes, que nous combattons tous.
Il ressort de la consultation du terrain que des améliorations pourraient être apportées, notamment en terme de coordination entre le ministère de l'intérieur et le ministère de l'éducation nationale.
En effet, même si les fonctionnaires entretiennent aujourd'hui d'excellentes relations, les uns travaillent avec des informations émanant des commissariats et les autres à partir des signalements. Il est donc nécessaire de rapprocher les informations relatives aux jeunes délinquants.
Il apparaît trop souvent aussi que le corps enseignant n'est pas informé des suites données à des actions en justice, ce qui donne l'impression que rien n'est fait. Il serait bon qu'un système de retour, avant ou après l'instruction, à un moment qui reste à déterminer, soit mis en place afin d'effacer ce sentiment d'inefficacité de l'appareil judiciaire.
Sur la question de l'origine de cette violence, il apparaît que celle-ci se reporte dans une large mesure du quartier à l'enceinte de l'établissement scolaire. Autrement dit, la délinquance de la rue pénètre dans l'école, notamment dans les établissements situés dans des quartiers difficiles, certains résistant mais d'autres subissant. Il faut trouver les causes de cette disparité et, en tout cas, insister sur les acteurs extérieurs à l'école.
Dans ce cadre, ne faudrait-il pas, monsieur le ministre, favoriser davantage encore les actions concertées avec la RATP, la SNCF ou encore la police nationale ?
Par ailleurs, juguler le phénomène de violence scolaire passera inévitablement par un renforcement de l'autorité des personnels enseignants et d'encadrement, et surtout par un soutien sans faille, fort et massif, de la hiérarchie vis-à-vis des chefs d'établissement amenés à prendre des sanctions disciplinaires.
Monsieur le ministre, bien que les travaux de synthèse débutent à peine, je me permets de vous demander quelles pistes on pourrait imaginer dans la lutte contre la violence scolaire et quel bilan on peut dès à présent tirer des différentes mesures entrées en vigueur dès la rentrée 2003, pour que notre école redevienne l'école de la République, celle de l'égalité des chances. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry, ministre. Monsieur le sénateur, vous avez posé une très grande question. Je disais tout à l'heure qu'il y avait deux questions majeures : celle du recrutement des professeurs, pour remplacer les départs à la retraite d'ici à 2010, et celle, tout aussi importante à mes yeux, de l'autorité et de la violence dans les établissements, mais surtout autour des établissements. J'en ajouterai une troisième, dont nous aurons peut-être l'occasion de reparler, celle de la pédagogie du travail.
S'agissant de l'autorité et de la violence, car ces deux aspects sont inséparables, je crois que nous avons fait un grand progrès par rapport à la fin des années quatre-vingt, lorsque a été élaborée la loi d'orientation : tout le monde maintenant a conscience du problème, personne ne le nie plus.
Autrefois, dès que vous prononciez le mot « autorité », dès que vous parliez de violence à l'école, vous vous exposiez à entendre le discours rituel de la gauche stigmatisant les prétendus fantasmes sécuritaires de la droite et niant la réalité des problèmes de violence.
M. Jacques Oudin. Très bien !
M. Jean-Claude Carle. Absolument !
M. Luc Ferry, ministre. Aujourd'hui, tout le monde sait qu'il ne s'agit pas de fantasmes et que c'est même le problème numéro un. C'est en cela que je parle d'un grand progrès.
C'est aussi, d'ailleurs, une des raisons pour lesquelles c'est aujourd'hui la droite qui a des idées sur l'école, alors que la gauche en est largement privée. Pardon de dire les choses comme je les pense, mais je crois que c'est la réalité. (Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Jacques Oudin. Ne vous excusez pas, monsieur le ministre !
M. Luc Ferry, ministre. En tout cas, il s'agit d'un sujet de fond, sur lequel on ne peut pas faire de démagogie.
Il existe, dans la société actuelle, trois types d'autorité.
Il y a d'abord ce que l'on peut appeler l'autorité traditionnelle, c'est-à-dire celle qui découle de la place qu'on occupe dans une hiérarchie. C'est l'autorité, par exemple, d'un militaire en fonction de son grade. Cette forme d'autorité, à l'évidence, ne fonctionne plus aisément dans le cadre du système scolaire.
Il y a ensuite ce que l'on appelle l'« autorité naturelle », en admettant qu'on parvienne à la définir. On ne peut guère compter dessus quand on a 940 000 professeurs et que peut-être seulement 10 % d'entre eux possèdent cette fameuse « autorité naturelle ». Quid des 90 % restants ? Après tout, il n'est pas en soi condamnable d'être dépourvu d'« autorité naturelle ».
Enfin, il y a l'autorité contractuelle, c'est-à-dire le fait qu'un contrat s'impose aux parties prenantes. Cela vaut pour les citoyens, mais cela ne vaut pas pour les enfants. Les enfants ne sont pas dans une situation où les adultes contractent avec eux. Même si on leur fait rédiger les règlements intérieurs, il n'y a pas de contrat à proprement parler entre des adultes et des enfants. D'ailleurs, il ne doit pas y en avoir.
Par conséquent, nous devons, aujourd'hui, réfléchir sérieusement au problème nouveau qui est de savoir quelles sont les sanctions adaptées à l'autorité que nous voulons, car il n'y a pas d'autorité sans sanction. Dire le contraire serait de la démagogie.
Voilà pourquoi j'étais sensible à ce que vous disiez, monsieur Demuynck, sur la nécessité de nous intéresser - j'espère que le grand débat en fournira l'occasion - aux nouvelles sanctions qui apparaissent : les inclusions-exclusions, par exemple.
Il est clair que, dans certains collèges, quand vous dites à un gamin qu'il est renvoyé trois jours, il répond : « Merci, monsieur ! Pourquoi pas quinze ? »
M. Jean-Claude Carle. Exactement !
M. Luc Ferry, ministre. Nous, nous étions consternés à l'idée d'être renvoyés du lycée. C'était une catastrophe dans la famille ! Aujourd'hui, dans certains établissements et dans certains milieux, ça fait rire ! Devant cela, évidemment, nous sommes désarmés. Quand vous infligez des heures de colle, les enfants ne les font pas !
Il faut donc que nous réinventions la sanction.
En attendant les résultats de ce grand débat, nous ne restons pas les bras croisés. Nous avons pris le parti de mettre en place, pour les enfants les plus difficiles, des systèmes de « délocalisation », si je puis dire, avec des classes-relais, mais surtout des ateliers-relais : leur nombre passera de quinze, à mon arrivée à la tête de ce ministère, à cent soixante-cinq à la rentrée prochaine. Voilà juste un exemple de ce que nous faisons.
Je ne dis pas disposer de la totalité de la solution, loin de là ! J'attends donc beaucoup de ce débat et des propositions que pourront faire les professeurs et les chefs d'établissement, qui ont l'expérience et doivent nous éclairer. Si de bonnes idées voient le jour, vous pourrez compter sur moi pour les généraliser. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. Louis Duvernois.
M. Louis Duvernois. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, je m'associe aux remerciements des précédents orateurs à l'adresse de M. Christian Poncelet, président du Sénat, et de M. Jacques Valade, président de la commission des affaires culturelles, qui ont souhaité que ce débat sur l'avenir de l'école ait lieu dans l'hémicycle. Il s'agit d'un débat national qui part de l'idée que nous sommes à la fin d'un cycle de notre système éducatif et que nous devons établir, pour reprendre votre expression, monsieur le ministre, « un nouveau contrat entre l'école et la nation ».
S'agissant de ce défi à relever, vous avez dit, que « c'est ensemble qu'il nous faut prouver que l'action est possible ».
Ensemble ! Le mot ne laisse pas indifférents les Français établis hors de France, ainsi que celles et ceux, de toutes origines, qui ont choisi de scolariser leurs enfants dans notre réseau éducatif française présent sur les cinq continents.
« Ensemble » doit être compris au sens de « les uns et les autres », mais aussi au sens d'« aller ensemble », en s'harmonisant.
Je suis reconnaissant au ministre délégué à l'enseignement scolaire, M. Xavier Darcos, d'avoir accepté en votre présence, et sur ma demande, l'élargissement du débat aux écoles et aux lycées français à l'étranger, le 4 juillet dernier, devant la commission des affaires culturelles du Sénat.
Je ferai deux observations.
Tout d'abord, alors que le débat se termine, je souhaite souligner la participation attentive des acteurs et des usagers de notre système éducatif, tant dans les pays en voie de développement où notre présence est ancienne que dans de nouveaux pays émergents où nos intérêts nationaux sont croissants, comme la Chine.
La mondialisation et les désarrois qu'elle entraîne souvent auprès des Français n'édulcorent en rien l'originalité et la vitalité des contributions de ces parents d'élèves de l'étranger, qui font confiance à notre système éducatif sans pour autant, bien sûr, le plébisciter globalement.
Par ailleurs, il est nécessaire de prendre en compte, dans la synthèse à venir, les interventions et les remontées venant des réseaux de l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger, de la Mission laïque française et des écoles membres de l'Association nationale des écoles françaises à l'étranger. Ces remontées argumentées viendront certainement enrichir l'élaboration de la loi d'orientation sur l'avenir de l'école prévue pour l'automne 2004.
La participation de ces réseaux éducatifs à ce grand débat aura apporté un air du large détonant dans la tendance de frilosité hexagonale. Lier les préoccupations pédagogiques des enseignants et des familles, y compris des familles d'enfants handicapés trop oubliées à l'étranger, à des situations relevant de la mobilité professionnelle et aux flux migratoires qui s'ensuivent hors du territoire national est un exercice singulier mais valorisant pour la collectivité nationale.
Si la France souhaite maintenir son influence internationale, il est impératif qu'elle procède à une adaptation de son enseignement au sein de coopérations renforcées entre établissements de France et établissements reconnus à l'étranger par le ministère de l'éducation nationale.
Voici quelques exemples de cette adaptation souhaitée.
Premier exemple, il faut développer la capacité des réseaux à assumer une mission de service public d'enseignement à l'étranger afin de tirer le meilleur parti académique, en France, de l'insertion de nos établissements dans un contexte linguistique et culturel étranger.
L'affirmation de cette ouverture peut être à la fois un double facteur : d'abord, un facteur de préparation de qualité pour des élèves appelés à devenir des acteurs ou des médiateurs privilégiés pour des échanges entre la France et des pays partenaires ; ensuite, un facteur de cohérence dans la politique de promotion du plurilinguisme et de la diversité culturelle que la France a inscrite dans sa politique étrangère.
Les projets des établissements situés en Europe doivent, de ce point de vue, faire l'objet d'une attention particulière : la construction d'un espace éducatif européen nécessite une action conduite au niveau de chaque établissement, de chaque pays, lorsqu'il existe des établissements français, sur le rôle que les écoles et lycées peuvent jouer pour contribuer à la mobilité communautaire, notre horizon immédiat, et au développement des échanges entre systèmes d'éducation.
Je reconnais qu'il nous faut parallèlement gagner l'opinion publique en France à la cause du plurilinguisme, par la diffusion permanente d'une large information en direction des élèves, de leurs familles et des responsables de l'éducation.
L'objectif est bien de restaurer une image plus authentique de l'apprentissage des langues et de faire prendre conscience que le choix des langues est une « stratégie de distinction » sur le plan tant professionnel que personnel.
La seule maîtrise de l'anglais n'est pas suffisante. Il est inquiétant de constater que, au fil de la généralisation de cet enseignement en France, la part de l'anglais va croissant : près de 80 % des élèves apprennent l'anglais, alors qu'ils sont moins de 15 % à avoir choisi l'allemand, la langue de notre premier partenaire.
En outre, la part dévolue aux langues de l'immigration, à l'arabe en particulier, n'est que marginale alors même que des enjeux identitaires et politiques plaident en faveur d'une offre importante.
Nos établissements français à l'étranger, monsieur le ministre, ont acquis une expérience linguistique appréciable. Le temps est venu d'établir des coopérations entre établissements, à l'étranger et en France, pour inscrire cette dimension internationale et interculturelle au coeur des enseignements.
L'avenir de l'école française passe aussi par ces nouvelles coopérations, conçues avec l'appui du ministère des affaires étrangères, et dont il faudra bien, un jour ou l'autre, se rendre compte que seule une action interministérielle concertée entre le ministère de l'éducation nationale, le ministère du budget et le ministère des affaires étrangères favorisera la synergie et le développement.
Second exemple, il faut mettre rapidement au point un baccalauréat international optionnel, tenant compte des spécificités de l'enseignement à l'étranger.
Force est d'admettre la montée en puissance du baccalauréat international, dit « de Genève », produit marketing construit sur le modèle du système éducatif anglo-saxon.
La double délivrance à l'étranger du baccalauréat français et du baccalauréat international à la française permettrait, en outre, d'intensifier la coopération en matière d'échanges et de formation des enseignants, notamment des assistants de langue, de développer des jumelages entre des collèges et des lycées français à sections européennes et internationales, entraînant ensuite un accueil organisé en internat des Français de l'étranger et des étrangers en France pour qu'il puissent poursuivre leurs études supérieures.
Le ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche a-t-il des projets en ce sens ?
Somme toute, il serait regrettable que ces nouvelles « fenêtres d'opportunité » soient exclues de l'ensemble de la synthèse des consultations tenues pour préparer l'avenir de l'école, un avenir non limité aux seules considérations pédagogiques fondamentales certes, mais qui relève également d'une grande ambition nationale, dans un monde où la réussite scolaire est indispensable et plus difficile à obtenir.
Enfin, je voudrais souligner la participation spécifique des établissements français à l'étranger aux auditions de la commission Stasi sur la laïcité, en décembre dernier, à Paris.
Cet autre débat national, non moins essentiel que celui sur l'école, voulu par le chef de l'Etat, M. Jacques Chirac, a ainsi permis aux commissaires d'apprécier toute la diversité des points de vue exprimés par des enseignants et des élèves des lycées français de Prague, de Vienne, de Rome, de Tunis, d'Ankara et de Beyrouth, avant que ne s'exprime maintenant la volonté nationale.
C'est bien ensemble que nous réussirons. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry, ministre. Monsieur le sénateur, le Président de la République a fait de l'enseignement des langues vivantes une préoccupation prioritaire pour le ministère de l'éducation nationale.
Nous étudions actuellement le rapport exellentissime qui nous a été remis par votre collègue M. Legendre et qui comporte un certain nombre de recommandations extrêmement importantes et intéressantes.
D'une manière générale, avant d'en tirer les conclusions plus après, je note que l'enseignement dans la langue, pour un certain nombre de raisons que je ne développerai pas maintenant, est de très loin plus efficace que l'enseignement des langues. Par conséquent, il faut développer, comme vous le rappeliez très justement, les sections européennes et les sections internationales.
Par ailleurs, il n'y aura pas de diversification de l'apprentissage des langues au-delà de l'anglais sans qu'une politique volontariste soit menée dans certaines académies. C'est pourquoi, dès cette année, nous avons mis en place dans trois académies une politique volontariste, destinée notamment à ce que les élèves apprennent davantage l'allemand puisque, des deux côtés du Rhin, la langue du partenaire est aujourd'hui en déclin.
En ce qui concerne les lycées français à l'étranger, on me dit souvent que le ministère de l'éducation nationale ne s'implique pas suffisamment dans l'enseignement français à l'étranger. L'une des difficultés auxquelles nous sommes confrontés tient au fait que la tutelle, que nous ne revendiquons d'ailleurs pas, appartient, en termes de gestion, notamment de gestion financière, au ministère des affaires étrangères, alors que le ministère de l'éducation nationale gère l'aspect pédagogique. D'ailleurs, la présence des inspecteurs de l'éducation nationale dans les lycées français à l'étranger est tout à fait égale à ce qu'elle est sur le territoire français, voire un peu plus élevée.
Nous sommes évidemment tout à fait prêts à faire plus pour l'enseignement français à l'étranger afin d'aider l'Agence pour l'enseignement français à l'étranger.
Il conviendrait - et je vous le propose très clairement - d'organiser une réunion à trois entre le ministre des affaires étrangères, le ministre de l'éducation nationale et vous-même pour essayer enfin d'avancer ensemble sur ce dossier qui revient de manière lancinante à chaque occasion : nous pourrions ainsi dresser la liste des problèmes, hiérarchiser les questions et avancer de manière concrète et pragmatique par rapport aux difficultés qui sont réelles, mais à propos desquelles nous sommes tout à fait prêts à montrer notre bonne volonté et à agir dans le bon sens (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président. Monsieur le ministre, mes chers collègues, nous voilà arrivés au terme de ce débat. Je tiens tout d'abord à remercier M. le ministre de s'être prêté à l'exercice difficile des questions et des réponses : les questions abordées étant extrêmement diverses, cet exercice nécessite tant une connaissance approfondie des sujets qu'une grande agilité d'esprit pour répondre rapidement et synthétiquement.
Ce débat a été, je crois, intéressant.
M. Luc Ferry, ministre. Très intéressant !
M. le président. Permettez-moi, avant de constater sa clôture, de saluer dans nos tribunes la présence de M. Claude Thélot, président de la commission du débat national sur l'avenir de l'école, qui a assisté à tout notre débat : je suis persuadé qu'il y a pris intérêt et qu'il en tirera profit.
Je lui rappelle que M. le président du Sénat s'est félicité, tout à l'heure, que la commission puisse tenir ses réunions dans nos murs.
Le débat est clos.