PRÉSIDENCE DE M. DANIEL HOEFFEL

vice-président

M. le président. La séance est reprise.

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CONFÉRENCE DES PRÉSIDENTS

M. le président. La conférence des présidents a établi comme suit l'ordre du jour des prochaines séances du Sénat :

Mercredi 25 juin 2003 :

Ordre du jour prioritaire

A 15 heures et le soir :

1° Conclusions de la commission mixte paritaire sur le projet de loi de programme pour l'outre-mer (n° 360, 2002-2003) ;

2° Suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, pour la confiance dans l'économie numérique (n° 195, 2002-2003).

Jeudi 26 juin 2003 :

A 9 h 30 :

Ordre du jour prioritaire

1° Eventuellement, suite du projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, pour la confiance dans l'économie numérique.

A 15 heures et, éventuellement, le soir :

2° Questions d'actualité au Gouvernement ;

(L'inscription des auteurs de questions devra être effectuée au service de la séance avant 11 heures.)

Ordre du jour prioritaire

3° Déclaration du Gouvernement, suivie d'un débat d'orientation budgétaire.

(La conférence des présidents a fixé à :

- quarante-cinq minutes le temps réservé au président et au rapporteur général de la commission des finances ;

- dix minutes le temps réservé à chacun des présidents des autres commissions permanentes intéressées ;

- quatre heures la durée globale du temps dont disposeront, dans le débat, les orateurs des divers groupes ou ne figurant sur la liste d'aucun groupe.

L'ordre des interventions sera déterminé en fonction du tirage au sort et les inscriptions de parole devront être faites au service de la séance, avant 17 heures, le mercredi 25 juin 2003.)

Dans l'hypothèse où une session extraordinaire serait décidée, la conférence des présidents a laissé au président du Sénat le soin de convoquer le Sénat, s'il y a lieu, le mardi 1er juillet 2003, à seize heures et, éventuellement, le soir.

Y a-t-il des observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?

Mme Michelle Demessine. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à Mme Michelle Demessine.

Mme Michelle Demessine. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, je regrette que la conférence des présidents n'ait pas décidé l'inscription à l'ordre du jour de nos travaux de la proposition de loi n° 365 instaurant une amnistie sociale, déposée par les sénateurs communistes.

Cette proposition de loi vise à porter un coup d'arrêt aux mesures attentatoires aux libertés syndicales et associatives prises par le Gouvernement et par le patronat.

Notre proposition de loi est bien entendu d'actualité, puisque chacun a pu assister, sinon avec colère, du moins avec une grande surprise, à l'arrestation musclée et inacceptable de José Bové.

Ce fait confirme pleinement l'idée qu'il existe une justice à deux vitesses. La criminalisation de l'action revendicative se généralise. Le mouvement social relatif aux retraites a été marqué par de nombreux exemples de cet ordre.

Dans mon département, le Nord, entre 6 heures et 7 heures ce matin, Dominique Vandeveld, militant syndical, et quatre autres salariés de l'entreprise SCIA de La Chapelle-d'Armentières ont ainsi été interpellés par les forces de l'ordre et placés en garde à vue au commissariat de Béthune. Cette interpellation ferait suite à une manifestation des salariés, à la fin de l'année 2001 ou au début de l'année 2002, contre leur ancien employeur, M. Léonce Deprez, dans la commune de Ruitz, dans le Pas-de-Calais.

Mme Hélène Luc et M. Guy Fischer. C'est scandaleux !

Mme Michelle Demessine. Ces salariés ont mené avec leurs collègues, pendant près de six mois, une longue lutte pour empêcher la fermeture de leur entreprise et la vente de leur outil de travail et pour maintenir l'activité sur le site. Grâce à leur mobilisation, soutenue par les élus, quatre-vingts emplois ont été sauvés. L'entreprise rouvrait ses portes voilà exactement un an, le 15 juin 2002.

L'interpellation de ces salariés, qui ont été placés en garde à vue comme des bandits de grand chemin, est une honte ! Ils auraient pu être entendus par la justice sur simple convocation, comme cela s'est déjà produit. Avec cette opération musclée, le choix a été fait de les intimider et de criminaliser leur action en les interpellant chez eux et en les plaçant en garde à vue, comme s'il s'agissait du démantèlement d'un trafic de drogue ou d'un réseau de prostitution. Dans le même temps, des dirigeants d'entreprises, par exemple ceux de Metaleurop, dénoncés comme des patrons voyous par le Premier ministre lui-même, ou encore ceux de SIE Energies ou de Lever, responsables de la fermeture de leurs entreprises, ne sont jamais inquiétés.

M. Yves Coquelle. Absolument !

Mme Michelle Demessine. Je demande au Gouvernement d'intervenir pour la libération immédiate des salariés de l'ex-entreprise SCIA.

Plus généralement, je souhaite, monsieur le président, que le Sénat accepte un débat sur la nécessaire amnistie sociale. Comment en effet ne pas constater le décalage existant entre le discours d'« apaisement social » du Président de la République Jacques Chirac et celui du Premier ministre Jean-Pierre Raffarin ?

Je demande, monsieur le président, une suspension de séance de quinze minutes, en raison de l'émotion que suscite aujourd'hui la violence antisociale. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. Je prends acte de votre déclaration, madame Demessine.

Cependant, l'ordre du jour de cet après-midi étant suffisamment chargé, il ne me semble pas opportun de suspendre la séance.

Mme Hélène Luc. Ce n'est pas une raison !

M. le président. Cela n'atténue en rien la teneur de vos propos, dont il sera donné connaissance en tous lieux où cela apparaîtra nécessaire. (Protestations sur les travées du groupe CRC.)

Mme Hélène Luc. Mme la ministre pourrait nous dire ce qu'elle en pense, en tant que membre du Gouvernement ! On ne peut pas laisser faire cela ! Ce n'est pas possible !

M. le président. En ma qualité de président de séance, je puis vous dire qu'il a été pris bonne note des propos de Mme Demessine. Ils seront transmis à qui de droit. (Très bien ! sur les travées de l'UMP. - Nouvelles protestations sur les travées du groupe CRC.) Je ne suis pas en mesure d'entrer dans d'autres considérations.

M. Roland Muzeau. C'est scandaleux !

M. le président. Y a-t-il d'autres observations en ce qui concerne les propositions de la conférence des présidents relatives à la tenue des séances ?...

(Ces propositions sont adoptées.)

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Je demande la parole.

M. le président. La parole est à Mme la ministre.

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée. Je souhaiterais indiquer à Mme Demessine que je n'ai bien sûr pas une connaissance précise des faits survenus ce matin dans le Nord. Cela étant, si les circonstances étaient bien telles qu'elle les a décrites - je ne mets naturellement pas en cause sa bonne foi -, ces faits seraient inacceptables. Toutefois, il est possible, madame Demessine, que vous ayez été mal informée...

M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Comme pour Air Lib !

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée. Je puis vous assurer, madame Demessine, que, avec mes collègues du Gouvernement plus particulièrement concernés, j'examinerai d'une façon extrêmement rigoureuse quel a été le déroulement des faits.

Mme Michelle Demessine. Agissez pour que ces salariés soient libérés !

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CONFIANCE DANS L'ÉCONOMIE NUMÉRIQUE

Discussion d'un projet de loi

 
Dossier législatif : projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique
Art. additionnel avant l'art. 1er A

M. le président. L'ordre du jour appelle la discussion du projet de loi (n° 195, 2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale, pour la confiance dans l'économie numérique. [Rapport n° 345 (2002-2003) ; avis n°s 342 et 351 (2002-2003).]

Dans la discussion générale, la parole est à Mme la ministre déléguée. (M. Louis de Broissia applaudit.)

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée à l'industrie. Monsieur le président, monsieur le président de la commission des affaires économiques et du Plan, messieurs les rapporteurs, mesdames, messieurs les sénateurs, l'examen du projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique est une occasion, pour le Gouvernement, de témoigner de l'importance qu'il attache aux nouvelles technologies et à leurs usages. Le Premier ministre a présenté, en novembre 2002, le plan RESO 2007, décrivant notre politique pour en favoriser le développement.

On peut dire qu'une véritable révolution est en train de se produire, et nous n'en sommes qu'au début. L'explosion de la « bulle » financière de l'Internet et des télécommunications ne doit pas occulter le développement fulgurant des usages réels de ceux-ci, qui s'impose comme un phénomène mondial majeur.

Or la France est en retard. Durant les dernières années, elle a certes progressé, mais elle n'a pas encore comblé son retard. Selon un classement établi en décembre 2002 par l'Union internationale des télécommunications, notre pays figurait à la vingt et unième place parmi les pays les plus avancés sur le plan de la diffusion et de l'utilisation des technologies de l'information et de la communication.

Ce retard est bien sûr un handicap pour notre croissance, et donc pour l'emploi. Rien ne le justifie, ni des raisons culturelles, ni la qualité de nos industriels, ni l'état de nos réseaux de communication. C'est ainsi que, à l'automne 2002, Francis Mer et moi-même avons largement eu l'occasion d'exprimer notre volonté politique de le rattraper et de donner une forte impulsion à plusieurs domaines de l'économie numérique. La fin de l'année 2002 et le début de l'année 2003 ont confirmé le dynamisme de ce secteur.

En matière de commerce électronique, le montant des transactions sur Internet aura connu un développement à hauteur de 61 % en 2002. Cette tendance s'est maintenue au rythme de 50 % pour le premier trimestre de 2003. Des secteurs entiers voient leur activité transformée. Ainsi, dans la vente à distance, plus de 10 % des commandes se font aujourd'hui par Internet. Dans le secteur des voyages, ce taux atteint près de 15 % ; d'ailleurs, pour certaines compagnies aériennes, notamment celles à bas coût, la réservation n'est pratiquement possible que par Internet. Pour la seule SNCF, c'est 6 % du chiffre d'affaires qui est réalisé aujourd'hui par le biais d'Internet.

A cet égard, le ministère de l'économie, des finances et de l'industrie n'est pas en reste, puisque, en 2003, plus de 600 000 personnes auront établi leur déclaration de revenus via Internet, alors que seulement 120 000 télédéclarations avaient été effectuées en 2002. L'objectif que nous nous étions fixé est donc largement atteint.

Peu de secteurs économiques peuvent se prévaloir de telles performances ! Pour autant, si certains secteurs ont particulièrement su tirer parti du commerce électronique, d'autres sont encore en attente d'une plus grande réussite. Le présent projet de loi confortera le cadre juridique de leur développement, renfonçant la confiance dans ces nouveaux canaux de distribution, et donc la croissance.

Toutefois, développer l'économie numérique suppose aussi d'accroître considérablement le nombre d'agents économiques, entreprises et ménages, pouvant y accéder dans des conditions optimales de confort d'utilisation et de coût.

S'agissant de l'équipement des ménages en micro-informatique, j'ai fait réaliser tout récemment par nos services une étude visant à identifier les principaux freins. Ses résultats nous montrent que le taux d'équipement des ménages en ordinateurs atteint 42 %. La barre des 10 millions de ménages équipés a été franchie au cours du premier trimestre de 2003. C'est un chiffre encourageant, même s'il nous place encore derrière certains de nos partenaires européens.

Je me félicite aussi du fait qu'une majorité de Français aient désormais une attitude plus positive envers le micro-ordinateur, manifestant de l'intérêt pour cette technologie. Ce progrès dans la perception de son utilité effective résulte, à n'en point douter, de l'émergence de services attrayants tels que les accès à Internet à haut débit.

En matière précisément d'accès au haut débit, j'ai décidé, au cours de l'été 2002, une baisse des tarifs de revente en gros de l'ADSL. Cela a marqué un tournant majeur dans le développement du marché français, grâce à la baisse des tarifs et à l'émergence d'une offre grand public, sous forme d'un abonnement mensuel illimité au prix de 30 euros environ. Le résultat en est que la France rattrape rapidement le retard qu'elle avait pris dans ce domaine et connaît une croissance « fulgurante », la plus forte d'Europe. Avec plus de deux millions d'abonnés - ils seront probablement trois millions à la fin de l'année 2003 - la France est désormais le deuxième pays européen en termes de pénétration du haut débit.

Nous sommes donc en route vers notre objectif de dix millions d'abonnés à l'Internet à haut débit d'ici à cinq ans. Cet objectif est certes ambitieux, mais il est réalisable. La croissance du nombre des abonnés crée un cercle vertueux pour l'ensemble de l'économie numérique. Grâce à ce fort potentiel de clients, les investissements lourds et coûteux de ce secteur seront largement amortis et de nouveaux services et usages pourront émerger. Le développement du haut débit ouvre aussi à nos concitoyens l'accès à de nouveaux usages de l'Internet, dans des domaines tels que la santé, l'éducation ou les divertissements.

Dans le secteur des technologies de l'information et de la communication et de l'économie numérique, le Gouvernement a choisi de sortir de la logique des « grands plans », qui créent plus d'attentes qu'ils ne règlent de problèmes, et des « grandes lois », qui mettent tellement de temps à être votées qu'elles sont déjà en décalage avec les technologies et les pratiques quand elles entrent en vigueur.

Pour autant, je voudrais rappeler que le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique est le premier texte français d'ensemble relatif à la société de l'information.

J'aurai bientôt l'honneur de vous présenter un autre texte législatif visant à transposer les directives sur les communications électroniques, ce que l'on appelle, dans le jargon communautaire, le « paquet télécoms », dans lequel des réponses seront apportées à plusieurs questions d'actualité importantes concernant les infrastructures de réseaux et les autorités de régulation. Les deux textes seront donc complémentaires. L'Assemblée nationale a d'ailleurs intégré au projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique plusieurs dispositions relatives aux télécommunications.

L'adoption du texte est indispensable pour créer un climat de confiance, résultant de la fixation de règles du jeu claires pour les fournisseurs et d'une protection efficace des utilisateurs. En effet, la législation actuelle ne répond pas aux problèmes nouveaux surgis au cours d'une période très courte. Il devient urgent d'en combler les vides actuels, pour assurer la sécurité juridique sans laquelle les énergies ne pourront se développer dans ce secteur particulièrement porteur.

Dans ce domaine, la France accuse, une fois de plus, un retard dommageable dans la transposition des directives européennes. Ainsi, la directive du 8 juin 2000 sur le commerce électronique aurait dû être transposée avant le 17 janvier 2002. Le projet de loi que je vous présente aujourd'hui permettra donc de combler un retard pour lequel la France a reçu un avis motivé de la Commission européenne. S'agissant du sujet particulier de la publicité par voie électronique, le projet de loi tend à transposer dès maintenant l'article 13 de la directive du 12 juillet 2002 sur les données personnelles, qui fait partie des directives du « paquet télécoms ».

Avant de détailler le contenu du projet de loi que nous vous soumettons, je souhaiterais souligner la qualité des échanges qui ont eu lieu au cours des travaux préparatoires entre les commissions du Sénat et le Gouvernement. Mes remerciements iront ainsi tout particulièrement aux rapporteurs, M. Alex Turk pour la commission des lois, M. Louis de Broissia pour la commission des affaires culturelles et MM. Bruno Sido et Pierre Hérisson au nom de la commission des affaires économiques. Le caractère très complet de leurs rapports et les nombreux amendements qu'ils vous proposent témoignent de leur investissement sur ce projet de loi.

Conformément aux orientations du Conseil d'Etat dans son rapport de 1998 sur Internet, le projet de loi ne cherche pas à créer de toutes pièces un droit spécifique pour l'économie numérique, mais prévoit de l'insérer dans les textes existants en les adaptant. C'est ainsi qu'il vous est proposé de modifier de nombreux codes, qu'il s'agisse de la communication, de la consommation, du commerce, du droit civil, du droit pénal, des postes et télécommunications.

Les dispositions du projet de loi initial s'articulaient autour de quatre grands thèmes : le cadre d'exercice de la liberté de la communication en ligne ; le commerce électronique et la publicité ; la sécurité, en particulier la cryptologie et la cybercriminalité ; enfin, les systèmes satellitaires.

Lors du débat à l'Assemblée nationale qui a eu lieu les 25 et 26 février derniers, le Gouvernement a aussi complété le texte par un amendement visant à permettre aux collectivités territoriales d'intervenir désormais dans le secteur des télécommunications. Je suis certaine qu'au cours de notre débat nous aurons l'occasion de revenir sur cette question, qui, je le sais, revêt une importance particulière pour chacun d'entre vous.

Le premier thème, c'est la définition et la régulation de la communication publique en ligne.

Le projet de loi définit pour la première fois la communication publique en ligne. Cette notion était utilisée mais non définie dans la loi du 1er août 2000 relative à la liberté de communication. Les dispositions la concernant s'inséraient dans les chapitres relatifs à l'audiovisuel, ce qui rendait de fait le Conseil supérieur de l'audiovisuel, le CSA, compétent en matière d'Internet.

Le Gouvernement, guidé par la philosophie de ne pas bouleverser l'architecture légale actuelle, a choisi, au cours des travaux interministériels, de conserver ce rattachement à la communication audiovisuelle en en précisant les limites et les spécificités. Ce sujet a, vous le savez, fait l'objet de nombreux débats à l'Assemblée nationale, et je me dois de vous faire part des réflexions intervenues depuis lors au sein du Gouvernement.

Aujourd'hui, la solution légale que nous envisageons consiste à conserver en l'état la définition de la communication publique en ligne, tout en limitant les pouvoirs de régulation du CSA au champ des services de radio et de télévision. Cette limitation, faite en plein accord avec le CSA, est ainsi inscrite dans le projet de loi sur les « communications électroniques » et a fait l'objet d'amendements parlementaires.

Les conditions de la responsabilité des acteurs - hébergeurs de sites, fournisseurs d'accès et opérateurs de télécommunications - sont précisées dans le présent projet de loi.

Depuis la sanction partielle par le Conseil constitutionnel de la loi du 1er août 2000, une incertitude juridique demeurait en ce domaine. Par ailleurs, la directive sur le commerce électronique intègre aussi des dispositions sur leur régime de responsabilité. Il convenait de proposer une solution conforme à la fois aux exigences de la directive et, bien évidemment, à la décision du Conseil constitutionnel.

Ainsi, le projet de loi pose un principe général de limitation des responsabilités civile et pénale des prestataires de l'économie numérique du fait des contenus qu'ils hébergent, stockent ou transmettent.

S'agissant des prestataires d'hébergement et de stockage, la mise en cause de leur responsabilité est limitée au seul cas où, ayant effectivement connaissance d'activités ou d'informations illicites hébergées, ils n'auraient pas agi promptement pour rendre impossible l'accès aux informations.

Le dispositif retenu est conforme au code pénal, qui renvoie la responsabilité du contenu sur celui qui le crée et qui doit en assumer les conséquences. Mais les intermédiaires hébergeant ou transmettant un contenu ne peuvent pas, de leur côté, être complices de la diffusion d'un contenu illicite ; leur responsabilité serait aussi engagée, le cas échéant.

S'agissant des adresses françaises sur Internet, c'est-à-dire toutes les adresses dont la syntaxe se décline en « www.nom.fr », il était nécessaire d'en définir légalement les règles de gestion et d'attribution.

La délégation de cette gestion à des organismes par le Gouvernement garantira un cadre clair de développement à ces adresses, qui, je le précise, sont au nombre de 160 000 aujourd'hui.

Le deuxième thème autour duquel s'articule le projet de loi concerne la confiance dans le commerce électronique.

Le commerce électronique ne pourra se développer massivement que si les consommateurs ont une entière confiance dans les procédures électroniques associées. Pour créer cette confiance, en transposant la directive européenne, le projet de loi définit le cadre juridique applicable aux commerçants électroniques.

La « mécanique européenne » de la directive du 8 juin 2000 harmonise les points qui sont déterminants pour le développement d'un commerce électronique sécurisé sur l'ensemble de l'Union européenne, tels que les informations à fournir à l'attention des consommateurs ou les modes de conclusion des contrats par voie électronique.

L'harmonisation de ces différents « points clés » permet de considérer que les législations des différents Etats membres dans ce domaine seront désormais globalement équivalentes, même si elles ne sont pas identiques dans le détail. Une entreprise opérant à partir d'un Etat membre respectera les exigences des autres Etats membres, et n'aura que peu d'obligations complémentaires à satisfaire. Il s'agit d'un progrès majeur vers un espace européen de liberté pour le commerce électronique.

Parmi les dispositions prévues, le projet de loi renforce la protection des consommateurs, qui doivent être largement et complètement renseignés sur l'identité des marchands électroniques. Les informations - nom, adresse, capital social - devront être accessibles facilement et en permanence au cours des transactions.

Parmi les problèmes épineux auxquels sont confrontés les internautes, il y a celui qui est appelé communément le « spam », c'est-à-dire ces millions, voire ces milliards, de courriers électroniques publicitaires non sollicités. Il s'agit d'un phénomène de grande ampleur, qui génère de nombreuses plaintes auprès de la Commission nationale de l'informatique et des libertés, la CNIL. N'oublions pas, de plus, que l'utilisateur internaute supporte des frais pour sa connexion. Je ne pense pas qu'il souhaite qu'elle soit engorgée inutilement.

Des règles de transparence et de protection des consommateurs sont donc instaurées. L'envoi de courriers électroniques ayant pour but la prospection commerciale directe est interdit sans l'accord préalable des consommateurs. De plus, lorsque ces derniers reçoivent ces courriers électroniques à caractère publicitaire, ils doivent pouvoir en identifier facilement l'émetteur et avoir la faculté, à tout moment, de s'opposer à tout envoi ultérieur.

L'Assemblée nationale, à la suite d'une lecture stricte de la directive européenne, a souhaité autoriser la publicité électronique sans consentement préalable, à l'exception de celle qui est faite par fax, quand elle est destinée aux entreprises inscrites au registre du commerce et des sociétés. Le Gouvernement avait émis un avis favorable sur cette proposition.

La reconnaissance de la valeur juridique des échanges électroniques a déjà fait l'objet de plusieurs textes, notamment de la loi du 13 mars 2000 portant adaptation du droit de la preuve aux technologies de l'information et relative à la signature électronique.

Le projet de loi ira plus loin dans l'adaptation de notre droit, avec une innovation majeure introduite dans le code civil et permettant à tous les contrats - sauf, bien sûr, ceux qui concernent les droits sur des biens immobiliers, ceux qui requièrent l'intervention de tribunaux ou d'autorités publiques, ou ceux qui sont relatifs au droit de la famille - d'être réalisés sous forme électronique.

Dans le cadre d'un contrat de commerce par voie électronique, afin de protéger le consommateur contre les fausses manipulations, toute acceptation d'une offre doit prendre la forme d'un « double clic », c'est-à-dire qu'après avoir passé sa commande l'utilisateur doit vérifier et confirmer son acceptation au vu des informations récapitulatives qui lui sont présentées par le marchand.

Le troisième thème concerne la libéralisation de l'utilisation des moyens de chiffrement.

Pour accroître la confiance des consommateurs, les transactions et les contrats de commerce électronique utilisent des outils cryptographiques de signature électronique et de confidentialité des échanges. L'émergence des services de la société de l'information en a développé de très nombreux usages civils, alors qu'auparavant la cryptographie était assimilée à une arme de guerre. Du fait de ces usages civils, une nécessité de libéralisation est apparue au cours des années quatre-vingt-dix.

La réglementation relative aux moyens et aux prestations de cryptologie a toujours été très encadrée. Elle avait été modifiée par la loi sur la réglementation des télécommunications de 1990 et révisée par la loi de 1996. Une première étape de libéralisation avait consisté à élever en 1998 à 40 bits, puis en 1999 à 128 bits les longueurs des clés au-dessus desquelles une autorisation est nécessaire pour les utilisateurs.

Le projet de loi rend désormais complètement libre l'utilisation de tout moyen de cryptologie. Il rend libre également la fourniture, l'importation et l'exportation des moyens de cryptologie n'assurant que des fonctions de signature. La fourniture et l'importation de moyens de cryptologie assurant des fonctions de confidentialité sont maintenant soumises à simple déclaration. L'exportation des moyens de cryptologie assurant des fonctions de confidentialité est soumise à autorisation, conformément au règlement européen du Conseil de juin 2002.

Un des grands freins identifiés dans le développement du commerce électronique est, bien sûr, la sécurité des paiements par carte bancaire. Dans le cas d'une vente à distance, ce qui est le cas sur Internet, la loi sur la sécurité quotidienne, LSQ, du 18 novembre 2001 a apporté une réponse positive en accroissant de manière très sensible la protection des consommateurs, qui peuvent faire opposition en cas de fraude à distance, alors qu'auparavant cela n'était possible qu'en cas de vol ou de perte de la carte bancaire.

Le cadre législatif ayant été adapté, nous n'avons pas jugé utile d'inclure des dispositions spécifiques dans le projet de loi que je vous soumets. Néanmoins, je ferai observer que la libéralisation de l'usage de la cryptologie autorise la mise en place de systèmes de chiffrement plus performants que ceux qui existent aujourd'hui et qui sont utilisés fréquemment dans les transactions de commerce électronique.

Le développement de l'économie numérique va évidemment de pair avec la nécessaire garantie donnée à nos concitoyens concernant leur sécurité. C'est pourquoi les moyens des pouvoirs publics pour lutter contre la cybercriminalité sont renforcés. Ainsi, les sanctions pénales en cas d'accès frauduleux à un système informatique ou de modification de ses données sont doublées. De plus, un délit est instauré en cas de diffusion intentionnelle de virus informatiques.

Le dernier thème autour duquel s'articule le projet de loi concerne la réglementation des systèmes satellitaires.

Les systèmes satellitaires ont plusieurs rôles majeurs à jouer, parmi lesquels celui de permettre à l'avenir l'accès à Internet haut débit dans les zones mal desservies. Pour en conforter le rôle, le projet de loi prévoit des dispositions de nature technique qui n'appellent pas de commentaires particuliers.

En conclusion, monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, ce projet de loi contribuera à dynamiser l'économie numérique. Il constitue un pas supplémentaire pour renforcer la sécurité des acteurs et des consommateurs, ainsi que pour clarifier les règles du jeu pour les entreprises fournissant des prestations par voie électronique.

Je sais l'intérêt que vous portez à plusieurs questions complémentaires importantes. Elles ont fait l'objet de discussion, en particulier la réforme du financement du service universel ou encore la couverture du territoire en téléphonie mobile. Nous aurons l'occasion d'approfondir ensemble ces sujets. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Pierre Hérisson, rapporteur.

M. Pierre Hérisson, rapporteur de la commision des affaires économiques et du Plan. « Les technologies de l'information et de la communication sont porteuses de promesses dans tous les domaines. Leur vertu est de mettre de la rapidité dans ce qui est lent, de la fluidité dans ce qui est lourd, de l'ouverture dans ce qui est fermé. » Ces mots du Premier ministre, M. Jean-Pierre Raffarin, lors de la présentation du plan RESO 2007 à l'automne dernier, sont la preuve que le Gouvernement n'a pas tardé à prendre la mesure de l'enjeu numérique pour la France. Je m'en félicite et je vous en remercie, madame la ministre.

Les technologies de l'information et de la communication recèlent, pour toutes les entreprises, de très importants potentiels de gains de productivité et de réactivité. Mes chers collègues, il est de la responsabilité des pouvoirs publics de saisir cette chance pour la France et de conforter ces gains potentiels pour soutenir la croissance et l'innovation. Il était donc impératif, et le Gouvernement l'a fait sans délai, de tracer la perspective d'une république numérique à l'horizon 2007.

Ce texte constitue le premier volet du plan « pour une république numérique dans la société de l'information » : il ouvre la marche de ce plan de bataille concret qui a pour objet d'amener sans réserve tous les Français sans exception à bénéficier des apports d'Internet.

Le texte qui est soumis aujourd'hui au Sénat est très riche, car il répond à de nombreuses attentes. Ces attentes ont été largement éprouvées, puisque l'« ancêtre » de ce texte, le projet de « loi sur la société de l'information », avait été déposé en 2001 sur le bureau du Parlement par le précédent gouvernement mais, malgré les annonces au tambour, ne fut finalement jamais discuté.

Je me félicite donc vivement du dépôt, par le Gouvernement, de ce projet de loi. Ce texte soutiendra le développement des secteurs d'activité de l'économie numérique, en leur offrant un cadre juridique stable et clair, permettant de promouvoir la confiance de tous les acteurs pour leur permettre d'investir leur énergie et leurs ressources dans ces nouveaux champs cruciaux d'avancée économique pour notre pays.

Même s'il vise des objectifs de clarté normative, voire de pédagogie, ce texte n'en est pas moins d'une certaine complexité. Celle-ci tient en partie à la forte influence du droit communautaire sur le projet de loi, puisque celui-ci transpose des dispositions extraites de plusieurs directives : la directive « commerce électronique » de 2000, la directive « vie privée et communication électronique » de 2002, la directive « droits d'auteur et droits voisins » de 2001 et la directive « signatures électroniques » de 1999. La difficulté tient à la fois à la diversité des sources et à leur nature, dans la mesure où certains éléments de ces directives apparaissent insuffisamment définis, voire incompréhensibles. Cet aspect nous est bien connu, mes chers collègues, et il n'est pas spécifique à ce texte.

S'ajoute également une difficulté tenant à la technicité du sujet : cet élément est particulièrement net concernant les dispositions du titre III du projet de loi, relatives à la cryptologie.

Enfin, et de façon plus fondamentale, ce texte est animé par deux tensions : l'une juridique, l'autre politique.

La tension juridique naît de la rencontre entre la nouveauté de la matière examinée, qui met souvent au défi notre règle de droit, et le souci de préserver notre héritage juridique et économique, lequel fait souvent la preuve de son adaptabilité à cette nouvelle matière.

Le législateur est appelé à se pencher sur des domaines relativement nouveaux, qui n'ont été qu'imparfaitement encadrés par les lois du 13 mars 2000 et du 1er août 2000, d'autant plus que le Conseil constitutionnel avait alors remis en cause une large part du travail législatif. Le texte adopté par l'Assemblée nationale a, de ce point de vue, le mérite de donner un certain nombre de définitions, comme la définition du commerce électronique, la définition du courrier électronique, la définition du consentement à recevoir de la publicité, la définition des prestations et moyens de cryptologie ou la définition des systèmes satellitaires.

Dans le même temps, comme l'avaient indiqué le rapporteur de la commission des affaires économiques et le rapporteur pour avis de la commission des lois de l'Assemblée nationale, le développement de l'économie numérique ne doit pas amener à bouleverser de manière inconsidérée l'état actuel de notre droit, et ce d'autant moins que celui-ci trouve souvent à s'appliquer à ces activités, au prix de quelques aménagements.

Je crois donc, madame la ministre, mes chers collègues, qu'il nous faut concilier l'attention aux spécificités des nouvelles activités et le souci de ne pas remplacer un cadre juridique connu et appliqué par un ensemble de règles inédites dont la portée juridique serait incertaine.

En second lieu, ce texte est parcouru par une question politique de fond, celle de l'encadrement de la liberté pour des raisons d'intérêt général, qui constitue un fil conducteur du projet de loi. Il nous faut articuler la réalité d'un monde en perpétuel renouvellement technologique, dans lequel la liberté est une valeur fondatrice et sacrée, et les exigences politiques et morales de notre société. L'encadrement ou la limitation de la liberté par l'affirmation de la responsabilité civile ou pénale est une chose grave. Je rappellerai le vieux principe démocratique qui a guidé le droit de notre pays : « La liberté est la règle, la restriction de police l'exception. » C'est au Parlement de définir le champ précis de cette restriction de la liberté.

Notre débat devrait être, de ce point de vue, particulièrement fructueux. Je prendrai l'exemple des contenus pédopornographiques, qui illustre selon moi la complexité des questions que nous abordons aujourd'hui. Nous sommes tous d'accord sur la nécessité de lutter contre la diffusion de ces contenus, qui portent atteinte à ceux qui en sont l'objet comme à ceux qui les reçoivent. Cela étant, comment allons-nous atteindre concrètement cet objectif ? Quelles sont les modalités techniques de ce long combat ? Qui verra sa responsabilité engagée ? Ce texte ne se limite pas à la définition de grands principes, il est également l'occasion d'aborder ces aspects concrets et quotidiens.

Au demeurant, ces questions dépassent sur bien des points les clivages partisans, pour faire profondément appel à la conception que se fait chacun d'entre nous de la liberté individuelle.

Je souhaite enfin resituer le projet de loi dans le calendrier parlementaire, pour le moins dense : ce texte n'est qu'une première étape, qui devra être complétée, notamment par la transposition des directives qui forment ce qu'il est convenu d'appeler le « paquet télécom », auquel vous avez fait allusion, madame la ministre. C'est une motivation plus forte pour tâcher de légiférer dans un sens mesuré, qui laisse ouverts les champs du développement technologique à venir.

C'est pourquoi mes collègues rapporteurs et moi-même avons abordé ce texte avec pragmatisme, loin de toute idée préconçue, dans un domaine qui est lui-même en constante et rapide évolution.

M. Alain Gournac. Très bien !

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Pour l'anecdote, je dirai que la révolution que nous connaîtrons dans les quinze ans à venir avec l'économie numérique et les télécommunications est de même nature que celle que nous avons vécue pour l'imprimerie depuis Gutenberg à nos jours, soit quatre cent cinquante ans ! (M. Jean-François Le Grand s'exclame.)

Je voudrais dire enfin que je partage pleinement le souci de pédagogie du Gouvernement. Malgré les aspects parfois très techniques du texte, il nous faut conserver en permanence le souci d'être intelligibles et lisibles par nos concitoyens. Du reste, mes chers collègues, c'est aussi une réforme pragmatique.

Je vous remercie, madame la ministre, de l'esprit d'ouverture dont vous avez fait preuve en inaugurant la discussion générale de ce texte d'importance. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Bruno Sido, rapporteur.

M. Bruno Sido, rapporteur de la commission des affaires économiques et du Plan. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le texte qui nous est soumis aujourd'hui est très complet, car il répond à de nombreuses attentes.

Je ne reviendrai pas sur sa genèse ni sur son ancêtre, le projet de loi sur la société de l'information, déposé sur le bureau du Parlement par le précédent gouvernement, maintes fois annoncé, mais qui finalement ne fut jamais discuté.

J'interviens, au nom de la commission des affaires économiques, comme rapporteur du titre Ier du projet de loi, dont l'objet est de poser le principe de la liberté de communication en ligne et d'encadrer cette liberté en définissant les responsabilités des intervenants sur l'Internet, conformément à la thématique générale qu'a indiquée Pierre Hérisson. J'insisterai pour ma part sur un aspect particulier de la liberté de communication : la possibilité concrète d'accéder aux moyens de communication les plus modernes.

La fracture numérique qui sépare ceux qui ont accès aux technologies de l'information et de la communication et ceux qui en sont largement ou totalement exclus pourrait porter un coup terrible à notre cohésion sociale si nous n'attaquons pas le mal sans plus attendre. Nous avons parfois été en retard sur certains aspects du développement de ces technologies, mais nous avons aussi été en avance sur d'autres : il n'est que de songer à la réussite extraordinaire qu'a constituée le Minitel ou au degré d'équipement des particuliers en téléphonie mobile.

C'est donc bien le travail du législateur que de s'assurer que les libertés posées en droit sont bien exercées dans les faits.

Je ne m'attarderai pas sur l'article 1er A, qui fait l'objet de toute l'attention de nos collègues. Je me contenterai d'indiquer, en tant que président du conseil général d'un département où les opérateurs ne se bousculent pas, que je me félicite de la grande avancée que permet cet article, même s'il doit être précisé en certains points. Je crois en effet qu'un équilibre doit être trouvé entre l'élan public local et le marché des télécommunications, qui est fondamentalement en développement, notamment pour ce qui est du haut débit ; nous y reviendrons lors de l'examen de l'article.

Vous me permettrez, madame la ministre, mes chers collègues, d'insister plus longuement sur l'article 1er B, qui, vous le savez, m'est particulièrement cher. Il me semble que la couverture du territoire en téléphonie mobile de seconde génération est un élément concret qui va dans le sens de la réduction des inégalités devant les technologies de l'information et de la communication.

La rapidité avec laquelle le téléphone mobile a pris son essor a permis de mettre ces inégalités en évidence. Ne pas pouvoir accéder à ces services, ce n'est pas seulement une gêne dont certains veulent croire qu'elle est surtout d'ordre symbolique. En réalité, les outils modernes de télécommunication sont une composante essentielle du dynamisme économique et social. En être privé, ce n'est donc pas seulement souffrir d'un retard, c'est être rejeté de façon croissante. Le sous-équipement de larges portions du territoire a un effet pervers, c'est pourquoi il est urgent de briser au plus vite la spirale.

J'ai bon espoir que ce qui est en passe d'être accompli aujourd'hui en matière de téléphone mobile pourra être étendu demain aux nouveaux développements technologiques. Certains imaginent ainsi que les zones à faible densité de population pourraient être les réservoirs de développement privilégiés de la technologie Wireless Fidelity, dite Wi-Fi.

Je crois donc que l'examen de ce texte doit être placé sous le sceau de l'optimisme. Les retards peuvent être comblés et les outils technologiques de pointe être mis au service de tous. Le choix du Gouvernement de déposer un projet de loi de « confiance » est donc, selon moi, particulièrement heureux.

Il me semble en effet que nous pouvons avoir confiance en notre capacité à maîtriser et à intégrer dans nos comportements les meilleurs outils des technologies de la communication et de l'information. Le temps où l'on se lamentait à plaisir sur le retard fatal de la France dans ces domaines est révolu. Nous n'avons pas à susciter ces activités, qui apparaissent d'elles-mêmes, mais tout simplement à permettre leur développement, dans un environnement juridique et économique stable.

Enfin, dans mon esprit, un tel horizon implique nécessairement l'affirmation d'une volonté des pouvoirs publics. De ce point de vue, je me réjouis vivement de l'annonce du plan RESO 2007, faite par le Premier ministre, qu'a si justement évoquée Pierre Hérisson.

Je citerai un autre exemple de l'affirmation de la volonté politique dans ces domaines : la question du filtrage. Celle-ci revient fréquemment dans les débats sur l'Internet et sur la liberté qui y règne. En effet, la maîtrise des connexions arrivant en un point ou partant vers un point pourrait constituer la solution à bien des difficultés morales et sociales que pose le développement du réseau mondial. Toutefois, nous savons tous à quelles difficultés techniques se heurte le filtrage.

Je suis pour ma part convaincu, mais nous y reviendrons plus tard, que, si ces difficultés ne doivent pas être ignorées, elles ne doivent pas non plus conduire le législateur au renoncement. Le filtrage est une solution technique dont la fiabilité n'est pas totale mais qui mérite d'être approfondie. Je formule le souhait que ce projet de loi y contribue.

Tout comme M. Pierre Hérisson, je crois que nous pouvons aborder ce texte complexe dans un climat serein et constructif, car je sais qu'il existe au Sénat de nombreux points d'accord sur ces questions. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis.

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis de la commission des affaires culturelles. C'est avec une grande satisfaction, vous l'avez compris, madame la ministre, que le Sénat examine - enfin ! - un projet de loi comportant des dispositions relatives à l'encadrement législatif des services en ligne.

En effet, depuis la loi du 1er août 2000 évoquée par Mme le ministre, qui constitue la première mouture du régime de responsabilité des prestataires techniques opérant sur le réseau, nous commencions à désespérer de voir inscrit à l'ordre du jour un texte suffisamment ambitieux pour répondre aux attentes des professionnels comme à celles des simples amateurs que nous sommes tous, mes chers collègues, ou que nous sommes appelés à devenir.

Le projet de loi sur la société de l'information, la mythique « LSI », préparée par la précédente équipe gouvernementale,...

M. Daniel Reiner. Excellent travail !

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. ... je n'évoque que les lois réelles, et non les lois virtuelles - aurait pu nous donner l'occasion de débattre d'un sujet complexe. Malheureusement, comme vous le savez sans doute, ce projet n'a jamais été inscrit à l'ordre du jour parlementaire,...

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Eh oui !

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. ... maintenant notre pays dans un flou juridique pénalisant tant pour les acteurs économiques de ce secteur - je pense bien sûr aux éditeurs, aux hébergeurs, aux fournisseurs d'accès - que pour les consommateurs que nous sommes ou que nous sommes appelés à devenir, qui s'attendaient sans doute à l'adoption rapide de dispositions législatives garantissant leurs intérêts légitimes.

Au titre de la commission des affaires culturelles, je me soucierai des intérêts des industries de la communication et de la culture. De surcroît - et mes collègues rapporteurs ne l'avaient pas relevé -, cet abandon a mis la France dans une position très délicate vis-à-vis de Bruxelles. La transposition dans notre droit de la directive sur le commerce électronique aurait dû être effective avant le 17 janvier 2002 ; je rappellerai pour mémoire et pour tout commentaire que nous sommes aujourd'hui le 24 juin 2003.

Le projet de loi qui nous est soumis vient donc combler des lacunes regrettables et réparer un manquement à la réglementation européenne à laquelle, madame la ministre, je sais que vous êtes particulièrement sensible. Il correspond aussi à la volonté exprimée par le Premier ministre de donner « un nouvel élan au chantier de la société de l'information ». Il a souhaité sortir de la logique des grandes lois dont l'élaboration est tellement lente qu'elles sont déjà en décalage avec les technologies et les pratiques lorsqu'elles entrent en vigueur. Je pensais que M. Hérisson en ferait la remarque. (Sourires.)

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Absolument !

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Le Gouvernement a sagement abandonné l'idée de proposer un projet de loi unique et définitif ayant pour ambition de régler l'ensemble des problèmes que pose l'émergence des nouvelles technologies. Il a choisi bien au contraire - et je ne suis pas le premier, ni probablement le dernier, à le dire -...

M. Jean-François Le Grand. Absolument !

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. ... une approche pragmatique et réaliste. Soyez-en remerciée, madame la ministre.

J'aimerais insister sur deux des principaux points du projet de loi qui entrent dans le champ de compétence réglementaire de la commission des affaires culturelles, ce qui explique qu'elle soit saisie pour avis. Nous attendons tous avec impatience l'intervention du brillant rapporteur de la commission des lois, qui conclura les présentations des différents rapporteurs.

Le premier point est lié à la définition de la communication en ligne. Dans la loi du 1er août 2000 que nous avons citée, le législateur avait préféré s'en tenir à une définition « en creux » des services en ligne, maintenant une certaine ambiguïté quant à leur appartenance à la communication audiovisuelle. En revanche, l'article 1er du présent projet de loi a défini la communication publique en ligne comme un sous-ensemble de la communication audiovisuelle. Madame la ministre, d'autres choix étaient possibles.

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée. Tout à fait !

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Soit ! Les similitudes entre la communication audiovisuelle et la communication publique en ligne ont été considérées comme prédominantes.

M. Henri Weber. A tort !

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. J'essaie d'expliquer le choix qui a été fait. En l'occurrence, ce n'est pas à tort puisque, de fait, la communication audiovisuelle et la commmunication publique en ligne consistent toutes deux en la mise à disposition du public ou de catégories de public d'un procédé de télécommunication, de signes, de signaux, d'écrits, d'images, de sons, ou de messages de toute nature, qui n'ont pas le caractère d'une correspondance privée. C'est leur caractéristique commune.

La communication publique en ligne, mes chers collègues, se signale néanmoins par une spécificité qui suffit à justifier son traitement individualisé au sein de la communication audiovisuelle. A la différence des services de radio et de télévision, dont la réception se fait sur décision de l'émetteur, la transmission des services de communication publique en ligne est assurée sur demande individuelle.

Après trois ans d'hésitation qui, sur ce point précis, ont donc été mis à profit par le Gouvernement, le texte qui nous est proposé définit la communication publique en ligne. Il donne également au juge - et c'est un deuxième point positif pour notre commission - les moyens de protéger efficacement la propriété intellectuelle sur Internet en transposant, à la grande satisfaction des créateurs et de leurs ayants droit, l'article 8 de la directive sur les droits d'auteur et les droits voisins. C'est, pour nous, un point capital.

Le projet de loi donne enfin aux autorités judiciaires les moyens propres à faire cesser dans les plus brefs délais les dommages occasionnés par les cybercontrefacteurs, en étendant la procédure de saisie de contrefaçon aux violations des droits d'auteur et des droits voisins sur les services de communication en ligne. Je le répète, ce point est capital pour que la communication en ligne ne devienne pas un repaire de contrebandiers et demeure un lieu de contenu accessible et riche.

L'Assemblée nationale, qui a examiné le projet de loi les 25 et 26 février dernier, a tenu, par rapport au texte initial du Gouvernement, à apporter quelques modifications intéressantes.

Elle a d'abord décidé - ce dont il faut se féliciter - d'instaurer un droit de réponse sur Internet. Est ainsi ouvert par le texte de l'Assemblée nationale, que nous veillerons à améliorer - comme c'est l'usage du Sénat - un droit de réponse à toute personne nommée ou désignée dans un service de communication publique en ligne qui utilise un mode écrit de diffusion de la pensée, c'est-à-dire les sites de presse en ligne, et eux seuls.

Si l'article réduit le champ de sites concernés par l'exercice du droit de réponse, en contrepartie, il n'impose aucune restriction quant à la nature des imputations justifiant l'utilisation de ce droit. Il se rapproche ainsi de la philosophie de la loi de 1881 sur la presse, qui reconnaît un droit de réponse à toute personne mise en cause, fût-ce en termes élogieux - puisque tel le veut le droit de réponse et écarte, de ce fait, les restrictions imposées par la loi du 29 juillet 1982 en matière audiovisuelle, qui n'ouvre, ce droit qu'en cas d'imputation portant atteinte à l'honneur ou à la réputation de la personne considérée.

L'Assemblée nationale a aussi souhaité - c'est un point important - adapter et préciser les pouvoirs de sanction dont dispose le CSA à l'égard des éditeurs et des distributeurs de services. A cet égard, nos collègues ont bien travaillé.

En effet, les articles 5 bis et 5 quater autorisent le CSA à prononcer des sanctions pécuniaires à l'encontre des éditeurs et des distributeurs de services de radio et de télévision dont le manquement constaté est constitutif d'une infraction pénale.

Ces deux articles répondent efficacement, aux yeux de la commission, à la requête présentée depuis de longs mois par le président de l'Autorité de régulation pour améliorer l'efficacité du pouvoir de sanction de l'institution.

L'article 5 ter, quant à lui, élargit à l'ensemble des éditeurs des services de radio et de télévision privés le pouvoir, dont dispose le CSA, d'ordonner l'insertion à l'antenne d'un communiqué. C'est un point dont les commissions des affaires culturelles demandaient l'examen depuis de nombreuses années. Il en fixe les termes et les conditions de diffusion et met en place une procédure simplifiée rompant avec le formalisme de la procédure prévue à l'article 42-7 pour la mise en oeuvre de ce pouvoir de sanction.

Si la commission des affaires culturelles a approuvé les orientations générales de ce texte et les orientations nouvelles qu'ont tracées nos collègues de l'Assemblée nationale, elle a néanmoins souhaité faire des propositions destinées à en améliorer l'économie générale.

En premier lieu, la commission souhaite limiter les pouvoirs du CSA à la régulation des services de radio et de télévision sur tous les supports et à en aménager les conditions techniques.

En effet, en faisant de la communication publique en ligne un sous-ensemble de la communication audiovisuelle, le projet de loi fait explicitement du CSA l'instance de régulation de l'ensemble des services disponibles sur Internet.

Or toutes les personnes que nous avons auditionnées, comme M. Baudis ou M. Beck, sont d'accord sur ce point : le CSA n'a ni les moyens ni l'envie de contrôler le contenu des dizaines, des centaines de millions de pages personnelles mises en ligne sur le réseau.

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée. Tout à fait !

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Cela n'a aucun intérêt. Ce n'est pas de son domaine. Le CSA souhaite voir sa compétence limitée à la régulation des services de radio et de télévision disponibles sur tous les supports, y compris Internet.

C'est pourquoi il nous semble nécessaire de cantonner les pouvoirs de l'autorité de régulation aux services de radio et de télévision, que je propose, par ailleurs, de définir, sur tous les supports sur lesquels ceux-ci sont diffusés, évitant ainsi au CSA de se disperser en essayant vainement de contrôler le contenu des « pages jaunes », par exemple. (Sourires.)

S'agissant des pouvoirs du CSA, sujet qui intéresse fortement la commission des affaires culturelles,...

M. Pierre Hérisson, rapporteur. La commission des affaires économiques aussi.

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. ... il me semble que ce projet de loi est l'occasion de corriger certaines lacunes nées des lois du 30 septembre 1986 et du 1er août 2000. J'allais même dire que c'est le rôle du parlementaire responsable que de se saisir de toutes ces belles occasions pour légiférer, et c'est ce que nous faisons.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Très bien !

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Je pense notamment aux sanctions que peut prendre le CSA à l'égard des éditeurs et des distributeurs de services qui ne respecteraient pas leurs obligations législatives, réglementaires ou conventionnelles.

En effet, si la loi du 1er août 2000 a bien apporté une modification pour préciser que ces sanctions s'appliquent à l'ensemble des éditeurs de chaînes et des distributeurs de services, elle n'a pas corrigé l'intitulé même des sanctions, lesquelles font toujours référence aux seuls services autorisés, c'est-à-dire aux chaînes hertziennes.

Concrètement, à l'heure actuelle, les chaînes et les distributeurs de services du câble et du satellite, qui sont des services conventionnés ou déclaratifs et non des services autorisés, échappent donc en grande partie au pouvoir de régulation du CSA. C'est le moment pour nous de corriger cette lacune.

Par ailleurs, madame la ministre, pour qualifier les services de radio, notre législation se réfère encore au terme de « radiodiffusion sonore ». Ce terme est ambigu et est même contraire au principe de neutralité technologique. En effet, il se réfère non seulement aux services diffusés mais également à un mode de diffusion particulier, les ondes hertziennes, alors même qu'il existe d'autres supports comme Internet ; nos enfants le savent bien.

Il serait donc opportun, en plein accord avec le CSA, de rectifier ces erreurs quasi matérielles, en modifiant l'intitulé des sanctions pouvant être prononcées par le CSA, pour y inclure définitivement l'ensemble des services et en remplacant le terme de « radiodiffusion sonore » par celui de « radio ».

Enfin, madame la ministre, et c'est un point moral auquel, je le sais, vous serez sensible, il nous semble opportun de faire figurer la protection de l'enfance et de l'adolescence parmi les principes essentiels qui justifient la mise en place de limites à l'exercice de la liberté de communication.

Si l'on fait figurer ce principe en tête de la loi l'on évitera des attendus législatifs abscons.

Alors que la violence et, de plus en plus souvent, la pornographie envahissent les écrans de télévision à des heures que l'on peut difficilement qualifier de tardives, la commission des affaire culturelles vous propose de donner au CSA le pouvoir de mettre en demeure, sous peine de sanction, les services de radio et de télévision qui ne respecteraient pas l'obligation, non seulement éthique mais aussi juridique, de rendre inaccessibles au jeune public des programmes réservés à un public averti. Je proposerai un amendement visant à rectifier la loi de 1986 en ce sens.

Pour finir, je reviens brièvement sur le dispositif introduit par l'Assemblée nationale, dispositif perfectible, qui permet d'assurer un droit de réponse aux personnes mentionnées sur un service de presse en ligne.

Si les dispositions adoptées par l'Assemblée nationale obéissent à une logique fort compréhensible et sont donc, à ce titre, satisfaisantes dans le principe, elles risquent de l'être beaucoup moins dans leur mise en oeuvre. En effet, il semble difficile de justifier pourquoi les personnes morales ou physiques mentionnées sur une page personnelle, par exemple, se verraient privées de droit de réponse.

Il paraît donc indispensable, selon nous, d'élargir le droit de réponse sur Internet à l'ensemble des services qui y sont diffusés et de préciser, afin d'éviter toute ambiguïté - c'est l'objet même du projet de loi que vous défendez, madame la ministre -, le destinataire du droit de réponse qui se trouve être, comme pour la presse et les services de communication audiovisuelle, le directeur de la publication.

Telles sont, madame la ministre, mes chers collègues, les préoccupations qui ont motivé le dépôt des amendements que je présenterai, au nom de la commission des affaires culturelles. Ainsi viendra la confiance dans la communication numérique, voie d'excellence de l'économie numérique ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Alex Turk, rapporteur pour avis.

M. Alex Türk, rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, il m'appartient de formuler un avis au nom de la commission des lois, mais tout a été excellemment dit avant moi, les grands principes ont été évoqués, et les points de détail seront examinés lors de l'examen des articles.

Je me bornerai donc à évoquer une préoccupation essentielle dont nous a fait part tout à l'heure M. Hérisson, quand il a évoqué la tension juridique qui pèse sur ce texte.

Au nom de la commission des lois, je vais essayer d'indiquer de quelle façon il paraît possible de faire face à cette tension juridique.

Premier élément de tension : l'accélération constante. Incontestablement, il s'agit de matières de haute technilogie qui bougent extrêmement rapidement et qui sont sévèrement encadrées par le droit européen.

Tout à l'heure, l'un des rapporteurs a dit que nous avions déjà du retard dans la transposition de ce texte. Je vous rappelle que, voilà quelques semaines, nous avons examiné un projet de loi modifiant la loi Informatique et libertés qui devait être adopté en 1998 pour satisfaire aux exigences de la directive de 1995. Nous avons déjà cinq ans de retard.

Un jour ou l'autre, nous serons bien obligés de réfléchir en tant que législateurs à la manière de réagir à ces phénomènes d'accélération, car nous ne pourrons pas continuer à courir après les directives et à essayer de nous adapter systématiquement à une législation imposée par des phénomènes techniques.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Absolument !

M. Alex Türk, rapporteur pour avis. Une réflexion de fond extrêmement importante pour l'avenir doit être menée.

Deuxième élément de tension juridique : l'interconnexion qui gouverne l'ensemble de ce texte.

Nous traitons d'un domaine dans lequel, par un biais ou par un autre, interviennent l'Autorité de régulation des télécommunications, le Conseil supérieur de l'audiovisuel, mais aussi la Commission nationale de l'informatique et des libertés et, d'une certaine façon, le Forum des droits sur l'Internet. Un véritable défi se dresse devant nous.

Je ne suis pas du tout certain qu'il soit nécessaire d'instituer une autorité supplémentaire. Je ne crois pas, et M. le rapporteur de la commission des affaires culturelles l'a excellemment dit, qu'il faille tout regrouper sous l'égide de l'une des autorités existantes. Au demeurant, un système dans lequel peuvent exister des failles, des chevauchements entre les différents organismes ne pourra pas perdurer. Il faut donc réfléchir à une forme de coordination souple.

Troisième élément de tension juridique : le problème de la régulation.

En 1997, M. Hérisson et moi avons remis un rapport, dans le cadre d'une commission présidée par M. Laffitte, sur les préoccupations liées au développement de l'Internet. A l'époque, nous avions osé dire devant la commission des lois que l'on pouvait abandonner en partie, dans un secteur déterminé, le concept de réglementation au profit de celui de régulation, totalement étranger au droit français.

Dans les années qui ont suivi, dans le milieu internautes beaucoup ont compris que la régulation pourrait être un piège mortel. En réalité, l'enjeu de ce genre de régulation, de réglementation est toujours le même : il s'agit d'un problème de proportionnalité.

Devons-nous laisser une totale liberté à l'hébergeur, sans aucun contrôle, au détriment de la liberté et, en l'occurence, du respect de l'intérêt général et de l'ordre public ? Ou bien devons-nous contraindre l'hébergeur de manière telle qu'il ne soit plus en mesure d'exercer son activité ? Dans ce dernier cas, il s'agirait d'une censure et d'une violation d'une autre forme de liberté, la liberté d'expression.

Il me semble que ce problème de proportionnalité est dans une large mesure, mieux traité sous la forme d'une réglementation élaborée sous l'égide du Parlement, qui a une véritable représentativité, que dans des systèmes parapublics ou issus du secteur privé.

Cela ne signifie pas qu'il faille renoncer totalement à l'idée de régulation, mais il faut prendre garde au fait que la régulation n'est pas forcément la meilleure méthode pour arbitrer entre des intérêts généraux.

Sur ce point, je pense que notre droit présente un certain nombre de caractéristiques, notamment de créativité et de réactivité, qui doivent nous rendre optimistes pour l'avenir. Le droit français gère depuis très longtemps des problèmes de proportionnalité grâce à la jurisprudence du Conseil d'Etat et à la législation. Le droit français connaît en outre parfaitement les problèmes de coordination en matière de science administrative. Reste le problème de l'accélération, qui ne dépendra que de notre propre mobilisation en tant que Parlement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)

M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :

Groupe Union pour un mouvement populaire, 52 minutes ;

Groupe socialiste, 28 minutes ;

Groupe de l'Union centriste, 13 minutes ;

Groupe communiste républicain et citoyen, 11 minutes.

Dans la suite de la discussion générale, la parole est à Mme Odette Terrade.

Mme Odette Terrade. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, contrairement à ce que nous venons d'entendre sur les bancs des ministres et des commissions et loin de l'unanimité affichée, le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique n'est pas le texte consensuel et moderne que l'on nous vante.

Au regard des inquiétudes qui se sont manifestées dans le monde de l'informatique autour du projet de loi, on peut être sceptique sur le fait de savoir si son objectif - rétablir la confiance dans l'économie numérique - sera réellement atteint. A moins que cet objectif ne soit en fait que de rassurer une partie des acteurs de l'informatique : moins le consommateur que le « cybermarchand », moins le citoyen-internaute que les multinationales et les majors.

C'est certainement là que se situe la clé de la divergence d'appréciation que nous portons sur ce projet de loi et, plus globalement, sur le projet numérique du Gouvernement, à savoir un Internet marchand sous contrôle des puissances économiques et de l'Etat, là où nous souhaiterions qu'Internet soit un bien commun à la disposition de tous.

En effet, la loi relative à la sécurité quotidienne et la loi pour la sécurité intérieure ont prévu des dispositions sur le contrôle des flux de données, sur le contrôle de l'informatique via le protocole TCPA ; en passant par le filtrage des contenus d'Internet, le parti pris est affiché : minorer la vocation démocratique de l'outil Internet pour se focaliser sur sa dimension commerciale.

Pour nous, Internet n'est pas seulement la marchandisation des biens et des idées, c'est aussi et avant tout un formidable outil de communication, d'expression et de création. La vocation d'Internet était de s'imposer comme une pratique populaire et comme un média de masse : toucher le plus grand nombre, le plus rapidement possible, en tous lieux possibles ; c'est là que se situe véritablement la révolution Internet, qui a bouleversé les notions traditionnelles de distance et de temps propres aux médias traditionnels.

Au rythme de leur développement, dès 2008, soit seulement quinze ans après leur apparition dans le grand public, les réseaux numériques feront partager à un sixième de l'humanité un espace socialisé de diffusion et d'élaboration de l'information. On comprend bien les enjeux qui se profilent derrière ce chiffre et la nécessité de poser les bons objectif, pour qu'Internet ne devienne pas, à l'image des « radios libres », un espace normalisé et conventionnel, loin de sa vocation initiale.

La « République numérique » promise par Jean-Pierre Raffarin est, nous le rappelle Yves Lafargue dans l'édition d'hier du journal Les Echos, une promesse dangereuse : « Personne ne conteste qu'Internet et les nouvelles technologies sont des outils d'une grande utilité, mais leur séduction est source d'illusions. La bulle boursière a eu des conséquences dramatiques sur les salariés, en général limitées au secteur des technologies, du multimédia, et des télécommunications. La bulle sociale, si nous ne la dégonflons pas en dénonçant les promesses qui ne peuvent être tenues, aura des conséquences encore plus négatives car elles toucheront tous les secteurs d'activité. »

Comme le dirait mon ami Jack Ralite, veillons à ce que l'« utopie technicienne » ne se substitue pas à l'« utopie sociale », car la réalité d'Internet, c'est également la persistance des inégalités.

Malgré les chiffres très positifs que vous avez cités, madame la ministre, l'accès de tous au numérique souhaité par le Président de la République est loin d'être garanti, alors que les opérateurs privés refusent de s'implanter dans les zones non rentables.

C'est d'ailleurs ce qui a motivé l'insertion des articles 1er A et 1er B dans le projet de loi, afin de contourner l'inertie des opérateurs privés. Mais la solution retenue reflète en réalité le projet de société libérale dans toute sa logique. Ce que le texte appelle « l'insuffisance d'initiatives privées » comme condition d'autorisation interdit aux collectivités d'intervenir là où sont les opérateurs. De fait, on ne crée pas d'émulation entre les opérateurs et on les dédouane de s'implanter là où ils ne veulent pas : la collectivité paiera !

C'est donc bien une conception de l'Etat au service du marché qui est consacrée ici et non une vision de l'Etat au service du bien commun. Ce n'est guère de nature à nous étonner dans un contexte de privatisation de France Télécom et, plus généralement, de privatisation des services publics. Vous comprendrez que nous ne puissions adhérer à une telle vision de la société.

L'inégalité de l'accès à l'Internet, c'est aussi, concrètement, le sous-équipement patent en milieu scolaire et son déficit de prise en compte dans la formation : malgré les engagements réguliers des différents gouvernements, l'obstacle de l'implication financière de l'Etat n'a jamais été franchi.

Par ailleurs, comme en matière de directives européennes, nous déplorons que la dimension commerciale reste au coeur du projet gouvernemental dans un contexte où la liberté de la concurrence est largement illusoire : l'exemple de Microsoft nous le rappelle à l'envi. Cette conception justifie la mise sous contrôle de l'Etat et des opérateurs privés plutôt que le développement d'une réglementation destinée à renforcer les droits et la protection des internautes.

J'en donnerai quelques exemples. Concernant la responsabilité des intermédiaires techniques, qui concentre encore l'essentiel des interrogations, tant il est vrai que le texte, dans la mouture issue des travaux de l'Assemblée nationale, s'apparente à bien des égards à une « censure par précaution ».

En effet, au détour de l'article 2, l'Assemblée nationale a réintroduit de façon implicite l'exigence de « diligences appropriées » à l'égard des hébergeurs, principe qui avait pourtant encouru la censure du Conseil constitutionnel. La contradiction de cet article avec la directive sur l'économie numérique n'a d'ailleurs pas échappé à nos rapporteurs, qui en sont, fort heureusement, revenus à une lecture plus modérée.

L'hébergeur, il faut le redire, n'a pas vocation à se substituer au juge : tel est le sens des amendements que nous avons déposé sur l'article 2.

Le commerce électronique trouve, dans le présent texte, un cadre qui a vocation à s'intégrer dans le droit commun des contrats, et il faut s'en réjouir. Néanmoins, il est tout à fait symptomatique de constater la difficulté de la majorité parlementaire à réduire les effets néfastes de la prospection commerciale : alors que le projet de loi initial interdisait par principe aux marchands du Net de démarcher ou « spammer » les visiteurs sans leur accord, selon le système du opt in, l'Assemblée nationale a introduit une dérogation de taille en rétablissant l'opt out - c'est-à-dire l'accord de principe du visiteur, qui ne bénéficie alors que d'un droit d'opposition - pour les personnes inscrites au registre du commerce et de l'industrie.

La majorité sénatoriale va même plus loin en ne limitant plus la prospection directe par courrier électronique à l'offre de produits analogues : autant dire que tout acheteur sur Internet ne bénéficiera plus du libre choix qu'on prétendait lui offrir.

Enfin, la « libéralisation » de la cryptologie, que l'on nous présente ici avec enthousiasme, est d'apparence puisqu'elle ne vise que l'usage et non la fourniture de logiciels de cryptage - soumis à un régime de déclaration -, dont on ne sait pas si elle concerne également la diffusion gratuite de ces logiciels. C'est aussi un contrôle en direction de la recherche fondamentale sur le numérique, qui, dans le présent texte, devient soumise à un régime de déclaration préalable.

Sur tous ces points, différentes associations d'internautes et de droits de l'homme nous ont alertés ; nous regrettons particulièrement que les commissions n'aient pas souhaité les auditionner publiquement. Comme si le débat autour de ces questions dérangeait...

Pour notre part, nous restons sur une position plus que réservée à l'égard du présent texte, même si nous considérons en effet nécessaire de donner un cadre juridique à l'Internet plutôt que de le laisser se développer hors cadre et si nous prenons acte des améliorations proposées par nos commissions.

C'est pourquoi, madame la ministre, les sénateurs du groupe communiste républicain et citoyen s'abstiendront sur ce projet de loi. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à M. René Trégouët.

M. René Trégouët. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, jamais depuis l'origine de l'humanité notre monde n'a changé aussi rapidement. Et pourtant, souvent, nous n'en avons pas conscience : un peu comme le passager d'un TGV ne réalise pas qu'il se déplace à plus de 300 kilomètres à l'heure, alors que son aïeul utilisant les diligences était « cassé » dès que les chevaux le tiraient à plus de 10 kilomètres à l'heure sur les fondrières des chaussées de l'époque.

Avons-nous bien conscience que, dans les dix ans qui viennent, l'humanité va globalement acquérir autant de connaissances nouvelles qu'elle en a acquis depuis l'origine ? Dix années vont suffire à l'homme pour parcourir, dans le domaine de la connaissance, autant de chemin que celui qui a été parcouru par nos aïeux depuis la nuit des temps. Cela semble inimaginable, et c'est bien vrai !

Toutes les bibliothèques, qui sont maintenant devenues virtuelles, vont doubler de volume dans les dix ans qui viennent. Cette situation résulte d'un phénomène majeur : notre planète est en train de se mettre en réseau ; 500 millions d'êtres humains sont déjà, à ce jour, reliés les uns aux autres par Internet ; dans cinq ans, ils devraient être un milliard.

Cette mutation profonde, qui accompagne un développement extraordinaire de l'informatique, nous permet déjà de définir de façon générique les métiers de demain. Pour être dans l'économie du futur, chacun d'entre nous devra avoir la capacité d'ajouter du savoir à un signal. Pour exercer les métiers d'un futur maintenant très proche, il faudra non seulement acquérir des savoirs, mais aussi, quel que soit son lieu de résidence, disposer d'un signal de qualité accessible au meilleur coût.

Dans moins de dix ans, toute entreprise, qu'elle soit petite ou d'importance, devra obligatoirement être connectée à un réseau haut débit pour être reliée au monde entier. Cela lui sera aussi nécessaire que peut l'être aujourd'hui son raccordement au réseau électrique ou téléphonique.

En outre, les habitudes de vie de millions et de millions de Français changeront profondément dans les dix ans qui viennent. Tous ceux que Robert Reich, dans l'Economie mondialisée, appelle les « enrichisseurs de signes » vont constater qu'il n'est plus nécessaire de rejoindre chaque matin son bureau pour être efficace. Ils peuvent l'être plus encore, puisqu'ils ne perdront plus de temps en de stériles embouteillages, à partir de leur domicile, à condition que celui-ci soit, lui aussi, puissamment relié au réseau mondial.

Or, quand nous abordons ce problème fondamental du haut débit, qui est aussi important dans notre encore jeune vie d'internautes que l'a été pour nos grands-parents l'arrivée de l'eau potable sur l'évier après avoir dû la tirer du puits avec un seau, il nous faut avoir bien conscience que, à l'encontre de ce que nous avons connu pour l'électricité ou le téléphone, notre définition du haut débit va évoluer très rapidement.

Là où nous nous contentons aujourd'hui d'un simple filet continu de signaux, nous allons exiger très rapidement, car les produits virtuels que nous transporterons seront de plus en plus lourds, un flux beaucoup plus puissant.

Les observateurs les plus avertis affirment que la loi Moore, qui éclaire depuis trente ans l'avenir de la micro-informatique en prévoyant que la capacité des ordinateurs double tous les dix-huit mois, sans changement de prix, va dorénavant s'appliquer au haut débit. Cela signifie que, si nous nous satisfaisons aujourd'hui, en haut débit, de 512 kilobits, sur ADSL ou sur le câble, dans une dizaine d'années à peine, chacun d'entre nous exigera de disposer de 100 mégabits, soit vingt fois plus.

Or tous les scientifiques sont unanimes : à ce niveau-là, il aura fallu quitter le domaine de l'électron pour entrer dans celui du photon. Cela signifie que le cuivre et donc l'ADSL ne pourront plus suivre et que le vecteur naturel sera devenu le verre, qui a seul la capacité de transporter ces photons. Les réseaux optiques prendront alors toute leur réelle dimension.

Or, dix ans, c'est court ! Même si nous commencions le travail dès demain matin, ce serait une véritable prouesse d'équiper toute la France en réseaux optiques dans les dix ans à venir.

Surtout, ne pensez pas, madame le ministre, mes chers collègues, que je sois original en proposant d'équiper ainsi l'ensemble de notre pays en réseaux optiques : la Corée l'a déjà fait et la plupart des autres pays avancés du monde, en tête desquels les Etats-Unis, le Japon, l'Allemagne, la Suède, sont en train de le faire.

De tous les principaux pays de l'OCDE, nous sommes celui qui accuse le plus grand retard dans la mise en place d'un réseau alternatif face à celui qu'a mis en place, dans le temps, l'opérateur historique. Ainsi, pour ne parler que de nos voisins, il faut savoir que plus de 90 % des Belges et 80 % des Allemands disposent du câble en plus de leur ligne téléphonique.

A nous être égarés pendant plus de vingt ans dans des procédures et technologies alternatives liées au génie singulier de nos responsables politiques et de nos ingénieurs, qui ont préféré la télévision payante par satellite, le satellite de télédiffusion directe - TDF 1 et TDF 2 -, nous avons oublié l'importance de la construction systématique d'un réseau câblé alternatif.

Cela nous amène logiquement à une autre erreur, que nous nous apprêtons à commettre : nous pensons que l'ADSL, qui utilise notre ligne téléphonique pour nous apporter, sans génie civil supplémentaire, le haut débit à notre domicile sera suffisant pour répondre à nos attentes de haut débit dans le futur.

S'il est vrai que l'ADSL pourra semer l'illusion pendant les cinq ou sept ans qui viennent, comme les superbes locomotives à vapeur avaient su le faire en leur temps face aux locomotives électriques, il faut bien avoir conscience dès maintenant que le cuivre ne pourra pas suivre et devra laisser la place au verre.

Les ingénieurs de France Télécom, face à cet argument, me rétorqueraient immédiatement qu'ils vont eux-mêmes construire un immense réseau optique puisqu'ils ont l'ambition de relier, à terme, la plupart de leurs digital subscriber line access multiplexers, les DSLAM, c'est-à-dire les serveurs distribuant l'ADSL, par de la fibre optique.

Mais cette réponse n'est pas la bonne, car, dans l'établissement d'un réseau, les coûts essentiels sont induits non par la construction des artères, mais bien par le « chevelu » optique ou coaxial qui devra desservir chaque utilisateur dans les dix ans à venir.

Or même France Télécom n'aura pas les moyens de construire ce chevelu au cours de la prochaine décennie. Seule une synergie entre la volonté politique de l'Etat et des collectivités territoriales et l'initiative privée des principaux acteurs permettra de relever à temps ce défi. (MM. Jean-François Le Grand et Louis de Broissia, rapporteur pour avis, applaudissent.)

Une telle démarche devra seulement, mais nécessairement, permettre à la collectivité de rester propriétaire des réseaux ainsi construits, avec des financements croisés des secteurs publics et privés, afin qu'une réelle concurrence puisse ainsi s'exercer sur ces réseaux du futur.

Le deuxième grand sujet qui sera abordé dans cette discussion est celui de la responsabilité de chacun sur Internet. Je note, avec regret, je dois le dire, que ce sont de plus en plus les acteurs privés d'Internet qui sont amenés à s'infliger les uns aux autres les sanctions potentielles, sans recours à un juge. Or un internaute ayant publié un contenu sur Internet ne doit pas être jugé et censuré par un groupe privé.

Mme Danièle Pourtaud. Absolument !

M. René Trégouët. Si le juge ne peut intervenir dans tous les cas, et je le comprends bien - il faut être réaliste ! -, que ce rôle de censeur, sinon de juge, soit au moins accordé par la loi à une nouvelle structure représentative de toute la communauté Internet.

C'est pourquoi je vous proposerai, lors de l'examen des articles, la création d'un comité national d'éthique de l'Internet. En effet, si vous n'y prenez pas garde, les Etats se dégageront de plus en plus de leurs responsabilités et laisseront les grands groupes privés spécialisés dans le hardware et dans les logiciels les prendre à leur place.

Vous-même, madame la ministre, comme M. le Premier ministre, utilisez très souvent le mot « confiance » lorsque vous parlez de la société de l'information ou de l'économie numérique. Ce même mot figure d'ailleurs dans l'intitulé du projet de loi. Je n'oserai pas dire que celui qui a choisi ce titre l'a fait par ironie, mais il se trouve que l'un des projets essentiels actuellement développés par Intel, le premier fondeur de microprocesseurs au monde, s'appelle TCPA, trusted computing plaftorm alliance, ce qui veut dire en français : alliance pour une informatique de confiance.

Chacun utilise donc volontiers ce terme de confiance, qu'il juge positif pour conquérir le coeur des internautes. Mais attention ! Il y a tout un monde entre le sens que nous donnons, nous, à ce terme et celui que lui accordent les majors américains. Ils lui accordent le même sens que celui que nous avions prétendu lui prêter il y a quelques années en voulant créer le tiers de confiance qui aurait eu pour mission de conserver une copie de nos clefs de déchiffrement. Mais nous savions bien qu'en cas de réquisition ce tiers de confiance n'était qu'un tiers qui avait la capacité de violer notre sécurité.

Ainsi, si ce projet TCPA est mené par Intel jusqu'à son terme - ce qui nous semble malheureusement maintenant inexorable -, cela signifie que les puces qui seront dans quelques courts mois au coeur de nos ordinateurs personnels renfermeront un mouchard prénommé Fritz - du prénom du sénateur américain Hollings, qui se bat actuellement pour généraliser l'usage de ce mouchard -, qui surveillera tous les usages que les internautes pourront faire de leur machine.

Ainsi, si vous-même utilisez des logiciels que vous n'avez pas personnellement acquis - prêtés par un ami, par exemple - ou si vos enfants chargent sur Internet une musique MP 3 dont les droits n'auraient pas été préalablement acquis, votre ordinateur sera totalement bloqué et n'acceptera pas de redémarrer tant que vous n'aurez pas régularisé votre situation.

Les grands éditeurs de musique ou de cinéma vont être très satisfaits de ces espions, qui devraient faire diminuer de façon sensible les piratages qui permettaient de copier sans bourse délier des films ou des airs à la mode.

Cependant, lorsque ce système TCPA viendra s'ajouter à Passport, Palladium et autres DRM, digital rights management, logiciel de gestion numérique des droits proposé par Microsoft, l'ensemble pourrait avoir de fortes incidences sur la vie de chacun d'entre nous puisque les puces fabriquées par Intel et les systèmes d'exploitation, les OS, mis sur le marché par Microsoft contrôlent plus de 95 % des micro-ordinateurs PC fabriqués dans le monde.

Si les raisons actuellement invoquées par les grands groupes informatiques pour justifier la mise en place de tels moyens de vigilence semblent a priori correctes, il ne faut pas se leurrer, madame la ministre, sur les réelles capacités de ces systèmes de surveillance.

Après les tentatives de l'Union soviétique, voilà quelques décennies, pour référencer et contrôler toutes les machines à écrire et les fax, les systèmes mis en place par Intel et Microsoft tentent de référencer et contrôler tous les ordinateurs.

Les conséquences que ces démarches pourraient impliquer, en termes de liberté, de démocratie ou de justice, ne peuvent qu'inquiéter. Aussi, je ne puis qu'inciter les pouvoirs publics à se montrer particulièrement vigilants.

Pour conclure, permettez-moi, madame la ministre, de vous féliciter pour la présentation de ce texte, même s'il est encore perfectible, comme toute oeuvre humaine.

En effet, le précédent gouvernement nous avait annoncé, à voix haute et à plusieurs reprises, la discussion devant le Parlement d'une grande loi sur la société de l'information. Nous l'avons attendue pendant plusieurs années et rien n'est venu !

Vous avez eu la volonté et le courage de tenir sans retard les engagements pris envers la communauté Internet lors de la dernière campagne électorale. Bravo !

Mes chers collègues, nous allons maintenant commencer l'examen de ce projet de loi sur l'économie numérique. Pendant toute cette discussion, il faut que nous ayons l'humilité de comprendre que notre loi ne serait pas efficace si elle ne prenait pas en considération la planète Internet mondiale telle qu'elle est. Quel respect pourraient avoir pour notre travail nos concitoyens si nous prenions sciemment des décisions qui ne seraient pas appliquées puisqu'il suffirait de déplacer les contenus incriminés sur un autre serveur placé à l'étranger et sur lequel la loi française n'a aucune autorité ?

A cet égard, la discussion qui va s'ouvrir est particulièrement intéressante. La loi devra efficacement répondre aux légitimes attentes nationales tout en se gardant de préconiser des mesures qu'il serait impossible de faire respecter sur le plan international. C'est là que se trouve le défi essentiel du texte qui nous est soumis aujourd'hui. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. le président. La parole est à M. Christian Gaudin.

M. Christian Gaudin. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, dans l'excellent rapport qu'ils ont rédigé au nom de la commission des affaires économiques, MM. Bruno Sido et Pierre Hérisson associent Internet et nouvelle économie à la notion de liberté. C'est tout à fait exact : Internet, c'est la liberté, la fluidité, la rapidité d'aller d'un site à l'autre. Ce sont des quantités d'informations, de services et de transactions à la portée d'un clic.

Ces dernières années, nous avons assisté à un développement considérable des nouvelles technologies de l'information et de la communication. Si cet essor s'appuie sur l'équipement des entreprises et des particuliers, il dépend avant tout de la confiance que tout utilisateur est en droit d'attendre de ces nouvelles technologies.

Ce texte est donc aussi important qu'attendu.

Il est important, car la nouveauté du secteur des nouvelles technologies comportait encore trop de flou et d'imprécision. Ce texte offre enfin un cadre juridique à la fois clair et pragmatique. Il adapte les règles juridiques en vigueur et permet ainsi d'établir, avec transparence, les responsabilités des prestataires. En opérant la libéralisation partielle de la cryptologie, il vise en outre à assurer la sécurité des opérations effectuées dans le cadre de l'économie numérique, afin de permettre à tous les échanges, commandes et règlements de s'effectuer sans crainte et en toute transparence.

Ce projet de loi était également très attendu puisqu'il a notamment pour objet de transposer une directive européenne dont la date butoir de transposition était fixée, rappelons-le, au 17 janvier 2002.

Il était aussi attendu par les collectivités territoriales, soucieuses d'apporter à nos concitoyens ce même service sur l'ensemble du territoire. Les élus locaux savent que seuls les territoires qui en seront équipés seront attractifs, tant pour les entreprises que pour les particuliers. Il y va tout simplement de leur avenir économique.

Un premier constat s'impose : cette liberté de communiquer, de s'informer, de se cultiver, de commercer et de consommer, pour s'exercer dans de bonnes conditions et sans restriction, implique le haut et le moyen débit. Cette technologie, en apportant l'atout de la vitesse à laquelle s'échangent les données, est encore plus nécessaire pour l'image, le son et la vidéo.

Deuxième constat : l'arrivée d'Internet a bien constitué une révolution, qui a eu des conséquences inattendues. On attendait principalement l'effet Internet dans les entreprises en espérant des gains de productivité et, en ce qui concerne les particuliers, un accès facilité à de nombreux services privés ou publics. Or la véritable explosion d'Internet est née du désir soudain des individus de communiquer, d'échanger. Les Français, qui ne s'écrivaient plus, communiquent de plus en plus. Ils créent également, par exemple, 3,5 millions de pages personnelles, ils rédigent, échangent des textes, des photos, des dessins, des vidéos.

De nombreux Français, parmi lesquels la quasi-totalité de la génération des quinze - vingt-cinq ans, ont déjà pris l'habitude de passer plusieurs heures devant leur écran. Ils peuvent, par exemple, choisir de réserver leurs lieux de vacances ou imprimer directement, à présent, leurs billets SNCF. Bref, ils commercent déjà par Internet.

Il est donc primordial que cette nouvelle liberté et cette facilité que permet le haut débit soient proposées à tous et sur tout le territoire. Car il existe bien une fracture numérique. Celle-ci est double. Elle est sans doute sociale, mais, plus encore, elle est géographique.

Malgré une progression rapide au cours des dernières années, il est apparu très vite à un certain nombre d'élus que de nombreux territoires ne seront desservis par aucune infrastructure. Les zones trop peu peuplées n'intéressent pas les opérateurs, car elles ne sont pas assez rentables. Malheureusement, ces zones représentent 80 % du territoire et 20 % de la population.

C'est au nom du principe d'égalité que ce nouvel usage, auquel sont tout particulièrement bien préparées les tranches jeunes de la population, doit être proposé sur l'ensemble du territoire, et à des prix abordables.

Les récents débats sur l'aménagement du territoire ont fait écho à la volonté, également nouvelle, des familles qui, choisissant la qualité de vie en zone rurale, quittent les villes. Ce n'est plus un phénomène marginal, et de jeunes entrepreneurs ont d'ailleurs le même désir. Les nouvelles techniques de l'information et de la communication leur offrent l'opportunité de relocaliser ou de créer leur entreprise parfois loin des zones urbaines, mais dans des bassins d'emplois prêt à les recevoir. Toutefois, pour rester attractifs, ces territoires doivent l'être également sur le plan économique et technologique.

Par rapport au reste de l'Europe, la France possèdeune caractéristique unique, celle de compter 36 000 communes. Allons-nous accepter que nos 32 000 communes de moins de 2 000 habitants soient exclues de l'accès aux nouvelles technologies ?

Une dynamique s'est créée. Près de 130 projets haut débit ont déjà été déposés par des collectivités locales. Mon département de Maine-et-Loire comme ceux de l'Allier, de la Manche, de l'Oise, sont actuellement à la pointe du mouvement. Mais si, en France, le haut débit progresse en suivant la moyenne européenne, nous sommes cependant loin des pays leaders comme la Corée, le Canada ou même la Belgique.

Ce projet de loi ainsi que les deux projets à venir sont l'occasion de dépasser les effets d'annonce en clarifiant, enfin, le rôle des collectivités locales dans le domaine des télécommunications.

Si nous parlons bien d'un service indispensable, tant aux entreprises qu'aux particuliers, notamment dans le cadre d'une économie numérique, ce service doit-il être public ? Et ce service public doit-il être local ? Les collectivités doivent-elles être simplement gestionnaires des infrastructures, être opérateurs d'opérateurs ou choisir d'être elles-mêmes opérateurs et offrir ainsi des services de télécommunications ?

L'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales permettait uniquement aux collectivités territoriales d'investir en infrastructures destinées à supporter des réseaux de télécommunications. Ces dispositions seront remplacées par l'article L. 1425-1 du même code, créé à l'article 1er A du présent projet de loi, qui permet aux collectivités de prendre en charge les deux types d'activité.

Désormais, les collectivités territoriales n'auront pas à distinguer les réseaux actifs des réseaux passifs et pourront offrir aux opérateurs désireux de s'implanter sur leur territoire tout un ensemble d'installations techniques en offrant un choix plus large de technologies différentes, comme le réseau satellitaire, le câble, le wi-fi, etc. C'est une décision judicieuse qui permettra de choisir la technologie la plus adaptée, afin d'assurer une meilleure concurrence entre les opérateurs.

Jusqu'à présent, seule la construction d'infrastructures non préexistantes était autorisée. L'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales, en utilisant le terme « établissement », permet d'utiliser, d'acheter des infrastructures déjà existantes.

La nouvelle rédaction de cet article vise à rétablir l'exigence de carence de l'initiative privée, mais seulement pour conditionner la possibilité pour les collectivités territoriales d'être opérateurs de services.

Ce changement est très important puisqu'il consacre la légitimité pour les collectivités territoriales d'établir et d'exploiter des réseaux de télécommunications. Le débat est par conséquent clarifié : ces deux activités constituent bien un service public. D'ailleurs, cette qualification se retrouve dans la place même du nouvel article au sein du livre IV du code précité, relatif aux services publics locaux.

De nombreuses collectivités territoriales ont commencé à recenser les besoins des populations et des entreprises. Les conséquences sont importantes. Le décret à venir devra régler précisément les modalités de la consultation et du constat de carence, sans remettre toutefois en question le travail déjà entrepris et les données déjà acquises, afin d'éviter tout retard.

L'amendement n° 11 présenté par la commission des affaires économiques vise d'ailleurs à supprimer la procédure de consultation, en la remplaçant par la procédure d'information publique.

Il est vrai que, par le passé, la procédure de consultation n'a pas donné de résultats convaincants. Toutefois, et c'était son principal intérêt, elle avait le mérite de faire prendre conscience aux collectivités territoriales des véritables besoins exprimés par la population, les entreprises et les opérateurs. A cet égard, l'outil du questionnaire est intéressant dans la mesure où il permet d'appréhender ces besoins ainsi que les carences d'un territoire.

Il me semble que nous touchons là au noeud du problème. Les TIC sont un domaine complexe, sur le plan tant technique que financier.

C'est un secteur appelé à évoluer, avec des charges importantes. Si les besoins sont indiscutables, est-ce aux collectivités territoriales de prendre en charge cette nouvelle compétence, d'autant que ce sont les collectivités territoriales les moins riches, celles des départements de zones rurales, qui devront le plus investir ?

Nous avons déjà parlé de liberté, puis d'égalité ; il me paraît important d'évoquer à présent la solidarité.

Je conclurai en me félicitant de la nouvelle clé de répartition des contributions au fonds de financement du service universel des télécommunications prévue à l'article 37 bis. Je souhaite que cette mesure, qui paraît plus équitable, permette également aux fournisseurs d'accès à Internet de proposer prochainement des forfaits tout particulièrement intéressants.

Ces opérateurs aimeraient, par ailleurs, savoir à partir de quelle évaluation cette nouvelle clé de répartition s'appliquerait : puisqu'il y a deux années de latence, une évaluation définitive pour 2002 n'interviendrait qu'en 2004.

Les nouvelles technologies doivent permettre très vite l'essor de ce commerce numérique, facteur de croissance et, donc, d'emplois. Toutefois, elles ne doivent pas creuser les inégalités qui existent déjà sur nos territoires. Au contraire, grâce à une réelle volonté politique, elles peuvent gommer ces écarts et participer à un véritable aménagement équilibré nécessaire à notre pays.

Madame la ministre, le groupe de l'Union centriste votera, bien sûr, ce texte. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP.)

M. le président. La parole est à M. Pierre-Yvon Trémel.

M. Pierre-Yvon Trémel. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, la contribution des technologies de l'information et de la communication au développement économique et à l'emploi est désormais reconnue par tous comme étant déterminante.

Ces technologies constituent un puissant facteur de diffusion de l'innovation, elles possèdent un potentiel de gains de productivité, de compétitivité, qu'il faut prendre d'autant plus en considération lorsqu'il s'agit, comme aujourd'hui, de stimuler la croissance, de créer des emplois.

Ces technologies jouent aussi un rôle stratégique dans des secteurs clés de notre existence : éducation, formation, culture, santé, loisirs, notamment.

Enfin - et le débat qui a récemment eu lieu ici même autour de l'avenir des services publics l'a mis en évidence -, ces technologies peuvent et doivent jouer un rôle majeur dans l'établissement de relations nouvelles entre les administrations et les usagers.

Dans un domaine en évolution rapide, quelques indicateurs permettent de dégager deux grandes tendances pour notre pays : une dynamique certaine, des comparaisons stimulantes.

Les abonnements payants à Internet sont passés de 540 000 en janvier 1998 à 7 940 000 en juin 2002, et à 9 297 000 en mars 2003 ; 25 % des Français sont connectés à l'Internet à domicile.

Le développement d'Internet haut débit est très rapide. La France a franchi, début mars 2003, le seuil de 1,7 million de lignes haut débit, dont 1,4 million d'abonnés à l'ADSL et près de 30 000 accès par câble.

On observe, en Europe, des disparités significatives, et trois groupes de pays se dégagent : les pays scandinaves et les Pays-Bas ; avec une forte proportion de foyers connectés l'Allemagne, le Royaume-Uni et la Belgique ; puis la France, l'Italie et l'Espagne.

La France reste pénalisée par un taux plus faible de pénétration des ordinateurs dans les ménages : 35,7 % de ménages sont équipés en France, 44,7 % en Allemagne, 46 % au Royaume-Uni, 65 % au Etats-Unis.

Pour la grande majorité des internautes, Internet est d'abord un moyen de communication, un outil d'information et de renseignement, un moyen de se former.

En 2002, plus de 35 % des internautes européens déclaraient avoir acheté pour eux-mêmes des produits ou des services en ligne. En France, un internaute sur cinq déclare avoir acheté sur la Toile des livres, des disques, des jeux ou des jouets ; un sur cinq a procédé à des réservations de voyages ou de spectacles ; 8 % des internautes ont commandé des produits alimentaires.

Cependant - et nous voilà en plein coeur du présent projet de loi - de nombreux internautes déclarent avoir rencontré des problèmes lors de leurs achats et « ne pas avoir confiance, n'être pas disposés à acheter sur Internet ».

La France est bien entrée dans la société de l'information. Elle prend conscience des vastes perspectives que celle-ci ouvre, de ses enjeux considérables : place de l'industrie du multimédia ; bataille de l'intelligence avec le rôle clé de la recherche ; levier possible pour les équipementiers aujourd'hui en difficulté ; accès au savoir et à la culture ; nécessaire adaptation de notre droit ; exercice des libertés ; risque de fracture sociale, générationnelle, territoriale.

Toutes ces évolutions, cette nouvelle donne économique et sociale, représentent un défi politique majeur qui interroge, bien entendu, Gouvernement et Parlement.

Jean-Pierre Raffarin a présenté, le 12 novembre 2002, la plan RE/SO 2007 « pour une République numérique dans la société de l'information », définissant orientations et stratégie afin d'« ancrer fermement la France dans l'Internet et pour assurer à notre pays une position de leader européen dans la société de l'information ».

Nous sommes tout disposés à partager les ambitions affirmées par le Premier ministre. Mais, dans le même temps, j'entends et je lis que cette volonté affirmée viendrait combler de grands retards dus à une inaction dans ce domaine du gouvernement dirigé par Lionel Jospin.

J'aimerais que nous soyons capables de dépasser les approches politiciennes, chacun, après tout, pouvant facilement choisir sa période historique de référence : Internet - les chiffres cités à l'instant l'ont démontré - n'est pas né en France en mai 2002 !

A la suite d'un discours véritablement fondateur, prononcé à Hourtin en 1997, Lionel Jospin avait su donner l'impulsion, entraînant une forte mobilisation de l'Etat au travers du programme d'action gouvernementale pour la société de l'information, le PAGSI, lancé en janvier 1998.

Ce programme, fondé sur quelques priorités qui ont mobilisé 9 milliards de francs en quatre ans, a donné des résultats incontestables. Permettez-moi de rappeler très rapidement quelques exemples tout à fait significatifs : l'équipement, la formation, la connexion du milieu éducatif, ce qui prouve que la bataille de l'intelligence commence bien à l'école ; le développement de l'innovation, avec des moyens renforcés pour la recherche et le développement publics et des mesures d'incitation pour les entreprises ; la naissance et la croissance en France de l'administration en ligne, avec l'apparition de nouveaux services pour les citoyens et les entreprises : en quatre ans, 3 500 sites publics ont été ouverts ;...

M. Henri Weber. Très juste !

M. Pierre-Yvon Trémel. ... l'essor rapide de l'usage du multimédia et du commerce électronique : le montant des transactions sur Internet entre consommateurs et entreprises a été multiplié par dix entre 1998 et 2000 ; la réduction du fossé numérique, avec une multiplication des accès et des espaces publics numériques et les décisions prises au CIADT, le comité interministériel pour l'aménagement et le développement du territoire, qui s'est tenu à Limoges en juillet 2001 ; enfin, l'adaptation de mesures législatives favorables au développement de l'Internet et du commerce électronique : il s'agissait des textes sur la signature électronique, les ventes aux enchères en ligne, le dégroupage de la boucle locale, la protection des données personnelles.

Incontestablement, il y a eu un engagement du gouvernement de Lionel Jospin, mais il a manqué un maillon,...

M. Bruno Sido, rapporteur. Ah !

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Toujours un maillon faible ! Sacré maillon ! (Sourires.)

M. Pierre-Yvon Trémel. ... un cadre législatif global, adapté, qui devait être fixé par l'adoption du projet de loi sur la société de l'information.

Ce projet de loi, auquel votre prédécesseur, Christian Pierret, tenait beaucoup, madame la ministre...

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée. Absolument !

M. Pierre-Yvon Trémel. ... a été adopté en conseil des ministres le 13 juin 2001. Il n'a pu être présenté devant le Parlement...

MM. Henri Weber et Pierre Hérisson, rapporteur. Hélas ! (Sourires.)

M. Pierre-Yvon Trémel. ... et cela a exacerbé, à juste titre, les attentes du régulateur, des industriels, des professionnels du secteur, des consommateurs, du monde du droit...

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée. Eh oui !

M. Pierre-Yvon Trémel. ... et, si j'en juge par les propos que j'ai entendus cet après-midi, des parlementaires.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Ah, quand même !

M. Pierre-Yvon Trémel. Vous aviez la possibilité, madame la ministre, de reprendre ce texte complet, cohérent,...

M. Louis de Broissia, rapporteur pour avis. Il était déjà dépassé !

M. Pierre-Yvon Trémel. ... en y introduisant les dispositions liées à la transposition des directives européennes et en le complétant.

Le Gouvernement, au nom - dit-il - du pragmatisme, a fait un autre choix : celui de proposer au Parlement de légiférer sur les règles du jeu dans la société de l'information, en annonçant trois textes : deux présentés par vous-même, le présent projet de loi et un texte connu sous l'appellation « paquet télécom », et un troisième texte, portant sur les questions de l'administration électronique, de la diffusion et de l'appropriation des nouvelles technologies, qui sera présenté par Mme la ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.

Tout choix conduit à faire la balance des avantages et des inconvénients et il nous paraît clair, aujourd'hui, au vu du débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale et des difficultés rencontrées ici, au Sénat, que la méthode retenue pose des problèmes.

Comme l'a dit, de manière prémonitoire et dans sa grande sagesse, le président de la commission supérieure du service public des postes et télécommunications, M. Pierre Hérisson : « Une telle présentation de trois lois espacées dans le temps ne permet pas d'avoir une vue globale de l'ensemble des règles du jeu. »

M. Michel Teston. Bien vu !

M. Pierre-Yvon Trémel. La bonne lisibilité nécessaire dans un domaine aussi complexe ne peut en effet être atteinte.

Certaines questions traitées dans un texte sont appelées à l'être également dans un autre et l'on voit poindre les risques de doublon et d'incohérence. Nous en avons évoqués deux exemples en commission : la définition de la communication en ligne et la réforme du financement du service universel.

On peut légitimement s'interroger sur la qualité du travail effectué dans de telles conditions. Improviser en matière législative est toujours dangereux, nous le savons tous.

La modification de l'article L. 1511-6 du code général des collectivités territoriales - qui est très attendue par les élus locaux - est tout à fait probante : rien dans le texte initial du Gouvernement, un amendement parlementaire, puis un amendement du Gouvernement à l'Assemblée nationale et une autre mouture au Sénat.

Certaines questions importantes et urgentes sont passées sous silence dans ce projet de loi : l'accès aux données et aux archives publiques, les logiciels libres, les codes-sources.

En tout état de cause, votre choix implique que nous ayions connaissance de la suite du programme du Gouvernement dans ce domaine. Pouvez-vous, madame la ministre, nous annoncer un calendrier prévisionnel de l'inscription des nouveaux textes à l'ordre du jour du Parlement ?

Le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique se donne pour objet « d'adapter notre droit aux exigences de l'économie numérique ». Il répond à un réel besoin.

Avec ce projet de loi, le législateur aborde une terre inconnue qui reste à défricher. Il s'engage sur un chemin sinon sablonneux, du moins malaisé en s'attaquant à un chantier qui mérite d'être conduit à terme, car, pour parvenir à une société de l'information créative, solidaire, républicaine, il nous faut des textes et des modes de régulation bien adaptés sans lequels il n'y a ni confiance, ni initiative possible, ni liberté, ni égalité.

Sur le fond, je souhaite présenter quelques observations sur les points qui ont principalement retenu l'attention du groupe socialiste.

Les articles 1er A et 1er B élargissent les compétences des collectivités locales dans le domaine des télécommunications.

L'accès au haut débit pour tous, la couverture complète du territoire en téléphonie mobile sont des objectifs que nous partageons. Il n'y a pas d'avenir pour les collectivités locales qui seront victimes de la fracture numérique même s'il convient de ne pas céder à un certain mythe du haut débit.

Pour atteindre ces objectifs, deux verrous doivent sauter : les obstacles juridiques et l'inégalité des moyens financiers.

Le débat qui s'est déroulé à l'Assemblée nationale conduit à la création d'une nouvelle catégorie de services publics locaux. Deux questions lourdes sont dès lors posées.

Première question : les collectivités locales doivent-elles devenir fournisseurs des services de télécommunication ?

La fourniture de ces services suppose un savoir-faire jusque-là réservé au secteur marchand. Celles qui feront le choix d'exercer cette compétence devront être prêtes à assumer toutes les nouvelles responsabilités juridiques instaurées par le projet de loi - par exemple pour les fournisseurs d'accès à l'Internet - voire à contribuer au financement du service universel des télécommunications.

Cette compétence difficile à exercer ne sera-t-elle pas réservée de facto aux collectivités qui sont boudées par les opérateurs de télécommunications, puisqu'elle ne peut s'exercer que si l'initiative privée est insuffisante ? Ne risquons-nous pas d'aller vers la situation où les collectivités les moins riches et les moins peuplées seront celles qui auront à la fois à prendre des risques et à payer le plus.

Deuxième question : que vaut une liberté sans les moyens de l'exercer ?

M. Henri Weber. Pas grand-chose !

M. Pierre-Yvon Trémel. Vous répondez fort bien à cette question dans votre rapport, messieurs les rapporteurs : « Les collectivités locales les plus fragiles ne peuvent être laissées seules devant le vide numérique. »

Le problème est que, pour l'instant, ni le Gouvernement, ni vous-même ne faites des propositions pour les sortir de cet isolement financier.

M. Pierre Hérisson, rapporteur. Vous allez le faire ! (Sourires.)

M. Pierre-Yvon Trémel. Pour ce qui concerne la couverture du territoire en téléphonie mobile, nous sommes en attente de l'application concrète de l'accord du 24 septembre 2002.

Nous espérons à l'occasion de ce débat avoir des éléments d'information techniques, financiers, calendaires sur les questions en suspens. M. Michel Teston interviendra à ce sujet, au nom du groupe socialiste.

Sur les articles 1er et 2, les débats ont été particulièrement riches à l'Assemblée nationale. Henri Weber interviendra au nom de notre groupe, car de nombreuses questions méritent que nous tentions d'améliorer le texte transmis par l'Assemblée nationale.

Sur l'article 6, la définition du commerce électronique doit concerner à la fois la commande effective et les activités qui proposent la consultation en ligne.

Enfin, l'article 37 bis traduit une autre initiative du rapporteur au fond de l'Assemblée nationale.

Fallait-il traiter le problème réel du financement du service universel des télécommunications dans le présent texte ?

Une concertation plus poussée avec les opérateurs, dont, nous l'avons vu, les intérêts divergent, aurait eu, en tout cas, toute sa place.

Trois enjeux se détachent clairement : la démocratisation de l'accès à Internet, les critères de calcul de la contribution des opérateurs et l'évolution du contenu du service universel, point sur lequel nous souhaiterions connaître votre position, madame la ministre.

Transposer dans notre droit la directive e-commerce, adapter nos règles de droit à l'économie numérique afin de renforcer la confiance dans l'utilisation des technologies de l'information et de la communication et permettre un aménagement numérique équilibré du territoire, telles sont les ambitions de ce projet de loi, autour desquelles nous pouvons nous retrouver.

Notre groupe, très sensibilisé aux enjeux du présent texte, participera à la discussion avec la volonté de susciter des éclairages sur des sujets complexes, de proposer des améliorations et d'ouvrir des perspectives. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC. - MM. les rapporteurs applaudissent également.)

M. le président. La parole est à M. Jean-François Le Grand.

M. Jean-François Le Grand. Tout d'abord, je joindrai ma voix à celle des précédents orateurs pour vous remercier, madame la ministre, d'avoir enfin présenté devant le Parlement un projet de loi sur l'économie numérique et je vous félicite de l'avoir intitulé « Confiance dans l'économie numérique. »

L'étymologie latine du mot « confiance » signifie « foi ensemble », foi partagée. Il en est de cette foi comme de l'ensemble des projets : un bon projet, c'est un projet partagé. N'ayez pas de frilosité pour l'ouverture des possibilités laissées aux collectivités locales.

Je féliciterai également les rapporteurs pour la qualité de leur travail. Ce n'était pas simple, malgré des avis différents, d'aboutir à des propositions convergentes sur un sujet aussi évolutif. Ils ont su synthétiser les aspirations des élus locaux.

Je veux dire aussi à M. René Trégouët que nous avons été sous le charme de son intervention qui a posé le débat à l'échelle planétaire, comme il doit l'être. Il n'est tombé ni dans la flagornerie ni dans le rêve utopiste, et a essayé de rester en contact avec le concret, le quotidien.

Je n'aurai pas l'outrecuidance de revenir sur ces sujets ! Quelles que soient nos philosophies, quels que soient nos sentiments, nous ne pouvons qu'adhérer à sa vision des choses.

Je présenterai maintenant deux observations et, reprenant l'image de M. René Trégouët, je déplacerai le curseur sur la règle pour intervenir seulement en termes d'aménagement du territoire ou d'enjeux d'opérateurs.

Première observation : les technologies de l'information et de la communication sont le dernier enjeu de différenciation des territoires, ce qui veut dire qu'il faut laisser toute leur liberté à ces derniers, qu'il s'agisse des régions, des départements ou des communes.

La différenciation se fait en fonction de trois considérations.

Le premier enjeu, c'est l'existence même du service : peut-on avoir un haut débit sur un territoire donné ?

Ce n'est pas parce que le haut débit existera que le développement économique suivra automatiquement. A l'inverse, l'absence du haut débit condamne irrémédiablement le développement économique, tout le monde l'a rappelé.

Monsieur Trémel, selon vous, il ne faut céder ni à la phobie ni à l'utopie du haut débit. C'est pourtant, mon cher collègue, un enjeu aussi important que le téléphone, l'electricité, je ne suis pas le premier à le souligner, et, aujourd'hui, ne pas l'avoir, c'est condamner un territoire. (M. Pierre-Yvon Trémel approuve.) L'avoir, c'est lui permettre peut-être de se développer. C'est une condition nécessaire mais non suffisante.

Il faut abandonner cette vision selon laquelle le haut débit serait un enjeu de luxe pour les territoires qui en ont les moyens. Non ! C'est un enjeu sociétal de tous les instants. C'est un enjeu que l'on ne peut occulter.

Dans l'optique qu'a excellemment rappelée tout à l'heure M. René Trégouët, le haut débit est un enjeu national, bien évidemment, mais aussi un enjeu en termes de différenciation de notre pays par rapport aux autres. C'est dans cet esprit, je crois, qu'il convient de l'aborder. L'existence du service constitue donc en soi un objectif.

Le deuxième enjeu, c'est le coût.

Lorsqu'il existe des différences extraordinaires - de un à cinq - entre un territoire et un autre, le territoire le plus pénalisé n'a aucune chance d'attirer des entreprises performantes qui utiliseront ce véhicule, qu'il s'agisse des entreprises spécialisées en info-gérance ou de grandes entreprises de cette nature. Il est évident qu'une différenciation du coût induit une différenciation territoriale. Elle condamne pour longtemps certaines collectivités locales trop éloignées à l'immobilisme. Il est donc nécessaire de disposer de moyens de régulation ou de capacités d'action. Cela relève des collectivités locales et pas seulement de l'Etat, du Gouvernement.

Le troisième enjeu est le niveau de service. Entre quelques kilobits et une centaine de mégabits, l'écart est tellement grand que c'est là aussi que se joue la vraie différenciation.

Permettez-moi, madame la ministre, de citer simplement un exemple que nous connaissons, que M. le président du Sénat connaît bien, celui de Milan. Cette ville a proposé à ses habitants un forfait de services comprenant visioconférence, service téléphonique et services Internet pour seulement 400 à 500 francs par mois.

Un tel atout rend un territoire attractif. L'enjeu est là. L'enjeu n'est pas l'intervenant, mais le service offert. Tel est pour nous, convenons-en ensemble, le véritable enjeu de notre responsabilité à la tête de nos collectivités locales.

Je reviendrai sur ces sujets lors de l'examen des amendements que j'aurai l'honneur de défendre tout à l'heure, madame la ministre, et dont je suis sûr que vous en comprendrez l'intérêt mais dont je suis moins sûr que vous les accepterez. (Rires.)

Deuxième observation : on ne peut pas tout attendre des opérateurs privés, notamment qu'ils aménagent notre territoire.

Vous savez bien, madame la ministre, mes chers collègues, que la balle est, pour l'essentiel, dans le camp des collectivités.

Si l'on se fonde sur la courbe de croissance des équipements réalisés, il faudra de nombreuses années pour atteindre le niveau déjà atteint par d'autres pays.

Chaque fois que l'on a décentralisé, cela a été pour avoir une meilleure réactivité, apporter une meilleure réponse aux besoins, une meilleure adaptabilité ; faisons-le ici.

Nous sommes tous nés ensemble au monde des technologies nouvelles. Cela veut dire que les différences ne peuvent être dues qu'à des retards ou à une absence de compréhension, mais certainement pas à des problèmes techniques.

L'article L. 1425 traduit la volonté de permettre aux collectivités de réaliser l'aménagement numérique de leur territoire. M. René Trégouët a rappelé que, selon la loi de Moore, la puissance des processeurs double tous les dix-huit mois, sans que leur prix augmente. C'est vrai aussi de la fibre optique et des infrastructures de même nature.

Le savoir, c'est bien, mais ne pas réagir en le sachant, ce serait grave, ce serait une pénalité que l'on s'imposerait à soi-même. Il convient donc d'ouvrir quelque peu le système. C'est possible avec l'article L. 1425. J'espère cependant, madame la ministre, que vous saurez comprendre l'intérêt de l'article additionnel que j'ai déposé.

J'espère que vous ne saurez pas résister aux arguments pertinents que nous essaierons de développer (Sourires). Si vous ne les recevez pas, c'est qu'ils n'auront pas été pertinents ! (Nouveaux sourires.)

Ne soyons pas frileux ! Le danger majeur de cette loi serait de limiter l'action des uns et des autres.

Nous devons relever un défi majeur en prenant un engagement politique. La participation, c'est aussi cela !

Je pense que l'informatique a un caractère très gaullien en ce sens qu'elle permet de passer des « pyramides du savoir aux réseaux de la connaissance », pour citer encore M. René Trégouët. C'est l'enjeu extraordinaire de la participation. Nous étions sur des systèmes pyramidaux. La connaissance et la décision étaient au sommet. Aujourd'hui, les responsabilités ont été transversalisées et le système des réseaux permet à chacun, où qu'il soit, d'inclure sa petite parcelle d'intelligence dans l'ensemble.

Si cela vaut pour l'individu, cela vaut aussi pour les collectivités. Chacune d'entre elles est porteuse de quelque chose ; chacune d'entre elles peut contribuer à l'harmonie de l'ensemble, à tous les équilibres, notamment à l'écosystème. Alors donnez aussi aux collectivités la possibilité de s'engager dans cette action de participation.

Je reviendrai tout à l'heure sur les deux sous-amendements que je présenterai aux amendements n°s 11 et 13.

S'agissant de la neutralité technologique, elle a été nécessaire et bonne à un moment donné de notre histoire numérique. Mais, aujourd'hui, nous enfermer dans ce principe serait à la fois une atteinte à la concurrence et un risque d'enfermement. Comment pourrions-nous courir avec des semelles de plomb ?

La neutralité technologique ne tend pas à interdire, elle permet de choisir une technologie. Pour un fond de vallée, pour un département presqu'île comme le mien, pour un territoire enclavé, vous avez l'obligation de passer par certaines technologies et d'en éliminer d'autres qui ne sont pas adaptées ou qui sont trop onéreuses.

Autrement dit, le choix d'une technologie ne vise pas à choisir un seul opérateur. Puisqu'il existe aujourd'hui de nombreux opérateurs pour chacune des technologies, l'ouverture à la concurrence est maintenue. Il s'agit simplement de choisir a priori une technique d'aménagement numérique du territoire en laissant la concurrence se développer en aval.

Il ne s'agit nullement de faire un choix en contournant le dispositif de l'appel d'offre de marché public. Je reviendrai sur ce point tout à l'heure lorsque nous discuterons de l'article additionnel que je vous propose après l'article L. 1425.

En conclusion, je formulerai deux observations brèves.

Premièrement, nous sommes au coeur d'un acte de décentralisation. Chacun sait combien la décentralisation a été bénéfique à notre pays, combien elle a permis sa modernisation, sa réactivité, son adaptabilité. Aujourd'hui, c'est encore plus vrai avec l'économie numérique.

Il faut que vous nous donniez les moyens de refuser les fatalités territoriales, celles des départements presqu'îles que j'évoquais, qui sont à l'écart des grandes voies de communication, non par la volonté des hommes, mais simplement parce que la nature, la géographie nous ont amenés à rester à l'écart. Aujourd'hui, nous avons réellement la possibilité de refuser cette fatalité. Alors, donnez-nous les moyens d'agir pour que nous ne soyons plus exclus, ni du développement, ni de la société, ni des grands courants qui peuvent apporter ici ou là du bien-être. Donnez-nous cette possibilité : telle est la philosophie qui sous-tend la plupart des amendements que nous avons eu l'honneur de déposer.

Enfin, M. René Trégouët, si j'ai bien compris, a proposé tout à l'heure la création d'un comité national de l'éthique d'Internet. Il me semble en effet que c'est indispensable, car l'on peut connaître, dans ce domaine-là comme dans d'autres, beaucoup de dérives.

Mais permettez-moi de conclure sur une proposition complémentaire : nous débattons d'un sujet qui, loin d'être figé, est au contraire terriblement évolutif. Au moment où l'on parle, on sait que, d'ores et déjà, des recherches ont lieu dont nous allons prochainement connaître les résultats. Aussi je me demande si nous ne pourrions pas convenir de la mise en place d'une sorte de cellule de veille législative - Gouvernement, Parlement, il vous appartiendra d'en choisir les modalités - qui nous permettrait d'adapter la loi en permanence.

N'attendons pas le bon vouloir d'un Gouvernement. Même si, vous le savez, on peut avoir confiance dans celui-ci, une grande confiance n'exclut jamais tout à fait une toute petite méfiance. Ne pourrait-on, par conséquent, avoir ensemble l'humilité de nous demander si cette loi, qui est bonne aujourd'hui, le sera encore demain ? Voilà pourquoi il serait souhaitable qu'une cellule de veille législative ou sociétale nous permette de continuer d'adapter la loi à la réalité. Nous ne pouvons manquer tous ces rendez-vous !

M. le président. La parole est à M. Henri Weber.

M. Henri Weber. Madame la ministre, le texte que vous nous soumettez aujourd'hui reprend, parfois dans les mêmes termes, le projet de loi du précédent gouvernement sur la société de l'information, projet qui n'avait pu être débattu ni voté. Notre collègue Pierre-Yvon Trémel nous a dit à quel point ce gouvernement avait été actif et même performant dans ce domaine.

Toutefois, alors que le projet de loi sur la société de l'information abordait toutes les questions liées à la révolution numérique, votre texte ignore les aspects non marchands d'Internet. On n'y trouve rien sur l'accès aux documents administratifs, rien sur les logiciels libres, rien sur d'autres questions rappelées également par notre collègue Trémel. Ces sujets seront, dites-vous, abordés plus tard... Mais en saucissonnant ainsi les textes de lois, en parcellisant le débat, vous nous privez de la possibilité d'une discussion à la hauteur des défis qui nous assaillent.

Ce texte, vous l'avez qualifié de « première grande loi sur Internet ». Pour ma part, je regrette que ce premier texte, ce premier débat législatif sur le numérique concerne essentiellement le commerce électronique.

Mon intervention portera sur le cadre de régulation que vous avez échafaudé. Il me semble singulièrement manquer de cohérence. En effet, d'un côté, vous décidez de faire de la communication publique en ligne un sous-ensemble de communication audiovisuelle, ce qui fait du Conseil supérieur de l'audiovisuel, ipso facto, l'autorité de tutelle d'Internet. Notre collègue Louis de Broissa l'a souligné.

De l'autre, concernant la responsabilité civile des fournisseurs d'accès, vous optez pour l'autorégulation. Il reviendra aux prestataires techniques de juger eux-mêmes de la légalité des informations qu'ils transportent ! Cadre de régulation fort et inopérant avec le CSA, d'un côté, autorégulation aux conséquences néfastes, de l'autre, c'est incohérent !

Avec l'article 1er, vous avez voulu, madame la ministre, contre l'avis pertinent du rapporteur de la commission des affaires économiques de l'Assemblée nationale, M. Jean Dionis du Séjour, que la communication publique en ligne soit rattachée à la loi de 1986 relative à la liberté de communication. Autant je suis favorable au principe de neutralité technologique, qui a sous-tendu l'élaboration de ce texte, autant je pense - ce point fait manifestement l'unanimité de tous les acteurs concernés hormis votre Gouvernement - que cette insertion dans la loi de 1986, si elle n'est pas mieux cadrée, relève d'une erreur d'appréciation majeure.

C'est un non-sens lourd de conséquences, car il fait, de facto, et contre son avis, du Conseil supérieur de l'audiovisuel, l'autorité de régulation d'Internet. Or la législation applicable au secteur de la communication audiovisuelle a été conçue pour un cadre radicalement différent de celui d'Internet, en fonction des supports et non pas des services. Le CSA a été institué pour réguler des ressources rares, les fréquences hertziennes, et, étant donné la rareté de ce bien, en assurer le pluralisme. Or rien n'est plus étranger à l'économie générale d'Internet que la rareté !

Ce choix de tutelle traduit également une méconnaissance des contenus du réseau. Certes, on peut y écouter la radio, visionner une émission, mais on peut également discuter sur des forums, créer et diffuser des pages personnelles, confectionner un album photos et, bientôt sans doute, apparaîtront de nombreuses nouvelles applications qui seront encore plus allergiques au cadre de régulation que vous défendez. Ce sont des services bien différents de ceux qui relèvent de l'audiovisuel traditionnel.

Le dispositif actuel revient, comme l'a souligné mon collègue Christian Paul à l'Assemblée nationale, à construire une ligne Maginot. Les quelque cent articles de la loi de 1986 ne peuvent s'appliquer à la communication publique en ligne. J'en veux pour preuve le fait que cette ligne Maginot a mis non pas dix ans à montrer son inefficacité, mais quelques minutes, car, à l'article 17, en dépit de l'avis défavorable du Gouvernement, la majorité a adopté à l'Assemblée nationale un amendement, proposé par la commission des lois, qui vise à prévoir de ne pas appliquer aux services de communication publique en ligne les compétences spécifiques du CSA en matière de concurrence !

Nous avons donc déposé un amendement qui tend à reprendre les définitions relatives aux services télévisuels et radiophoniques qui ont été proposées par le CSA et par l'ART. En énonçant cette définition, qui limite le champ de régulation du CSA aux seuls programmes audiovisuels, y compris les programmes à contenu interactif, le principe de neutralité technologique est respecté.

Pour autant, il ne faut pas soustraire les millions d'autres sites à la régulation. C'est ainsi - je le rappelle amicalement à mon collègue René Trégouët, dont je salue, moi aussi, la hauteur de vues et l'intervention de qualité qu'il a faite, même si je ne partage pas toutes ses conclusions - que fut créé le forum des droits sur Internet. Cette instance de médiation et de régulation, qui fonctionne depuis plus d'un an, n'a plus à prouver son utilité et sa légitimité, et a été confortée dans sa mission.

C'est d'ailleurs toujours en raison des dangers que représente l'autorégulation que je ne suis pas favorable au nouveau régime juridique relatif à la responsabilité civile des hébergeurs de sites dont vous avez dessiné les contours.

Ce régime soulève la question de la détermination de contrôle des contenus lorsque ceux-ci sont illicites : à qui revient le rôle de juger de la licéité d'un contenu, d'un texte, d'une image ?

Dans notre droit traditionnel, ce rôle est dévolu au juge, garant de nos libertés publiques. Or, dans le projet actuel, l'article 43-8 pose le principe selon lequel il revient à l'hébergeur de sites de juger de la licéité des contenus d'un site. L'ajout de l'adverbe « manifestement » illicite ne change finalement rien à la donne. Je ne crois pas qu'il revienne aux hébergeurs de contenus, à savoir à Wanadoo, à Yahoo ! ou à d'autres de se prononcer sur cette question.

Est-ce le rôle de Yahoo ! de dire si tel site malmène le droit d'auteur ou si tel autre véhicule des accusations calomnieuses ? La réponse n'est pas toujours simple. Certes, l'Assemblée nationale a considérablement amélioré le texte en adoptant deux amendements qui définissent, l'un une procédure de notification des faits litigieux et, l'autre, des sanctions pour plaintes abusives, ce qui permettra de restreindre les mouvements d'humeur.

Vous l'avez dénoncé vous-même, monsieur Türk : « On ne saurait attendre du fournisseur d'hébergement qu'il se comporte en juge. » C'est pourquoi nous avons déposé sur ce chapitre plusieurs amendements qui visent, d'une part, à rendre cette notification obligatoire et, d'autre part, à réduire considérablement la marge d'interprétation des hébergeurs de sites. Ainsi, seule l'inaction de l'hébergeur qui a été saisi par une autorité judiciaire ou par un tiers, suivant la procédure de notification, pourra donner lieu à un engagement de sa responsabilité.

Cet amendement est, par ailleurs, tout à fait conforme à l'article 14 de la directive européenne sur le commerce électronique, qui laisse ouverte, sur cette question, la possibilité de l'intervention du juge.

Les amendements que nous avons déposés sur ce texte ont été guidés par le souci de concilier trois objectifs : favoriser le développement et la généralisation d'Internet dans notre pays, assurer le respect de la vie privée et des droits des auteurs et des créateurs, garantir, dans le respect de ces droits, la liberté d'expression.

C'est pourquoi je forme le voeu, madame la ministre, que, rompant avec la pratique du vote conforme qui semble s'être instituée avec ce Gouvernement, vous acceptiez ces amendements. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)

M. le président. La parole est à M. Jean-Louis Lorrain.

M. Jean-Louis Lorrain. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, comme la « révolution industrielle » avait, en son temps, profondément bouleversé le rythme et la sphère de nos échanges, la montée en puissance des nouvelles technologies de l'information a créé une véritable « révolution numérique ».

Au cours des dix dernières années, cet élan a accompagné l'évolution d'une société de plus en plus ouverte à la communication, au sens large. Ces « courants rapides » qui traversent notre société de part en part ont emporté, dans leur mouvement, un développement fulgurant des nouvelles technologies.

Ce contexte éminemment porteur de libertés nouvelles est aussi porteur, comme toutes les grandes innovations, de nouvelles interrogations auxquelles le législateur doit s'attacher à répondre dans un cadre juridique clarifié.

La mise en place d'une législation relative à Internet exige donc de trouver le juste équilibre entre liberté d'initiative et protection des intérêts privés. De plus, la France a un rôle éminent à jouer en tant qu'exemple pour la communauté internationale.

Il est donc apparu indispensable d'adapter le cadre législatif dans une double perspective : d'une part, favoriser le développement de la diffusion des nouvelles technologies de l'information et de la communication, génératrices de richesses et de croissance, et, d'autre part, garantir un espace de droit aux usagers et aux acteurs de cette nouvelle économie. Ce cadre se doit d'être à la fois stimulant et régulateur pour répondre aux attentes de l'ensemble des acteurs.

Le projet de loi s'inscrit dans une ligne pragmatique visant à créer chez nos concitoyens, de manière stable et durable, les conditions de la confiance dans les technologies de l'information.

Après les mesures concernant les contrats, une seconde série de mesures marque, à mon sens, fortement ce texte : celles qui concernent la lutte contre la cybercriminalité. Il fallait tout mettre en oeuvre pour éviter que les nouvelles technologies de l'information et de la communication ne constituent un outil supplémentaire pour les délinquants.

En effet, comme toute innovation, les technologies de l'information ont induit de nouveaux types de comportements délictueux, susceptibles d'altérer la confiance des acteurs dans la sécurité des réseaux. Dans ce texte le choix fait a été de libérer l'usage de la cryptologie. Cet outil de sécurisation des échanges de données en ligne peut aussi devenir l'arme des cyberdélinquants. Il était donc indispensable de prévoir des mesures très fermes contre les utilisateurs malintentionnés.

Aussi, le texte prévoit une série de dispositions à forte teneur dissuasive qui permettront de sanctionner lourdement les délinquants utilisant la cryptologie à des fins criminelles. En outre, il vise à instaurer un renforcement de l'arsenal juridique dans la lutte contre la cybercriminalité. Ce texte, qui va donner un nouveau cadre juridique au domaine de l'économie numérique, a donc le grand mérite d'accompagner le mouvement de notre société dans le respect de tous les acteurs concernés par ces innovations. Il permettra aussi à notre pays, qui avait accumulé un retard considérable dans ce domaine, de rappeler qu'il possède désormais les moyens d'une ambition digne des légitimes attentes suscitées par ces technologies nouvelles.

C'est tout à l'honneur de la volonté gouvernementale de présenter des textes qui engagent durablement notre pays sur la voie de la modernité.

Enfin, s'agissant de l'aménagement numérique des territoires, sujet majeur, nous nous félicitons de l'initiative prise par le Gouvernement lors de la première lecture de ce projet de loi à l'Assemblée nationale, le 25 février dernier. En effet, les orientations proposées par le Gouvernement lors du CIADT de décembre dernier se trouvent déjà concrétisées dans ce texte. Ces orientations ont donc pris corps et nous nous en réjouissons, puisqu'il s'agit de lutter contre la fracture numérique des territoires et de relancer par ailleurs le secteur des télécommunications.

L'intervention des collectivités territoriales dans le secteur des télécommunications est limitée aujourd'hui aux infrastructures passives et elles ne peuvent pas être opérateur de télécommunications. Ainsi, mal desservies par les réseaux haut débit, nos régions sont fortement handicapées dans la compétition européenne pour attirer les investisseurs économiques. Le Gouvernement a donc proposé par amendement de modifier l'article L. 1425-1 du code général des collectivités territoriales pour permettre aux collectivités d'établir des réseaux et d'exercer, sous certaines conditions, l'activité d'opérateur de télécommunications.

Nous sommes bien conscients que le dispositif actuel est insuffisant ou inadapté pour attirer les opérateurs en dehors des grandes agglomérations urbaines, et nous sommes aussi conscients que l'accès au haut débit est un enjeu majeur pour le développement rural.

Au printemps 2002, la France accusait un retard par rapport à certains de ses partenaires européens avec 800 000 abonnés, contre plus de 2 millions en Allemagne, par exemple. A cette date, seuls 2,6 % des Français avaient accès au haut débit, contre 12 % des Suédois, 20 % des Canadiens et 42 % des Coréens du Sud. Ce retard est loin d'être comblé aujourd'hui, ce qui constitue un véritable handicap pour notre pays, pour notre croissance et donc pour nos emplois. Il est indéniable que le projet de loi va donner une véritable impulsion à plusieurs domaines de l'économie numérique, ce qui va nous permettre de rattraper ce retard.

L'accès aux réseaux de communication à haut débit se trouve au coeur des enjeux de développement de nos territoires, et nombre de nos communes rurales et de nos territoires attendent la possibilité de bénéficier de cet accès.

Les télécommunications sont, avec le haut débit, des outils de développement du territoire indispensables, voire prioritaires. Toute politique des territoires ruraux doit s'appuyer sur un développement durable de l'activité économique. Il passe par les entreprises, quels que soient les secteurs - agriculture, agroalimentaire, artisanat, commerce, industrie, services - dont il faut assurer la pérennité, afin de créer de la richesse et de l'emploi sur ces territoires et donc d'y maintenir les hommes.

De telles orientations exigent des choix volontaristes de la part des pouvoirs publics en termes de solidarité et de péréquation entre les territoires, d'équité, de qualité des services offerts aux populations et, bien évidemment, d'accessibilité, notamment grâce aux infrastructures de transport et aux technologies de l'information et de la communication qui, seules, peuvent décider les entreprises à s'implanter dans les territoires ruraux.

Je conclurai en disant qu'il n'y a pas de développement rural sans le haut débit. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)

M. Louis de Broissia. Très bien !

M. le président. La parole est à M. Michel Teston.

M. Michel Teston. Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, l'évolution proposée par les articles 1er A et 1er B de ce projet de loi s'inscrit dans la droite ligne des textes adoptés sous le gouvernement précédent. Il faut rappeler, ici, la loi du 25 juin 1999 d'orientation pour l'aménagement et le développement durable du territoire qui a reconnu, pour la première fois, le principe de l'intervention des collectivités territoriales en matière de télécommunications, au titre de leur mission d'aménageur. De même, la loi du 17 juillet 2001 portant diverses dispositions d'ordre social, éducatif et culturel a assoupli certaines contraintes du texte précédent et a élargi le champ d'intervention des collectivités territoriales à la création de tout type d'infrastructures passives et à la mise à disposition de celles-ci à tout type d'utilisateur.

Il convient de rappeler aussi que les dispositions que nous examinons s'inscrivent dans l'objectif de l'achèvement de la couverture en téléphonie mobile qui a été arrêté lors de la réunion du CIADT du 9 juillet 2001, qui s'est tenue à Limoges.

En insérant les articles 1er A et 1er B dans ce projet de loi, nos collègues députés ont souhaité lutter contre la fracture numérique en élargissant les compétences des collectivités territoriales dans le domaine des télécommunications et en créant, sans le reconnaître expressément, un service public local de fourniture d'infrastructures de télécommunication. Ainsi, les collectivités territoriales auront désormais la possibilité d'être opérateurs d'un réseau de télécommunications ouvert au public, c'est-à-dire qu'elles pourront établir des réseaux, les exploiter et fournir des services commerciaux aux opérateurs de téléphonie mobile.

Certes, cette évolution est souhaitable, mais elle ne correspond qu'en partie à l'attente des collectivités territoriales non encore desservies, c'est-à-dire les moins peuplées et, souvent, les plus pauvres.

En outre, nous ne pouvons nous satisfaire de cette évolution législative qui, dans sa mise en oeuvre, s'apparente à une décentralisation sans moyens. En effet, le désengagement de l'Etat d'une partie de ses missions d'aménagement du territoire, dans un domaine aussi stratégique que le désenclavement numérique, s'effectue sans accroissement significatif des moyens pour les collectivités territoriales. Il n'est envisagé aucun mécanisme de péréquation en faveur des territoires les plus fragiles.

Pourtant, les inégalités territoriales sont criantes en matière de téléphonie mobile. Les collectivités rurales devront prendre en charge la réalisation des équipements passifs ou l'acquisition des droits d'usage sur des équipements existants, alors que les autres collectivités n'ont pas eu à intervenir.

Ainsi, dans le département de l'Ardèche, que je représente au Sénat, actuellement, cent onze des trois cent trente-neuf communes ne sont pas couvertes, ce qui exigera la création de soixante-dix stations, alors que, par exemple dans le Rhône, seulement treize communes ne sont pas couvertes, quatorze dans les Alpes-Maritimes et huit dans le Bas-Rhin.

L'intervention de certaines collectivités des territoires ruraux dans la mise en oeuvre des infrastructures passives de téléphonie mobile a déjà permis de mesurer les nouvelles contraintes et les charges qu'elles devront supporter.

Tout d'abord, la charge d'investissement sera très lourde en valeur absolue, mais encore plus habitant. Il apparaît par ailleurs que ces investissements ne seraient pas éligibles au fonds de compensation pour la TVA, le FCTVA, car ils sont réalisés pour être mis à la disposition des opérateurs.

Ensuite, le texte reste flou sur la prise en charge des frais de maintenance de ces sites. La collectivité maître d'ouvrage devra-t-elle les financer seule, à raison d'une moyenne de 3 000 euros par an et par site ? Devra-t-elle aussi financer seule des droits d'usage en cas d'utilisation de sites existants ? Et tous ces frais ne pourront probablement pas être répercutés sur les opérateurs.

Enfin, l'Etat a inscrit un montant modeste de 44 millions d'euros pour la première phase de déploiement, soit par mutualisation, soit par itinérance locale, des 1 250 sites de téléphonie mobile qui couvriraient 1 850 communes, et n'envisage pas de nouveaux crédits pour la phase suivante qui concernera plus de 1 500 communes. Sachant que les opérateurs ne veulent plus s'impliquer financièrement au-delà de la phase 1, les collectivités concernées par la phase 2, c'est-à-dire les plus pauvres, devront-elles intégralement financer non seulement les infrastructures passives, mais aussi les infrastructures actives, et prendre en charge les frais de fonctionnement pour achever la couverture territoriale ?

Par ailleurs, en dépit des engagements pris par le Gouvernement dans le cadre du plan RE/SO 2007, l'Etat ne sera pas aménageur numérique. Aucune mobilisation de nouveaux crédits d'Etat ou de nouveaux financements dans le cadre des contrats de plan Etat-région n'est prévue. Le déploiement des réseaux à haut débit entraînera donc les mêmes inégalités territoriales tant pour l'investissement que pour le fonctionnement, avec l'obligation pour les collectivités rurales d'activer elles-mêmes les réseaux et d'en assurer l'exploitation.

De telles disparités dans le coût de services considérés à juste titre comme d'intérêt public par la population, de même que l'importance de la prise de risques par les collectivités territoriales les moins peuplées, exigent que joue la solidarité nationale.

Pour cela, deux formules peuvent être mises en oeuvre : une extension du service public des télécommunications à la téléphonie mobile, voire aux réseaux internet à haut débit, ce qui répondrait aux aspirations de la population et impliquerait un financement de base pour tous par les opérateurs ; la création d'un fonds de soutien qui pourrait être alimenté par les opérateurs et l'Etat et qui serait réservé aux collectivités maîtres d'ouvrage des phases 1 et 2 du plan de développement du réseau de téléphonie mobile et pour l'accès au haut débit.

En conclusion, madame la ministre, ce projet de loi ne sera une véritable avancée législative que si le transfert de charges sur les collectivités territoriales ne se traduit pas par un affaiblissement supplémentaire des collectivités les plus fragiles. Pour cela, ce texte doit intégrer un mécanisme de péréquation, sans lequel il n'y aura pas de véritable égalité dans la couverture de tout le territoire national. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)

M. le président. La parole est à Mme la ministre déléguée.

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée. Mesdames, messieurs les sénateurs, je veux tout d'abord vous remercier très sincèrement de la très haute tenue du débat que nous venons d'avoir. Toutes vos interventions ont permis de resituer la discussion à la hauteur où elle devait se tenir, compte tenu des énormes défis que nous avons à relever ensemble.

Je tiens également à remercier les sénateurs qui m'ont encouragée et qui ont apporté leur soutien à ce projet de loi.

Monsieur Hérisson, vous avez souligné, à juste titre, la complexité du texte, qui est due à la diversité et à la nature des sources de l'économie numérique. Je partage votre réflexion sur ce point, ainsi que sur la nécessité de concilier la préservation de notre arsenal juridique, tout en l'adaptant aux spécificités des nouvelles activités et, bien entendu, aux exigences morales et éthiques.

Je souhaite vous remercier, monsieur le rapporteur, ainsi que les membres de la commission des affaires économiques, de ce que vous avez appelé vous-même votre « approche pragmatique. »

Monsieur Sido, vous avez bien voulu rappeler que ce projet de loi répondait à de nombreuses attentes, ce qui correspond, en effet, à la réalité des choses. Vous avez également insisté sur la fracture numérique, qui, selon vous, porterait un coup à la cohésion sociale. Je partage tout à fait cette réflexion.

Nous aurons l'occasion, dans quelques instants, d'examiner l'article 1er A, qui représentent une avancée, et l'article 1er B, qui concerne la couverture du territoire en téléphonie mobile. Là aussi, le Gouvernement partage votre objectif, et c'est d'ailleurs la raison pour laquelle il a introduit la possibilité d'itinérance locale.

Enfin, monsieur Sido, vous avez insisté sur l'exclusion et sur la nécessité d'en briser la spirale. Ce texte, modestement, tend à y contribuer.

S'agissant de la nécessité d'élargir le droit de réponse à l'ensemble des sites sur Internet, je devrais être en mesure de vous apporter une réponse positive.

M. de Broissia a insisté sur le flou juridique actuel et sur la situation dommageable dans laquelle nous nous trouvions eu égard à Bruxelles.

Il a fort bien expliqué les motifs pour lesquels, s'agissant de la définition de la communication en ligne, nous avons été conduits à retenir la solution d'arbitrage que vous connaissez.

Je puis vous assurer, monsieur de Broissia, que le Gouvernement partage votre souci de protéger la propriété intellectuelle et artistique. Comme vous le savez, j'ai été appelée, tout récemment, à m'exprimer très clairement sur ce sujet : j'ai expliqué que la lutte que nous devons mener contre la contrefaçon intègre, bien évidemment, les aspects de la propriété intellectuelle et artistique, et que ces deux aspects sont indissociables.

Vous avez également évoqué la limitation des compétences du CSA aux services de radio et télévision - nous aurons l'occasion de revenir sur ces aspects lorsque nous aborderons la question des sanctions prononcées par le CSA à l'égard des éditeurs et des distributeurs de services - et à la protection de l'enfance. Je vous rejoins également sur ce point et je pense que nous pourrons avancer d'une façon positive.

Monsieur Türk, vous avez insisté sur le retard que nous avons pris et sur les tensions juridiques qui pèsent sur ce texte, lesquelles seraient dues aux directives européennes. Vous avez également engagé une réflexion sur les formules de régulation. C'est ainsi que vous avez soulevé le problème de l'interconnexion des autorités de régulation.

Pour ma part, je pense que les autorités de régulation répondent à certains besoins très spécifiques : tout d'abord, l'ouverture de secteurs sous monopole à la concurrence, afin de réguler les acteurs en position de monopole - c'est ainsi que l'ART est née de la libéralisation des télécommunications ; ensuite, la gestion des ressources rares, telles que les fréquences - c'est ainsi que le CSA a pour mission d'allouer les fréquences de radio-télévision.

De ce fait, l'émergence d'autorités administratives indépendantes doit être pensée en fonction d'objectifs précis et de missions bien définies pour ne pas créer des droits sectoriels et des droits spécifiques. A défaut, il faudrait privilégier les régulateurs de droit commun judiciaire ou législatif. C'est pourquoi le projet de loi pour la confiance dans l'économie numérique s'insère dans le droit en vigueur.

Madame Terrade, sincèrement, je n'ai pas le sentiment que ce texte ait mis en émoi les milieux de l'économie numérique, comme vous l'avez dit. Tout au plus y-a-t-il eu un débat de fond extrêmement important, notamment autour de la définition de la communication en ligne, mais ce débat était tout à fait souhaitable.

Vous avez dit que l'économie numérique était un outil de communication et non pas seulement un instrument commercial, et je vous rejoins tout à fait dans cette approche.

Vous avez également mis en garde contre les risques d'inégalités et de persistance de ces inégalités. Effectivement, ces nouvelles économies doivent être des vecteurs à la fois d'égalité d'accès à l'information, de réactivité et de croissance, et nul ne doit en être exclu. J'ai d'ailleurs noté une convergence de vues très profonde sur ce point.

Le Gouvernement a consulté la commission des droits de l'homme, bien évidemment, et il a été extrêmement attentif aux avis qu'elle a exprimés.

La seule chose qui nous sépare réellement, madame Terrade, c'est que nous sommes pour la régulation de l'Internet marchand et non pas pour son interdiction.

M. Trégouët a dressé un vaste panorama, très prospectif, qui a été apprécié par un certain nombre d'intervenants comme par moi-même, je peux le dire, sur les mutations profondes engendrées par l'informatique et sur l'émergence de métiers futurs. Je l'en remercie. J'ai également été très impressionnée par le vibrant plaidoyer qu'il a fait en faveur de la fibre optique, y compris chez le particulier, qui permettra le très très haut débit.

Votre description est peut-être juste, monsieur Trégouët, mais, aujourd'hui, les services concernés n'existent pas. Avant d'en arriver aux situations que vous avez décrites, je crois que, plus modestement, il nous faut réussir le bas et le haut débit en France. Tel est l'objet de ce texte, dont vous reconnaissez comme moi qu'il constitue un pas dans la bonne direction.

J'ai également beaucoup appris de votre description des puces de type TCPA, qui contrôleront les ordinateurs de demain avec des logiciels verrouillés. Pour l'instant, nous souhaitons, là encore, modestement, réguler, protéger la liberté. J'ajouterai que j'ai confiance dans l'évolution de nos sociétés. Je crois qu'elles n'accepteront pas de réduire la liberté, comme vous le craignez. Je suis moins pessimiste que vous à cet égard, mais on n'est jamais assez vigilant, je le concède. Je dirai simplement que notre texte permet de faire face aux premières nécessités de protection de la liberté.

Dans votre intervention, monsieur Christian Gaudin, vous avez souligné l'explosion de l'usage d'Internet, sur laquelle j'avais insisté dans mon exposé introductif. Vous avez manifesté, vous aussi, très fortement votre préoccupation s'agissant de la fracture numérique. Nous nous trouvons tous face à une véritable responsabilité. Le Gouvernement partage cette préoccupation. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle il a autorisé les collectivités locales à exploiter les réseaux. Celles-ci sont en effet bien placées pour appréhender les besoins de leurs populations. Nous poursuivrons cette discussion lors de l'examen des articles.

Vous avez également abordé la question du juste dimensionnement du service public local. Il s'agit d'une question très complexe ! Le Gouvernement est favorable à un débat en la matière, dès lors, bien sûr, que les règles de transparence et de concurrence sont respectées et les besoins de la population clairement exprimés.

Par ailleurs, je partage l'opinion exprimée par M. Trémel : à l'évidence, Internet va modifier les relations entre l'administration et les usagers. J'ai du reste rappelé le succès de la télédéclaration d'impôt que nous avons mis en place en 2003.

Je constate, monsieur le sénateur, qu'un certain nombre de convergences nous réunissent. J'ai apprécié vos propos favorables aux orientations présentées par M. le Premier ministre Jean-Pierre Raffarin et je comprends, naturellement, que vous ayez souhaité défendre les intentions que le gouvernement précédent avait exprimées dans ce domaine.

Le fait que le Gouvernement présente plusieurs textes sur la société de l'information est tout simplement une marque de pragmatisme, ce pragmatisme que M. Hérisson évoquait. En effet, mon prédécesseur avait voulu faire une seule grande loi. C'était son choix ! La rigueur du calendrier parlementaire ne lui a pas permis de mener sa grande oeuvre à son terme, et nous le regrettons tous.

Nous, nous avons choisi le pragmatisme. Notre calendrier est précis et serré ; vous m'avez interrogée à ce sujet. Vous débattez aujourd'hui de la première loi. En ce moment même, le Conseil d'Etat rend son avis sur le deuxième projet de loi ; je le présenterait au conseil des ministres le 31 juillet prochain. La troisième loi attendra évidemment que les nouvelles directives soient votées à Bruxelles pour être transposées ensuite en droit français.

Enfin, les questions que nous m'avez posées, monsieur le sénateur, trouveront leur réponse au cours du débat. Ce sera le cas en ce qui concerne l'intervention des collectivités locales et le financement du service universel.

Monsieur Le Grand, vous avez insisté sur la confiance, qui constitue le vecteur essentiel de la politique économique du Gouvernement. Comme vous, je me félicite, bien sûr, du développement du rôle des collectivités locales en matière de télécommunications permis par le projet de loi, notamment en ce qui concerne le haut débit.

Vous ouvrez le débat sur l'établissement des réseaux, leur exploitation et la fourniture des services au public. Le Gouvernement partage votre analyse et il fera connaître sa position lors de l'examen de vos amendements. Monsieur Le Grand, je crois que vous aurez de bonnes surprises ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)

M. Jean-François Le Grand. Ah ! Je vous remercie, madame la ministre !

Mme Nicole Fontaine, ministre déléguée. S'agissant du facteur prix, vous avez cité la ville de Milan et ses réseaux, tout à fait exemplaires, en effet. Il s'agit d'une réalisation effectivement exceptionnelle, puisque la ville est complètement câblée en fibre optique. Je tiens cependant à préciser que l'opérateur privé qui exploite le réseau a bénéficié de la conjonction de deux paramètres particulièrement positifs : d'une part, il a pu réutiliser le réseau électrique, donc en réduisant les coûts ; d'autre part, il a levé des fonds très importants sur les marchés au plus haut de la bulle Internet. Je donne ces précisions non pas pour diminuer les mérites des réalisations de cette ville, mais pour permettre de bien comprendre les conditions générales qui ont présidé à leur financement.

Monsieur Weber, vous avez soulevé la question des documents publics. Nous avons choisi de différer le traitement de ce dossier, parce qu'une directive européenne est en cours d'élaboration sur le sujet.

Sur la régulation de l'Internet par le CSA, je rappelle qu'elle est effective depuis l'entrée en vigueur de la loi du 1er août 2000 - loi qui a été présentée par le gouvernement précédent - sans que cela ait eu d'impact sur le développement de l'Internet. Cela étant, le Gouvernement s'apprête à limiter les pouvoirs du CSA à la radio et à la télévision, comme il est prévu dans le projet de loi sur le « paquet télécom » actuellement soumis à l'examen du Conseil d'Etat.

Le régime de responsabilité provient d'une directive européenne. Il s'agit néanmoins d'un régime de responsabilité limitée. Nous débattrons bien sûr de tous ces aspects lors de la discussion des articles.

Je remercie M. Jean-Louis Lorrain de son intervention et de la dimension tant juridique que politique qu'il a introduite dans ce débat. La lutte contre la cybercriminalité occupe une place importante dans le présent projet de loi, et je me félicite avec M. Lorrain que nous ayons pu alourdir les peines en cas d'usage délictueux des nouvelles technologies.

Je partage avec M. Lorrain la volonté de renforcer l'attractivité du territoire en général et son attractivité numérique en particulier. Vous l'avez bien compris, cette démarche s'inscrit dans une entreprise plus large qui consiste à renforcer l'attractivité du site « France ».

Enfin, je suis heureuse de vous préciser que les chiffres sur la pénétration du haut débit datent du début de l'année 2002. Nous avons connu une progression significative et nous oeuvrons pour maintenir cette dynamique.

Monsieur Teston, vous avez évoqué un certain nombre de points tout à fait pertinents sur lesquels cependant je ne m'étendrai pas, tout d'abord parce qu'ils rejoignent des préoccupations qui ont été évoquées par les autres intervenants, mais aussi parce que nous y reviendrons lors de la discussion des articles.

Ce projet de loi s'inscrirait, selon vos propres termes, en droite ligne dans la continuité de l'action du gouvernement précédent et de l'objectif d'achèvement de la couverture du territoire en téléphonie mobile : dans votre bouche, c'est le plus beau des compliments ! (Sourires.) Sachez que je l'apprécie à sa juste valeur. (Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste et sur certaines travées du RDSE et du groupe socialiste.)

M. Daniel Raoul. N'en faites pas trop, madame la ministre déléguée !

M. le président. Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...

La discussion générale est close.

Nous passons à la discussion des articles.