SEANCE DU 12 DECEMBRE 2002
SOMMAIRE
PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS
1.
Procès-verbal
(p.
0
).
2.
Mise au point au sujet d'un vote
(p.
1
).
MM. Jacques Pelletier, le président.
3.
Réorganisation des couloirs aériens en Ile-de-France.
- Discussion d'une question orale avec débat.
(Ordre du jour réservé.)
(p.
2
).
MM. Gérard Larcher, auteur de la question ; Alain Gournac, Denis Badré, Mmes
Claire-Lise Campion, Marie-Claude Beaudeau, M. Laurent Béteille.
MM. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du
tourisme et de la mer ; Gérard Larcher.
Clôture du débat.
Suspension et reprise de la séance (p. 3 )
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
4. Questions d'actualité au Gouvernement (p. 4 ).
mesures de prévention
en termes de sécurité routière (p.
5
)
Mme Annick Bocandé, M. Gilles de Robien, ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la mer.
situation en irak (p. 6 )
Mme Hélène Luc, M. Jean-François Copé, secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement.
situation et évolution institutionnelle
de la corse (p.
7
)
MM. Nicolas Alfonsi, Nicolas Sarkozy, ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés locales.
nouvelles mesures en matière de lutte
contre la grande délinquance (p.
8
)
MM. Jean-Jacques Hyest, Dominique Perben, garde des sceaux, ministre de la justice.
filière informatique et télécommunications (p. 9 )
MM. Daniel Raoul, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie
plan polmar mer et réforme de la politique commune de la pêche (p. 10 )
MM. Jacques Oudin, Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
restructuration des succursales
de la banque de France (p.
11
)
MM. Jean-Pierre Godefroy, Francis Mer, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
éducation nationale :
personnels mis en disponibilité (p.
12
)
MM. Alain Fouché, Luc Ferry, ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
plan « innovation-recherche » (p. 13 )
M. Paul Girod, Mme Claudie Haigneré, ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.
avenir des zones franches urbaines (p. 14 )
MM. Jean-Pierre Schosteck, Jean-Louis Borloo, ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine.
nuisances sonores et création
de l'observatoire du bruit (p.
15
)
MM. Max Marest, Dominique Bussereau, secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
Suspension et reprise de la séance (p. 16 )
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
5.
Communication relative à une commission mixte paritaire
(p.
17
).
6.
Commission d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées.
- Adoption des conclusions du rapport d'une commission.
(Ordre du jour
réservé.)
(p.
18
).
Discussion générale : MM. Jean-Marc Juilhard, rapporteur de la commission des
affaires sociales ; Laurent Béteille, rapporteur pour avis de la commission des
lois ; Guy Fischer.
Clôture de la discussion générale.
Article unique (p. 19 )
MM. Gilbert Chabroux, Gérard Larcher, Bernard Plasait.
Adoption de la proposition de résolution.
7.
Commission d'enquête sur la politique nationale de lutte contre les drogues
illicites.
- Adoption des conclusions du rapport d'une commission.
(Ordre du jour
réservé.)
(p.
20
).
Discussion générale : MM. Jean-Marc Juilhard, rapporteur de la commission des
affaires sociales ; Laurent Béteille, rapporteur pour avis de la commission des
lois ; Guy Fischer.
Clôture de la discussion générale.
Article unique (p. 21 )
Amendement n° 1 de Mme Michelle Demessine. - MM. Guy Fischer, le rapporteur. -
Rejet.
Adoption de l'article unique de la proposition de résolution.
Intitulé de la proposition de résolution (p. 22 )
Amendement n° 2 de Mme Michelle Demessine. - Devenu sans objet.
Explications de vote (p. 23 )
MM. Gilbert Chabroux, Christian Demuynck.
Adoption de la proposition de résolution.
8.
Avenir de la politique régionale européenne.
- Discussion d'une question européenne avec débat.
(Ordre du jour
réservé.)
(p.
24
).
M. Simon Sutour, auteur de la question ; Mme Anne-Marie Payet, M. Aymeri de
Montesquiou, Mme Danielle Bidard-Reydet, M. Jean Bizet.
M. Jean-Paul Delevoye, ministre de la fonction publique, de la réforme de
l'Etat et de l'aménagement du territoire.
Clôture du débat.
9.
Réforme des règles budgétaires et comptables applicables aux départements.
- Adoption des conclusions du rapport d'une commission.
(Ordre du jour
réservé.)
(p.
25
).
Discussion générale : MM. Philippe Adnot, rapporteur de la commission des
finances ; Henri Plagnol, secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat.
Clôture de la discussion générale.
Articles 1er à 11. - Adoption (p.
26
)
Vote sur l'ensemble (p.
27
)
Mme Danielle Bidard-Reydet, MM. Michel Sergent, Jean Arthuis, président de la
commission des finances ; le rapporteur.
Adoption de la proposition de loi.
10.
Décision du Conseil constitutionnel
(p.
28
).
11.
Transmission d'un projet de loi
(p.
29
).
12.
Dépôt d'un rapport
(p.
30
).
13.
Ordre du jour
(p.
31
).
COMPTE RENDU INTÉGRAL
PRÉSIDENCE DE M. BERNARD ANGELS
vice-président
M. le président.
La séance est ouverte.
(La séance est ouverte à onze heures quinze.)
1
PROCÈS-VERBAL
M. le président.
Le compte rendu analytique de la précédente séance a été distribué.
Il n'y a pas d'observation ?...
Le procès-verbal est adopté sous les réserves d'usage.
2
MISE AU POINT AU SUJET D'UN VOTE
M. le président.
La parole est à M. Jacques Pelletier.
M. Jacques Pelletier.
Monsieur le président, notre collègue M. André Boyer a été déclaré cette nuit
comme votant contre le projet de loi constitutionnelle relatif à l'organisation
décentralisée de la République alors qu'il souhaitait s'abstenir.
M. le président.
Acte vous est donné de cette mise au point, mon cher collègue.
3
RÉORGANISATION DES COULOIRS AÉRIENS
EN ILE-DE-FRANCE
Discussion d'une question orale avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale avec débat n° 4.
M. Gérard Larcher demande à M. le ministre de l'équipement, des transports, du
logement, du tourisme et de la mer de lui indiquer quel est le bilan pouvant
être actuellement dressé de la réorganisation des couloirs aériens en
Ile-de-France. La période probatoire de ces modifications arrivant à échéance,
il souhaiterait savoir quelle évaluation en est faite. Dans l'hypothèse d'un
renoncement au projet de troisième aéroport, la redéfinition des couloirs
aériens d'une part, et le développement des plates-formes régionales d'autre
part, pourraient-ils constituer une réponse aux attentes des populations
survolées ? Il souhaiterait enfin savoir quelles sont aujourd'hui les
perspectives de retrait de l'exploitation des avions produisant les nuisances
sonores les plus importantes.
La parole est à M. Gérard Larcher, auteur de la question.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
commission des affaires économiques et du Plan se préoccupe depuis longtemps de
la question des nuisances sonores aéroportuaires. Son rapporteur pour avis,
Jean-François Le Grand, qui a été membre de la mission Douffiagues portant
notamment sur l'éventuelle création d'un troisième aéroport, connaît bien cette
question. Il a rappelé, il y a quelques jours encore, à quel point la
thématique des nuisances sonores pèse de façon croissante sur le développement
du transport aérien.
J'ai souhaité, monsieur le ministre, revenir sur ce dossier, car je suis
profondément convaincu, de longue date, que la question du bruit en général est
une préoccupation majeure de nos concitoyens, comme un sondage très récent l'a
d'ailleurs rappelé.
La nuisance, vous le savez, monsieur le ministre, ne se résume pas à un simple
indice de mesure physique : elle dépend aussi de facteurs psychologiques, en
fonction desquels le malaise physique est plus ou moins bien supporté. Or ce
qui rend la nuisance insupportable, c'est notamment le sentiment d'injustice,
voire de tromperie, ressenti par celui qui en est victime. De ce point de vue,
la mise en oeuvre de la nouvelle circulation aérienne en Ile-de-France est, à
tout le moins, contestable.
Je veux, en cet instant, saluer le travail que notre collègue Alain Gournac
mène depuis plus d'une année pour sensibiliser le ministère des transports à ce
sujet. Votre prédécesseur, M. Gayssot, en présentant cette réforme, a affirmé
qu'elle permettrait de diminuer l'exposition des populations aux bruits.
Aujourd'hui, les gains apparaissent bien maigres au regard des plaintes de plus
en plus pressantes des populations concernées. Le secrétaire d'Etat aux
transports, Dominique Bussereau, estimait dans cette enceinte vendredi dernier
que la réforme avait été menée « dans un simulacre de concertation ». Je ne
souhaite pas polémiquer sur le passé et je me tourne vers l'avenir, donc vers
le Gouvernement : monsieur le ministre, nous confirmez-vous aujourd'hui que
l'objectif global de réduction des nuisances n'est pas atteint ? C'est ce que
beaucoup d'entre nous ressentent sur le terrain, en discutant avec leurs
administrés, leurs voisins ou, tout simplement, en levant les yeux vers le
ciel.
Pouvez-vous nous dire quelle action le Gouvernement envisage pour remédier à
cette situation qui, ayons le courage de le dire, n'est pas satisfaisante ?
Le problème comporte en réalité deux aspects. Tout d'abord, les trajectoires
définies par Eurocontrol et mises en application depuis le 21 mars dernier
paraissent inégalement respectées par les avions. Les chiffres de vos services
ou ceux de l'autorité de contrôle des nuisances sonores aéroportuaires,
l'ACNUSA, font fréquemment état d'un taux de 20% de non-respect. Or
l'insuffisante précision des définitions de trajectoires rend difficile la
sanction de leur non-respect.
Vous aviez annoncé, monsieur le ministre, la mise en oeuvre de volumes de
protection environnementale avant la fin de l'année, afin de permettre un
meilleur contrôle et, le cas échéant, de réelles sanctions. Pouvez-vous nous
dire où en est le dossier au regard du respect des trajectoires définies et des
sanctions éventuelles ?
Le second aspect de la question concerne l'amélioration du dispositif. Au-delà
du respect des trajectoires existantes, je souhaite vous demander, monsieur le
ministre, dans quelle mesure les trajectoires peuvent être améliorées. Une
proposition revient constamment : le relèvement des trajectoires d'approche,
sur laquelle mon ami Alain Gournac m'a fourni toutes les explications.
Aujourd'hui, en matière de circulation aérienne en Ile-de-France, on considère
que les avions doivent descendre à 1200 pieds le plus tôt possible pour
atterrir.
Bien entendu, je ne méconnais pas les réalités techniques suivant lesquelles
un avion de ligne ne peut pas aborder sa descente sur l'aéroport avec une pente
de plus de 5%, sauf à remettre en cause la sécurité qui reste évidemment la
priorité absolue du transport aérien.
Sans vouloir abuser de chiffres, cela signifie concrètement que l'interception
de l'axe de descente de l'ILS,
Instrument Landing System
, doit se faire
selon les règles définies par l'Organisation de l'aviation civile international
- l'OACI - à 3000 pieds. Cependant, même avec ces contraintes de vol, des
progrès sont encore possibles. En raison du caractère technique de ces
questions, je ne prendrai ici que quelques exemples significatifs et,
pardonnez-moi, très yvelinois.
S'agissant de l'approche de la piste 7 d'Orly, les avions, lorsqu'ils
survolent Ablis, à la limite des régions Centre et d'Ile-de-France, sont à 3000
pieds. Or cette commune est à 25 milles nautiques de la piste. Avec une pente
de 5%, l'altitude théorique à l'entrée de la région d'Ile-de-France pourrait
être de 7500 pieds.
M. Alain Gournac.
Bien sûr !
M. Gérard Larcher.
Je dis théorique, parce que l'ILS n'est pas certifié pour des altitudes
supérieures à 5 000 pieds. Toutefois, il existe une marge de 1 000 ou 2 000
pieds, qui permettrait un gain extrêmement appréciable, de la région Centre,
particulièrement l'Eure-et-Loir, jusqu'à l'approche d'Orly.
Pour ce qui est de l'arrivée à Roissy en provenance du Sud-Ouest par vent
d'est, les avions amorçent leur descente finale au-dessus du charmant village
de Saint-Léger-en-Yvelines, au-dessus de la forêt de Rambouillet, et survolent
Thoiry à près de 4000 pieds avant de rester en palier à cette altitude sur
trente kilomètres ; je rappelle que Thoiry est à soixante kilomètres de la
piste 2 de Roissy ! Ne pourrait-on imaginer, monsieur le ministre, de
raccourcir ce palier inutilement long, ce qui permettrait d'améliorer la
situation de toutes les communes comprises entre Thoiry et Achères ?
Le dernier exemple frappant est celui de Saint-Arnoult-en-Yvelines, devenu,
depuis la réorganisation de mars dernier, un véritable carrefour à avions. Les
avions charters gros-porteurs qui décollent d'Orly face à l'ouest posent
notamment un problème. En effet, ils sont souvent anciens, à la limite de leurs
capacités techniques et donc particulièrement bruyants.
Ces exemples illustrent le nombre et la variété des situations. A ce titre, le
relèvement des trajectoires doit s'accompagner du retrait des avions les plus
bruyants. Où en sont, monsieur le ministre, les retraits d'exploitation de ces
avions ?
Vos services, monsieur le ministre, ont parfois semblé par le passé réticents
à l'idée du relèvement des trajectoires d'approche. Si l'on en croit les
spécialistes, elle n'est pourtant pas extravagante. Les habitants de l'Essonne
ont bien obtenu le relèvement des trajectoires de la piste 26 d'Orly par vent
d'est. Je crois qu'il s'agit surtout de moderniser notre conception même des
procédures d'approche.
Je voudrais rappeler qu'aux Etats-Unis ont été mis en oeuvre, il y a déjà
longtemps, des profils de descente qui permettent aux avions de ne pas
descendre trop tôt pour voler en palier. Ces profils de descente ont permis de
rendre acceptable le survol fréquent de villes comme Los Angeles ou San
Francisco. Les volumes de protection environnementale ne pourraient-ils pas
évoluer pour devenir de véritables profils d'approche contraignants ?
J'en viens au fond politique de ce dossier, c'est-à-dire à la transparence. Il
est de notre responsabilité d'élus de dire clairement que les avions devront
bien passer quelque part et pas toujours ailleurs que chez nous... Les
riverains survolés doivent obtenir des gages ! Tout ce que les techniques de
navigation aérienne et de construction aéronautique peuvent faire pour réduire
les nuisances doit être mis en oeuvre. Le retrait des avions les plus bruyants,
le relèvement des trajectoires d'approche et la sanction des infractions
permettront d'apaiser nos concitoyens qui sont au bord de perdre toute foi en
la puissance publique sur ce dossier. Or, le Premier ministre l'a dit, il est
important que les citoyens retrouvent confiance en l'Etat, sur ce dossier comme
sur d'autres, qu'il s'agisse de la sécurité ou des nuisances.
Je suis de ceux qui croient que l'on peut convaincre les gens d'accepter une
part de contrainte partagée au nom de l'intérêt général. Encore faut-il que le
fardeau soit justement réparti et qu'il soit inévitable. Je suis convaincu que,
sur ces deux points, l'Etat peut mieux faire.
J'en viens, monsieur le ministre, à la raison pour laquelle j'ai souhaité que
nous abordions ce dossier sous la forme d'une question orale avec débat. Je
crois le débat absolument indispensable sur cette question. Il est évident
qu'il ne peut exister, sur une telle question, de clivage partisan. Nous sommes
tous ici, quels que soient nos choix, confrontés à cette question de société.
Il est essentiel que le Parlement se saisisse du débat et puisse proposer des
solutions plus consensuelles.
J'ai noté, monsieur le ministre, que vous avez confié à la commission des
affaires économiques, de l'environnement et du territoire de l'Assemblée
nationale le soin de mener une réflexion sur la nécessité ou non d'un troisième
aéroport en région parisienne, mais je ne dis pas en Ile-de-France !
(Sourires.)
C'est un sujet sur lequel la commission des affaires économiques du Sénat
s'est exprimée depuis plus de six ans, notamment lors de deux débats sur
l'aménagement et le développement du territoire.
La commission avait alors fait part des très grandes réserves que ce dossier
lui inspirait, tant sur le plan environnemental que sur le plan économique ou
d'aménagement du territoire.
Les conclusions rendues par nos collègues de l'Assemblée nationale permettront
d'ouvrir un débat auquel le Sénat prendra toute sa part. Je me félicite,
monsieur le ministre, que vous ayez décidé d'associer le Parlement aux choix du
Gouvernement en cette matière. En outre, à l'occasion de la discussion des
conclusions de l'audit que le Premier ministre a demandé sur les
infrastructures, je ne doute pas que nous reviendrons sur ces sujets. Je pense
que le débat de ce matin est une étape importante dans le processus de
discussion entre nous. En conclusion, monsieur le ministre, avant de laisser
la place au débat, je voudrais insister sur le fait que la nécessaire
clarification de ce dossier ne sera pas un frein au trafic aérien, mais au
contraire la condition d'un développement harmonieux et sans à-coups. Ce
secteur emploie nombre de nos concitoyens, il génère une activité économique
appréciable, il mérite que soient définies des règles du jeu claires et
acceptées par tous. Je crois sincèrement que nous avons une marge pour
améliorer sensiblement la situation actuelle, qui n'est pas satisfaisante.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Alain Gournac.
M. Alain Gournac.
Je veux d'abord remercier notre collègue yvelinois Gérard Larcher de nous
permettre d'aborder ce dossier extrêmement important, sur lequel je travaille
depuis 1995.
Pourquoi suis-je venu à m'y intéresser ? Parce que sans aucune concertation
préalable, nous avons subi un beau jour un stockage d'avions au-dessus des
Yvelines pour permettre la descente progressive des avions sur les pistes
d'Orly : c'était, mais nous ne le savions pas encore, la route MOSUD. Alors,
parce qu'il le fallait bien, nous nous sommes battus.
On nous a d'abord dit qu'il était impossible d'interrompre la route MOSUD la
nuit, puis elle a été fermée du soir au matin. Ensuite, on est venu nous parler
d'un réorganisation. Nous avons joué le jeu et, en ce qui me concerne, j'ai
participé à toutes les réunions avec Eurocontrol. Mais c'est à un monologue que
nous avons assisté : après le préfet de région, fort intéressant, tous les
experts s'exprimaient, et, nous, nous nous taisions puisque l'on ne nous
donnait pas la parole.
Monsieur le ministre, c'est ce que j'appelle cela une fausse concertation !
En conclusion, on nous a dit qu'on allait obtenir des améliorations. Je suis
de l'avis de Gérard Larcher : il ne s'agit pas de dire que les avions doivent
passer chez les autres. Nous, nous sommes d'accord pour qu'ils passent
au-dessus de nous, mais qu'ils le fassent sans nuisances, et c'est possible.
Ces promesses d'amélioration, nous avons attendu un mois, deux mois qu'elles
se concrétisent. Quel que soit le sens du vent, nous nous sommes aperçus qu'il
n'y avait pas d'amélioration. Ce fut bien sûr une déception totale pour les
soixante et onze maires qui sont membres de mon comité, aujourd'hui devenu une
association, l'ACRENA, l'association des communes pour la réduction des
nuisances aériennes.
Nous aurions pu admettre que, peut-être, nous nous trompions, mais je
travaille avec l'ACNUSA, l'autorité de contrôle des nuisances sonores, dont je
suis membre et nous avons encore eu une réunion la semaine dernière. Or
l'ACNUSA peut vous confirmer que les altitudes et les couloirs ne sont pas
respectés. J'ai là ses conclusions, monsieur le ministre, je peux vous les
donner, mais vous les avez certainement !
M. Gérard Larcher disait que les chiffres de l'ACNUSA faisaient apparaître un
non-respect de la réglementation dans 20 % des cas. Cher Gérard Larcher, nous
avons parfois constaté des taux de 40 %, voire de 50 %, de non-respect !
Notre association, l'ACRENA, est pour l'avion, nous sommes nous-mêmes pour
l'avion et pour le développement de l'aviation en France, parce que nous
n'ignorons pas qu'elle a des concurrents, mais nous pensons que l'aviation en
France peut se développer dans le respect des populations. Monsieur le
ministre, on parle beaucoup des riverains. J'ai beaucoup de respect pour ces
derniers, mais parlons aussi des « survolés ».
Les Américains, qui ne sont tout de même pas les plus en retard dans ce
domaine, ont élevé l'altitude d'interception de l'axe ILS, solution évoquée par
Gérard Larcher. Comme j'ai pu le constater il y a un mois à Los Angeles, les
avions à l'approche sont les uns derrière les autres, mais il n'y a plus de
nuisances !
Relever le point ILS, donner une culture antibruit à nos pilotes, voilà ce
qu'il faut faire ! Le comité d'experts, comprenant pilotes, anciens pilotes et
contrôleurs aériens, qui était encore hier réuni ici même, nous disait qu'il
est tout à fait possible d'améliorer les choses, à condition, bien sûr, de
travailler sérieusement.
Il faut aller jusqu'à infliger des contraventions. Elles sont prévues par la
loi, mais à ce jour, pas un pilote n'a été verbalisé à ma connaissance et, s'il
y a un exemple, faites-le moi savoir, car le sujet m'intéresse !
Quant aux compagnies, on peut leur infliger des sanctions, mais encore faut-il
qu'elle les paient !
Monsieur le ministre, je reviens à la concertation. Ils n'est plus possible de
prétendre qu'il y a une véritable concertation quand, en face de nous, on s'en
tient au monologue. Il faut que la DGAC, et ADP, pour lesquels j'ai beaucoup de
respect, acceptent de nous écouter et de travailler avec nous.
Tous les jours, à minuit vingt-cinq, un avion nous réveille tous - y compris
d'ailleurs un pilote qui était là hier - mais, si je prends ma plume pour
écrire à ADP, on me répondra : monsieur Gournac, vous vous trompez, c'était
certainement une mobylette qui passait dans la rue !
(Sourires.)
Il est inacceptable que nous ne soyons respectés ni par la DGAC, ni par ADP.
Qu'on nous propose enfin quelque chose de positif !
Nous le répétons : les avions doivent passer et nous sommes favorables au
développement, mais dans le respect des survolés !
Vos services vous diront certainement que M. Alain Gournac s'exprime avec
outrance. Non, monsieur le ministre ! Je vous invite, avec beaucoup de
sympathie, car vous êtes une personnalité que j'estime, à venir voir si M.
Alain Gournac ment ! Les Yvelines, mon département - parce qu'il faut bien
prendre un exemple -, en ont assez !
Il y a eu, monsieur le ministre, une réunion publique dans ma salle des fêtes.
Il aurait fallu l'enregistrer ! La langue de bois !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Et les oreilles ouvertes !
M. Alain Gournac.
Les gens m'ont dit que ce n'était vraiment pas la peine de venir à ces
réunions.
Voilà, monsieur le ministre, ce qu'avec beaucoup de respect je voulais vous
dire.
J'ai beaucoup de respect pour la DGAC, pour ADP, pour les pilotes, pour les
aiguilleurs du ciel. Je souhaite que l'on en manifeste autant à l'égard des
victimes des nuisances aériennes.
Enfin, monsieur le ministre, voilà quelques mois j'ai demandé un rendez-vous à
votre cabinet. Je sais que vous êtes très occupé, mais mon association -
puisque nous avons été obligés de transformer en association notre comité, qui
n'était pas respecté - serait heureuse de vous rencontrer afin que l'on puisse
parler. Nous vous ferions des propositions, d'ailleurs homologuées par
l'ACNUSA, dont, je le répète, je suis membre.
Monsieur le ministre, je ne vous ai pas lu un discours académique que l'on
m'aurait préparé ; j'ai été direct, mais je crois que c'est ce que vous aimez !
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président.
La parole est à M. Denis Badré.
M. Denis Badré.
« Je serai Chateaubriand ou rien. » Vous aurez reconnu Victor Hugo. Je ne me
trompe pas de débat, mais je vous dois une explication. Cette citation, lue par
un des plus grands acteurs de la Comédie-Française à l'occasion d'un spectacle
organisé dans le cadre des cérémonies du bicentenaire de la naissance de Victor
Hugo, dans les jardins de la maison de Chateaubriand, à la Vallée-aux-Loups, a
été brutalement interrompue par un avion survolant le spectacle à basse
altitude.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Nous, c'est tous les jours comme cela !
M. Denis Badré.
Cela s'est produit à vingt reprises pendant la soirée,...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Comme chez nous !
M. Denis Badré.
... et, chaque fois, les acteurs étaient interrompus !
Ce n'est pas tolérable ! On ne tolère pas un portable dans une salle de
cinéma, comment admettre que des avions gâchent la soirée non seulement des
spectateurs venus passer une « agréable soirée », mais aussi les 500 000
personnes qui habitent autour de la Vallée-aux-Loups, alors qu'elles espéraient
profiter de quelques instants de repos réparateur, à la fin d'une soirée d'été,
toutes fenêtres ouvertes après une dure journée de travail.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Nous, on nous dit de fermer nos fenêtres !
M. Denis Badré.
C'est la réalité dans les Yvelines - Gérard Larcher et Alain Gournac le
disaient -, c'est aussi ce que nous vivons dans les Hauts-de-Seine. Nous sommes
en effet voisins.
Ce n'est plus admissible lorsqu'il s'agit de lignes régulières, d'autant qu'on
peut, manifestement, tenter de cerner le problème dans ce cas, mais ce n'est,
hélas ! pas le seul.
Dans un département comme le nôtre, nous subissons aussi les nuisances des
lignes non régulières : le fret et les cargos, qui connaissent encore moins que
les lignes régulières la différence entre le jour et la nuit, les avions
d'affaires qui décollent du Bourget, les avions militaires qui décollent de
Villacoublay, les hélicoptères qui partent d'Issy-les-Moulineaux sans respecter
les horaires ni les contraintes d'altitude.
C'est le « paysage » dans lequel nous vivons, et c'est pourquoi je remercie
tout particulièrement Gérard Larcher d'avoir provoqué notre débat de ce
jour.
Bien sûr, c'est une question passionnelle - vous le savez, monsieur le
ministre, mieux que quiconque, ou en tout cas beaucoup mieux que la plupart -
mais pourquoi est-elle passionnelle ?
Je crois que c'est parce qu'elle touche à la mondialisation. L'augmentation du
trafic aérien comme celle des échanges commerciaux sont des réalités
d'aujourd'hui auxquelles on ne peut pas s'opposer. Je serai d'ailleurs le
dernier à m'y opposer alors que j'ai beaucoup étudié la question de la
mondialisation et les conditions dans lesquelles le développement des relations
doit pouvoir se réaliser, mais, nous sommes nombreux à le dire, la
mondialisation doit être humanisée.
Et nous sommes bien là dans un domaine où la mondialisation doit être
humanisée : mondialisation, oui, augmentation des échanges, oui, mais pas au
prix de la sécurité ou de la santé de survolés passifs !
C'est passionnel aussi parce que nous touchons à l'environnement, à la
sécurité, à la santé, sujets auxquels, tous, nous sommes sensibles.
C'est passionnel encore parce que nous sommes dans un domaine où la
non-décentralisation fait des ravages. Dans un domaine aussi complexe, les
politiques n'osent pas réagir quand les experts - ceux qui savent - ont dit ce
qu'était la vérité et ce qu'était la solution.
Monsieur le ministre, nous attendons des spécialistes qu'ils dialoguent avec
nous, les politiques,...
M. Alain Gournac.
Tout à fait.
M. Denis Badré.
... pour que nous puissions jouer notre rôle. Que ceux qui savent ne nous
disent plus : voilà la solution, il n'y en a pas d'autre et il ne peut y en
avoir d'autre. Qu'ils essaient au contraire d'en imaginer d'autres afin que
nous puissions participer à un débat où des alternatives nous sont présentées,
au lieu d'une solution obligatoire, amendable à l'extrême marge, à condition de
ne pas aller trop loin.
Nous souhaitons participer au débat, nous sommes prêts à essayer de
comprendre, même si nous n'avons pas à la base les mêmes connaissances, la même
expérience, les mêmes capacités que ceux qui savent. C'est important pour
l'avenir.
C'est un sujet sensible du point de vue de la décentralisation, car, dans un
beau pays centralisé comme le nôtre, on conçoit mal qu'un long-courrier décolle
d'ailleurs que de Paris. Pour le long-courrier, la France égale Paris. Ce n'est
pas le cas dans d'autres pays du monde.
C'est un sujet sensible puisque, quand on commence à se dire qu'il faudrait
tout de même essayer, non pas de décentraliser, mais de « desserrer » un peu,
dans le meilleur des cas, on va à 120 kilomètres de Paris, par exemple, à
Chaulnes ou à Beauvilliers, mais on n'y va qu'une fois ! On s'aperçoit en effet
qu'il n'est pas très facile pour des passagers en correspondance d'aller de
Beauvilliers à Roissy parce qu'il faut traverser Paris et qu'à certains moments
de la journée, cela prend trois heures, ce qui signifie qu'on n'aura pas la
correspondance. Alors, on va à Chaulnes et, dans cinq ans, on ira peut-être
ailleurs. On parle de Vatry. On dit que Vatry ne serait pas une mauvaise
solution pour le fret,...
M. Gérard Larcher.
Notre collègue François Gerbaud, lui, est pour Châteauroux-Déols !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Ou Chartres !
M. Denis Badré.
... mais les experts disent alors que l'on ne peut pas dissocier le fret du
trafic voyageurs.
Arrêtons de dire
a priori
qu'une solution est impossible. Le sujet est
suffisamment grave pour que l'on n'élude aucune question, aucune suggestion, au
motif que ce serait impossible. Je demande que l'on étudie toutes les
solutions. Que l'on arrête de me dire que le fret ne peut pas être localisé à
Vatry au prétexte que le fret ne peut être dissocié du trafic voyageurs.
Je pense que, dans une certaine mesure, on pourrait le faire, mais il faut que
les experts acceptent un vrai dialogue avec nous sur ce sujet !
Si l'on veut décentraliser, n'allons pas à 120 kilomètres de Paris. Chaulnes
est une solution qui n'en est pas une parce que c'est à la fois trop loin et
pas assez loin de Paris pour que l'on puisse vraiment parler de
décentralisation. Etudions la possibilité de développer Satolas, Nantes, Lille
: pour Lille, faisons-le en concertation avec les Britanniques et les Belges,
pour Satolas, faisons-le en concertation avec les Helvètes !
Si l'on a fait un TGV pour relier Lyon à Roissy, ce n'est peut-être pas
uniquement pour que les Lyonnais puissent prendre un long-courrier à Paris,
c'est peut-être aussi pour que les Parisiens puissent prendre un long-courrier
à Satolas. Pourquoi pas ? Une heure de TGV en plus, ce n'est pas un drame,
comparé aux deux heures de trajet que l'on est prêt à imposer aux voyageurs
pour aller à Beauvilliers.
Sur toutes ces questions, il faut reprendre la réflexion de manière
dépassionnée et ouverte.
Au-delà des problèmes d'infrastructures et de choix des implantations pour les
aéroports, il y a aussi des problèmes de gestion, qui ont déjà été largement
évoqués par Gérard Larcher et Alain Gournac, et sur lesquels je reviendrai dans
un instant.
Quant au bruit des avions, il faut que nos constructeurs intensifient leurs
travaux pour se positionner à l'avenir de façon concurrentielle à travers le
monde.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il faut des crédits pour la recherche !
M. Denis Badré.
De toute façon, dans vingt ans, on exigera des avions moins bruyants. Que nos
constructeurs polarisent leurs recherches sur ce point ! Cela ne sera pas un
mauvais investissement pour eux et, à l'évidence, il sera profitable aux
survolés.
Quant aux couloirs aériens, ce sont des infrastructures de transport comme les
autres. On impose une enquête publique pour la définition du tracé d'un TGV.
Pourquoi n'impose-t-on pas une enquête publique pour les couloirs aériens ? Ils
provoquent les mêmes nuisances et ils ont autant de conséquences sur
l'environnement qu'une ligne de TGV. Les mêmes procédures devraient donc être
retenues.
Il faut raisonner en termes de prospective et prendre dès maintenant en compte
le fait que des redéploiements interviendront entre les différents modes de
transport. Dans ce cadre, le trafic aérien sera amené à se développer : on
parle d'un doublement d'ici à 2015. Il est donc de la responsabilité du
personnel politique d'intégrer dès maintenant cet élément à la réflexion.
En ce qui concerne l'utilisation des couloirs, je demande avant toute chose
que ceux-ci soient respectés. On dit qu'ils ne le sont pas ; je ne veux pas
ajouter foi à des racontars, mais le fait que de telles rumeurs circulent
signifie que les gens sont exaspérés et qu'ils veulent à tout prix démontrer
que le dispositif ne fonctionne pas. En tout état de cause, monsieur le
ministre, je souhaite que vous fassiez respecter strictement les couloirs
aériens et que les accords qui ont pu être conclus soient appliqués.
En outre, il convient également de faire respecter le couvre-feu, monsieur le
ministre. Il n'est pas admissible que les avions de la postale volent
impunément à toute heure du jour et de la nuit à basse altitude ou que les
militaires soient dispensés d'observer le couvre-feu.
Tout cela relève d'une logique d'ensemble, et nous ne pouvons éluder aucun
aspect de ce débat, qu'il s'agisse du choix des infrastructures ou du mode de
gestion des couloirs et des procédures.
Je conclurai mon propos en m'exprimant sur la situation dans les
Hauts-de-Seine, département qui est concerné par la mise en place de nouveaux
couloirs visant à désengorger les phases d'approche encombrées au nord-ouest de
Roissy et à modifier les accès à Orly. L'organisme indépendant Eurocontrol -
European Organization for the Safety of Air Navigation
- a travaillé sur
toutes les questions relatives à Orly ; nous demandons que le même travail soit
accompli, de manière aussi approfondie, pour Roissy et, si possible, pour Le
Bourget et les autres aéroports que j'ai cités tout à l'heure.
Je n'évoque pas ici, naturellement, des solutions extrêmes, parce que nous
sommes réalistes et que nous voulons participer à l'élaboration de vraies
réponses. Gérard Larcher l'a dit, nous ne sommes bien sûr pas opposés par
principe au trafic aérien : il faut que Paris soit desservi, et nous ne sommes
pas des adeptes du NIMBY, le
« not in my backyard ».
Si nous voulons
pouvoir prendre l'avion, il ne faut pas que nous soyons contraints d'effectuer
de trop longs déplacements pour rejoindre un aéroport. Cela étant, nous
souhaitons que tout se passe dans de bonnes conditions.
A cet égard, je rappelle que, en 1945, dans un contexte où prévalaient des
objectifs de sécurité et de défense, on a interdit le survol de Paris. Or cette
interdiction n'est pas toujours respectée, et j'aimerais savoir pourquoi et
dans quelles conditions. Si cette interdiction était décidée aujourd'hui, je
pense d'ailleurs que l'on exclurait également le survol de la petite couronne.
Les attentats du 11 septembre 2001 doivent nous rendre sensibles au fait que
les tours de La Défense abritent de très nombreuses personnes et constituent un
enjeu vital pour le pays. Si l'on a pu prendre, en 1945, une décision aussi
radicale que l'interdiction totale du survol de Paris, nous devons pouvoir
aujourd'hui rouvrir le débat à propos du survol de la petite couronne et de
l'ensemble de la région d'Ile-de-France.
Monsieur le ministre, c'est un peu dans cet esprit que les maires des
Hauts-de-Seine souhaitent que vous veniez les rencontrer. En effet, comme l'ont
souligné les orateurs qui m'ont précédé, l'exaspération monte. Nous avons
confiance en vous, nous attendons que vous engagiez un véritable dialogue,
auquel seraient associés les experts, ceux qui savent et que nous ne demandons
qu'à croire mais avec lesquels nous voulons échanger en vue de bâtir des
solutions qui nous permettront de faire en sorte que la mondialisation, que
nous ne rejetons pas, bien sûr, soit humanisée. Elle ne doit pas être réalisée
au détriment d'un certain nombre de « mondialisés » passifs.
Monsieur le ministre, je sais que vous viendrez à notre rencontre ; nous vous
faisons confiance. Nous souhaitons aborder ce dialogue, comme le débat
d'aujourd'hui, dans l'esprit le plus constructif, celui dans lequel le groupe
de l'Union centriste, auquel j'appartiens, a toujours travaillé avec vous et
souhaite continuer de le faire, afin que nous puissions participer à la
définition de vraies solutions à un vrai problème.
(Applaudissements sur les
travées de l'UMP.)
M. le président.
La parole est à Mme Claire-Lise Campion.
Mme Claire-Lise Campion.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la question
posée par notre collègue des Yvelines, M. Gérard Larcher, me donne l'occasion
d'exprimer les inquiétudes des populations face à l'accroissement des nuisances
aériennes. Comme lui et comme M. Alain Gournac, je suis, depuis plus de deux
années, très attentive à ce dossier de la réorganisation de la circulation
aérienne en Ile-de-France, et ce à plusieurs titres : tout d'abord, en tant que
maire d'une petite commune de la vallée de la Juine, située au sud du
département de l'Essonne, puis comme conseillère générale, et enfin, bien sûr,
en tant que parlementaire représentant le département de l'Essonne au sein de
la Haute Assemblée.
Dans le cadre de mes mandats, j'ai été sollicitée par les habitants, les
riverains, les associations, mais aussi par mes collègues élus, pour faire
entendre leurs voix.
Aujourd'hui, force est de constater que nous avons peut-être été écoutés, mais
certainement pas entendus, et guère plus hier qu'aujourd'hui ! Je crois utile,
afin que chacun se fasse une idée exacte de cette affaire, de revenir quelques
instants sur l'historique de ce dossier.
A l'été 2000, à la faveur d'une révélation parue dans la presse, les habitants
de l'Ile-de-France ont découvert le projet de la Direction générale de
l'aviation civile, tenu secret jusque-là et élaboré dans l'opacité la plus
totale, d'ouvrir un nouveau couloir de circulation aérienne au sud de la région
parisienne, afin de dégager un espace pour desservir les nouvelles pistes de
l'aéroport de Roissy.
En fait, plus précisément, la DGAC avait décidé d'octroyer à Roissy un couloir
desservant l'aéroport d'Orly, d'où la nécessité pour celui-ci de disposer d'une
nouvelle voie d'accès !
Sommée de s'expliquer, la DGAC a alors révélé son projet : un couloir
sensiblement parallèle à celui « offert » à Roissy, débutant dans les Yvelines,
survolant l'Essonne en son centre, tournant en Seine-et-Marne et débouchant
dans le Val-de-Marne en direction d'Orly.
On comprendra la stupeur des Franciliens, mais aussi leur colère, à l'idée
d'être survolés quotidiennement par plus de 300 avions supplémentaires.
De pétitions en réunions publiques, de campagnes d'information en
manifestations, les populations ont réussi à en savoir davantage, et surtout
elles ont convaincu l'Etat de les entendre
via
une consultation
organisée par la préfecture de région au sein des commissions consultatives de
l'environnement.
Formées petit à petit sur des questions qu'elles ignoraient jusque-là,
soutenues par des associations de défense de l'environnement et du cadre de
vie, relayées par leurs élus, ces populations ont fait part de leurs
inquiétudes et de leurs souhaits légitimes de voir les nuisances sonores et la
pollution réduites au minimum.
Avec amertume, pleines de regrets, elles ont fini par comprendre la nécessité
de cette réorganisation de la circulation aérienne en Ile-de-France, même s'il
est toujours révoltant d'apprendre d'une administration que votre département,
en l'occurrence l'Essonne, a été choisi pour supporter « le gros » du couloir,
car c'est le territoire le plus « vierge » de l'Ile-de-France et le moins
habité ! Je précise cependant au passage que ce point ne serait pas confirmé
par les premières conclusions du rapport de l'ACNUSA présentées la semaine
dernière.
Je tiens à rappeler ici que la création de l'Autorité de contrôle des
nuisances aéroportuaires répond à une volonté politique forte exprimée par le
gouvernement de Lionel Jospin au travers de la loi du 19 juillet 1999. A
l'époque, le gouvernement et le Parlement avaient souhaité que soient
instaurées, avec la création de cette autorité, les conditions nécessaires à la
concertation et à l'arbitrage en ce qui concerne le transport aérien. Ces
conditions sont fondées sur l'écoute, le dialogue, la transparence des
informations et l'impartialité. Pour le bien-être de nos concitoyens, il ne
faudrait pas que ces objectifs soient perdus de vue.
J'en reviens maintenant à la nouvelle réorganisation aérienne en
Ile-de-France, qui fait l'objet de mon intervention. Après plus d'une année de
combat, par solidarité avec ceux qui étaient déjà durement touchés par les
nuisances aéroportuaires, faisant contre mauvaise fortune bon coeur, les
populations se sont senties rassurées : elles ont en effet obtenu de l'Etat des
garanties quant à l'altitude minimale de survol des villes et au respect, par
les compagnies aériennes et les contrôleurs aériens, des trajectoires arrêtées
après la concertation et les études menées par un organisme indépendant,
Eurocontrol.
Rien ne serait jamais plus comme avant, mais du moins le sentiment d'avoir été
écoutés, l'espoir d'avoir été entendus et l'assurance que les engagements
seraient tenus, et par la DGAC et par Aéroports de Paris, permettaient, si
j'ose dire, de mieux faire « passer la pilule ».
Mais quelle n'a pas été la déception après le 21 mars 2002, jour de l'entrée
en vigueur des nouvelles procédures aériennes en Ile-de-France ! Le réveil fut
brutal !
Du jour au lendemain, chacun a eu le sentiment que les belles garanties
obtenues à l'arraché s'envolaient en fumée dans le sillage des premiers avions
empruntant les nouveaux couloirs d'atterrissage pour Orly.
En effet, les avions passaient là où on ne les attendait pas, à des hauteurs
nettement inférieures à celles qui avaient été indiquées par la DGAC. Les
nuisances sonores s'en trouvaient aggravées, les procédures annoncées n'étant
respectées, selon nous, qu'à concurrence de 70 %.
A cela s'ajoutait le sentiment de vivre un véritable cauchemar kafkaïen : aux
interrogations répétées des habitants, des associations et des élus, la maison
de l'environnement d'Orly ou la DGAC apportaient des réponses floues ou
totalement angoissantes. Comment ressentir les choses autrement quand il vous
est répondu que, au jour indiqué, à l'heure précisée et à l'endroit mentionné,
aucun passage d'avion n'a été recensé ? En d'autres termes, quand nos
concitoyens voyaient des avions, ADP et la DGAC rétorquaient que le ciel était
vide.
Ce sera finalement grâce aux réunions de travail organisées par l'ACNUSA que
la vérité, que nous étions nombreux à soupçonner, sera révélée par bribes par
la DGAC.
Non, les avions ne respectaient pas les couloirs ! Non, ils ne volaient pas
aux altitudes annoncées ! Oui, ils survolaient des communes qu'ils n'auraient
pas dû survoler ! Oui, de nouvelles nuisances étaient créées par cette
réorganisation aérienne !
Tout cela fut révélé six mois après la mise en service du nouveau couloir,
tout cela fut décidé au nom de la sécurité, du respect de ce fameux principe de
précaution, un peu trop facilement invoqué, qui amène parfois à dire et à faire
n'importe quoi, au mépris de nos administrés !
Dans ces conditions, il est du devoir des élus de relayer la colère des
populations et d'exiger des explications. En effet, c'est aussi au nom de ce
principe de sécurité que des élus français ont été délibérément tenus dans
l'ignorance par l'administration !
Comment accepter sans broncher d'apprendre, lors d'une réunion organisée à
l'ACNUSA, le 25 juin dernier, soit trois mois après la mise en service du
nouveau couloir « Eurocontrol », que, alors que la DGAC avait donné l'assurance
que les avions survoleraient l'Essonne à 3 300 mètres d'altitude, ceux-ci
volaient en fait à 2 840 mètres ?
Comment ne pas s'estimer délibérément trompé quand on découvre, après coup,
les effets de l'ouverture du nouveau couloir ? Je n'en mentionnerai que deux :
d'une part, les avions décollant en direction du Sud volent plus bas que prévu
car ils sont obligés de passer sous le nouveau couloir d'arrivée ; d'autre
part, le couloir d'arrivée face à l'Est a été abaissé ; alors que des
engagements contraires avaient été pris par l'administration. Dans tous les
cas, les populations et les communes survolées subissent des nuisances sonores
supplémentaires, ainsi qu'une dégradation de leur environnement et de leur
cadre de vie. Et cela, sans aucune compensation !
En effet, tant que des décrets n'auront pas été pris, aucune sanction ne
pourra être appliquée aux contrevenants. Or, si des amendes étaient infligées,
cela permettrait au moins d'abonder un fonds destiné à aider les riverains
contraints de mieux insonoriser leurs maisons. Il est donc urgent que le
Gouvernement intervienne par la prise de décrets que tous les élus, toutes les
associations, tous les riverains des aéroports et toutes les populations
survolées attendent.
Des mesures existent déjà, mais elles ne concernent que les communes
mentionnées dans les plans de gêne sonore et les plans d'exposition au bruit,
élaborés autour des aéroports. Or j'évoque aujourd'hui des localités et des
communes situées à plus de vingt kilomètres d'Orly, pour ce qui concerne le
département de l'Essonne, et qui ne bénéficient d'aucune compensation
financière liée à l'activité aéroportuaire.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré à l'Assemblée nationale, le 24 octobre
dernier, lors de l'examen du projet de budget de votre ministère, que les vols
ne respectant pas des volumes de protection environnementale mis en place
pourront être sanctionnés. Cela constitue, de fait, une avancée. Il est
toutefois dommage et inquiétant que, lors de la réunion de la commission
consultative de l'environnement d'Orly, le lundi 2 décembre dernier, on ait
enregistré seulement quatorze votes en faveur de ces volumes, tandis que l'on
dénombrait treize votes contre et dix abstentions !
Il est également dommage qu'ils ne répondent pas aux mêmes critères techniques
que ceux qui existent à l'étranger. Un alignement représenterait un véritable
progrès pour notre pays et pour tous les riverains des aéroports. En France, en
effet, les avions, amorcent leur descente à soixante kilomètres de l'aéroport,
donc bien avant d'intercepter le point ILS de ce dernier.
M. Gérard Larcher.
Oui !
Mme Claire-Lise Campion.
A l'étranger, ce palier est beaucoup plus proche de l'aéroport, et les
nuisances sonores sont donc moins importantes. Espérons que les recommandations
à venir de l'ACNUSA seront prises en compte sur ce point. En effet, il est
proprement scandaleux et indigne de notre pays, de notre démocratie, que des
élus, des citoyens soient ainsi volontairement maintenus dans l'ignorance et,
pire encore, ignorés.
Il est tout aussi scandaleux que les communes aujourd'hui directement
concernées par la nouvelle organisation de la circulation aérienne en
Ile-de-France ne soient toujours pas autorisées à siéger au sein de la
commission consultative de l'environnement d'Orly, en dépit de mes demandes
réitérées et de celles de mes collègues maires. Il est inacceptable que le
Gouvernement n'entende pas cette demande, somme toute légitime de la part
d'élus de communes survolées.
Que faire, dans ces conditions ? Vous alerter, vous saisir, monsieur le
ministre, comme je l'ai déjà fait à deux reprises sans, hélas ! avoir jusqu'à
présent reçu la moindre réponse. Je m'adresse donc de nouveau à vous, espérant
cette fois être entendue !
Le 24 octobre dernier, vous avez aussi annoncé, s'agissant du secteur aérien,
un plan de développement durable pour les aéroports parisiens, visant à
combattre les nuisances sonores nocturnes et à limiter globalement la gêne
sonore. Pouvez-vous nous confirmer les engagements de l'Etat en ce sens et nous
donner plus d'éléments sur ce projet ? Concrètement, quelles actions allez-vous
engager pour les populations victimes des nuisances aéroportuaires ? Elle ne
peuvent plus aujourd'hui se contenter d'effets d'annonce. Elles n'attendent
plus de belles paroles, elles veulent des actions réelles et concrètes. Il nous
faut des actes !
Vous avez ajouté que le retrait des avions les plus bruyants du chapitre 3
serait mis en place en 2003. Pouvez-vous nous le confirmer, et confirmer
l'engagement de la France d'interdire le survol de notre pays par les avions
les plus bruyants et les plus polluants, ceux qui relèvent du chapitre 2, comme
de nombreux pays l'ont déjà fait ?
En effet, les populations ont besoin de savoir, d'avoir l'assurance que ce qui
a été promis sera tenu. Elles ne peuvent plus se contenter de promesses. Elles
veulent des certitudes. D'autant plus aujourd'hui, alors qu'on leur annonce une
réorganisation du couloir de départ face à l'est d'Orly et que le dossier du
troisième aéroport parisien est de nouveau remis sur le métier, comme nos
collègues viennent de le préciser.
A cet égard, j'évoquerai à nouveau le département de l'Essonne, qui est
directement concerné. En 1996, M. Alain Juppé, alors Premier ministre, avait
retenu le site de Beauvilliers, en Eure-et-Loir, qui n'est situé qu'à quelques
encâblures de l'Essonne, avant que le choix du lieu d'implantation soit remis
en question.
Cet été, vous avez décidé de relancer la consultation, monsieur le ministre,
et d'annuler le choix de Chaulnes, qui avait été retenu en 2002.
Les habitants de l'Essonne, sachez-le, n'accepteront pas d'être, une nouvelle
fois, sacrifiés sur l'autel du développement de l'activité aéroportuaire.
En tant que sénatrice, je vous rappelle mon regret que la mission
d'information parlementaire que vous avez mise en place sur ce sujet n'ait pas
été ouverte aux membres de la Haute Assemblée. Ceux-ci étant les représentants
directs des collectivités locales au sein du Parlement, il m'avait paru
indispensable de ne pas les exclure de cette réflexion, d'autant plus que
certains d'entre eux ont déjà participé à la concertation qui avait été lancée
sur le sujet en 2001.
En tant que membre de la Haute Assemblée, je vous ai écrit, le 26 juillet
dernier, pour vous faire part de ma surprise sur la composition de cette
commission. Je n'ai pas encore reçu de réponse. J'en suis réduite à penser que
le Gouvernement ne prend pas suffisamment en compte notre demande.
Monsieur le ministre, sur toutes ces interrogations, qui sont légitimes et
fondées, les habitants et les élus de mon département, l'Essonne, comme
l'ensemble des autres habitants et élus d'Ile-de-France, attendent des
réponses, mais aussi des actes du Gouvernement. J'espère qu'ils ne seront pas
déçus !
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et sur certaines
travées de l'UMP.)
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Claude Beaudeau.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Je me félicite de ce débat et je vous remercie, monsieur Gérard Larcher, de
cette question orale avec débat sur la réorganisation des couloirs aériens en
Ile-de-France. Antérieurement, vous aviez déposé une question écrite dans
laquelle vous vous « interrogiez, en particulier, sur la mesure des impacts
environnementaux et leurs effets positifs et négatifs sur les différentes aires
géographiques concernées, ainsi que sur le respect effectif de la remontée des
trajectoires d'arrivée ».
Le texte de votre question orale est moins précis,...
M. Gérard Larcher.
Volontairement !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
... moins expressif, puisque vous souhaitez simplement savoir quelle
évaluation est faite de la réorganisation de ces couloirs aériens.
J'interprète cependant votre propos d'ensemble non pas comme une simple
interrogation, mais plutôt comme une condamnation des couloirs aériens mis en
place depuis mars 2001. Ai-je raison ?
Je voudrais également noter la prise de position récente du secrétaire d'Etat
M. Dominique Bussereau, le vendredi 6 décembre, lors de l'examen du budget
annexe de l'aviation civile, aux termes de laquelle la création de ces couloirs
est une erreur et ils n'ont pas fait l'objet de la concertation préalable
nécessaire et d'études d'impact suffisantes. « Ces couloirs doivent être revus
», a-t-il dit à cette tribune.
Il apparaît également que, depuis leur mise en place, ces couloirs suscitent
de la part des riverains de l'Essonne, des Yvelines, du Val-d'Oise, de
Seine-Saint-Denis et de Seine-et-Marne, une réprobation unanime, qui s'exprime
notamment par des manifestations de rue, que le groupe communiste républicain
et citoyen soutient et auxquelles les élus communistes républicains et citoyens
participent.
Selon nous, le décor est planté. Ces « couloirs » doivent être abandonnés.
Cette idée grandit. La presse à grand tirage fait état de cette nécessité.
Aujourd'hui, nous voudrions vous faire part de nos raisons de nous opposer,
nous aussi, aux couloirs aériens. Nous considérons ces couloirs comme étant des
éléments d'un ensemble beaucoup plus important : l'évolution du trafic aérien
sur le plan national et francilien.
Au cours de l'année 2001, malgré le passage à vide de septembre 2000, le
trafic a progressé en France, beaucoup plus d'ailleurs pour le fret que pour
les passagers. L'ensemble des liaisons a progressé et continue à progresser en
Ile-de-France, mais aussi en province. A Bordeaux, en octobre 2002, le nombre
de passagers s'est accru de 8,4 % par rapport à 2000.
A Roissy, le nombre de passagers a augmenté de près de 2 % par rapport à 2001,
au cours des mois de juin et juillet, avec un peu plus de neuf millions de
passagers. Pour Limoges, le trafic a bondi de 1 % sur les dix premiers mois de
l'année. On pourrait citer d'autres plates-formes. Aéroports de Paris n'échappe
pas à cette évolution, même si 2001 n'a pas été une très bonne année pour
Orly.
Sur le plan francilien, c'est surtout le fret qui progresse - 7 % - conduisant
bientôt à un monopole dans ce domaine, monopole contraire au développement des
activités économiques sur le plan national et à toute idée de décentralisation
et d'aménagement des régions et du territoire. Un aéroport comme celui de
Vatry, neuf et construit avec des fonds publics, pourrait satisfaire le besoin
de fret supplémentaire de l'Ile-de-France.
Au cours de la prochaine décennie, selon Aéroports de Paris, la progression
moyenne annuelle s'élèvera à 2 % pour les passagers et à 7 % pour le fret.
L'aéroport d'Orly a atteint son niveau de saturation. L'aéroport de Roissy est
près d'atteindre le sien, avec 55 millions de passagers.
Pour un gouvernement ayant aussi à gérer la France de demain, quelle est la
réponse possible ? Accroître le trafic à Orly et à Roissy ou créer un nouvel
aéroport, décentraliser et répartir le trafic ?
Il n'est pas d'autre solution. La meilleure preuve en est que je défends un
troisième aéroport et que M. Le Grand, lors du débat sur la navigation
aérienne, a prétendu que l'on peut accroître de beaucoup le trafic de Roissy,
allant peut-être jusqu'à rêver à de nouvelles pistes, en théorie possibles, et
pour Orly à envisager un trafic au-delà de 250 000 mouvements annuels, et même
peut-être le retour aux vols « nocturnes ».
Monsieur le ministre, vous avez été dans cette voie de façon beaucoup plus
nuancée, j'en conviens, mais de façon certaine, puisque vous affirmez que l'on
peut encore accueillir un trafic supplémentaire. Je vous le dis : si vous vous
obstinez dans cette voie, vous ne défendez pas le progrès en matière de
développement de l'aviation civile, vous le compromettez. Pourquoi ?
Développer le trafic d'Aéroports de Paris, c'est, bien entendu, développer les
nuisances, c'est un signe nouveau et reconnu. Le colloque auquel vous avez
participé le 21 novembre dernier, organisé notamment par Avenir et transports,
a démontré les enjeux et les bienfaits de la décentralisation du système
aéroportuaire. A Cannes, lors du 11e colloque Airlines Forum, l'idée d'une
mutation profonde du transport aérien a été largement débattue.
Je vous le dis, monsieur le ministre, le transport aérien ne se développera
qu'en réconciliant l'avion en haut et la vie des populations riveraines en
bas.
Je décrirai non pas le problème du bruit - il est connu - mais le problème,
plus émergent, de la pollution, avec des taux parfois impressionnnants de
dioxyde d'azote ou de carbone, qui, combiné avec le problème de la circulation
automobile, devient inquiétant. Airparif publie désormais ces taux et je vous y
renvoie, mais je suis sûre que vous les connaissez. Cette situation touche la
santé publique. Les études épidémiologiques que l'on commence à mener font état
d'une apparition de maladies allergiques, d'emphysème, notamment d'asthme,
d'angoisse, voire de dérèglements psychologiques.
Dans mon département, le Val-d'Oise, un de vos amis politiques, le docteur
Enjalbert, maire de Saint-Prix et conseiller général, a publié des études
probantes et inquiétantes qui vont dans le même sens.
Choisir le développement du trafic aérien d'Aéroports de Paris, c'est aussi
compliquer la circulation routière qui, dans le secteur de Roissy et d'Orly,
conduit à un embouteillage permanent que s'efforcent d'ailleurs de contourner
parfois les véhicules ministériels équipés d'un gyrophare.
(Sourires.)
Une heure et demie entre Sarcelles, où j'habite, et le Sénat, c'est le temps du
trajet quotidien par l'autoroute A1, que vous connaissez bien, monsieur le
ministre. Il n'y a pas si longtemps, la durée était de trois quarts d'heure.
Choisir le développement de Roissy et d'Orly, c'est aussi développer les
contraintes d'urbanisme, de réhabilitation, notamment des parties plus
anciennes des villes et des villages, et de la plupart des bourgs anciens de la
Plaine de France. M. Pons, alors ministre, s'en était ému et avait décidé de
mettre en place une « mission Roissy » sur le devenir de ces bourgs, soit une
bonne quinzaine dans mon département.
Une étude remarquable a été conduite, mais elle est restée sans lendemain car
aucune suite ne lui a été donnée par des financements appropriés.
Si l'extension du trafic a lieu, des plans d'exposition au bruit, PEB, de plus
en plus envahissants compromettront l'équilibre de régions entières.
Comment pourrons-nous alors répondre aux besoins croissants d'insonorisation
de l'habitat alors que l'Agence de l'environnement et de la maîtrise de
l'énergie, l'ADEME, voit ses crédits diminués de 10 % pour l'année 2003 ?
Actuellement, des villes comme Garges-lès-Gonesse et Sarcelles sont toujours
en dehors du plan de gêne sonore, alors qu'elles sont situées en pleine zone de
nuisance.
Ne parlons pas de risques accrus en pleine zone urbanisée en termes de
sécurité aérienne. Malheureusement, l'actualité nous démontre que l'accident se
produit. Pour ma part, j'ai compté au moins cinq accidents graves, autour de
Roissy, du bombardier américain B-52 au Concorde plus récemment.
Vous pourriez penser et me dire, mes chers collègues, que je suis hors sujet.
Non, je suis au coeur du sujet. Pourquoi ?
Le couloir aérien, puisqu'il faut l'appeler par son nom, est né du refus du
troisième aéroport et des contraintes nouvelles de l'accroissement du
trafic.
Pour permettre à un plus grand nombre d'avions d'atterrir et de décoller, il
faut de nouvelles trajectoires, d'où la théorie des couloirs mis en place.
C'est la théorie du parallélisme qui fait, par exemple, qu'une nouvelle piste
parallèle à celle de Roissy a été construite pour suppléer cette transversale.
C'est la théorie de l'utilisation d'espaces jusqu'alors vierges ou peu touchés
par les circulations aériennes, comme la partie sud des Yvelines, Rambouillet,
Dourdan, Etampes,Marcoussis, Brétigny et même Corbeil, dont mes collègues
viennent de parler. C'est aussi la théorie du renforcement.
Lors d'une réunion de concertation, n'a-t-on pas entendu un responsable
d'Aéroports de Paris dire à un élu : « Votre commune est moins peuplée, c'est
normal que plus d'avions vous survolent. »
Les effets se font sentir en Seine-Saint-Denis, dans la vallée de Montmorency,
dans la Plaine de France, du fait de l'abandon de Creil comme pôle d'entrée des
mouvements, pour la façade ouest. Et tout cela, je vous le dis, monsieur le
ministre, même si vous n'en n'êtes pas responsable, sans aucune concertation
!
Le quadrillage du ciel francilien est en marche, avec les couloirs. Mais le
couloir n'est déjà plus suffisant. Ainsi, les volumes de protection de
l'environnement, les fameux VPE, sont venus l'enrichir. Les avions devront
rester à l'intérieur des volumes, sous-ensembles des couloirs, tant au
décollage qu'à l'atterrissage. Tout vol sera contrôlé et, s'il s'éloigne à
l'extérieur des limites fixées, il pourra faire l'objet d'une saisine de la
Commission nationale de prévention des nuisances en vue d'une éventuelle
sanction. Un arrêté ministériel pour Roissy et pour Orly est en préparation -
peut-être est-il paru ? -, afin de créer de tels volumes au départ. Un esprit
naïf ou peu averti pourrait considérer qu'il s'agit là d'une mesure de
protection de l'environnement. Dans les faits, mes chers collègues, il s'agit
de permettre au plus grand nombre d'avions possible de se poser et de
décoller.
Monsieur le ministre, vous avez déclaré le 25 juillet dernier : « Les nouveaux
couloirs doivent respecter les volumes de protection environnementale. Il faut
les définir avec précision puis les imposer aux exploitants. La procédure
respect des couloirs avec sanctions sera mise en place dès cet automne. »
Ainsi, les VPE calés dans les couloirs conduiront à une occupation potentielle
et opérationnelle des mouvements d'avions rationalisée, contrôlée, dans un
système fermé et efficace. Un véritable quadrillage est donc mis en place.
Résumons-nous : les couloirs aériens en mars, les volumes de protection de
l'environnement annoncés en juillet, les décrets sur ces volumes maintenant.
Ainsi, le nombre de mouvements pourra augmenter, avec la possibilité de
concentrer les nuisances ou l'absence de nuisances dans des régions
déterminées, voire sélectionnées.
Que restait-il pour parfaire un tel dispositif ? Un ciel contrôlé et au-delà
de nos frontières, en Europe. C'est chose faite ! Depuis le 6 décembre - et M.
le secrétaire d'Etat aux transports et à la mer l'a annoncé en « avant-première
» à la tribune du Sénat -, le ciel européen est né. Qu'a-t-il été décidé ? Les
ministres des transports des Quinze ont approuvé - et je cite un communiqué
l'annonçant - le projet de « ciel unique européen destiné à mettre fin à la
diversité des systèmes de contrôle aérien sur le Vieux Continent en réalisant
un espace aérien d'ici à deux ans ».
J'attire votre attention, mes chers collègues, sur le fait qu'un délai de
deux ans est mis en place pour aboutir - et je cite un compte rendu du
Monde
- « à créer des capacités supplémentaires au sein de l'espace
aérien européen afin de faire face à l'augmentation du trafic ». Et le compte
rendu précise que « l'idée originelle était de réduire la fragmentation du ciel
et de son contrôle organisé par chacun des Etats : en Europe occidentale, au
total, soixante-treize centres de contrôles, trente-cinq systèmes différents
prennent un appareil en charge à l'entrée de chaque zone pour l'accompagner à
la suivante ».
Monsieur le ministre, chaque Etat gardera, paraît-il, le droit d'initiative en
la matière. Pouvez-vous nous le confirmer ? Il est vrai que la France a fait
reculer la Commission sur le choix des prestataires de services de circulation
aérienne, y compris sur leurs moyens propres de communication, de navigation,
de surveillance ou de météorologie. La détermination des blocs fonctionnels
d'espaces aériens relèvera des seuls Etats concernés par ces espaces. Chacun a
bien compris que les deux ans prévus pourraient être utilisés pour lever de
nouvelles difficultés. Si je comprends bien, monsieur le ministre, l'Etat devra
mettre à profit ces deux ans pour savoir s'il redistribue ou non une partie de
l'espace qu'il réserve aux militaires. L'heure sera-t-elle aussi à l'abandon de
notre potentiel aérien national ?
Le transfert de notre système de contrôle public, qui a fait ses preuves,
sera-t-il, lui aussi, privatisé, comme le sera Air France - c'est une certitude
- ou - on en parlera - Aéroports de Paris ?
Quant à l'argument d'une sécurité accrue, la catastrophe survenue au-dessus du
lac de Constance, où deux avions se sont heurtés, devrait nous inciter à plus
de prudence.
Alors, mes chers collègues, ciel unique européen, couloirs aériens, volumes de
protection de l'environnement : le système est en place pour une
supersaturation du ciel francilien. Plus que jamais, nous préférons le
troisième aéroport dans le Bassin parisien et le développement des aéroports de
province. A ce sujet, monsieur le ministre, pouvez-vous répondre à une question
que nous nous posons tous : existe-t-il vraiment des possibilités de
développement de nos aéroports de province et si oui, lesquelles ?
Selon nous, la solution du troisième aéroport est plus sûre, plus nationale et
plus conforme à l'idée généreuse de décentralisation pour un développement de
l'économie et des transports, pour plus de démocratie dans la décision. Elle
constituera un progrès pour une aviation civile française qui conservera ses
contrôles, ses contrôleurs de qualité et son ciel, avec un devenir pour chaque
aéroport français.
Le débat, pour lequel je vous renouvelle mes remerciements, monsieur Gérard
Larcher, était nécessaire, mais il ne fait que s'ouvrir. J'espère que le
Gouvernement aura un peu plus d'ambition pour les ailes françaises, mais aussi
pour la vie des populations riveraines
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. Laurent Béteille.
M. Laurent Béteille.
Je me réjouis de cette occasion de parler du problème du survol de nos
populations, car l'activité aérienne, qui ne cesse de croître, génère de très
nombreuses nuisances, notamment dans le département dont je suis l'élu,
l'Essonne, et sur le territoire duquel se trouvent les pistes de l'aéroport
d'Orly. Longtemps, on n'a raisonné, en matière de circulation aérienne, qu'en
termes de sécurité - ce qui est bien sûr la moindre des choses, notamment pour
les populations survolées - et d'augmentation constante du trafic pour faire
face à une demande toujours plus importante. Aucun cas n'était fait des
nuisances subies par les populations concernées.
Sans rien nier de l'importance des deux premiers facteurs, en particulier la
nécessité d'assurer une sécurité optimale, on ne peut omettre, aujourd'hui, le
respect de l'environnement, qui doit être une exigence forte.
Tout à l'heure, ma collègue Mme Campion a rappelé comment avait été connu le
projet de tracé du nouveau couloir aérien au-dessus du centre de l'Essonne, qui
nous a tous mobilisés voilà maintenant plus de deux ans : ce sont effectivement
des indiscrétions parues dans la presse qui nous l'ont appris.
Ce projet n'avait fait l'objet d'aucune concertation ni explication et il a
fallu la mobilisation des habitants, qui ont participé aux manifestations que
l'Union des maires de l'Essonne, que je préside, a organisées, pour qu'enfin le
précédent gouvernement entrouvre la porte de la concertation. Je n'irai pas
jusqu'à dire que la transparence fut de mise néanmoins des réunions ont conduit
à confier à Eurocontrol une étude qui a abouti, quelques mois plus tard, à la
mise en service d'un nouveau couloir aérien au-dessus du département de
l'Essonne pour lequel nous avions reçu des assurances quant à l'altitude à
laquelle évolueraient les avions. Aujourd'hui, bien qu'aucun dispositif de
contrôle vraiment convaincant n'ait été mis en place, on constate - et les
populations s'en plaignent constamment - que les nuisances sont bien
supérieures à ce qui avait été annoncé à l'époque. En particulier, comme cela a
été très bien expliqué tout à l'heure, les avions doivent, au décollage, passer
sous ce nouveau couloir d'atterrissage. Quant au secteur dont je suis l'élu
local, la corne nord-est du département de l'Essonne, il est actuellement
survolé à basse altitude par les avions qui décollent d'Orly face à l'Est, et
dont une grande partie ne respecte pas la trajectoire imposée.
De plus, nous sommes confrontés au problème des avions vétustes et bruyants
relevant du chapitre 2, en particulier les gros porteurs qui, après avoir
décollé vers l'est, font un virage au-dessus de nos communes - je rappelle que
ce secteur compte 170 000 habitants - pour mettre le cap sur les Antilles.
Après avoir décollé d'Orly et pris un peu de hauteur, ils perdent de l'altitude
pendant leur virage, et c'est à ce moment qu'ils font un bruit infernal. Cela
se produit donc une première fois dans un sens, et une deuxième fois dans
l'autre sens !
Dans ces conditions, nous souhaitons que le respect de l'environnement et la
recherche d'un niveau de nuisances le plus réduit possible pour les populations
entrent à part entière dans les missions de la DGAC : les administrations
travaillent dans un cadre qui leur est fixé par le Gouvernement. Le précédent
ministre des transports, par la voix de M. Gayssot, s'était trop souvent
retranché derrière la DGAC. Ce n'était ni juste ni élégant : si la mission de
la direction générale est l'augmentation constante du trafic, sans autre
considération, elle la remplira ; mais s'il entre dans ses tâches de tenir
compte des populations survolées, alors elle devra s'y plier, et elle s'y
pliera.
Un certain nombre de solutions sont envisageables ; d'autres orateurs les
ayant évoquées avant moi, je serai bref.
En premier lieu, il convient de veiller au respect des acquis. Ainsi, il est
nécessaire de faire respecter strictement le couvre-feu de l'aéroport d'Orly,
entre vingt-trois heures et six heures du matin. Ce point ne nous paraît pas
négociable. En second lieu, il convient de maintenir tout aussi rigoureusement
la limitation du nombre de mouvements annuels à Orly.
Mais on ne peut pas se contenter de ces mesures. Il faut absolument poursuivre
la réflexion sur l'amélioration des trajectoires, comme le Gouvernement s'y est
engagé, de façon que le nombre des personnes touchées par ces nuisances soit le
plus faible possible et que les avions, aussi bien au décollage - cela suppose
qu'ils ne tournent pas trop vite ! - qu'à l'atterrissage, volent le plus haut
possible.
Il est également nécessaire de respecter les trajectoires aussi bien en
altitude que sur les zones survolées, ce qui n'est pas le cas actuellement. Il
est aussi indispensable de se doter d'outils de contrôle permettant aux élus et
aux populations d'avoir des renseignements rapides et objectifs. Il faudra
enfin sanctionner véritablement les écarts de trajectoire : Alain Gournac
soulignait que tel n'était pas encore le cas. Je me demande d'ailleurs dans
quelle mesure il ne faudrait pas que les sanctions soient prononcées par
l'autorité judiciaire - c'est son rôle -, et non par les autorités
aéroportuaires, qui, dans cette affaire, sont à la fois juge et partie.
M. François Gerbaud.
Tout à fait !
M. Laurent Béteille.
Rappelons encore qu'un certain nombre d'aéroports, notamment celui d'Orly,
sont des aéroports urbains. Les pistes d'Orly sont situées sur la commune
d'Athis-Mons et sont entourées de communes urbaines. Il faudra bien en tirer un
jour les conséquences et, en particulier, se décider le plus rapidement
possible à ne plus autoriser les avions les plus bruyants à atterrir et à
décoller de l'aéroport d'Orly.
Telles sont les quelques mesures qui, si elles ne peuvent être prises
immédiatement - et nous le comprenons bien -, nous semblent devoir être
étudiées. Nous attendons beaucoup de vous dans ce domaine, monsieur le
ministre, parce que les populations en ont assez de subir toujours les
nuisances sans le moindre espoir d'amélioration.
(Applaudissements sur les
travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Gilles de Robien,
ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la
mer.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, sachez tout
le plaisir qui est le mien de venir une nouvelle fois « plancher » devant vous
pour évoquer la politique du Gouvernement en matière de nuisances aériennes. A
l'examen des cartes des couloirs aériens, qui vous intèresseront certainement
et qui pourront vous être remises au terme de notre débat, je constate que tous
les élus que vous êtes sont effectivement soumis à une très forte pression et
je comprends à quel point vous êtes sensibles à ces problèmes.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Très bien !
M. Gilles de Robien,
ministre.
Je vous exposerai donc la problématique ; je rappellerai d'où
nous venons, quelles mesures ont été prises par mon prédécesseur, quelle
approche j'ai adopté à mon arrivée au ministère, quelle est la méthode, quels
sont aujourd'hui les résultats et les perspectives.
Le nouveau dispositif de circulation aérienne mis en oeuvre le 21 mars dernier
en Ile-de-France répondait d'abord à des impératifs de sécurité et de
régularité des vols. Il était indispensable pour pouvoir tirer le meilleur
usage du potentiel des quatre pistes de Roissy-Charles-de-Gaulle et répondre
ainsi, sur le moyen terme, à la demande croissante de mobilité qu'expriment nos
concitoyens. Il devait enfin permettre de réduire significativement, à
l'échelle de la région, le nombre de personnes survolées. Le débat
d'aujourd'hui, que nous devons à l'initiative de M. Gérard Larcher, est donc
d'une grande utilité.
L'Etat, qui est le garant de l'intérêt général, se devait bien évidemment de
prendre en compte la préoccupation environnementale, qui est toujours plus
forte, à l'échelle de la région d'Ile-de-France tout entière. En privilégiant
autant que faire se peut le survol des zones moins urbanisées, avec notamment
le basculement de la trajectoire d'arrivée sur Orly du nord vers le sud de la
plate-forme, le nouveau dispositif a été conçu de façon à réduire globalement
de un million le nombre de personnes survolées par des avions évoluant en
dessous de 3 000 mètres.
Ce nouveau dispositif fonctionne depuis maintenant huit mois, ce qui a permis
aux services de contrôle aérien de pleinement se l'approprier. Quel bilan
peut-on en tirer ?
On constate d'abord une réduction substantielle des retards à
Roissy-Charles-de-Gaulle : le retard moyen par vol du fait de l'engorgement des
secteurs de contrôle situés au nord-ouest de Roissy a été divisé par six. Je le
précise, même si ce n'est pas l'objet principal de la question orale qui m'est
posée.
Il convient ensuite de faire le point de la maîtrise des nuisances sonores.
J'observe en premier lieu que les conditions d'un suivi rigoureux et
transparent des engagements souscrits à l'issue du processus de concertation
sont aujourd'hui réunies, et l'Autorité de contrôle des nuisances sonores
aéroportuaires - l'ACNUSA - dont le travail a été salué par Mme Campion, a
veillé à ce que Aéroports de Paris puisse rendre compte de leur respect.
Mme Campion a évoqué ces engagements ; permettez-moi de les rappeler : par
vent d'ouest, 2 500 mètres à Réau, interception de l'axe ILS à 4 000 pieds, 3
000 mètres à Livry-Gargan, contournement de Meaux ; par vent d'est, 2 000
mètres à Thoiry, 1 200 mètres à Issy-les-Moulineaux.
Les six points de contrôle définis par l'ACNUSA, qui portent pour l'essentiel
sur des altitudes de survol, visent à garantir aux populations survolées la
prise en compte de la dimension environnementale par la communauté
aéronautique, pilotes et services de contrôle aérien. L'indicateur de
performance environnementale ainsi établi s'élève à près de 80 % sur les
premiers mois, ce qui ne signifie nullement, je tiens à le préciser, que les 20
% restants concernent des survols non réglementaires. On peut cependant y
trouver, dans la perspective de la maîtrise des nuisances sonores, une petite
marge d'amélioration des conditions de survol.
S'agissant de l'objectif de réduction du nombre de personnes survolées en
Ile-de-France, je vous informe que les premières analyses effectuées par
Aéroports de Paris sur la base des données relatives aux trajectoires réelles
des avions corroborent les estimations faites avant le 21 mars dernier. Même si
l'ensemble de ces données doit être consolidé dans les prochains mois, je puis
d'ores et déjà confirmer que c'est bien l'intérêt général qui a prévalu, et
telle est bien la mission de l'Etat.
Pour autant, j'ai bien conscience que ce résultat masque de fortes disparités
locales ; et c'est la raison pour laquelle j'ai commencé mon propos en
rappelant, si tant est que c'était nécessaire, de quel lieu chacun des orateurs
était l'élu. Dans certains cas, les conditions de survol se sont dégradées. Je
veillerai à ce que mes services engagent les réflexions et les actions
nécessaires pour soulager les populations concernées, dans la limite, bien sûr,
de ce qu'exigent la sécurité et le maintien de l'activité de transport
aérien.
Ces résultats - somme toute positifs, il faut le reconnaître, tant en ce qui
concerne les conditions d'écoulement du trafic que la réduction du nombre de
personnes survolées - ne permettent pas de suivre ceux qui voudraient - parce
qu'il y en a encore - que l'on fasse marche arrière. Ce ne serait pas
raisonnable.
Dès lors, quelle est la méthode du Gouvernement ?
Sans vouloir justifier le travail de mes prédécesseurs - mais en le saluant,
parce qu'il faut être objectif -, je rappelle que le processus de concertation
est allé au-delà des obligations qui résultaient des seuls textes législatifs
et réglementaires applicables, notamment, aux commissions consultatives de
l'environnement - les CCE - et à l'Autorité de contrôle des nuisances sonores
aéroportuaires.
La mise en oeuvre, à l'échelle de la région d'Ile-de-France, d'un comité de
pilotage et, corrélativement, la constitution sous l'égide des préfets de
groupes départementaux de concertation dans chacun des départements de la
petite et de la grande couronne, réunissant les élus et les associations, ainsi
que le recours à l'expertise d'Eurocontrol - organisme international, comme
vous le savez, indépendant de la DGAC - ont permis la prise en compte des avis
et des projets alternatifs, dans la transparence et dans l'impartialité
nécessaires.
La saisine des organismes institutionnels - commissions consultatives de
l'environnement et ACNUSA - est venue parachever ce processus de concertation
très élargie.
Quelle est mon approche aujourd'hui ?
Dès mon arrivée au ministère - car j'ai évidemment été immédiatement sollicité
sur ce sujet -, j'ai tenu à faire le point. Je me suis attaché à être à
l'écoute - j'ai passé probablement des dizaines d'heures, sinon une centaine
d'heures, certains en sont témoins ici - des inquiétudes réelles, des
préoccupations réelles, des récriminations suscitées par la mise en place du
nouveau dispositif.
J'ai consulté de très nombreux élus de toute l'Ile-de-France, des dizaines
d'associations de riverains et des professionnels de l'aéronautique. Les
mesures que j'ai pu annoncer dès le 25 juillet sont le fruit de cette large
consultation et vont bien au-delà des seuls aspects liés à la circulation
aérienne. Elles constituent en elles-mêmes, notamment pour ce qui est de la
visualisation des trajectoires sur Internet ou de la mise en oeuvre des volumes
de protection environnementale - les VPE -, la base d'une concertation pérenne
avec les Franciliens et leurs représentants.
Sachez également que - au-delà des groupes de suivi institués par l'ACNUSA, au
sein desquels mes services ont fait un effort de transparence et d'information
objective que, je crois, les différents acteurs ont salué - je veillerai à ce
que les CCE, qui sont placées sous l'autorité du préfet de région et qui
réunissent à parts égales les professionnels, les élus et les associations de
riverains, puissent constituer un lieu privilégié de concertation.
Monsieur Badré, le processus d'enquête publique obligatoire pour toute
modification significative des procédures de décollage et d'atterrissage attend
pour voir le jour qu'un décret, qui interviendra très prochainement, définisse
les modalités de sa mise en oeuvre. Ce processus concrétisera la démarche de
concertation engagée avec les populations concernées pour les modalités
relatives à la circulation aérienne ; et vous avez raison, monsieur le sénateur
: toutes les variantes, y compris celles qui sont proposées par les
associations, doivent être et seront étudiées. Cela fait partie de la règle du
jeu.
Il est manifeste qu'il convient, dans un souci de transparence, d'apporter à
l'ensemble des populations franciliennes concernées des réponses justifiées et
appropriées. La carence d'information ou le défaut de concertation ne peuvent
qu'exacerber les craintes qui s'expriment. Il nous faut donc aller au-delà de
ce qui a été fait jusqu'à présent dans ce domaine, et les mesures que j'ai
annoncées visent précisément à faire de chaque citoyen d'Ile-de-France un
riverain bien informé sur l'organisation de la circulation aérienne dans sa
région ; pour ce faire, les pouvoirs publics doivent être en mesure d'attester
que les avions sont bien là où ils ont annoncé qu'ils seraient.
« Les avions ne sont pas là où ils devraient être ! », « Ils sont bien trop
bas ! » : combien de fois a-t-on entendu ces propos au cours des concertations
? Combien de fois a-t-on lu dans les journaux ces commentaires souvent
désabusés et inquiets, parfois révoltés, des populations survolées ?
La toute première revendication des riverains est donc de disposer d'une
information objective et incontestable sur les conditions dans lesquelles ils
sont survolés. De ce point de vue, les données globales des trajectoires radar
réelles présentées par Aéroports de Paris constituent un progrès substantiel et
méritent sans doute une diffusion plus large qu'auparavant.
Pour autant, il est possible et souhaitable d'aller plus loin. Aussi avais-je
décidé de diffuser d'ici à la fin de l'année sur Internet - et, pour des
raisons de sûreté, en temps différé - les trajectoires de chacun des vols à
destination ou au départ des aéroports parisiens, sur un fond cartographique,
afin de permettre à chacun de visualiser clairement les trajectoires
suivies.
Ce dispositif est prêt sur le plan technique. Néanmoins, compte tenu des
circonstances actuelles et de l'évolution de la situation internationale, les
services spécialisés demandent que, pour des raisons de sûreté, la diffusion de
ces informations soit différée. Je conserve bien sûr la volonté de mettre en
oeuvre ce dispositif ; tout dépendra de l'évolution que connaîtra l'analyse de
la situation internationale. Il s'agit là, en effet, d'un outil indispensable
pour instaurer un dialogue serein et constructif avec les populations survolées
et pour restaurer la confiance.
Les volumes de protection environnementale viendront alors parachever le
triptyque information-contrôle-sanction, et je vous confirme ma volonté, pour
assurer son caractère pérenne et transparent, d'inscrire la nécessaire maîtrise
des nuisances sonores dans un dispositif contraignant de nature réglementaire.
Ainsi, avant la fin de l'année, des volumes de protection environnementale
dans lesquels devront s'inscrire tous les vols, sauf si des raisons de sécurité
s'y opposent, seront définis par arrêté pour les procédures de décollage et
d'atterrissage à proximité des aéroports parisiens. En cas de non-respect de
ces dispositions, des sanctions seront appliquées.
A l'évidence, cette mesure environnementale, comme les autres du reste, n'a de
sens que si elle est appliquée de façon stricte. Nous disposons pour cela d'un
système de sanctions administratives efficace comportant l'avis de la
Commission nationale de prévention des nuisances sonores et placé sous l'égide
de l'ACNUSA. Je vous confirme que, dans ce cadre, tous les manquements
constatés seront sanctionnés rigoureusement. Certaines sanctions se montent
d'ailleurs - peut-être le savez-vous déjà - à 10 000 euros. Dès l'année 2001,
le montant total des sanctions prononcées s'est élevé à plusieurs millions de
francs ; cependant elles sont contestées, justement parce qu'aucun arrêté
n'avait été pris par mon prédécesseur.
Les premiers arrêtés relatifs aux départs initiaux et à l'approche finale ont
été présentés aux commissions consultatives de l'environnement des aéroports de
Roissy et d'Orly - qui ont toutes deux émis un avis favorable - et seront
publiés avant la fin de l'année.
L'ACNUSA vient de me faire savoir qu'elle n'était pas favorable à l'adoption
des arrêtés qui lui ont été soumis : j'ai l'intention de faire expertiser les
raisons qui la conduisent à prendre une telle position. Ma détermination reste
toutefois entière : il est nécessaire d'adopter ces textes le plus rapidement
possible. Ils constitueront une première étape et seront complétés par une
seconde série d'arrêtés, plus complexes à mettre en oeuvre.
Tout cela atteste bien - vous en conviendrez, monsieur Gournac - la volonté du
Gouvernement d'ouvrir le monde complexe de la navigation aérienne aux
non-initiés et de débattre ouvertement de l'ensemble des aspects du dossier.
Au-delà de ces mesures, je suis bien entendu ouvert à ce que des discussions
techniques et un dialogue renforcé s'établissent entre la direction générale de
l'aviation civile, Aéroports de Paris et les élus pour analyser la situation et
rechercher des solutions. C'est dans ce cadre technique que pourraient
notamment être examinées les questions que vous soulevez, relatives aux
procédures d'attente, au relèvement des trajectoires, aux hauteurs
d'interception des ILS ou aux conditions de survol de secteurs particuliers de
la région parisienne comme celui de la boucle de Montesson, d'Ablis et de
Thoiry. Les contraintes techniques de construction du système de circulation
aérienne, notamment celles qui permettent d'assurer la sécurité de l'écoulement
du trafic, doivent être mieux expliquées et analysées.
De façon plus globale, pour maîtriser efficacement les nuisances sonores, il
convient d'agir simultanément sur plusieurs leviers, car seul un dispositif
d'ensemble permet d'obtenir un effet durable. C'est d'ailleurs l'esprit de
l'approche équilibrée que les instances internationales - l'OACI et l'Union
européenne - ont établie comme principe de base pour la réduction des nuisances
sonores, auquel la France s'associe.
En fonction de l'objectif environnemental fixé pour un aéroport et du contexte
propre à celui-ci, les leviers disponibles seront principalement : la réduction
du bruit à la source, la maîtrise de l'urbanisation, les restrictions
d'exploitation de l'aéroport, les incitations économiques, ainsi que, bien
évidemment, les procédures de navigation aérienne.
Bien que ce sujet ne soit pas directement lié aux nouveaux couloirs, je tiens
à dire à M. Béteille qu'effectivement une modification des départs d'Orly face
à l'est a été étudiée à la demande des élus du Val d'Yerres. L'étude menée dans
le cadre de la CCE d'Orly n'a pas permis de dégager un consensus.
J'ai indiqué, monsieur Béteille, que j'étais prêt à examiner toute autre
proposition : cette invitation s'adresse à vous-même, ainsi qu'à celles et ceux
qui sont concernés par ce problème.
Au-delà des mesures relatives à la circulation aérienne que je viens
d'évoquer, j'ai tenu à traiter globalement la situation environnementale des
plates-formes parisiennes et à clarifier leurs perspectives d'avenir en tenant
compte de la demande du développement du transport et de la qualité de la vie
des riverains.
Concernant d'abord l'aéroport de Roissy, j'ai décidé de plafonner l'activité
future de l'aéroport suivant un critère de bruit réel mesuré au sol, et non pas
en fonction du nombre de voyageurs.
Ce nouveau dispositif, beaucoup plus objectif - vous demandiez de
l'objectivité et de la transparence : en voilà ! -, sera formalisé à la fin de
l'année et les stations de mesures objectives au sol commenceront d'être
installées dans les prochaines semaines.
J'ai également souhaité, à court terme, prendre des mesures pour réduire les
nuisances nocturnes. J'ai décidé, à titre conservatoire, par un arrêté en date
du 17 octobre dernier, de geler le nombre des créneaux attribuables entre zéro
et cinq heures jusqu'à la fin de la saison aéronautique d'été 2003, en
attendant une mesure définitive de limitation de l'activité nocturne qui sera
mise au point très prochainement.
D'autres mesures concernent les vols dans cette même tranche horaire :
l'interdiction des avions qui provoquent des niveaux de bruit trop élevés ;
l'alourdissement de la taxe générale sur les activités polluantes - la TGAP -
que le Sénat vient d'adopter voilà deux jours, ce dont je le remercie - madame
Beaudeau, il s'agit d'une disposition que mon prédécesseur n'avait pas osé
demander et qui va se révéler extrêmement utile ; l'optimisation de
l'utilisation des pistes ; l'interdiction des décollages de nuit non
programmés, et l'adaptation des trajectoires.
En outre, j'ai obtenu, messieurs Gournac et Badré, qu'Air France supprime la
quasi-totalité de ses vols, surtout de fret, entre zéro heure et cinq heures et
que La Poste réduise de 30 % ses vols postaux dans la même tranche horaire, ce
qui n'est pas facile, m'a-t-on dit.
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Et Fedex !
M. Gilles de Robien,
ministre.
J'ai reçu Fedex trois fois, madame !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il faut le faire payer !
M. Gilles de Robien,
ministre.
Il paie déjà pas mal !
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Il n'a pas payé la taxe professionnelle depuis 1995.
M. Gilles de Robien,
ministre.
Madame, je vous rappellerai que Fedex paie beaucoup en termes
d'emplois puisque 3 000 personnes y sont employées. C'est aussi une façon de
payer qui est positive, mesdames, messieurs les sénateurs !
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. Alain Gournac.
Vous avez raison !
M. Gilles de Robien,
ministre.
Parallèlement, au-delà du retrait des avions relevant du
chapitre 2, effectif depuis le 1er avril de cette année, le retrait total des
avions les plus bruyants du chapitre 3 sera réalisé d'ici à cinq ans sur la
plate-forme de Roissy, madame Campion.
L'ensemble de ces mesures de restriction est en cours de mise au point et sera
formalisé dès le début de l'année 2003 après concertation avec toutes les
parties concernées et consultations - l'une est intervenue le 25 novembre
dernier, l'autre aura lieu en janvier prochain - de la commission consultative
de l'environnement de Roissy.
C'est donc avec plaisir, monsieur Badré, que je viendrai dans les
Hauts-de-Seine, si vous le souhaitez toujours, pour présenter ces mesures, mais
aussi pour en évaluer les effets, qui seront, je l'espère bien, positifs.
M. Denis Badré.
Merci !
M. Gilles de Robien,
ministre.
Pour assurer le développement durable des aéroports, il est
également nécessaire de renforcer les mesures de maîtrise de l'urbanisation
autour des plates-formes. J'ai, le 25 juillet, annoncé des mesures allant dans
ce sens, notamment la révision du plan d'exposition au bruit de l'aéroport de
Roissy. La démarche et son calendrier ont d'ores et déjà été présentés à la
commission consultative de l'environnement de Roissy.
Concernant l'aéroport d'Orly, j'ai eu l'occasion de confirmer à plusieurs
reprises que les conditions d'exploitation de cette plate-forme ne seraient pas
remises en cause. Ce n'est pas la peine de faire courir de fausses nouvelles.
Le couvre-feu est donc maintenu et le nombre de créneaux horaires attribuables
reste limité à 250 000 par an. Ce couvre-feu est d'ailleurs très bien respecté,
à l'exception de quelques dérogations par mois, tout au plus.
Monsieur Larcher, vous m'avez interrogé sur la desserte du Grand Bassin
parisien et donc sur la création d'un éventuel aéroport destiné à l'assurer.
Le débat organisé l'année dernière a ouvert de nombreuses questions. La
plupart de ces questions n'ont pas reçu de réponse satisfaisante sur les
perspectives ni sur les conditions de développement du transport aérien et des
aéroports. Le Président de la République ayant manifesté, si j'ose dire, son
irritation à propos de la mauvaise concertation qui s'est déroulée, j'ai donc
souhaité une remise à plat de ce dossier.
Conformément au voeu exprimé, la commission des affaires économiques, de
l'environnement et du territoire de l'Assemblée nationale a créé une mission
d'information sur l'« avenir du transport aérien français et de la politique
aéroportuaire ». Cette mission d'information débat actuellement de
l'opportunité d'une nouvelle plate-forme aéroportuaire, étant entendu que la
recherche et le choix éventuels d'un site resteront de la responsabilité du
Gouvernement. Celui-ci se prononcera donc après le dépôt des conclusions de la
mission.
Cette démarche prendra bien entendu en compte les aspects liés au transport de
fret, monsieur Badré.
Elle intégrera également, bien sûr, les aéroports de province et, comme le
suggère Mme Beaudeau, Vatry compris. En tout état de cause, ces aéroports ont
un rôle important à jouer, même avec la nouvelle configuration du transport
aérien, les nouvelles compagnies et les bas coûts : un rôle de plus en plus
importants, dans l'aménagement et dans la desserte internationale de notre
territoire. Les gestionnaires de ces aéroports, les chambres de commerce, dont
il faut souligner le dynamisme, mettent en oeuvre des programmes
d'investissement ambitieux.
La garantie de l'Etat apportée au financement de ces programmes leur permet
d'adopter la vision à long terme que nécessite le développement de ces
infrastructures.
La politique du Gouvernement en faveur des aéroports de province s'articule,
de fait, autour de quatre axes majeurs : l'ouverture des droits de trafic pour
permettre un accès élargi aux aéroports de province ; la préservation des
possibilités d'extension des plates-formes avec, d'une part, l'adoption de
plans d'exposition au bruit élargis et, d'autre part, des avant-projets de plan
de masse - APPM - permettant la réservation des emprises futures comme à Lyon -
Saint-Exupéry ; l'identification et l'étude de nouveaux sites aéroportuaires
lorsque les perspectives de croissance risquent de se révéler incompatibles
avec la configuration physique ou environnementale des sites existants - c'est
le cas de Nantes, où, en plein accord avec les collectivités locales, l'Etat
soumettra très prochainement au débat public le projet de création de
l'aéroport de Notre-Dame-des-Landes ; enfin, le développement de
l'intermodalité en promouvant une meilleure connexion entre les réseaux
ferroviaires et les plates-formes aéroportuaires.
Au demeurant, le développement des aéroports de province ne saurait se passer
d'une implication accrue des collectivités locales dans l'ensemble des dossiers
aéroportuaires. Le Gouvernement entend que, le moment venu, la question de la
décentralisation du secteur aéroportuaire soit examinée avec les collectivités
concernées. Nous aurons certainement l'occasion d'en reparler prochainement.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, en terminant je
remercie M. Larcher de m'avoir permis de m'exprimer pour la première fois sur
les nuisances aériennes et leurs conséquences. Sachez que je suis à votre
disposition pour revenir faire le point sur cette importante question chaque
fois que vous le souhaiterez.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le ministre, je pense que ce débat a été utile à tous, et pas
seulement à ceux qui représentent les populations survolées, puisque, si nous
avons parlé des riverains - et c'est important -, nous devons aussi parler des
populations survolées.
Je dois dire que ce n'est qu'un premier débat, même si la discussion sur ce
thème est engagée depuis longtemps. Le problème est en effet posé depuis qu'est
évoquée la troisième plate-forme aéroportuaire dans le Bassin parisien, depuis
la mission Douffiagues et le rapport que Jean François-Poncet et moi-même avons
remis en 1995 sur l'aménagement et le développement du territoire.
J'ose espérer que le Gouvernement saura poursuivre le débat dans une véritable
concertation, et non pas dans un jeu fermé sur des conclusions connues à
l'avance. En effet, on ne pourra pas parler d'aménagement et d'équilibre du
territoire sans faire jouer un vrai rôle aux aéroports en région.
Sans doute avons-nous laissé passer un certain nombre d'opportunités. C'est
ainsi que l'aéroport de Lyon-Satolas - Saint-Exupéry aurait sans doute pu
profiter de la fin d'activité de la plate-forme
hub
de Genève pour
atteindre une fréquentation proportionnelle à la place qu'occupe la région
Rhône-Alpes dans notre pays.
J'ai bien noté, monsieur le ministre, que, si vous considérez l'objectif de
réduction globale des nuisances comme atteint, vous reconnaissez tout de même
que des problèmes demeurent, et je ne voudrais pas que ces problèmes soient
passés par pertes et profits pour de simples motifs quantitatifs.
J'ai bien noté que vous restiez ouvert à la concertation. Mais la
concertation, cela signifie aussi l'acceptation par la DGAC, notamment, de la
discussion d'un certain nombre de règles.
M. Alain Gournac.
Eh oui !
M. Gérard Larcher.
Est-il légitime - j'ai cité l'exemple de Thoiry - qu'à 60 kilomètres de Roissy
on ne puisse pas imaginer un relèvement du plafond ILS ? C'est un sujet qui
fait l'objet d'un consensus de la part de nos collègues sur quelque travée
qu'ils siègent.
Je souhaiterais, monsieur le ministre, que, sur ce sujet, vous acceptiez que
nous allions au fond des choses sans être obligés d'écouter passivement les
ingénieurs et techniciens nous abreuver de certitudes physiques et
mathématiques, pour avoir simplement, au bout du compte, une fois mis
knock
out,
la possibilité de prendre la parole pendant quelques minutes.
Vous nous avez affirmé que l'information objective serait particulièrement
développée. Il est vrai que les cartes radar, lorsqu'elles nous sont un peu
expliquées, sont très intéressantes.
(Mme Marie-Claude Beaudeau
s'esclaffe.)
Il faudrait également - ce qui n'est pas toujours le cas - que
nous puissions disposer des résultats des études réalisées par les stations de
mesure, et ce de manière suivie.
J'ai bien noté que les engagements pris sur le volume de protections
environnementales seraient tenus dans les semaines à venir.
J'ai bien noté également - c'est le signe que les problèmes demeuraient - que
vous avez obtenu la réduction horaire des vols de fret. J'ai rappelé dans
quelles conditions les vols de fret s'effectuaient, souvent avec des avions
très bruyants. Je suis toutefois un peu inquiet de l'étalement sur cinq ans du
retrait des avions les plus bruyants.
Certes, nous savons qu'un certain nombre de compagnies, sur le plan mondial,
rencontrent des difficultés. Nous ne sommes pas sans savoir que la deuxième
compagnie américaine vient de déposer son bilan et que sa pérennité n'est pas
assurée, que le développement du transport aérien est aujourd'hui, comme le
disait Denis Badré, l'enjeu de combats permanents liés à la mondialisation.
Toutefois, je souhaite vraiment qu'au niveau européen comme au niveau national
le combat pour la qualité de la vie des populations survolées et des riverains
soit pris en compte et que la seule logique prépondérante ne soit pas celle des
capitaux.
C'est un point tout à fait essentiel.
Quoi qu'il en soit, monsieur le ministre, mes chers collègues, il est
intéressant que les préoccupations qui se sont manifestées ce matin aient été
portées au débat.
J'ai parfaitement compris que le Gouvernement ne remettrait pas en cause les
couloirs aériens. C'est d'ailleurs un point de divergence entre Mme Beaudeau et
nous.
Mais je souhaite, monsieur le ministre, que vous acceptiez une vraie
concertation, car rien ne serait pire, je le répète, que de voir les uns et les
autres arriver avec leurs certitudes et repartir avec les mêmes certitudes. La
concertation n'aurait alors aucun sens.
En tout cas, toutes ces questions seront à nouveau à l'ordre du jour lors du
débat que nous aurons sur les conclusions de l'audit que le Gouvernement a
demandé. Ce sera, j'en suis sûr, mes chers collègues, un très beau débat où la
diversité du territoire s'exprimera par la voie de nos collègues. Ce sera
également un débat essentiel car si, en tant que membres de la représentation
nationale, nous avons le devoir de porter les préoccupations de nos concitoyens
devant le Parlement en préservant l'intérêt général, celui-ci ne doit pas
s'exercer au détriment des populations survolées.
(Applaudissements sur les
travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est
clos.
Mes chers collègues, nous allons maintenant interrompre nos travaux ; nous les
reprendrons à quinze heures.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à douze heures cinquante-cinq, est reprise à quinze
heures, sous la présidence de M. Christian Poncelet.)
PRÉSIDENCE DE M. CHRISTIAN PONCELET
M. le président. La séance est reprise.
4
QUESTIONS D'ACTUALITÉ
AU GOUVERNEMENT
M. le président.
L'ordre du jour appelle les questions d'actualité au Gouvernement.
Mes chers collègues, la conférence des présidents a porté de dix à onze le
nombre de questions d'actualité pour chaque séance.
C'est une raison de plus pour inviter chaque intervenant à respecter
strictement le temps de deux minutes trente au maximum, de sorte que toutes les
questions et toutes les réponses bénéficient de la retransmission télévisée.
Il m'a été recommandé par la conférence des présidents de veiller
rigoureusement à ce que ces temps de parole soient respectés.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
MESURES DE PRÉVENTION
EN TERMES DE SÉCURITÉ ROUTIÈRE
M. le président.
La parole est à Mme Annick Bocandé.
Mme Annick Bocandé.
Ma question s'adresse à M. le ministre de l'équipement, des transports, du
logement, du tourisme et de la mer.
Voilà maintenant six mois, le Président de la République a indiqué qu'il
fallait mettre un terme au scandale de l'insécurité routière et qu'il en
faisait l'un des trois grands chantiers de son quinquennat.
Vous avez, monsieur le ministre, la charge de mettre en oeuvre la politique
des pouvoirs publics en la matière et d'en assurer la coordination.
En septembre dernier, lors des premiers états généraux de la sécurité
routière, le Premier ministre s'est engagé à mobiliser tout le Gouvernement et
à lancer un véritable plan de bataille. Dans ce domaine, la France se trouve,
en effet, très en retrait par rapport à ses partenaires européens, notamment
l'Allemagne et la Grande-Bretagne.
En 2001, 7 720 personnes sont mortes sur les routes de France. Si,
globalement, le nombre d'accidents diminue, le nombre d'accidents corporels, en
revanche, est en forte augmentation. Le niveau de gravité des accidents est
très élevé, avec 6,61 tués pour 100 accidents. Le drame de Loriol-sur-Drôme du
29 septembre dernier vient tragiquement illustrer ces faits.
Il est urgent, monsieur le ministre, de prendre des mesures adéquates et
efficaces, d'éviter les effets d'annonce et de mener une politique réaliste. Il
faut encourager les conducteurs à plus de prudence, les responsabiliser
davantage, tout particulièrement les jeunes conducteurs.
Je crains que les statistiques des accidents de la route de 2002 ne nous
incitent pas à l'optimisme.
Pouvez-vous, monsieur le ministre, nous indiquer quelles initiatives le
Gouvernement compte prendre pour atteindre les objectifs fixés par le Président
de la République, et auxquels de plus en plus de citoyens sont attachés ?
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Gilles de Robien,
ministre de l'équipement, des transports, du logement, du tourisme et de la
mer.
Madame le sénateur, le Président de la République a effectivement
fait de la sécurité routière, qui est un véritable problème de société, un des
grands chantiers du quinquennat.
C'est pourquoi nous avons engagé une grande action, dont la première étape,
les Assises de la sécurité routière, a permis de réunir, en présence de six
ministres, des représentants de tous les acteurs intéressés, notamment les
associations et les forces de l'ordre. La prochaine étape sera la réunion du
comité interministériel de la sécurité routière, le 18 décembre prochain.
Nous avons d'ores et déjà obtenu des résultats encourageants grâce à la
mobilisation de tous, en particulier des médias : en six mois, le nombre
d'accidents corporels a diminué de 10,8 %, ce qui représente 318 morts et 9 205
blessés en moins, même s'il y a encore beaucoup trop de morts et de blessés. Il
nous faut donc redoubler d'efforts.
Lors du comité interministériel, nous prendrons un certain nombre de mesures
dans le domaine de la prévention pour aider nos jeunes à prendre mieux
conscience de la rigueur et de la vigilance qu'implique la conduite d'un
véhicule, ou même le simple comportement de piéton.
Nous allons mener, à travers le permis de conduire, une action pédagogique, en
expliquant en particulier que le permis n'est pas définitif mais qu'il
s'acquiert progressivement.
Si tout cela ne suffit pas, il y aura évidemment une automaticité de la
sanction à partir du relevé de l'infraction.
Je vous appelle les uns et les autres, mesdames, messieurs les sénateurs, dans
vos départements, dans vos communes, à prendre votre part de ce grand chantier,
afin qu'il soit une totale réussite.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste et de l'UMP, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
SITUATION EN IRAK
M. le président.
La parole est à Mme Hélène Luc.
Mme Hélène Luc.
Ma question, qui s'adressait à M. le Premier ministre, porte sur le danger de
guerre en Irak.
La situation n'a jamais été aussi dangereuse et inquiétante.
Dans le monde entier, la mobilisation contre la guerre s'amplifie :
rappelez-vous le million de personnes rassemblées à Florence !
Aux Etats-Unis mêmes, depuis des semaines le parti de la paix progresse. Des
actions symboliques ont été organisées dans cent vingt villes le 10 décembre,
journée des droits de l'homme, et 30 % des Américains refusent que leur pays
parte en guerre. Jimmy Carter, prix Nobel de la paix, s'est prononcé contre le
principe d'une guerre préventive.
Une large majorité de nos compatriotes rejette l'hypothèse d'un conflit, 45 %
estimant même que la France devrait rester totalement neutre.
La France a joué un rôle actif et positif pour obliger les Etats-Unis à se
plier à la décision de l'ONU ; c'est un premier point acquis.
Je dénonce avec force et indignation l'attitude des Etats-Unis, qui se sont
arrogé le droit de s'approprier l'original du rapport remis par l'Irak à l'ONU
et qui en minimisent déjà le contenu.
Le président Bush se déclare prêt à déclencher la guerre en utilisant l'arme
nucléaire ou les armes à neutrons ou à micro-ondes, faisant de l'Irak une base
d'essais de sa technologie meurtrière.
(M. Alain Gournac s'esclaffe.)
Les Etats-Unis amassent d'énormes quantités d'armes aux frontières et
mobilisent des dizaines de milliers d'hommes au cours de manoeuvres
provocatrices ; ainsi, 15 000 soldats sont présents au Koweït. La pression
devient telle qu'il sera difficile d'éviter l'explosion.
La France a, par sa fermeté, réussi à faire reconnaître le rôle de l'ONU et à
empêcher les Etats-Unis de déclarer immédiatement la guerre. Hier, le Premier
ministre déclarait la guerre probable mais non inéluctable.
M. le président.
Madame, je vous prie de conclure.
Mme Hélène Luc.
Je termine, monsieur le président.
Quelle est la position du Gouvernement devant l'intransigeance de M. Bush ?
Je demande solennellement, au nom du groupe communiste républicain et citoyen,
que la France maintienne sa position de fermeté jusqu'au bout pour empêcher M.
Bush d'imposer la guerre au monde avec les conséquences catastrophiques qui en
résulteraient pour l'humanité.
(Manifestations d'impatience sur les travées
de l'UMP.)
M. le président.
Madame Luc, vous avez largement épuisé votre temps de parole !
Mme Hélène Luc.
En tout état de cause, nous appelons à manifester ce samedi 14 décembre, place
de la République, à quinze heures.
(Applaudissements sur les travées du
groupe CRC. - Exclamations sur les travées de l'UMP.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Jean-François Copé,
secrétaire d'Etat aux relations avec le Parlement.
Madame la sénatrice,
je vous prie d'excuser M. le Premier ministre et M. le ministre des affaires
étrangères, qui assistent l'un et l'autre, vous le savez, au sommet de
Copenhague.
Je vous remercie de me permettre, au nom du Gouvernement, de rappeler que la
France est pleinement engagée dans la mise en oeuvre de la résolution 1441, car
c'est aujourd'hui l'objet essentiel de notre action.
L'Irak a remis sa déclaration sur les programmes d'armes de destruction
massive le 7 décembre. Ce document de 12 000 pages fait l'objet d'une
évaluation par la commission de contrôle, de vérification et d'inspection des
Nations unies et par l'Agence internationale de l'énergie atomique - l'AIEA.
Nous procédons à notre propre évaluation de l'exemplaire que nous avons reçu,
dans l'optique d'aider M. Blix et M. Al-Baradei.
Vous le savez, la France apporte un appui concret aux inspections. Près de
trente experts français font partie de cette mission. Notre pays est d'ailleurs
le second contributeur dans ce domaine en termes de moyens humains, après les
Etats-Unis. En outre, le chef de l'équipe des inspecteurs de l'AIEA est de
nationalité française ; sur les soixantes-dix inspecteurs déployés sur le
terrain, neuf sont français.
Nous offrons également une contribution en moyens matériels et nous sommes
prêts dans ce domaine à faire davantage.
A ce stade, les inspections semblent se dérouler dans des conditions
satisfaisantes.
Comme vous le voyez, nous continuons à donner toutes ses chances à la paix,
convaincus que nous sommes qu'il n'y a pas de fatalité à la guerre.
La responsabilité première incombe à l'Irak, qui doit mettre en oeuvre
pleinement et sans délai l'ensemble de la résolution, notamment en coopérant
sans faille avec les inspecteurs du désarmement. C'est le sens des messages
fermes que nous lui adressons.
Il appartiendra aux inspecteurs, en s'appuyant éventuellement sur des
informations fournies par les Etats, de vérifier sur le terrain la sincérité de
la déclaration irakienne.
S'agissant du rôle du Parlement, comme ce fut le cas lors de la guerre du
Golfe ou des interventions au Kosovo puis en Afghanistan, le Gouvernement fera
face à toutes ses obligations, et ce en fonction des circonstances, mais à
chaque étape il restera en étroite relation avec la représentation nationale.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Monsieur le secrétaire d'Etat, je me permets de vous faire observer que vous
n'avez pas, vous non plus, respecté le temps de parole qui vous était
imparti.
M. René-Pierre Signé.
Pourtant, il n'a rien dit du tout !
SITUATION ET ÉVOLUTION INSTITUTIONNELLE
DE LA CORSE
M. le président.
La parole est à M. Nicolas Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi.
Monsieur le président, je soutiens depuis vingt ans le Gouvernement de la
République, qu'il soit de gauche ou de droite - j'ai, voilà longtemps, renoncé
à ces clivages subalternes quand il s'agit de défendre l'ordre républicain et
l'intérêt national -, et mon propos ne saurait être polémique.
Monsieur le ministre de l'intérieur, je ne mets pas un seul instant en doute
votre volonté de réussir là où d'autres ont échoué. Mais je crois bon de
rappeler les faits.
On recensait 287 attentats en 1999 ; la renonciation préalable à la violence a
conduit aux accords de Matignon, que quarante-quatre élus corses, prêts à tous
les abandons, ont massivement approuvés. Une seule raison justifiait ces
accords : l'espoir d'un retour à la tranquillité publique et l'arrêt du
terrorisme.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Absolument !
M. Nicolas Alfonsi.
Ils prévoyaient, pour 2004, un référendum constitutionnel censé doter la Corse
d'une collectivité unique. Deux conditions suspensives étaient en outre prévues
: l'accord des pouvoirs publics en place et le rétablissement durable de la
paix civile.
M. Henri Weber.
C'est vrai !
M. Nicolas Alfonsi.
Or, l'année 2002 nous ramène à la case départ : on a recensé 310 attentats à
ce jour et vous avez déclaré, monsieur le ministre, envisager une consultation
des Corses dès 2003 sur les institutions qu'ils souhaitent. Ainsi, non
seulement vous ne « rembobinez » pas le fil de l'histoire - l'ancien Premier
ministre nourrissait cette illusion -, mais vous en écrivez le deuxième
épisode, en allant bien au-delà de l'accord initial.
Le 16 avril dernier, à Ajaccio, le Président de la République déclarait : « La
Corse a besoin d'autre chose que d'un rafistolage constitutionnel. En tout
premier lieu, elle a besoin qu'il soit mis un terme à la violence. Je
n'accepterai pas demain ou en 2004 ce que j'ai refusé hier. »
M. le président.
Votre question, s'il vous plaît, monsieur Alfonsi.
M. Nicolas Alfonsi.
Depuis lors, la communauté corse n'a retrouvé la sérénité que durant quelques
semaines. Elle souhaite que soit dissipée l'ambiguïté actuelle. Soit le
Gouvernement réaffirme que les orientations claires du chef de l'Etat
constituent le socle de son action, soit il envisage de poursuivre la politique
engagée par Lionel Jospin en l'accélérant, soit il s'efforce, au nom d'une
prétendue neutralité qui serait irresponsable de la part de l'Etat, de se
défausser sur les électeurs corses, lesquels ne pourraient, dans les
circonstances actuelles, faire des choix politiques qui les dépassent et qui
appartiennent en réalité au Gouvernement.
Il est en effet impensable que celui-ci n'ait pas clairement à l'esprit, au
moment même où cette consultation interviendrait, les orientations qui doivent
guider son action. Quelles sont ces orientations ?
(Applaudissements sur les
travées du RDSE et sur quelques travées du groupe socialiste. - M. Paul
Loridant applaudit également.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Monsieur le sénateur, si la question corse était facile, cela se
saurait !
Permettez-moi de vous le dire, dater le début de la violence en Corse de
l'échec des accords de Matignon, ce serait ne pas connaître la Corse. Prosper
Mérimée, dans
Mateo Falcone,
a parfaitement défini le caractère corse en
la matière. La violence est endémique en Corse depuis des lustres, et chacun le
sait.
(M. Alain Gournac applaudit.)
Monsieur Alfonsi, je vous apprécie beaucoup et je me reconnais dans nombre de
vos propos. Il n'y a qu'un mot sur lequel je me vois contraint de manifester
mon total désaccord. C'est le mot « ambiguïté ». Il n'y a pas d'ambiguïté de la
part du Gouvernement français : nous n'acceptons pas la violence.
Comment faut-il agir face à une société qui est gangrenée par la violence
depuis tant d'années ? Cela ne se règle pas en sept mois ! A la minute où je
vous parle, sept Corses sont en prison. Nous saurons ce soir, à la fin de la
garde à vue, ce qu'il en est.
Cela faisait bien longtemps, monsieur Alfonsi, que des terroristes n'avaient
pas été arrêtés.
M. Nicolas Alfonsi.
Je me réjouis de cette nouvelle détermination !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
Nous poursuivrons tous ceux qui se rendront coupables de
violences. Nous dénoncerons les comportements malhonnêtes et mafieux.
Mais je veux dire avec non moins de force à la Haute Assemblée qu'en Corse la
réponse policière ne peut être la seule réponse.
M. Paul Raoult.
Ailleurs non plus !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre.
L'Etat de droit exige une réponse policière, mais il s'agit
aussi de trouver, enfin, les voies du développement pour la Corse. Car la
question reste posée : pourquoi cette région de France qui a plus d'atouts que
les autres reste-t-elle condamnée depuis tant d'années, aussi bien sous des
gouvernements de droite que de gauche, au sous-développement ? C'est cette
question que le Gouvernement veut résoudre.
Samedi matin, je serai avec vous pour poursuivre ce débat-là, monsieur
Alfonsi.
(Très bien ! et vifs applaudissements sur les travées de l'UMP et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
NOUVELLES MESURES EN MATIÈRE DE LUTTE
CONTRE LA GRANDE DÉLINQUANCE
M. le président.
La parole est à M. Jean-Jacques Hyest.
M. Jean-Jacques Hyest.
Monsieur le garde des sceaux, la presse nationale et régionale a donné
connaissance de la note d'information que vous avez diffusée pour être soumise
à la concertation des magistrats et des avocats. Elle concerne le projet que
vous aviez annoncé sur l'adaptation des moyens de la justice aux évolutions de
la criminalité.
Bien entendu, avant que chacun ait pu procéder à une analyse détaillée de ce
dispositif, qui modifie notamment la procédure pénale, les voix habituelles
s'élèvent pour que l'on ne change rien dans ce domaine, alors que l'on sait que
les moyens de la justice sont inadaptés à la poursuite de la grande
criminalité, quelle que soit la valeur de ceux qui ont en charge ces
affaires.
On vous reproche, pêle-mêle, de dessaisir le juge d'instruction, de donner
trop de pouvoir au parquet - paradoxalement, ce sont les mêmes qui voulaient
faire des parquetiers des magistrats totalement indépendants du pouvoir
hiérarchique - et, bien entendu, d'accorder trop de pouvoirs aux services de
police et de gendarmerie.
Pourtant, nous le savons, la spécialisation est une nécessité pour les
affaires complexes, qu'il s'agisse de la délinquance financière, du terrorisme,
du proxénétisme, du trafic de stupéfiants ou du trafic d'êtres humains.
Selon nos informations, ce dispositif serait étendu à d'autres crimes.
Monsieur le ministre, pouvez-vous nous préciser vos orientations à ce sujet ?
Comme pour la violence routière, à propos de laquelle le ministre de
l'équipement a parlé de prévention, il faut aussi évoquer la répression, étant
entendu que l'équilibre entre la nécessaire répression et le respect des
libertés doit être la règle absolue.
Surtout, monsieur le garde des sceaux, quels moyens comptez-vous mettre en
oeuvre pour améliorer l'effectivité de la réponse pénale ?
(Applaudissements
sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le garde des sceaux.
M. Dominique Perben,
garde des sceaux, ministre de la justice.
Monsieur le sénateur, le texte
sur lequel j'ai lancé une concertation aussi large que possible et qui, je
l'espère, pourra être présenté en Conseil des ministres au mois de février,
puis devant le Parlement en mars ou avril prochain, vise à répondre aux
nouvelles formes de criminalité.
S'agissant de la délinquance routière, notre objectif est effectivement de
rendre plus automatique le système de sanction. Nous en reparlerons.
Je souhaite également que ce texte permette de lutter plus efficacement contre
le racisme et les discriminations raciales.
Il nous faut aussi rendre plus efficace la lutte contre la pollution de
l'environnement : il s'agit là, en effet, d'un véritable défi de société.
Mais l'objet principal de ce texte sera de renforcer l'efficacité de la
justice dans sa lutte contre la criminalité organisée.
A quels problèmes devons-nous répondre ? Nous devons d'abord faire face à la
criminalité organisée, qui est aujourd'hui de plus en plus internationale et
qui emploie de plus en plus des moyens modernes extrêmement sophistiqués. En
d'autres termes, nous sommes confrontés à de grands professionnels
extraordinairement dangereux, souvent liés, de surcroît, au terrorisme
international.
Nous devons donc adapter à la fois notre organisation et nos moyens d'action
judiciaires, ce qui implique de regrouper un certain nombre de juridictions,
dont les compétences seront, bien sûr, juxtaposées. Comme il y a un pôle
antiterroriste, il faut créer cinq ou six pôles sur l'ensemble du territoire,
qui seront affectés à la lutte contre la criminalité et permettront de
coordonner le travail d'enquête et les procédures judiciaires ultérieures.
Cela, bien entendu, ne remet aucunement en cause les pôles qui existent
aujourd'hui. Contrairement à ce qui a pu être écrit dans tel ou tel organe de
presse, les pôles économiques et financiers seront renforcés par cette nouvelle
organisation, car, dans ce domaine également, un travail de fond est à
réaliser.
Par ailleurs, indépendamment des questions d'organisation, nous ferons en
sorte que, en termes de procédures, la justice dispose de moyens plus efficaces
pour lutter contre ces criminels extrêmement dangereux.
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP.)
FILIÈRE INFORMATIQUE ET TÉLÉCOMMUNICATIONS
M. le président.
La parole est à M. Daniel Raoul.
M. Daniel Raoul.
Ma question s'adresse à M. Francis Mer, ministre de l'économie, des finances
et de l'industrie.
Monsieur le ministre, il ne se passe pas une semaine sans que nous apprenions
la fermeture d'un site ou la mise en place d'un nouveau plan de licenciement
dans la filière de l'électronique et des télécommunications en France. Je vous
rappelle, mes chers collègues, les problèmes que connaissent Hewlett-Packard,
Philips au Mans, ACT Manufacturing à Angers et, plus récemment, Gemplus,
Daewoo. Cette liste n'est malheureusement pas exhaustive.
La filière est confrontée à une véritable hémorragie, et ce sont des milliers
d'emplois que nous perdons dans nos départements. La crise est similaire en
importance à celles qu'ont connues les industries minières, sidérurgiques et
textiles, même si elle n'est pas aussi concentrée géographiquement. Elle est
similaire aussi en termes de conséquences : les entreprises transfèrent leurs
productions vers les pays de l'Est ou vers l'Asie, et leur savoir-faire vers
les Etats-Unis.
Et c'est bien cet élément qui fait toute la différence, car si la production
s'en va elle est accompagnée d'une formidable hémorragie de matière grise :
notre seule matière première. C'est donc le savoir-faire et la maîtrise
technologiques qui disparaissent, condamnant ainsi l'ensemble de l'industrie
électronique française. Alors que tous - responsables politiques, jusqu'au
Premier ministre, acteurs économiques, industriels - nous nous accordons à dire
que la maîtrise des technologies de l'information et de la communication est un
enjeu essentiel, c'est d'un véritable plan ORSEC dont la filière a besoin.
Si ce plan se doit d'être technologique et stratégique, il ne pourra faire
l'économie, hélas ! d'un volet social ambitieux.
Aujourd'hui, les collectivités locales, face à la détresse et au désarroi des
salariés de cette filière, se proposent de prendre en charge les cellules de
reclassement.
Malheureusement, le ministère des affaires sociales fait valoir des raisons
juridico-administratives - en l'occurrence, des lignes de crédits différentes -
pour ne pas utiliser les crédits ainsi dégagés au financement des congés de
conversion, alors que l'Etat, ayant vendu ACT via Bull, est moralement
responsable de cette situation.
Plusieurs sénateurs de l'UMP.
La question... !
M. Daniel Raoul.
Monsieur le ministre, que comptez-vous faire pour répondre aux demandes des
salariés victimes des restructurations ou des plans sociaux de cette filière
sinistrée ? Ensuite, quelles mesures significatives et volontaristes le
Gouvernement compte-il prendre pour répondre à la question des enjeux
stratégiques posés en France et en Europe à cette filière ?
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Francis Mer,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
sénateur, l'industrie informatique ne se résume pas au
hard :
il y a
aussi le
soft,
comme vous le savez. Quand on considère le contexte
général de cette industrie informatique, on découvre un paysage bien différent
de celui que vous avez partiellement décrit.
L'industrie électronique et informatique en France regroupe 300 000 personnes.
Elle a connu un taux de croissance exceptionnellement favorable puisque son
chiffre d'affaires, de 40 milliards d'euros, a doublé au cours des cinq ou six
dernières années.
(Exclamations sur les travées du groupe socialiste et du
groupe CRC.)
M. Daniel Raoul.
C'était la gauche !
M. René-Pierre Signé.
C'était le bon temps !
M. Francis Mer,
ministre.
Une telle croissance montre que, notamment en ce qui concerne
la matière grise, qui, j'en suis d'accord avec vous, est l'élément essentiel
d'une politique, nous disposons à l'évidence de très bons atouts pour continuer
à développer nos capacités dans ce domaine, quelle que soit, bien sûr, la
concurrence mondiale à laquelle nous devons faire face.
S'agissant de la partie dure du sujet, c'est-à-dire la production, le
pourcentage de la valeur ajoutée est de plus en plus faible. Si Microsoft est
de loin la première entreprise informatique mondiale, sa capacité en matière de
fabrication est quasiment nulle.
Au plan de la fabrication se posent, c'est vrai, un certain nombre de
problèmes qui découlent du fait qu'après cette période de croissance
exceptionnelle, non seulement au niveau français mais aussi aux niveaux
européen et mondial, nous passons à une phase de digestion qui se traduit dans
beaucoup de domaines, notamment dans les entreprises que vous avez citées, par
la nécessité de carguer les voiles, de resserrer les boulons, de diminuer les
coûts,...
Mme Marie-Claude Beaudeau.
Merci patron !
M. Francis Mer,
ministre.
... le temps que le client et le client du client, c'est-à-dire
le consommateur final, retrouvent leur appétit et permettent à cette industrie
de reprendre le chemin du développement qu'elle a connu dans le passé.
A cet effet, nous créons les conditions, y compris à travers une politique
tarifaire adéquate, d'une généralisation du recours aux nouvelles technologies
de l'information en France, de manière qu'après cette période difficile
l'industrie retrouve l'allant qui la caractérisait jusqu'à présent.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que
sur certaines travées du RDSE. - Exclamations sur les travées du groupe
socialiste.)
PLAN POLMAR MER ET RÉFORME
DE LA POLITIQUE COMMUNE DE LA PÊCHE
M. le président.
La parole est à M. Jacques Oudin.
M. Jacques Oudin.
Ma question s'adresse à M. le ministre de l'agriculture, de l'alimentation, de
la pêche et des affaires rurales.
Avant le 31 décembre prochain, le Conseil des ministres de l'Union devra se
prononcer sur la réforme de la politique commune de la pêche. C'est une
échéance importante pour la France, car nos professionnels de la pêche sont
inquiets.
Le naufrage du
Prestige
n'est que la suite d'une longue série de
catastrophes que nous souhaiterions voir s'arrêter grâce à la fermeté et à la
diligence des autorités nationales et communautaires. Les marins pêcheurs du
littoral atlantique se sont mobilisés pour lutter contre les menaces de
pollution. La technique du chalutage à couple, sans pouvoir être d'une
remarquable efficacité, mérite le soutien affirmé de l'Etat.
Ma première question porte donc sur les modalités d'indemnisation qui seront
versées par l'Etat à ces marins pêcheurs qui participent ainsi à une mission de
service public.
Ma seconde question porte sur la réforme de la politique commune de la pêche.
Nous connaissons l'engagement personnel de M. le ministre de l'agriculture et
celui du Gouvernement dans ce domaine. La France a souhaité une politique
commune de la pêche qui soit fondée sur une exacte évaluation des ressources
halieutiques pour préserver les capacités de pêche.
A partir de cette évaluation, les taux admissibles de capture - les TAC -,
ainsi que les quotas sont terminés par zone et par espèce. Une telle évaluation
nécessite un effort considérable de recherche scientifique et de concertation
avec les professionnels.
Les diminutions de quotas annoncées unilatéralement par la Commission
européenne sont incompréhensibles et inacceptables. Proposer une diminution de
50 % pour la sole n'est pas acceptable alors même que cette ressource, aux
dires des professionnels les plus avertis, n'est pas menacée.
M. René-Pierre Signé.
Mais il critique le Gouvernement !
M. Jacques Oudin.
Monsieur le secrétaire d'Etat, pour étayer notre dossier de négociation,
quelles réformes pouvez-vous engager avec votre collègue en charge de la
recherche scientifique pour que nos évaluations des ressources halieutiques
soient scientifiquement mieux argumentées, afin qu'elles puissent être prises
en compte par les autorités communautaires lors de la fixation des TAC et des
quotas ?
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
Monsieur le sénateur, je
vous prie d'excuser Hervé Gaymard, qui est retenu à Athènes par une réunion
avec son homologue grec.
Vous avez indiqué quels sont les moyens - que vous connaissez bien puisque
vous avez vécu la catastrophe de l'
Erika
- qui sont actuellement mis en
oeuvre : coopération avec nos amis espagnols, appel à l'
Alcyon,
à
l'
Ailette,
et, depuis quelques jours, dans le cadre du plan POLMAR mer,
mobilisation des pêcheurs de Saint-Jean-de-Luz.
A cet égard, les pêcheurs qui sont mobilisés ne sont pas réquisitionnés. Ils
sont volontaires auprès des affaires maritimes, et l'Etat rémunère sur la base
de 7 620 euros par jour les armateurs, à charge pour eux, naturellement, de
redistribuer les sommes qui leur sont versées. Voilà ce qu'il en est de
l'application du plan POLMAR mer.
J'ajoute qu'aujourd'hui, à Copenhague, les chefs d'Etat et de Gouvernement de
l'Europe vont amplifier, nous le souhaitons, le dispositif adopté la semaine
dernière par les ministres européens des transports et de l'environnement.
En ce qui concerne la réforme de la politique commune de la pêche, vous
connaissez, monsieur le sénateur, la position très ferme de la France et notre
refus du plan Fischler. Mais en effet, vous avez raison, il faut que nous
puissions contrôler les décisions communautaires qui sont toujours fondées sur
des avis scientifiques concernant la ressource halieutique, laquelle n'est pas
toujours examinée de manière scientifique.
Comme vous le souhaitez, nous devons engager une concertation avec les
professionnels. Au niveau communautaire, dans le cadre de la réforme de la
politique commune de la pêche, elle permettra de mieux organiser l'ensemble des
conseils qui étudient la ressource halieutique. Au niveau national, comme Hervé
Gaymard l'a suggéré récemment, un groupe de travail réunissant scientifiques et
professionnels de la mer sera constitué afin que des propositions puissent être
présentées.
J'ajoute, monsieur le sénateur, que, comme vous le souhaitez, Mme la ministre
déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies sera associée à ce
processus qui nous permettra d'établir un protocole très précis tenant compte
des avis émis par les professionnels de la pêche.
(Applaudissements sur les
travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
RESTRUCTURATION DES SUCCURSALES
DE LA BANQUE DE FRANCE
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Godefroy.
M. Jean-Pierre Godefroy.
Monsieur le ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, je
souhaite vous interroger sur le projet de restructuration sans précédent des
implantations territoriales et des missions de la Banque de France, dossier
que, selon mes informations, le gouverneur de la Banque de France souhaite
finaliser avant la fin du mois de décembre.
Le plan que la direction de la Banque de France souhaite mettre en oeuvre
prévoit la réduction drastique de ses implantations territoriales : il est à
craindre que l'objectif visé ne consiste à supprimer la moitié des succursales
au plan national, soit 4 sur 7 en Basse-Normandie, dont 2 sur 3 dans le
département de la Manche à Cherbourg et Granville. Nombreux sont mes collègues
dans l'hémicycle qui pourraient vous poser la même question.
Les succursales de la Banque de France jouent depuis longtemps un rôle
important au service du développement local et de l'emploi. Elles réalisent des
expertises financières au service des collectivités locales, des entreprises et
des bassins d'emplois.
J'ajoute que la disparition d'une succursale de la Banque de France entraîne
le plus souvent, au plan local, et au-delà des emplois directement menacés, la
fermeture de certaines agences bancaires commerciales et d'autres
administrations.
D'ailleurs, monsieur le ministre, le processus est enclenché puisque vous avez
annoncé la fermeture de la direction départementale de la concurrence, de la
consommation et de la répression des fraudes à Cherbourg. Si cette décision
devait se cumuler avec la fermeture de la succursale de la Banque de France,
vous imaginez la catastrophe pour une communauté urbaine de 100 000 habitants
dans le nord du Cotentin.
La Banque de France s'est aussi vu confier par le législateur d'importantes
missions au service de la cohésion sociale. Elle assure l'accueil des personnes
surendettées et le traitement de leur dossier. C'est un service de
proximité.
Compte tenu de l'importance de ses missions, la Banque de France est reconnue
comme une institution structurante sur le plan de l'aménagement du territoire.
Cela est d'ailleurs explicitement admis par le décret n° 601-2001, qui prévoit
que toute remise en cause des implantations territoriales de la Banque de
France doit être précédée d'une étude d'impact.
Les projets de fermeture sont inacceptables pour de nombreux élus locaux de
ville moyenne et contraires à l'esprit de la décentralisation.
Monsieur le ministre, pourriez-vous nous indiquer l'état d'avancement de ce
dossier, en particulier l'étude d'impact et les actions que vous entendez mener
au regard des objectifs de service public, d'aménagement du territoire et de
défense des intérêts légitimes des citoyens et des personnels dont les emplois
sont menacés ?
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du
groupe CRC.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Francis Mer,
ministre de l'économie, des finances et de l'industrie.
Monsieur le
sénateur, l'organisation territoriale de la Banque de France date du xixe
siècle. Avec 211 établissements, cet établissement a une présence sur le
territoire qui, rapportée à la population, est entre deux à quatre fois plus
élevée que celle des établissements analogues des autres pays européens.
Indépendamment des missions traditionnellement exercées par la Banque de
France, qui seront respectées, indépendamment de tous les progrès qui ont
d'ores et déjà été accomplis dans beaucoup de domaines, notamment à travers
l'utilisation des nouvelles technologies de l'information, la Banque de France,
pour continuer à bien remplir ses missions, doit se conformer à l'exigence de
performance qui est requise de toutes les organisations dépendantes des
pouvoirs publics.
Dans notre esprit, la notion de service public n'est absolument pas
incompatible - et je parle aussi au nom du gouverneur de la Banque de France -
avec celle de performance. Les termes de la relation que la Banque de France
entretient avec le pays seront respectés.
Il n'en reste pas moins qu'une réflexion, menée actuellement sous la
responsabilité du secrétaire général de la Banque de France, doit nous
permettre, avec méthode et en étroite concertation avec les collectivités
locales et avec les syndicats
(Exclamations sur les travées du groupe
socialiste et du groupe communiste républicain et citoyen),
d'améliorer la
performance de la Banque de France, qui, comme toute institution placée dans un
contexte concurrentiel, se doit d'obtenir des résultats à la hauteur des moyens
financiers et humains qui y sont investis.
(Applaudissements sur les travées
de l'UMP et de l'Union centriste. - Protestations sur les travées du groupe
socialiste et du groupe CRC).
Mme Nicole Borvo.
C'est pour cela que les personnels sont en grève depuis le 17 !
M. Jacques Mahéas.
Le désert dans les villes moyennes en est une preuve !
ÉDUCATION NATIONALE :
PERSONNELS MIS EN DISPONIBILITÉ
M. le président.
La parole est à M. Alain Fouché.
M. Alain Fouché.
Ma question s'adresse à M. le ministre de la jeunesse, de l'éducation
nationale et de la recherche.
« Mobilisation sans éclat du monde éducatif », titrait ce lundi un grand
quotidien relatant le mouvement qui a mobilisé ce week-end des enseignants et
des parents d'élèves.
M. Jacques Mahéas.
Ce n'est pas vrai, vous n'y étiez pas !
M. Alain Fouché.
C'était dans la presse, mon cher collègue !
M. Jean-Pierre Sueur.
Ce n'est pas une raison suffisante pour le croire !
M. Philippe François.
Lisez le journal !
M. Alain Fouché.
Le mot d'ordre a été de redonner la priorité à l'éducation. Le Gouvernement a
pris des décisions politiques en supprimant des postes.
Mme Nicole Borvo.
Ah oui ! Bravo !
M. Alain Fouché.
Vous avez confirmé, monsieur le ministre, qu'il y aurait davantage de
surveillants dans les établissements scolaires à la rentrée prochaine
(Plusieurs sénateurs sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC
s'esclaffent) :
6 000 postes d'assistant d'éducation destinés aux
étudiants.
M. Jean Chérioux.
Absolument !
Un sénateur socialiste.
C'est faux !
M. Alain Fouché.
Pour autant, la question n'est-elle pas aussi ailleurs ?
Il faut redonner la priorité à l'éducation, mais de quelle manière ? Tous,
sauf à être particulièrement cyniques ou politisés, ont oublié ce dimanche les
raisons expliquant la faiblesse du « mammouth », selon l'expression de M.
Allègre.
M. René-Pierre Signé.
Vous préférez donner la priorité aux surveillants de prison !
M. Alain Fouché.
Comment en est-on arrivé là aujourd'hui ?
Souvenons-nous du constat dressé par notre excellent collègue Jean-Claude
Carle, rapporteur de la commission d'enquête sénatoriale sur l'enseignement, en
avril 1999. La gestion des personnels de l'éducation nationale était loin
d'être satisfaisante, selon lui, malgré l'octroi de moyens supplémentaires,
l'augmentation de 40 % sur vingt ans des effectifs enseignants et la baisse du
nombre d'élèves.
M. René-Pierre Signé.
C'est faux !
M. Alain Fouché.
Le diagnostic est sans appel : 15 000 enseignants - vous entendez bien ! -
sont en détachement, soit l'équivalent d'une trente et unième académie
virtuelle, comme le soulignait M. Carle dans son rapport.
(Protestations sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
M. Paul Raoult.
Ils travaillent ; c'est la loi !
M. Jean Chérioux.
Où sont-ils détachés ?
M. Guy Fischer.
Anathème sur les enseignants !
M. Alain Fouché.
Ils sont détachés auprès de toute sorte d'organismes et de ministères, auprès
de la Ligue de l'enseignement et des Francas.
M. Jacques Mahéas.
Et alors ?
M. Alain Fouché.
On recense 1 150 mises à disposition officielles auprès d'organismes
capitalistiques, comme la MGEN - la Mutuelle générale de l'éducation nationale
-, la CAMIF - la Coopérative des adhérents de la mutuelle des instituteurs de
France - ou la MAIF - la Mutuelle assurance des instituteurs de France.
M. le président.
Veuillez poser votre question, monsieur Fouché.
M. Alain Fouché.
J'y viens : pourquoi n'aborde-t-on jamais le problème des effectifs de
l'éducation nationale sous cet angle ?
M. René-Pierre Signé
Il se prend pour le ministre de l'éducation nationale !
M. Alain Fouché.
Ne doit-on pas rendre une partie de ces postes à l'école ? Ne pensez-vous pas,
monsieur le ministre, qu'il y a là un gisement de personnels pour améliorer le
fonctionnement de l'éducation nationale ?
(Applaudissements sur les travées
du l'UMP.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Luc Ferry,
ministre de la jeunesse, de l'éducation nationale et de la recherche.
Monsieur le sénateur, lorsque j'ai reçu la lettre de cadrage de mes collègues
et néanmoins amis du ministère de l'économie, des finances et de l'industrie,
cette question des emplois est la première que je me suis posée avec une
certaine gourmandise.
M. Jean Bizet.
Et la réponse ?
M. Luc Ferry,
ministre.
J'ai donc demandé aux services de mon ministère qui en ont
maintenant les moyens matériels de me fournir les chiffres exacts. J'ai, hélas
! été déçu, et je crains de vous decevoir également parce que le travail a
déjà, me semble-t-il, malheureusement, en grande partie, été fait.
Mme Danièle Pourtaud.
Et voilà !
M. Luc Ferry,
ministre.
Bien évidemment, je souhaite ouvrir grandes les portes de
l'éducation nationale à toutes les missions d'enquête et à tous les audits qui
pourraient être réalisés en la matière.
(Ah ! sur les travées du groupe
socialiste.)
Voici les chiffres exacts concernant le second degré, sachant que, pour le
premier degré, la situation est exactement la même, compte tenu des différences
existant entre les deux systèmes : sur 383 034 enseignants titulaires, 9767
d'entre eux, très exactement, ne sont pas directement affectés dans des
classes.
M. Alain Gournac.
C'est incroyable !
M. Luc Ferry,
ministre.
Lorsque j'ai vu ce chiffre, je me suis dit : chic, je vais
pouvoir faire plaisir à Francis Mer !
(Sourires.)
Malheureusement, parmi
les ces enseignants, 4 989 sont affectés aux remplacements. Ce sont des
titulaires qui sont mis à la disposition des académies,...
Plusieurs sénateurs socialistes.
Voilà !
M. Luc Ferry,
ministre.
... pour remplacer les professeurs qui sont soit malades soit
en formation.
M. Claude Domeizel.
Et on manque de remplaçants !
M. Luc Ferry,
ministre.
Et 1 641 sont en réemploi ou en réadaptation.
M. Alain Gournac.
Oh !
M. Luc Ferry,
ministre.
Par ailleurs, 1 305 enseignants sont en formation continue.
M. Claude Domeizel.
Elle est indispensable !
M. Luc Ferry,
ministre.
Il me reste donc exactement, pour faire des économies, un stock
de 1 832 personnes, si vous me permettez cette expression.
(Exclamations sur
les travées du groupe socialiste.)
M. Jacques Mahéas.
Sur 400 000, ce n'est pas beaucoup !
M. Luc Ferry,
ministre.
A y regarder de plus près, et c'est vraiment intéressant, si je
retire les décharges syndicales qui sont prévues par la loi et auxquelles nul,
me semble-t-il, ne songe sérieusement à toucher,...
MM. Robert Del Picchia et Alain Gournac.
Ce n'est pas sûr !
M. Luc Ferry,
ministre.
... ainsi que la mise à disposition de l'UNSS - c'est-à-dire
l'Union nationale du sport scolaire -, environ 800 personnes sont mises à la
disposition des établissements et des associations. Simplement 800 !
M. Jean Chérioux.
Quelles associations ?
M. Luc Ferry,
ministre.
Les associations s'occupent de sujets très divers : cela va des
archives du général de Gaulle au courrier de Napoléon en passant par le
mémorial de Caen ou l'Académie française. Actuellement, je travaille donc très
sérieusement avec 400 d'entre elles.
MM. Jean Chérioux et Alain Gournac.
Ah !
M. Luc Ferry,
ministre.
J'étais entièrement d'accord avec vous, monsieur le sénateur.
Je vous fais part de ma déception, car je pensais qu'il y avait là une niche à
exploiter, mais je crains qu'il n'y en ait pas.
M. Jacques Mahéas.
Ah bon !
M. Luc Ferry,
ministre.
Par ailleurs, pour les services de l'administration centrale,
qui occupent 3 400 personnes, le travail a malheureusement déjà été fait.
J'ai cru, comme vous, que l'on pouvait aller très loin, mais même avec le
travail que nous faisons en ce moment, la marge de manoeuvre est relativement
limitée.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe
CRC.)
PLAN « INNOVATION-RECHERCHE »
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Ma question s'adresse à Mme le ministre déléguée à la recherche et aux
nouvelles technologies.
En France, les dépenses de recherche et de développement privées et publiques
sont en baisse puisqu'elles ne représentent plus que 2,2 % du PIB, contre 2,8 %
aux Etats-Unis, 2,9 % au Japon et 3,8 % en Suède.
Malgré un potentiel humain extraordinaire et un effort significatif de notre
pays en moyens techniques - nous y consacrons 32 milliards d'euros -, les
résultats ne sont pas tout à fait à la hauteur des enjeux.
Les raisons sont multiples et nous les connaissons tous.
Notre recherche est beaucoup trop cloisonnée, et le moins que l'on puisse dire
c'est que le secteur public souffre d'une insuffisance de synergies avec
l'industrie ; il règne en effet une certaine incompréhension entre les deux.
Notre production nationale de brevets exploitables - les plus intéressants
économiquement parlant - est faible et en perte de vitesse.
L'attractivité du territoire français - c'est peut-être le plus grave - est
trop faible quand il s'agit d'attirer non seulement les chercheurs, mais
surtout les investissements directs étrangers.
Enfin, on note le manque flagrant de capitaux en la matière, ce qui n'est pas
le cas outre-Atlantique, où les entreprises innovantes sont en grande partie
soutenues par des sociétés de capital-risque, elles-mêmes financées par des
fonds de pension ou par l'épargne locale. A cela s'ajoutent les réseaux de
business angels
, qui sont quasiment inconnus en France.
Il faut donc relancer la dynamique. C'est d'autant plus urgent que, du fait de
l'évolution démographique prévisible, notre capacité d'expansion va
vraisemblement baisser d'un demi-point par décennie. Or nos entreprises, à
cause des contraintes qu'on leur a imposées depuis quelques années, ont, plus
que d'autres peut-être, besoin d'innovation et de progrès technologiques.
Madame le ministre, vous avez annoncé un plan visant à stimuler le progrès
technologique. Il comporte, d'après ce que nous savons, plusieurs dispositions
concernant les sociétés de capital-risque, les fondations d'intérêt public ou
le crédit d'impôt recherche.
Peut-être pourriez-vous donner aujourd'hui à la Haute Assemblée un certain
nombre de précisions quant aux améliorations que vous entendez apporter à ces
dispositifs, spécialement en ce qui concerne le soutien à la recherche
exploitable et aux entreprises innovantes, qui ont besoin de bases plus
innovantes qu'aujourd'hui.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme la ministre déléguée.
Mme Claudie Haigneré,
ministre déléguée à la recherche et aux nouvelles technologies.
Monsieur
le sénateur, bien sûr le Gouvernement partage votre conviction que l'innovation
est essentielle pour le développement économique et qu'elle est au coeur de
notre politique de recherche.
J'ai présenté ma politique de recherche il y a quelques jours, et Nicole
Fontaine a fait connaître hier le plan de mesures pour l'innovation sur lequel
nous avons travaillé de façon conjointe, et, concernant le financement de la
recherche, la synergie entre secteur public et secteur privé, l'intégration
européenne, avec l'objectif de 3 % du PIB en 2010 consacrés à la recherche, qui
est pour nous, au niveau tant national qu'européen, un objectif ambitieux et
commun.
Le Gouvernement attend effectivement de ces mesures une amélioration nette
pour accroître le dynamisme économique. L'objectif est de pouvoir intervenir
aux différentes étapes de l'innovation en favorisant l'émergence des produits
et des services innovants grâce à cette synergie que nous souhaitons
intensifier entre la recherche publique et la recherche privée,..
M. Jacques Mahéas.
Pour favoriser la recherche, vous diminuez le budget !
Mme Claudie Haigneré,
ministre déléguée.
... en aidant financièrement les entreprises
innovantes qui démarrent, mais aussi tout au long de leur développement.
Je ne vais pas présenter l'ensemble de ces mesures, qui sont nombreuses et
diversifiées.
En revanche, je voudrais insister sur quatre points.
En premier lieu, vous l'avez évoqué, il faut donner un cadre fiscal
particulièrement intéressant et un statut à la jeune entreprise innovante, de
façon à créer un choc psychologique chez les investisseurs - vous avez évoqué
les
business angels -
et chez les entrepreneurs, qui verront que la
France leur fait désormais des propositions et qu'elle devient la terre la plus
accueillante possible pour développer ces projets d'entreprise.
En deuxième lieu, il faut créer des passerelles entre la recherche publique et
la recherche privée. Il convient d'augmenter le nombre des jeunes thésards en
entreprise, il faut leur offrir la possibilité de suivre des stages en
entreprise afin de créer une culture d'entreprise commune aux jeunes
scientifiques. Nous en avons d'autant plus besoin que c'est une raison d'une
partie de notre retard.
En troisième lieu, il nous faut développer des outils efficaces et fiscalement
attractifs à l'université et dans les organismes de recherche. Il nous faut par
exemple professionnaliser les services d'activités industrielles et
commerciales - les SAIC ou les cellules de valorisation.
En quatrième lieu, enfin, il nous faut mieux reconnaître le métier de
chercheur en prenant en compte ses différentes fonctions : enseignant et
chercheur. Il est, par exemple, envisagé de verser une prime afin de
récompenser les chercheurs qui ont contribué au dépôt de brevets. Il faut
valoriser la propriété intellectuelle ainsi créée. Il faut pouvoir la
transférer à la sphère économique en développant davantage les partenariats
avec le secteur privé. Il y va de l'intérêt des chercheurs, de celui de la
recherche dans toutes ses dimensions et, plus généralement, de celui de
l'ensemble de la croissance économique de notre pays.
En résumé, innover, c'est créer de la valeur, c'est créer des valeurs à partir
des savoirs que nous permet d'acquérir la recherche.
(Applaudissements sur
les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
AVENIR DES ZONES FRANCHES URBAINES
M. le président.
La parole est à M. Jean-Pierre Schosteck.
(Applaudissements sur les travées
de l'UMP.)
M. Jean-Pierre Schosteck.
Ma question s'adresse au ministre délégué à la ville et à la rénovation
urbaine.
Mise en oeuvre dans le cadre du pacte de relance pour la ville en 1996 par le
gouvernement d'Alain Juppé, le dispositif des zones franches urbaines avait
donné d'excellents résultats en termes d'emplois et de développement économique
dans les zones sinistrées sans grandes perspectives d'avenir.
(Marques
d'approbation sur les travées de l'UMP.)
M. René-Pierre Signé.
Comme pour l'UMP !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Il s'agissait de faire bénéficier des entreprises implantées ou nouvellement
créées d'exonérations fiscales et de charges sociales pour relancer l'activité
économique de quartiers sensibles.
C'est ainsi que 46 000 emplois nouveaux ont été créés sur 44 sites.
En outre, les zones franches urbaines ont permis une modification déterminante
de l'image des quartiers et une réaffirmation du rôle du travail dans
l'intégration sociale.
Enfin, les nombreux contrôles qui ont été effectués ont parfaitement joué leur
rôle contre les effets d'aubaine.
Le gouvernement de M. Jospin avait toutefois décidé de geler ce dispositif en
décembre 2001...
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
En décembre, c'est normal !
M. Jean-Pierre Schosteck.
... choississant de concentrer ses efforts sur la mise en place des 35 heures,
dont chacun peut aujourd'hui apprécier certains effets catastrophiques.
(M.
Jean Chérioux applaudit.)
M. Philippe François.
Absolument !
M. Jean-Pierre Schosteck.
En juillet dernier, la commission des affaires économiques du Sénat a approuvé
le rapport de notre collègue Pierre André...
M. Gérard Larcher.
L'excellent rapport !
M. Jean-Pierre Schosteck.
... en faveur d'une relance des zones franches urbaines. Il développait un
certain nombre de pistes tendant à améliorer le dispositif initial.
Le Gouvernement vient d'annoncer qu'il relançait, fort opportunément, ces
dispositifs, légèrement modifiés, et qu'une quarantaine de nouvelles zones
franches urbaines supplémentaires seraient mises en place.
M. Gérard Larcher.
Très bien !
M. Jean-Pierre Schosteck.
Pouvez-vous nous donner des précisions sur les améliorations que vous avez
apportées au dispositif et sur les futures zones qui seront ainsi créées ?
(Très bien ! et applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre délégué.
M. Jean-Louis Borloo,
ministre délégué à la ville et à la rénovation urbaine.
Monsieur le
sénateur, dans ces quartiers que l'on qualifie de prioritaires, dans lesquels
le taux de chômage est quatre fois plus élevé qu'ailleurs, voire cinq fois plus
pour les jeunes, la seule mesure d'espoir qui a permis la création d'activité,
ce sont les zones franches urbaines de MM. Jean-Claude Gaudin et Eric Raoult à
l'époque du gouvernement d'Alain Juppé.
(Applaudissements sur les travées de
l'UMP et de l'Union centriste.)
M. René-Pierre Signé.
C'était la belle époque !...
M. Jean-Louis Borloo
ministre délégué
Le bilan est aujourd'hui le suivant : près de 50 000
emplois, et non 46 000, ont été créés avec une procédure qui, pour des raisons
à mon avis mystérieuses, a été brocardée à l'époque.
Les conséquences ont été extrêmement graves. Si, dès le départ, tout le monde
avait joué le jeu - les administrations, les élus locaux et les chambres de
commerce - avec le dynamisme des jeunes on aurait probablement fait beaucoup
plus.
Les élus, de gauche comme de droite, prétendaient que le dispositif ne pouvait
être relancé car la Commission européenne le refuserait catégoriquement. Il
faut dire qu'elle a bon dos !
Depuis, avec la Commission européenne, nous avons dressé le bilan de
l'opération et nous sommes tombés d'accord sur le fait que le problème grave,
en Europe, c'était la crise et que, sous réserve d'une rénovation urbaine, les
zones franches étaient une bonne solution.
D'abord, pour remédier à la disparition des commerces en bas des immeubles et
à celle des petits artisans dans les zones qui n'ont pas été déclarées zones
franches, un sous-amendement a été adopté à l'Assemblée nationale et voté avec
l'accord du Gouvernement. Il viendra en discussion devant la Haute Assemblée
dès lundi. Il permettra à ces commerçants de ne pas fermer le rideau de leurs
magasins et aux petits artisants de poursuivre leur activité.
Ensuite, pour les zones franches qui ont pris du retard pour des raisons
diverses, nous avons obtenu une prolongation de cinq ans.
Enfin, puisque bien d'autres territoires sont plus fragiles encore depuis
quelques années,...
M. le président.
Monsieur le ministre, je vous prie de conclure.
M. Jean-Louis Borloo,
ministre délégué.
... le Gouvernement, avec l'accord de la Commission, a
accepté la réouverture de quarante zones.
J'insiste en conclusion sur le fait qu'il nous faudra avec nos partenaires,
les HLM et les chambres de commerce, jouer le jeu de l'amélioration du
patrimoine urbain.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste, ainsi que
sur certaines travées du RDSE.)
NUISANCES SONORES ET CRÉATION
DE L'OBSERVATOIRE DU BRUIT
M. le président.
La parole est à Max Marest.
M. René-Pierre Signé.
L'UMP, c'est le parti unique !
M. Max Marest.
Ma question s'adresse à Mme la ministre de l'écologie et du développement
durable.
M. Jacques Mahéas.
Elle est dans le mazout !
M. Max Marest.
D'après un récent sondage, dont les médias se sont fait l'écho ces jours-ci,
monsieur le secrétaire d'Etat, les deux tiers des ménages sont exposés à des
nuisances, plus particulièrement au bruit. Ces nuisances sont plus
spécifiquement ressenties par ceux qui habitent dans les agglomérations. Elles
sont, par là même, liées aux caractéristiques de la vie urbaine. Il en est
ainsi, notamment, des nuisances occasionnées par les différents modes de
transport - je pense en particulier aux vélomoteurs trafiqués - mais aussi des
nuisances dues au voisinage, qui sont en constante augmentation, en particulier
dans les immeubles anciens construits il y a plus de vingt ans.
En effet, le bruit est l'un des premiers phénomènes dont souffrent les
Français : 54 % se disent gênés par le bruit, alors qu'ils n'étaient que 43 % à
souffrir de cette gêne en 1989. Le phénomène est répandu, il est également mal
connu ; il engendre pourtant des effets nocifs sur la santé comme l'anxiété, la
dépression, ou encore la nervosité due au manque de sommeil.
Pratiquement dix ans jour pour jour après la loi relative à la lutte contre le
bruit, les nuisances sonores restent la première préoccupation de nos
concitoyens, devançant peut-être même les préoccupations liées à l'insécurité.
Il apparaît donc clairement que cette loi n'a pas porté ses fruits. Des
spécialistes reconnaissent d'ailleurs que le bruit globalement émis est
actuellement très supérieur à ce qu'il était il y a dix ans.
M. le président.
Veuillez poser votre question, monsieur Marest.
M. Max Marest.
Cette préoccupation, ô combien légitime ! mérite donc toute l'attention du
Gouvernement. C'est pourquoi je souhaiterais connaître les actions que le
Gouvernement compte entreprendre afin de donner une nouvelle impulsion à la
lutte contre les bruits de voisinage et d'apporter des réponses concrètes aux
situations parfois dramatiques vécues par nos concitoyens.
(Applaudissements
sur les travées de l'UMP, de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées
du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Dominique Bussereau,
secrétaire d'Etat aux transports et à la mer.
Monsieur le sénateur, je
vous prie d'accepter les excuses de Mme Bachelot, qui participe aujourd'hui à
une réunion importante sur l'environnement, à Bruxelles.
Lors du colloque sur le dixième anniversaire de la loi relative au bruit à
laquelle vous avez fait allusion, monsieur Marest, Mme Bachelot a rappelé
l'attachement du Gouvernement à la lutte contre les nuisances sonores.
Nombre de nos compatriotes estiment que c'est la nuisance la plus grave. Il
est vrai qu'elle touche les personnes les plus défavorisées, qui n'ont pas les
moyens de se protéger contre le bruit.
Je voudrais indiquer quelles sont les priorités du Gouvernement en matière de
politique contre le bruit.
Le premier axe de cette politique est la transposition d'une directive
européenne du 25 juin 2002 qui concernera, à terme, 35 millions d'habitants de
notre pays.
Le deuxième axe a été évoqué longuement ce matin dans cet hémicycle par Gilles
de Robien, qui répondait à une question orale avec débat de M. Gérard Larcher.
Il s'agit des nuisances sonores générées par les avions et les aéroports, pour
lesquelles le Gouvernement, par la voix de Gilles de Robien, a présenté, le 25
juillet, un ensemble de mesures. Elles seront prorogées et tiendront compte des
enseignements du débat de ce matin.
Le troisième axe, monsieur le sénateur, porte sur le bruit au quotidien. Cela
concerne le développement des techniques en matière acoustique, l'information,
l'éducation des citoyens, la mobilisation des communes. Chacun sait que les
collectivités locales sont des acteurs privilégiés en ce domaine.
Enfin, le quatrième axe de cette politique concerne la lutte contre le bruit
enregistré par les infrastructures de transport. Au moment où nous évoquons le
développement durable, nous souhaitons augmenter le nombre de trains, améliorer
le fret, etc. Par exemple, le fret ferroviaire est un mode de transport
extrêmement utile en termes de développement durable, mais c'est aussi un type
de transport très bruyant. Nous devons donc en tirer toutes les
conséquences.
Monsieur Marest, un dispositif très important est par ailleurs prévu
concernant la politique du bâtiment. Il concernera la construction d'écrans
antibruit, l'isolation des façades des habitations et bâtiments publics ; 30
millions d'euros ont été inscrits dans le projet de loi de finances pour 2003
pour financer ces opérations.
Enfin, je voudrais indiquer que cette politique est, par nature,
interministérielle et que le ministre de l'écologie et du développement durable
a engagé, avec les autres ministères, un plan d'action plus complet, plus
formel, qui vous sera présenté soit à la fin du mois de février, soit au début
du mois de mars.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président.
Mes chers collègues, nous en avons terminé avec les questions d'actualité au
Gouvernement.
Nous allons interrompre nos travaux quelques instants.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à quinze heures cinquante-cinq, est reprise à seize
heures cinq, sous la présidence de M. Adrien Gouteyron.)
PRÉSIDENCE DE M. ADRIEN GOUTEYRON
vice-président
M. le président. La séance est reprise.
5
COMMUNICATION RELATIVE
À UNE COMMISSION MIXTE PARITAIRE
M. le président. J'informe le Sénat que la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les dispositions restant en discussion du projet de loi de finances pour 2003 est parvenue à l'adoption d'un texte commun.
6
COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LA MALTRAITANCE
ENVERS LES PERSONNES HANDICAPÉES
Adoption des conclusions
du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 88,
2002-2003) de M. Jean-Marc Juilhard, fait au nom de la commission des affaires
sociales, sur la proposition de résolution (n° 315, 2001-2002) de M. Henri de
Raincourt, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la maltraitance
envers les personnes handicapées accueillies en institution et les moyens de la
prévenir. [Avis n° 81 (2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marc Juilhard,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
mes chers collègues, la mise au jour récente d'actes de maltraitance envers des
personnes handicapées accueillies en établissement à provoqué, à juste titre,
une vive émotion chez nos concitoyens.
Ces événements doivent être l'occasion de mettre fin au silence qui entoure
trop souvent ces situations et qui jette la suspicion sur le travail du
personnel des établissements accueillant enfants et adultes handicapés, qui,
dans leur immense majorité, font preuve d'un grand dévouement à l'égard des
personnes accueillies.
La loi du 2 janvier 2002 a réaffirmé le droit à la dignité et à la sécurité
des personnes accueillies dans les établissements sociaux et médico-sociaux.
Cette mise au point était assurément nécessaire. En pratique, la question de la
maltraitance des personnes handicapées en institution ne pourra être réglée que
si les causes de ce phénomène sont étudiées et combattues, et si le dispositif
de prévention, de signalement et de lutte contre ce phénomène, qui existe en
droit, ne reste pas lettre morte.
Dans cette perspective, la proposition de résolution, présentée par notre
éminent collègue M. Henri de Raincourt, tendant à la création d'une commission
d'enquête sur la maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en
institution et les moyens de la prévenir, distingue quatre pistes : dresser le
bilan de l'ampleur de la maltraitance dans les établissements d'accueil pour
personnes handicapées ; évaluer l'efficacité du contrôle effectué par les
autorités de tutelle sur le fonctionnement des établissements en matière de
sécurité et de respect des personnes accueillies ; évaluer l'efficacité des
procédures d'écoute des inquiétudes ou d'enregistrement des plaintes exprimées
par les personnes accueillies, par leur famille ou par le personnel des
établissements ; enfin, élaborer des propositions de réponse efficaces et
adaptées au phénomène de la maltraitance en institution.
A l'occasion de l'examen de cette proposition de résolution, votre commission
des affaires sociales a d'abord été frappée par la faiblesse de l'information
disponible sur l'ampleur des phénomènes de maltraitance envers des personnes
handicapées, qu'elles soient accueillies en institution ou en famille
d'accueil.
Les derniers chiffres connus datent du 25 juin 1999. Ils font état, toutes
catégories d'établissements sociaux et médico-sociaux confondues, de
quatre-vingt-une affaires de maltraitance signalées à la direction générale de
l'action sociale, dont 42 % concernent des enfants handicapés accueillis en
institut médico-éducatif. Ces chiffres sont d'autant plus inquiétants qu'ils ne
reflètent sans aucun doute que partiellement la réalité des situations vécues
par les personnes handicapées et leur famille, compte tenu de la difficulté
pour les intéressés à signaler les mauvais traitements dont ils sont
victimes.
Il est vrai que la loi du 2 janvier 2002 a renforcé la protection des salariés
et des médecins lorsqu'ils dénoncent des actes de maltraitance, mais il est
encore difficile de mesurer l'effet de cette mesure, entrée en vigueur voilà
moins d'un an, sur le nombre de cas signalés.
L'exploitation de ces signalements reste simplement statistique. Ainsi, alors
que la même enquête constate que le fonctionnement des établissements est mis
en cause dans 70 % des cas de maltraitance, aucune typologie de ces
dysfonctionnements n'est actuellement disponible pour permettre d'améliorer la
prévention.
La faiblesse de l'information sur l'ampleur de la maltraitance des personnes
handicapées accueillies en établissement et l'absence d'évaluation de la
sensibilisation des personnels à ces questions justifient donc parfaitement la
création d'une commission d'enquête sur le phénomène de maltraitance envers les
personnes handicapées accueillies en établissement et services sociaux et
médico-sociaux.
Votre commission des affaires sociales a également constaté que l'analyse de
l'efficacité des systèmes de prévention et de contrôle n'en était encore qu'au
stade embryonnaire dans notre pays.
Concernant d'abord le dispositif de prévention, un premier pas semblait avoir
été franchi avec le lancement, en 2001, d'un programme pluriannuel d'inspection
préventive, mais ce dernier n'a, à ce jour, fait l'objet d'aucun retour ou
bilan intermédiaire permettant d'éclairer les causes de la maltraitance et les
moyens de la prévenir.
S'agissant ensuite du contrôle exercé par les autorités de tutelle, et malgré
les améliorations sensibles apportées par la loi du 2 janvier 2002 rénovant
l'action sociale et médico-sociale, la complexité de la répartition des
compétences entre préfet et conseil général semble nuire à la rapidité et à
l'efficacité des procédures de contrôle du fonctionnement des établissements,
ce qui est particulièrement dommageable dans les cas de maltraitance, où
l'urgence est la règle.
C'est pourquoi, un an après la parution de cette loi, la commission des
affaires sociales estime qu'il est souhaitable que le Parlement puisse examiner
l'application de ce régime de contrôle et proposer toutes les améliorations
nécessaires à la réalisation de l'objectif d'accompagnement et de protection
des personnes handicapées, qui est la raison d'être des établissements qui les
accueillent.
Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des affaires
sociales a toutefois tenu à préciser le champ d'investigation de la commission
d'enquête, en visant expressément les « établissements et services sociaux et
médico-sociaux », conformément à la terminologie désormais employée par la loi
du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale et médico-sociale.
Compte tenu de l'ensemble de ces observations, elle vous propose donc
d'adopter la proposition de résolution dans la rédaction qu'elle a retenue.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Laurent Béteille,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Monsieur le président, mes chers collègues, la commission des
lois a examiné la proposition de notre excellent collègue M. de Raincourt
tendant à la création d'une commission d'enquête sur la maltraitance envers les
personnes handicapées accueillies en institution, mais elle l'a fait uniquement
pour émettre un avis sur la recevabilité de ce texte.
Conformément à l'article 11 du règlement du Sénat, il existe deux types de
commissions d'enquête : celles qui portent sur des faits déterminés, ce qui
n'est pas le cas en l'espèce, et celles qui portent sur le contrôle des
services publics. En l'occurrence, il semble bien que ce soit le cas puisqu'il
s'agit d'examiner les moyens et les procédures dont disposent l'Etat, les
collectivités locales et la sécurité sociale pour s'assurer que, dans les
institutions, l'intégrité et le respect des personnes handicapés sont assurés.
Par conséquent, je n'ai pas besoin de m'expliquer davantage pour vous dire que
cette demande de création de commission d'enquête est recevable.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, mes chers collègues, la proposition de résolution qui
nous est soumise a pour ambition de constituer une commission d'enquête sur la
maltraitance envers les personnes handicapées accueillies en établissement et
services sociaux et médico-sociaux, ainsi que sur les moyens de la prévenir.
Elle tend à en mesurer l'ampleur et à évaluer l'efficacité des moyens publics
de son contrôle et de sa sanction.
De toute évidence, cette proposition répond à une attente de nos concitoyens.
La récente affaire des disparues de l'Yonne a révélé combien l'absence
d'attention des autorités compétentes pouvait engendrer d'effroyables
drames.
Cette affaire n'est d'ailleurs pas un coup de tonnerre dans un ciel serein.
Relatées dans les quotidiens, les pratiques de maltraitance envers les franges
de la population les plus vulnérables émergent aujourd'hui de l'anonymat. Elles
sont de plus en plus nombreuses et les témoignages proviennent de tout
l'Hexagone.
Nous devons à nos concitoyens de faire la lumière sur ces agissements et de
contribuer à ce qu'ils ne se reproduisent plus jamais. De la même façon, nous
devons aussi aux personnels des établissements qui accueillent ces personnes
handicapées de lever le voile de suspicion qui s'abat sur leur travail et leur
personne, alors même qu'ils exécutent dans leurs très grande majorité leur
mission avec force conscience.
Il n'est donc pas incohérent pour le groupe CRC d'abonder dans le sens de la
proposition de résolution de notre collègue, dans la mesure où, dans son
principe, celle-ci vise à éclairer une situation par la mesure, la prévention
et le contrôle des agissements inqualifiables envers cette catégorie de la
population.
L'un des moyens réside effectivement dans la constitution d'une information
préalable à toute analyse de la situation. Toutefois, la relative faiblesse de
l'information disponible sur le sujet empêche aujourd'hui toute mesure ciblée
et d'envergure des pouvoirs publics à l'encontre des fautifs.
Si, en 2001, seulement cent cinquante et une affaires de maltraitance de
personnes handicapées sont parvenues au ministère des affaires sociales par
l'intermédiaire des directions départementales de l'action sanitaire et
sociale, les associations estiment leur nombre à plusieurs centaines par an -
affaires, au demeurant, qui restent, pour la majorité d'entre elles, non
résolues, ou qui sont classées, au détriment des victimes.
A cet égard, nous ne pouvons donc qu'encourager la commission d'enquête à
constituer un observatoire des maltraitances de personnes handicapées.
Toutefois - et notre collègue le rappelle à juste titre - la loi du 2 janvier
2002 visant à rénover l'action sociale et médico-sociale a donné les moyens aux
pouvoirs publics d'intervenir avec fermeté contre les responsables d'actes de
maltraitance afin de restaurer la dignité des personnes victimes de ces
maltraitances.
En effet les articles 6 et 7 de la loi affirment le droit des personnes au
travers de la charte déontologique nationale. Les articles 38 et suivants
définissent les conditions de contrôle de ces établissements, pouvant aller
jusqu'à leur fermeture, ordonnée par le représentant de l'Etat, accompagnée de
sanctions pénales à l'encontre des responsables. L'article 48 prévoit de
protéger les salariés dénonçant des faits de maltraitance, notamment par
réintégration des salariés licenciés.
L'arsenal juridique à disposition permet donc largement aux pouvoirs publics
d'intervenir efficacement en cas de maltraitance des personnes handicapées.
Pourquoi les autorités compétentes n'appliquent-elles pas la loi ?
Il semble que la réponse à cette question soit, sur le fond, d'une autre
nature que la simple confusion des compétences entre l'Etat et les
collectivités territoriales ou que l'inaction présumée des services nationaux
et départementaux de contrôle des établissements sociaux et médico-sociaux. En
fait, elle réside plutôt dans la configuration générale de la politique
nationale de traitement du handicap.
Dès lors, il n'est pas incohérent, compte tenu de la gravité du sujet, de
s'attarder plus longuement sur les enjeux qui doivent sous-tendre la démarche
de la commission d'enquête.
Il est indéniable qu'il faut évaluer l'efficacité du dispositif de veille, de
prévention et de contrôle de la maltraitance pour défnir avec pertinence les
dispositions à mettre en oeuvre pour éradiquer ce fléau.
Mais, si l'on recherche les conditions d'une action efficace en faveur des
personnes handicapées, il est surtout nécessaire de porter préalablement
l'effort de réflexion sur ce que l'on doit apprécier au travers de la notion de
maltraitance des personnes handicapées et de son périmètre d'effectivité.
Pour le sens commun, la première approche de la maltraitance est celle de la
violence qui s'étale le plus visiblement dans les quotidiens. Particulièrement
odieuses parce qu'elles s'attaquent à des personnes le plus souvent dans
l'incapacité de s'opposer à cette violence, les violences physiques et les
violences psychiques sont les deux formes de la maltraitance des personnes
handicapées qui apparaissent le plus souvent aux yeux de nos concitoyens. Il
est évidemment fondamental de pouvoir intervenir efficacement dans les plus
brefs délais face à ce genre de maltraitances.
Mais, bien que plus médiatisées que les autres formes de maltraitance, ces
violences ne sont ni les plus importantes ni les plus nombreuses. La raison
essentielle tient tout entière dans la définition de la maltraitance.
En effet, si la maltraitance est synonyme de violences, elle est aussi
synonyme de « non-traitance », c'est-à-dire de la non-application des
traitements, des soins et des attentions nécessaires à la prise en charge et à
l'épanouissement de la personne atteinte de handicaps.
Or interroger la maltraitance sous cet angle renvoie à une autre lecture du
sujet : une lecture complémentaire, bien entendu, mais une lecture différente,
qui interroge la cause de la maltraitance au travers du désengagement
progressif de l'Etat par rapport à la question du handicap dans la société, et
ce malgré les quelques initiatives nationales ou locales réussies par ailleurs.
Rappelons, encore une fois, que la part de l'effort de la nation en matière de
handicap a chuté de 2,1 points à 1,7 point du PIB entre 1985 et 2001.
Or ce désengagement progressif de l'Etat conduit à la contraction des
financements destinés au fonctionnement de ces établissements sociaux et
médico-sociaux.
Dans les faits, cette attitude purement comptable conduit à la révision à la
baisse quasi systématique des propositions de budget faites par les
établissements sociaux et médico-sociaux. Très concrètement cela peut se
traduire par l'impossibilité d'assurer les missions les plus élémentaires en
direction des personnes handicapées.
C'est ainsi que les établissements n'ont pas les moyens d'acquérir les lits
adaptés aux personnes lourdement handicapées. Ils n'ont pas les moyens de
rénover les locaux sanitaires, afin de les adapter au nombre et aux pathologies
des pensionnaires. Ils n'ont pas davantage les moyens d'embaucher du personnel
qualifié capable de réagir en adéquation avec les besoins des personnes
handicapées, de s'engager dans une politique de formation du personnel
appropriée aux tâches réelles exécutées en établissement ou de développer une
véritable gestion des ressources humaines.
Je prendrai le cas du célèbre foyer Saint-Nicolas de Villeneuve-sur-Yonne :
l'application de cette stratégie comptable s'est traduite, en 1999, par un
budget global amputé de 0,107 million d'euros et par l'impossibilité de
rémunérer un médecin au-delà de neuf heures par semaine, alors que sa présence
est requise en permanence pour tous les patients ; elle s'est traduite, en
2000, face à l'affluence des demandes d'inscription, par l'augmentation du
nombre de lits ouverts, mais à budget constant. Dans ces conditions, comment la
charge de travail peut-elle être assumée dans de bonnes conditions pour les
personnels et les personnes handicapées ?
La presse en a suffisamment fait état. De nombreux exemples montrent les
conséquences désastreuses d'une politique de restriction budgétaire sur
l'ensemble du fonctionnement des établissements et des services sociaux et
médico-sociaux.
Pour autant, loin de moi l'idée d'excuser des faits avérés et injustifiables.
Mais ce constat permet simplement de comprendre les raisons du climat délétère
qui peut régner dans ces établissements et ses effets sur les personnels et les
patients. Il confirme les réclamations des associations : « L'absence de moyens
suffisants alloués aux établissements explique l'essentiel des dérapages de la
profession. »
Mais il n'est pas non plus dans mon intention d'impliquer, de façon démesurée,
la responsabilité des directions départementales des affaires sanitaires et
sociales - les DDASS - dans ce constat. Empêtrées dans les contradictions
comptables, les DDASS allouent aux établissements les financements en fonction
des moyens dont elles disposent, moyens qui, de toute façon, ne couvrent pas
l'ampleur des besoins des personnes handicapées.
Sur le fond, vous l'avez compris, l'analyse de la maltraitance sous l'angle de
la non-traitance révèle l'absence d'une véritable volonté politique nationale
de s'occuper du handicap.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Cela va enfin changer
!
M. Guy Fischer.
Par conséquent, 2003 sera l'année du handicap ; le Président de la République
en a fait l'une des priorités. Nous verrons si cela va changer, monsieur About
!
Au-délà des déclarations présidentielles, au demeurant fort instructives, un
réel engagement en direction des personnes handicapées, un réel engagement
contre toutes les maltraitances qu'elles subissent, impliquent de s'atteler
véritablement à cette tâche. Or, là encore, la commission d'enquête, en
restreignant son champ d'investigation, restreint par la même occasion la
possibilité d'apporter sa contribution ; j'attire votre attention sur ce point,
monsieur le président de la commission, monsieur le rapporteur. En effet,
s'engager dans la voie d'une grande politique nationale du handicap suppose
aussi de réfléchir sur la notion de maltraitance au-delà du seul périmètre de
l'institution sociale et médico-sociale.
Malheureusement, cette dimension qui touche à la maltraitance des personnes
handicapées, la commission d'enquête n'envisage pas de la traiter. Pourtant, si
cette dernière veut apporter des éléments de réponse à cette maltraitance, elle
devrait aussi se donner les moyens de son ambition.
Tels sont les motifs qui conduisent le groupe communiste républicain et
citoyen à soutenir la création de la commission d'enquête proposée par la
proposition de résolution. Mais quelques-unes de ses insuffisances - si je ne
les avais pas relevées, vous me l'auriez reproché, monsieur le rapporteur,
monsieur le président - mériteraient d'être retravaillées dans l'intérêt des
personnes handicapées et dans l'objectif du grand chantier gouvernemental prévu
pour l'année 2003.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
M. le président.
«
Article unique. -
En application de l'article 11 du règlement du
Sénat et de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative
au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est créé une commission
d'enquête de vingt et un membres sur la maltraitance envers les personnes
handicapées accueillies en établissements et services sociaux et médico-sociaux
et les moyens de la prévenir. »
La parole est à M. Gilbert Chabroux, pour explication de vote.
M. Gilbert Chabroux.
Monsieur le président, mes chers collègues, la proposition de résolution de
notre collègue Henri de Raincourt nous incite à poursuivre les efforts qui ont
été réalisés depuis plusieurs années afin de mettre un terme aux actes de
maltraitance envers des personnes handicapées.
Comme le rappelle à juste titre Jean-Marc Juilhard, rapporteur, le
gouvernement précédent n'est pas resté insensible à ce problème et n'est donc
pas demeuré inactif. Un programme pluriannuel d'inspection préventive a été
lancé en 2001.
Dans la même perspective, la loi du 2 janvier 2002 rénovant l'action sociale
et médico-sociale est venue réaffirmer les droits fondamentaux des personnes
accueillies. Elle ne s'en est d'ailleurs pas contentée puisqu'elle a aussi
élaboré un dispositif de prise en charge et de protection de ces personnes.
Je rappellerai à cet égard le contenu des articles 8 à 13 de cette loi qui
prévoit, afin de garantir l'exercice effectif des droits de la personne
accueillie et de prévenir tout risque de maltraitance, la remise d'un livret
d'accueil.
Outre une charte des droits et des libertés de la personne, ce livret comprend
un contrat de séjour élaboré avec la personne ou son représentant légal, qui
définit les objectifs et la nature de la prise en charge ou de
l'accompagnement.
Sont également rappelés les principes déontologiques et éthiques, ainsi que
des recommandations de bonne pratique. Enfin, la liste et la nature des
prestations offertes doivent être mentionnées.
Pour faire valoir ses droits en cas de difficulté, toute personne prise en
charge ou, le plus souvent, son représentant légal peut faire appel à une
personne qualifiée choisie sur une liste établie par l'administration et les
services du conseil général. Cette personne rendra compte de ses interventions
aux autorités chargées du contrôle des établissement concernés.
Dans chaque établissement, un projet d'établissement ou de service doit fixer
les objectifs, les modalités d'organisation, la qualité des prestations et
l'évaluation des activités. En outre, un conseil de la vie sociale doit
permettre aux personnes accueillies de participer au fonctionnement de
l'établissement.
Un règlement de fonctionnement complète ce dispositif. Il définit les droits
de la personne accueillie, ainsi que les obligations et les devoirs nécessaires
au respect des règles de la vie collective.
Enfin, la protection des médecins et des salariés qui dénoncent des actes de
maltraitance a été renforcée.
C'est donc un dispositif juridique complet et équilibré qui a été mis en place
à l'occasion du vote de la loi du 2 janvier 2002. Nous ne disposons pas encore
aujourd'hui d'une évaluation des résultats obtenus à partir de ce texte.
Les derniers chiffres dont nous avons connaissance sont tout à fait
inquiétants, même s'ils datent, comme le souligne notre rapporteur, de 1999,
c'est-à-dire d'une période antérieure à la loi et à la mise en oeuvre de la
mission d'inspection.
Il est établi que les instruments administratifs de contrôle existent.
Cependant, le plus difficile - chacun en est conscient - est de connaître et,
surtout, de faire venir au jour les dérives qui risquent de se produire à
l'intérieur de certains établissements. Nous sommes en présence d'un continent
opaque, où les actes de plus grand dévouement peuvent côtoyer les plus
terribles agissements.
Nul ne peut contester la nécessité de faire maintenant le point sur
l'efficacité de la loi que nous avons votée.
C'est même l'un de nos premiers et plus impérieux devoirs que d'étudier les
conditions de vie des plus fragiles de nos compatriotes.
Nous espérons surtout que nous sortirons de cette commission non pas seulement
mieux informés, mais également mieux armés pour prévenir les actes de
maltraitance. Il importe, dans l'intérêt des personnes accueillies et des
personnels dans leur immense majorité, que nous soyons en mesure de faire des
propositions pour améliorer la situation. Nous entendons non seulement
renforcer la détection et le contrôle, mais aussi améliorer la formation et la
préparation psychologique des personnels. Sans doute cela nécessitera-t-il
quelques moyens.
C'est dans cet esprit que les sénateurs du groupe socialiste participeront à
la commission d'enquête dont la création nous est proposée aujourd'hui.
M. le président.
La parole est à M. Gérard Larcher, pour explication de vote.
M. Gérard Larcher.
Monsieur le président, mes chers collègues, naturellement j'apporterai mon
total soutien à la création d'une commission d'enquête sur la maltraitance
envers les personnes handicapées accueillies en institution ; cela nous
fournira l'occasion de faire le point sur la situation.
Monsieur le président de la commission, à l'aube de cette année qui va être
consacrée au handicap, il faudrait que nous nous préoccupions - pardonnez-moi
ce néologisme - de la « bientraitance » des personnes handicapées.
En effet, assumant des responsabilités au sein d'une fédération nationale qui
accueille 17 000 personnes handicapées chaque jour, je ne peux me satisfaire de
la situation de 13 000 autres personnes, handicapées de la vie, qui ont moins
de soixante ans et qui ne sont pas accueillies dans des structures adaptées à
leur situation. A l'heure actuelle, nous n'avons pas de véritable réponse en
termes de soins à l'égard de ces handicapés.
Bien sûr, il ne s'agit pas de maltraitance au sens où la commission d'enquête
l'entend.
M. Guy Fischer.
C'est de la « non-traitance » !
M. Gérard Larcher.
Mais c'est une question de dignité, de qualité de soins. Au moment où nous
allons aborder les SROS 3 - les schémas régionaux d'organisation sanitaire -,
je souhaite vraiment que nous étudions ce problème.
L'hôpital public accueille ces personnes du mieux qu'il peut, mais dans des
établissements qui ne sont adaptés ni à leur situation ni à leur besoin de
soins. Je voudrais, notamment, que nous appliquions, comme cela a été fait pour
les malades neurovégétatifs - on sait ce que cela signifie ! -, la circulaire
récente, afin de pouvoir les accueillir dans des conditions de dignité qui
répondent vraiment à la conception que nous avons de l'homme.
Je souhaite répondre à Guy Fischer en lui demandant de faire attention aux
chiffres ! De 1988 à 1998, quels que soient les gouvernements, le nombre de
places d'accueil pour les adultes handicapés a augmenté de 54 %. Ce n'est sans
doute pas suffisant, car nous devons traiter le vieillissement du handicapé,
réalité que nous connaissons bien ici : l'espérance de vie, notamment pour les
malades trisomiques, qui était de trente ans voilà quelques décennies, est
passée à cinquante ans aujourd'hui. Nous avons un devoir de réponse !
Si les crédits et le nombre de places pour les enfants handicapés ont diminué,
c'est parce que l'ambulatoire en famille remplace l'accueil en internat. En
réduisant de 27 % les places en internat, nous avons offert, en quelque sorte,
aux enfants et aux familles une chance de préserver leur dignité et de se
réinsérer dans la société.
Par conséquent, dans ce genre de débat, il faut faire très attention à
l'aspect humain. Naturellement, des moyens financiers sont nécessaires. Les 13
000 grands handicapés auxquels j'ai fait allusion ont besoin d'une attention
particulière. Il faut combatre la maltraitance par tous les moyens. Mais au
moment où le Président de la République et le Gouvernement veulent faire de
2003 l'année du handicap, c'est l'occasion de s'intéresser à la bientraitance
et à la dignité de nos citoyens handicapés.
(Applaudissements sur les
travées de l'UMP.)
M. le président.
La parole est à M. Bernard Plasait, pour explication de vote.
M. Bernard Plasait.
Monsieur le président, mes chers collègues, depuis plusieurs années des
témoignages effrayants provenant de différents points du territoire révèlent
des comportement inadmissibles de certains individus à l'égard de personnes
vulnérables : les personnes handicapées placées en établissement.
L'opacité de la gestion de nombreux établissements et l'absence de contrôles
fréquents, qui devraient être exercés par l'Etat, alimentent toutes les
rumeurs, au détriment des institutions qui, elles, respectent la loi et les
droits des personnes qu'elles hébergent.
Qu'en est-il réellement ? Que se passe-t-il dans ces établissements ? La
création de cette commission d'enquête a pour objet non seulement de lever le
voile sur la vérité, mais également de trouver des solutions pour remédier à
cet état de fait.
Il incombe effectivement à l'Etat de comprendre comment de tels actes - coups,
viols, maltraitance morale, humiliation, sadisme - peuvent être commis par des
personnels soignants ou administratifs.
Comment se fait-il que les personnes ayant particulièrement besoin d'être
protégées se retrouvent paradoxalement en position de victimes ?
Selon certains experts, c'est précisément parce que ces personnes sont faibles
et sans défense que certains les maltraitent sans grand risque de
représailles.
Comment la société peut-elle en arriver à un tel degré d'impunité ? C'est à
toutes ces questions qu'il faudra répondre et apporter des solutions.
Depuis quelques années, ce dossier tabou évolue - trop lentement, hélas ! -
sous la pression des parents des personnes maltraitées, des associations de
personnes handicapées, mais aussi à la demande de certaines directions
d'établissement qui remplissent leur devoir de dénonciation, toujours
difficile.
Par ailleurs, la loi rénovant l'action sociale et médico-sociale a prévu des
mesures en faveur d'un meilleur respect des droits et des libertés des
usagers.
De plus, au début de l'année 2002, un vaste programme quinquennal 2002-2005
d'inspection des établissements sociaux et médico-sociaux a été mis en place.
Son objet est de visiter pas moins de deux mille structures en cinq ans. Une
formation à la prévention des maltraitances devait également être organisée par
les inspecteurs, les médecins inspecteurs et les directeurs d'établissement.
L'objectif est louable, mais la procédure est longue et sans résultat concret
immédiat.
L'actualité sordide exige donc une action plus rapide et plus efficace. C'est
la raison pour laquelle le groupe de l'UMP votera la proposition de
résolution.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires
sociales sur la proposition de résolution n° 315.
(La proposition de résolution est adoptée.)
M. le président.
Je constate que le texte a été adopté à l'unanimité des suffrages exprimés.
7
COMMISSION D'ENQUÊTE
SUR LA POLITIQUE NATIONALE DE LUTTE
CONTRE LES DROGUES ILLICITES
Adoption des conclusions
du rapport d'une commission
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusion du rapport (n° 89,
2002-2003) de M. Jean-Marc Juilhard, fait au nom de la commission des affaires
sociales, sur la proposition de résolution (n° 348, 2001-2002) de MM. Bernard
Plasait et Henri de Raincourt et les membres du groupe des Républicains et
Indépendants, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la politique
nationale de lutte contre les drogues illicites. [Avis n° 82 (2002-2003).]
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Marc Juilhard,
rapporteur de la commission des affaires sociales.
Monsieur le président,
mes chers collègues, nous assistons aujourd'hui à une banalisation de la
consommation de stupéfiants : la consommation régulière de drogues illicites
reste, heureusement, marginale, mais on ne peut qu'être frappé de constater que
l'expérimentation de ces substances concerne une part de plus en plus
importante de la population, en particulier en ce qui concerne le cannabis,
déjà expérimenté par un Français sur cinq.
Face à cette banalisation, la politique nationale de lutte contre les drogues
illicites doit reposer sur trois piliers : un dispositif d'information et de
prévention efficace, une prise en charge sanitaire et sociale des toxicomanes
qui donne à ceux qui en ont la volonté la possibilité de s'engager dans une
démarche de sevrage et, enfin, un dispositif ferme de lutte contre l'usage et
le trafic de stupéfiants.
Ce sont ces trois piliers, et l'action des différents acteurs, non seulement
publics mais aussi associatifs, au regard des trois impératifs de prévention,
de soin et de lutte contre l'usage et le trafic de stupéfiants, qui sont visés
par la proposition de résolution présentée par nos collègues, MM. Bernard
Plasait, Henri de Raincourt et les membres du groupe des Républicains et
Indépendants, tendant à la création d'une commission d'enquête sur la politique
nationale de lutte contre les drogues illicites.
Cette commission d'enquête serait chargée, selon les auteurs de la proposition
de résolution, de dresser un bilan des politiques publiques de lutte contre la
toxicomanie ainsi que des connaissances scientifiques sur la définition des
drogues et leurs effets sur la santé et la sécurité publiques, de manière à
pouvoir définir une politique nationale forte, claire et cohérente de lutte
contre les drogues illicites.
Au-delà des dommages causés aux individus eux-mêmes, le coût social de la
consommation de drogues illicites est considérable. Il est vrai que, de ce
point de vue, la consommation de tabac et d'alcool a des conséquences tout
aussi importantes en termes de santé publique, ce qui pourrait plaider en
faveur d'une extension du champ d'investigation de la commission d'enquête.
La commission des affaires sociales a cependant considéré que, au-delà des
points communs avec les phénomènes de dépendance, les liens qui existent entre
la toxicomanie pure, la délinquance et le trafic organisé justifient une
limitation de la réflexion aux drogues illicites.
La loi du 31 décembre 1970 a fixé un impératif général de prévention dont la
mise en oeuvre incombe normalement à l'Etat. Il se décline en prévention de la
rencontre avec le produit, prévention des abus de consommation et prévention de
la dépendance.
Toutefois, le dispositif de prévention et d'information fait intervenir, en
pratique, un grand nombre d'acteurs et, concernant l'Etat lui-même, une
pluralité de ministères : il exige, à l'évidence, une coordination centrale
forte, qui est assurée par la mission interministérielle de lutte contre la
drogue et la toxicomanie, plus communément appelée la MILDT.
De nombreux rapports ont, ces dernières années, critiqué le fonctionnement de
la MILDT. Pour les résumer, je reprends les termes de notre collègue M. Roland
du Luart, rapporteur spécial, dans son rapport d'information du 16 octobre 2001
: « Si la MILDT ne veut pas demeurer un simple distributeur de crédits, elle se
doit de développer sa capacité de contrôle et d'évaluation sur les actions et
les organismes qu'elle contribue à financer. »
La commission des affaires sociales tient à saluer la nomination du nouveau
président de la MILDT, médecin et homme de terrain, qui devrait donner un
nouvel élan à cette structure. Elle estime cependant qu'il n'est pas inutile
que le Sénat examine les conditions dans lesquelles les améliorations demandées
l'an passé par son rapporteur spécial pourraient être mises en oeuvre.
S'agissant de l'impératif de soins, dont la responsabilité a été confiée aux «
centres de soins spécialisés pour toxicomanes », la commission des affaires
sociales n'ignore pas les interrogations soulevées par la loi du 2 janvier 2002
rénovant l'action sociale et médico-sociale.
Le classement de ces centres de soins spécialisés pour toxicomanes au nombre
des établissements sociaux et médico-sociaux permet assurément une meilleure
planification de l'ouverture de places et une répartition de l'effort sur
l'ensemble du territoire plus pertinente. Ce classement suscite toutefois de
nouvelles questions, concernant, notamment, le transfert du financement de ces
établissements à l'assurance maladie, les conditions de la fixation de leurs
dotations globales, le regroupement, au sein des mêmes structures, de
toxicomanes et de personnes en situation de dépendance alcoolique ou encore la
prise en charge des polytoxicomanes.
La commission des affaires sociales estime qu'une commission d'enquête sur la
politique de lutte contre la toxicomanie pourrait, dès lors, détecter les
points de blocage et les risques de saturation de ce réseau et, de ce fait,
dégager des solutions nouvelles.
S'agissant de la répression de l'usage de stupéfiants, la commission des
affaires sociales constate la difficulté que rencontrent les différents acteurs
pour s'entendre sur la manière de conjuguer répression et prise en charge
sanitaire et sociale.
Les chiffres montrent, en effet, que, si les services de police et de
gendarmerie continuent à appliquer à la lettre la loi de 1970, en revanche des
circulaires sont venues infléchir la rigueur législative dans les autres
secteurs, et notamment judiciaire. Ces différences d'approche conduisent à
classer sans suite, dans leur grande majorité, les faits d'usage de stupéfiants
ayant donné lieu à interpellation.
Dans ces conditions, il apparaît opportun de dresser un bilan de l'efficacité
des dispositions, tant répressives que sanitaires, relatives à l'usage de
stupéfiants. Ce bilan pourrait également inclure une évaluation des moyens mis
à disposition des services répressifs et judiciaires, ainsi qu'une estimation
de la formation des différents acteurs aux problématiques liées à la
toxicomanie.
La commission des affaires sociales constate enfin, comme l'office central de
répression du trafic illicite de stupéfiants, que l'évolution des arrestations
de trafiquants ne suit pas celle des interpellations d'usagers. En effet, si,
depuis 1990, les interpellations d'usagers ont progressé de 185 %, les
interpellations de trafiquants n'ont, elles, augmenté que de 26 %.
Il ne faut certes pas sous-estimer la difficulté liée au caractère
transfrontalier du trafic de stupéfiants et son imbrication avec la criminalité
organisée et la délinquance financière.
Cet état de fait doit conduire à une politique de lutte contre le trafic de
stupéfiants qui ne se limite pas aux aspects douaniers, relevant d'ores et déjà
de la responsabilité de l'Union européenne.
Il s'agit également de s'interroger sur la cohérence de l'allocation des
moyens et de la répartition des efforts consacrés par les services répressifs
respectivement aux interpellations d'usagers et aux interpellations de
trafiquants.
Compte tenu de l'ensemble de ces observations, la commission des affaires
sociales vous propose, mes chers collègues, d'adopter cette proposition de
résolution sans modification.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et
de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur pour avis.
M. Laurent Béteille,
rapporteur pour avis de la commission des lois constitutionnelles, de
législation, du suffrage universel, du règlement et d'administration
générale.
Monsieur le président, mes chers collègues, comme précédemment,
la commission des lois a examiné cette proposition de création de commission
d'enquête sous l'angle de la recevabilité.
Dans la mesure où cette commission a pour objet de contrôler l'action de
l'administration, d'examiner l'adéquation des moyens et l'efficacité de notre
arsenal pénal, il apparaît qu'il s'agit bien d'un contrôle des services publics
et, à ce titre, recevable conformément à l'article 11 du règlement du Sénat.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Merci !
M. le président.
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Guy Fischer.
Monsieur le président, mes chers collègues, il est tout à fait souhaitable
qu'un grand débat parlementaire ait lieu sur la question de l'usage des
produits psycho-actifs.
L'usage et les modes de consommation de drogues ont en effet bien évolué
depuis la loi sur la toxicomanie du 31 décembre 1970, évolution constatée
également en ce qui concerne la connaissance de l'action des drogues sur le
cerveau et de leur dangerosité.
Si cette loi a été pensée dans un souci plutôt répressif afin d'éradiquer le
phénomène, il faut néanmoins constater qu'elle n'a pas atteint le résultat
escompté, l'action répressive n'étant pas la seule à mener.
Or j'observe que la commission entend se consacrer uniquement à la lutte
contre les drogues illicites. Notre arsenal juridique et répressif en la
matière serait-il à ce point insuffisant ?
Entre parenthèses, la commission d'enquête n'envisage pas d'oeuvrer en matière
de lutte contre les trafics ou contre le blanchiment de l'argent de la drogue.
Derrière la lutte contre les drogues illicites, n'y a-t-il pas, en fait, une
volonté implicite de renforcer la lutte contre les usagers ?
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Oh !
M. Guy Fischer.
Vous n'êtes pas sans savoir, mes chers collègues, qu'il existe en France une
mission interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie, la
MILDT.
Jusqu'à présent, la politique de la France, portée par la MILDT, consistait à
lutter contre les drogues, qu'elles soient licites ou illicites. Pour ces
raisons, la MILDT s'est dotée d'outils permettant d'avoir une meilleure
connaissance de la question, afin de pouvoir sortir du champ de l'idéologie
pour s'appuyer sur des connaissances scientifiques. Or vous balayez ce travail
d'un revers de main !
Vous placez sur un même plan le consommateur, qui est plutôt jeune et qui
pratique la « fumette », et l'« accro », qui doit trouver 300 euros par jour
pour satisfaire sa dépendance. Ces deux situations ne requièrent pourtant pas
les mêmes réponses sociales !
Cet amalgame ne correspond pas à la réalité. Si, aujourd'hui, en France, un
jeune sur deux a expérimenté le cannabis, 150 000 personnes sont dépendantes de
l'héroïne, dont plus de la moitié sont d'ailleurs dans un programme de
substitution.
Vous parlez, mes chers collègues, de « drogues dures » et de « drogues douces
».
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Cela n'existe plus !
M. Guy Fischer.
Je tiens à vous rappeler que, dans le plan triennal adopté le 17 juin 1999, la
MILDT ne classe plus les produits ainsi. Elle a élargi le champ des drogues à
l'ensemble des produits psycho-actifs. Le fait de les classer en drogues
licites ou illicites dépend de la seule volonté du législateur. Or cette
approche n'a, jusqu'à présent, jamais été remise en cause.
C'est justement l'un des mérites de la MILDT - son nouveau président, M.
Didier Jayle, le reconnaît lui-même - que d'avoir eu la volonté de sortir la
drogue du débat idéologique en améliorant l'état des connaissances
scientifiques et en mettant ces connaissances à la disposition de tous.
La création, en 1992, de l'Observatoire français des drogues et des
toxicomanies - l'OFDT - avait précisément cette ambition. L'OFDT possède
aujourd'hui toutes les données scientifiques sur le sujet. On peut aisément se
les procurer.
De nombreux travaux ont été réalisés ces dernières années, qui ont enrichi
notre connaissance, notamment les rapports des professeurs Roques et Parquet.
Il faut également citer trois expertises collectives menées par l'Institut
national de la santé et de la recherche médicale - l'INSERM : l'une sur
l'alcool et ses effets sur la santé, qui a paru en septembre 2001 et qui était
demandée par la Caisse nationale de l'assurance maladie, la CNAM, et par le
Comité Français d'éducation pour la santé, le CFES ; une autre sur les dangers
du cannabis, qui a été rendue publique en novembre 2001 ; une dernière, enfin,
sur les risques sociaux liés à l'usage de l'alcool, qui sera rendue publique
dans les prochaines semaines.
Vous demandez une évaluation des politiques publiques, mais, je vous le
rappelle, la Cour des comptes a rendu un rapport sur le sujet en 1998 et elle
vient de remettre un rapport de suivi en février 2002.
J'ajoute que, dans son plan triennal, la MILDT a demandé à l'OFDT d'évaluer la
politique publique sur le sujet ; cette évaluation est en cours.
Je crains, mes chers collègues, que votre demande de création d'une commission
d'enquête ne soit inspirée d'une démarche politique et idéologique sans aucun
socle scientifique sérieux.
M. Christian Demuynck.
Non ! Ce n'est pas la réalité !
M. Bernard Plasait.
Non, en effet !
M. Christian Demuynck.
Ou alors, tout est politique !
M. Guy Fischer.
Je crains qu'il n'en soit ainsi, mes chers collègues, mais j'attends vos
observations.
M. Bernard Plasait.
Nous les formulerons dans quelques instants !
M. Guy Fischer.
Vous abordez furtivement les problèmes de l'alcool et du tabac, et des décès
qu'ils engendrent - respectivement 45 000 et 60 000 morts par an - puisque vous
dissociez ce qui est licite de ce qui ne l'est pas.
Cette façon de raisonner est erronée, et ce pour plusieurs raisons. Beaucoup
de toxicomanes, aujourd'hui, s'intoxiquent à partir de produits légaux, tels
que l'alcool. Par ailleurs, de nombreuses personnes sont à la fois dépendantes
d'une drogue illicite et de l'alcool. Il n'est pas rare de voir, par exemple,
un ancien héroïnomane devenir alcoolique après avoir arrêté de consommer de
l'héroïne. Ne mérite-t-il pas, à ce titre, le même suivi médico-social ?
Cette distinction, à mon sens inappropriée, entre produits licites et
illicites induit aussi des limites en matière de prévention.
Ainsi, l'expérience nous montre que les toxicomanes consommant des drogues
illicites sont souvent des personnes ayant ressenti leurs premières sensations
d'ivresse à partir d'abus de boissons alcoolisées.
Par ailleurs, le rapport du professeur Roques, que j'ai déjà cité, dans lequel
la dangerosité des produits est également étudiée, montre que certains produits
licites présentent une dangerosité plus importante pour l'organisme que
certains produits illicites.
Cette complexité fait que, aujourd'hui, la gravité de la consommation de
produits doit être évaluée bien plus à partir du comportement de consommation
d'un sujet - usage réglé, usage à risque ou abusif, dépendance - qu'à partir du
type de produit utilisé.
Or c'est le contraire que vous vous proposez d'étudier avec votre commission
d'enquête !
Parce qu'il n'y a pas d'usage de produits psycho-actifs, licites ou illicites,
sans risque de dérapage, il est nécessaire que la collectivité pose des limites
à cet usage, mais ces limites doivent être fonction d'une réalité sociale, et
non fonction d'une certaine idéologie, comme nous craignons que ce ne soit le
cas.
Toutefois, ce qui est le plus surprenant, c'est que vous-même, monsieur le
président de la commission des affaires sociales, sembliez vous désolidariser
de vos collègues, MM. Plasait et de Raincourt, à la lecture de l'exposé des
motifs, marqué idéologiquement et socialement.
(M. le président de la
commission des affaires sociales marque son étonnement.)
On commence par y évoquer la France et la drogue, en citant les jeunes dealers
de banlieue parisienne. Je ne fais pas de procès d'intention. J'attire
simplement l'attention sur les risques de stigmatisation : il ne faut pas
mettre tout le monde dans le même sac !
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
On parle peut-être de
Neuilly !
M. Guy Fischer.
Il est ainsi troublant de noter, dans l'argumentaire de nos collègues, que la
drogue, en banlieue, est représentée par les dealers, alors que, à Paris, elle
est incarnée par l'intelligentsia : le raccourci est peut-être caricatural,
mais certains ne se privent pas de le faire.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Tous se fournissent
bien auprès des dealers !
M. Guy Fischer.
Nous serons donc particulièrement attentifs aux débats afin de connaître vos
intentions précises en matière de lutte contre la toxicomanie. Mais, en l'état,
il nous paraît difficile de voter ce texte.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Dommage !
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
Nous passons à la discussion de l'article unique.
Article unique
M. le président.
« Article unique. -
En application de l'article 11 du règlement du
Sénat et de l'article 6 de l'ordonnance n° 58-1100 du 17 novembre 1958 relative
au fonctionnement des assemblées parlementaires, il est créé une commission
d'enquête de vingt et un membres sur la politique nationale de lutte contre les
drogues illicites. »
L'amendement n° 1, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« A la fin de cet article, supprimer le mot : "illicites". »
La parole est à M. Guy Fischer.
M. Nicolas About,
président de la commission des affaires sociales.
Encore ? C'est une
application du centralisme démocratique !
(Sourires.)
M. Guy Fischer.
Cet amendement vise à supprimer le mot « illicites » de la proposition de
résolution tendant à la création d'une commission d'enquête dont je rappelle
qu'elle serait consacrée à la « politique nationale de lutte contre les drogues
illicites ».
Les raisons avancées par la commission des affaires sociales pour limiter le
périmètre d'intervention de la commission d'enquête proposée ne reposent sur
aucun fondement politique ou scientifique sérieux.
D'une part, la politique française, qui repose sur l'action de la MILDT, a
toujours été orientée sur la lutte contre toutes les drogues. A cet égard, je
suis persuadé que le nouveau président de la MILDT, en tant que médecin,
poursuivra en ce sens. La lutte contre la toxicomanie ne peut, eu égard à ses
effets implicites en matière de santé et de sécurité publiques, se réduire aux
seules substances illicites.
D'autre part, ce travail interministériel, qui a obtenu des résultats
probants, s'est appuyé sur un certain nombre de travaux scientifiques qui
concluent à la dangerosité de nombreuses substances psycho-actives, qu'elles
soient illicites ou tout à fait licites.
Il est vrai, cependant, que la prise en considération des substances licites
dans la politique de lutte contre la toxicomanie risque fort de paraître
contradictoire, après la taxation supplémentaire décidée par le Gouvernement
sur les boissons alcoolisées ou sur le tabac pour financer le FOREC - le fonds
de financement de la réforme des cotisations patronales de sécurité sociale !
Mais passons...
Toujours est-il que cette restriction du champ d'investigation de la
commission d'enquête aux seules drogues illicites apparaît comme une volonté
purement idéologique de restauration des objectifs répressifs de lutte contre
la drogue.
A l'évidence, les enjeux de sécurité publique sont déterminants, mais la
moralisation de l'usage de drogue ne répond à aucun impératif social. Elle a
d'ailleurs montré toute son inefficacité depuis la mise en oeuvre de la loi de
1970.
Plus que de punir, comme le sous-entend l'exposé des motifs de la résolution,
il serait nécessaire de socialiser la réponse à apporter aux personnes
toxicomanes afin de chercher véritablement à comprendre les raisons qui les
poussent à utiliser ces substances psycho-actives et de prévenir l'usage de
toute forme de drogue.
Cette mission était celle de la MILDT. Il convient de la conserver.
M. le président.
Quel est l'avis de la commission ?
M. Jean-Marc Juilhard,
rapporteur.
Cet amendement vise à étendre au tabac, à l'alcool et aux
médicaments le champ d'investigation de la commission d'enquête.
La commission des affaires sociales a eu l'occasion de débattre de cette
question, qui est légitime dans la mesure où il existe une similitude dans les
phénomènes d'addiction engendrés par ces différents produits.
Toutefois, une commission d'enquête ne saurait avoir pour objet l'ensemble des
comportements à risque des Français. Or le champ d'investigation de la
proposition de résolution est déjà très large puisqu'il englobe à la fois la
prévention, la prise en charge sanitaire et sociale des toxicomanes ainsi que
la répression de l'usage et du trafic de stupéfiants.
Elargir encore ce champ d'investigation reviendrait à diluer, pour ne pas dire
noyer, les problèmes visés par la proposition de résolution initiale et
n'aboutirait à aucun progrès dans la mise en oeuvre de cette politique.
Par ailleurs, la limitation aux drogues illicites a une cohérence indéniable.
S'il s'agissait uniquement d'étudier les effets des substances psycho-actives
sur la santé, un élargissement du champ de la commission serait tout à fait
justifié. Mais l'enjeu de cette commission d'enquête réside en réalité dans
l'articulation entre la politique pénale de répression de l'usage et du trafic
de stupéfiants et la politique de prise en charge sanitaire et sociale des
toxicomanes.
Les liens qui existent entre la toxicomanie au sens courant du terme et les
phénomènes de délinquance et de trafic organisé justifient donc la limitation
du champ de la commission d'enquête aux drogues illicites.
La commission des affaires sociales émet par conséquent un avis défavorable
sur cet amendement, comme sur l'amendement n° 2, qui a le même objet.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 1.
(L'amendement n'est pas adopté.)
M. le président.
Je mets aux voix l'article unique.
(L'article unique est adopté.)
Intitulé de la proposition de résolution
M. le président.
L'amendement n° 2, présenté par Mme Demessine, MM. Fischer, Muzeau et les
membres du groupe communiste républicain et citoyen, est ainsi libellé :
« A la fin de l'intitulé de la proposition de résolution, supprimer le mot :
"illicites". »
L'amendement n'a plus d'objet.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission des
affaires sociales sur la proposition de résolution n° 348, je donne la parole à
M. Gilbert Chabroux, pour explication de vote.
M. Gilbert Chabroux.
La proposition de nos collègues de l'ex-groupe des Républicains et
Indépendants affiche des ambitions considérables qui ne feront sans doute pas
reculer le Sénat. Il s'agit en effet rien moins que de « faire un bilan des
politiques publiques de lutte contre la toxicomanie et des connaissances
scientifiques sur la définition des drogues et leurs effets sur la santé et la
sécurité publiques, de manière à pouvoir définir une politique nationale forte,
claire et cohérente de lutte contre les drogues illicites ».
Voilà un bonne trentaine d'années que de tels objectifs sont périodiquement
affichés par les uns et les autres, avec des résultats que l'on qualifiera de
variables. Le sujet présente en effet une extrême difficulté puisque l'on
attend des pouvoirs publics qu'ils aient à la fois une action de prévention,
d'information et de soins en direction des toxicomanes, ainsi qu'une action de
répression, tant à l'encontre des réseaux internationaux de trafiquants que des
dealers de quartier. La tâche est considérable et multiforme.
Il est à ce propos regrettable que la majorité du Sénat ait cru devoir adopter
l'amendement de nos collègues de la commission des finances réduisant de 2,8
millions d'euros les crédits du budget de la santé relatif notamment à la
prévention de la toxicomanie, soit une baisse totale de 20 % de ces crédits par
rapport à l'année précédente. Nous nous demandons s'il n'y a pas là, mes chers
collègues, une contradiction avec votre propos d'aujourd'hui.
Que pouvons-nous attendre de cette commission d'enquête ? En examinant
attentivement le rapport de notre excellent collègue Jean-Marc Juilhard, on
discerne que les questions porteraient essentiellement sur les structures et
sur le fonctionnement des organismes chargés de la prévention et de la lutte
contre la toxicomanie.
Les circuits de financement de ces organismes ont retenu toute notre
attention, qu'il s'agisse des subventions accordées par la mission
interministérielle de lutte contre la drogue et la toxicomanie ou des dotations
des centres de soins spécialisés pour toxicomanes.
Au demeurant, la prise en charge au sein des mêmes établissements de
toxicomanes dépendant de l'alcool ou de stupéfiants et de polytoxicomanes pose
un problème d'organisation et de traitement. Il est bon de s'interroger sur ce
point, d'entendre les personnels spécialisés et de mesurer avec eux le degré
d'adaptation des structures aux phénomènes de dépendance et à leurs
évolutions.
Cela dit, au moment où nous envisageons une commission d'enquête largement
orientée, me semble-t-il, vers les aspects financiers - ce qui n'est jamais
inutile -, nous voudrions rappeler ce qui fonde notre opinion sur le traitement
de la toxicomanie.
Dans une perspective tout simplement humaniste, nous ne devons jamais oublier
que le processus de dépendance résulte d'abord d'une détresse et d'une
inadaptation. C'est une erreur de considérer le problème de la dépendance sous
l'angle du produit. Celui-ci est-il interdit, son trafic et sa consommation
sont-ils réprimés pénalement ? Ou bien la publicité est-elle permise, l'Etat
perçoit-il des taxes sur son commerce ?
Je n'entends en aucun cas défendre une quelconque dépénalisation. Nous
espérons simplement que la commission d'enquête saura se dégager de cette
fausse dichotomie entre l'alcool et la drogue pour considérer la véritable
priorité. Cette priorité, je le répète, c'est la prévention et le traitement de
la personne qui a lâché prise et qui a sombré dans la dépendance à un produit
psychoactif. Par parenthèse, sans introduire de confusion, la dépendance aux
médicaments et au tabac est de nature assez voisine.
Permettez-moi de rappeler les propos du docteur Didier Jayle rendant hommage à
Nicole Maestracci, qui l'a précédé à la présidence de la MILDT. Celui-ci
affirmait le 21 novembre dernier qu'« il est absolument légitime que l'alccol
reste inclus dans le champ de la MILDT » et il indiquait vouloir continuer le
chemin tracé par Mme Maestracci sur ce point.
Le nombre d'accidents mortels dans lesquels l'alcool et la drogue ont un rôle
- songez à l'hécatombe de jeunes le vendredi et le samedi soir ! - fait
d'ailleurs progressivement évoluer l'opinion. La nécessité de mener une action
forte contre l'abus d'alcool n'est pas plus contestée que celle de lutter
contre la toxicomanie.
J'en viens par conséquent au volet répressif de la lutte contre la
toxicomanie.
Deux questions viennent à l'esprit. Tout d'abord, comme se le demandent M. le
rapporteur mais aussi le Conseil économique et social, l'interpellation sans
suite de 66 000 personnes chaque année est-elle pertinente ? Elle ne l'est sans
doute pas pour la majorité des usagers occasionnels, mais elle l'est pour les
consommateurs habituels et les jeunes qui avalent des produits dangereux lors
de soirées festives. En effet, elle permet de déboucher sur des actions de
prévention et sur des injonctions thérapeutiques.
Il n'y a pas de solution unique et seuls les services de prévention et de
répression qui agissent sur le terrain peuvent nous éclairer pour savoir s'il
convient d'envisager des changements.
La seconde question est évidemment celle du trafic international à caractère
mafieux. Le nombre d'interpellations de trafiquants - vous l'avez observé vous
aussi - reste étonnamment faible et l'on ne peut se garder du sentiment que les
moyens, au moins à l'échelle européenne, ne sont pas suffisants ou pas encore
pleinement cohérents.
Nous insistons toutefois sur un aspect important : il ne faudrait pas qu'un
point de vue purement financier conduise à une simple redistribution des moyens
de la prévention et des soins vers la répression. Certes, la répression du
trafic de drogues illicites à grande échelle est un objectif de base, mais
c'est aussi un objectif de long terme qui ne doit pas nous faire perdre de vue
la réalité quotidienne de la dépendance sous toutes ses formes.
C'est donc avec beaucoup de nuances et de réserves par rapport aux intentions
quelque peu tranchées que vous affichez, mes chers collègues, que les sénateurs
socialistes participeront aux travaux de cette commission d'enquête.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. le président.
La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck.
Si, monsieur Fischer, sur le fond je peux approuver la dénomination «
commission d'enquête sur la lutte contre les drogues », il faut toutefois
limiter son champ d'action car, comme vient de le dire M. Chabroux, cette
commission a déjà un de travail considérable.
Cela étant, mes chers collègues, la situation est dramatique : les
consommateurs de drogues illicites n'ont jamais été aussi nombreux en France
qu'aujourd'hui. Le nombre d'usagers de cannabis, notamment, aurait doublé en
dix ans, pour atteindre le chiffre de cinq millions. 35 % des jeunes Français
de seize ans en auraient déjà consommé, contre 16 % des jeunes Européens.
Or ces drogues, beaucoup plus concentrées que dans les années soixante, ont
des répercussions sur la santé et le comportement des consommateurs. Tout
d'abord, s'agissant de la santé, elles perturbent le fonctionnement de la
mémoire, elles entraînent des troubles spatiotemporels, elles augmentent le
risque d'infarctus du myocarde, elles ont des effets cancérigènes ; enfin,
elles sont mortelles en cas de surdosage.
Sur le comportement, ensuite, elles créent une dépendance dès les premières
doses consommées, qu'il s'agisse de crack, d'héroïne ou encore de cocaïne. Par
ailleurs, elles sont source de psychose et d'aliénation. Le rapport de la
commission d'enquête sur la délinquance des mineurs fait également état de
l'existence d'un lien entre la délinquance et la consommation de drogues,
quelles qu'elles soient.
C'est pourquoi la création de cette commission d'enquête nous paraît
opportune. Elle devra évaluer les procédures administratives de prévention et
de répression et elle aura pour mission de proposer des réponses adaptées et
efficaces pour lutter contre ce fléau.
Le groupe UMP votera donc la création de cette commission d'enquête.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des affaires
sociales sur la proposition de résolution n° 348.
M. Guy Fischer.
Le groupe CRC s'abstient.
(La proposition de résolution est adoptée.)
8
AVENIR DE LA POLITIQUE
RÉGIONALE EUROPÉENNE
Discussion d'une question orale européenne
avec débat
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion de la question orale européenne avec
débat n° QE-1.
Cette question est ainsi libellée :
« M. Simon Sutour attire l'attention de Mme la ministre déléguée aux affaires
européennes sur l'importance des enjeux du débat actuellement en cours
concernant l'avenir de la politique régionale européenne.
« L'agenda 2000 adopté lors du Conseil européen de Berlin avait fixé les
principes de fonctionnement de celle-ci jusqu'en 2006, en prévision des
premières adhésions de pays candidats à l'Union.
« Il convient désormais d'arrêter la phase suivante, pour la période
2007-2011, et notamment de définir la place qui sera réservée, par la suite,
aux actuels Etats membres éligibles aux fonds structurels européens.
« Il lui apparaît, en effet, dangereux pour l'avenir de l'Union de remettre en
cause le principe de cohésion économique et sociale qui en constitue l'un des
fondements essentiels. Il souhaite donc savoir quelle sera la position défendue
par le Gouvernement français dans ce débat. »
Je rappelle au Sénat que cette discussion intervient dans le cadre de l'ordre
du jour réservé.
La parole est à M. Simon Sutour, auteur de la question.
M. Simon Sutour.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, voilà un
mois nous avons consacré un débat aux travaux de la convention sur l'avenir de
l'Union européenne et aux institutions dont celle-ci pourrait se voir dotée
pour faire face à l'adhésion, désormais programmée, de dix nouveaux Etats
membres. La question de l'élaboration des nouveaux traités européens est d'une
importance majeure pour nos concitoyens et nous avons été nombreux à déplorer
le peu d'attrait qu'elle semble susciter dans l'opinion publique.
M. Raymond Courrière.
C'est exact !
M. Simon Sutour.
Malheureusement, cher collègue ! Or, parallèlement à cette réflexion, il est
un autre sujet d'intérêt commun qui se trouve, de fait, un peu occulté par le
précédent et que le débat ne peut pas pourtant ignorer, c'est celui de
l'évolution des perspectives financières de l'Europe élargie. Je trouve donc
particulièrement opportun que nous ayons fixé la discussion de cette question
orale le jour même de l'ouverture du Conseil européen de Copenhague, qui ne
manquera pas de s'en préoccuper.
M. Raymond Courrière.
Nous l'espérons !
M. Simon Sutour.
L'agenda 2000, adopté à Berlin en 1999, a programmé les dépenses jusqu'en
2006, en prenant en compte par anticipation les charges supplémentaires qui
résulteraient des premiers mois de l'adhésion de nouveaux membres. Le
financement de la période 2004-2006 est donc d'ores et déjà assuré, mais c'est
dès aujourd'hui que nous devons nous préoccuper des perspectives financières
couvrant la phase suivante, 2007-2013.
Nous le savons, les deux grands postes européens de dépenses concernent, d'une
part, la politique agricole commune et, d'autre part, la politique de cohésion
économique et sociale.
Au fil des ans, la politique structurelle européenne a vu son poids financier
s'accroître, jusqu'à représenter désormais plus du tiers des dépenses
communautaires et constituer le deuxième poste budgétaire après la politique
agricole commune. Elle s'élève aujourd'hui à 215 milliards d'euros pour la
période de programmation. C'est dire l'importance des enjeux et cela légitime
l'intérêt que nous portons, tout comme nos partenaires actuels ou futurs, à
l'avenir qui pourrait être celui de l'action régionale dans une Union à
vingt-cinq membres.
Cette politique de cohésion a été définie comme l'une des bases de la
construction européenne. Dès l'Acte unique de 1986, elle a été reconnue comme
l'un des objectifs prioritaires et l'une des politiques fondamentales de
l'Union, autant de principes maintes fois réaffirmés depuis le Conseil européen
de Berlin qui a adopté l'Agenda 2000.
Il n'est pas inutile de souligner que cette politique a produit des résultats
positifs incontestables.
La réduction globale des disparités entre les Etats membres, notamment avec
les pays dits de la cohésion - l'Espagne, la Grèce, l'Irlande et le Portugal -,
est une évidence : le rattrapage économique de l'Irlande en constitue l'une des
plus éclatantes illustrations puisque son produit intérieur brut est passé de
64 % à 119 % de la moyenne communautaire entre 1988 et 2000, grâce, pour une
large part, aux dotations européennes dont elle a bénéficié.
Dans les autres Etats membres, les réalisations sont également tangibles et
nous sommes nombreux, au Sénat, à avoir réussi à mener à bien des projets
locaux d'équipements et d'infrastructures qui n'auraient pu être conçus sans
l'effet de levier produit par l'apport des fonds structurels européens. Si je
prend un exemple que je connais bien, celui de mon département, le Gard,
l'implantation de la route reliant Nîmes à Alès en deux fois deux voies a été
rendue possible grâce à l'appui de ces subventions.
Ce succès a requis trois périodes de programmation successives et nécessité
des réformes régulières des procédures et des modalités de mise en oeuvre, au
prix de négociations souvent tendues entre les différents Etats membres.
La réforme qui s'annonce est toutefois sans commune mesure avec les
précédentes, car elle devra résoudre un problème qui s'apparente à celui de la
quadrature du cercle : comment faire face simultanément à l'arrivée de nouveaux
membres présentant tous un niveau de richesse notablement inférieur à la
moyenne communautaire, et à la nécessaire maîtrise de la dépense européenne
?
L'élargissement futur est en effet d'une tout autre dimension que ceux qui ont
déjà marqué la construction européenne : le nombre de candidats, l'ampleur de
leurs besoins, l'importance des retards à combler constituent une situation
inédite pour l'Union et un défi majeur pour chacun de ses membres. Après
l'élargissement, le territoire de l'Union européenne s'agrandira d'un tiers, sa
population comptera 28 % de citoyens supplémentaires, mais son produit
intérieur brut ne progressera que de 5 %. Selon la Commission européenne, il
faut en attendre le doublement de l'écart de développement entre les régions
les plus riches et les plus pauvres de l'Union.
Le risque est réel que, face à une situation si complexe, l'Europe en vienne à
renoncer à poursuivre une politique de cohésion économique et sociale qui a
fait son succès, son originalité, et qui a largement participé à fonder
l'adhésion de nos concitoyens au projet européen.
La tentation peut être grande, en effet, de considérer qu'une page est
désormais tournée, que l'effort budgétaire de l'Union doit être dorénavant
consacré à accompagner uniquement l'intégration des nouveaux arrivants,
notamment celle des sept ou huit pays qui présenteront le plus sévère retard de
développement par rapport aux autres.
J'y vois le danger de modifier en profondeur la conception de l'Union que nous
défendons, l'idée qu'elle ne se résume pas à une simple zone de liberté
commerciale, mais qu'elle soude chacun de ses membres dans un projet commun,
fait de valeurs partagées, de principes à promouvoir, d'une volonté affichée de
partage et de solidarité entre tous, anciens et nouveaux membres.
Or nous savons bien, pour l'observer dans nos départements, que, même sur le
territoire actuel de l'Union des Quinze, des zones méritent toujours l'aide des
fonds structurels européens et que la solidarité doit encore s'exercer à leur
profit.
En dépit de treize années de mise en oeuvre effective de la politique
européenne de cohésion, certaines disparités régionales subsistent et ne
peuvent être ignorées. On pense, bien sûr, d'abord à nos départements
d'outre-mer, classés « régions ultrapériphériques », que notre collègue de la
Réunion évoquera sans doute dans son intervention. On pense aussi à certains de
nos cantons isolés, aux zones de montagne, aux régions en phase de
restructuration industrielle, aux quartiers en difficulté de nos villes et de
nos agglomérations.
Nous sommes nombreux à considérer que ces situations, auxquelles nous sommes
parfois directement confrontés sur le terrain, méritent qu'une place
particulière continue de leur être réservée dans l'avenir.
Depuis la réforme de 1999, l'objectif 1 concentre la majeure partie - les «
trois quarts environ » - de l'effort financier européen. Il bénéficie aux
régions les plus défavorisées, c'est-à-dire à celles dont le PIB est inférieur
à 75 % de la moyenne communautaire.
Est-il convenable de continuer à appliquer strictement et exclusivement des
critères statistiques de richesse pour déterminer l'éligibilité aux fonds
structurels ? Personnellement, je n'en suis pas convaincu.
Compte tenu de l'arrivée des nouveaux entrants, les écarts de développement se
creuseront d'une manière telle que le concept même de moyenne perdra tout son
sens. Mécaniquement, celle-ci chutera de 13 points environ dans une Union à
vingt-cinq ; tous les Etats aujourd'hui candidats rempliront ce critère de 75 %
et évinceront, par définition, les actuels Etats membres attributaires de
dotations structurelles.
Où en est, monsieur le ministre, la réflexion du Gouvernement français sur le
maintien de ce critère chiffré pour l'objectif 1 ? Sur quelles circonscriptions
géographiques faut-il établir la base de calcul pour prendre la mesure la plus
exacte des besoins ? Pensez-vous qu'il faille admettre un seuil unique qui
s'appliquerait de la même manière dans tous les pays ?
Je suis, pour ma part, très sensible à l'argument tiré de l'application du
principe d'égalité qui plaide pour que l'on traite de manière semblable tous
les Etats membres, qu'ils soient anciens ou nouveaux. Mais le bon sens doit
aussi conduire à tenir compte de la capacité physique d'absorption des fonds
communautaires par ces économies nouvelles. Celles-ci sont encore en phase de
consolidation et ne disposent pas toujours, qui plus est, des ressources
additionnelles qu'elles doivent juridiquement apporter en complément des
subventions européennes.
Finalement, n'est-ce pas à un souci du même ordre que souhaite répondre la
progressivité proposée pour les subventions agricoles dans la cadre de la
politique agricole commune ?
Le rattrapage économique des nouveaux entrants sera, nous en sommes
conscients, un travail de long terme. Je suis persuadé qu'avec une répartition
raisonnable des fonds entre les différents partenaires et une appréciation
sensée des besoins de chacun nous pourrions mener de front l'accueil des
nouveaux membres et la poursuite d'une politique de soutien aux actuels Etats
membres.
Certes, celle-ci suppose d'être strictement définie et réservée à des zones
spécifiquement identifiées. C'était précisément la démarche suivie au titre
l'objectif 2 dans la réforme Agenda 2000 : prévoir une sélection multicritères
permettant de déterminer les zones du territoire de chaque Etat membre
justifiant, par leurs caractéristiques, l'éligibilité aux fonds structurels.
Actuellement, près de 19 millions de Français, soit 31 % de la population
nationale, vivent dans des régions comprises en zonage de l'objectif 2 et
bénéficient à ce titre de plus de 6 milliards d'euros de dotations
structurelles pour la période de programmation.
Que doit-il advenir de cet objectif 2 ? Je rejoins volontiers, sur ce terrain,
les réflexions conduites au niveau de la Commission européenne, réflexions que
le commissaire Michel Barnier avait relayées, voilà quelques mois, devant notre
délégation pour l'Union européenne. De manière très judicieuse, le débat a été
lancé très en amont de l'échéance de 2006 et ce temps donné à la réflexion me
paraît plus que pertinent.
Je suis fermement partisan de la poursuite d'un objectif qui s'apparente à
l'actuel objectif 2 pour soutenir les régions qui rencontrent des difficultés
spécifiques sans être pour autant classées parmi les plus pauvres de
l'Union.
Quelques terrains d'action ont été évoqués, notamment dans le deuxième rapport
sur la cohésion, publié l'année dernière par la Commission européenne : les
zones souffrant de graves handicaps géographiques ou naturels, le développement
urbain, les régions transfrontalières, les zones rurales ou en restructuration
industrielle, et, plus récemment, les régions dépendant du secteur de la
pêche.
Toutes ces pistes me semblent intéressantes à explorer. J'y ajouterai
volontiers - vous comprendrez mes raisons - les régions impliquées dans la
coopération euroméditerranéenne, ce qui permettrait d'établir un lien, qui je
crois serait fructueux, avec le programme de partenariat Euro-med que l'Union
entretient par ailleurs avec les douze pays partenaires du pourtour
méditerranéen.
Des thèmes horizontaux du type de l'actuel objectif 3 sont aussi à l'étude,
comme le développement de la société de la connaissance, la promotion de
l'insertion sociale ou l'égalité des chances.
Quelle est, monsieur le ministre, l'opinion du gouvernement français sur cette
approche ? Envisage-t-on de laisser subsister l'initiative européenne pour
défendre les impératifs de cohésion et de solidarité ? Si oui, pour quel type
de priorité ?
Lors de sa visite dans le Gard, lundi dernier, à la suite des graves
inondations qui ont affecté ce département, le Premier ministre est apparu
nettement favorable à la poursuite de cette politique régionale dont nos
concitoyens peuvent apprécier chaque jour les effets bénéfiques. J'y ai vu un
signal positif. J'espère, monsieur le ministre, que vous le confirmerez. Je me
permets en tout cas de plaider en ce sens, car renoncer à cette démarche
collective, s'en remettre à la seule action nationale, au nom du principe de
subsidiarité qu'évoquent certains de nos partenaires européens, me paraît être
une erreur, à la fois économique et psychologique, grave.
D'abord, les fonds européens constituent un appui financier décisif pour bon
nombre d'actions qui, j'en suis persuadé, ne seront plus conduites si cet
apport devait disparaître. Je vous rappelle que, pour notre seul pays, les
fonds structurels représentent un effort de redistribution non négligeable, que
ce soit en dotations éligibles ou au titre du
phasing out
, décidé par
l'Agenda 2000. Même si sa part s'est érodée au fil des ans, la France bénéficie
encore de 15,6 milliards d'euros de subventions européennes pour les trois
objectifs généraux et les quatre programmes d'initiative communautaire
actuellement en vigueur.
Ensuite, de cet abandon résulterait dans l'opinion publique le sentiment que
l'élargissement équivaut à un sacrifice financier d'une ampleur insupportable.
Il ne faudrait pas entretenir l'idée que le prix à payer pour l'accueil de
nouveaux membres est la suppression d'une politique régionale à laquelle nos
concitoyens sont attachés et qu'ils considèrent désormais comme un acquis. Je
puis vous assurer, pour le vivre sur le terrain, que tous les projets
d'équipements que l'on met à l'étude, que ce soit au niveau des communes, des
départements ou des régions, comportent tous pour leur financement une ligne
budgétaire « Europe » qui conditionne leur réalisation.
Au moment où l'on demande à nos compatriotes d'adhérer à une vision nouvelle
de l'Union, je crois excessivement dangereux de susciter un tel amalgame. On
risque de réduire dans leur esprit l'Europe à un carcan de contraintes
techniques excessives, d'opacité antidémocratique et d'incompréhension mutuelle
sans contrepartie positive.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe
CRC.)
M. le président.
J'indique au Sénat que la conférence des présidents a fixé à dix minutes le
temps de parole dont chaque groupe dispose pour cette discussion.
La parole est à Mme Anne-Marie Payet.
Mme Anne-Marie Payet.
Permettez-moi, en tout premier lieu, de me réjouir de l'occasion qui nous est
donnée, grâce à ce débat, de nous expliquer sur l'avenir de l'Europe et sur les
difficultés qu'elle rencontre, qui sont autant de défis qu'il nous faut
relever. Les parlementaires nationaux, représentants des peuples et des
collectivités d'Europe, doivent en effet avoir toute leur place dans une
construction européenne dont on critique, souvent à juste titre, le déficit
démocratique ou la technocratie.
Unité de l'Europe, solidarité des peuples, diversité des territoires,
harmonieux triptyque, belle formule, mais vaste programme que cet intitulé du
rapport de M. le commissaire Barnier, paru en 2001, au sujet, précisément, de
l'avenir de la politique de cohésion économique et sociale qui nous intéresse
aujourd'hui !
Il me semble que l'avenir de la politique régionale européenne nous oblige
avant tout à nous interroger sur sa mise en oeuvre à ce jour dans les régions
qui ont bénéficié des aides. Qu'il me soit permis, à cet égard, de remercier ma
collègue Valérie Létard, qui a accepté de me faire part de ses observations, de
ses craintes et de ses frustrations quant à la mise en oeuvre de la politique
régionale dans un territoire qui, comme la Réunion, a été éligible à l'objectif
1, le Hainaut, et qui se trouve en période de sortie du dispositif, le
phasing out,
jusqu'en 2006.
Je voudrais, avant de m'interroger sur le devenir des instruments de la
politique régionale que sont les fonds structurels européens, tirer un rapide
bilan de leur fonctionnement actuel.
Il est clair que, pour les régions en retard de développement comme pour les
régions rurales ou de montagne, les fonds structurels ont constitué une
formidable opportunité. Mais cela posé, si demain une nouvelle politique
régionale voit le jour, il lui faudra à tout prix éviter les différents écueils
auxquels les premiers programmes se sont heurtés.
Je voudrais, à cet égard, faire trois observations qui me paraissent
essentielles : premièrement, les fonds européens ne sont pas là pour pallier un
désengagement de l'Etat ; deuxièmement, il est impératif de mettre un terme aux
contraintes administratives françaises et européennes qui freinent leur
utilisation ; troisièmement, si demain ces fonds reçoivent une allocation
différente, il faudra s'interroger sur les critères qui ont servi à les mettre
en oeuvre.
Au fil du temps, on a pu observer un certain dévoiement de la mission initiale
des fonds structurels européens. A l'origine, ils étaient destinés à apporter
un supplément de moyens, permettant de créer un effet de levier pour que des
régions qui, pour des raisons différentes - ruralité, crise industrielle par
exemple -, avaient « décroché » de la moyenne européenne puissent à terme
gommer leurs différences.
Il s'agissait d'additionner et non de substituer.
Dans les faits, force est de constater que l'Etat mais aussi certaines
collectivités territoriales ont contribué à un glissement de ce principe
initial vers un système d'assistanat. Est-il, par exemple, acceptable que des
fonds du FSE - le fonds social européen - aient pu servir à financer à hauteur
de 50 % les actions d'insertion d'un département dans le cadre du RMI ? Cette
utilisation des fonds a du même coup privé certaines associations d'un
financement européen pour lancer d'autres projets d'accompagnement social. A
remplacer au lieu d'additionner, c'est tout le bénéfice de la politique
européenne d'aide aux régions les moins développées qui s'est évanoui.
Le carcan administratif français et européen constitue un deuxième écueil, sur
lequel je reviendrai d'ailleurs tout à l'heure.
Vous avez, monsieur le ministre, tiré cet été, avec raison, un bilan sévère de
l'état d'avancement des programmes européens pour la période 2000-2006. Après
deux ans de mise en oeuvre, on constate un niveau d'avancement de 15 % en
termes de programmation et de 6 % seulement en termes d'exécution.
Il faut encore ajouter à ce constat le risque de perte de crédits du fait de
l'instauration de la règle du « dégagement d'office » selon laquelle, si un
crédit n'est pas utilisé dans les deux ans suivant l'accord de financement, les
fonds repartent à Bruxelles. Malgré les trois circulaires adressées aux
différentes administrations déconcentrées sur la simplification des procédures,
l'utilisation des crédits européens reste périlleuse.
Comme l'a constaté récemment Michel Barnier lors de la rencontre annuelle sur
la mise en oeuvre des DOCUP - les documents uniques de programmation -, notre
pays obtient des résultats bien en deçà de ceux de pays comme l'Autriche,
l'Allemagne ou le Portugal. C'est bien le signe que des améliorations sont
possibles, mais aussi qu'à l'échelle européenne les contraintes administratives
sont lourdes. Comme le soulignaient les représentants des Etats membres lors
d'une réunion ministérielle, à Namur, en juillet 2001, la Commission demande
trop, et parfois de façon inutile.
En définitive, monter un dossier de financement pour une petite commune relève
de l'exploit. Il faut en effet franchir la course d'obstacles du
cofinancement.
Un crédit européen ne vient jamais seul. Encore faut-il que les financements
complémentaires suivent : une réponse négative sur les crédits de l'Etat de la
DDE, et c'est un équilibre fragile qui s'écroule ! Il faut ensuite trouver
l'ingénierie capable de monter techniquement des dossiers complexes et
d'affronter l'examen tatillon des services instructeurs. Une grande ville
dispose de chefs de projet, mais des communes rurales, même organisées en
intercommunalité, peuvent rarement se permettre une telle dépense.
Assister à un comité de suivi ou à un comité de programmation fait entrer
n'importe quel élu dans un monde kafkaïen : pas moins de quarante personnes
autour de la table, issues de tous les services instructeurs, trop peu de
coordination, une totale opacité sur les dossiers en cours d'instruction,
aucune information sur l'état d'avancement des projets.
A cause de cette machinerie procédurière, dans certains cas il faut six mois
pour notifier à une commune qu'une pièce manque à son dossier. Au regard de la
règle du dégagement d'office, ces délais sont inacceptables. C'est long, c'est
lourd, c'est décourageant, et le résultat est aléatoire. Telle est la réalité
aujourd'hui.
J'en viens à ma troisième et dernière observation sur les améliorations qu'il
convient d'apporter à la mise en oeuvre de la politique régionale : si l'on
doit à l'avenir réfléchir à une nouvelle définition de la politique régionale,
il faudra s'interroger sur la pertinence des critères de définition des
différents programmes.
Leader, par exemple, est un programme qui s'adresse uniquement aux zones très
rurales, le programme d'intérêt communautaire Urban étant, quant à lui, ciblé
sur les zones très urbaines. Or aujourd'hui se développent des espaces
intermédiaires que l'on qualifie souvent de périurbains. Ces zones sont en
progression très rapide, et les aides actuelles les ignorent totalement. C'est
ainsi que les communes entre 2 000 et 5 000 habitants à très faible potentiel
fiscal ne parviennent à remplir aucun critère d'éligibilité. Une redéfinition
des critères devraient, me semble-t-il, intégrer autant que faire se peut une
réflexion sur ces nouveaux territoires.
Le constat peut paraître sévère, mais l'urgence est grande : il faudrait avant
2006 avoir « remonté la pente ». Sur la période 2007-2013, l'effort qui sera
consenti en faveur des pays entrants obérera nécessairement les montants
alloués aux régions telles que les nôtres. C'est maintenant l'objet de mon
propos.
La politique de cohésion, rappelons-le, mobilise une fraction importante du
budget communautaire : elle s'élève à 215 milliards d'euros par an sur sept ans
pour la période qui s'étend de 2000 à 2006. Comme le soulignait M. Michel
Barnier lors d'une récente audition au Sénat, « c'est une politique importante,
pas seulement budgétairement, mais pour la philosophie même qu'elle met en
oeuvre ».
La cohésion est en effet un enjeu de taille surtout lorsque les candidats à
l'adhésion, qui feront bientôt leur entrée dans l'Union, sont pauvres et même
plus pauvres que les régions les plus pauvres des anciens Etats membres.
Il convient de le souligner : si cet élargissement n'est pas le premier, il
diffère des précédents par sa dimension et par sa nature. Vous connaissez les
chiffres : ils parlent d'eux-mêmes.
Après l'élargissement, l'Union comptera un tiers de citoyens et un tiers de
territoires physiques en plus, mais seulement 5 % de richesses
supplémentaires.
Huit pays sur vingt-sept auront une moyenne de PIB par habitant inférieure ou
égale à 40 % de la moyenne de l'Union. Jamais un groupe de pays ne s'était
ainsi trouvé en situation de « décrochage » par rapport aux autres.
La moyenne du PIB communautaire chutera mécaniquement de 17 points après
l'élargissement. M. Sutour vient de le rappeler.
Enfin, 96 % de la population des douze nouveaux pays adhérents bénéficieront
de l'objectif 1 alors que nombre de régions de l'Union à quinze, confrontées à
de vrais problèmes structurels, n'y seront plus éligibles.
Comment doit-on préparer l'arrivée de ces nouveaux membres dont les besoins
sont sans commune mesure avec les besoins qui avaient été révélés par les
élargissements précédents tout en maîtrisant l'évolution budgétaire européenne
?
Est-il réaliste de croire qu'il y aura des crédits disponibles pour les
actuels Etats membres face aux immenses besoins des entrants ? L'élargissement
signifiera-t-il la fin de toute aide dans des régions où les besoins sont
pourtant encore très grands ?
Autant de défis auxquels il faut répondre en apportant satisfaction aux
nouveaux adhérents de l'Union sans délaisser les régions et les secteurs
jusque-là bénéficiaires des fonds européens. L'enjeu consiste en effet à ne pas
oublier les besoins qui persistent à l'ouest tout en se rendant à l'évidence de
la nécessité d'un report vers l'est du centre de gravité de cette politique de
cohésion.
Ce report concerne tout spécialement les populations des régions
ultrapériphériques, dont je voudrais, en quelques mots, me faire le
porte-parole. Avec plus de quatorze millions d'habitants, les quelque 450 îles
de l'Union européenne, qui représentent un vingtième de la superficie de
l'Union et 1,5 % de son PIB, réclament une solidarité active de la part de
l'Union européenne.
L'élargissement se traduira par une attribution à d'autres régions des aides
jusque-là octroyées à l'outre-mer, mais il n'en reste pas moins que la majeure
partie de ces régions insulaires ont toujours un revenu par habitant inférieur
à 75 % de la moyenne communautaire, chiffre qui correspond au critère
d'éligibilité à l'objectif 1. A cela s'ajoutent d'autres difficultés
géographiques et structurelles permanentes, notamment dans les secteurs des
transports, de l'énergie, des communications et des services.
Il serait fatal à l'outre-mer de ne plus avoir accès aux fonds qui lui
permettent de rattraper son retard et d'affronter ses difficultés.
Comme les autres, les populations d'outre-mer - je profite de votre présence,
monsieur le ministre, pour le rappeler encore une fois - souhaitent que les
procédures administratives leur permettant de bénéficier d'aides soient
simplifiées. Notons au passage que ces lourdes contraintes pèsent aussi sur les
pays candidats dont les capacités administratives sont encore insuffisantes
pour absorber les crédits communautaires. Le délai de remboursement par
l'Europe des fonds engagés par les collectivités dans le cadre des programmes
sélectionnés est long, ce qui pose de graves difficultés financières aux
régions.
A ce titre, l'action européenne gagnerait en efficacité si elle apportait des
moyens supplémentaires aux acteurs locaux et nationaux, qui disposent d'une
expertise, d'un contact avec le terrain, de réseaux qu'aucune administration
supranationale ne pourra remplacer. C'est d'ailleurs dans cet esprit que notre
excellent collègue Daniel Hoeffel a déposé, le 19 novembre dernier, une
proposition de loi relative à la décentralisation de la gestion des fonds
européens.
Si nous allons vers un arrêt des aides européennes, il faudra que l'Etat
engage une réflexion prospective afin d'en déterminer toutes les conséquences
pour les zones concernées.
S'il subsiste néanmoins une enveloppe de crédits, elle sera sans aucun doute
plus limitée. Quels devront être, dans ce cas, les critères d'attribution ?
Est-il cohérent de continuer à faire transiter les crédits par la DATAR, ou
généralisera-t-on les enveloppes régionales ? L'expérimentation qui se met en
place en Alsace doit être observée avec infiniment d'attention, pour en tirer
tous les enseignements et, surtout, ne pas reproduire, à l'échelon local, les
erreurs déjà commises.
Ces quelques remarques sur la politique régionale de l'Union européenne, on
l'aura relevé, ne sont pas dénuées de critiques : elles sont le fruit de notre
expérience et de celle des élus de terrain que nous représentons. C'est à ce
titre qu'elles méritent d'être entendues.
Mais, en définitive, elles ne plaident pas contre l'Europe, dont je suis, avec
mes collègues du groupe de l'Union centriste, une ardente promotrice. Elles
visent, au contraire, à défendre un modèle européen plus conforme aux volontés
et aux besoins des divers Etats, des multiples régions et des différents
peuples qui composent l'Union européenne.
(Applaudissements sur les travées
de l'UMP.)
M. le président.
La parole est à M. Aymeri de Montesquiou.
M. Aymeri de Montesquiou.
Monsieur le ministre, je voudrais, à la suite des exposés brillants et
exhaustifs des collègues qui m'ont précédé à cette tribune, vous interpeller à
propos de l'avenir de la politique régionale.
L'année 2003 sera marquée, à l'échelon européen, par l'évaluation à
mi-parcours des programmes de politique régionale, et, à l'échelon national,
par l'examen des contrats de plan Etat-région. Autrement dit, la région doit
être dès aujourd'hui au coeur de nos préoccupations.
L'élargissement de l'Union européenne de quinze à vingt-cinq membres s'inscrit
dans le très long terme et suscite au mieux l'incompréhension, au pire
l'inquiétude, voire l'hostilité, de certains de nos concitoyens et de nos
partenaires européens. L'élargissement doit devenir une réussite pour les pays
candidats, bien sûr, mais aussi pour les pays déjà membres. Nous devons trouver
un compromis entre les exigences des pays candidats et les attentes, tout aussi
légitimes, des régions des pays membres de l'Union. Ce n'est certainement pas
en remettant en cause vingt-sept années de politique structurelle en faveur de
nos régions que l'on réussira l'élargissement : nous devons faire l'Europe sans
défaire la nation, et la réussite de l'élargissement sera alors de celle de
l'Europe entière.
La politique de cohésion économique et sociale s'inscrit profondément dans
l'histoire de l'Europe. Elle a permis de combler efficacement les inégalités
qui pouvaient exister entre les Etats membres, mais aussi entre les régions.
La construction européenne a toujours eu pour objet de créer un ensemble
d'Etats entretenant des liens économiques étroits et réglant ensemble des
questions d'intérêt commun. Ce principe de cohésion, implicite dès 1957 et
reconnu par l'Acte unique européen, s'est vu confirmé au fil des réformes
institutionnelles et financières. Or l'intégration européenne n'a été possible
et n'a perduré que grâce aux mesures de cohésion économique et sociale, qui
représentent 213 milliards d'euros pour la période allant de 2000 à 2006, soit
un tiers du budget européen.
Ce principe de cohésion a permis la convergence économique entre les
différents Etats membres. Le PIB de l'Irlande est ainsi passé de 64 % à 119 %
de la moyenne communautaire entre 1988 et 2000. Cela est considérable ! Le
rattrapage des pays les moins prospères, tels l'Espagne, la Grèce et le
Portugal, se confirme : leur retard initial s'est réduit de près d'un tiers
depuis dix ans, et leur PIB est passé de 68 % à 79 % de la moyenne
communautaire.
De même, l'écart qui peut exister entre les régions françaises s'est réduit
grâce, en particulier, à la politique structurelle européenne. Toutefois, des
disparités régionales en matière de chômage subsistent en Europe : le taux
moyen de chômage des régions les mieux placées est de 2,7 %, mais il atteint
21,9 % dans les régions les plus touchées. C'est dire l'importance d'un travail
de très longue haleine, qui ne doit en aucun cas être interrompu.
Cependant, les aspirations concurrentes des pays membres et des pays candidats
imposent une réforme de la politique régionale si l'on veut éviter l'explosion
du budget européen.
Les négociateurs des dix pays candidats ont fait pression sur le commissaire
européen chargé de l'élargissement, Günther Verheugen, pour obtenir davantage
d'aides avant l'ouverture, aujourd'hui, du sommet européen de Copenhague. La
marge de manoeuvre est très limitée, comme l'ont rappelé M. Simon Sutour et Mme
Anne-Marie Payet : tandis que la population de l'Union augmentera d'un tiers,
le PIB ne croîtra que de 5 %, soit une baisse de treize points du PIB moyen
dans une Union à vingt-cinq membres.
La Pologne notamment, futur acteur important de l'Europe élargie, se montre
particulièrement active dans les négociations, car l'agriculture emploie encore
20 % de sa population active et seulement un quart des deux millions de fermes
recensées sont estimées rentables. En milieu rural, le revenu moyen équivaut
aujourd'hui à seulement 40 % du revenu national ; les agriculteurs polonais ont
donc bien évidemment peur d'être de nouveau les victimes de l'Histoire.
La France, quant à elle, demeure l'un des premiers bénéficiaires des
politiques structurelles, notamment au titre de l'objectif 2, qui vise à aider
à la reconversion économique et sociale des zones connaissant des difficultés
structurelles.
Par ailleurs, compte tenu de l'enjeu financier pour le budget communautaire,
il me semble difficile de séparer le débat sur l'avenir de la PAC de celui qui
porte sur le devenir de la politique régionale européenne, d'autant que
l'accord franco-allemand ne s'applique pas aux dépenses très importantes
consacrées au développement rural.
La réforme de la politique régionale est donc nécessaire si l'on veut éviter
l'explosion du budget européen, car les dépenses liées à l'élargissement iront
en s'accroissant.
Monsieur le ministre, croyez-vous que les Français accepteront de toucher
moins d'aides européennes et, dans le même temps, de payer, à partir de 2008,
2,6 milliards d'euros par an pour financer l'élargissement, soit un montant
quatre fois plus élevé qu'aujourd'hui ?
La réforme de la politique régionale devra maintenir l'objectif de cohésion
pour tous les pays sans exception, car celle-ci donne un sens à nos valeurs
européennes de solidarité et de coopération. Cette réforme devra renvoyer dos à
dos ceux qui prônent un égoïsme excessif au profit des pays membres
historiques, et ceux qui incarnent un altruisme irréaliste au profit des pays
candidats. La proposition issue du Forum européen sur la cohésion de mai 2001
de consacrer 0,45 % du PIB européen à la politique de cohésion et le projet de
créer un fonds de solidarité pour venir en aide aux victimes de catastrophes
naturelles tendent au même objectif de solidarité entre les citoyens
européens.
En dépit d'analyses alarmistes, je vois trois raisons de rester optimistes sur
l'avenir de nos régions dans une Europe élargie à vingt-cinq membres : le
potentiel extraordinaire d'un marché de 500 millions de consommateurs, la
réforme des institutions européennes et le chantier de la décentralisation.
Première raison d'être optimistes, nous devons toujours garder à l'esprit que
la construction européenne est facteur de paix et de prospérité. Les avantages
communs sur le long terme contrebalanceront les inconvénients à court terme
pour les intérêts nationaux. Un marché unique d'un demi-milliard d'individus
permettra à l'Europe de proposer un modèle économique et social spécifique et
de lui donner une position éminente et incontournable sur la scène
internationale.
Deuxième raison, la réforme des institutions en cours est la condition
nécessaire de la réussite de l'élargissement. Cette refonte institutionnelle
doit aller de pair avec une simplification administrative, entamée avec
l'Agenda 2000 : nous sommes, certes, passés de sept à trois objectifs
prioritaires et de treize à quatre initiatives communautaires, mais ces efforts
restent insuffisants.
Le commissaire Michel Barnier a présenté le 7 octobre dernier aux ministres
nationaux chargés de la politique régionale des mesures destinées à simplifier
l'administration des fonds structurels. Dans le même sens, monsieur le
ministre, vous avez exposé en juillet dernier un « dispositif d'urgence » pour
améliorer l'accès aux programmes régionaux européens. Ces deux axes d'action
sont positifs, mais il est vraiment essentiel de simplifier tout ce qui a trait
au volet administratif, dont la pesanteur excède nos concitoyens.
Dans un autre domaine, nous devons mettre un terme à la sous-consommation
chronique des crédits consacrés aux dépenses structurelles. En effet, pour
2001, la Cour des comptes européenne relève que la non-consommation des crédits
européens s'est élevée à plus de 15 milliards d'euros. L'explication de cette
situation tient au fait que les Etats sont chargés de déterminer eux-mêmes
leurs besoins en fonds structurels et exagèrent leurs demandes. De plus,
certains d'entre eux ne disposent pas d'un système de contrôle performant.
Enfin - c'est la troisième raison d'être optimistes -, les régions vont
devenir, dans notre pays, le fer de lance de la réforme de la décentralisation
et, espérons-le, de la simplification administrative. Cette réforme donnera
tout son sens au principe de subsidiarité et permettra aux régions de gérer
elles-mêmes leurs ressources financières. Ainsi, la région Aquitaine, voisine
de la mienne, s'est déclarée candidate à une totale décentralisation des fonds
structurels européens qui lui sont destinés.
L'équité entre les différents pays membres s'impose à la fois comme une
évidence politique et comme un acte de bon sens, car nous avons tous à gagner à
ce que l'Europe soit une grande puissance économique harmonieusement
développée.
Pour cela, il nous faut dépasser une logique purement comptable qui néglige
l'intérêt commun et obère tous les avantages non quantifiables que nous apporte
la construction européenne. Nous devons ignorer les tenants d'un altruisme
naïf, selon lesquels les politiques structurelles ne doivent profiter qu'aux
futurs pays membres, et ceux d'un égoïsme dénué de vision du futur, pour
lesquels la politique régionale ne devrait concerner que les pays déjà
membres.
Nous disposons, avec les régions, d'un outil extraordinaire pour renforcer
l'Union européenne. Il nous est interdit de ne pas saisir pleinement une telle
chance.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à Mme Danielle Bidard-Reydet.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, la
construction européenne prend une dimension nouvelle avec l'élargissement en
2004 de l'Union à dix nouveaux pays. Comptant au nombre des grands chantiers
ouverts, tels que le nouveau traité et la réforme des institutions, la
politique régionale européenne est l'une des questions d'actualité les plus
importantes.
Deux approches sont encore en débat.
La première est fondée sur la construction d'une Europe des régions. Nous
pensons que cela entraînerait la disparition des Etats, qui doivent à nos yeux
rester les garants de la cohésion nationale et du maintien d'un développement
équilibré et solidaire des territoires. De plus, tout laisse à penser qu'il est
illusoire d'envisager une Europe des régions, compte tenu du fait que celles-ci
ne constituent pas des entités autonomes et homogènes. En revanche, il est
utile de débattre de la place des régions en Europe.
Dans l'Europe des Quinze, de grandes inégalités existent déjà. Certains Etats
n'ont même pas de régions, et les services de Bruxelles assimilent des pays
entiers à des régions : c'est le cas de l'Irlande, du Luxembourg, voire des
Pays-Bas, du Portugal et de la Finlande. A l'intérieur même de chaque Etat, les
disparités sont considérables, et elles le sont bien davantage encore à
l'échelle européenne.
Ces inégalités sont de plusieurs ordres, et tout d'abord d'ordre
économique.
Ainsi, une zone très riche incluant une partie de l'Angleterre, le Benelux,
l'ouest de l'Allemagne, avec la vallée du Rhin, et une partie de la vallée du
Rhône, jusqu'au nord de l'Italie, est bordée par d'autres régions, beaucoup
moins développées. En outre, le PIB par habitant du Luxembourg est deux fois
plus élevé que celui de la Grèce.
Enfin, sur notre territoire, un tiers des régions concentre les deux tiers du
PIB, et les projets de décentralisation en cours risquent, par une mise en
concurrence des régions, d'accroître encore les inégalités entre régions riches
et régions pauvres. Il existe également des disparités entre zones rurales et
zones urbaines, et au sein même de celles-ci la région d'Ile-de-France
constitue un exemple patent à cet égard avec la grande différence qui existe
entre le quart sud-ouest et le quart nord-ouest.
Ces inégalités économiques vont s'accentuer avec l'élargissement de l'Union
européenne. Je pense ici à la Pologne, où les régions sont complètement
sous-développées, et à la Slovaquie, où le PIB de la région Ouest, autour de
Bratislava, atteint 90 % du PIB européen, tandis que le PIB des régions de
l'Est plafonne à 35 %, le taux de chômage y étant de plus de 50 %.
Les inégalités sont également d'ordre politique, car les régions n'ont pas du
tout les mêmes statuts, les mêmes pouvoirs, les mêmes budgets selon les Etats.
Ainsi, certains d'entre eux, comme l'Allemagne ou la Belgique, ont une
structure fédérale, les régions assumant de grandes responsabilités et
disposant des moyens appropriés. Enfin, dans certains pays, les exécutifs
régionaux sont élus, alors que dans d'autres ils ne font que relayer
l'administration centrale.
Pour toutes ces raisons, nous continuons à être opposés à une Europe des
régions.
La seconde approche est fondée sur une Europe des Etats-nations.
L'Etat établit des critères d'égalité pour tous en vue d'un développement
équilibré et d'une limitation du clientélisme régional. Il fixe les objectifs
et les priorités nationales et pourrait déléguer une grande partie de la mise
en oeuvre de ses politiques, ainsi que leur adaptation, aux régions, tout en
gardant le contrôle et la fonction d'évaluation de leur application.
La région, dans ce cadre qui correspond à une vraie décentralisation, apporte
par sa proximité une réponse aux besoins des citoyens. L'emploi, les services
publics, le transport, l'école, le logement et la santé sont autant de
questions de dimension régionale auxquelles la population est sensible.
Dans l'espace européen, les régions agissent déjà efficacement dans certains
domaines. Ainsi, elles élaborent des dossiers communs et font pression sur
Bruxelles et sur les Etats pour faire avancer des projets tels que la
réalisation de liaisons ferroviaires ou le développement du ferroutage. Ce type
d'initiatives pourrait être encouragé et développé.
Nous sommes donc favorables à une Europe harmonieuse et équilibrée, corrigeant
progressivement les inégalités et portant une attention particulière aux
régions les plus pauvres.
Dans cette optique, la politique communautaire régionale, notamment ses
aspects budgétaires, doit être modifiée. Il convient de l'inscrire non pas dans
une logique visant à stimuler la concurrence en finançant essentiellement des
investissements destinés à promouvoir un environnement favorable aux
entreprises, mais, au contraire, dans une logique de solidarité.
Nous constatons un tassement du budget européen, voire une révision à la
baisse des crédits des fonds structurels et de cohésion, et ce malgré l'ampleur
des besoins, qui vont considérablement croître avec l'élargissement à
vingt-cinq membres.
Dans cette perspective, il faut donc revoir à la hausse les financements
européens, car deux écueils se présenteront si le budget demeure constant.
Si les efforts sont uniquement concentrés sur les régions les plus pauvres,
les régions qui se voyaient auparavant allouer des fonds se sentiront lésées,
car elles risquent de perdre beaucoup d'argent : ce serait le cas en Italie, en
Espagne, en Grèce, au Portugal et en Irlande. En revanche, si les financements
sont répartis entre toutes les régions en difficulté, le montant de l'aide
accordée à chacune d'entre elles sera très en deçà des besoins. Plusieurs
collègues ont évoqué ce problème tout à l'heure.
Enfin, si les fonds structurels et de cohésion ont permis, dans l'Europe des
Quinze, de réduire certaines inégalités, il faut veiller à ce que tous les
financements soient utilisés. Les crédits non employés et les retards constatés
dans l'exécution des budgets sont tout à fait anormaux, les collègues qui m'ont
précédée y ont fait allusion. Les financements totalement utilisés devraient
permettre de corriger les écarts de développement entre les régions et dessiner
ainsi des projets réalistes et ambitieux.
L'enjeu de la réorientation de la politique régionale est donc aujourd'hui
incontournable. De réels projets régionaux de développement dans une
perspective européenne de progrès doivent être élaborés au plus près des
citoyens. Cela implique, nous semble-t-il, un véritable débat public dans notre
pays avec toute la population et les élus des différents échelons : local,
régional, national et européen. C'est, selon nous, un enjeu important pour les
dix prochaines années.
(Applaudissements sur les travées du groupe
CRC.)
M. le président.
La parole est à M. Jean Bizet.
M. Jean Bizet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis 1975
- année de la création du Fonds européen de développement régional - jusqu'à
aujourd'hui, la politique régionale européenne n'a cessé de croître en
importance, en volume financier, mais aussi - c'était peut-être un corollaire
obligé - en complexité et en lourdeur.
Réforme après réforme, élargissement après élargissement, on a vu se
multiplier les fonds spécialisés, les initiatives communautaires, les objectifs
thématiques, les règles de mise en oeuvre, les procédures de zonage et les
conditions d'attribution des dotations structurelles. Cette montée en puissance
d'une politique de cohésion économique et sociale, qui structure le territoire
européen, s'est accompagnée d'un accroissement progressif des fonds affectés à
celle-ci : s'ils ne s'élevaient qu'à 7,8 % du budget communautaire en 1980, ils
représentent désormais plus du tiers des dépenses et constituent la deuxième
ligne budgétaire après la politique agricole commune.
Paradoxalement, on observait pourtant chaque année une sous-consommation
manifeste, par les Etats membres, des crédits ouverts, non pas tant en termes
d'engagement, mais au niveau des dépenses effectives. Celles-ci ont oscillé,
suivant les périodes, entre 25 % et 38 % seulement des moyens disponibles. Les
explications proposées pour justifier ces retards étaient nombreuses et
d'ailleurs convaincantes : longueur extrême des procédures, difficultés de
cofinancement national, délais dans la mise à disposition des fonds, choix
complexe des projets à engager. Il n'en demeure pas moins que l'on pouvait
légitimement s'interroger sur le meilleur calibrage à donner à la politique
régionale communautaire pour répondre avec le plus d'exactitude aux besoins et
aux capacités d'absorption des fonds européens par les Etats membres.
Après le « paquet Delors I » et le « paquet Delors II », qui ont intensifié
l'effort budgétaire en faveur de la politique de cohésion, la réforme résultant
de l'adoption, en 1999, de l'Agenda 2000 a amorcé un mouvement de décrue des
dépenses.
Plus largement encore, elle a apporté un certain nombre de réponses aux
critiques et aux interrogations que commençait à susciter cette politique
structurelle.
Tout d'abord, elle a choisi de maintenir l'effort de solidarité en poursuivant
la politique de cohésion économique et sociale. Mais elle a recherché une plus
grande efficacité de celle-ci par la concentration des moyens financiers sur
les zones qui accusaient le plus grand retard de développement par rapport à
l'ensemble du territoire européen.
Ensuite, elle a préparé l'élargissement de l'Union, à la fois par le chiffrage
d'une aide consacrée à la pré-adhésion et destinée aux pays candidats, mais
aussi en budgétant les dépenses afférentes à leur entrée effective. Cette
enveloppe, qui tablait sur l'arrivée de six nouveaux Etats membres dès 2002,
permettra, en définitive, de faire face à l'adhésion de dix partenaires à
partir de 2004.
En outre, elle a proposé une simplification des procédures d'engagement des
projets, que réclamaient depuis longtemps les différentes parties intervenant
dans la mise en oeuvre, sur le terrain, de la politique régionale
européenne.
Enfin, elle a procédé à la réduction de sept à trois du nombre des objectifs
structurels tout en conservant, indépendamment de l'objectif 1 consacré au
développement, deux autres axes d'intervention : l'un, applicable par zonage
national, destiné à l'aide au financement de la reconversion des régions en
difficulté ; l'autre, d'application horizontale, sur l'ensemble du territoire
de l'Union, prenant en compte la dimension humaine et sociale de l'impératif de
cohésion.
Cette réforme arrivera à échéance à la fin de l'année 2006. Entre-temps, dix
nouveaux Etats membres auront rejoint l'Union : sur les 75 millions de citoyens
européens supplémentaires qui la composeront alors, environ 60 millions vivent
actuellement dans des régions répondant au critère du retard de développement,
soit un PIB par habitant inférieur à 75 % de la moyenne communautaire. L'écart
sera plus large encore lorsque les trente millions de Roumains et de Bulgares
entreront à leur tour dans l'Union, vers 2007 vraisemblablement.
Si l'on continue à mettre en oeuvre la politique régionale de l'Union sur les
bases actuellement en vigueur, l'effet d'éviction est évidemment immédiat : la
richesse moyenne des dix pays récemment déclarés éligibles correspond environ à
40 % seulement de la richesse moyenne des quinze Etats membres actuels. Si l'on
veut maîtriser l'évolution de la dépense budgétaire européenne, sachant que
l'enveloppe consacrée à la politique régionale correspond aujourd'hui à 0,46 %
du PIB de l'Union, il est impératif d'opérer des choix.
Compte tenu de cette nouvelle donne, certains de nos partenaires européens -
je pense notamment à l'Allemagne qui contribue le plus fortement au budget
communautaire - sont partisans de l'interruption de la politique de cohésion
économique et sociale. Ils considèrent qu'en vertu de l'application du principe
de subsidiarité une politique d'aménagement du territoire peut être plus
efficacement conduite, et à moindre coût, à l'échelon national, voire
régional.
Cette analyse me paraît tout à la fois dangereuse et particulièrement
contestable. Elle remettrait en cause les spécificités de la construction
européenne, qui ont fait de la solidarité entre les Etats membres et de la
lutte contre les disparités de développement l'un de ses fondements. Il me
paraît aller de soi que l'effort doit continuer de porter, en priorité, sur les
régions en retard de développement. Je souhaite, pour ma part, que l'Union
puisse poursuivre cette politique au-delà de l'année 2006, à l'égard de toutes
ses composantes, nouveaux ou anciens membres. Elle doit néanmoins veiller plus
particulièrement à deux préoccupations.
D'abord, il convient d'organiser une véritable décentralisation des procédures
de gestion des fonds européens. Le bon sens milite pour que l'engagement des
projets se fasse au plus près du terrain, dès lors que toutes les garanties du
bon usage des fonds communautaires et du strict respect des procédures sont
apportées. Je crois savoir qu'une expérience de mise à disposition directe des
dotations structurelles, à l'échelon régional, sera prochainement menée en
Alsace pour l'objectif 2. Notre collègue M. Daniel Hoeffel avait envisagé que
cette méthode nouvelle puisse être étendue à titre expérimental aux régions qui
le souhaiteraient. Pour ma part, j'y suis très favorable, même si je mesure les
difficultés qui peuvent en résulter pour certains pays candidats qui maîtrisent
encore mal les procédures et ne disposent pas des capacités administratives
pour mettre en oeuvre une telle gestion décentralisée.
Ensuite, il faut éviter la dispersion des objectifs qui conduit à un
saupoudrage des aides, dont le volume serait alors trop faible pour exercer un
quelconque effet de levier et laisser espérer des retombées tangibles. Nous
sommes conscients que, pour obtenir l'adhésion de tous les partenaires, il est
parfois nécessaire que chacun d'entre eux voie ses propres caractéristiques
prises en compte et se trouve éligible à l'un ou l'autre des objectifs.
Toutefois, il me paraît indispensable que, pour la partie correspondant à
l'actuel objectif 2, consacré pour l'heure à la reconversion des zones
fragilisées, on s'attache à dégager des lignes directrices claires.
Pour ma part, je suggérerais volontiers qu'un intérêt particulier puisse être
porté aux zones rurales. Les élus des départements ruraux ont parfois le
sentiment que le territoire urbain et périurbain exerce un pouvoir d'attraction
excessif face aux zones rurales, qui font certes moins entendre leur voix et
que l'on laisse se désertifier peu à peu. Ne serait-il pas judicieux de
rééquilibrer les efforts entre ces deux pôles ?
Si on néglige les équipements et les infrastructures de base de ces régions,
si on les laisse disparaître progressivement, il est fort à craindre que l'on
ne puisse plus ensuite faire marche arrière. Peut-on envisager d'abandonner
ainsi une partie du territoire européen, partie qui, hélas ! ira croissante si,
comme il est probable, l'évolution des productions agricoles conduit, à terme,
à soustraire des milliers d'hectares à l'agriculture, dont la valorisation
constituerait pourtant un élément fondamental de l'équilibre environnemental
?
Je suis partisan de saisir l'opportunité de cette réforme à venir pour mieux
organiser l'interaction entre fonds structurels et ruralité, une telle
articulation pouvant tout à la fois aider à l'intégration des nouveaux Etats
membres et prolonger le travail commencé dans l'Union à quinze.
Sur le plan symbolique, et je ne doute pas, monsieur le ministre, que tous les
Etats membres en soient conscients, la poursuite d'une politique de cohésion
économique et sociale dans une Union élargie me semble la bonne manière de
faire éprouver à chacun de ses citoyens un sentiment d'appartenance au modèle
européen.
(Applaudissements sur plusieurs travées de l'UMP et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Jean-Paul Delevoye,
ministre de la fonction publique, de la réforme de l'Etat et de l'aménagement
du territoire.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs,
votre débat tombe à point. En effet, nous devons arrêter demain, au cours du
comité interministériel d'aménagement et de développement du territoire - le
CIADT -, la position du Gouvernement sur le mémorandum que nous devons
transmettre au commissaire européen Michel Barnier sur la position de la France
concernant la poursuite ou non d'une politique de cohésion territoriale.
Il tombe à point également parce que, aujourd'hui, le sommet de Copenhague se
prononce sur l'élargissement de l'Europe.
Enfin, il tombe à point - comme plusieurs orateurs, je rends hommage à votre
initiative, monsieur Sutour - parce que nous sentons bien quel intérêt
politique il y a à éveiller une citoyenneté européenne et à faire en sorte que,
dans ce débat, chacun se rende compte que l'Europe est non pas une contrainte,
mais une opportunité de développement, l'opportunité de pouvoir, en mobilisant
des fonds, accroître le développement de nos régions, notamment nos régions
ultrapériphériques, en termes de reconversion industriel ou dans le domaine
agricole.
Vous avez, les uns et les autres, évoqué les contraintes budgétaires et
souligné la pertinence des actions menées par les fonds structurels. Il
convient, à cet instant, sur la base de l'ensemble de vos observations,
d'indiquer que l'élargissement de l'Europe n'est ni un marché, ni un troc, ni
un calcul budgétaire : c'est un formidable projet politique permettant
d'asseoir durablement la paix sur le continent européen, comme l'évoquait M. de
Montesquiou, et la tranquillité, car on ne fait pas la guerre avec des gens
avec lesquels on commerce.
Nombre de nos concitoyens s'interrogent aujourd'hui sur la prédominance des
Etats-Unis. Y a-t-il trop d'Etats-Unis ? Non ! il n'y a pas assez d'Europe !
Nous devons réfléchir aux moyens à mettre en oeuvre pour rendre l'Europe plus
puissante dans les domaines économique, technologique et militaire, mais
également dans le domaine monétaire, même si, aujourd'hui, on constate que le
passage à l'euro a créé un espace de stabilité sans lequel les crises que nous
avons traversées ces derniers mois auraient donné lieu à de très importats
soubresauts.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances.
Oh oui !
M. Jean-Paul Delevoye,
ministre.
On ne le dit pas suffisamment. En effet, il suffit de regarder
tous les événements de caractères économique et géopolitique qui se sont
déroulés depuis le passage à la monnaie unique pour constater qu'ils n'ont
donné lieu à aucun frissonnement de l'euro et qu'ils n'ont suscité aucune des
interrogations qui étaient les nôtres naguère en voyant les monnaies de chacun
de nos pays se battre au gré d'un certain nombre de spéculations qui
déstabilisaient lourdement les politiques nationales.
Au moment où, à Copenhague, les Quinze vont donner leur accord à
l'élargissement et à l'intégration de ces dix pays, il convient de réfléchir à
la pertinence politique de cette décision. Nous avons tous salué la volonté du
chancelier Kohl d'intégrer l'Allemagne de l'Est, et nous étions alors tous
impressionnés par cette décision politique. Aujourd'hui, nous vivons un moment
politique important.
Ensuite, vous vous êtes interrogés sur la pertinence politique à poursuivre la
politique des fonds de cohésion et sur la position du Gouvernement à cet
égard.
Compte tenu de la réunion du CIADT qui aura lieu demain, je me bornerai, et
vous le comprendrez, à quelques observations personnelles.
Vous avez raison d'indiquer qu'aujourd'hui la volonté de poursuivre la
politique de cohésion structurelle est peut-être minoritaire. En effet, nombre
de nos partenaires européens s'interrogent sur la pertinence de cette
politique. Ils considèrent que, pour assurer la solidarité, il est préférable
de réfléchir à l'échelon national, au lieu de recourir à une péréquation à
l'échelon européen. Je parle, bien sûr, de l'objectif 2, et non de l'objectif
1.
C'est la raison pour laquelle nous avons, dès notre arrivée aux
responsabilités, mis en place un dispositif de simplification administrative,
et c'est un point que vous avez évoqué, madame Payet.
La puissance de notre position est en effet directement liée à notre capacité
de consommer nos fonds structurels actuels. Si, en 2006, nous n'avons pas
consommé ces fonds, nos partenaires européens nous diront - ce qu'ils font déjà
- que nous ne pouvons pas demander la prolongation de cette politique puisque
nous n'avons pas pu consommer les fonds mis à notre disposition.
Nous avons pris des mesures importantes en matière de simplification
administrative. Dès le début de l'année, les fonds seront mis à la disposition
des préfets de région. Le décret de 1999 doit revenir du Conseil d'Etat pour
permettre le versement des subventions, même après le démarrage des travaux.
Aujourd'hui, l'ingénierie - et vous avez raison, madame Payet - qui fait défaut
à ceux qui portent des projets doit être mise à leur disposition au niveau des
régions et à la disposition de la DATAR à l'échelon national. Il s'agit
d'apporter, d'abord et avant tout, un appui aux initiatives qui sont porteuses
de projets et de ne pas les écraser sous le poids de procédures si complexes
que, souvent, ceux qui ont des idées éligibles aux fonds structurels européens
baissent les bras et ne mobilisent pas ces fonds. Si vous avez un quelconque
souci, nous avons mis en place, dans mon ministère et au sein de la DATAR, des
liaisons directes de façon que nous puissions très concrètement appuyer les
porteurs de projets et demander à l'administration les raisons pour lesquelles
le poids des procédures a tendance à freiner l'éligibilité d'un projet.
Aujourd'hui, nous donnons la priorité à un Etat partenaire qui accompagne les
initiatives locales au sein desquelles, bien évidemment, la mobilisation des
fonds européens est un élément déterminant en termes de réussite.
Notre conviction doit être forgée par l'analyse. La politique de cohésion
est-elle pertinente ? Les résultats sont-ils à la hauteur des espérances ? Nous
pensons que l'une des difficultés majeures du monde d'aujourd'hui serait de ne
pas être capable de réduire les inégalités à l'intérieur d'espaces économiques
communs ; on voit se dessiner de plus en plus d'espaces économiques.
L'aggravation des différences et des inégalités serait un important facteur de
déstabilisation politique. Nous devons donc mettre en place des mécanismes de
réduction des inégalités en termes de PIB par habitant.
Quand nous analysons les résultats de l'objectif 1 - vous les avez les uns et
les autres soulignés, et, madame Payet, j'avais sur ce point une petite
divergence vous -, nous constatons que l'écart de richesse en termes de PIB
s'est considérablement réduit entre les pays. S'agissant de l'objectif 1, on
peut parler d'une réduction de l'ordre de 10 % en dix ans. Certains résultats
sont plus probants encore, notamment en Irlande. Il suffit de voir le
rattrapage de l'Espagne ou du Portugal pour constater que cela est
important.
Je voudrais faire un léger retour en arrière afin que nous nous rappelions les
débats qui ont eu lieu, y compris en France, lors de l'intégration de l'Espagne
et du Portugal : nous nous interrogions alors de la même façon sur les dangers
qu'elle pouvait représenter. Or, chacun s'est rendu compte que, assez
rapidement, après une période d'investissement de fonds européens, le résultat
était très positif pour l'ensemble de la Communauté européenne, et, par
conséquent, pour l'ensemble des entreprises françaises.
Aujourd'hui, investir dans le rattrapage économique des pays candidats est un
facteur de développement global pour l'Europe. C'est d'autant plus important
que l'Europe doit absolument reconquérir nos concitoyens afin qu'ils aient
présentes à l'esprit les chances qu'elle offre en termes de stabilité
économique, de stabilité et de paix ; enfin, en termes de développement des
politiques en matière de recherche, en matière de défense et, je dirai, pour
tout ce qui concerne la société de l'intelligence et de l'information.
Madame Payet, je partage
a contrario
votre point de vue. A titre
personnel, je suis tout à fait favorable àl'Europe des nations, par opposition
à l'Europe des régions. Nous n'avons pas intérêt à voir apparaître dans nos
Etats, ou même à l'échelon européen, une mosaïque d'intérêts communautaires qui
pourraient briser le « vivre-ensemble ». Nous avons au contraire intérêt - M.
de Montesquiou et M. Bizet l'indiquaient à propos de la décentralisation - à
nous appuyer sur l'espace régional, qui est un espace de mobilisation des
énergies, pour développer les politiques de développement régional et rendre
plus efficace encore la mobilisation des fonds européens.
Il n'y a donc pas de souci à se faire - pardon pour les DOM-TOM ! - pour
l'objectif 1, parce que, malheureusement pour ces régions, malgré l'abaissement
du niveau moyen du PIB par habitant, elles resteront en deçà du seuil de 75 %.
L'objectif 1 sera donc orienté sur les régions dites ultrapériphériques.
Je noterai au passage qu'il faudrait plutôt fondre tout cela dans une
dénomination commune et cesser de parler d'ultrapériphérie. Ce point est
d'autant plus important que les départements d'outre-mer ont un rôle de
stabilisation périphérique qui dépasse largement les dimensions européennes.
Ainsi, la Réunion a vocation à avoir des relations avec Madagascar et
l'ensemble du bassin indien, de même que la Guadeloupe, la Martinique et la
Guyane ont intérêt à essayer de stabiliser Haïti, etc.
On voit donc l'intérêt pour l'Europe d'être présente dans les cinq océans.
C'est un facteur d'irrigation périphérique de stabilités régionales, idée que
vous appliquiez d'ailleurs, monsieur Sutour, à l'espace euroméditerranéen : il
est évident que la stabilité du continent européen passera par notre capacité
d'investir dans cet espace. Si nous voulons maintenir sur la totalité de la
frontière du Maghreb le taux de chômage des jeunes à son niveau actuel, il faut
créer plusieurs centaines de millions d'emplois dans les vingt-cinq années qui
viennent. Le développement doit dépasser les frontières européennes et intégrer
la notion de « bassin d'intérêt partagé » sur le plan économique.
Pour ce qui est de l'objectif 2, le Gouvernement doit d'abord analyser s'il
est pertinent de le conserver. Les débats, tant à l'échelon européen qu'à
l'échelon gouvernemental, se dérouleront, c'est vrai, entre les « budgétaires »
et les « politiques ». Les budgétaires raisonneront sans doute, et c'est
légitime, en termes de retour d'investissement. Je suis de ceux que les
chiffres ont convaincus que le temps de retour de l'objectif 2 est tout à fait
intéressant pour notre pays, même si nous devons admettre l'effet d'éviction
que plusieurs d'entre vous ont évoqué.
Je ne partage pas, monsieur Sutour, l'idée que les fonds de cohésion soient un
acquis. Pourquoi ? Parce que, par définition, les fonds de cohésion ont pour
objet de favoriser des reconversions, des rattrapages de richesses. Leur
vocation est donc de disparaître mécaniquement dès que le but est atteint.
C'est ainsi qu'un certain nombre de pays dont le PIB par habitant a
considérablement augmenté et qui sont désormais au-dessus de la moyenne
européenne ne doivent plus, par définition, profiter de la solidarité. Laisser
accroire que les fonds européens sont des acquis pour ces régions est un
argument dangereux.
A contrario
, quelle politique devons-nous mener pour parvenir à une
approche politique globale, convergente et positive de la mobilisation des
fonds, et pour nous concentrer sur certaines régions qui sont aujourd'hui soit
en reconversion, soit en difficulté ?
Si nous admettons le principe de l'éviction qu'entraînent les paramètres
actuels, nous interrogeons nos partenaires afin de recentrer les politiques
communautaires sur des thèmes qui soient non pas seulement d'intérêt national,
mais d'intérêt européen, et plusieurs d'entre vous ont évoqué certains de ces
thèmes. Ainsi, le phénomène urbain, avec l'émergence de quartiers en
difficulté, est un phénomène européen ; les zones à faible densité - vous avez
cité la montagne, il peut y en avoir d'autres - sont aussi un phénomène
européen appelant des politiques de solidarité. Parallèlement, il est évident
que certains mécanismes renforcent la cohésion des pays européens, par exemple
par la structuration de l'espace, et c'est toute la problématique de la
politique des transports comme de la politique des télécommunications et des
nouvelles technologies de communication.
Enfin, un sujet doit aujourd'hui être constamment présent dans la politique
européenne, car il a une dimension mondiale : c'est le développement durable.
Comment concilier le développement économique avec le respect de
l'environnement et le respect des hommes et des femmes ?
Nous devons accompagner des mutations très importantes en Pologne. Vous avez
évoqué la crainte des agriculteurs polonais de voir leur pays adhérer à
l'Europe, mais il faut être conscient que les agriculteurs français ne sont pas
moins inquiets de l'arrivée des Polonais ! Il nous faut donc réfléchir ensemble
à la façon d'accompagner les mutations nécessaires à la stabilité d'un marché
économique qui soit capable d'assurer le revenu de celles et de ceux qui vivent
en Europe, peut-être en réorientant les débouchés de l'agriculture. Cette
réflexion doit, en tout cas, faire l'objet d'un débat de fond.
Je tiens à souligner que, à titre personnel, je suis opposé au zonage tout en
restant favorable à des politiques thématiques. Ce sujet devra faire également
l'objet d'un débat.
Mme Anne-Marie Payet a évoqué le taux de programmation, et je lui répondrai
par un chiffre : les simplifications administratives auxquelles nous avons
procédé ont fait passer en quelques mois le taux de programmation de 15 % à 24
%. Force est donc de constater que notre action commence à produire des effets,
ce dont nous nous réjouissons.
A contrario
, vous avez eu raison d'indiquer, madame, que le véritable
facteur d'inégalité des territoires résidait dans le déficit d'ingénierie que
connaissent les zones rurales, notamment par rapport à certaines
agglomérations.
Vous avez enfin eu raison d'indiquer que nous devons réfléchir à une meilleure
déconcentration de l'utilisation des fonds européens, sans pour autant tomber
dans la délégation totale. L'expérimentation qui se déroule en Alsace, et que
vous avez tous citée, porte sur la délégation des autorités de paiement, des
autorites de gestion, des autorités de contrôle, mais s'accompagne d'un
transfert juridique. Vous exprimiez une légitime colère devant la mauvaise
utilisation des fonds européens en France. Mais il faut que vous sachiez que
notre pays est responsable de leur attribution ! Lorsque délégation sera faite
à une collectivité territoriale, c'est elle qui, le cas échéant, devra
rembourser les fonds lorsque des contrôles sur le respect des critères auront
lieu ! Les contrôles à l'échelon européen me paraissent donc nécessaires, et la
France les a réclamés, les a revendiqués, et les assume.
L'utilisation de l'argent public, notamment européen, doit faire l'objet d'une
grande rigueur, d'une grande exigence. La délégation n'est pas une facilité
d'utilisation : elle doit se faire en partenariat entre les autorités de l'Etat
et les collectivités régionales, dans un souci de totale simplification.
M. Aymeri de Montesquiou a marqué son optimisme, et je le partage.
Madame Bidard-Reydet, vous avez indiqué qu'il fallait revoir les crédits à la
hausse. C'est en réalité un choix politique. Qui devons-nous aider ? Avec quels
types de moyens ? Dans quelles proportions ? Vouloir systématiquement augmenter
les crédits, dans tous les domaines, n'est pas une bonne réponse. Il faut, à un
moment donné, faire des choix et évaluer très précisément l'efficacité de
l'argent public par rapport au résultat que nous voulons obtenir.
Monsieur Bizet, vous avez parlé des zones rurales. En réalité, nous souhaitons
sortir de l'opposition entre urbain et rural pour parvenir à la notion de
territoires complémentaires. Les territoires auront une fonction différente,
c'est évident, mais ils seront en réalité complémentaires et travailleront en
réseau. On constate qu'il est nécessaire que des pôles d'excellence, qui sont
très attractifs sur le plan international, voient le jour ; mais l'on remarque
également qu'ils ont besoin de s'appuyer sur des services qui se trouvent
généralement dans les territoires périurbains.
Mesdames, messieurs les sénateurs - et ce sera ma conclusion -, vos
interventions expriment toutes le souci de maintenir une politique de cohésion
européenne. Certes, madame, vous avez évoqué l'objectif 1, notamment pour les
régions ultrapériphériques, mais les réflexions que j'ai entendues à propos de
l'objectif 2 me confortent dans la position que je souhaite défendre demain,
lors du comité interministériel pour le développement et l'aménagement du
territoire - le CIADT - quand le Gouvernement devra se prononcer sur les thèmes
qui pourraient justifier le maintien d'une politique européenne au titre de
l'objectif 2, sachant, comme je l'ai indiqué, que certains sujets concernent
l'ensemble des pays européens.
Je tiens à vous remercier, mesdames, messieurs les sénateurs, de la pertinence
du calendrier que vous avez retenu et de la qualité de vos propositions. Je
précise que dès sa nomination, le Gouvernement s'est préoccupé auprès du
commissaire européen de la nécessité de lui remettre avant la fin de l'année un
mémorandum. Je l'ai rencontré à plusieurs reprises pour lui confirmer que ce
serait chose faite. Nous avons inscrit ce texte, pour la première fois, à
l'ordre du jour d'un CIADT, afin que le Gouvernement puisse en débattre et soit
en mesure d'arrêter la position de la France, car nos partenaires attendent de
la connaître.
Le Gouvernement partage donc avec vous le souci que nos concitoyens
considèrent l'Europe non pas comme un espace de contrainte perturbant le
confort de leur quotidien, mais au contraire comme un formidable projet
politique permettant de sécuriser l'avenir et d'asseoir un espace de paix dans
un monde de plus en plus instable.
(Applaudissements sur les travées de
l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
En application de l'article 83 du règlement, je constate que le débat est
clos.
9
RÉFORME DES RÈGLES BUDGÉTAIRES
ET COMPTABLES APPLICABLES
AUX DÉPARTEMENTS
Adoption des conclusions
du rapport d'une commisssion
(Ordre du jour réservé)
M. le président.
L'ordre du jour appelle la discussion des conclusions du rapport (n° 87,
2002-2003) de M. Philippe Adnot, fait au nom de la commission des finances, du
contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation sur sa proposition
de loi portant réforme des règles budgétaires et comptables applicables aux
départements (n° 64, 2002-2003).
Dans la discussion générale, la parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Adnot,
rapporteur de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des
comptes économiques de la nation.
Monsieur le président, monsieur le
secrétaire d'Etat, mes chers collègues, cette proposition de loi a pour objet
de fournir un cadre législatif à la nouvelle comptabilité départementale,
actuellement régie par l'instruction comptable provisoire dite « M 52 ».
Elle constitue l'aboutissement d'un travail engagé dès 1996 par un groupe de
travail composé de représentants des conseils généraux, de la direction
générale des collectivités locales, de la direction générale de la comptabilité
publique et, dans un premier temps, de la Cour des comptes et du Conseil
national de la comptabilité.
Elle s'inscrit dans un mouvement de rénovation de la comptabilité publique qui
a débuté en 1997, avec la généralisation aux communes de l'instruction
comptable M14, et qui, depuis l'entrée en vigueur de la loi organique du 1er
août 2001, concerne désormais l'Etat. Lorsque le chantier de la comptabilité
des départements sera arrivé à son terme, les régions pourront à leur tour
s'engager dans le processus, et leur comptabilité sera régie par l'instruction
comptable M71.
La modernisation des comptabilités publiques va dans le sens d'une plus grande
sincérité grâce à la prise en compte des engagements patrimoniaux et à la
description exhaustive de l'emploi qui est fait des autorisations de recettes
et de dépenses inscrites au budget.
La comptabilité de la plupart des départements est encore aujourd'hui régie
par les règles de l'instruction comptable M51, qui applique essentiellement les
dispositions de la loi du 10 août 1871 et celles d'une instruction de 1963.
Les réflexions du groupe de travail mis en place en 1996 ont abouti à
l'élaboration de l'instruction provisoire M52, dont les règles sont appliquées,
depuis deux ans environ, dans seize départements - ils seront vingt-deux à
compter de 2003 - et par vingt-deux services départementaux d'incendie et de
secours, les SDIS.
Les résultats de cette expérimentation ont conduit à l'élaboration par
l'administration de dispositions ayant vocation à devenir le support législatif
de la généralisation de la M52 à l'ensemble des départements, dispositions qui
ont été approuvées par l'assemblée des départements de France, puis présentées
lors de sa séance du 9 juillet 2002 au Comité des finances locales, qui les a
accueillies favorablement.
La proposition de loi que nous examinons aujourd'hui reprend les dispositions
présentées au Comité des finances locales en tenant compte des remarques qu'il
a émises.
Avant de présenter les principales caractéristiques des conclusions que la
commission vous soumet, je voudrais d'abord préciser que, mis à part certains
aspects rédactionnels tenant en particulier à la numérotation des articles, la
commission ne propose aucune modification des dispositions de la proposition de
loi.
En effet, d'une part, je suis évidemment d'accord avec les propositions que
j'ai formulées en déposant cette proposition de loi et, d'autre part, il serait
malvenu de revenir sur un texte qui fait l'objet d'un consensus entre l'Etat et
les départements et qui a recueilli l'aval du Comité des finances locales.
Ce texte contient des avancées importantes dans quatre domaines.
Elles concernent tout d'abord les modalités de vote du budget : outre que les
décisions modificatives sont introduites dans le droit, il est proposé que le
budget soit voté soit par nature, soit par fonction, et qu'il fasse dans tous
les cas l'objet des deux modes de présentation. Le budget devra par ailleurs
être accompagné d'annexes supplémentaires destinées à mettre en évidence le «
hors-bilan » des départements.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la commission a longuement débattu des
conséquences du passage à la M14 sur la lisibilité des budgets communaux,
notamment de celui des plus petites communes. Il est apparu que les élus s'y
retrouvaient de moins en moins et que la fiabilité des consolidations était
quelquefois relative.
La commission a souhaité que soit engagée une réflexion sur l'élaboration de
présentations budgétaires simplifiées et standardisées qui, sans entrer en
contradiction avec le dispositif très complet que nous sommes en train
d'élaborer, permettraient à la fois de faire apparaître les vrais enjeux du
vote du budget et d'établir des comparaisons entre collectivités, c'est-à-dire
de faire du
benchmarking
.
Ensuite, la procédure des autorisations de programme est étendue aux dépenses
de fonctionnement, pour lesquelles elle s'appellera « autorisations
d'engagement ». Alors que, pour l'Etat les autorisations de programme seront
totalement remplacées, en fonctionnement comme en investissement, par les
autorisations d'engagement, une distinction terminologique sera instaurée entre
fonctionnement et investissement pour les départements. La procédure des
autorisations d'engagement, qui est étendue également aux régions, sera limitée
aux dépenses qui impliquent des engagements vis-à-vis de tiers.
Par ailleurs, les possibilités de reprise anticipée du résultat dont
bénéficient les communes depuis que, sur l'initiative de la commission des
finances, la loi du 28 décembre 1999 les a autorisées, seront étendues aux
départements. Cette disposition est importante, car la possibilité d'anticiper
le résultat peut permettre aux assemblées de ne pas augmenter les impôts autant
qu'elles l'auraient dû.
Enfin - et l'on se prend à rêver qu'il en soit un jour ainsi pour l'Etat -,
les dotations aux amortissements et aux provisions sont inscrites dans la liste
des dépenses obligatoires des départements. Cependant, pour des raisons
pratiques, cette obligation ne concernerait que les biens acquis après l'entrée
en vigueur des dispositions de la proposition de loi.
Au-delà de ces quatre points majeurs, la proposition de loi procède à un «
toilettage » de certaines dispositions du code général des collectivités
territoriales, dont la rédaction n'a parfois pas changé depuis 1871. Elle vise
également à étendre aux SDIS, lorsqu'il y a lieu, les dispositions applicables
aux départements.
Il reste un point que je souhaiterais évoquer et qui n'a pas pu être réglé
dans la proposition de loi, car il relève du pouvoir réglementaire : il s'agit
du traitement comptable des subventions d'investissement.
En effet, en comptabilité M51, les subventions d'investissement et les fonds
de concours versés par les départements sont inscrits en section
d'investissement de leur budget, de la même façon que les subventions
d'investissement versées par l'Etat, qui sont inscrites au titre VI du budget
de l'Etat, sont considérées comme des dépenses en capital.
Le principe de l'inscription en section d'investissement des subventions
d'investissement est remis en cause par la logique patrimoniale du plan
comptable général de 1982, actualisé en 1999, selon laquelle seules doivent
figurer en section d'investissement les dépenses qui contribuent à enrichir le
patrimoine de la collectivité locale. Or les subventions d'équipement sont
considérées comme enrichissant le patrimoine de celui qui les reçoit, mais pas
de celui qui les verse.
En application de cette règle, d'ailleurs, les communes, dans le respect de
l'instruction comptable M14, inscrivent leurs subventions d'investissement en
section de fonctionnement. Il est très clair également qu'elles reçoivent plus
de subventions qu'elles n'en distribuent aux autres échelons.
La transposition de cette règle aux départements dans le cadre de la future
instruction comptable M52 reviendrait à afficher une forte réduction de leur
effort d'investissement, dont le mode d'action privilégié est le versement de
subventions et de fonds de concours, aux communes notamment.
Les départements expérimentateurs de l'instruction provisoire M52 parviennent
à tourner cette difficulté en recourant à la technique complexe dite du «
compte annexe », qui consiste à comptabiliser les subventions d'investissement
du budget principal, tout en les « retraitant » en fonctionnement au sein d'un
budget annexe, permettant ainsi de respecter formellement les règles
comptables.
A l'usage, il apparaît que la technique du « compte annexe » implique de
procéder à des retraitements comptables particulièrement fastidieux et qu'il
serait sans doute plus simple de considérer que, comme les subventions
d'investissement versées par l'Etat, les subventions d'investissement versées
par les conseils généraux peuvent être inscrites en section
d'investissement.
Une telle décision, monsieur le secrétaire d'Etat, ne serait pas illégitime
car, même si le versement de ces subventions ne contribue pas à enrichir le
patrimoine du conseil général, il permet néanmoins d'enrichir le patrimoine du
territoire départemental.
Monsieur le secrétaire d'Etat, la commission a été très attentive à ce point
et, en son nom, je me permets de vous interroger : une évolution du droit
budgétaire applicable aux départements est-elle envisageable en la matière ?
Je vous remercie d'avance de votre réponse.
En terminant, mes chers collègues, je vous demanderai d'adopter cette
proposition de loi telle que vous la soumet la commission des finances.
M. le président.
La parole est à M. le secrétaire d'Etat.
M. Henri Plagnol,
secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat.
Monsieur le président,
mesdames, messieurs les sénateurs, permettez-moi tout d'abord de vous prier
d'excuser mon collègue Patrick Devedjian, qui n'a malheureusement pas pu nous
rejoindre en ce début de soirée. Il a en effet été retenu par les assises des
libertés locales de Franche-Comté, qui ne sont pas encore achevées au moment où
je vous parle. Je me réjouis de cette coïncidence qui me permet, en tant que
secrétaire d'Etat à la réforme de l'Etat, de souligner, monsieur le rapporteur,
la qualité de ce texte consensuel, fruit d'un travail commun entre les
administrations et les associations d'élus locaux concernés, notamment
l'Assemblée des départements de France.
Ce texte s'inscrit pleinement dans la démarche de modernisation des comptes
publics des départements. Il est d'ailleurs à replacer dans un contexte plus
général, celui de la nouvelle loi organique relative aux lois de finances.
Votre commission des finances a pris sagement le parti de simplement
réorganiser cette proposition qui émanait de ce travail commun entre les
administrations et les élus départementaux, afin de réduire le nombre de ses
articles sans la remettre en cause dans son principe.
Cette réforme était, en effet, comme vous l'avez souligné, devenue tout à fait
indispensable. Il s'agit tout simplement de moderniser des règles budgétaires
et comptables applicables aux départements, dont certaines remontaient au xixe
siècle, afin de permettre à ces derniers de disposer d'une comptabilité dont
les principes soient en accord avec ceux du plan comptable général. Cette
nouvelle formule enrichira par ailleurs l'information financière indispensable
aux gestionnaires locaux, tout en prenant en compte les spécificités des
départements et des SDIS - service départemental d'incendie et de secours -,
qui appliquent ces dispositions par renvoi.
Cette nouvelle comptabilité, vous l'avez dit, doit également permettre
d'accroître la sincérité des comptes, notamment par l'application d'un certain
nombre de principes de prudence.
Ce texte est le fruit d'un long travail, qui a commencé en 1996, et qui a
notamment conduit à mettre en oeuvre une expérimentation des nouvelles
nomenclatures budgétaires et comptables applicables aux départements à compter
du 1er janvier 2001, nomenclatures mieux connues sous l'appellation de M 52.
L'expérimentation a été réalisée à partir d'instructions provisoires, qu'il
convient maintenant de traduire en droit positif, pour permettre la
généralisation de cette réforme budgétaire et comptable, qui interviendra le
1er janvier 2004.
Je voudrais dire combien l'expérimentation en cours a été utile et continuera
à l'être puisqu'elle se poursuivra tout au long de l'année 2003. Ce sont 16
départements, puis 22 à compter du 1er janvier 2003 et, par ailleurs, 22 SDIS
qui expérimentent déjà ces nouvelles nomenclatures budgétaires et
comptables.
L'expérimentation a en effet permis de mieux appréhender la réforme et,
surtout, de l'adapter en fonction des difficultés rencontrées. Le texte que
vous présentez, monsieur le rapporteur, intègre précisément un certain nombre
de mesures nouvelles qui tiennent compte des résultats de l'expérimentation. Je
crois que c'est là l'illustration de l'excellence de la méthode expérimentale
en matière de réforme des administrations publiques. Vous savez que le
Gouvernement a choisi cette approche pour l'immense chantier que constitue la
réforme du service public. De ce point de vue, la reconnaissance du droit à
l'expérimentation par la réforme constitutionnelle en cours ne pourra qu'aider
à généraliser ce type d'approche.
En ce qui concerne le fond du texte, je ne m'y arrêterai que très brièvement
compte tenu de la présentation excellente et très complète qu'en a faite M. le
rapporteur.
Il ne s'agit que d'aborder les aspects législatifs de la réforme, étant
entendu que la mise en place réglementaire sera lourde et qu'il conviendra
évidemment pour cela de continuer de travailler avec les élus
départementaux.
Je me bornerai à rappeler les principales évolutions engagées par le texte.
D'abord, les modalités de vote du budget ont été modifiées pour permettre un
vote par nature ou par fonction. Je crois que cela va dans le sens de la clarté
du débat public.
Ensuite, le texte introduit le mécanisme des autorisations d'engagement et
crédits de paiements en section de fonctionnement. Il s'agit là d'une réponse à
une demande des départements qui est apparue utile grâce à l'expérimentation et
qui sera donc mise en oeuvre à compter du 1er janvier 2004.
Il s'agit d'éviter que les départements ne soient contraints d'inscrire au
budget l'ensemble de leurs engagements en dépenses de fonctionnement, alors
même que certains seront mis en oeuvre sur une durée pluriannuelle. Sont
concernées l'ensemble des conventions conclues avec des tiers par les
départements. Actuellement, ces derniers s'engagent, certes, vis-à-vis des
tiers sur des périodes pluriannuelles, mais ces engagements sont toujours
conditionnés par l'ouverture annuelle des crédits correspondants.
Cette ouverture, destinée à faciliter la pluriannualisation des engagements
est en parfaite cohérence, me semble-t-il, avec la nouvelle loi organique
relative aux lois de finances, qui doit être mise en oeuvre au plus tard en
2006. Nous souhaitons le plus possible, au-delà des départements, encourager
cette contractualisation d'objectifs sur une période pluriannuelle. Tout ce qui
contribue à atténuer la rigidité de l'annualité budgétaire va dans le bon
sens.
Le texte prévoit des règles de reprise et d'affectation des résultats.
Surtout, il fixe les conditions dans lesquelles cette reprise pourra être
effectuée de manière anticipée, c'est-à-dire avant le vote du compte
administratif et donc à partir d'une estimation du résultat envisagé dès le
budget primitif.
Il n'échappera à personne que cette dernière mesure permettra aux départements
d'ajuster leur fiscalité à leurs besoins réels.
Le texte introduit par ailleurs les principes comptables de l'amortissement et
du provisionnement pour les départements. Les modalités de mise en oeuvre
seront fixées ultérieurement par décret.
Enfin, comme vous l'avez vous-même indiqué, le texte sera bien sûr applicable
également aux SDIS, du moins pour les règles qui peuvent leur être transposées.
Le texte exclut naturellement pour ces derniers les dépenses obligatoires, qui
manifestement ne les concernent pas, ou les modalités de présentation du budget
selon le mode fonctionnel.
Cette proposition de loi sera suivie par la prise de mesures réglementaires,
décrets d'application et arrêtés portant instructions budgétaires et
comptables, auxquels les services de Patrick Devedjian, ainsi que ceux du
ministre du budget travailleront pour permettre une entrée en vigueur de ce
nouveau dispositif en 2004.
Ces mesures seront naturellement soumises aux associations d'élus et au comité
des finances locales. A cet égard, je peux vous assurer que ces textes
n'introduiront pas de dispositifs complexes et que, par ailleurs, il sera fait
la plus large place aux remarques des élus locaux.
Monsieur le rapporteur, vous avez évoqué votre souci concernant la complexité
de la nomenclature budgétaire et comptable M 14 pour les petites communes et
votre souhait d'une présentation budgétaire simplifiée et standardisée.
Patrick Devedjian est tout à fait d'accord sur le principe de la création d'un
groupe de travail qui permettra d'avancer sur cette question délicate sans
abandonner - je pense que vous en conviendrez - ce qu'il y a de positif dans la
M 14, qui a amené plus de rigueur dans la présentation des comptes publics.
Aller vers une standardisation pour les petites communes me paraît un objectif
auquel chacun ne peut qu'adhérer.
Enfin, je voudrais répondre à votre interrogation très précise, monsieur le
rapporteur, sur le traitement des subventions d'équipement.
Je souscris pleinement à votre remarque sur la complexité du dispositif mis en
oeuvre lors de l'expérimentation pour répondre aux impératifs de la norme
comptable. Ces impératifs interdisent qu'une subvention d'équipement soit
comptabilisée en section d'investissement car elle n'implique aucun
enrichissement du patrimoine départemental.
Je pense, comme vous, que cette analyse est en partie inexacte.
Je rappelle que les départements consacrent près de 30 % de leur section
d'investissement aux subventions d'équipement, notamment en faveur des
communes. Ils interviennent ainsi de façon déterminante à l'amélioration du
cadre de vie ou des conditions de développement économique de l'ensemble du
territoire départemental.
C'est pourquoi, après avoir consulté le Conseil national de la comptabilité et
en parfait accord avec Alain Lambert, ministre du budget, Patrick Devedjian m'a
demandé de vous annoncer qu'il sera dorénavant possible de considérer, comme
vous le souhaitez, que les subventions d'équipement versées par les
départements soient comptabilisées en section d'investissement, selon des
modalités qui restent naturellement à définir et à la définition desquelles
vous serez bien entendu associés.
Compte tenu de l'ensemble de ces remarques, le Gouvernement émet un avis très
favorable sur le texte qui est présenté.
En conclusion, je voudrais redire à quel point, en ma qualité de secrétaire
d'Etat à la réforme de l'Etat, je me réjouis de cet acte de modernisation. Les
réformes les plus pertinentes sont souvent celles qui résultent d'un travail
discret, consensuel, souvent ingrat et bien éloigné des effets d'annonce
médiatiques. Ce texte fait partie de ceux qui aideront les collectivités
départementales à mieux travailler dans le sens de ce que souhaitent nos
concitoyens.
(Applaudissements sur les travées de l'UMP et de l'Union centriste.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discusion générale est close.
Nous passons à la discussion des articles.
Article 1er
M. le président.
« Art. 1er. - I. - L'article L. 3311-1 du code général des collectivités
territoriales est ainsi rédigé :
«
Art. L. 3311-1. -
Le budget du département est établi en section de
fonctionnement et section d'investissement, tant en recettes qu'en dépenses.
Certaines interventions, activités ou services sont individualisés au sein de
budgets annexes.
« Le budget du département est divisé en chapitres et articles.
« Un décret fixe les conditions d'application du présent article. »
« II. - Les quatre derniers alinéas de l'article L. 3312-1 du même code sont
remplacés par un alinéa ainsi rédigé :
« Le budget primitif, le budget supplémentaire et les décisions modificatives
sont votés par le conseil général. »
« III. - L'article L. 3312-2 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. L. 3312-2. -
Le budget du département est voté soit par nature,
soit par fonction. Si le budget est voté par nature, il comporte, en outre, une
présentation croisée par fonction ; s'il est voté par fonction, il comporte une
présentation croisée par nature. La nomenclature par nature et la nomenclature
par fonction sont fixées par arrêté conjoint du ministre chargé des
collectivités locales et du ministre chargé du budget.
« Les documents budgétaires sont présentés, selon les modalités de vote
retenues par le conseil général, conformément aux modèles fixés par arrêté
conjoint du ministre chargé des collectivités locales et du ministre chargé du
budget.
« Sont jointes au budget primitif et au compte administratif :
« - les annexes prévues à l'article L. 2313-1 ;
« - des annexes portant sur la composition du patrimoine, sur les opérations
d'ordre budgétaire et sur les différents engagements du département, ainsi que
sur tous les éléments fournissant une information financière utile.
« Lorsqu'une décision modificative ou le budget supplémentaire modifie le
contenu de l'une des annexes, celle-ci doit être à nouveau produite pour le
vote de la décision modificative ou du budget supplémentaire.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent
article. »
« IV. - L'article L. 3312-3 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. L. 3312-3. -
Les crédits sont votés par chapitre et, si le
conseil général en décide ainsi, par article.
« Dans ces deux cas, le conseil général peut cependant spécifier que certains
crédits sont spécialisés par article.
« En cas de vote par article, le président du conseil général peut effectuer,
par décision expresse, des virements d'article à article à l'intérieur du même
chapitre à l'exclusion des articles dont les crédits sont spécialisés. »
Je mets aux voix l'article 1er.
(L'article 1er est adopté.)
Article 2
M. le président.
« Art. 2. - I. - Le chapitre II du titre Ier du livre III de la troisième
partie du code général des collectivités territoriales est complété par un
article L. 3312-4 ainsi rédigé :
« Art. L. 3312-4. - I.
- Les dotations budgétaires affectées aux
dépenses d'investissement peuvent comprendre des autorisations de programme et
des crédits de paiement.
« Les autorisations de programme constituent la limite supérieure des dépenses
qui peuvent être engagées pour l'exécution des investissements. Elles demeurent
valables, sans limitation de durée, jusqu'à ce qu'il soit procédé à leur
annulation. Elles peuvent être révisées.
« Les crédits de paiement constituent la limite supérieure des dépenses
pouvant être mandatées pendant l'année pour la couverture des engagements
contractés dans le cadre des autorisations de programme correspondantes.
« L'équilibre budgétaire de la section d'investissement s'apprécie en tenant
compte des seuls crédits de paiement.
«
II.
- Si le conseil général le décide, les dotations affectées aux
dépenses de fonctionnement comprennent des autorisations d'engagement et des
crédits de paiement.
« La faculté prévue au premier alinéa du présent II est réservée aux seules
dépenses résultant de conventions, de délibérations ou de décisions au titre
desquelles le département s'engage, au-delà d'un exercice budgétaire, dans le
cadre de l'exercice de ses compétences, à verser une subvention, une
participation ou une rémunération à un tiers, à l'exclusion des frais de
personnel.
« Les autorisations d'engagement constituent la limite supérieure des dépenses
qui peuvent être engagées pour le financement des dépenses visées à l'alinéa
précédent. Elles demeurent valables sans limitation de durée jusqu'à ce qu'il
soit procédé à leur annulation. Elles peuvent être révisées.
« Les crédits de paiement constituent la limite supérieure des dépenses
pouvant être mandatées pendant l'année pour la couverture des engagements
contractés dans le cadre des autorisations d'engagement correspondants.
« L'équilibre budgétaire de la section de fonctionnement s'apprécie en tenant
compte des seuls crédits de paiement.
«
III.
- Un état récapitulatif des autorisations d'engagement et de
programme est joint aux documents budgétaires. »
«
II.
- L'article L. 4311-3 du même code est ainsi modifié :
« 1° L'article est complété par un II ainsi rédigé :
« II. - Le conseil régional peut décider de faire application des dispositions
du II de l'article L. 3312-4. » ;
« 2° En conséquence, le début de l'article est précédé de la mention : "I. -"
». -
(Adopté).
Article 3
M. le président.
« Art. 3. - Le chapitre II du titre Ier du livre III de la troisième partie du
code général des collectivités territoriales est complété par un article L.
3312-5 ainsi rédigé :
«
Art. L. 3312-5.
- Le président du conseil général présente
annuellement le compte administratif au conseil général qui en débat sous la
présidence de l'un de ses membres.
« Dans ce cas, le président du conseil général peut, même s'il n'est plus en
fonction, assister à la discussion. Il doit se retirer au moment du vote.
« Le compte administratif est adopté par le conseil général.
« Préalablement, le conseil général arrête le compte de gestion de l'exercice
clos. » -
(Adopté.)
Article 4
M. le président.
« Art. 4. - I. - Le chapitre II du titre Ier du livre III de la troisième
partie du code général des collectivités territoriales est complété par un
article L. 3312-6 ainsi rédigé :
«
Art. L. 3312-6.
- Le résultat excédentaire de la section de
fonctionnement dégagé au titre de l'exercice clos, cumulé avec le résultat
antérieur reporté, est affecté en totalité dès la plus proche décision
budgétaire suivant le vote du compte administratif et, en tout état de cause,
avant la clôture de l'exercice suivant. La délibération d'affectation prise par
le conseil général est produite à l'appui de la décision budgétaire de reprise
de ce résultat.
« Le résultat déficitaire de la section de fonctionnement, le besoin de
financement ou l'excédent de la section d'investissement sont repris en
totalité dès la plus proche décision budgétaire suivant le vote du compte
administratif et, en tout état de cause, avant la fin de l'exercice.
« Entre la date limite de mandatement fixée au dernier alinéa de l'article L.
1612-11 et la date limite de vote des taux des impositions locales prévue à
l'article 1639 A du code général des impôts, le conseil général peut, au titre
de l'exercice clos et avant l'adoption de son compte administratif, reporter de
manière anticipée au budget le résultat de la section de fonctionnement, le
besoin de financement de la section d'investissement, ou, le cas échéant,
l'excédent de la section d'investissement, ainsi que la prévision
d'affectation.
« Si le compte administratif fait apparaître une différence avec les montants
reportés par anticipation, le conseil général procède à leur régularisation et
à la reprise du résultat dans la plus proche décision budgétaire suivant le
vote du compte administratif et, en tout état de cause, avant la fin de
l'exercice.
« Un décret en Conseil d'Etat fixe les conditions d'application du présent
article. »
« II. - L'article L. 3331-1 du même code est abrogé. » -
(Adopté.)
Article 5
M. le président.
« Art. 5 - L'article L. 3321-1 du code général des collectivités territoriales
est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« 19° Les dotations aux amortissements ;
« 20° Les dotations aux provisions ;
« 21° La reprise des subventions d'équipements reçues.
« Un décret détermine les modalités d'application des dispositions des 19°,
20° et 21°. » -
(Adopté.)
Article 6
M. le président.
« Art. 6. - A l'article L. 3321-2 du code général des collectivités
territoriales, avant les mots : "à l'allocation personnalisée d'autonomie",
sont insérés les mots : "au revenu minimum d'insertion et". » -
(Adopté.)
Article 7
M. le président.
« Art. 7. - I. - Le
b
de l'article L. 3332-1 du code général des
collectivités territoriales est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« 5° Le droit de consommation sur les tabacs prévu à l'article 268
bis
du code des douanes pour les départements visés aux articles L. 3431-2 et L.
3441-2 ;
« 6° L'octroi de mer perçu par le département de la Guyane en application de
la loi n° 92-676 du 17 juillet 1992 relative à l'octroi de mer et portant mise
en oeuvre de la décision du conseil des ministres des Communautés européennes
n° 89-688 du 22 décembre 1989 ;
« 7° La taxe sur les carburants prévue à l'article 266
quater
du code
des douanes et répartie dans les conditions prévues à l'article L. 4434-3. »
« II. - L'article L. 3332-2 du même code est ainsi modifié :
« A. - Le premier alinéa est complété par le mot : "notamment".
« B. - Au 6°, les mots : "pour les dépenses annuelles et permanentes d'utilité
départementale" sont remplacés par les mots : "aux dépenses de
fonctionnement".
« C. - L'article est complété par quatre alinéas ainsi rédigés :
« 8° Du produit de la neutralisation des dotations aux amortissements ;
« 9° De la reprise des subventions d'équipement reçues ;
« 10° Du produit du fonds de financement de l'allocation personnalisée
d'autonomie mentionnée à l'article L. 232-21 du code de l'action sociale et des
familles ;
« 11° Des dons et legs en espèces, hormis ceux visés au 7° de l'article L.
3332-3. »
« III. - L'article L. 3332-3 du même code est ainsi rédigé :
«
Art. L. 3332-3.
- Les recettes de la section d'investissement se
composent notamment :
« 1° Du produit des emprunts ;
« 2° Du versement pour dépassement du plafond légal de densité ;
« 3° De la dotation globale d'équipement ;
« 4° De la dotation départementale d'équipement des collèges ;
« 5° Des versements au titre du Fonds de compensation de la taxe sur la valeur
ajoutée ;
« 6° Des subventions de l'Etat et des contributions des communes et des tiers
aux dépenses d'investissement ;
« 7° Des dons et legs en nature et des dons et legs en espèces affectés à
l'achat d'une immobilisation financière ou physique ;
« 8° Du produit des cessions d'immobilisations, selon des modalités fixées par
décret ;
« 9° Du remboursement des capitaux exigibles et des rentes rachetées ;
« 10° Des surtaxes locales temporaires conformément aux dispositions de la loi
du 15 septembre 1942 relative à la perception de surtaxes locales temporaires
sur les chemins de fer d'intérêt général, les voies ferrées d'intérêt local,
les voies ferrées des quais des ports maritimes ou fluviaux et les services de
transports routiers en liaison avec les chemins de fer, des surtaxes locales
temporaires destinées à assurer le service des emprunts contractés ou le
remboursement des allocations versées ;
« 11° Des amortissements ;
« 12° Du virement prévisionnel de la section de fonctionnement et du produit
de l'affectation du résultat de fonctionnement conformément à l'article L.
3312-6. » -
(Adopté.)
Article 8
M. le président.
« Art. 8. - I. - L'article L. 3342-1 du code général des collectivités
territoriales est ainsi rédigé :
«
Art. L. 3342-1
. - Le comptable du département est seul chargé
d'exécuter, sous sa responsabilité et sous réserve des contrôles qui lui
incombent, le recouvrement des recettes ainsi que le paiement des dépenses de
la collectivité dans la limite des crédits régulièrement ouverts par le conseil
général. »
« II. - L'article L. 3342-2 du même code est abrogé. » -
(Adopté.)
Article 9
M. le président.
« Art. 9. - L'article L. 3241-1 du code général des collectivités
territoriales est ainsi rédigé :
«
Art. L. 3241-1
. - Les dispositions relatives au contrôle de légalité
et au contrôle budgétaire des actes des établissements publics départementaux
et des services départementaux d'incendie et de secours sont celles fixées par
le chapitre II du titre III du livre Ier de la troisième partie et par le
chapitre II du livre VI de la première partie.
« Les dispositions relatives aux finances des services départementaux
d'incendie et de secours sont celles fixées :
« 1° Par les titres Ier et II du livre III de la troisième partie à
l'exception des premier et troisième alinéas de l'article L. 3312-2, du 2°, du
3° et du 7° au 16° de l'article L. 3321-1 et de l'article L. 3321-2 ;
« 2° Par les chapitres II et V du titre III du livre III de la troisième
partie à l'exception de l'article L. 3332-1, du 2° au 6° et du 10° de l'article
L. 3332-2 et des 2°, 4° et 10° de l'article L. 3332-3 ;
« 3° Par le titre IV du livre III de la troisième partie. » -
(Adopté.)
Article 10
M. le président.
« Art. 10. - I. - Sous réserve des dispositions du II ci-dessous, les
dispositions de la présente loi sont applicables à compter du 1er janvier
2004.
« II. - Les dispositions des 19° et 21° de l'article L. 3321-1 et du 11° de
l'article L. 3332-3 du code général des collectivités territoriales sont
applicables à compter de l'exercice 2005 pour les immobilisations acquises à
compter du 1er janvier 2004 et pour les subventions reçues en financement de
ces immobilisations.
« III. - A l'article L. 5722-1 du même code, la référence : "L. 3312-2" est
remplacée par la référence : "L. 3312-4". » -
(Adopté.)
Article 11
M. le président.
« Art. 11. - Des décrets en Conseil d'Etat précisent en tant que de besoin les
modalités d'application de la présente loi. » -
(Adopté.)
Je constate que ces onze articles ont été adoptés à l'unanimité des suffrages
exprimés.
Vote sur l'ensemble
M. le président.
Avant de mettre aux voix les conclusions du rapport de la commission des
finances sur la proposition de loi n° 64 (2002-2003), je donne la parole à Mme
Danielle Bidard-Reydet, pour explication de vote.
Mme Danielle Bidard-Reydet.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues, la
proposition de loi que nous a soumis notre collègue Philippe Adnot sur la
transposition de la norme comptable M52 relative aux départements a fait
l'objet d'une large concertation au sein de l'Assemblée des départements de
France.
Il s'agit en fait, quand on y regarde de près, de transposer dans le code
général des collectivités territoriales des normes comptables que nous
connaissons déjà dans le cadre de la comptabilité communale, au titre de
l'instruction M14.
L'outil comptable concerné, on le sait, n'est pas sans soulever, dans la
pratique, un certain nombre de problèmes et de difficultés d'application, qui
posent malgré tout de manière récurrente la question de la gestion des affaires
publiques et du sens qu'on entend lui donner.
S'agissant de l'instruction M52, si elle permet une lecture relativement
claire des mouvements financiers propres aux départements, elle présente les
mêmes limites que celles que nous évoquions s'agissant de l'instruction M14.
Cela ne retire rien à la nécessité de parvenir à une normalisation comptable
qui soit lisible par tous et plus aisément compréhensible par le citoyen ou par
l'élu local.
Cette normalisation comptable, qui se doit d'être un outil technique adapté
aux nouvelles formes de gestion administrative, n'enlève rien au débat plus
fondamental sur la réforme des finances locales, notamment sur celle de la
fiscalité locale, ou encore sur les conséquences de l'extension de la
décentralisation telle qu'elle découle de l'adoption du projet de loi
constitutionnelle relatif à l'organisation décentralisée de la République.
Nous adopterons les conclusions de la commission des finances sur la
proposition de loi de notre collègue, tout en sachant que le débat sur les
finances du département est largement ouvert aujourd'hui.
Les enjeux de la décentralisation, ceux du financement de l'action sociale des
départements, l'évolution de la fiscalité - une part importante des anciennes
recettes fiscales des départements étant devenues des dotations - restent
clairement posés et nous aurons, je pense, l'occasion d'en reparler.
M. le président.
La parole est à M. Michel Sergent.
M. Michel Sergent.
Monsieur le président, monsieur le secrétaire d'Etat, mes chers collègues,
cette proposition de loi vise à moderniser les règles budgétaires et comptables
applicables aux départements, et je tiens à féliciter notre collègue Philippe
Adnot pour le travail qui a été accompli.
L'instruction M14 a permis de faire progresser les pratiques budgétaires et
comptables des communes vers plus de transparence et de sincérité. La qualité
de leur gestion a ainsi été améliorée et dynamisée. En outre, la démocratie
communale s'est trouvée renforcée.
Le texte que nous examinons tend à transposer une partie des principes de base
de la M14 communale à la M52 départementale. Nous pouvons légitimement supposer
que les départements retireront de cette évolution le même bénéficie que les
communes.
Les difficultés rencontrées par les communes, essentiellement les plus petites
d'entre elles, pour mettre en oeuvre la réforme ne devraient pas se reproduire
avec les départements, dont les services sont beaucoup plus étoffés.
Les mesures proposées dans le texte soumis au Sénat sont évidemment
techniques. Il est toutefois utile de s'y arrêter pour faire ressortir les
avancées concrètes qu'elles apporteront aux départements.
Comme le budget communal, le budget départemental pourra être voté soit par
nature de dépenses et de recettes, soit par fonction, et une présentation
croisée par nature et par fonction l'accompagnera obligatoirement. Ces
informations supplémentaires devraient rendre plus clairs et plus lisibles les
choix budgétaires du département. Le conseil général sera ainsi en mesure de
savoir plus précisément ce qu'il autorise par son vote et de contrôler plus
facilement l'exécution du budget. La démocratie locale y gagnera
certainement.
Il est vrai que les comparaisons entre deux départements seront plus
difficiles dans le cas où ils n'auraient pas opté pour les mêmes types de vote
et de présentation de leurs budgets respectifs. Toutefois, ces comparaisons
n'ont pas toujours, il faut le reconnaître, grand intérêt tant il est vrai que
nos conseils généraux ont souvent conduit, au-delà de leurs compétences
naturelles, des politiques volontaristes dans les domaines les plus divers.
Le mécanisme des autorisations de programme applicable aux dépenses
d'investissement sera étendu aux dépenses de fonctionnement, sous la
terminologie plus appropriée d'« autorisations d'engagement », chère à notre
collègue Yves Fréville. Cette évolution permettra de mieux prendre en compte
les spécificités du département. Ainsi, la programmation budgétaire sera plus
aisée et la qualité de la gestion améliorée d'autant ; la sincérité budgétaire
progressera également.
On peut cependant se demander si la technique des autorisations d'engagement
ne risque pas de conduire à une rigidité excessive de la dépense. Nous devrons
donc suivre avec attention la mise en place de cette innovation pour,
éventuellement, en corriger les effets pervers.
Les opérations de reprise et d'affectation du résultat de l'exercice précédent
seront revues de manière à assurer une plus grande souplesse à l'enchaînement
des exercices, notamment grâce à la possibilité de reprise anticipée du
résultat.
Enfin, l'extension aux départements de la pratique comptable des
amortissements et des provisions constitue une avancée certaine. Elle permettra
d'établir une image plus fidèle de leur patrimoine et des risques auxquels ils
sont soumis. Le principe de précaution sera, en outre, plus présent dans les
budgets départementaux.
L'objet de cette proposition de loi est malheureusement trop technique pour
susciter un large intérêt. Pourtant, tout comme la réforme budgétaire de l'Etat
prévue par la loi organique relative aux lois de finances, elle contient
indéniablement des dispositions favorables à l'amélioration de la gestion
publique et au renforcement de la démocratie, objectifs auxquels tout citoyen
est assurément attaché.
Un président de conseil général, ceux qui le soutiennent comme ses opposants
ont besoin de connaître le plus précisément possible l'état des finances de
leur département. Les uns et les autres doivent pouvoir suivre aisément
l'exécution des autorisations de recettes et de dépenses. Cette proposition de
loi nous fait faire un pas dans la bonne direction.
Néanmoins, elle ne fait que poser les bases de la réforme ; il ne faudrait
donc pas, monsieur le secrétaire d'Etat, que le pouvoir réglementaire soit
défaillant. Mais vous venez de nous dire que vos services travaillaient d'ores
et déjà à la préparation des textes d'application.
Une nouvelle nomenclature budgétaire devra être définie car, sans elle, rien
ne serait possible !
S'agissant de la nomenclature, les communes ont rencontré quelques problèmes.
Bien sûr, nous pouvons souhaiter une simplification, une standardisation, mais
les communes n'ont presque jamais connu la même nomenclature plus de deux
années de suite, ce qui soulève bien des difficultés.
L'indépendance des exercices étant bien sûr souhaitable, le principe du
rattachement des charges à l'exercice devra aussi trouver sa traduction dans
des décrets.
Les services de l'Etat, principalement les comptables publics, devront être
prêts pour appliquer la réforme et les fonctionnaires départementaux
préalablement formés à son entrée en vigueur, le 1er janvier 2004. Il serait
opportun, monsieur le secrétaire d'Etat, que la direction générale de la
comptabilité publique se saisisse de cette occasion pour renforcer son rôle de
conseil et pour mettre à profit le grand professionnalisme de ses agents en
valorisant mieux les comptes départementaux, notamment par l'élaboration
d'analyses financières.
Les dispositions du texte examiné par le Sénat ont été, pour une large part,
expérimentées dans plusieurs départements. Elles semblent avoir donné
satisfaction.
Une concertation a eu lieu à travers les différentes associations d'élus. Le
Comité des finances locales a émis un avis favorable.
Le groupe socialiste votera, par conséquent, cette proposition de loi.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. Jean Arthuis,
président de la commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes
économiques de la nation.
A mon tour, je voudrais saluer l'engagement de
Philippe Adnot et le travail opiniâtre de clarification qu'il a mené. Le texte
qu'il nous a présenté au nom de la commission des finances, manifestement
inspiré par une volonté de transparence et de sincérité, est indiscutablement
achevé.
Je note également que, à toutes les étapes de ses travaux, il a su y associer
l'ensemble des partenaires, et je me réjouis que chacun des onze articles du
texte ait été adopté sur toutes les travées de cette assemblée. Cette
approbation unanime, qui souligne le caractère « supra-partisan » du texte,
mérite aussi d'être saluée.
La décision que nous allons prendre est en quelque sorte l'acte fondateur de
ce qu'on pourrait appeler une « constitution financière des départements de
France. » Il n'y a pas si longtemps, monsieur le secrétaire d'Etat l'a rappelé,
nous avons adopté, également dans un esprit d'ouverture politique très large,
la « constitution financière de la République » en votant la loi organique sur
les lois de finances, qui a été promulguée le 1er août 2001.
Je remercie M. le secrétaire d'Etat de ses appréciations et de ses
encouragements, ainsi que des précisions qu'il vient d'apporter, notamment sur
le traitement comptable des subventions en investissement versées par les
départements.
Je crois que ce texte marque un progrès considérable. La démocratie se
renforcera effectivement dès lors que nous pourrons rendre compte aux citoyens,
à quelque niveau que s'accomplisse la gestion, de la concrétisation budgétaire
de nos engagements et de leur réalisation, traduite dans les lois de règlement
en ce qui concerne l'Etat et dans les comptes administratifs en ce qui concerne
les collectivités territoriales.
Je voudrais maintenant formuler quelques observations.
D'abord, s'agissant de la sincérité des comptes, il me semble que nous sommes
dans la logique de la loi organique. Les dispositions prévues à l'article 27 de
cette loi, qui concernent la sincérité des comptes de gestion et des situations
patrimoniales, doivent inspirer également notre démarche. Nous pourrons, je le
crois, judicieusement transposer cette exigence à tous les autres niveaux de la
gestion territoriale : communes, groupements de communes et régions.
Pour ce qui est du vote des budgets, laissons vivre cette expérimentation.
Néanmoins, il serait bon, pour la lisibilité des budgets, dans le futur,
d'opérer un choix. Il doit être possible de soumettre à nos concitoyens, qu'il
s'agisse du budget de l'Etat ou du budget du département, un document qui, sur
une seule page, synthétiserait l'engagement financier. Il me semble que, dès
lors, nous devrons faire le choix d'une présentation par nature. La
présentation par fonction est une option de gestion ; c'est une donnée
analytique. Il faut donc pouvoir présenter tous les comptes par nature, et ne
les décliner par fonction que pour bien faire ressortir les choix gestionnaires
des collectivités territoriales. Nous serons ainsi en mesure de procéder à des
comparaisons d'un département à l'autre et nous y gagnerons en lisibilité.
M. le rapporteur a souligné à quel point il était important de faire
apparaître les engagements hors bilan, mais nous devrions avoir aussi à
l'esprit la présentation des situations patrimoniales des collectivités
territoriales, notamment des départements. Puisque nous allons exiger cette
communication de l'Etat, nous devons nous l'imposer à l'échelon départemental
comme à l'échelon communal. C'est si vrai que l'on introduit le principe
d'amortissement et de provision pour dépréciation. Si l'on veut communiquer les
situations patrimoniales, il conviendra de faire apparaître, outre les
engagements hors bilan, le patrimoine du département, ses actifs, ce qu'ils ont
coûté, les dépréciations, les amortissements, et le passif. Ainsi, tout citoyen
pourra se faire une opinion sur la qualité de la gestion.
Je pense d'ailleurs, monsieur le secrétaire d'Etat, que nous allons devoir
suivre l'exemple que nous donne M. le ministre délégué au budget et à la
réforme budgétaire, qui, pour mettre en oeuvre la loi organique, a prévu la
constitution de plusieurs comités, dont l'un se consacrera à la normalisation
comptable. Nous devons convenir de principes de présentation et d'évaluation
qui soient les mêmes pour l'ensemble des collectivités territoriales.
Enfin, il est clair que le rôle des comptables publics va changer. J'imagine
que, en conséquence du vote de la loi organique, sur les lois de finances, le
contrôle
a priori
va faire place au contrôle
a posteriori
puisque
nous avons des instruments de suivi budgétaire précis. Ce qui importe,
désormais, c'est de porter une appréciation sur l'efficacité de la dépense
publique. Dans ces conditions, le rôle du comptable public ne peut plus être le
même : il doit dorénavant s'attacher à présenter des documents lisibles,
compréhensibles, pour permettre à tous ceux dont c'est la fonction de porter
une appréciation
a posteriori.
Ces observations étant faites, je ne doute pas du vote que le Sénat va
maintenant émettre sur l'ensemble du texte puisque, je le répète, nous avons
unanimement adopté chacun des articles de cette excellente proposition de
loi.
M. le président.
La parole est à M. le rapporteur.
M. Philippe Adnot,
rapporteur.
Je veux remercier à mon tour M. le secrétaire d'Etat d'avoir
pris des engagements concernant les procédures relatives aux investissements.
C'était attendu et je crois que ce sera également profitable aux régions.
Je tiens, en outre, à souligner la qualité des relations que le groupe de
travail a pu nouer avec les fonctionnaires des différents ministères qu'il a
été amené à contacter. Ils ont toujours su trouver les mots et les attitudes
propres à nous simplifier la tâche.
Je remercie également les services des départements qui nous ont apporté leur
éclairage sur les problèmes que nous avions à traiter, notamment ceux des
départements qui ont participé à l'expérimentation.
M. le président.
Personne ne demande plus la parole ?...
Je mets aux voix les conclusions du rapport de la commission des finances sur
la proposition de loi n° 64.
(La proposition de loi est adoptée.)
M. le président.
Voilà une semaine parlementaire qui se termine dans d'excellentes conditions,
en tout cas au Sénat ! Je me réjouis du sérieux qui a présidé à nos travaux et
du consensus que nous avons su trouver, notamment dans le vote qui vient de se
dérouler.
10
DÉCISION DU CONSEIL CONSTITUTIONNEL
M. le président.
M. le président du Sénat a reçu de M. le président du Conseil constitutionnel,
par lettre en date du 12 décembre 2002, le texte de la décision rendue par le
Conseil constitutionnel sur la loi de financement de la sécurité sociale pour
2003.
Acte est donné de cette communication.
Cette décision du Conseil constitutionnel sera publiée au
Journal
officiel,
édition des lois et décrets.
11
TRANSMISSION D'UN PROJET DE LOI
M. le président.
J'ai reçu, transmis par M. le Premier ministre, un projet de loi de finances
rectificative pour 2002, adopté par l'Assemblée nationale.
Le projet de loi sera imprimé sous le n° 95, distribué et renvoyé à la
commission des finances, du contrôle budgétaire et des comptes économiques de
la nation, sous réserve de la constitution éventuelle d'une commission spéciale
dans les conditions prévues par le règlement.
12
DÉPÔT D'UN RAPPORT
M. le président.
J'ai reçu de M. Philippe Marini, rapporteur pour le Sénat, un rapport fait au
nom de la commission mixte paritaire chargée de proposer un texte sur les
dispositions restant en discussion sur le projet de loi de finances pour
2003.
Le rapport sera imprimé sous le n° 96 et distribué.
13
ORDRE DU JOUR
M. le président.
Voici quel sera l'ordre du jour de la prochaine séance publique, précédemment
fixée au lundi 16 décembre 2002, à dix heures, à quinze heures et le soir :
Discussion du projet de loi de finances rectificative pour 2002, adopté par
l'Assemblée nationale (n° 95, 2002-2003).
Rapport de M. Philippe Marini, au nom de la commission des finances, du
contrôle budgétaire et des comptes économiques de la nation.
Délai limite pour le dépôt des amendements : vendredi 13 décembre 2002, à
seize heures.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble de la première partie.
Scrutin public ordinaire de droit sur l'ensemble du texte.
Délais limites pour des inscriptions de parole
et pour le dépôt d'amendements
Projet de loi, adopté par l'Assemblée nationale, après déclaration d'urgence,
portant relance de la négociation collective en matière de licenciements
économiques (n° 91, 2002-2003) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
lundi 16 décembre 2002, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : lundi 16 décembre 2002, à
dix-sept heures.
Proposition de loi, adoptée par l'Assemblée nationale, relative à la conduite
sous l'influence de substances ou plantes classées comme stupéfiants (n° 11,
2002-2003) :
Délai limite pour les inscriptions de parole dans la discussion générale :
mercredi 18 décembre 2002, à dix-sept heures.
Délai limite pour le dépôt des amendements : mercredi 18 décembre 2002, à
dix-sept heures.
Deuxième lecture, sous réserve de sa transmission, de la proposition de loi
relative à la responsabilité civile médicale (AN, n° 370).
Délai limite pour le dépôt des amendements : ouverture de la discussion
générale.
Personne ne demande la parole ?...
La séance est levée.
(La séance est levée à dix-neuf heures dix.)
Le Directeur
du service du compte rendu intégral,
MONIQUE MUYARD
NOMINATION DE RAPPORTEURS
COMMISSION DES AFFAIRES SOCIALES
M. Alain Gournac a été nommé rapporteur du projet de loi n° 91 (2002-2003), adopté par l'Assemblée nationale après déclaration d'urgence, portant relance de la négociation collective en matière de licenciements économiques.
NOMINATION D'UN RAPPORTEUR
COMMISSION DES AFFAIRES ÉCONOMIQUES
M. Gérard Le Cam a été nommé rapporteur de la proposition de loi n° 292
(2001-2002) de M. Gérard Le Cam et plusieurs de ses collègues tendant à
préserver les services de proximité en zone rurale.