SEANCE DU 12 DECEMBRE 2002
AVENIR DE LA POLITIQUE
RÉGIONALE EUROPÉENNE
Discussion d'une question orale européenne
avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec
débat n° QE-1.
Cette question est ainsi libellée :
« M. Simon Sutour attire l'attention de Mme la ministre déléguée aux affaires
européennes sur l'importance des enjeux du débat actuellement en cours
concernant l'avenir de la politique régionale européenne.
« L'agenda 2000 adopté lors du Conseil européen de Berlin avait fixé les
principes de fonctionnement de celle-ci jusqu'en 2006, en prévision des
premières adhésions de pays candidats à l'Union.
« Il convient désormais d'arrêter la phase suivante, pour la période
2007-2011, et notamment de définir la place qui sera réservée, par la suite,
aux actuels Etats membres éligibles aux fonds structurels européens.
« Il lui apparaît, en effet, dangereux pour l'avenir de l'Union de remettre en
cause le principe de cohésion économique et sociale qui en constitue l'un des
fondements essentiels. Il souhaite donc savoir quelle sera la position défendue
par le Gouvernement français dans ce débat. »
Je rappelle au Sénat que cette discussion intervient dans le cadre de l'ordre
du jour réservé.
La parole est à M. Simon Sutour, auteur de la question.
M. Simon Sutour.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un
mois nous avons consacré un débat aux travaux de la convention sur l'avenir de
l'Union européenne et aux institutions dont celle-ci pourrait se voir dotée
pour faire face à l'adhésion, désormais programmée, de dix nouveaux Etats
membres. La question de l'élaboration des nouveaux traités européens est d'une
importance majeure pour nos concitoyens et nous avons été nombreux à déplorer
le peu d'attrait qu'elle semble susciter dans l'opinion publique.
M. Raymond Courrière.
C'est exact !
M. Simon Sutour.
Malheureusement, cher collègue ! Or, parallèlement à cette réflexion, il est
un autre sujet d'intérêt commun qui se trouve, de fait, un peu occulté par le
précédent et que le débat ne peut pas pourtant ignorer, c'est celui de
l'évolution des perspectives financières de l'Europe élargie. Je trouve donc
particulièrement opportun que nous ayons fixé la discussion de cette question
orale le jour même de l'ouverture du Conseil européen de Copenhague, qui ne
manquera pas de s'en préoccuper.
M. Raymond Courrière.
Nous l'espérons !
M. Simon Sutour.
L'agenda 2000, adopté à Berlin en 1999, a programmé les dépenses jusqu'en
2006, en prenant en compte par anticipation les charges supplémentaires qui
résulteraient des premiers mois de l'adhésion de nouveaux membres. Le
financement de la période 2004-2006 est donc d'ores et déjà assuré, mais c'est
dès aujourd'hui que nous devons nous préoccuper des perspectives financières
couvrant la phase suivante, 2007-2013.
Nous le savons, les deux grands postes européens de dépenses concernent, d'une
part, la politique agricole commune et, d'autre part, la politique de cohésion
économique et sociale.
Au fil des ans, la politique structurelle européenne a vu son poids financier
s'accroître, jusqu'à représenter désormais plus du tiers des dépenses
communautaires et constituer le deuxième poste budgétaire après la politique
agricole commune. Elle s'élève aujourd'hui à 215 milliards d'euros pour la
période de programmation. C'est dire l'importance des enjeux et cela légitime
l'intérêt que nous portons, tout comme nos partenaires actuels ou futurs, à
l'avenir qui pourrait être celui de l'action régionale dans une Union à
vingt-cinq membres.
Cette politique de cohésion a été définie comme l'une des bases de la
construction européenne. Dès l'Acte unique de 1986, elle a été reconnue comme
l'un des objectifs prioritaires et l'une des politiques fondamentales de
l'Union, autant de principes maintes fois réaffirmés depuis le Conseil européen
de Berlin qui a adopté l'Agenda 2000.
Il n'est pas inutile de souligner que cette politique a produit des résultats
positifs incontestables.
La réduction globale des disparités entre les Etats membres, notamment avec
les pays dits de la cohésion - l'Espagne, la Grèce, l'Irlande et le Portugal -,
est une évidence : le rattrapage économique de l'Irlande en constitue l'une des
plus éclatantes illustrations puisque son produit intérieur brut est passé de
64 % à 119 % de la moyenne communautaire entre 1988 et 2000, grâce, pour une
large part, aux dotations européennes dont elle a bénéficié.
Dans les autres Etats membres, les réalisations sont également tangibles et
nous sommes nombreux, au Sénat, à avoir réussi à mener à bien des projets
locaux d'équipements et d'infrastructures qui n'auraient pu être conçus sans
l'effet de levier produit par l'apport des fonds structurels européens. Si je
prend un exemple que je connais bien, celui de mon département, le Gard,
l'implantation de la route reliant Nîmes à Alès en deux fois deux voies a été
rendue possible grâce à l'appui de ces subventions.
Ce succès a requis trois périodes de programmation successives et nécessité
des réformes régulières des procédures et des modalités de mise en oeuvre, au
prix de négociations souvent tendues entre les différents Etats membres.
La réforme qui s'annonce est toutefois sans commune mesure avec les
précédentes, car elle devra résoudre un problème qui s'apparente à celui de la
quadrature du cercle : comment faire face simultanément à l'arrivée de nouveaux
membres présentant tous un niveau de richesse notablement inférieur à la
moyenne communautaire, et à la nécessaire maîtrise de la dépense européenne
?
L'élargissement futur est en effet d'une tout autre dimension que ceux qui ont
déjà marqué la construction européenne : le nombre de candidats, l'ampleur de
leurs besoins, l'importance des retards à combler constituent une situation
inédite pour l'Union et un défi majeur pour chacun de ses membres. Après
l'élargissement, le territoire de l'Union européenne s'agrandira d'un tiers, sa
population comptera 28 % de citoyens supplémentaires, mais son produit
intérieur brut ne progressera que de 5 %. Selon la Commission européenne, il
faut en attendre le doublement de l'écart de développement entre les régions
les plus riches et les plus pauvres de l'Union.
Le risque est réel que, face à une situation si complexe, l'Europe en vienne à
renoncer à poursuivre une politique de cohésion économique et sociale qui a
fait son succès, son originalité, et qui a largement participé à fonder
l'adhésion de nos concitoyens au projet européen.
La tentation peut être grande, en effet, de considérer qu'une page est
désormais tournée, que l'effort budgétaire de l'Union doit être dorénavant
consacré à accompagner uniquement l'intégration des nouveaux arrivants,
notamment celle des sept ou huit pays qui présenteront le plus sévère retard de
développement par rapport aux autres.
J'y vois le danger de modifier en profondeur la conception de l'Union que nous
défendons, l'idée qu'elle ne se résume pas à une simple zone de liberté
commerciale, mais qu'elle soude chacun de ses membres dans un projet commun,
fait de valeurs partagées, de principes à promouvoir, d'une volonté affichée de
partage et de solidarité entre tous, anciens et nouveaux membres.
Or nous savons bien, pour l'observer dans nos départements, que, même sur le
territoire actuel de l'Union des Quinze, des zones méritent toujours l'aide des
fonds structurels européens et que la solidarité doit encore s'exercer à leur
profit.
En dépit de treize années de mise en oeuvre effective de la politique
européenne de cohésion, certaines disparités régionales subsistent et ne
peuvent être ignorées. On pense, bien sûr, d'abord à nos départements
d'outre-mer, classés « régions ultrapériphériques », que notre collègue de la
Réunion évoquera sans doute dans son intervention. On pense aussi à certains de
nos cantons isolés, aux zones de montagne, aux régions en phase de
restructuration industrielle, aux quartiers en difficulté de nos villes et de
nos agglomérations.
Nous sommes nombreux à considérer que ces situations, auxquelles nous sommes
parfois directement confrontés sur le terrain, méritent qu'une place
particulière continue de leur être réservée dans l'avenir.
Depuis la réforme de 1999, l'objectif 1 concentre la majeure partie - les «
trois quarts environ » - de l'effort financier européen. Il bénéficie aux
régions les plus défavorisées, c'est-à-dire à celles dont le PIB est inférieur
à 75 % de la moyenne communautaire.
Est-il convenable de continuer à appliquer strictement et exclusivement des
critères statistiques de richesse pour déterminer l'éligibilité aux fonds
structurels ? Personnellement, je n'en suis pas convaincu.
Compte tenu de l'arrivée des nouveaux entrants, les écarts de développement se
creuseront d'une manière telle que le concept même de moyenne perdra tout son
sens. Mécaniquement, celle-ci chutera de 13 points environ dans une Union à
vingt-cinq ; tous les Etats aujourd'hui candidats rempliront ce critère de 75 %
et évinceront, par définition, les actuels Etats membres attributaires de
dotations structurelles.
Où en est, monsieur le ministre, la réflexion du Gouvernement français sur le
maintien de ce critère chiffré pour l'objectif 1 ? Sur quelles circonscriptions
géographiques faut-il établir la base de calcul pour prendre la mesure la plus
exacte des besoins ? Pensez-vous qu'il faille admettre un seuil unique qui
s'appliquerait de la même manière dans tous les pays ?
Je suis, pour ma part, très sensible à l'argument tiré de l'application du
principe d'égalité qui plaide pour que l'on traite de manière semblable tous
les Etats membres, qu'ils soient anciens ou nouveaux. Mais le bon sens doit
aussi conduire à tenir compte de la capacité physique d'absorption des fonds
communautaires par ces économies nouvelles. Celles-ci sont encore en phase de
consolidation et ne disposent pas toujours, qui plus est, des ressources
additionnelles qu'elles doivent juridiquement apporter en complément des
subventions européennes.
Finalement, n'est-ce pas à un souci du même ordre que souhaite répondre la
progressivité proposée pour les subventions agricoles dans la cadre de la
politique agricole commune ?
Le rattrapage économique des nouveaux entrants sera, nous en sommes
conscients, un travail de long terme. Je suis persuadé qu'avec une répartition
raisonnable des fonds entre les différents partenaires et une appréciation
sensée des besoins de chacun nous pourrions mener de front l'accueil des
nouveaux membres et la poursuite d'une politique de soutien aux actuels Etats
membres.
Certes, celle-ci suppose d'être strictement définie et réservée à des zones
spécifiquement identifiées. C'était précisément la démarche suivie au titre
l'objectif 2 dans la réforme Agenda 2000 : prévoir une sélection multicritères
permettant de déterminer les zones du territoire de chaque Etat membre
justifiant, par leurs caractéristiques, l'éligibilité aux fonds structurels.
Actuellement, près de 19 millions de Français, soit 31 % de la population
nationale, vivent dans des régions comprises en zonage de l'objectif 2 et
bénéficient à ce titre de plus de 6 milliards d'euros de dotations
structurelles pour la période de programmation.
Que doit-il advenir de cet objectif 2 ? Je rejoins volontiers, sur ce terrain,
les réflexions conduites au niveau de la Commission européenne, réflexions que
le commissaire Michel Barnier avait relayées, voilà quelques mois, devant notre
délégation pour l'Union européenne. De manière très judicieuse, le débat a été
lancé très en amont de l'échéance de 2006 et ce temps donné à la réflexion me
paraît plus que pertinent.
Je suis fermement partisan de la poursuite d'un objectif qui s'apparente à
l'actuel objectif 2 pour soutenir les régions qui rencontrent des difficultés
spécifiques sans être pour autant classées parmi les plus pauvres de
l'Union.
Quelques terrains d'action ont été évoqués, notamment dans le deuxième rapport
sur la cohésion, publié l'année dernière par la Commission européenne : les
zones souffrant de graves handicaps géographiques ou naturels, le développement
urbain, les régions transfrontalières, les zones rurales ou en restructuration
industrielle, et, plus récemment, les régions dépendant du secteur de la
pêche.
Toutes ces pistes me semblent intéressantes à explorer. J'y ajouterai
volontiers - vous comprendrez mes raisons - les régions impliquées dans la
coopération euroméditerranéenne, ce qui permettrait d'établir un lien, qui je
crois serait fructueux, avec le programme de partenariat Euro-med que l'Union
entretient par ailleurs avec les douze pays partenaires du pourtour
méditerranéen.
Des thèmes horizontaux du type de l'actuel objectif 3 sont aussi à l'étude,
comme le développement de la société de la connaissance, la promotion de
l'insertion sociale ou l'égalité des chances.
Quelle est, monsieur le ministre, l'opinion du gouvernement français sur cette
approche ? Envisage-t-on de laisser subsister l'initiative européenne pour
défendre les impératifs de cohésion et de solidarité ? Si oui, pour quel type
de priorité ?
Lors de sa visite dans le Gard, lundi dernier, à la suite des graves
inondations qui ont affecté ce département, le Premier ministre est apparu
nettement favorable à la poursuite de cette politique régionale dont nos
concitoyens peuvent apprécier chaque jour les effets bénéfiques. J'y ai vu un
signal positif. J'espère, monsieur le ministre, que vous le confirmerez. Je me
permets en tout cas de plaider en ce sens, car renoncer à cette démarche
collective, s'en remettre à la seule action nationale, au nom du principe de
subsidiarité qu'évoquent certains de nos partenaires européens, me paraît être
une erreur, à la fois économique et psychologique, grave.
D'abord, les fonds européens constituent un appui financier décisif pour bon
nombre d'actions qui, j'en suis persuadé, ne seront plus conduites si cet
apport devait disparaître. Je vous rappelle que, pour notre seul pays, les
fonds structurels représentent un effort de redistribution non négligeable, que
ce soit en dotations éligibles ou au titre du
phasing out
, décidé par
l'Agenda 2000. Même si sa part s'est érodée au fil des ans, la France bénéficie
encore de 15,6 milliards d'euros de subventions européennes pour les trois
objectifs généraux et les quatre programmes d'initiative communautaire
actuellement en vigueur.
Ensuite, de cet abandon résulterait dans l'opinion publique le sentiment que
l'élargissement équivaut à un sacrifice financier d'une ampleur insupportable.
Il ne faudrait pas entretenir l'idée que le prix à payer pour l'accueil de
nouveaux membres est la suppression d'une politique régionale à laquelle nos
concitoyens sont attachés et qu'ils considèrent désormais comme un acquis. Je
puis vous assurer, pour le vivre sur le terrain, que tous les projets
d'équipements que l'on met à l'étude, que ce soit au niveau des communes, des
départements ou des régions, comportent tous pour leur financement une ligne
budgétaire « Europe » qui conditionne leur réalisation.
Au moment où l'on demande à nos compatriotes d'adhérer à une vision nouvelle
de l'Union, je crois excessivement dangereux de susciter un tel amalgame. On
risque de réduire dans leur esprit l'Europe à un carcan de contraintes
techniques excessives, d'opacité antidémocratique et d'incompréhension mutuelle
sans contrepartie positive.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe
CRC.)
M. le président.
J'indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé à dix minutes le
temps de parole dont chaque groupe dispose pour cette discussion.
La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet.
Permettez-moi, en tout premier lieu, de me réjouir de l'occasion qui nous est
donnée, grâce à ce débat, de nous expliquer sur l'avenir de l'Europe et sur les
difficultés qu'elle rencontre, qui sont autant de défis qu'il nous faut
relever. Les parlementaires nationaux, représentants des peuples et des
collectivités d'Europe, doivent en effet avoir toute leur place dans une
construction européenne dont on critique, souvent à juste titre, le déficit
démocratique ou la technocratie.
Unité de l'Europe, solidarité des peuples, diversité des territoires,
harmonieux triptyque, belle formule, mais vaste programme que cet intitulé du
rapport de M. le commissaire Barnier, paru en 2001, au sujet, précisément, de
l'avenir de la politique de cohésion économique et sociale qui nous intéresse
aujourd'hui !
Il me semble que l'avenir de la politique régionale européenne nous oblige
avant tout à nous interroger sur sa mise en oeuvre à ce jour dans les régions
qui ont bénéficié des aides. Qu'il me soit permis, à cet égard, de remercier ma
collègue Valérie Létard, qui a accepté de me faire part de ses observations, de
ses craintes et de ses frustrations quant à la mise en oeuvre de la politique
régionale dans un territoire qui, comme la Réunion, a été éligible à l'objectif
1, le Hainaut, et qui se trouve en période de sortie du dispositif, le
phasing out,
jusqu'en 2006.
Je voudrais, avant de m'interroger sur le devenir des instruments de la
politique régionale que sont les fonds structurels européens, tirer un rapide
bilan de leur fonctionnement actuel.
Il est clair que, pour les régions en retard de développement comme pour les
régions rurales ou de montagne, les fonds structurels ont constitué une
formidable opportunité. Mais cela posé, si demain une nouvelle politique
régionale voit le jour, il lui faudra à tout prix éviter les différents écueils
auxquels les premiers programmes se sont heurtés.
Je voudrais, à cet égard, faire trois observations qui me paraissent
essentielles : premièrement, les fonds européens ne sont pas là pour pallier un
désengagement de l'Etat ; deuxièmement, il est impératif de mettre un terme aux
contraintes administratives françaises et européennes qui freinent leur
utilisation ; troisièmement, si demain ces fonds reçoivent une allocation
différente, il faudra s'interroger sur les critères qui ont servi à les mettre
en oeuvre.
Au fil du temps, on a pu observer un certain dévoiement de la mission initiale
des fonds structurels européens. A l'origine, ils étaient destinés à apporter
un supplément de moyens, permettant de créer un effet de levier pour que des
régions qui, pour des raisons différentes - ruralité, crise industrielle par
exemple -, avaient « décroché » de la moyenne européenne puissent à terme
gommer leurs différences.
Il s'agissait d'additionner et non de substituer.
Dans les faits, force est de constater que l'Etat mais aussi certaines
collectivités territoriales ont contribué à un glissement de ce principe
initial vers un système d'assistanat. Est-il, par exemple, acceptable que des
fonds du FSE - le fonds social européen - aient pu servir à financer à hauteur
de 50 % les actions d'insertion d'un département dans le cadre du RMI ? Cette
utilisation des fonds a du même coup privé certaines associations d'un
financement européen pour lancer d'autres projets d'accompagnement social. A
remplacer au lieu d'additionner, c'est tout le bénéfice de la politique
européenne d'aide aux régions les moins développées qui s'est évanoui.
Le carcan administratif français et européen constitue un deuxième écueil, sur
lequel je reviendrai d'ailleurs tout à l'heure.
Vous avez, monsieur le ministre, tiré cet été, avec raison, un bilan sévère de
l'état d'avancement des programmes européens pour la période 2000-2006. Après
deux ans de mise en oeuvre, on constate un niveau d'avancement de 15 % en
termes de programmation et de 6 % seulement en termes d'exécution.
Il faut encore ajouter à ce constat le risque de perte de crédits du fait de
l'instauration de la règle du « dégagement d'office » selon laquelle, si un
crédit n'est pas utilisé dans les deux ans suivant l'accord de financement, les
fonds repartent à Bruxelles. Malgré les trois circulaires adressées aux
différentes administrations déconcentrées sur la simplification des procédures,
l'utilisation des crédits européens reste périlleuse.
Comme l'a constaté récemment Michel Barnier lors de la rencontre annuelle sur
la mise en oeuvre des DOCUP - les documents uniques de programmation -, notre
pays obtient des résultats bien en deçà de ceux de pays comme l'Autriche,
l'Allemagne ou le Portugal. C'est bien le signe que des améliorations sont
possibles, mais aussi qu'à l'échelle européenne les contraintes administratives
sont lourdes. Comme le soulignaient les représentants des Etats membres lors
d'une réunion ministérielle, à Namur, en juillet 2001, la Commission demande
trop, et parfois de façon inutile.
En définitive, monter un dossier de financement pour une petite commune relève
de l'exploit. Il faut en effet franchir la course d'obstacles du
cofinancement.
Un crédit européen ne vient jamais seul. Encore faut-il que les financements
complémentaires suivent : une réponse négative sur les crédits de l'Etat de la
DDE, et c'est un équilibre fragile qui s'écroule ! Il faut ensuite trouver
l'ingénierie capable de monter techniquement des dossiers complexes et
d'affronter l'examen tatillon des services instructeurs. Une grande ville
dispose de chefs de projet, mais des communes rurales, même organisées en
intercommunalité, peuvent rarement se permettre une telle dépense.
Assister à un comité de suivi ou à un comité de programmation fait entrer
n'importe quel élu dans un monde kafkaïen : pas moins de quarante personnes
autour de la table, issues de tous les services instructeurs, trop peu de
coordination, une totale opacité sur les dossiers en cours d'instruction,
aucune information sur l'état d'avancement des projets.
A cause de cette machinerie procédurière, dans certains cas il faut six mois
pour notifier à une commune qu'une pièce manque à son dossier. Au regard de la
règle du dégagement d'office, ces délais sont inacceptables. C'est long, c'est
lourd, c'est décourageant, et le résultat est aléatoire. Telle est la réalité
aujourd'hui.
J'en viens à ma troisième et dernière observation sur les améliorations qu'il
convient d'apporter à la mise en oeuvre de la politique régionale : si l'on
doit à l'avenir réfléchir à une nouvelle définition de la politique régionale,
il faudra s'interroger sur la pertinence des critères de définition des
différents programmes.
Leader, par exemple, est un programme qui s'adresse uniquement aux zones très
rurales, le programme d'intérêt communautaire Urban étant, quant à lui, ciblé
sur les zones très urbaines. Or aujourd'hui se développent des espaces
intermédiaires que l'on qualifie souvent de périurbains. Ces zones sont en
progression très rapide, et les aides actuelles les ignorent totalement. C'est
ainsi que les communes entre 2 000 et 5 000 habitants à très faible potentiel
fiscal ne parviennent à remplir aucun critère d'éligibilité. Une redéfinition
des critères devraient, me semble-t-il, intégrer autant que faire se peut une
réflexion sur ces nouveaux territoires.
Le constat peut paraître sévère, mais l'urgence est grande : il faudrait avant
2006 avoir « remonté la pente ». Sur la période 2007-2013, l'effort qui sera
consenti en faveur des pays entrants obérera nécessairement les montants
alloués aux régions telles que les nôtres. C'est maintenant l'objet de mon
propos.
La politique de cohésion, rappelons-le, mobilise une fraction importante du
budget communautaire : elle s'élève à 215 milliards d'euros par an sur sept ans
pour la période qui s'étend de 2000 à 2006. Comme le soulignait M. Michel
Barnier lors d'une récente audition au Sénat, « c'est une politique importante,
pas seulement budgétairement, mais pour la philosophie même qu'elle met en
oeuvre ».
La cohésion est en effet un enjeu de taille surtout lorsque les candidats à
l'adhésion, qui feront bientôt leur entrée dans l'Union, sont pauvres et même
plus pauvres que les régions les plus pauvres des anciens Etats membres.
Il convient de le souligner : si cet élargissement n'est pas le premier, il
diffère des précédents par sa dimension et par sa nature. Vous connaissez les
chiffres : ils parlent d'eux-mêmes.
Après l'élargissement, l'Union comptera un tiers de citoyens et un tiers de
territoires physiques en plus, mais seulement 5 % de richesses
supplémentaires.
Huit pays sur vingt-sept auront une moyenne de PIB par habitant inférieure ou
égale à 40 % de la moyenne de l'Union. Jamais un groupe de pays ne s'était
ainsi trouvé en situation de « décrochage » par rapport aux autres.
La moyenne du PIB communautaire chutera mécaniquement de 17 points après
l'élargissement. M. Sutour vient de le rappeler.
Enfin, 96 % de la population des douze nouveaux pays adhérents bénéficieront
de l'objectif 1 alors que nombre de régions de l'Union à quinze, confrontées à
de vrais problèmes structurels, n'y seront plus éligibles.
Comment doit-on préparer l'arrivée de ces nouveaux membres dont les besoins
sont sans commune mesure avec les besoins qui avaient été révélés par les
élargissements précédents tout en maîtrisant l'évolution budgétaire européenne
?
Est-il réaliste de croire qu'il y aura des crédits disponibles pour les
actuels Etats membres face aux immenses besoins des entrants ? L'élargissement
signifiera-t-il la fin de toute aide dans des régions où les besoins sont
pourtant encore très grands ?
Autant de défis auxquels il faut répondre en apportant satisfaction aux
nouveaux adhérents de l'Union sans délaisser les régions et les secteurs
jusque-là bénéficiaires des fonds européens. L'enjeu consiste en effet à ne pas
oublier les besoins qui persistent à l'ouest tout en se rendant à l'évidence de
la nécessité d'un report vers l'est du centre de gravité de cette politique de
cohésion.
Ce report concerne tout spécialement les populations des régions
ultrapériphériques, dont je voudrais, en quelques mots, me faire le
porte-parole. Avec plus de quatorze millions d'habitants, les quelque 450 îles
de l'Union européenne, qui représentent un vingtième de la superficie de
l'Union et 1,5 % de son PIB, réclament une solidarité active de la part de
l'Union européenne.
L'élargissement se traduira par une attribution à d'autres régions des aides
jusque-là octroyées à l'outre-mer, mais il n'en reste pas moins que la majeure
partie de ces régions insulaires ont toujours un revenu par habitant inférieur
à 75 % de la moyenne communautaire, chiffre qui correspond au critère
d'éligibilité à l'objectif 1. A cela s'ajoutent d'autres difficultés
géographiques et structurelles permanentes, notamment dans les secteurs des
transports, de l'énergie, des communications et des services.
Il serait fatal à l'outre-mer de ne plus avoir accès aux fonds qui lui
permettent de rattraper son retard et d'affronter ses difficultés.
Comme les autres, les populations d'outre-mer - je profite de votre présence,
monsieur le ministre, pour le rappeler encore une fois - souhaitent que les
procédures administratives leur permettant de bénéficier d'aides soient
simplifiées. Notons au passage que ces lourdes contraintes pèsent aussi sur les
pays candidats dont les capacités administratives sont encore insuffisantes
pour absorber les crédits communautaires. Le délai de remboursement par
l'Europe des fonds engagés par les collectivités dans le cadre des programmes
sélectionnés est long, ce qui pose de graves difficultés financières aux
régions.
A ce titre, l'action européenne gagnerait en efficacité si elle apportait des
moyens supplémentaires aux acteurs locaux et nationaux, qui disposent d'une
expertise, d'un contact avec le terrain, de réseaux qu'aucune administration
supranationale ne pourra remplacer. C'est d'ailleurs dans cet esprit que notre
excellent collègue Daniel Hoeffel a déposé, le 19 novembre dernier, une
proposition de loi relative à la décentralisation de la gestion des fonds
européens.
Si nous allons vers un arrêt des aides européennes, il faudra que l'Etat
engage une réflexion prospective afin d'en déterminer toutes les conséquences
pour les zones concernées.
S'il subsiste néanmoins une enveloppe de crédits, elle sera sans aucun doute
plus limitée. Quels devront être, dans ce cas, les critères d'attribution ?
Est-il cohérent de continuer à faire transiter les crédits par la DATAR, ou
généralisera-t-on les enveloppes régionales ? L'expérimentation qui se met en
place en Alsace doit être observée avec infiniment d'attention, pour en tirer
tous les enseignements et, surtout, ne pas reproduire, à l'échelon local, les
erreurs déjà commises.
Ces quelques remarques sur la politique régionale de l'Union européenne, on
l'aura relevé, ne sont pas dénuées de critiques : elles sont le fruit de notre
expérience et de celle des élus de terrain que nous représentons. C'est à ce
titre qu'elles méritent d'être entendues.
Mais, en définitive, elles ne plaident pas contre l'Europe, dont je suis, avec
mes collègues du groupe de l'Union centriste, une ardente promotrice. Elles
visent, au contraire, à défendre un modèle européen plus conforme aux volontés
et aux besoins des divers Etats, des multiples régions et des différents
peuples qui composent l'Union européenne.
(Applaudissements sur les travées
de l'UMP.)
M. le président.
La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le ministre, je voudrais, à la suite des exposés brillants et
exhaustifs des collègues qui m'ont précédé à cette tribune, vous interpeller à
propos de l'avenir de la politique régionale.
L'année 2003 sera marquée, à l'échelon européen, par l'évaluation à
mi-parcours des programmes de politique régionale, et, à l'échelon national,
par l'examen des contrats de plan Etat-région. Autrement dit, la région doit
être dès aujourd'hui au coeur de nos préoccupations.
L'élargissement de l'Union européenne de quinze à vingt-cinq membres s'inscrit
dans le très long terme et suscite au mieux l'incompréhension, au pire
l'inquiétude, voire l'hostilité, de certains de nos concitoyens et de nos
partenaires européens. L'élargissement doit devenir une réussite pour les pays
candidats, bien sûr, mais aussi pour les pays déjà membres. Nous devons trouver
un compromis entre les exigences des pays candidats et les attentes, tout aussi
légitimes, des régions des pays membres de l'Union. Ce n'est certainement pas
en remettant en cause vingt-sept années de politique structurelle en faveur de
nos régions que l'on réussira l'élargissement : nous devons faire l'Europe sans
défaire la nation, et la réussite de l'élargissement sera alors de celle de
l'Europe entière.
La politique de cohésion économique et sociale s'inscrit profondément dans
l'histoire de l'Europe. Elle a permis de combler efficacement les inégalités
qui pouvaient exister entre les Etats membres, mais aussi entre les régions.
La construction européenne a toujours eu pour objet de créer un ensemble
d'Etats entretenant des liens économiques étroits et réglant ensemble des
questions d'intérêt commun. Ce principe de cohésion, implicite dès 1957 et
reconnu par l'Acte unique européen, s'est vu confirmé au fil des réformes
institutionnelles et financières. Or l'intégration européenne n'a été possible
et n'a perduré que grâce aux mesures de cohésion économique et sociale, qui
représentent 213 milliards d'euros pour la période allant de 2000 à 2006, soit
un tiers du budget européen.
Ce principe de cohésion a permis la convergence économique entre les
différents Etats membres. Le PIB de l'Irlande est ainsi passé de 64 % à 119 %
de la moyenne communautaire entre 1988 et 2000. Cela est considérable ! Le
rattrapage des pays les moins prospères, tels l'Espagne, la Grèce et le
Portugal, se confirme : leur retard initial s'est réduit de près d'un tiers
depuis dix ans, et leur PIB est passé de 68 % à 79 % de la moyenne
communautaire.
De même, l'écart qui peut exister entre les régions françaises s'est réduit
grâce, en particulier, à la politique structurelle européenne. Toutefois, des
disparités régionales en matière de chômage subsistent en Europe : le taux
moyen de chômage des régions les mieux placées est de 2,7 %, mais il atteint
21,9 % dans les régions les plus touchées. C'est dire l'importance d'un travail
de très longue haleine, qui ne doit en aucun cas être interrompu.
Cependant, les aspirations concurrentes des pays membres et des pays candidats
imposent une réforme de la politique régionale si l'on veut éviter l'explosion
du budget européen.
Les négociateurs des dix pays candidats ont fait pression sur le commissaire
européen chargé de l'élargissement, Günther Verheugen, pour obtenir davantage
d'aides avant l'ouverture, aujourd'hui, du sommet européen de Copenhague. La
marge de manoeuvre est très limitée, comme l'ont rappelé M. Simon Sutour et Mme
Anne-Marie Payet : tandis que la population de l'Union augmentera d'un tiers,
le PIB ne croîtra que de 5 %, soit une baisse de treize points du PIB moyen
dans une Union à vingt-cinq membres.
La Pologne notamment, futur acteur important de l'Europe élargie, se montre
particulièrement active dans les négociations, car l'agriculture emploie encore
20 % de sa population active et seulement un quart des deux millions de fermes
recensées sont estimées rentables. En milieu rural, le revenu moyen équivaut
aujourd'hui à seulement 40 % du revenu national ; les agriculteurs polonais ont
donc bien évidemment peur d'être de nouveau les victimes de l'Histoire.
La France, quant à elle, demeure l'un des premiers bénéficiaires des
politiques structurelles, notamment au titre de l'objectif 2, qui vise à aider
à la reconversion économique et sociale des zones connaissant des difficultés
structurelles.
Par ailleurs, compte tenu de l'enjeu financier pour le budget communautaire,
il me semble difficile de séparer le débat sur l'avenir de la PAC de celui qui
porte sur le devenir de la politique régionale européenne, d'autant que
l'accord franco-allemand ne s'applique pas aux dépenses très importantes
consacrées au développement rural.
La réforme de la politique régionale est donc nécessaire si l'on veut éviter
l'explosion du budget européen, car les dépenses liées à l'élargissement iront
en s'accroissant.
Monsieur le ministre, croyez-vous que les Français accepteront de toucher
moins d'aides européennes et, dans le même temps, de payer, à partir de 2008,
2,6 milliards d'euros par an pour financer l'élargissement, soit un montant
quatre fois plus élevé qu'aujourd'hui ?
La réforme de la politique régionale devra maintenir l'objectif de cohésion
pour tous les pays sans exception, car celle-ci donne un sens à nos valeurs
européennes de solidarité et de coopération. Cette réforme devra renvoyer dos à
dos ceux qui prônent un égoïsme excessif au profit des pays membres
historiques, et ceux qui incarnent un altruisme irréaliste au profit des pays
candidats. La proposition issue du Forum européen sur la cohésion de mai 2001
de consacrer 0,45 % du PIB européen à la politique de cohésion et le projet de
créer un fonds de solidarité pour venir en aide aux victimes de catastrophes
naturelles tendent au même objectif de solidarité entre les citoyens
européens.
En dépit d'analyses alarmistes, je vois trois raisons de rester optimistes sur
l'avenir de nos régions dans une Europe élargie à vingt-cinq membres : le
potentiel extraordinaire d'un marché de 500 millions de consommateurs, la
réforme des institutions européennes et le chantier de la décentralisation.
Première raison d'être optimistes, nous devons toujours garder à l'esprit que
la construction européenne est facteur de paix et de prospérité. Les avantages
communs sur le long terme contrebalanceront les inconvénients à court terme
pour les intérêts nationaux. Un marché unique d'un demi-milliard d'individus
permettra à l'Europe de proposer un modèle économique et social spécifique et
de lui donner une position éminente et incontournable sur la scène
internationale.
Deuxième raison, la réforme des institutions en cours est la condition
nécessaire de la réussite de l'élargissement. Cette refonte institutionnelle
doit aller de pair avec une simplification administrative, entamée avec
l'Agenda 2000 : nous sommes, certes, passés de sept à trois objectifs
prioritaires et de treize à quatre initiatives communautaires, mais ces efforts
restent insuffisants.
Le commissaire Michel Barnier a présenté le 7 octobre dernier aux ministres
nationaux chargés de la politique régionale des mesures destinées à simplifier
l'administration des fonds structurels. Dans le même sens, monsieur le
ministre, vous avez exposé en juillet dernier un « dispositif d'urgence » pour
améliorer l'accès aux programmes régionaux européens. Ces deux axes d'action
sont positifs, mais il est vraiment essentiel de simplifier tout ce qui a trait
au volet administratif, dont la pesanteur excède nos concitoyens.
Dans un autre domaine, nous devons mettre un terme à la sous-consommation
chronique des crédits consacrés aux dépenses structurelles. En effet, pour
2001, la Cour des comptes européenne relève que la non-consommation des crédits
européens s'est élevée à plus de 15 milliards d'euros. L'explication de cette
situation tient au fait que les Etats sont chargés de déterminer eux-mêmes
leurs besoins en fonds structurels et exagèrent leurs demandes. De plus,
certains d'entre eux ne disposent pas d'un système de contrôle performant.
Enfin - c'est la troisième raison d'être optimistes -, les régions vont
devenir, dans notre pays, le fer de lance de la réforme de la décentralisation
et, espérons-le, de la simplification administrative. Cette réforme donnera
tout son sens au principe de subsidiarité et permettra aux régions de gérer
elles-mêmes leurs ressources financières. Ainsi, la région Aquitaine, voisine
de la mienne, s'est déclarée candidate à une totale décentralisation des fonds
structurels européens qui lui sont destinés.
L'équité entre les différents pays membres s'impose à la fois comme une
évidence politique et comme un acte de bon sens, car nous avons tous à gagner à
ce que l'Europe soit une grande puissance économique harmonieusement
développée.
Pour cela, il nous faut dépasser une logique purement comptable qui néglige
l'intérêt commun et obère tous les avantages non quantifiables que nous apporte
la construction européenne. Nous devons ignorer les tenants d'un altruisme
naïf, selon lesquels les politiques structurelles ne doivent profiter qu'aux
futurs pays membres, et ceux d'un égoïsme dénué de vision du futur, pour
lesquels la politique régionale ne devrait concerner que les pays déjà
membres.
Nous disposons, avec les régions, d'un outil extraordinaire pour renforcer
l'Union européenne. Il nous est interdit de ne pas saisir pleinement une telle
chance.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Danielle Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
construction européenne prend une dimension nouvelle avec l'élargissement en
2004 de l'Union à dix nouveaux pays. Comptant au nombre des grands chantiers
ouverts, tels que le nouveau traité et la réforme des institutions, la
politique régionale européenne est l'une des questions d'actualité les plus
importantes.
Deux approches sont encore en débat.
La première est fondée sur la construction d'une Europe des régions. Nous
pensons que cela entraînerait la disparition des Etats, qui doivent à nos yeux
rester les garants de la cohésion nationale et du maintien d'un développement
équilibré et solidaire des territoires. De plus, tout laisse à penser qu'il est
illusoire d'envisager une Europe des régions, compte tenu du fait que celles-ci
ne constituent pas des entités autonomes et homogènes. En revanche, il est
utile de débattre de la place des régions en Europe.
Dans l'Europe des Quinze, de grandes inégalités existent déjà. Certains Etats
n'ont même pas de régions, et les services de Bruxelles assimilent des pays
entiers à des régions : c'est le cas de l'Irlande, du Luxembourg, voire des
Pays-Bas, du Portugal et de la Finlande. A l'intérieur même de chaque Etat, les
disparités sont considérables, et elles le sont bien davantage encore à
l'échelle européenne.
Ces inégalités sont de plusieurs ordres, et tout d'abord d'ordre
économique.
Ainsi, une zone très riche incluant une partie de l'Angleterre, le Benelux,
l'ouest de l'Allemagne, avec la vallée du Rhin, et une partie de la vallée du
Rhône, jusqu'au nord de l'Italie, est bordée par d'autres régions, beaucoup
moins développées. En outre, le PIB par habitant du Luxembourg est deux fois
plus élevé que celui de la Grèce.
Enfin, sur notre territoire, un tiers des régions concentre les deux tiers du
PIB, et les projets de décentralisation en cours risquent, par une mise en
concurrence des régions, d'accroître encore les inégalités entre régions riches
et régions pauvres. Il existe également des disparités entre zones rurales et
zones urbaines, et au sein même de celles-ci la région d'Ile-de-France
constitue un exemple patent à cet égard avec la grande différence qui existe
entre le quart sud-ouest et le quart nord-ouest.
Ces inégalités économiques vont s'accentuer avec l'élargissement de l'Union
européenne. Je pense ici à la Pologne, où les régions sont complètement
sous-développées, et à la Slovaquie, où le PIB de la région Ouest, autour de
Bratislava, atteint 90 % du PIB européen, tandis que le PIB des régions de
l'Est plafonne à 35 %, le taux de chômage y étant de plus de 50 %.
Les inégalités sont également d'ordre politique, car les régions n'ont pas du
tout les mêmes statuts, les mêmes pouvoirs, les mêmes budgets selon les Etats.
Ainsi, certains d'entre eux, comme l'Allemagne ou la Belgique, ont une
structure fédérale, les régions assumant de grandes responsabilités et
disposant des moyens appropriés. Enfin, dans certains pays, les exécutifs
régionaux sont élus, alors que dans d'autres ils ne font que relayer
l'administration centrale.
Pour toutes ces raisons, nous continuons à être opposés à une Europe des
régions.
La seconde approche est fondée sur une Europe des Etats-nations.
L'Etat établit des critères d'égalité pour tous en vue d'un développement
équilibré et d'une limitation du clientélisme régional. Il fixe les objectifs
et les priorités nationales et pourrait déléguer une grande partie de la mise
en oeuvre de ses politiques, ainsi que leur adaptation, aux régions, tout en
gardant le contrôle et la fonction d'évaluation de leur application.
La région, dans ce cadre qui correspond à une vraie décentralisation, apporte
par sa proximité une réponse aux besoins des citoyens. L'emploi, les services
publics, le transport, l'école, le logement et la santé sont autant de
questions de dimension régionale auxquelles la population est sensible.
Dans l'espace européen, les régions agissent déjà efficacement dans certains
domaines. Ainsi, elles élaborent des dossiers communs et font pression sur
Bruxelles et sur les Etats pour faire avancer des projets tels que la
réalisation de liaisons ferroviaires ou le développement du ferroutage. Ce type
d'initiatives pourrait être encouragé et développé.
Nous sommes donc favorables à une Europe harmonieuse et équilibrée, corrigeant
progressivement les inégalités et portant une attention particulière aux
régions les plus pauvres.
Dans cette optique, la politique communautaire régionale, notamment ses
aspects budgétaires, doit être modifiée. Il convient de l'inscrire non pas dans
une logique visant à stimuler la concurrence en finançant essentiellement des
investissements destinés à promouvoir un environnement favorable aux
entreprises, mais, au contraire, dans une logique de solidarité.
Nous constatons un tassement du budget européen, voire une révision à la
baisse des crédits des fonds structurels et de cohésion, et ce malgré l'ampleur
des besoins, qui vont considérablement croître avec l'élargissement à
vingt-cinq membres.
Dans cette perspective, il faut donc revoir à la hausse les financements
européens, car deux écueils se présenteront si le budget demeure constant.
Si les efforts sont uniquement concentrés sur les régions les plus pauvres,
les régions qui se voyaient auparavant allouer des fonds se sentiront lésées,
car elles risquent de perdre beaucoup d'argent : ce serait le cas en Italie, en
Espagne, en Grèce, au Portugal et en Irlande. En revanche, si les financements
sont répartis entre toutes les régions en difficulté, le montant de l'aide
accordée à chacune d'entre elles sera très en deçà des besoins. Plusieurs
collègues ont évoqué ce problème tout à l'heure.
Enfin, si les fonds structurels et de cohésion ont permis, dans l'Europe des
Quinze, de réduire certaines inégalités, il faut veiller à ce que tous les
financements soient utilisés. Les crédits non employés et les retards constatés
dans l'exécution des budgets sont tout à fait anormaux, les collègues qui m'ont
précédée y ont fait allusion. Les financements totalement utilisés devraient
permettre de corriger les écarts de développement entre les régions et dessiner
ainsi des projets réalistes et ambitieux.
L'enjeu de la réorientation de la politique régionale est donc aujourd'hui
incontournable. De réels projets régionaux de développement dans une
perspective européenne de progrès doivent être élaborés au plus près des
citoyens. Cela implique, nous semble-t-il, un véritable débat public dans notre
pays avec toute la population et les élus des différents échelons : local,
régional, national et européen. C'est, selon nous, un enjeu important pour les
dix prochaines années.
(Applaudissements sur les travées du groupe
CRC.)
M. le président.
La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 1975
- année de la création du Fonds européen de développement régional - jusqu'à
aujourd'hui, la politique régionale européenne n'a cessé de croître en
importance, en volume financier, mais aussi - c'était peut-être un corollaire
obligé - en complexité et en lourdeur.
Réforme après réforme, élargissement après élargissement, on a vu se
multiplier les fonds spécialisés, les initiatives communautaires, les objectifs
thématiques, les règles de mise en oeuvre, les procédures de zonage et les
conditions d'attribution des dotations structurelles. Cette montée en puissance
d'une politique de cohésion économique et sociale, qui structure le territoire
européen, s'est accompagnée d'un accroissement progressif des fonds affectés à
celle-ci : s'ils ne s'élevaient qu'à 7,8 % du budget communautaire en 1980, ils
représentent désormais plus du tiers des dépenses et constituent la deuxième
ligne budgétaire après la politique agricole commune.
Paradoxalement, on observait pourtant chaque année une sous-consommation
manifeste, par les Etats membres, des crédits ouverts, non pas tant en termes
d'engagement, mais au niveau des dépenses effectives. Celles-ci ont oscillé,
suivant les périodes, entre 25 % et 38 % seulement des moyens disponibles. Les
explications proposées pour justifier ces retards étaient nombreuses et
d'ailleurs convaincantes : longueur extrême des procédures, difficultés de
cofinancement national, délais dans la mise à disposition des fonds, choix
complexe des projets à engager. Il n'en demeure pas moins que l'on pouvait
légitimement s'interroger sur le meilleur calibrage à donner à la politique
régionale communautaire pour répondre avec le plus d'exactitude aux besoins et
aux capacités d'absorption des fonds européens par les Etats membres.
Après le « paquet Delors I » et le « paquet Delors II », qui ont intensifié
l'effort budgétaire en faveur de la politique de cohésion, la réforme résultant
de l'adoption, en 1999, de l'Agenda 2000 a amorcé un mouvement de décrue des
dépenses.
Plus largement encore, elle a apporté un certain nombre de réponses aux
critiques et aux interrogations que commençait à susciter cette politique
structurelle.
Tout d'abord, elle a choisi de maintenir l'effort de solidarité en poursuivant
la politique de cohésion économique et sociale. Mais elle a recherché une plus
grande efficacité de celle-ci par la concentration des moyens financiers sur
les zones qui accusaient le plus grand retard de développement par rapport à
l'ensemble du territoire européen.
Ensuite, elle a préparé l'élargissement de l'Union, à la fois par le chiffrage
d'une aide consacrée à la pré-adhésion et destinée aux pays candidats, mais
aussi en budgétant les dépenses afférentes à leur entrée effective. Cette
enveloppe, qui tablait sur l'arrivée de six nouveaux Etats membres dès 2002,
permettra, en définitive, de faire face à l'adhésion de dix partenaires à
partir de 2004.
En outre, elle a proposé une simplification des procédures d'engagement des
projets, que réclamaient depuis longtemps les différentes parties intervenant
dans la mise en oeuvre, sur le terrain, de la politique régionale
européenne.
Enfin, elle a procédé à la réduction de sept à trois du nombre des objectifs
structurels tout en conservant, indépendamment de l'objectif 1 consacré au
développement, deux autres axes d'intervention : l'un, applicable par zonage
national, destiné à l'aide au financement de la reconversion des régions en
difficulté ; l'autre, d'application horizontale, sur l'ensemble du territoire
de l'Union, prenant en compte la dimension humaine et sociale de l'impératif de
cohésion.
Cette réforme arrivera à échéance à la fin de l'année 2006. Entre-temps, dix
nouveaux Etats membres auront rejoint l'Union : sur les 75 millions de citoyens
européens supplémentaires qui la composeront alors, environ 60 millions vivent
actuellement dans des régions répondant au critère du retard de développement,
soit un PIB par habitant inférieur à 75 % de la moyenne communautaire. L'écart
sera plus large encore lorsque les trente millions de Roumains et de Bulgares
entreront à leur tour dans l'Union, vers 2007 vraisemblablement.
Si l'on continue à mettre en oeuvre la politique régionale de l'Union sur les
bases actuellement en vigueur, l'effet d'éviction est évidemment immédiat : la
richesse moyenne des dix pays récemment déclarés éligibles correspond environ à
40 % seulement de la richesse moyenne des quinze Etats membres actuels. Si l'on
veut maîtriser l'évolution de la dépense budgétaire européenne, sachant que
l'enveloppe consacrée à la politique régionale correspond aujourd'hui à 0,46 %
du PIB de l'Union, il est impératif d'opérer des choix.
Compte tenu de cette nouvelle donne, certains de nos partenaires européens -
je pense notamment à l'Allemagne qui contribue le plus fortement au budget
communautaire - sont partisans de l'interruption de la politique de cohésion
économique et sociale. Ils considèrent qu'en vertu de l'application du principe
de subsidiarité une politique d'aménagement du territoire peut être plus
efficacement conduite, et à moindre coût, à l'échelon national, voire
régional.
Cette analyse me paraît tout à la fois dangereuse et particulièrement
contestable. Elle remettrait en cause les spécificités de la construction
européenne, qui ont fait de la solidarité entre les Etats membres et de la
lutte contre les disparités de développement l'un de ses fondements. Il me
paraît aller de soi que l'effort doit continuer de porter, en priorité, sur les
régions en retard de développement. Je souhaite, pour ma part, que l'Union
puisse poursuivre cette politique au-delà de l'année 2006, à l'égard de toutes
ses composantes, nouveaux ou anciens membres. Elle doit néanmoins veiller plus
particulièrement à deux préoccupations.
D'abord, il convient d'organiser une véritable décentralisation des procédures
de gestion des fonds européens. Le bon sens milite pour que l'engagement des
projets se fasse au plus près du terrain, dès lors que toutes les garanties du
bon usage des fonds communautaires et du strict respect des procédures sont
apportées. Je crois savoir qu'une expérience de mise à disposition directe des
dotations structurelles, à l'échelon régional, sera prochainement menée en
Alsace pour l'objectif 2. Notre collègue M. Daniel Hoeffel avait envisagé que
cette méthode nouvelle puisse être étendue à titre expérimental aux régions qui
le souhaiteraient. Pour ma part, j'y suis très favorable, même si je mesure les
difficultés qui peuvent en résulter pour certains pays candidats qui maîtrisent
encore mal les procédures et ne disposent pas des capacités administratives
pour mettre en oeuvre une telle gestion décentralisée.
Ensuite, il faut éviter la dispersion des objectifs qui conduit à un
saupoudrage des aides, dont le volume serait alors trop faible pour exercer un
quelconque effet de levier et laisser espérer des retombées tangibles. Nous
sommes conscients que, pour obtenir l'adhésion de tous les partenaires, il est
parfois nécessaire que chacun d'entre eux voie ses propres caractéristiques
prises en compte et se trouve éligible à l'un ou l'autre des objectifs.
Toutefois, il me paraît indispensable que, pour la partie correspondant à
l'actuel objectif 2, consacré pour l'heure à la reconversion des zones
fragilisées, on s'attache à dégager des lignes directrices claires.
Pour ma part, je suggérerais volontiers qu'un intérêt particulier puisse être
porté aux zones rurales. Les élus des départements ruraux ont parfois le
sentiment que le territoire urbain et périurbain exerce un pouvoir d'attraction
excessif face aux zones rurales, qui font certes moins entendre leur voix et
que l'on laisse se désertifier peu à peu. Ne serait-il pas judicieux de
rééquilibrer les efforts entre ces deux pôles ?
Si on néglige les équipements et les infrastructures de base de ces régions,
si on les laisse disparaître progressivement, il est fort à craindre que l'on
ne puisse plus ensuite faire marche arrière. Peut-on envisager d'abandonner
ainsi une partie du territoire européen, partie qui, hélas ! ira croissante si,
comme il est probable, l'évolution des productions agricoles conduit, à terme,
à soustraire des milliers d'hectares à l'agriculture, dont la valorisation
constituerait pourtant un élément fondamental de l'équilibre environnemental
?
Je suis partisan de saisir l'opportunité de cette réforme à venir pour mieux
organiser l'interaction entre fonds structurels et ruralité, une telle
articulation pouvant tout à la fois aider à l'intégration des nouveaux Etats
membres et prolonger le travail commencé dans l'Union à quinze.
Sur le plan symbolique, et je ne doute pas, monsieur le ministre, que tous les
Etats membres en soient conscients, la poursuite d'une politique de cohésion
économique et sociale dans une Union élargie me semble la bonne manière de
faire éprouver à chacun de ses citoyens un sentiment d'appartenance au modèle
européen.
(Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Paul Delevoye,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement
du territoire.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs,
votre débat tombe à point. En effet, nous devons arrêter demain, au cours du
comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire - le
CIADT -, la position du Gouvernement sur le mémorandum que nous devons
transmettre au commissaire européen Michel Barnier sur la position de la France
concernant la poursuite ou non d'une politique de cohésion territoriale.
Il tombe à point également parce que, aujourd'hui, le sommet de Copenhague se
prononce sur l'élargissement de l'Europe.
Enfin, il tombe à point - comme plusieurs orateurs, je rends hommage à votre
initiative, monsieur Sutour - parce que nous sentons bien quel intérêt
politique il y a à éveiller une citoyenneté européenne et à faire en sorte que,
dans ce débat, chacun se rende compte que l'Europe est non pas une contrainte,
mais une opportunité de développement, l'opportunité de pouvoir, en mobilisant
des fonds, accroître le développement de nos régions, notamment nos régions
ultrapériphériques, en termes de reconversion industriel ou dans le domaine
agricole.
Vous avez, les uns et les autres, évoqué les contraintes budgétaires et
souligné la pertinence des actions menées par les fonds structurels. Il
convient, à cet instant, sur la base de l'ensemble de vos observations,
d'indiquer que l'élargissement de l'Europe n'est ni un marché, ni un troc, ni
un calcul budgétaire : c'est un formidable projet politique permettant
d'asseoir durablement la paix sur le continent européen, comme l'évoquait M. de
Montesquiou, et la tranquillité, car on ne fait pas la guerre avec des gens
avec lesquels on commerce.
Nombre de nos concitoyens s'interrogent aujourd'hui sur la prédominance des
Etats-Unis. Y a-t-il trop d'Etats-Unis ? Non ! il n'y a pas assez d'Europe !
Nous devons réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour rendre l'Europe plus
puissante dans les domaines économique, technologique et militaire, mais
également dans le domaine monétaire, même si, aujourd'hui, on constate que le
passage à l'euro a créé un espace de stabilité sans lequel les crises que nous
avons traversées ces derniers mois auraient donné lieu à de très importats
soubresauts.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Oh oui !
M. Jean-Paul Delevoye,
ministre.
On ne le dit pas suffisamment. En effet, il suffit de regarder
tous les événements de caractères économique et géopolitique qui se sont
déroulés depuis le passage à la monnaie unique pour constater qu'ils n'ont
donné lieu à aucun frissonnement de l'euro et qu'ils n'ont suscité aucune des
interrogations qui étaient les nôtres naguère en voyant les monnaies de chacun
de nos pays se battre au gré d'un certain nombre de spéculations qui
déstabilisaient lourdement les politiques nationales.
Au moment où, à Copenhague, les Quinze vont donner leur accord à
l'élargissement et à l'intégration de ces dix pays, il convient de réfléchir à
la pertinence politique de cette décision. Nous avons tous salué la volonté du
chancelier Kohl d'intégrer l'Allemagne de l'Est, et nous étions alors tous
impressionnés par cette décision politique. Aujourd'hui, nous vivons un moment
politique important.
Ensuite, vous vous êtes interrogés sur la pertinence politique à poursuivre la
politique des fonds de cohésion et sur la position du Gouvernement à cet
égard.
Compte tenu de la réunion du CIADT qui aura lieu demain, je me bornerai, et
vous le comprendrez, à quelques observations personnelles.
Vous avez raison d'indiquer qu'aujourd'hui la volonté de poursuivre la
politique de cohésion structurelle est peut-être minoritaire. En effet, nombre
de nos partenaires européens s'interrogent sur la pertinence de cette
politique. Ils considèrent que, pour assurer la solidarité, il est préférable
de réfléchir à l'échelon national, au lieu de recourir à une péréquation à
l'échelon européen. Je parle, bien sûr, de l'objectif 2, et non de l'objectif
1.
C'est la raison pour laquelle nous avons, dès notre arrivée aux
responsabilités, mis en place un dispositif de simplification administrative,
et c'est un point que vous avez évoqué, madame Payet.
La puissance de notre position est en effet directement liée à notre capacité
de consommer nos fonds structurels actuels. Si, en 2006, nous n'avons pas
consommé ces fonds, nos partenaires européens nous diront - ce qu'ils font déjà
- que nous ne pouvons pas demander la prolongation de cette politique puisque
nous n'avons pas pu consommer les fonds mis à notre disposition.
Nous avons pris des mesures importantes en matière de simplification
administrative. Dès le début de l'année, les fonds seront mis à la disposition
des préfets de région. Le décret de 1999 doit revenir du Conseil d'Etat pour
permettre le versement des subventions, même après le démarrage des travaux.
Aujourd'hui, l'ingénierie - et vous avez raison, madame Payet - qui fait défaut
à ceux qui portent des projets doit être mise à leur disposition au niveau des
régions et à la disposition de la DATAR à l'échelon national. Il s'agit
d'apporter, d'abord et avant tout, un appui aux initiatives qui sont porteuses
de projets et de ne pas les écraser sous le poids de procédures si complexes
que, souvent, ceux qui ont des idées éligibles aux fonds structurels européens
baissent les bras et ne mobilisent pas ces fonds. Si vous avez un quelconque
souci, nous avons mis en place, dans mon ministère et au sein de la DATAR, des
liaisons directes de façon que nous puissions très concrètement appuyer les
porteurs de projets et demander à l'administration les raisons pour lesquelles
le poids des procédures a tendance à freiner l'éligibilité d'un projet.
Aujourd'hui, nous donnons la priorité à un Etat partenaire qui accompagne les
initiatives locales au sein desquelles, bien évidemment, la mobilisation des
fonds européens est un élément déterminant en termes de réussite.
Notre conviction doit être forgée par l'analyse. La politique de cohésion
est-elle pertinente ? Les résultats sont-ils à la hauteur des espérances ? Nous
pensons que l'une des difficultés majeures du monde d'aujourd'hui serait de ne
pas être capable de réduire les inégalités à l'intérieur d'espaces économiques
communs ; on voit se dessiner de plus en plus d'espaces économiques.
L'aggravation des différences et des inégalités serait un important facteur de
déstabilisation politique. Nous devons donc mettre en place des mécanismes de
réduction des inégalités en termes de PIB par habitant.
Quand nous analysons les résultats de l'objectif 1 - vous les avez les uns et
les autres soulignés, et, madame Payet, j'avais sur ce point une petite
divergence vous -, nous constatons que l'écart de richesse en termes de PIB
s'est considérablement réduit entre les pays. S'agissant de l'objectif 1, on
peut parler d'une réduction de l'ordre de 10 % en dix ans. Certains résultats
sont plus probants encore, notamment en Irlande. Il suffit de voir le
rattrapage de l'Espagne ou du Portugal pour constater que cela est
important.
Je voudrais faire un léger retour en arrière afin que nous nous rappelions les
débats qui ont eu lieu, y compris en France, lors de l'intégration de l'Espagne
et du Portugal : nous nous interrogions alors de la même façon sur les dangers
qu'elle pouvait représenter. Or, chacun s'est rendu compte que, assez
rapidement, après une période d'investissement de fonds européens, le résultat
était très positif pour l'ensemble de la Communauté européenne, et, par
conséquent, pour l'ensemble des entreprises françaises.
Aujourd'hui, investir dans le rattrapage économique des pays candidats est un
facteur de développement global pour l'Europe. C'est d'autant plus important
que l'Europe doit absolument reconquérir nos concitoyens afin qu'ils aient
présentes à l'esprit les chances qu'elle offre en termes de stabilité
économique, de stabilité et de paix ; enfin, en termes de développement des
politiques en matière de recherche, en matière de défense et, je dirai, pour
tout ce qui concerne la société de l'intelligence et de l'information.
Madame Payet, je partage
a contrario
votre point de vue. A titre
personnel, je suis tout à fait favorable àl'Europe des nations, par opposition
à l'Europe des régions. Nous n'avons pas intérêt à voir apparaître dans nos
Etats, ou même à l'échelon européen, une mosaïque d'intérêts communautaires qui
pourraient briser le « vivre-ensemble ». Nous avons au contraire intérêt - M.
de Montesquiou et M. Bizet l'indiquaient à propos de la décentralisation - à
nous appuyer sur l'espace régional, qui est un espace de mobilisation des
énergies, pour développer les politiques de développement régional et rendre
plus efficace encore la mobilisation des fonds européens.
Il n'y a donc pas de souci à se faire - pardon pour les DOM-TOM ! - pour
l'objectif 1, parce que, malheureusement pour ces régions, malgré l'abaissement
du niveau moyen du PIB par habitant, elles resteront en deçà du seuil de 75 %.
L'objectif 1 sera donc orienté sur les régions dites ultrapériphériques.
Je noterai au passage qu'il faudrait plutôt fondre tout cela dans une
dénomination commune et cesser de parler d'ultrapériphérie. Ce point est
d'autant plus important que les départements d'outre-mer ont un rôle de
stabilisation périphérique qui dépasse largement les dimensions européennes.
Ainsi, la Réunion a vocation à avoir des relations avec Madagascar et
l'ensemble du bassin indien, de même que la Guadeloupe, la Martinique et la
Guyane ont intérêt à essayer de stabiliser Haïti, etc.
On voit donc l'intérêt pour l'Europe d'être présente dans les cinq océans.
C'est un facteur d'irrigation périphérique de stabilités régionales, idée que
vous appliquiez d'ailleurs, monsieur Sutour, à l'espace euroméditerranéen : il
est évident que la stabilité du continent européen passera par notre capacité
d'investir dans cet espace. Si nous voulons maintenir sur la totalité de la
frontière du Maghreb le taux de chômage des jeunes à son niveau actuel, il faut
créer plusieurs centaines de millions d'emplois dans les vingt-cinq années qui
viennent. Le développement doit dépasser les frontières européennes et intégrer
la notion de « bassin d'intérêt partagé » sur le plan économique.
Pour ce qui est de l'objectif 2, le Gouvernement doit d'abord analyser s'il
est pertinent de le conserver. Les débats, tant à l'échelon européen qu'à
l'échelon gouvernemental, se dérouleront, c'est vrai, entre les « budgétaires »
et les « politiques ». Les budgétaires raisonneront sans doute, et c'est
légitime, en termes de retour d'investissement. Je suis de ceux que les
chiffres ont convaincus que le temps de retour de l'objectif 2 est tout à fait
intéressant pour notre pays, même si nous devons admettre l'effet d'éviction
que plusieurs d'entre vous ont évoqué.
Je ne partage pas, monsieur Sutour, l'idée que les fonds de cohésion soient un
acquis. Pourquoi ? Parce que, par définition, les fonds de cohésion ont pour
objet de favoriser des reconversions, des rattrapages de richesses. Leur
vocation est donc de disparaître mécaniquement dès que le but est atteint.
C'est ainsi qu'un certain nombre de pays dont le PIB par habitant a
considérablement augmenté et qui sont désormais au-dessus de la moyenne
européenne ne doivent plus, par définition, profiter de la solidarité. Laisser
accroire que les fonds européens sont des acquis pour ces régions est un
argument dangereux.
A contrario
, quelle politique devons-nous mener pour parvenir à une
approche politique globale, convergente et positive de la mobilisation des
fonds, et pour nous concentrer sur certaines régions qui sont aujourd'hui soit
en reconversion, soit en difficulté ?
Si nous admettons le principe de l'éviction qu'entraînent les paramètres
actuels, nous interrogeons nos partenaires afin de recentrer les politiques
communautaires sur des thèmes qui soient non pas seulement d'intérêt national,
mais d'intérêt européen, et plusieurs d'entre vous ont évoqué certains de ces
thèmes. Ainsi, le phénomène urbain, avec l'émergence de quartiers en
difficulté, est un phénomène européen ; les zones à faible densité - vous avez
cité la montagne, il peut y en avoir d'autres - sont aussi un phénomène
européen appelant des politiques de solidarité. Parallèlement, il est évident
que certains mécanismes renforcent la cohésion des pays européens, par exemple
par la structuration de l'espace, et c'est toute la problématique de la
politique des transports comme de la politique des télécommunications et des
nouvelles technologies de communication.
Enfin, un sujet doit aujourd'hui être constamment présent dans la politique
européenne, car il a une dimension mondiale : c'est le développement durable.
Comment concilier le développement économique avec le respect de
l'environnement et le respect des hommes et des femmes ?
Nous devons accompagner des mutations très importantes en Pologne. Vous avez
évoqué la crainte des agriculteurs polonais de voir leur pays adhérer à
l'Europe, mais il faut être conscient que les agriculteurs français ne sont pas
moins inquiets de l'arrivée des Polonais ! Il nous faut donc réfléchir ensemble
à la façon d'accompagner les mutations nécessaires à la stabilité d'un marché
économique qui soit capable d'assurer le revenu de celles et de ceux qui vivent
en Europe, peut-être en réorientant les débouchés de l'agriculture. Cette
réflexion doit, en tout cas, faire l'objet d'un débat de fond.
Je tiens à souligner que, à titre personnel, je suis opposé au zonage tout en
restant favorable à des politiques thématiques. Ce sujet devra faire également
l'objet d'un débat.
Mme Anne-Marie Payet a évoqué le taux de programmation, et je lui répondrai
par un chiffre : les simplifications administratives auxquelles nous avons
procédé ont fait passer en quelques mois le taux de programmation de 15 % à 24
%. Force est donc de constater que notre action commence à produire des effets,
ce dont nous nous réjouissons.
A contrario
, vous avez eu raison d'indiquer, madame, que le véritable
facteur d'inégalité des territoires résidait dans le déficit d'ingénierie que
connaissent les zones rurales, notamment par rapport à certaines
agglomérations.
Vous avez enfin eu raison d'indiquer que nous devons réfléchir à une meilleure
déconcentration de l'utilisation des fonds européens, sans pour autant tomber
dans la délégation totale. L'expérimentation qui se déroule en Alsace, et que
vous avez tous citée, porte sur la délégation des autorités de paiement, des
autorites de gestion, des autorités de contrôle, mais s'accompagne d'un
transfert juridique. Vous exprimiez une légitime colère devant la mauvaise
utilisation des fonds européens en France. Mais il faut que vous sachiez que
notre pays est responsable de leur attribution ! Lorsque délégation sera faite
à une collectivité territoriale, c'est elle qui, le cas échéant, devra
rembourser les fonds lorsque des contrôles sur le respect des critères auront
lieu ! Les contrôles à l'échelon européen me paraissent donc nécessaires, et la
France les a réclamés, les a revendiqués, et les assume.
L'utilisation de l'argent public, notamment européen, doit faire l'objet d'une
grande rigueur, d'une grande exigence. La délégation n'est pas une facilité
d'utilisation : elle doit se faire en partenariat entre les autorités de l'Etat
et les collectivités régionales, dans un souci de totale simplification.
M. Aymeri de Montesquiou a marqué son optimisme, et je le partage.
Madame Bidard-Reydet, vous avez indiqué qu'il fallait revoir les crédits à la
hausse. C'est en réalité un choix politique. Qui devons-nous aider ? Avec quels
types de moyens ? Dans quelles proportions ? Vouloir systématiquement augmenter
les crédits, dans tous les domaines, n'est pas une bonne réponse. Il faut, à un
moment donné, faire des choix et évaluer très précisément l'efficacité de
l'argent public par rapport au résultat que nous voulons obtenir.
Monsieur Bizet, vous avez parlé des zones rurales. En réalité, nous souhaitons
sortir de l'opposition entre urbain et rural pour parvenir à la notion de
territoires complémentaires. Les territoires auront une fonction différente,
c'est évident, mais ils seront en réalité complémentaires et travailleront en
réseau. On constate qu'il est nécessaire que des pôles d'excellence, qui sont
très attractifs sur le plan international, voient le jour ; mais l'on remarque
également qu'ils ont besoin de s'appuyer sur des services qui se trouvent
généralement dans les territoires périurbains.
Mesdames, messieurs les sénateurs - et ce sera ma conclusion -, vos
interventions expriment toutes le souci de maintenir une politique de cohésion
européenne. Certes, madame, vous avez évoqué l'objectif 1, notamment pour les
régions ultrapériphériques, mais les réflexions que j'ai entendues à propos de
l'objectif 2 me confortent dans la position que je souhaite défendre demain,
lors du comité interministériel pour le développement et l'aménagement du
territoire - le CIADT - quand le Gouvernement devra se prononcer sur les thèmes
qui pourraient justifier le maintien d'une politique européenne au titre de
l'objectif 2, sachant, comme je l'ai indiqué, que certains sujets concernent
l'ensemble des pays européens.
Je tiens à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de la pertinence
du calendrier que vous avez retenu et de la qualité de vos propositions. Je
précise que dès sa nomination, le Gouvernement s'est préoccupé auprès du
commissaire européen de la nécessité de lui remettre avant la fin de l'année un
mémorandum. Je l'ai rencontré à plusieurs reprises pour lui confirmer que ce
serait chose faite. Nous avons inscrit ce texte, pour la première fois, à
l'ordre du jour d'un CIADT, afin que le Gouvernement puisse en débattre et soit
en mesure d'arrêter la position de la France, car nos partenaires attendent de
la connaître.
Le Gouvernement partage donc avec vous le souci que nos concitoyens
considèrent l'Europe non pas comme un espace de contrainte perturbant le
confort de leur quotidien, mais au contraire comme un formidable projet
politique permettant de sécuriser l'avenir et d'asseoir un espace de paix dans
un monde de plus en plus instable.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est
clos.
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