M. le président. Je suis saisi, par Mme Beaufils, M. Coquelle, Mmes Didier et Terrade, M. Le Cam et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, d'une motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Cette motion est ainsi rédigée :
« En application de l'article 44, alinéa 3, du règlement, le Sénat décide qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la délibération sur le projet de loi relatif aux obligations de service public des télécommunications et à France Télécom (n° 421, 2002-2003). »
Je rappelle que, en application de l'article 44, alinéa 8, du règlement du Sénat, ont seuls droit à la parole sur cette motion l'auteur de l'initiative ou son représentant, pour quinze minutes, un orateur d'opinion contraire, pour quinze minutes également, le président ou le rapporteur de la commission saisie au fond et le Gouvernement.
En outre, la parole peut être accordée pour explication de vote, pour une durée n'excédant pas cinq minutes, à un représentant de chaque groupe.
La parole est à Mme Marie-France Beaufils, auteur de la motion.
Mme Marie-France Beaufils. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, jamais un gouvernement n'avait mené avec autant de détermination et d'acharnement la destruction systématique de nos services et de nos entreprises publics. (Protestations sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Borvo. Quand elles sont performantes, on les privatise !
Mme Marie-France Beaufils. Jamais un gouvernement n'avait entrepris, de façon aussi chirurgicale, le découpage, élément par élément, de nos entreprises créées, pour la plupart, après la Seconde Guerre mondiale pour reconstruire notre pays.
Vous laisserez dans la conscience collective l'empreinte d'un gouvernement aveuglé par un dogmatisme aussi étroit que destructeur (Nouvelles protestations sur les mêmes travées), ayant bradé en quelques mois un patrimoine national conquis et construit par les luttes démocratiques de notre peuple.
Vous n'avez épargné aucun moyen, depuis un peu plus d'un an, pour justifier la livraison de pans entiers du secteur public au secteur privé et, en particulier, pour discréditer France Télécom.
Vous avez utilisé la commission d'enquête sur la situation financière des entreprises publiques de l'Assemblée nationale pour mettre en application le proverbe populaire selon lequel « lorsque l'on veut tuer son chien, on l'accuse de la rage ».
France Télécom serait l'exemple même, d'après vous, d'une entreprise dans laquelle la présence de l'Etat aurait été « une cause de la crise financière ». Qu'en est-il réellement ?
Tout le monde s'accorde à constater que les premières difficultés sont apparues avec l'acquisition d'entreprises en Europe et dans le monde à des prix faramineux. Plus de 100 milliards d'euros ont été dépensés ; pour l'achat, par exemple, de Mobilcom et de NTL, avec un seul objectif à l'époque : la croissance financière et non le développement industriel de l'entreprise.
C'est avec l'ouverture du capital que l'entreprise s'est développée à l'échelon international comme n'importe quelle entreprise capitaliste, avec un management identique, et ce dans une situation de crise boursière.
Or, loin de renforcer l'entreprise, cette stratégie d'expansion irraisonnée n'a fait que la fragiliser en l'endettant de 68 milliards d'euros, en provoquant des pertes à hauteur de 20 milliards d'euros et des frais financiers de l'ordre de 4 milliards d'euros.
Si l'entreprise offre encore aujourd'hui quelques gages de stabilité, c'est essentiellement parce que l'Etat est toujours présent. Vous dites que vous avez le souci de crédibiliser l'entreprise, mais c'est pour la rendre plus présentable auprès des marchés financiers et ainsi pour mieux la vendre.
On pouvait penser qu'après une analyse lucide de la situation vous décideriez de renforcer le caractère public de France Télécom pour parfaire son redressement et lui permettre de s'engager avec efficacité dans les défis technologiques qui l'attendent. Or vous persistez et signez dans la voie du libéralisme le plus extrême en proposant, à travers ce projet de loi, la privatisation totale de l'entreprise.
Comment se traduit la privatisation partielle engagée en 1996 ? Comment l'usager, requalifié client, ressent-il ces changements ?
Les tarifs, selon vous, grâce à la concurrence, auraient baissé. Les particuliers ont plutôt assisté à une forte hausse, tous services confondus. Ainsi, entre 1995 et 2003, les tarifs de mise en service téléphonique ont augmenté de 89 % et ceux de l'abonnement du téléphone fixe de 86 %. La seconde prise et les interventions de dépannage, jusqu'alors gratuites, sont maintenant facturées respectivement 46 euros et 68 euros, le moindre retard de paiement étant quant à lui facturé 9,48 euros.
Ce sont essentiellement les coûts des communications « longue distance » qui ont baissé sur les axes de trafic fortement utilisés, tel l'axe Europe-USA. Cette baisse s'est accompagnée d'un « rééquilibrage » tarifaire au détriment de la grande masse des usagers. Les tarifs des communications locales n'ont pas intégré les gains de productivité et ont donc subi une hausse relative d'autant plus escamotable qu'elle s'est accompagnée d'une modification du système de tarification. Cette nouvelle tarification est non seulement inégale mais surtout peu transparente.
Le service au client est très sélectif : priorité est donnée au client important, que ce soit pour la vente, le traitement des dérangements ou les mises en service.
Les équipes d'interventions urgentes ont été supprimées deux mois avant la tempête de 1999, ce qui a entravé la reconstruction du réseau, malgré les prouesses réalisées par les personnels, qui ont montré ainsi leur attachement au service public. En outre, des incidents techniques ont coupé le réseau téléphonique en août et septembre derniers. Les restructurations de l'entreprise commencent à faire sentir leurs effets !
Les critères de gestion conduisent l'entreprise à percevoir le service public comme un minimum : la téléphonie n'en fait pas partie, ni l'Internet rapide, ce qui conduit à des zones suréquipées parce que fortement concurrentielles, et à d'autres zones jugées non rentables, où on demande aux collectivités locales de participer au financement.
Les salariés sont également sacrifiés à chaque nouvelle étape de la déréglementation.
Le plan Top a pour objectif le remodelage de l'entreprise en vue de sa seule rentabilité financière, en dégageant 15 milliards d'euros de cash-flow en trois ans grâce à une réduction de tous les coûts d'exploitation - emploi, investissement, recherche... - et à une pression accrue sur les usagers les plus captifs de France Télécom.
Le développement de la précarité, les suppressions d'emploi dans un secteur en pleine expansion s'accompagnent d'une forte dégradation des conditions de travail : la mise en place d'un nouvel outil de management, la performance individuelle comparée, qui vise à mesurer la performance de chaque salarié de France Télécom, avec un arsenal de sanctions à la clef, a conduit la direction à mettre en place une commission stress à l'échelon national compte tenu des conséquences sur le personnel.
Nous pensons, quant à nous, que les dégâts sont suffisamment importants. N'attendons pas que la situation soit irréversible. La privatisation totale est, à notre avis, la source de tous les déclins.
Dans un autre domaine, l'exemple récent de la panne d'électricité aux Etats-Unis devrait nous faire tous réfléchir, sans préjugé particulier. Le 14 août de cette année, 50 millions d'habitants de la côte est des Etats-Unis et du Canada ont attendu et erré pendant trente-neuf heures avant que la situation ne se rétablisse.
La région touchée par la panne générale du 14 août est habituée aux coupures, qui se sont multipliées depuis la déréglementation engagée en 1999. Les effets dévastateurs de ces processus de déréglementation-privatisation sont avant tout provoqués par les économies à tout prix, y compris sur les systèmes de sécurité, qui ne sont pas entretenus, comme l'a reconnu l'entreprise lors de la panne américaine.
Afin de prévenir tout risque lié à ces processus, avec mon groupe nous demandons la création d'une commission d'enquête sur les conséquences des déréglementations des secteurs des télécommunications, des services postaux, du transport et de l'énergie.
Sans un tel rapport, qui dresserait le bilan des expériences des déréglementations et des politiques de privatisation et de leurs conséquences véritables au regard du respect des missions de service public, aucun sénateur ne dispose des éléments objectifs pour engager sans risque l'avenir des télécommunications dans notre pays. C'est pourquoi nous en appelons à la sagesse de nos collègues pour rejeter ce projet de loi et son caractère aventureux.
A travers la déréglementation des services publics, quel que soit le secteur, monsieur le ministre, vous privilégiez le court terme au détriment des besoins futurs, au détriment de la sécurité des usagers.
Les autorités de régulation mises en place sont totalement inefficaces pour veiller à la qualité des services rendus. L'ART, l'Autorité de régulation des télécommunications, est aujourd'hui dans l'impossibilité de comparer les prix des opérateurs de téléphonie mobile et n'a aucun moyen d'empêcher les ententes.
Votre ambition est d'imposer le marché dans les secteurs où il n'existait pas du fait de la présence d'entreprises publiques, en déclenchant des batailles boursières, en exacerbant la sacro-sainte concurrence, qui s'impose ainsi face au principe du partenariat, et en suscitant de très importantes concentrations capitalistiques, qui ne sont que la reconstitution de véritables monopoles mais, cette fois, privés.
Les effets de cette politique sont catastrophiques sur l'emploi. Selon les syndicalistes américains, l'effondrement des télécoms aux Etats-Unis dans le cadre de la déréglementation a coûté, en 2000, 200 000 emplois, auxquels il faut ajouter, en 2002, les 100 000 emplois qui ont disparu à Worldcom. Or le projet de loi que vous nous présentez aura les mêmes effets puisque les mêmes causes en seront à l'origine, à savoir la libéralisation poussée à son extrême.
Vous présentez ce choix de société comme indiscutable et vous vous fondez sur des postulats véhiculés dans le cadre de la mondialisation libérale. Vous supposez a priori que les sociétés sont « naturellement » harmonieuses, qu'elles ont un fonctionnement « spontané » et que, en conséquence, tout ce qui vient réglementer pour mieux maîtriser les marchés, tel que des droits nouveaux pour les salariés des entreprises publiques ou certaines interventions de l'Etat, dérange « l'ordre des choses ».
Pour faire passer la privatisation, vous utilisez le prétexte des directives européennes. Le projet de loi que vous présentez aujourd'hui prend appui sur ces directives, et vous prétendez qu'elles vous obligent à privatiser. Or à aucun moment les différentes directives n'imposent un choix concernant la structure juridique des entreprises.
La directive du 16 septembre 2002 relative à la concurrence dans les marchés des réseaux et des services de communications électroniques reconnaît que « les pouvoirs publics peuvent exercer une influence dominante sur le comportement des entreprises publiques, du fait des règles statutaires ou de la répartition des actions ».
Une lecture très libérale de cette directive vous fait dire que les attributions ne peuvent se faire que par appel à candidatures, alors que l'Etat a le pouvoir de désigner une seule entreprise, en l'occurrence celle qui existe aujourd'hui et qui peut très bien, seule, remplir la mission de service public.
Nous demandons que le Gouvernement désigne clairement France Télécom seul opérateur chargé du service public. C'est la seule entreprise capable de remplir cette mission, qu'elle assure depuis sa création, pour répondre correctement à ces exigences sur tout le territoire national.
Que représente ce projet de loi dans le processus de libéralisation ? Comme à chaque réforme que vous voulez imposer, vous utilisez la gravité des difficultés financières pour faire passer les solutions les plus libérales. Vous vous inscrivez dans une conception d'ouverture totale à la concurrence de l'ensemble des services publics et vous devancez ainsi le cycle de négociations de l'AGCS, l'accord général sur le commerce des services.
La convention présidée par Valéry Giscard d'Estaing laisse peu de place aux services publics et les relègue dans une annexe sous le titre « Services d'intérêt général ». Le Livre vert sur les services d'intérêt général publié par la Commission européenne, s'il éprouve quelques difficultés à justifier les déréglementations, ne va pas plus loin dans cette voie et vous laisse le champ libre.
Votre zèle pour la cause libérale, monsieur le ministre, qui mest confirmé par ce projet de loi, permettra de parachever et d'accélérer la déréglementation en cours.
Vous supprimez l'article 1-1 de la loi du 3 juillet 1990 relative à l'organisation du service public de la poste et des télécommunications.
Avec ce projet de loi, vous transformez cette entreprise nationale en une société anonyme ordinaire, au prix de cessions d'actifs, d'une forte mobilisation de liquidités, d'une aggravation de la fracture numérique, d'un affaiblissement de l'emploi, de la recherche, du développement des capacités humaines de l'entreprise et de son avenir.
La privatisation va aggraver les inégalités de traitement sur le territoire.
Votre hyperlibéralisme vous amène à ne plus vous satisfaire des directives européennes. A la coopération possible entre les opérateurs, vous préférez la mise en concurrence des entreprises. Un tel choix risque d'entraîner une redéfinition de très bas niveau du service public.
Alors que la directive européenne laisse aux Etats la possibilité d'élargir le contenu du service universel, votre projet de loi réduit son périmètre au strict minimum, c'est-à-dire à l'accès au téléphone fixe, aux appels d'urgence, à l'annuaire des pages blanches, aux services de renseignements et aux cabines téléphoniques, délaissant ainsi le haut débit et les fréquences Internet.
S'il est vrai que les directives européennes ont pour objectif l'ouverture à la concurrence et une libéralisation plus importante de l'économie, il n'en reste pas moins que vous n'en faites la lecture qu'à travers le prisme de l'ultralibéralisme et que leur application zélée dépasse bien souvent les frontières de l'extrapolation.
Comme ce cadre législatif européen ne vous satisfait pas intégralement, vous avez, dès votre arrivée au pouvoir, entamé le morcellement de la République avec la loi constitutionnelle sur l'organisation décentralisée de la République. Dès la semaine prochaine, vous souhaitez parachever la mise en place concrète des transferts de compétences avec le projet de loi relatif aux responsabilités locales.
Vous placerez ainsi les collectivités locales dans une situation telle qu'elles ne pourront plus assumer leurs responsabilités vis-à-vis de leurs habitants. Elles seront ainsi amenées à confier à des entreprises privées les services aujourd'hui assurés par le secteur public. C'est, là aussi, une façon détournée de restreindre le champ d'intervention du secteur public.
Comme le statut de l'entreprise publique vous est insupportable, celui de ses salariés vous exaspère encore plus, et vous souhaitez ainsi le transformer par des voies qui manquent de clarté.
D'abord, vous supprimez le caractère national de l'entreprise et l'obligation pour l'Etat de détenir directement ou indirectement plus de la moitié de son capital, ce qui vous évite de respecter l'avis du Conseil d'Etat de 1993, qui justifiait par cette détention du capital le maintien en activité des fonctionnaires à France Télécom.
Ensuite, en favorisant une majorité d'actionnaires privés dans l'entreprise, l'objectif ne sera plus de caractère industriel mais sera recentré sur le volet financier et on peut craindre pour l'ensemble du personnel ce qui s'est passé aux Etats-Unis, où des licenciement de grande ampleur ont été décrétés.
Par ailleurs, vous favorisez les modes de représentation hybrides qui feront dépendre les fonctionnaires des règles du secteur privé. On ne peut que partager l'inquiétude de ces salariés.
Enfin, vous prévoyez un bilan en 2019, époque à laquelle il ne restera plus que 25 % des fonctionnaires. Il est d'autant plus difficile d'envisager ce qu'ils seront devenus d'ici là que tout recrutement de fonctionnaire est interdit depuis le 1er janvier 2002 et qu'aucun n'est intervenu depuis 1999.
Votre projet de loi, monsieur le ministre, n'est justifié par aucune considération de caractère économique objectif, il n'est le fruit que de postulats à caractère purement idéologique.
Je vous fais part d'une citation que je livre à votre réflexion : « En règle générale, des entreprises privées en concurrence entre elles peuvent s'acquitter de certaines tâches. Tel est le raisonnement qui fonde la privatisation d'activités et d'entreprises gérées par l'Etat en branches et en firmes privées. [...] Malheureusement, le FMI et la Banque mondiale ont traité de ces questions d'un point de vue étroitement idéologique : il fallait privatiser vite. [...] C'est pourquoi, souvent, les privatisations n'ont pas apporté les bienfaits promis. Et leur échec, par les problèmes qu'il a créés, a répandu l'hostilité contre l'idée même de privatisation. » C'est Joseph Stiglitz, prix Nobel d'économie et ancien vice-président et économiste en chef de la Banque mondiale, qui s'exprime ainsi dans son livre La Grande Désillusion.
Je pense donc qu'il n'y a pas lieu de poursuivre la discussion de ce projet de loi. L'heure est plus à l'amélioration de l'intervention de France Télécom et à l'élaboration d'un véritable projet industriel, afin que cette entreprise ait la capacité d'assurer ses missions de service public sur tout le territoire national. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, il faut d'abord savoir ce que l'on entend par « service public ». Le service public, ce n'est ni un statut d'entreprise ni un statut du personnel. Le service public, c'est une prestation d'intérêt général, assurée au citoyen dans le respect d'un certain nombre de principes que sont les principes d'égalité, de continuité, d'universalité et d'adaptation.
Mme Nicole Borvo. C'est vrai !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Les transports collectifs urbains sont majoritairement assurés par des entreprises privées.
M. Pierre Hérisson. Absolument !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Le service de l'eau l'est aussi !
M. Robert Bret. A quel prix !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Il y a eu moins de coupures d'eau dues à des grèves qu'il n'y a eu de non-acheminement du courrier, et le principe de continuité a été singulièrement mieux respecté dans ce secteur ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
Mme Nicole Borvo. Applaudissez ! Vos administrés s'en souviendront !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Par ailleurs, qu'est-ce qui détruit les entreprises publiques ? C'est de laisser à Réseau ferré de France une dette s'établissant à 37,5 milliards d'euros à la fin de 2002 ! C'est ne pas gérer le problème des retraites à La Poste, sachant qu'en 2012 les montants qu'il faudra leur consacrer seront supérieurs à la masse salariale qui sera distribuée ! Dans le budget de 2003, l'Etat est d'ores et déjà dans l'obligation de compenser la surcharge du coût des retraites au détriment de la capacité à investir de l'entreprise !
Ce qui tue les entreprises publiques,...
M. Eric Doligé. C'est la CGT ! (Sourires sur les travées de l'UMP.)
M. Gérard Larcher, rapporteur. ... c'est que leur gestion a été négligée, et je crois que notre responsabilité aujourd'hui est d'introduire...
Mme Nicole Borvo. De faire le bilan des privatisations !
M. Gérard Larcher, rapporteur. ... une « gouvernance » des entreprises publiques. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Concernant le bilan des entreprises publiques, M. le ministre s'est engagé à nous donner un certain nombre d'élements et je ne doute pas qu'il le fera.
Mme Nicole Borvo. C'est le bilan des privatisations que nous attendons !
M. Gérard Larcher, rapporteur. Enfin, à vous écouter, l'ouverture et la fin du monopole conduiraient fatalement à la déréglementation. Au contraire, c'est à plus de réglementation que nous parviendrons, car il est plus compliqué de réguler et de réglementer le marché que de faire vivre un monopole !
La vraie question que l'on peut se poser est celle de la part entre régulation et réglementation, entre marché et service d'intérêt général, et c'est sur cette question qu'il nous faut, me semble-t-il, débattre.
Voilà pourquoi sur le fond, en dehors du mauvais coup que porterait, à France Télécom et au pays, la non-transposition de la directive et, au personnel, la non-adaptation de son statut, je dois dire - et je le fais avec calme, sincérité et gentillesse - que vos positions sur le service public sont quelque peu surannées, car je ne connais aucun pays dans lequel un service public de qualité puisse continuer à fonctionner en se conformant aux principes que vous défendez. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
Mme Nicole Borvo. Nous avons des entreprises performantes et on les casse !
M. Robert Bret. Il n'y a qu'à suivre l'exemple de la Grande-Bretagne !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Francis Mer, ministre. Je suis un peu triste...
Mme Marie-Claude Beaudeau. Nous aussi, mais pour d'autres raisons !
M. Francis Mer, ministre. ... de ne pas parvenir à vous convaincre...
Mme Nicole Borvo. Vous n'y parvenez absolument pas, monsieur le ministre !
M. Francis Mer, ministre. ... du fait que, dans notre monde, qui a ses avantages et ses inconvénients, gérer des entreprises de manière responsable ne suppose pas fondamentalement qu'elles soient détenues par la collectivité.
Mme Marie-France Beaufils. Sauf que l'exigence de service public est claire !
M. Francis Mer, ministre. Ayant, vous le savez, passé un certain temps dans des entreprises tant privées que publiques, je puis dire que l'on ne peut pas exclure qu'une entreprise privée rende un service public de qualité, de même que, sous prétexte qu'une entreprise est publique, on ne peut pas en déduire qu'elle est capable d'assurer la qualité du service public.
Ces notions n'ont rien en commun, madame Beaufils.
Ce qui m'attriste aussi, c'est de voir comment, à propos de l'opération France Télécom, vous présentez le progrès sous des traits aussi négatifs.
Mme Nicole Borvo. Si l'entreprise était si performante, pourquoi la privatisation ?
M. Francis Mer, ministre. Reconnaissons tout de même l'évolution en matière de télécommunications. Vous vous promenez tous dans la rue : vous avez pu constater que l'usage du portable est de plus en plus répandu.
Mme Nicole Borvo. Eh oui ! Grâce à l'entreprise publique !
M. Francis Mer, ministre. Dans les familles, le nombre de portables croît de manière exponentielle. Même des enfants de douze ans en sont équipés.
Personne ne peut soutenir que ce progrès ne donne pas à nos concitoyens le sentiment de mieux vivre !
Mme Nicole Borvo. Justement !
M. Francis Mer, ministre. Revenir à la notion de service public pour assurer partout le conservatisme du passé ne peut pas être le moyen de conduire le changement dans notre pays...
Mme Nicole Borvo. Toute l'expérience historique montre le contraire !
M. Francis Mer, ministre. ... et je suis convaincu que vous avez totalement tort sur ce point ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et l'Union centriste. - Protestations sur les travées du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. Pierre-YvonTrémel, pour explication de vote.
M. Pierre-Yvon Trémel. Pourquoi n'y a-t-il pas lieu de poursuivre le débat sur ce projet de loi ?
Tout d'abord, l'objet premier de ce texte n'est pas la transposition de la directive « service universel ». Si tel était le cas, il aurait suffi d'inscrire à l'ordre du jour du Sénat le projet de loi relatif au « paquet télécoms ». L'objet premier est la marche vers la privatisation de France Télécom.
Nous y sommes opposés. Je l'ai dit tout à l'heure, les télécommunications ne constituent pas un secteur marchand comme les autres. Stratégique pour un Etat, les télécommunications sont un moteur de l'innovation et de la recherche. Garantes de la cohésion sociale et territoriale, elles permettent l'accès au savoir.
La question de la privatisation de France Télécom aurait mérité d'être traitée de manière plus transparente et plus démocratique : un passage en conseil des ministres en plein été et un examen au Parlement alors que l'attention est davantage retenue par le projet de loi de finances ne suffisent pas.
Il aurait été nécessaire, et on l'a reconnu ici, de faire un vrai bilan de la crise qu'a traversée et que continue de connaître le secteur des télécommunications dans le monde entier. Or nous n'avons rien obtenu de tel de la part du Gouvernement et de sa majorité.
Nous souhaiterions, par exemple, disposer d'éléments de réflexion sur la situation d'opérateurs privés étrangers autrefois brillants concurrents de France Télécom et qui sont réduits depuis leur privatisation au rôle d'opérateurs régionaux, comme British Telecom. De tout cela, il n'est pas question.
Il n'est pas plus question de tout ce que France Télécom a rapporté à l'Etat en dividendes et taxes diverses.
Il n'est pas plus question de prendre le temps de dresser le bilan avec tous les acteurs concernés - les salariés, les usagers, les politiques, les entreprises - de plus de dix années de déréglementation dans le secteur des télécommunications.
Pour nous, tout n'est pas à diaboliser, mais tout ne va pas non plus pour le mieux dans le meilleur des mondes, et il nous eût semblé préférable de marquer un temps d'arrêt pour examiner la situation avant de lever le verrou.
Ensuite, les modalités de transposition de la directive « service universel » ne nous conviennent pas, car elles comportent un vrai danger : la banalisation du service public des télécommunications. La transposition réduit en effet au minimum les obligations de France Télécom pour mieux offrir dans quelque temps cette entreprise performante au marché.
Pour « faire passer » les titres I et III, vous avez construit ce qu'un syndicat a désigné par l'expression d'« ornithorynque juridique » afin de conserver des fonctionnaires dans une entreprise privatisée sans mission de service public !
Pour toutes ces raisons, le groupe socialiste ne peut suivre le Gouvernement et il votera donc la question préalable.
M. le président. La parole est à M. Pierre Laffitte, pour explication de vote.
M. Pierre Laffitte. J'ai pour habitude d'écouter avec beaucoup d'attention les positions du groupe CRC. Cette fois, j'ai été atterré par les propos de Mme Beaufils. Tout ce qui est excessif étant vain, je voterai contre la motion tendant à opposer la question préalable !
M. le président. Je mets aux voix la motion n° 1, tendant à opposer la question préalable.
Je rappelle que l'adoption de cette motion entraînerait le rejet du projet de loi.
Je suis saisi d'une demande de scrutin public émanant du groupe communiste républicain et citoyen.
Il va être procédé au scrutin dans les conditions fixées par l'article 56 du règlement.
(Le scrutin a lieu.)
M. le président. Personne ne demande plus à voter ?...
Le scrutin est clos.
(Il est procédé au comptage des votes.)
M. le président. Voici le résultat du dépouillement du scrutin
n° 16
:
Nombre de votants | 314 |
Nombre de suffrages exprimés | 308 |
Majorité absolue des suffrages | 155 |
Pour | 106 |
Contre | 202 |
En conséquence, nous passons à la discussion des articles.
TITRE Ier
OBLIGATIONS DE SERVICE PUBLIC
M. le président. L'amendement n° 29, présenté par Mmes Beaufils et Terrade, M. Coquelle, Mme Didier, M. Le Cam et les membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« Rédiger comme suit l'intitulé du titre Ier : "Le service public des télécommunications". »
La parole est à Mme Evelyne Didier.
Mme Evelyne Didier. L'intitulé du titre Ier, « Obligations de service public des télécommunications », nous conduit à nous interroger sur les motivations qui sous-tendent le projet de loi que le Gouvernement nous soumet aujourd'hui.
Désormais, les obligations de service public seront définies indépendamment de l'opérateur qui en sera chargé. Aussi, dès l'intitulé de ce titre, le Gouvernement fait le choix d'un service universel minimum, libérant ainsi l'ensemble des opérateurs de tout souci de mise en place d'un véritable service public correspondant aux besoins du XXIe siècle.
Cette conception du service public est en totale contradiction avec les déclarations répétées du Gouvernement sur son attachement à la spécificité française des services publics. La conception française du service public doit, à notre sens, prévaloir.
Rappelons que le service public des télécommunications, défini à l'article L-35 du code des télécommunications, comprend le service universel des télécommunications, les services obligatoires de télécommunication et les missions d'intérêt général. Ce service public est basé sur les principes fondamentaux de la continuité, de l'égalité et de l'adaptabilité.
Nous sommes favorables à la construction d'un service public des télécommunications de qualité qui repose sur ces trois principes : l'égalité, avec l'objectif de donner à chacun le droit d'accès aux services des télécommunications indépendamment de son niveau de revenu ; la solidarité, avec l'ambition d'assurer la cohésion sociale et territoriale, notamment à travers les mécanismes de péréquation tarifaire et l'obligation de fournir le service sur l'ensemble du territoire ; la maîtrise citoyenne, qui exige que les secteurs d'activité relevant de l'intérêt général fassent l'objet de politiques publiques et de contrôle démocratique.
Il existe un réel attachement des citoyens à un service public remplissant ces missions d'égalité et de solidarité.
Or ces principes ne sont pas conciliables avec la logique de marché que vous introduisez dans le présent projet de loi. La mission de renforcement de la cohésion sociale dévolue au service public ne pourra pas être véritablement accomplie. Le service public ne peut pas être simplement prestataire de biens et de services, il doit être aussi producteur de lien social et de citoyenneté.
Nous estimons qu'un véritable service public des télécommunications est, d'une part, crucial pour la promotion de l'égal accès pour tous aux télécommunications et, d'autre part, efficace pour la réduction des inégalités sociales et territoriales devant l'essor des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Le moteur du service public doit être la satisfaction de l'intérêt général.
Le service public des télécommunications est au coeur d'enjeux économiques cruciaux et il constitue un enjeu politique majeur, à savoir la mise en place de la société de l'information. Cet enjeu de société, à nos yeux, mérite un vrai débat public. Car ce qui est en question, c'est le droit pour tous à la communication et à l'information.
Tel est le sens de notre amendement que nous vous demandons d'adopter.
M. le président. Quel est l'avis de la commission ?
M. Gérard Larcher, rapporteur. Nous avons déjà beaucoup argumenté sur ce sujet. Personne ne s'étonnera donc que nous émettions un avis défavorable sur cet amendement de cohérence par rapport à une pensée sur laquelle nous nous sommes déjà exprimés.
Puisque M. le ministre évoquait le mobile, je rappellerai quelques chiffres.
Avant 1993, avec 1 million de mobiles, la France avait un retard de 900 % par rapport à la Finlande. Aujourd'hui, on y compte près de 40 millions de téléphones mobiles. Qu'on le veuille ou non, la concurrence a été un stimulant extraordinaire pour le développement de la téléphonie mobile au bénéfice de l'ensemble de nos concitoyens. Il ne faut pas l'oublier !
M. le président. Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Francis Mer, ministre. Défavorable.
M. le président. Je mets aux voix l'amendement n° 29.
(L'amendement n'est pas adopté.)