SEANCE DU 16 DECEMBRE 2002
M. le président.
« Art. 36. - I. - L'article 30-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986
relative à la liberté de communication est complété par un alinéa ainsi rédigé
:
« Les éditeurs de services de télévision par voie hertzienne terrestre en mode
numérique, titulaires d'une autorisation d'usage de la ressource
radioélectrique délivrée sur la base du présent article ou d'un droit d'usage
en vertu de l'article 26, supportent l'intégralité du coût des réaménagements
des fréquences nécessaires à la diffusion de ces services. Le préfinancement
d'une partie de cette dépense peut être assuré par le fonds de réaménagement du
spectre, géré par l'Agence nationale des fréquences. Un décret en Conseil
d'Etat précise les conditions d'application du présent alinéa et, notamment,
les modalités de répartition de la prise en charge du coût des réaménagements
des fréquences. »
« II. - Les dispositions du I sont applicables en Nouvelle-Calédonie, dans les
territoires de la Polynésie française et des îles Wallis-et-Futuna et dans la
collectivité départementale de Mayotte. »
Je suis saisi de deux amendements qui peuvent faire l'objet d'une discussion
commune.
Tous deux sont présentés par MM. Gouteyron, Pelchat et les membres du groupe
Union pour un Mouvement Populaire.
L'amendement n° 38 rectifié est ainsi libellé :
« A. - Dans la première phrase du texte proposé par le I de cet article pour
compléter l'article 30-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à
la liberté de communication, après les mots : "les éditeurs de services"
insérer les mots : "à vocation nationale".
« B. - Pour compenser les pertes de recettes du A ci-dessus, compléter cet
article par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... - Les pertes de recettes pour l'Etat résultant de l'exonération des
chaînes locales de la contribution des éditeurs visée au dernier alinéa de
l'article 30-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 sont compensées à due
concurrence par une augmentation des contributions des autres éditeurs visés
par le I de cet article. »
L'amendement n° 39 rectifié est ainsi libellé :
« A. - Dans la première phrase du texte proposé par le I de cet article pour
compléter l'article 30-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 relative à
la liberté de communication, après le mot : "supportent" insérer les mots : "à
l'exception de ceux visés à l'article 45-2".
« B. - Pour compenser les pertes de recettes résultant du A ci-dessus,
compléter cet article par un paragraphe ainsi rédigé :
« ... - Les pertes de recettes pour l'Etat résultant de l'exonération des
chaînes locales de la contribution des éditeurs visée au dernier alinéa de
l'article 30-1 de la loi n° 86-1067 du 30 septembre 1986 sont compensées à due
concurrence par une augmentation des contributions des autres éditeurs visés
par le I de cet article. »
La parole est à M. Adrien Gouteyron, pour défendre les amendements n°s 38
rectifié et 39 rectifié.
M. Adrien Gouteyron.
Ces deux amendements prévoient la même mesure pour deux catégories de
bénéficiaires.
L'article 36, que nous examinons maintenant, prévoit la prise en charge, par
les éditeurs de services de télévision numérique terrestre, du coût des
réaménagements de spectres.
En effet, dans certaines zones, les réaménagements de fréquences analogiques
sont un préalable à toute émission de programmes numériques terrestres, car ils
libèrent les canaux qui porteront les multiplex numériques : on voit
l'importance de ces réaménagements.
Le coût de ces réaménagements, aux termes de la rédaction actuelle de cet
article, sera supporté par les éditeurs sur la base d'un principe de
mutualisation. Je ne développerai pas les arguments techniques qui justifient
cette dernière. Je précise simplement que l'on fera masse du total de la
dépense, que celle-ci sera divisée par le nombre d'éditeurs et que chaque
éditeur paiera donc une somme identique.
Les deux amendements portent, l'un sur les télévisions locales, l'autre sur la
chaîne parlementaire. Ils tendent à dispenser les télévisions locales et la
chaîne parlementaire du paiement de cette participation.
Au moment où l'on pose le principe, il est un peu gênant, je le reconnais,
d'instituer une exception.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Ah oui !
M. Adrien Gouteyron.
Mais ne revient-il pas au législateur d'examiner toutes les conséquences des
mesures qu'il prend, surtout dans un domaine aussi délicat, aussi particulier
que celui de la télévision, et plus encore de la télévision numérique
terrestre, dont on connaît les difficultés ? Nous pouvons espérer parvenir
enfin à mettre en place ce nouveau mode de diffusion. Encore faut-il que les
dispositions adoptées soient équitables !
Je commencerai par les chaînes locales. Les programmes réservés aux chaînes
locales n'utiliseront pas, au début du moins, la totalité des dispositifs mis à
leur disposition. C'est hors de leur portée. En conséquence, elles devront
payer une quote-part identique aux autres alors que leur zone de diffusion sera
beaucoup plus limitée et leur capacité financière encore plus. C'est la raison
pour laquelle il est proposé d'exonérer ces chaînes locales du paiement de
cette charge. En ce qui concerne La Chaîne parlementaire, le raisonnement est à
peu près le même, avec tout de même quelques arguments supplémentaires.
Je rappelle que La Chaîne parlementaire ne dispose pas d'autres ressources que
de celles que lui allouent les assemblées. Elle ne perçoit le produit ni
d'abonnements, ni de publicité, ni de produits dérivés d'aucune sorte. Elle
constitue donc un cas particulier qu'il nous revient de prendre en
considération. Le législateur avait d'ailleurs voulu tenir compte de cette
particularité en prévoyant qu'elle ne paierait pas de droits de diffusion :
c'est ce que l'on appelle, dans le langage habituel de cette branche du droit,
le «
must carry
».
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Oh !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Quelle horreur ! Pas vous, pas cela !
M. Paul Loridant.
Oh ! monsieur l'inspecteur général !
M. Adrien Gouteyron.
Je suis désolé de cet anglicisme, qui me plonge dans la plus grande confusion,
mais j'ose le dire : il s'agit bien du
must carry
!
La chaîne en question - il s'agit bien d'une seule chaîne pour l'Assemblée
nationale et pour le Sénat - bénéficie donc de la gratuité de la diffusion. Si
on lui applique la disposition de l'article 36, on lui imposera une charge
importante et l'on rompra avec le principe qui avait prévalu jusqu'à
présent.
Je précise, pour rafraîchir la mémoire de certains collègues, que le Sénat,
pour sa part, avait prévu la gratuité - je n'ose plus employer l'expression
anglaise, tant vous m'avez gêné tout à l'heure,...
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Culpabilisé !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Elle va si mal, dans votre bouche !
M. Adrien Gouteyron.
... et, j'essaie de trouver une circonlocution qui m'en dispense - pour le
numérique terrestre, notamment pour la chaîne parlementaire.
Tel est, mes chers collègues, le sens de ma proposition, dont j'ai préféré
faire deux amendements distincts, au contraire de mon collègue Michel Pelchat,
qui avait déposé un amendement traitant du même sujet et regroupant les deux
cas.
M. Paul Loridant.
Vous appartenez pourtant au même groupe !
M. Adrien Gouteyron.
En effet, je préfère interroger la commission et le Gouvernement sur ces deux
aspects successivement.
Pardon encore, monsieur le président, pour le
« must carry ».
Je ne
recommencerai pas !
M. le président.
Nous pensions que l'inspecteur général que vous étiez n'oserait franchir ce
pas ! Cependant, vous êtes pardonné, mon cher collègue !
Quel est l'avis de la commission ?
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Monsieur le président, je ne me laisserai pas aller à
de telles extrémités linguistiques !
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Oh non, pas vous !
(Sourires.)
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Sur ces deux amendements, la commission s'en remet à
la sagesse du Sénat. A titre personnel, j'ai été particulièrement convaincu par
l'exposé de notre collègue Adrien Gouteyron, en ce qui concerne tant les
chaînes locales que les chaînes parlementaires.
Je profite de l'occasion qui m'est donnée pour dire toute la reconnaissance
que les sénateurs devraient éprouver envers ceux qui font au quotidien la
chaîne parlementaire Public Sénat. C'est un travail difficile, c'est un travail
bien fait, c'est un travail important pour la valorisation de notre
institution, pour faire connaître ses travaux auprès d'un public que l'on peut
espérer de plus en plus important. Tout cela se déroule dans le plus grand
respect du pluralisme, grâce à la diffusion des débats et de différents
reportages, mais aussi en suivant l'activité des sénateurs.
Disposer d'un canal de cette nature, mes chers collègues, est pour le Sénat
une aide tout à fait précieuse, alors que, ici ou là, notre assemblée est
critiquée, est minorée. Montrer la réalité de ce que nous faisons est
extrêmement important, même si l'audience, il faut le reconnaître, n'est pas
celle de TF 1.
(Sourires.)
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Pas encore, mais cela viendra...
M. Adrien Gouteyron.
Ce n'est pas fait pour ça !
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Quoi qu'il en soit, il y a place dans le paysage
audiovisuel pour toutes sortes de catégories de médias.
Le Parlement doit être capable de se désenclaver, de se présenter aux publics
les plus variés et de valoriser l'image de ses travaux, précisément pour lutter
contre les stéréotypes. Le moment ne me paraît donc pas opportun de pénaliser
une telle chaîne en lui demandant une contribution qui peut fort bien être mise
à la charge des opérateurs disposant de moyens beaucoup plus importants qu'ils
ne les récoltent pas auprès du contribuable !
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Le Gouvernement s'associe à l'hommage rendu à la chaîne
Public Sénat, mais la question que pose M. Gouteyron à travers ses deux
amendements m'oblige à souligner qu'une exonération serait de nature à toucher
au principe même d'équité entre les différents éditeurs de chaînes. En effet,
même si elle n'occupe que l'un des trente canaux de la TNT, la chaîne
parlementaire bénéficiera de manière directe des opérations de réaménagement
qui auront été effectuées à ce titre ; il paraît donc juste qu'elle acquitte sa
part d'un coût dont le total a été situé par M. Michel Boyon dans une
fourchette allant de 44 millions à 84 millions d'euros et qui sera mutualisé,
conformément aux termes de l'appel à candidatures lancé par le Conseil
supérieur de l'audiovisuel en juillet 2001.
Je précise que la mutualisation des coûts de réaménagement ne signifie pas
l'égalité des contributions entre les éditeurs de chaînes, et que la gratuité
de la diffusion et de l'usage des fréquences ne doit pas être confondue avec
l'obligation de prendre en charge les coûts des travaux de réaménagement des
fréquences. La gratuité de la diffusion n'est donc pas en cause : il s'agit
seulement de participer au financement des travaux de réaménagement. Une fois
le principe d'équité posé, il appartiendra au Gouvernement d'en définir les
modalités d'application en tenant compte plus particulièrement des
caractéristiques propres à certaines catégories d'acteurs.
Mesdames, messieurs les sénateurs, je voudrais vous rendre attentifs au risque
que vous prendriez en créant un précédent dès le départ. En effet, monsieur le
rapporteur général, tous les éditeurs de chaînes viendront vous voir pour vous
vanter leurs mérites, et vous aurez beaucoup de difficultés à réfuter les
arguments de certains d'entre eux ! Il serait donc sage de ne pas ouvrir la
voie en montrant quelque hésitation dès la position de principe.
C'est ce qui me conduit, à regret, à demander à M. Gouteyron, malgré l'usage
tout à fait séduisant qu'il fait de la langue anglaise, de retirer ses
amendements. A défaut, le Gouvernement sera obligé d'en recommander le
rejet.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Quelle tristesse !
M. le président.
Monsieur Gouteyron, les amendements n°s 38 rectifié et 39 rectifié sont-ils
maintenus ?
M. Adrien Gouteyron.
Monsieur le ministre, j'ai essayé de comprendre votre plaidoyer.
J'ai relevé avec intérêt l'estimation que vous venez d'indiquer du coût de ces
réaménagements, car elle ne correspond pas aux renseignements dont je
disposais. Le coût n'est pas négligeable ! Malgré les précautions que vous avez
prises et les assurances que vous avez données sur la sagesse de l'autorité qui
répartira la charge, un tel montant nous rend méfiants pour l'avenir de la
chaîne parlementaire.
M. Philippe Marini,
rapporteur général.
Il faudra la répartir au prorata de l'audience !
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
Cela finira par nous coûter cher !
M. Adrien Gouteyron.
En l'état actuel de nos informations, il ne m'est donc pas possible de retirer
mes amendements.
Or, monsieur le ministre, vous avez émis un avis défavorable sur les deux
amendements. Puis-je insister et vous demander quel serait l'avis du
Gouvernement si l'amendement n° 38 rectifié, qui concerne les chaînes locales,
était retiré et si l'amendement n° 39 rectifié, qui concerne la chaîne
parlementaire, était seul maintenu ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Alain Lambert,
ministre délégué.
Monsieur Gouteyron, je crois vous avoir dit qu'il me
semblait sage de poser un principe de répartition des coûts de réaménagement.
Il ne s'agit pas de la gratuité, qui est assurée ! Si, au départ, le principe
de la mutualisation des coûts n'est pas indiqué, chaque chaîne viendra exposer
ses mérites et, vraisemblablement, seules quelques-unes devront payer. Du point
de vue de l'intérêt de l'Etat, il me semble que le Parlement, qui représente la
volonté générale, devrait avoir la sagesse de poser le principe et de faire
confiance au Gouvernement pour fixer les modalités en tenant compte de la
spécificité et du caractère civique de la chaîne, qui contribue à diffuser
l'esprit de la démocratie.
Commencer par poser un principe ambigu ne serait pas délivrer un bon signe aux
éditeurs de chaînes, et c'est pourquoi je vous supplie de bien vouloir entendre
ma préoccupation, qui, à mon avis, n'est pas désespérante pour la chaîne Public
Sénat : il s'agit d'une précaution de principe que le Parlement me semble
devoir prendre. A défaut, je crains que le budget de l'Etat ne soit pas en
mesure de financer ces réaménagements.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis,
président de la commission.
J'ai été très attentif à l'exposé d'Adrien
Gouteyron et très sensible à la conviction qui a marqué son propos.
Chacun sait que la chaîne parlementaire est précieuse pour le Sénat comme pour
l'Assemblée nationale, qu'elle contribue à réconcilier les Français et la
politique, et qu'au surplus elle dispose, en termes d'Audimat, de marges de
progression qui nous permettent de nourrir toutes les espérances et les plus
grandes ambitions.
S'agissant des principes, je me demande s'il est de l'intérêt du Sénat comme
de l'Assemblée nationale de légiférer et de s'exonérer aussitôt des obligations
ainsi édictées. Le souci de la crédibilité du Parlement doit nous conduire à
faire l'économie de tels particularismes.
Peut être ces quelques éléments de réflexion permettront-ils à Adrien
Gouteyron de nous rejoindre !
M. le président.
Monsieur Gouteyron, maintenez-vous toujours les amendements n°s 38 rectifié et
39 rectifié ?
M. Adrien Gouteyron.
J'ai bien entendu M. le ministre, et je ne regrette pas d'avoir repris la
parole. Il a affirmé qu'il tiendrait compte de la situation particulière des
chaînes, même si le principe ne subit pas d'entorse dès le départ.
Les arguments du président de la commission des finances ne sauraient non plus
me laisser insensible ; j'avais d'ailleurs laissé entendre, en exposant les
amendements, que je pouvais assez facilement imaginer ce qu'il allait me
répondre !
Je vais donc retirer les amendements, monsieur le ministre, en soulignant
cependant que j'ai compris comme un engagement les propos que vous avez tenus à
l'instant, parce qu'ils sont importants pour la chaîne à laquelle nous tenons
et à laquelle, j'en suis persuadé, tiennent nos collègues de l'Assemblée
nationale.
Cependant, je suis sensible au fait que les parlementaires ne peuvent pas
raisonner uniquement en tenant compte de leurs préoccupations particulières, et
je retire les deux amendements.
M. le président.
Les amendements n°s 38 rectifié et 39 rectifié sont retirés.
Je mets aux voix l'article 36.
(L'article 36 est adopté.)
Article additionnel avant l'article 37