COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président. La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à quinze heures cinq.)
PROCÈS-VERBAL
M. le président. Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
RAPPEL AU RÈGLEMENT
M. le président. La parole est à M. Claude Estier, pour un rappel au règlement.
M. Claude Estier. Mon rappel au règlement concerne l'organisation de nos travaux.
Monsieur le président, j'ai pris connaissance avec beaucoup d'étonnement d'une information suivant laquelle vous avez mis en place hier un groupe de travail chargé de faire des propositions en vue d'une réforme de la fonction publique territoriale.
La dépêche qui donne cette information précise que ce groupe sera présidé par notre collègue M. Jean-Jacques Hyest, sénateur et conseiller général UMP,...
MM. Roger Karoutchi et Josselin de Rohan. Très bien !
M. Claude Estier. ... que le rapporteur en sera M. Alain Vasselle.
MM. Roger Karoutchi et Josselin de Rohan. Excellent !
M. Claude Estier. Certes, mais attendez la suite, mes chers collègues. Je poursuis la lecture de la dépêche : « Composé de dix-huit sénateurs de droite, UMP, centristes et RDSE, ce groupe de travail fera porter sa réflexion sur les nécessaires adaptations du statut de 1984 dans la perspective du départ en retraite des fonctionnaires territoriaux et des transferts de l'Etat vers les collectivités locales. »
Je constate donc, ce qui à mon avis est sans précédent, qu'un organisme de travail et de réflexion sur un sujet important va être constitué au Sénat en l'absence des groupes de gauche.
M. Jean-Louis Carrère. Puisque c'est comme ça, on s'en va !
M. Jean-Claude Gaudin. Ne vous gênez surtout pas !
M. Claude Estier. Monsieur le président, si vous considérez que les organismes de travail du Sénat ne doivent être composés que de sénateurs membres de la majorité, on peut se demander en effet quel est l'intérêt de la présence des groupes de gauche dans cette assemblée ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Ladislas Poniatowski. Je serais vous, je quitterais la séance ! (Rires.)
M. René-Pierre Signé. Les idées viennent toujours de la gauche !
M. le président. Mon cher collègue, je vous donne acte de votre rappel au règlement, mais je suis surpris de cette observation, car j'ai noté qu'à l'Assemblée nationale, lorsque votre tendance politique y était majoritaire, sous la présidence de M. Raymond Forni, ont été constitués, ce qui était bien normal, des groupes de travail pour réfléchir sur certains textes soumis à la délibération du Parlement.
Mes collègues de la majorité ont demandé la constitution d'un groupe à l'image de ceux qui ont été constitués auparavant à l'Assemblée nationale. J'ai simplement répondu à leur souhait.
M. Claude Estier. Monsieur le président, puis-je reprendre la parole ?
M. le président. Je vous la donne, mon cher collègue.
M. Claude Estier. Vous faites allusion à des groupes de travail constitués à l'intérieur d'un groupe politique. C'est tout à fait différent.
Il s'agit aujourd'hui d'un groupe constitué au sein du Sénat qui ne comprendra que des membres des différents groupes de la majorité. Je me demande pourquoi les groupes de gauche en seraient exclus.
M. le président. Mon cher collègue, je vous répète que des représentants des groupes de la majorité sont venus me demander de constituer un groupe de travail destiné à réfléchir sur la situation des personnels des collectivités territoriales, à l'image de ce qui a été fait autrefois à l'Assemblée nationale par le groupe socialiste, les Verts et les radicaux, alors majoritaires.
M. Robert Bret. Les groupes n'ont pas besoin de votre accord !
M. le président. Ils me l'ont demandé !
Article 4 de la loi relative
à l'élection des conseillers régionaux
et des représentants
au Parlement européen
Nouvelle délibération et adoption définitive
d'un article d'une loi
M. le président. L'ordre du jour appelle la nouvelle délibération de l'article 4, adopté par l'Assemblée nationale, de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques (n° 247, 2002-2003).
Je rappelle que, par décret en date du 4 avril 2003, M. le Président de la République a demandé au Parlement, en application de l'article 10, alinéa 2, de la Constitution, une nouvelle délibération de l'article 4 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques.
Nous délibérerons aujourd'hui de l'article 4 de la loi tel qu'il a été adopté par l'Assemblée nationale et transmis par M. le Premier ministre.
J'informe le Sénat que le groupe socialiste a déposé huit amendements. Trois d'entre eux entrent dans le cadre de la nouvelle délibération : ils ont été normalement acceptés. Les cinq autres paraissent en dehors du champ de la nouvelle délibération telle qu'elle a été demandée par le Chef de l'Etat.
C'est la raison pour laquelle j'interroge la commission des lois pour connaître son sentiment sur ces derniers amendements.
Vous avez la parole, monsieur le président de la commission des lois.
M. René Garrec, président de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, je vous remercie de me consulter, mais je m'en remets totalement à la sagesse de la présidence.
Pour ce qui la concerne, la commission se réunira après la discussion générale pour étudier les amendements qui resteront en discussion.
Les amendements auxquels vous faites allusion ne nous semblaient pas en effet s'inscrire dans le champ du présent débat. Vous nous le confirmez ; très bien !
M. le président. La présidence considère en effet que ces cinq amendements ne sont pas recevables.
Il y a un précédent puisque l'Assemblée nationale s'est prononcée dans le même sens pour l'un d'entre eux.
M. Jean-Louis Carrère. Une motion de renvoi en commission a été déposée. Ces amendements pourront ainsi être examinés. (Sourires.)
M. le président. La conférence des présidents, lors de sa réunion, a décidé que cet article 4 ferait l'objet d'une discussion générale.
Dans cette discussion générale, la parole est à M. le ministre. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales. Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, le Gouvernement est venu défendre devant vous, en mars dernier, un projet de loi dont le texte adopté a été, à une exception près, validé par le Conseil constitutionnel.
M. René-Pierre Signé. A une exception de taille !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Attendez, je n'ai pas fini !
A une exception donc, le projet a été validé, ce qui signifie, et ce n'est pas rien, que les Français auront désormais la possibilité d'identifier leurs députés européens puisque ceux-ci seront élus dans le cadre de huit circonscriptions régionales, sept métropolitaines et une d'outre-mer.
Cela faisait bien longtemps - depuis 1979 - que les gouvernements successifs, de gauche comme de droite, affirmaient la nécessité de modifier les conditions d'élection au Parlement européen. Voilà qui est fait : désormais, chacun pourra demander des comptes à son parlementaire européen et celui-ci pourra prendre ses responsabilités devant ses électeurs.
M. René-Pierre Signé. C'est facile !
M. Jean-Louis Carrère. Baratin !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je ne suis pas sûr que l'expression convienne au sein de la Haute Assemblée, mais, après tout, chacun est maître de ses propos !
Si cette modification était facile, elle aurait eu lieu avant. Je me souviens que des gouvernements, de droite comme de gauche, ont dû y renoncer.
Le deuxième point acquis, et ce n'est pas rien non plus, concerne les élections régionales.
Le spectacle lamentable auquel on a assisté en 1998 ne se reproduira plus, en toute hypothèse, puisque, compte tenu de la prime majoritaire, les régions seront gouvernables.
M. Claude Estier. C'était déjà le cas avec la loi Jospin !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. La loi Jospin était virtuelle, comme bien des choses que faisait M. Jospin.
M. Jean-Pierre Sueur. La loi Jospin a été votée !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Mais ne parlons pas des absents ; ce n'est pas loyal !
Le spectacle de 1998 ne pourra donc plus se reproduire.
M. René-Pierre Signé. Qui l'avait organisé ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Quelle que soit la majorité, de droite ou de gauche, les régions seront gouvernées et nos compatriotes seront, je le pense, reconnaissants à la majorité actuelle de leur avoir donné un mode de scrutin qui conférera tout son sens à la circonscription régionale, en préservant les départements.
Le troisième point porte sur la parité.
Avec le texte du gouvernement Raffarin, l'exigence de parité sera beaucoup plus grande tant pour les élections régionales que pour les élections européennes, en Corse comme sur le continent.
M. Jean-Pierre Godefroy. Grâce à la gauche !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Avec tout ce que l'on doit à la gauche, on se demande franchement pourquoi elle a été battue ! (Applaudissemsents sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Heureusement pour vous, vous êtes très satisfaits. Moi, à votre place, je ne le serais pas tant que cela ! Nous, nous nous intéressons davantage aux électeurs !
Quatrième point : le financement des partis politiques. Nous avons été tous unanimes, à quelque formation politique que nous appartenions, pour qualifier de lamentable, pour les moins sévères, et de choquant, pour les autres, le spectacle auquel nous avons assisté.
De fait, nous avons tous constaté dans les circonscriptions de nos départements une inflation considérable du nombre de candidats, qui a souvent dépassé la vingtaine. Presque 9 000 candidats se sont présentés, non pas pour concourir à l'expression du suffrage, mais simplement pour prétendre à la répartition de l'argent du contribuable. Ce problème est réglé lui aussi, et ce n'est pas rien.
M. Georges Gruillot. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'en viens au dernier point, qui n'est pas négligeable et qui concourt à l'expression des minorités chère à M. Michel Mercier : je veux parler du seuil de 3 % à dépasser pour être remboursé.
Désormais, on pourra être défrayé en ayant obtenu moins de voix qu'auparavant. C'est la véritable application de la démocratie : tous ceux qui se présenteront seront remboursés de leurs frais dès lors qu'ils auront obtenu 3 % des voix. Cette disposition est acquise ; elle a été confirmée par le Conseil constitutionnel. Il n'était pas inutile de le rappeler à l'ouverture de ce débat sur l'article 4.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je tenais à le dire à l'opposition mais aussi à la majorité, car celle-ci ne s'est pas battue sur le seul article 4. Elle a ferraillé sur l'ensemble des articles du projet. Ils ont aujourd'hui force de loi.
Nous voici maintenant devant la question posée par l'article 4.
M. Claude Estier. Qui n'est pas négligeable !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je vais y venir, monsieur Estier.
L'article 4 du projet de loi a été invalidé. Le Gouvernement en a pris acte. C'est un fait, ce n'est pas la peine de se cacher derrière son petit doigt, de faire des contorsions, de nier la vérité.
Dans un Etat de droit, la seule attitude possible pour un gouvernement, c'est de respecter la décision du juge constitutionnel, d'en prendre acte que cela lui plaise ou non, bref d'avoir une attitude démocratique, loyale et républicaine. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
Au demeurant, une censure du Conseil constitutionnel est-ce si exceptionnel ?
Me tournant vers les professeurs de vertu, je leur demanderai s'ils se rappellent combien de fois M. Jospin, dont on vantait le bilan si remarquable, s'est fait censurer par le Conseil constitutionnel. Trente-six fois en cinq ans, totalement ou partiellement ! (Exclamations sur les travées de l'UMP.)
Et voilà que ceux-là mêmes qui ont connu trente-six censures viennent demander des comptes et donner des leçons à ceux qui n'en ont connu qu'une !
M. Henri de Raincourt. Petite !
M. Claude Estier. Nous ne donnons pas de leçon !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ce n'est pas tout, monsieur Estier : sur les trente-six censures que connut le gouvernement de M. Lionel Jospin, quatre portaient sur des textes électoraux. Ainsi, que ceux qui, à quatre reprises, ont vu leurs lois électorales annulées totalement ou partiellement crient au scandale parce qu'il nous est arrivé hier ce qui leur est arrivé si souvent avant-hier !
J'ai donc cru important, devant la Haute Assemblée, de remettre les pendules à l'heure. (Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Claude Estier. Nous n'avons jamais dit ça ! Vous racontez n'importe quoi !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le Conseil constitutionnel a également apporté un certain nombre de précisions. L'une d'elle me tient particulièrement à coeur, comme, bien sûr, à chacun d'entre vous : elle porte sur la nécessité de tenir les électeurs clairement informés quant au mode de scrutin régional.
Je souhaiterais, à cet égard, dire quelques mots sur la question de la simplicité ou de la complexité, car j'entends énoncer sur ce sujet des idées qui, pour être simples, n'en sont pas forcément justes.
Quel est, mesdames, messieurs les sénateurs, le système électoral le plus simple au monde ?
M. Gérard Le Cam. La proportionnelle !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Certainement pas ! Allez expliquer simplement la plus forte moyenne ou le plus fort reste !
Non, le scrutin le plus simple, c'est incontestablement le système anglais : scrutin uninominal majoritaire à un tour. Il est d'une simplicité biblique... mais d'une brutalité sauvage !
A l'inverse, le scrutin allemand est unanimement présenté comme étant le plus démocratique. Dans ce système, vous le savez, chaque électeur a en quelque sorte deux voix. C'est ce qui a permis au chancelier Kohl, par exemple, d'être toujours élu au Bundestag sans jamais être élu dans sa circonscription.
Je mets au défi les éminents esprits qui siègent à la Haute Assemblée de nous expliquer dans le détail comment fonctionne le mode de scrutin allemand !
J'en tire donc la conclusion que la simplicité n'est pas le gage de la démocratie et que la complexité n'est pas l'ennemi de cette même démocratie.
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Et il convient de dire que, dans nos démocraties complexes, un mode de scrutin, pour préserver des réalités du territoire qui peuvent être contradictoires, a besoin d'une dose de complexité. La simplicité est souvent brutale tandis que la complexité permet souvent l'expression plus nuancée de la démocratie.
Il m'a donc semblé intéressant de rappeler que, entre le mode de scrutin anglais et le mode de scrutin allemand, ce n'était pas nécessairement le plus simple qui était le plus démocratique. Je livre cet argument à tous ceux, constitutionnalistes et autres, qui voudront disserter sur le nouveau mode de scrutin.
MM. Jean-Claude Gaudin et Henri de Raincourt. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Quoi qu'il en soit, le Gouvernement revient devant le Parlement avec un amendement, et un seul, qui permet de faire retour à son texte originel en retenant un seuil de 10 % des suffrages exprimés.
M. Jean-Louis Carrère. Celui de l'UDF !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je ne suis pas forcément le plus mal placé pour dire combien le choix de 10 % de suffrages exprimés ne me gêne pas !
Cela étant, ces 10 % de suffrages exprimés devraient donner lieu, au sein de la Haute Assemblée, à un consensus quasiment historique, car je ne doute pas que l'honnêteté intellectuelle prévaut ici sur toutes les travées. (Sourires.)
M. Jean-Claude Gaudin. N'exagérons rien ! (Nouveaux sourires.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Permettez-moi de rappeler que, le 20 octobre 1998, le ministre de l'intérieur du gouvernement Jospin, M. Queyranne - même s'il n'exerçait ces fonctions que par intérim, il s'exprimait au nom de ce gouvernement -, déclarait devant le Sénat qu'un seuil de 10 % des suffrages exprimés permettrait de dégager des majorités stables sans réduire la diversité politique.
M. Jean-Louis Carrère. Vous-même, vous avez dit bien des choses depuis !
M. René-Pierre Signé. Et ce n'est pas ce que vous aviez proposé !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je voudrais aussi rappeler ce qu'avait déclaré un membre du groupe communiste de cette assemblée. Il est rare que je cite M. Bret, mais enfin ne faisons pas la fine bouche sur les auteurs quand leurs propos sont si pertinents ! (Rires.) Profitez-en, monsieur Bret, cela ne se reproduira pas si souvent ! (Nouveaux rires.)
Défendant un amendement qui portait le numéro 71, M. Bret indiquait : « Le seuil de 10 % des suffrages exprimés que nous proposons est donc, selon nous, pleinement justifié. Il favorise clairement l'expression la plus fidèle possible des courants politiques présents dans notre pays. Ce seuil permet de se prémunir contre les effets que nous avons largement dénoncés. »
Monsieur Bret, on ne saurait mieux dire ! J'imagine que vous n'avez pas changé d'avis depuis le mois dernier. Sinon, nous serions nombreux à être étonnés, sachant tous que vous êtes homme de conviction.
M. Jean-Claude Gaudin. Pourvu qu'il ne fasse pas sa liste tout seul !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je tiens aussi à rendre un hommage appuyé à M. Estier, président du groupe socialiste, qui a été beaucoup plus prudent - quand on connaît son expérience, ce n'est pas surprenant - que son homologue de l'Assemblée nationale, Jean-Marc Ayrault. En 1999, ce dernier soutenait - il s'adressait alors, il est vrai, aux communistes de l'Assemblée nationale - qu'un « seuil de 5 % des suffrages exprimés n'est en rien un progrès, car il permettrait au Front national de se maintenir au second tour ».
J'attends avec attention de voir si le groupe socialiste du Sénat suivra ce que disait le président du groupe socialiste à l'Assemblée nationale. A moins que M. Ayrault ne considère que, compte tenu de l'action du Gouvernement en matière de sécurité et d'immigration, le problème du Front national ne se posant plus, on peut passer de 10 % à 5 %. (Rires sur les travées de l'UMP.) C'est une preuve de confiance dans l'action du Gouvernement et du ministre de l'intérieur qui me flatterait beaucoup !
Si tel n'était pas le cas, je ne peux pas imaginer que lui aussi, frappé par je ne sais quelle forme de maladie, aurait changé d'avis ! Décidément, tout le monde au parti socialiste et au parti communiste aurait changé d'avis entre le mois de mars et le mois d'avril ! Personne ne peut l'imaginer !
M. Claude Estier. Vous avez bien changé d'avis en trois semaines !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Mais il y a mieux puisque François Hollande lui-même... (Ah ! sur les travées de l'UMP.) C'est une référence, au moins pour vous...
M. Claude Estier. Oui ! Absolument !
M. Gérard Longuet. Pas pour tous !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Voici, en tout cas, ce que disait François Hollande, il y a trois jours : « Si le Gouvernement revenait aux 10 % des suffrages exprimés, cela permettrait à l'ensemble des familles politiques, de gauche comme de droite, de concourir à l'expression du suffrage. »
Je sais bien que le parti socialiste est en pleine préparation de son congrès, mais, à ma connaissance, M. Hollande en est toujours, pour l'heure, le premier secrétaire.
M. Jean-Pierre Sueur. Il le restera !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Nous verrons donc si le groupe socialiste du Sénat confirme le pronostic du premier secrétaire du parti socialiste.
Je n'aurai garde d'oublier le groupe du RDSE du Sénat, qui, dans un amendement n° 357 rectifié, par la voix de M. Alfonsi, défendait le seuil de 10 % des suffrages exprimés.
Quant au président du groupe de l'Union centriste, Michel Mercier, il me disait le mois dernier dans ce même hémicycle : « Changez un mot, et vous aurez le consensus ! » Le mot est changé. Aurons-nous le consensus ?
M. Claude Estier. A l'époque, vous ne l'avez pas fait !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je veux enfin saluer la très grande sagesse du groupe UMP, qui a immédiatement soutenu la volonté d'apaisement du Premier ministre.
Oui, mesdames, messieurs les sénateurs, nous avons les éléments du consensus qui nous permettrait de présenter le visage d'une République réconciliée et apaisée. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
J'espère que je n'ai choqué personne avec ces citations (Mais non ! sur les travées de l'UMP), car le devoir d'honnêteté auquel je vous appelle, je dois me l'imposer. Ces citations sont naturellement à votre disposition.
En tout cas, et j'attends avec beaucoup d'intérêt les protestations que vous nous opposeriez et qui consisteraient à dire : « C'est honteux, le Gouvernement a changé d'avis ! »,...
M. Jean-Claude Gaudin. C'est ce qu'ils demandaient !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. ... alors que, vous-mêmes, vous auriez également changé d'avis. Je répondrais alors simplement : « Un partout, la balle au centre ! »
Au-delà de la sémantique, je voudrais, avant de conclure, dire un mot plus personnel sur la question du Front national.
Bien des choses ont été dites à cet égard par les uns et par les autres. Par définition, elles sont respectables puisqu'elles sont l'émanation de convictions. J'affirme donc, moi aussi avec conviction, que jamais une élection ne se gagne grâce à un mode de scrutin.
M. Jean-Pierre Sueur. Alors, pourquoi avez-vous voulu le changer ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. A chaque fois qu'une majorité, de gauche ou de droite a cédé à cette tentation - souvenons-nous de la proportionnelle avec François Mitterrand - c'est retombé sur celui qui avait pris une telle initiative.
M. Jean-Louis Carrère. Et la dissolution ? (Sourires sur les travées socialistes.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ces affaires de scrutin donnent toujours lieu à des affrontements passionnés, mais les pronostics sont généralement désavoués - et c'est heureux ! - par les faits, c'est-à-dire par les électeurs, parce que les Français sont beaucoup moins prévisibles que nous ne l'imaginons lorsque nous en parlons dans l'une et l'autre assemblées.
M. René-Pierre Signé. Alors, pourquoi changer ?
M. Nicolas Sarkozy, ministre. J'ajouterai, m'adressant aussi bien à mes amis qu'aux représentants de l'opposition, que, selon moi, le problème du Front national ne tient pas à un mode de scrutin, que, par conséquent, il ne sautait être résolu par un changement du mode de scrutin.
Il faut avoir le courage de le dire : la France de 2002 n'était pas l'Allemagne de 1932. Les cinq millions et demi de Français qui ont voté pour le Front national ne sont pas des fascistes ! Nous n'avons pas assisté à une montée de la « peste brune ». Ceux qui le prétendent non seulement commettent une erreur d'analyse mais encore insultent ceux de nos concitoyens qui ont voté pour le Front national afin de lancer un cri de désespoir. Défiler pour leur en faire le reproche ne sert à rien !
M. Jean-Claude Gaudin. Très bien !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ce qu'il faut, c'est résoudre les problèmes qui les angoissent et mettre fin au sentiment qu'ils ont depuis des années que la gauche et parfois la droite les ont abandonnés ! Car c'est cela le véritable sens du vote pour le Front national ! (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.) Tout le reste n'est qu'alibi.
Les électeurs qui ont voté pour le Front national viennent bien de quelque part ! Ils votaient auparavant pour la gauche ou pour la droite et s'exprimaient donc de façon républicaine. J'aimerais que l'on m'explique au nom de quoi ceux qui, voilà quelques années, ont été bien contents de recueillir les voix de ces électeurs, leur interdiraient aujourd'hui de s'exprimer, au motif qu'ils se sont trompés en votant pour le Front national !
M. René-Pierre Signé. Ceux que nous dénonçons, ce sont ceux qui ont fait alliance avec le Front national !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ce n'est certainement pas en leur adressant des reproches ou en leur interdisant de s'exprimer que l'on répondra à leur angoisse. C'est en trouvant des solutions en ce qui concerne la sécurité, l'immigration. (Raccolage ! sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Je le dis avec beaucoup de force : lorsque l'on fait partie d'une majorité capable de convaincre, on crée une dynamique, et c'est cette dynamique qui permet de gagner les élections. A l'inverse, quand il y a une majorité qui ne convainc pas, et cela nous est arrivé...
M. Roland Courteau. Cela vous arrivera encore !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Certainement ! Vous savez, cela arrive toujours plus tôt que ne le craint la majorité, mais beaucoup plus tard que ne l'espère l'opposition ! (Rires sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste. - M. Pierre Hérisson applaudit.) Avant que cela n'arrive, il vous faudra patienter et, permettez-moi de vous le dire, vous en tirerez quelques leçons de modestie, ce qui n'est pas inutile !
M. Georges Gruillot. Un peu d'humilité ne fait pas de mal !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est le début des années quatre-vingt qui a vu l'émergence électorale du Front national. En 2004, nous aurons des comptes à rendre sur ce qu'il en sera advenu, et je suis conscient de la responsabilité que j'ai à cet égard. Nous le ferons franchement, démocratiquement, et nous verrons alors s'il était possible en deux ans de détacher d'un vote extrême des électeurs qui émettaient auparavant un vote républicain. Au moins, cette attitude sera digne et, je le pense, juste.
En tout cas, on ne peut pas bâillonner un courant de pensée, quel qu'il soit, lorsque des citoyens expriment tant d'angoisse.
Mesdames, messieurs les sénateurs, la proposition du Gouvernement témoigne de sa bonne foi, tout en tirant les conséquences d'une décision du Conseil constitutionnel.
M. René-Pierre Signé. Il a été contraint de les tirer !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Je pense que chacun peut adopter un comportement à la hauteur de l'esprit d'ouverture montré par le Gouvernement. (Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE. - Rires et exclamations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration générale. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la décision du Conseil constitutionnel du 3 avril 2003 a censuré le a) de l'alinéa 2° de l'article 4 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants au Parlement européen ainsi qu'à l'aide publique aux partis politiques, loi que nous avions votée le mois dernier.
Le Président de la République, sur proposition du Premier ministre, conformément à l'article 10, deuxième alinéa, de la Constitution, demande au Sénat de procéder, après l'Assemblée nationale, à une seconde délibération sur le seul article 4 de la loi.
En effet, il convient de le rappeler, la totalité de la loi que nous avions adoptée a été validée par le Conseil constitutionnel, à la seule exception de deux chiffres.
Cette validation de la totalité de la loi instaure un nouveau système pour les élections européennes, pour le financement des partis politiques ainsi que pour les élections régionales.
Concernant ces dernières, le Conseil constitutionnel a validé le mandat de six ans, le scrutin de liste à deux tours, l'existence des sections départementales, la prime majoritaire pour la liste arrivée en tête, la répartition des sièges pour les listes ayant obtenu au moins 5 % des suffrages exprimés. S'y ajoute la reconnaissance du principe de parité avec l'alternance, sur les listes, des hommes et des femmes.
Qu'il me soit permis de faire un certain nombre de remarques à propos de cette décision du Conseil constitutionnel.
Tout d'abord, contrairement à ce que nous avons entendu lors du débat précédent, la loi que nous avons votée n'est contraire ni au pluralisme, ni à l'égalité devant le droit de suffrage, ni à la parité, ni à la liberté des partis politiques. En d'autres termes, la loi que nous avons adoptée était une loi démocratique, respectant les principes de la République, et elle a été reconnue comme telle par le Conseil constitutionnel. (Protestations sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean-Louis Carrère. Dissolvez le Conseil constitutionnel !
M. Henri de Raincourt. C'est M. Montebourg qui veut le dissoudre !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Il convient également de souligner que nous sommes amenés à réexaminer un seul article de la loi,...
M. Jean-Pierre Sueur. Mais quel article !
M. Patrice Gélard, rapporteur. ... en fait les deux seuls points que le Conseil constitutionnel a annulés, à savoir les pourcentages.
Comme nous l'avions sous-entendu lors du débat, le fait d'avoir renoncé à étendre à la Corse les dispositions relatives à la parité n'était vraisemblalement pas constitutionnel. Le Conseil constitutionnel l'a reconnu, mais il a ajouté une précision tout à fait intéressante : ce que nous avons adopté privilégiant la parité par rapport au système par groupes de six candidats prévu par la loi du 19 janvier 1999, il convenait de ne pas annuler les dispositions de la loi parce que les nouvelles dispositions étaient plus favorables à la parité que ne l'étaient les anciennes et que ne le sont celles qui portent sur la Corse.
Autrement dit, nous avons le droit de commettre de légères inconstitutionnalités dès lors qu'elles renforcent le principe constitutionnel de la parité, énoncé aux articles 3 et 4 de la Constitution.
M. Claude Estier. Ça peut aller loin !
M. Claude Domeizel. C'est vraiment tiré par les cheveux !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je veux également signaler que les députés européens ne sont plus les représentants de la nation : le Conseil constitutionnel a bien souligné que les députés européens sont les représentants de l'Union européenne résidant en France. Dès lors, il n'y avait aucune atteinte au principe d'indivisibilité ou d'unité de la République, et seuls les membres de l'Assemblée nationale et les membres de la Haute Assemblée ont la qualité de représentants de la nation française.
J'en arrive à ma troisième remarque, qui porte sur le vice de forme entachant la loi que nous avons adoptée.
A ce propos, je tiens à souligner que le Conseil constitutionnel a estimé que le Conseil d'Etat avait plus de pouvoirs que ce qu'on le pensait, en vertu de l'article 39 de la Constitution.
Il appartiendra au Gouvernement d'en tirer les conséquences. Les décisions du Conseil constitutionnel s'imposent à nous tous et nous ne pouvons que les accepter. Le Gouvernement propose dès lors de modifier l'article 4 de la réforme du mode du scrutin pour les élections régionales en remplaçant le taux de 10 % des inscrits par celui de 10 % des suffrages exprimés.
On peut regretter que l'objectif visé par le Gouvernement et le Parlement lors de la première lecture, l'objectif qui consistait à doter les conseils régionaux d'une majorité stable, n'ait pas pu être entériné du fait de la décision du Conseil constitutionnel. Il est vrai toutefois qu'en ramenant le pourcentage à 10 % des suffrages exprimés rares seront les régions où plus de quatre listes pourront se maintenir au second tour. Cinq ou six listes seront toutefois peut-être en mesure de se maintenir au second tour dans une ou deux régions seulement, qui seront dès lors totalement ingouvernables !
Dans la plupart des cas, si ce n'est dans la quasi-totalité, il devrait n'y avoir que trois ou quatre listes au second tour et, du fait de la prime majoritaire, il y aura une majorité. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Certains pourraient regretter que l'on n'ait pas profité de ce débat pour modifier le seuil de 10 % des suffrages exprimés ou pour augmenter la prime afin de tenir compte des cas limites dans lesquels plus de quatre listes pourraient se maintenir au second tour. Ce n'est pas notre opinion, c'est la raison pour laquelle la commission des lois vous propose, mes chers collègues, d'adopter conforme le texte transmis par l'Assemblée nationale.
Nous estimons en effet que le seuil de 10 % des suffrages exprimés est un seuil raisonnable qui devrait permettre, comme le disait M. Raffarin, de « calmer le jeu dans une période de tensions internationales et de difficultés intérieures ». (Applaudissements sur les travées de l'UMP, ainsi que sur certaines travées de l'Union centriste et du RDSE.)
M. Jean-Louis Carrère. A quoi sert le Sénat ?
M. René-Pierre Signé. Avec Raffarin, il n'y a que des votes conformes !
M. le président. J'indique au Sénat que, compte tenu de l'organisation du débat décidée par la conférence des présidents, les temps de parole dont disposent les groupes pour cette discussion sont les suivants :
Groupe socialiste : 13 minutes ;
Groupe de l'Union centriste : 8 minutes ;
Groupe communiste républicain et citoyen : 7 minutes.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Bernard Frimat. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Bernard Frimat. Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ainsi donc, contrairement à ce qu'avait affirmé M. le rapporteur, tout n'était pas parfait dans le projet de loi relatif à la réforme du mode de scrutin régional.
En première lecture, la majorité du Sénat avait refusé d'entendre la plus petite critique, d'accepter le moindre amendement...
Mme Hélène Luc. La moindre virgule !
M. Bernard Frimat. ... sur un texte auquel elle ne trouvait rien à redire.
Le Conseil constitutionnel a tranché notre débat et a censuré votre projet de loi sur le point le plus emblématique, le seuil de qualification pour le second tour, que la majorité avait transformé en seuil d'élimination.
Les dirigeants de l'UMP, dans leurs réactions publiques, peuvent certes réduire la censure du Conseil constitutionnel à un simple problème de procédure. Mais cette posture ne convainc personne. Il est en effet patent que la censure porte en réalité sur une question plus fondamentale...
M. Patrice Gélard, rapporteur. Elle est de forme !
M. Bernard Frimat. ... monsieur le rapporteur, même si le fait de retenir l'argument de forme que nous lui avions proposé, dispense le Conseil constitutionnel d'examiner « les autres griefs dirigés contre ces dispositions, notamment celui tiré de l'atteinte au principe du pluralisme des courants d'idées et d'opinions, lequel est un des fondements de la démocratie ».
Ce point lui apparaît au demeurant tellement fondamental pour la démocratie qu'il éprouve le besoin de l'affirmer dans un considérant d'une précision indiscutable : « s'il est loisible au législateur, lorsqu'il fixe les règles électorales relatives aux conseils régionaux, d'introduire des mesures tendant à inciter au regroupement des listes en présence, en vue notamment de favoriser la constitution d'une majorité stable et cohérente, il ne peut le faire qu'en respectant le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, lequel est un fondement de la démocratie ».
Dans cette argumentation, le Conseil constitutionnel ne fait que confirmer ses décisions antérieures, notamment celles qui l'avaient conduit à déclarer conforme à la Constitution l'instauration d'une prime majoritaire à la liste arrivée en tête.
Cette prime, je me plais à le rappeler, existait déjà dans la loi de 1999. Ce n'est donc pas votre projet de loi qui apporte aux conseils régionaux les majorités de gestion claires et stables, nécessaires au bon fonctionnement des conseils régionaux, c'est la loi de 1999.
M. Claude Estier. Très bien !
M. Bernard Frimat. Il vous plaît, monsieur le ministre, avec quelque malice, de rendre aux socialistes la paternité de certaines dispositions que nous allons évoquer. Cela fait partie de la discussion parlementaire et nous savons tous que la confrontation des propos d'hier avec les déclarations d'aujourd'hui est toujours une source inépuisable de méditation.
Les longs développements de nos collègues et de M. le rapporteur sur le caractère essentiel, fondamental, indispensable, du seuil de 10 % des inscrits qui constituait le coeur de votre réforme électorale sont à ranger dans le même « magasin » que les déclarations dont vous faisiez état tout à l'heure !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Donc, égalité !
M. Bernard Frimat. Oui, mais la balle n'est pas forcément au centre ! Si vous permettez, je préférerais qu'elle soit ailleurs !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Alors n'en parlons plus !
M. Bernard Frimat. C'est d'ailleurs sans doute pour cette raison que certains, dans cette assemblée, ont choisi de se taire.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Le silence est d'or !
M. Bernard Frimat. Monsieur le ministre, je vous propose d'aller jusqu'au bout de la recherche en paternité que vous avez entamée hier à l'Assemblée nationale et poursuivie aujourd'hui au Sénat, et de reconnaître que c'est au gouvernement de Lionel Jospin que l'on devra l'existence de majorités claires et stables dans les conseils régionaux. (Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Mais non !
M. Bernard Frimat. Le Premier ministre, avec votre concours, a choisi, cette fois-ci, de résister à l'UMP, d'entendre le Conseil constitutionnel et d'abandonner le seuil d'élimination initialement proposé. Nous en prenons acte.
M. René-Pierre Signé. Quel effort !
M. Bernard Frimat. Permettez-moi toutefois, avant d'en venir au fond, une remarque de forme : s'il est loisible au Premier ministre de plaider le bien-fondé de la nouvelle rédaction proposée devant les parlementaires de sa formation politique, l'UMP, il n'aurait pas été déplacé, quelle que soit la qualité de votre présence, monsieur Sarkozy, qu'il vienne s'expliquer devant la représentation nationale, si toutefois, dans son esprit, le Parlement reste le lieu réel de la décision et même du débat.
Le fait qu'une nouvelle fois le Sénat soit invité par M. le rapporteur à se prononcer par un vote conforme ne peut qu'accroître le sentiment de malaise qui est le nôtre.
Vous revenez donc aujourd'hui, monsieur le ministre, devant le Sénat, en application d'une procédure rarement utilisée, pour proposer, en vertu de l'article 10, alinéa 2, de la Constitution, une nouvelle délibération de l'article 4 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux.
Permettez-moi de regretter que le Gouvernement ait choisi encore une fois la précipitation et qu'il n'ait pas cru judicieux de tirer, dans un nouveau projet de loi, toutes les conclusions des nombreuses remarques et réserves du Conseil constitutionnel.
Vous avez limité cette nouvelle délibération du Parlement au strict minimum, en vous contentant, par rapport au projet de loi adopté, de ne retoucher que les deux mots censurés et de remplacer « électeurs inscrits » par « suffrages exprimés ».
Vous revenez ainsi à la pratique respectueuse du pluralisme, utilisée lors des élections municipales, ce mode de scrutin étant celui qui se rapproche le plus de celui dont nous débattons aujourd'hui.
Vous ne faites plus de l'abstention la variable essentielle de la désignation politique des conseillers régionaux ; vous ne prêtez plus d'opinion politique à celles et à ceux qui, pour des raisons variées, se désintéressent des élections et s'abstiennent. Seuls les suffrages exprimés compteront désormais pour désigner la représentation régionale.
Je vous avais dit, en première lecture, que, si nous pouvions admettre que la hauteur du seuil soit l'objet de choix politiques différents, il ne nous semblait pas possible, en revanche, que l'on tienne compte d'autre chose que des suffrages exprimés. Nous enregistrons donc avec satisfaction cette modification essentielle.
Toutefois, nous restons défavorables à votre projet de loi et à votre nouvelle rédaction de l'article 4.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Cela va être dur !
M. Bernard Frimat. Je vais essayer de détailler nos différents arguments.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Essayons !
M. Bernard Frimat. Le premier concerne le niveau retenu comme seuil de qualification pour le second tour.
La loi de 1999 retient comme seuil de qualification le taux de 5 % des suffrages exprimés. C'est le choix effectué après le débat au Parlement par le gouvernement de Lionel Jospin alors que son projet initial, je vous en donne acte, était identique à celui que vous présentez aujourd'hui.
Nous confirmons donc aujourd'hui notre position favorable au seuil de 5 %, parce que l'instauration de la prime et la création de majorités claires et stables permettent justement d'être plus souple dans la représentation des courants politiques minoritaires ou émergents.
En effet, exclure des assemblées régionales des courants politiques ou d'opinions qui existent n'est pas un élément de stabilité. Si ces opinions existent et si les formations qui les représentent ne souhaitent participer à aucune majorité, elles doivent pouvoir se maintenir au second tour puisqu'elles ont dépassé le seuil que le Conseil constitutionnel a validé comme acceptable pour qu'une liste puisse être représentée.
Cela mettrait fin, de plus, à une inégalité qui permet à la liste obtenant entre 5 % et 10 % des suffrages exprimés d'être représentée s'il n'y a qu'un tour, mais d'être contrainte de disparaître si, pour des raisons politiques, elle refuse de fusionner.
Or, comme le prouvent des élections récentes, la présence dans nos assemblées de voix nouvelles n'est pas forcément un inconvénient. Il vaut peut-être mieux entendre ces voix nouvelles dans nos assemblées plutôt qu'ailleurs.
Le deuxième argument pour expliquer notre opposition à la nouvelle rédaction de l'article 4 tient aux sections départementales.
Vous maintenez votre objectif de redépartementalisation du scrutin régional.
La loi de 1999 prévoyait un dispositif simple, transparent, avec l'instauration d'une liste régionale. Par assimilation aux élections municipales, même si rien n'y oblige formellement, celui qui conduit la liste régionale est de fait le candidat à la présidence du conseil régional. Avec votre projet de loi, derrière l'affichage d'une liste régionale, c'est en réalité la remise en place de la départementalisation du scrutin régional qui s'opère.
Au moment où votre réforme de la Constitution inscrit la région parmi les collectivités territoriales, au moment où le Premier ministre affirme vouloir faire jouer aux régions un rôle moteur et leur conférer des missions essentielles, dans le cadre de la décentralisation, vous jugez opportun de revenir à la départementalisation. Cette démarche est en contradiction avec le souci d'affirmer que la région est une collectivité majeure.
A un système simple, vous substituez un système compliqué. Le Conseil constitutionnel vous l'a d'ailleurs clairement indiqué dans ses considérants 18 et 19, qui expriment des réserves formelles sur le contenu de l'article 3.
Il a même poussé le souci du détail jusqu'à préciser les mentions qui devront figurer sur les bulletins de vote de chaque liste dans chaque région.
Il a aussi évoqué le cas d'une tête de liste régionale qui ne serait pas placée en rang utile pour être élue dans une section départementale.
Il a également précisé qu'il appartiendra au juge de l'élection de déterminer si la sincérité du scrutin a pu être altérée du fait de cette pratique.
Nous enregistrons cette interprétation, mais rien n'indique que la loi écarte de manière irréfutable tout risque de manipulation.
Nous ne comprenons pas les raisons pour lesquelles le Gouvernement s'oppose à ce souci de clarification et nous avons déposé un amendement en ce sens. Mais il est, paraît-il, irrecevable.
J'en viens à mon troisième argument : la parité à l'Assemblée de Corse.
La décision du Conseil constitutionnel est sur ce point très claire : « Aucune particularité locale, aucune raison d'intérêt général ne justifie la différence marquée par le projet de loi entre l'Assemblée de Corse et les conseils régionaux. »
En conséquence, vous n'échappez à la censure pour non-respect du principe d'égalité que « parce qu'une telle censure méconnaîtrait la volonté du constituant de voir la loi favoriser l'égal accès des femmes et des hommes aux mandats électoraux et aux fonctions électives ».
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Nous faisons plus pour la parité !
M. René Garrec, président de la commission. C'est mieux !
M. Bernard Frimat. Il nous aurait semblé souhaitable que le Parlement puisse parer dès aujourd'hui cette inégalité dont sont victimes les femmes de Corse. Vous ne l'avez pas souhaité.
Si nous devons retenir une leçon de cet épisode parlementaire, monsieur le ministre - et ce sera ma conclusion -, il me semble que cela pourrait être qu'aucun gouvernement n'a intérêt à ce que le Parlement ne puisse jouer pleinement son rôle.
Le débat que nous avons eu dans cet hémicycle et qui a pu paraître à certains d'entre vous, mes chers collègues, bien long, a prouvé son utilité puisqu'il a nourri les délibérations du Conseil constitutionnel.
Cela nous incite à espérer que le Sénat ne devienne pas le champion toutes catégories du vote conforme. Il y a sans doute d'autres méthodes pour revaloriser son rôle.(Très bien ! et applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Monsieur Frimat, je voudrais tout d'abord vous rappeler que la loi Jospin ne permettait à aucune majorité de se dégager. En instaurant un seuil de 5 % des suffrages exprimés pour se maintenir au second tour, il n'y avait pas de majorité possible, même avec le système de la prime.
Ensuite, comme cela a déjà été précisé lors de la première lecture, vous défendez le système proportionnel alors que nous soutenons la logique majoritaire. Selon notre logique, un scrutin majoritaire n'est pas antidémocratique et ne porte pas atteinte au pluralisme, ce que le Conseil constitutionnel a d'ailleurs reconnu. Là est toute la différence entre nous.
Par ailleurs, nous avons souhaité mettre en place les sections départementales parce que, comme pour les élections européennes, nous avons simplement la préocupation de la proximité, pour faire en sorte que l'électeur se reconnaisse dans ses élus, ce qu'il ne peut pas faire dans une élection régionale. (Exclamations sur les travées socialistes.)
Enfin, chers collègues de l'opposition, vous avez critiqué le vote conforme auquel j'ai appelé. Or je rappelle que ce dernier est considéré par le Conseil constitutionnel comme tout à fait conforme à la Constitution.
MM. Claude Domeizel et Jean-Marc Todeschini. C'est une habitude, ici !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cela ne remet pas en cause les pouvoirs du Parlement, loin de là. J'ajouterai que le Conseil constitutionnel - vous devriez y réfléchir - a estimé que l'abus du droit d'amendement, lui, était contraire à la Constitution. (Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP. - Exclamations sur les travées socialistes.)
Mme Hélène Luc. La tradition, c'est d'abord d'écouter les orateurs !
M. Patrice Gélard, rapporteur. C'est ce que nous faisons !
M. René Garrec, président de la commission. Nous ne faisons même que ça !
M. le président. La parole est à Mme Nicole Borvo.
Mme Nicole Borvo. Monsieur le rapporteur, vous avez défendu avec tellement de fougue le taux de 10 % d'inscrits en première lecture que vous pourriez vous dispenser d'interrompre le débat pour défendre avec autant de fougue la suppression de ce taux ! (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
Monsieur le ministre, vous nous avez fait un discours de meeting, polémiste à souhait, et, comme il est de bon ton dans tout meeting, vous avez été chaudement applaudi par les vôtres.
M. Jacques Baudot. Il était bon !
Mme Nicole Borvo. Mais, comme chacun le sait, les succès de meeting ne garantissent pas les succès populaires.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Cela dépend !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ne généralisons pas !
Mme Nicole Borvo. Quoi qu'il en soit, le fait de débattre à nouveau, aujourd'hui, de la réforme du mode de scrutin régional constitue, pour la majorité sénatoriale,
et, de manière plus générale, pour l'UMP de M. Juppé, pour le gouvernement de M. Raffarin et bien entendu pour le Président de la République, un désaveu cinglant.
M. Jean-Claude Gaudin. Ah bon !
Mme Nicole Borvo. Ceux qui voulaient tuer le pluralisme, pousser le jeu de la bipolarisation de manière outrancière, ont été pris la main dans le sac par leurs propres amis du Conseil constitutionnel. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Ça, ce n'est pas un discours de meeting, peut-être !
M. Jean-Claude Gaudin. Et l'on est obligé d'écouter !
Mme Nicole Borvo. A discours de meeting, réponse de meeting !
Je le dis d'emblée : cette décision du Conseil constitutionnel est importante, car elle fixe une limite à ne pas franchir, elle met en évidence les contradictions internes à la droite mais, hélas ! elle n'est pas suffisante.
M. Roger Karoutchi. La gauche, elle, n'en a pas, peut-être !
Mme Nicole Borvo. Mon ami Robert Bret reviendra sur ce point en présentant la motion de renvoi à la commission présentée par notre groupe et vous explicitera ce que vous avez essayé de reprendre de ses propos. Il mettra les choses au point puisque vous l'avez cité de façon abusive.
Le recours devant le Conseil constitutionnel a été signé à l'Assemblée nationale par l'ensemble des formations politiques, à l'exception de l'UMP, et au Sénat par le groupe communiste républicain et citoyen, ainsi que par le groupe socialiste et apparenté. Il faut bien mesurer la signification de ce recours, à savoir l'isolement des initiateurs du projet.
L'avis du Conseil constitutionnel devrait faire réfléchir le Gouvernement. La modification des modes de scrutin qu'il veut imposer est un véritable déni de démocratie.
Sur la forme d'abord, il faut rappeler l'extrême précipitation des débats, l'absence de travail préparatoire sérieux en commission.
Sans doute d'ailleurs aurait-il été bon d'auditionner différentes personnalités pour prévenir la censure de l'article 4.
Sûr de sa force et de sa domination écrasante sur les deux assemblées, l'UMP a avancé à marche forcée, à coup de 49-3, d'urgence et de vote conforme, au mépris du droit le plus élémentaire du Parlement, celui d'amender.
Comment ne pas rappeler le « silence dans les rangs » imposé aux sénateurs de l'UMP qui n'ont pu s'exprimer, hormis le rapporteur, durant les deux semaines de discussion ?
Ne croyez-vous pas sincèrement qu'un véritable débat, une discussion pluraliste auraient sans aucun doute permis d'éviter les excès qui ont entraîné la sanction du Conseil constitutionnel ?
M. Jean-Claude Gaudin. Non !
Mme Nicole Borvo. Cette volonté d'aller vite, de bâcler n'est d'ailleurs pas abandonnée.
En effet, le recours à l'article 10 de la Constitution, rarement utilisé, qui autorise le Président de la République à demander au Parlement une seconde délibération, a été préféré à la présentation d'un nouveau projet de loi par le Gouvernement. Cela permet, chacun le sait, d'éviter l'examen du nouveau texte par le Conseil d'Etat. De plus, cela autorise une limitation sévère du droit d'amendement, droit qui ne peut s'exercer, en l'occurrence, que sur l'article 4 du projet de loi.
En réalité, personne n'est dupe : la décision du Conseil constitutionnel constitue un coup de semonce pour le Gouvernement, qui l'a d'ailleurs compris comme tel.
Vous vous hâtez donc de modifier l'article 4, en revenant au seuil de 10 % des suffrages exprimés et en abandonnant la référence aux inscrits pour l'élection des conseils régionaux, référence que vous avez défendue avec le talent que nous vous connaissons, monsieur le ministre. Ce point, chacun le sait, faisait débat dans la majorité. Vous vous considérez donc comme quitte. Si cette référence aux inscrits était un véritable détournement de l'esprit du mode de scrutin proportionnel, il n'est pas, soyez-en sûr, la seule atteinte à la juste représentation des opinions exprimées, loin s'en faut !
Pour notre part, nous avons dénoncé, dès le premier jour, l'argument du rapprochement des élus et des citoyens comme fondement de cette réforme. Personne ne peut le croire ! Comment la diminution de la représentation pluraliste des différents courants de pensée aurait-elle pu permettre de réconcilier les habitants de notre pays et la politique ? C'est l'effet de seuil qui demeure. Il n'y a donc rien de changé. Mais, à l'évidence, ce n'est pas votre préoccupation, malgré les effets d'« affichage ».
M. Alain Juppé lui-même, contraint de faire marche arrière, n'a-t-il pas déclaré hier que l'« on ne fera rien pour gêner le Gouvernement, malgré les difficultés électorales qui s'annoncent » ?
Tout est dit en ces quelques mots. Ce qui importe au président de l'UMP, c'est non pas de garantir le respect du fonctionnement démocratique de nos institutions, dont le pluralisme constitue un élément clé, mais bien d'adapter la loi aux intérêts électoraux de son organisation.
M. Jean-Louis Carrère. Il est intelligent !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. C'est le meilleur !
Mme Nicole Borvo. Monsieur le ministre, vous nous dites aujourd'hui qu'on ne gagne pas une élection en modifiant le mode de scrutin ; je partage tout à fait cet avis. Toutefois, ici même, M. Devedjian a déclaré que le mode de scrutin modifiait les comportements électoraux. Alors, qui croire ? Je pense qu'il s'agit de changer en effet les comportements et, par la modification du mode de scrutin, de vous assurer une majorité quelles que soient les circonstances.
En ce qui nous concerne, nous constatons avec satisfaction le rappel à l'ordre du Gouvernement par le Conseil constitutionnel, mais il n'en demeure pas moins que l'article 4 porte atteinte au pluralisme.
Fixer une barre de 10 % des suffrages exprimés pour le maintien au second tour et de 5 % pour la fusion limite l'expression pluraliste et participe à la dénaturation du mode de scrutin proportionnel qui prévaut pour les élections régionales. Ce qui fonde la proportionnelle, à laquelle nous sommes indéfectiblement attachés, c'est l'idée d'une juste répartition des différents partis politiques et des courants d'opinions.
Votre projet s'écarte de cette conception et nous le regrettons. D'ailleurs, nous avions rejeté la première mouture du projet de loi, déposée en 1998, qui allait dans le même sens,...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Si c'est si bien la proportionnelle, pourquoi ne l'appliquez-vous pas au parti communiste ?
Mme Nicole Borvo. ... et personne ne nous fera croire le contraire, puisqu'il suffit de se reporter aux débats de l'époque. Si nous avons accepté la loi in fine, c'est parce que les seuils ont été abaissés.
La culture politique de notre pays, monsieur le ministre, est celle du pluralisme.
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Pourquoi pas au PC ?
M. Jean-Claude Gaudin. Cela ne s'est pas vu dimanche dernier !
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Donnez-nous Gremetz !
M. Ivan Renar. Elle vous laisse Juppé !
M. Jean-Claude Gaudin. Maxime Gremetz a dit le contraire !
Mme Nicole Borvo. Je ne suis pas Maxime Gremetz, alors ne m'interrompez pas pour me parler de lui ! (Rires sur les travées de l'UMP.)
M. Jean-Claude Gaudin. Nous savons qu'il vous donne des boutons !
Mme Nicole Borvo. En tout cas, la culture politique des élus de la nation est celle du pluralisme, qui dira le contraire ? Il est enraciné dans notre histoire de longue date, il est la garantie de la démocratie.
M. Jean-Claude Gaudin. Ah bon ?
Mme Nicole Borvo. Nous voterons donc contre cet article 4 qui marque un nouveau pas vers la bipolarisation de la vie politique.
M. Robert Bret. Il faut se méfier du parti unique, croyez-en notre expérience !
Mme Nicole Borvo. Cette bipolarisation, nous n'en voulons pas. Tout le monde sait, et vous aussi bien que moi, qu'elle débouche inéluctablement sur une cassure entre le fait politique et une grande partie de la population. (Applaudissements sur les travées du groupe CRC et du groupe socialiste.)
M. Jean-Claude Gaudin. Besancenot !
M. le président. La parole est à M. Michel Mercier.
M. Michel Mercier. Monsieur le président, messieurs les ministres, mes chers collègues, voilà à peine six jours, le Conseil constitutionnel a déclaré non conforme à la Constitution une partie de l'article 4 de la loi relative à l'élection des conseillers régionaux et des représentants de la France au Parlement européen et, dès aujourd'hui, le Gouvernement soutient devant le Parlement un texte qui met la loi en conformité avec la Constitution.
Monsieur le ministre, je veux tout d'abord vous remercier et féliciter le Gouvernement d'avoir su, de façon calme et sereine, appliquer une décision du Conseil constitutionnel. (Murmures sur plusieurs travées.)
Mme Hélène Luc. C'était difficile de faire autrement !
M. Michel Mercier. En tant que partisan du dialogue, cela ne me gêne pas qu'on m'interrompe. Je suis toujours prêt à répondre.
M. Roger Karoutchi. Très bien !
M. Michel Mercier. Il faut saluer l'attitude du Gouvernement. Nous ne sommes plus dans un système politique dans lequel le Parlement peut faire ce qu'il veut. La loi est soumise à des règles qui lui sont supérieures et, pour reprendre l'expression de Carré de Malberg, il n'y a plus de « parlementarisme absolu ». La loi doit respecter le corps juridique constitutionnel, et c'est très bien que le Parlement et le Gouvernement l'acceptent dans la sérénité.
Monsieur le rapporteur, vous nous avez indiqué que le Conseil constitutionnel avait simplement annulé une petite disposition. Vous avez naturellement raison sur la forme mais un peu tort sur le fond. En effet, il n'aurait pas fallu donner à cette disposition un caractère aussi symbolique. Vous en aviez fait la mesure phare du projet de loi, et il faut naturellement éclairer les conséquences de son annulation.
Très naturellement, le Conseil constitutionnel a prononcé sa déclaration de non-conformité en se fondant sur les dispositions de l'article 39, alinéa 2, de la Constitution.
Il ne s'agit pas - et sur ce sujet mon point de vue et celui de notre excellent rapporteur divergent - de donner plus de pouvoirs au Conseil d'Etat qu'au Parlement, bien au contraire ! Il s'agit simplement d'appliquer la Constitution et cela ne devrait surprendre aucun des excellents juristes qui sont présents dans cet hémicycle.
En effet, dans une décision du 28 décembre 1990 concernant la loi de finances pour 1991 instaurant la contribution sociale généralisée, le Conseil constitutionnel avait déjà rappelé l'exigence de ce principe. Le Conseil constitutionnel avait noté qu'une lettre rectificative déposée par le Gouvernement avait été précédée de la consultation du Conseil d'Etat et de la délibération du conseil des ministres et avait décidé qu'« il a été ainsi satisfait aux exigences posées par le deuxième alinéa de l'article 39 de la Constitution ».
Cette décision est l'application d'une jurisprudence connue du Conseil constitutionnel et ne comporte donc aucune innovation.
M. René Garrec, président de la commission. Si !
M. Michel Mercier. Cependant, elle apporte une limitation importante aux pouvoirs du législateur en matière de loi électorale. Dans le considérant n° 12, le Conseil constitutionnel pose désormais un principe qui s'impose au législateur pour tout texte ayant pour objet d'organiser les élections. J'en rappelle les termes : « Considérant, en second lieu, que, s'il est loisible au législateur, lorsqu'il fixe les règles électorales relatives aux conseil régionaux, d'introduire des mesures tendant à inciter au regroupement des listes en présence, en vue notamment de favoriser la constitution d'une majorité stable et cohérente, il ne peut le faire qu'en respectant le pluralisme des courants d'idées et d'opinions, lequel est un des fondements de la démocratie ; » Ce considérant fait désormais partie du corpus constitutionnel. Il s'impose à tous et nous guidera dorénavant. Tel est l'apport essentiel de cette décision.
Cette décision du Conseil constitutionnel comporte néanmoins d'autres dispositions qui me paraissent importantes. Comme vous l'avez rappelé, monsieur le ministre, l'émergence du principe d'intelligibilité de la loi est un élément notable. Les réserves d'interprétation que pose le Conseil constitutionnel sur l'article 3 de la loi nécessiteront, à l'évidence, un devoir d'explication substantiel à la charge du pouvoir exécutif.
Nous considérons comme vous qu'il n'est pas simple de chercher à atteindre trois buts d'intérêt général à la fois. Le système, parce qu'il répond à une situation complexe, est lui-même forcément complexe. Il faut accepter cette difficulté, l'assumer et essayer de convaincre nos concitoyens que, même si c'est complexe, c'est la vie, et qu'il faut aller voter !
Au-delà des dispositions juridiques, la décision du Conseil constitutionnel qui nous réunit aujourd'hui comporte certaines ouvertures extrêmement intéressantes.
La première concerne la parité. A ce sujet, je dois dire que je ne comprends pas nos collègues de gauche qui nous vantent l'excellence de la loi Jospin de 1999. Très honnêtement, celle-ci est plutôt médiocre sur la parité alors que, désormais, il n'est plus possible d'échapper, lorsqu'il y a un scrutin de liste, à l'alternance des candidats de chaque sexe, le Conseil constitutionnel ayant précisé que la disposition relative à la Corse était naturellement non conforme à la Constitution.
Or les délais de recours sont épuisés. Il serait encore possible d'annuler la nouvelle loi, mais elle est tellement plus conforme à l'article 3 de la Constitution que l'on ne veut pas y toucher. Il faudra que le Gouvernement et le Parlement, à la première occasion - mais nous savons depuis lundi, monsieur le ministre, que cette occasion est proche -...
M. Nicolas Sarkozy, ministre. Au mois de mai !
M. Michel Mercier. ... mettent la situation de la Corse en conformité avec celle du continent.
Le principe de la parité est à présent définitif et aucune loi électorale, dès lors qu'il y aura une liste, ne pourra y porter atteinte, quelle que soit la nature de l'élection. C'est une règle à laquelle le groupe de l'Union centriste est attaché et qu'il défendrait, s'il en était besoin.
Cette décision est également importante en ce qui concerne l'Europe. Les dispositions relatives à l'élection des représentants de la France au Parlement européen sont validées, et nous y sommes d'autant plus favorables.
Je vais vous citer, parce qu'il est particulièrement important, le considérant n° 37 de la décision du Conseil constitutionnel : « Considérant qu'il résulte de ces dispositions que les membres du Parlement européen élus en France le sont en tant que représentants des citoyens de l'Union européenne résidant en France ; ». C'est un apport éminent à la notion de citoyen de l'Union européenne. Cela nous semble devoir être souligné. Une page est tournée et certaines querelles nous semblent aujourd'hui d'un autre âge.
Le projet de loi ainsi amendé par le Gouvernement, à l'invitation pressante du Conseil constitutionnel, constitue donc un triple progrès.
Il représente d'abord un progrès pour les régions. Celles-ci disposeront désormais d'un exécutif stable, d'une majorité cohérente, élue avec un mode de scrutin permettant le respect du pluralisme et la constitution, dans la clarté, de coalitions gagnantes.
Plus tôt ces coalitions seront constituées, mieux cela vaudra. Il ne devrait jamais être nécessaire de voter une loi pour constituer une coalition. Désormais, le texte, tel qu'il est, n'y fera plus obstacle.
Ce projet de loi représente ensuite un progrès pour la parité et pour l'Europe.
Le seuil minimum de 10 % du nombre des inscrits était destiné, nous a-t-on dit, à gagner contre les extrémismes, notamment le Front national.
Je répèterai ce que j'ai déjà dit lors des débats au Sénat sur ce projet de loi : gagner contre le Front national ne se fait pas avec une loi. Sinon, cela se saurait ! Une telle victoire s'acquiert avec des convictions claires, exprimées, assumées, avec une politique et avec des réformes. Monsieur le ministre, vous le savez, notre groupe est prêt à s'engager dans cette bataille.
Vous nous avez dit en concluant votre intervention que, lors des débats, le groupe de l'Union centriste avait estimé qu'il suffisait de changer un mot dans le projet de loi pour qu'il puisse être en accord complet avec ce texte, à savoir remplacer le nombre des « inscrits » par les suffrages « exprimés ».
M. Claude Domeizel. Vous n'avez pas été entendus alors !
M. Jean-Claude Gaudin. Maintenant, ils le sont !
M. Michel Mercier. Vous nous aviez écoutés, mais pas entendus ! On peut regretter qu'il ait fallu une quinzaine de jours pour cela, mais mieux vaut tard que jamais.
M. Jean-Claude Gaudin. Qu'est-ce que quelques jours devant l'éternité ? (Rires.)
M. Michel Mercier. La raison l'emporte. Même M. Gaudin est d'accord ; je l'ai lu dans le journal de ce matin !
M. Claude Domeizel. Alors, si M. Gaudin est d'accord !...
M. Michel Mercier. C'est pour nous une grande victoire.
Cette loi équilibrée permettra de débattre sereinement de l'avenir des régions, de mener un combat clair sur les convictions de chacun et de faire échec ensemble à l'extrémisme. C'est la raison pour laquelle, monsieur le ministre, nous la voterons.
La loi qui nous est aujourd'hui présentée est une bonne loi, ce qu'elle n'était pas voilà quinze jours. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je demande la parole.
M. le président. La parole est à M. le rapporteur.
M. Patrice Gélard, rapporteur. Je souhaite corriger l'une des interprétations de notre estimé collègue M. Mercier : le Conseil constitutionnel ne nous impose nullement le scrutin proportionnel pour les élections régionales.
M. Michel Mercier. Je n'ai pas dit cela !
M. Patrice Gélard, rapporteur. Vous l'avez dit dans une certaine mesure ! Le législateur reste libre de choisir entre le scrutin proportionnel et le scrutin majoritaire.
M. Michel Mercier. Je demande la parole.
M. le président. Je vous donne la parole par courtoisie à votre égard, monsieur Mercier, car nous n'allons pas prolonger le débat.
M. Michel Mercier. Je vous remercie, monsieur le président.
Nous comprenons les difficultés rencontrées par notre rapporteur...
M. Roger Karoutchi. Oh !
M. Michel Mercier. Je sais bien que tel n'a jamais été le cas pour M. Karoutchi, car je l'ai beaucoup écouté pendant le débat !
M. Robert Bret. C'était même assourdissant !
M. Jean-Claude Gaudin. Il n'a rien dit !
M. Michel Mercier. Je disais donc que si nous comprenons les difficultés rencontrées par notre rapporteur et si nous sommes prêts à l'aider, ce n'est pas une raison, même s'il ne nous écoute pas bien, pour travestir nos propos. Je n'ai jamais dit que le Conseil constitutionnel imposait le scrutin proportionnel !
Mais puisque M. le rapporteur nous a indiqué, tout au long du débat, qu'il s'agissait d'un scrutin majoritaire, je lui conseille de relire la décision du Conseil constitutionnel : celui-ci y qualifie ce scrutin de scrutin proportionnel. (Applaudissements sur les travées de l'Union centriste.)
M. Robert Bret. Bien sûr !
M. le président. La discussion générale est close.
Mes chers collègues, à la demande de la commission, nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
Monsieur le rapporteur, je souhaiterais, à la reprise de nos travaux, avoir l'appréciation du président de la commission en ce qui concerne les cinq amendements présentés par le groupe socialiste et que j'ai déclarés irrecevables à l'ouverture de la séance.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à seize heures vingt, est reprise à seize heures quarante-cinq.)
M. le président. La séance est reprise.
La parole est à M. le président de la commission.
M. René Garrec, président de la commission des lois. Monsieur le président, vous avez eu la courtoisie de me consulter sur les cinq amendements que vous avez précédemment déclarés irrecevables. Permettez-moi de rappeler simplement un point de droit. S'agissant de la nouvelle délibération de l'article 4, le président de séance, qui est, en l'occurrence, le président du Sénat - c'est un cumul parfaitement tolérable ! - n'a fait que tirer la conséquence, d'une part, de l'article 10 de la Constitution, selon lequel le champ de la nouvelle délibération est limité par le décret du Président de la République, ici, au seul article 4, et, d'autre part, de l'article 48, alinéa 3, de notre règlement, selon lequel les amendements ne sont recevables « que s'ils s'appliquent effectivement au texte qu'ils visent ».
La commission s'est réunie pour examiner les autres amendements, et j'ai, à cette occasion, confirmé à nos collègues que chacun des cinq amendements revenait à mettre en cause des articles de la loi non soumis à la nouvelle délibération. Vous ne pouviez donc que les déclarer irrecevables, monsieur le président.
M. le président. N'étant pas, comme vous, un éminent juriste, j'ai préféré vous interroger, monsieur le président de la commission des lois, pour en avoir confirmation, afin d'éviter toute contestation.