SEANCE DU 30 JUILLET 2002
ORIENTATION ET PROGRAMMATION
POUR LA SÉCURITÉ INTÉRIEURE
Suite de la discussion d'un projet de loi
déclaré d'urgence
M. le président.
Nous reprenons la discussion du projet de loi, adopté par l'Assemblée
nationale après déclaration d'urgence, d'orientation et de programmation pour
la sécurité intérieure.
Dans la suite de la discussion générale, la parole est à M. Gérard Delfau.
(Applaudissements sur certaines travées socialistes.)
M. Gérard Delfau.
En cette fin de session extraordinaire, trop chargée et trop tardive eu égard
à l'importance des thèmes débattus, vous nous présentez, monsieur le ministre,
le projet de loi d'orientation et de programmation pour la sécurité intérieure.
Il s'agit du principal sujet de préoccupation des Français.
En effet, depuis une trentaine d'années, notre pays connaît une augmentation
continue de la délinquance, tandis que, heureusement, les crimes de sang
restent au même niveau. Incivilités, violences de toutes sortes, y compris
sexuelles, trafics de stupéfiants, petits vols et cambriolages gâchent le
quotidien de nos concitoyens, quand ils ne mettent pas en danger leur intégrité
physique ou psychologique.
Le constat est commun à toute l'Europe, comme aux Etats-Unis. Il est ancien,
si bien que les gouvernements successifs ont multiplié les mesures, sans
enrayer la progression du mal, il faut le reconnaître. De ce point de vue, le
vote massif pour l'extrême droite au premier tour de l'élection présidentielle
a sonné comme un avertissement. C'est dans ce contexte que chaque parlementaire
doit se prononcer.
Il s'agit d'une loi d'orientation et de programmation ; c'est l'intérêt de ce
texte, et ses limites. Il montre une perspective, mais nous n'avons aucune
assurance que les moyens financiers et humains seront effectivement financés,
comme prévu, entre 2002 et 2007. Il y a, avec la loi Toubon de 1995, un fâcheux
précédent. Le Premier ministre et vous-même jouez votre crédibilité dans
l'adéquation des lois de finances successives avec les engagements aujourd'hui.
La nation tout entière sera attentive, soyez en sûrs !
Je voudrais faire une deuxième remarque préalable : il est peut-être habile
que les rapports annexés au projet de loi reprennent une partie des
orientations des conseils de sécurité intérieure présidés par M. Jospin, quand
il était Premier ministre, et les présentent comme des nouveautés. Mais c'est
aussi la reconnaissance implicite de la nécessaire continuité de l'Etat en la
matière. Cela vous conduit même à un tour de passe-passe, quand vous attribuez
à M. Pasqua la création effective de la police de proximité qui fut la
mesure-phare du précédent gouvernement. Pourquoi en faire trop ? Tenez vos
engagements lors de la prochaine loi de finances, obtenez des résultats sur le
terrain, et nos concitoyens sauront évaluer les effets de votre action.
Au fond, tout votre projet de loi se résume en un chiffre : 13 500 créations
d'emplois dans la police et la gendarmerie en cinq ans. Ce n'est pas rien, même
si, là encore, ces recrutements s'inscrivent dans la continuité d'un
renforcement constant des forces de sécurité depuis les années
quatre-vingt-dix. Dont acte !
Il est un autre élément positif : le rapprochement de la police et de la
gendarmerie grâce à la mise en commun des fichiers même s'il faudra y consacrer
du temps et beaucoup d'argent.
Un commandement opérationnel unique, dont les GIR sont le prototype, devrait
également être efficace. Mais que de chemin à parcourir et que de questions à
résoudre pour atteindre cet objectif.
Le statut des gendarmes, le maintien de leur rattachement au ministère de la
défense, leur enracinement sur le territoire, leur culture même ne les
préparent pas à une cogestion de la sécurité avec leurs collègues de la police
nationale. Et vice versa, évidemment ! Gagner ce pari suppose du doigté, de la
constance et du temps.
Permettez-moi, monsieur le ministre, une suggestion : aidez-vous, vous-même,
en ne multipliant pas à l'excès les démonstrations spectaculaires et
l'affichage au détriment du travail de fond.
Vous voulez rééquilibrer la police d'intervention, ainsi que la police
judiciaire, avec la police de proximité. Fort bien ! Mais l'une ne va pas sans
l'autre, si l'on veut obtenir des résultats à moyen terme.
Vous annoncez un nouveau découpage entre zones de police et zones de
gendarmerie, et, au sein de ces dernières, un redéploiement des brigades.
L'échec de vos prédécesseurs en la matière ne doit pas décourager cette
réorganisation indispensable. Mais, prenez garde à ne pas dégarnir les zones
rurales au profit des zones urbaines.
La police gère la densité de population ; la gendarmerie est gardienne de
l'espace. L'une et l'autre missions doivent se conjuguer harmonieusement,
d'autant que la délinquance est mobile et que nos villages sont gagnés eux
aussi par l'insécurité.
Le commissariat ou la brigade fermés la nuit concourent au sentiment
d'impunité des délinquants et d'abandon des citoyens. Les recrutements et les
redéploiements prévus suffiront-ils à cette renconquête de la paix civile, si
ardemment souhaitée par la population ?
Contestable, en revanche, est l'article 3 du projet de loi, qui, derrière la
technicité des alinéas, ouvre la porte aux opérateurs privés dans la
construction de gendarmeries et de commissariats et qui envisage même de
confier à des communes volontaires cette charge, moyennant le paiement d'un
loyer, évidemment !
Ainsi, se met en place un nouveau facteur d'inégalité, puisque les communes
riches auront un net avantage quand l'Etat décidera d'implanter un tel
équipement. Nous attendons des précisions et des garanties, monsieur le
ministre. Quelle influence, notamment, cette disposition aura-t-elle sur le
choix de créer une gendarmerie dans une zone péri-urbaine à forte croissance
démographique ? Cela ne s'appelle-t-il pas un transfert de charges, mes chers
collèges, bête noire du Sénat ?
Il y a aussi les lacunes : l'articulation entre la police ou la gendarmerie et
la police municipale demeure toujours aussi floue, d'autant que persiste
l'impossibilité pour le maire de signer une convention avec la gendarmerie, si
l'effectif de ses agents est inférieur à cinq. C'est là une source permanente
de récrimination dans nos communes !
Puisque je parle des maires, comment s'effectuera la mise en place des futurs
conseils locaux de sécurité et de prévention de la délinquance en dehors des
zones sensibles ? Le périurbain aura-t-il droit, enfin, à l'attention des
procureurs et à la mobilisation des services préfectoraux ?
Qu'en est-il, enfin - ce sera ma dernière question -, de l'affectation des 30
000 agents des forces mobiles qui seront mis à la disposition des services
locaux ? Pouvez-vous nous donner un premier bilan des expériences de «
fidélisation » de la gendarmerie et de l'affectation des unités de CRS à des
tâches de proximité ? L'enjeu est considérable et il ne serait pas bon
d'entretenir des illusions à ce sujet.
C'est au vu de vos réponses à ces questions, monsieur le ministre, et du
contenu du débat que je prendrai position sur votre projet de loi. Une
interrogation demeure pourtant, à laquelle seul l'avenir répondra : les 13 500
postes promis seront-ils au rendez-vous en 2007 ?
(Applaudissements sur les
travées socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Louis de Broissia.
M. Louis de Broissia.
Qu'il me soit permis tout d'abord, monsieur le ministre, de vous dire, à titre
personnel - après tout, c'est la première fois que j'ai l'occasion de parler
devant vous - ma grande joie de voir devant moi le ministre de l'intérieur, de
la sécurité intérieure et des libertés locales, d'accueillir le numéro 1 du
Gouvernement, après le Premier ministre, un homme politique pour lequel nous
sommes très nombreux, sur toutes les travées de cet hémicycle, à avoir beaucoup
de considération parce qu'il a le sens de l'Etat, un talent reconnu de tous et
le sens de l'efficacité et de la proximité.
Je tiens à le dire très simplement, parce que nous nous connaissons depuis
lontemps.
(M. Gérard Delfau s'exclame.)
Mais je ne le ferai pas tous les
jours !
L'élection du Président de la République d'abord, celle des 577 députés de
l'Assemblée nationale ensuite, ont mis en exergue, mes chers collègues, la
nécessité vitale et républicaine de rétablir la sécurité pour tous. Après les
cinq années que j'ai passées à l'Assemblée nationale et au Sénat - que mes
collègues sénateurs ne m'en veuillent point de ce court passage à l'Assemblée
nationale -, après cinq années de parlotte parlementaire, d'agitation verbale
(M. Gérard Delfau rit) -
c'est comme cela que je l'ai vécu - nous voici
au travail concret, rapide et voulu.
Ce texte mérite que le Gouvernement ait voulu qu'il soit examiné en urgence.
Ce n'était pas le cas, en revanche, de tous les textes dont les gouvernements
précédents nous ont imposé la discussion en urgence.
M. Gérard Delfau.
Cela n'a rien de manichéen !
M. Louis de Broissia.
Cher collègue, je reprendrai une partie de votre intervention tout à l'heure,
ne vous inquiétez pas !
Nous avons la conviction que, par ce texte, de façon immédiate, rapide, vous
prenez en compte, monsieur le ministre, ce que nous considérons, nous, les
élus, comme la première des libertés de nos concitoyens : la liberté de
circuler, de vivre, de recevoir, d'ouvrir sa maison ou son appartement, de ne
pas le fermer toujours à double tour, la liberté de permettre à nos enfants, et
même à nos parents, de vivre de façon isolée.
Pourtant, depuis cinq ans, monsieur le ministre, dans les deux assemblées,
alors même que nous débattions avec votre prédécesseur, ou dans mon assemblée
départementale, chaque fois que j'abordais la question du sentiment
d'insécurité, on me disait : « Stop ! Cela n'existe pas ! »
Il ne fallait pas parler de sentiment d'insécurité. Souvenez-vous, mes chers
collègues, on acceptait même,
nolens volens
, des zones de non-droit. On
considérait que c'était admissible ; on faisait un « apartheid français ». On
trouvait naturel, chaque soir, de voir à la télévision les brigades
anti-criminalité éviter de se faire simplement démolir dans des zones
sensibles. En Côte-d'Or, on me refusait l'accès aux chiffres de la délinquance
des mineurs !
Monsieur le ministre, ce projet de loi arrive au bon moment, et votre action a
été immédiatement perçue sur le terrain non seulement par les forces de
l'ordre, mais aussi par ceux qui sont les plus fragiles, comme une action
déterminée et déterminante.
Ironie politique du moment, j'ai entendu, voilà quelques jours, votre
prédécesseur, sur une radio dite périphérique, expliquer qu'il avait « failli
le faire » ! Que ne l'a-t-il fait, mes chers collègues !
Avec ce texte, nous avons la conviction que, à côté de l'intelligence des
décisions - je pense aux groupes d'intervention régionaux, les GIR, ou au
conseil de sécurité intérieure -, à côté de la cohérence des actions menées
pour souder les forces et ne pas opposer les policiers aux gendarmes, les
douaniers aux gendarmes ou les policiers aux douaniers, il faut des moyens
clairs pour affirmer des ambitions. Ces moyens, nous les voterons, sans états
d'âme ni arrière-pensée, monsieur le ministre.
Je terminerai en vous posant quelques questions sur les notions, très à la
mode, de prévention, de coproduction de sécurité - évoquées longuement ici par
votre prédécesseur et par notre collègue Jean-Claude Peyronnet tout à l'heure -
et, enfin, de sécurité des territoires, qui est chère aux sénateurs.
Notre conviction est qu'il fallait agir vite et clairement, et que votre
perception rejoint celle de nos compatriotes, aux côtés desquels nous
vivons.
Tout comme l'arbre de la liberté se juge en fruits de la liberté, l'arbre de
la sécurité se juge indéniablement aux fruits de la sécurité, à savoir que les
Français pourront, un jour, dormir tranquilles, se déplacer rassurés, vivre
apaisés. C'est - et je m'en réjouis - un phénomène quantifiable, avec la
publication mensuelle des chiffres relatifs à la sécurité, et observable par
les 60 millions de Français, chacun pouvant dire s'il se sent ou non en
sécurité.
L'insécurité - cela a été dit sur toutes les travées du Sénat - se jauge à la
peur, à l'inquiétude, surtout dans les zones fragiles que sont les zones
urbaines ainsi que dans les zones rurales quelque peu abandonnées.
Mes chers collègues, l'épouvantail médiatique de la sécurité a-t-il fait les
élections présidentielles et législatives, comme s'en est expliqué, à longueur
de colonnes, Julien Dray dans un quotidien du soir ? J'aimerais que vous nous
donniez votre sentiment sur ce point, monsieur le ministre. Beaucoup de
dignitaires socialistes y voient la cause de leur échec, lit-on dans les
quotidiens et les hebdomadaires.
Personnellement, je pense que, contrairement à ce qui a été écrit ici ou là,
cet échec est dû non pas à cette machination médiatique, mais à un vrai
problème qui méritait une vraie loi.
Monsieur le ministre, les moyens que vous nous demandez d'approuver pour
mettre en place votre politique sont considérables, au bon sens du terme. Nous
percevons ces nouvelles lignes budgétaires comme la traduction forte et claire
de votre volonté, car la politique ne se juge pas simplement aux moyens
budgétaires ; elle se juge surtout, et vous êtes bien placé pour le savoir, à
la volonté de les mettre en oeuvre.
Je suis sensible - nous le sommes tous - à votre souci de cohérence, de
regroupement, de complémentarité, sans esprit de chapelle. Nous avons trop
longtemps constaté, sur le terrain, que l'on montait les uns contre les autres.
Aussi serons-nous sensibles aux instructions que vous donnerez pour une
meilleure efficacité des forces.
Par souci de cohérence - mais vous l'avez laissé entendre tout à l'heure en
répondant aux rapporteurs -, proposerez-vous au fil des différents projets que
vous nous soumettrez des procédures simplifiées, en particulier sur ces
stupides affaires d'ouverture de coffres de voitures, ouvertures qui - n'est-ce
pas, cher Michel Dreyfus-Schmidt ? - seraient attentatoires à une liberté
constitutionnelle lorsqu'elles sont le fait d'un gendarme, mais pas lorsque
c'est un garde-chasse ou un douanier qui s'en charge !
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
C'est infliger un démenti au président Poher !
M. Louis de Broissia.
Il est vrai que je n'ai pas fait de très longues études juridiques, mais je
n'ai toujours pas compris la différence !
Par conséquent, monsieur le ministre, envisagez-vous de prendre des mesures de
simplification afin que les Français comprennent la politique menée en matière
de sécurité ?
Après vous avoir renouvelé, comme d'autres membres du RPR ou de l'UMP, notre
engagement à soutenir votre projet de loi, j'en viens à ce que votre
prédécesseur a appelé la « coproduction » de sécurité, sujet sur lequel M.
Peyronnet est revenu tout à l'heure.
Bien que l'expression soit à la mode, je ne l'ai toujours pas très bien
comprise, je vous l'avoue en toute simplicité. Il semble qu'il s'agisse d'une
coproduction avec les élus de proximité - élus municipaux, élus départementaux
également, dont je fais partie. Je préfère, pour ma part - je ne le cache pas -
le terme d'« accompagnement »,
(M. Gérard Delfau approuve)
car je
considère que la sécurité est une politique régalienne et non une
coproduction.
En matière de prévention, nous sommes nombreux à nous être engagés - c'est un
exemple - auprès des mineurs à protéger d'eux-mêmes ou de leurs prédateurs.
Les présidents de conseil général - n'oubliez pas que j'ai moi-même la
responsabilité d'une assemblée départementale - le savent, nous faisons des
efforts pour pourchasser les pédophiles, pour protéger les délinquants mineurs
potentiels. Comptez-vous promouvoir cette aide que nous apportons, en
particulier aux forces de police, en matière de pédopsychiatrie, d'aide à la
surveillance des psychotiques, qui sont souvent emprisonnés ? Nous voulons,
dans nos départements, poursuivre nos efforts.
Avez-vous l'intention d'associer les collectivités locales, monsieur le
ministre ? Vous ne devez pas exclure - mais je sais que tel n'est pas le cas -
les conseils généraux, qui ont des responsabilités de par les textes de loi et
qui peuvent contribuer à la réussite de cette LOPSI, pour reprendre le sigle à
la mode, en particulier en matière de sécurité des établissements scolaires.
Nous sommes en effet fortement engagés dans ce domaine. La prévention s'apprend
à l'école, tout comme la sécurité. Nous sommes également engagés en matière de
sécurité des transports scolaires et collectifs, de sécurité routière - je sais
qu'un prochain projet de loi devrait nous impliquer davantage, nous l'avons
évoqué brièvement tout à l'heure - et de protection sociale.
Nous ne souhaitons pas, nous, collectivités locales, baisser la garde dans le
domaine de la prévention en accompagnement de votre politique de sécurité.
C'était le thème de ma première question.
Ma deuxième question concerne le patrimoine immobilier pour la sécurité. Je ne
suis pas tout à fait d'accord avec mon collègue M. Delfau, mais je le rassure :
les conseils généraux - je le dis très clairement - sont prêts à mieux loger
les gendarmes.
M. Gérard Delfau.
Ce n'est pas ce que j'ai dit !
M. Louis de Broissia.
Ne vous inquiétez pas : nous sommes prêts, nous, à assumer pour les communes
!
En la matière, les procédures sont très longues et très concentrées.
Comptez-vous les raccourcir, les rendre plus opérationnelles ? Pour obtenir la
reconstruction de la caserne de mon canton, la plus vieille du département -
elle date de deux siècles - il a fallu que le dossier remonte à la direction
générale de la gendarmerie !
Ma troisième et dernière question concerne la sécurité des territoires. Je
suis sensible à votre discours - nous le serons toujours au Sénat - parce que
je pense qu'il faut garantir non seulement la sécurité des hommes et des
femmes, des jeunes et des moins jeunes, des urbains et des ruraux, mais aussi
celle des Français où qu'ils soient, c'est-à-dire la sécurité de leurs
déplacements. Malheureusement, les malandrins se déplacent tout autant que les
honnêtes gens, et il nous faut une sécurité dans les territoires.
J'apprécie, comme bien d'autres de mes collègues, l'assurance que vous donnez
quant au maintien des brigades de gendarmerie, ainsi que la formule des
communautés de brigades que nous avons expérimentée avec succès en Côte-d'Or
sous forme de « binômage » et de « trinômage ». Cher Michel Dreyfus-Schmidt, je
vous invite, quand vous voulez, à venir le constater.
J'attire votre attention, monsieur le ministre - et ce sera le dernier point
de mon intervention - sur les méfaits de la délinquance itinérante, très
organisée, très spécialisée et très mobile. J'avais remis au gouvernement
précédent un rapport sur ce sujet, mais il l'a quasiment oublié, ce que je
trouve regrettable. Cette délinquance, très interrégionalisée, très européenne
et de plus en plus violente, se joue des frontières européennes, en particulier
pour les recels.
Nous ne souhaitons pas, monsieur le ministre, comme paraissait s'y résoudre
votre prédécesseur, que des territoires se vident des forces de police et de
gendarmerie. Plutôt que la suppression ou la concentration, nous préférons ici
l'adaptation et la spécialisation. Quand un peloton de surveillance et
d'intervention de gendarmerie est mis en place hors zone fortement urbaine, ce
PSIG crée un sentiment de sécurité évident.
Monsieur le ministre, nous qui sommes élus nationaux, départementaux,
régionaux, communaux ou intercommunaux, nous qui rencontrons nos concitoyens,
nous ne voulons plus de paroles, nous voulons des actes. Or, si j'en juge par
votre projet de loi, votre programme est un programme d'action. Nous le
soutiendrons résolument, car nous pensons qu'il nous permettra de sauvegarder
la démocratie !
(Vifs applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et
Indépendants et de l'Union centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Jean-Paul Virapoullé.
M. Jean-Paul Virapoullé.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, si j'ai fait
le voyage hier soir pour être ici aujourd'hui, c'est parce que, comme des
millions de Français qui se sont exprimés au mois d'avril et au mois de juin,
je considère qu'il était de notre premier devoir de traiter de la sécurité des
biens et des personnes, notamment des citoyens les plus pauvres, ceux qui
habitent des quartiers où nous n'habiterions pas nous-mêmes, qui envoient leurs
enfants dans des écoles où nous n'enverrions pas les nôtres, qui prennent des
transports publics que nous aurions du mal à prendre.
(Murmures sur les
travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Mme Nicole Borvo.
Quand même !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Cela ne doit susciter ni passion, ni ironie, ni critiques.
J'ai envie de dédier cette modeste intervention à toutes ces mères et à tous
ces pères de famille qui ont été massacrés dans leur quartier sans que nous
soyons intervenus pour leur porter secours, à tous ces policiers qui sont morts
au champ d'honneur au service de la République, à tous ces gendarmes blessés,
aux policiers de Pantin, à celui qui a reçu un pied-de-biche alors qu'il
voulait arrêter un délinquant.
Cette intervention ne prête pas à sourire. Elle doit nous inciter à
réfléchir, à agir, à réagir rapidement, mais graduellement, pour aller jusqu'au
bout et trouver de vraies solutions à ce problème extrêmement difficile auquel
le Gouvernement a décidé, à la demande du Chef de l'Etat, de s'attaquer après
l'échec des gouvernements précédents. C'est parce que le Président de la
République et le Gouvernement ont décidé de démarrer un processus visant à
résoudre ce problème que notre groupe vient ici, monsieur le ministre, vous
apporter son soutiens.
Nous le ferons parce que nous avons constaté, aux dernières élections, que le
Front national, qui avait progressé de 200 000 voix entre 1988 et 1995, a gagné
900 000 voix entre 1995 et 2002.
Nous le ferons parce que nous constatons que, dans les quartiers les plus en
difficulté, la population a lancé un véritable SOS pour que nous ne restions
pas, les bras croisés, à faire notre
mea culpa
, mais que, plutôt que de
nous apitoyer sur le sort des voyous, nous fassions respecter la loi de la
République pour les citoyens qui, eux, la respectent !
(Applaudissements sur
les travées de l'Union centriste, du RPR, des Républicains et Indépendants,
ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
D'ailleurs, pour vous montrer la
dégradation de la situation - vous savez que l'on compte beaucoup de policiers
réunionnais ou antillais en métropole et, par affinité, j'ai discuté avec un
certain nombre d'entre eux - je vous donnerai lecture de quelques lignes d'une
lettre que j'ai reçue d'un policier affecté à la cité des 4 000 logements de La
Courneuve : « parfois, pour de simples missions, il fallait avoir l'appui et
l'assurance que les autres patrouilles des autres secteurs (...) étaient prêtes
à porter secours à ceux qui interviennent ». Et lorsqu'ils appréhendent un
voyou, s'il n'y a pas de patrouilles, ils ne peuvent pas rester plus de cinq
minutes : ils sont obligés de relâcher le voyou, faute de quoi c'est eux qui
reçoivent des plaques d'égout sur la tête.
Dans une République qui se dit nation des droits de l'homme, lorsque les
forces de l'ordre ne sont plus capables de faire respecter la légalité
républicaine, ce sont les fondements de la République qui s'effondrent face à
notre passivité.
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste et
du RPR.)
Je le dis sans passion, mais avec beaucoup de respect pour nos concitoyens :
nous ne sommes là ni pour donner des leçons, ni pour réprimer, ni encore pour
tenir des discours hypocrites. Nous avons reçu des Françaises et des Français
un ordre de mission pour faire respecter la légalité républicaine. Nous le
ferons avec courage, avec détermination, de telle sorte que, progressivement,
on puisse vivre librement dans ce pays, quelles que soient ses conditions
sociales et quel que soit le quartier où l'on réside.
Regardons le diagnostic de l'évolution de la délinquance ! Si les délits,
depuis vingt ans, s'étaient contentés d'augmenter, le phénomène pourrait être
supportable. Mais l'évolution est également « qualitative » : les délits ont
changé de nature.
Mme Hélène Luc.
Effectivement !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Aujourd'hui, nous ne sommes plus en présence de délinquants ! Lorsqu'on
s'attaque à des commissariats et que les policiers sont obligés de se réfugier
à l'intérieur de leur commissariat, lorsque l'un des prétendus gens du voyage
est arrêté et que ceux-ci envahissent la gendarmerie, si bien que les gendarmes
ne peuvent plus en sortir, il s'agit non plus de délinquance, mais d'une
situation insurrectionnelle contre les représentants de l'Etat et de la
République.
Face à une insurrection qui se manifeste par des armes, par des fusils, par
des bazookas, par la prostitution, par la drogue, par la puissance de l'argent
sale,...
Mme Hélène Luc.
Ah !
M. Jean-Paul Virapoullé.
... on ne peut pas dire que ce projet de loi est répressif : il apporte des
réponses graduées à une délinquance qui est inadmissible sur le territoire
national.
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants.)
C'est la raison pour laquelle nous vous reconnaissons, monsieur le ministre,
le mérite de remettre en action la chaîne de la justice : elle était bloquée,
voire cassée ; les maillons ne fonctionnaient plus, et certains avaient même
disparu. C'était la guerre, avez-vous dit tout à l'heure, entre la Place
Beauvau et la Place Vendôme. Si les voyous font la guerre à la population et si
les ministres se font la guerre à Paris, cela n'arrange pas les affaires de la
République ! Nous avons donc l'impératif devoir d'assurer de nouveau le
fonctionnement de la justice, et je me permettrai de faire quelques suggestions
en la matière.
Nous devons d'abord procéder à un changement de mentalité.
Mme Hélène Luc.
Ah !
M. Jean-Paul Virapoullé.
J'ai rencontré des agents de la force public. Un policier gagne entre 8 000 et
9 000 francs par mois. C'est un père de famille qui a des enfants ; il habite
une HLM et ne détient ni actions ni
stock-options.
Mme Hélène Luc.
C'est vrai ! Ce n'est pas pour lui !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Il faut respecter ce brave type ! Lorsqu'il se rend dans un quartier et qu'il
reçoit une balle dans la tête, on pleure, on décore son cercueil. Mais, après,
la veuve se débrouille toute seule.
Monsieur le ministre, vous avez raison de défendre les policiers, mais il faut
aller jusqu'au bout du système. Lorsque nous, représentation nationale, nous
mandatons le Gouvernement pour envoyer ces policiers dans des endroits
difficiles, il nous revient de les protéger.
Et pour que le Gouvernement puisse redonner confiance à la police et à la
gendarmerie, les projets de loi qui viendront en discussion à l'automne devant
le Parlement devront prévoir une aggravation des peines encourues par tout
voyou qui s'attaque aux représentants des forces de l'ordre. Il faut mettre en
place un système répressif, avec des peines incompressibles pour quelqu'un qui
tue ou rend infirme un agent des forces de l'ordre.
(Applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du RPR, et des
Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Le voyou qui a frappé récemment une jeune policière s'en tirera avec trois
ans d'emprisonnement seulement grâce au bon avocat dont il pourra s'offrir les
services avec l'argent de la drogue ; mais la pauvre policière, elle, restera
infirme et défigurée pour toute sa vie.
M. Dominique Braye.
Eh oui !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Il faut que les gendarmes et les policiers sachent que nous sommes non pas
hypocrites, mais solidaires. Nous n'allons pas les envoyer « casser du voyou ».
Mais nous allons dire aux voyous : désormais, si vous vous attaquez à ceux qui
sont mandatés pour faire respecter la loi républicaine, si vous les blessez, si
vous les rendez infirmes ou si vous les tuez, vous serez sanctionnés gravement
par la loi, et les peines seront incompressibles.
La peur de la sanction est le début de la sagesse et du respect de la loi.
C'est parce qu'il y a eu laxisme, c'est parce que l'on a trop pleuré sur leur
sort que les voyous ont envahi les quartiers et ne respectent plus les lois.
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains
et Indépendants et de l'Union centriste.)
J'en arrive à ma deuxième suggestion. J'ai créé, dans la ville dont je suis
maire, un conseil local de sécurité et de prévention de la délinquance.
Mme Hélène Luc.
Ils sont supprimés !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Non, ils sont renforcés !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Exactement !
M. Jean-Paul Virapoullé.
Je propose que l'on aille plus loin, progressivement, et que le ministre, le
maire, le procureur, le préfet et les représentants des forces de l'ordre
définissent annuellement les objectifs de ce comité et, tous les trimestres,
évaluent la progression de notre action en fonction de ces objectifs. Moi qui
ai restructuré la police municipale de ma ville - j'ai en effet signé la
convention avec la police d'Etat et la gendarmerie - j'aimerais que les maires
qui ont accompli cet effort puissent travailler avec les forces de l'ordre à
une réelle coordination de ces forces : police municipale, police d'Etat et
gendarmerie. Ce n'est pas le cas : aujourd'hui nous apportons notre concours,
mais nous ne sommes pas acteurs de la coordination. Si nous l'étions, nous
pourrions mieux servir la population, car nous sommes sur le terrain.
Enfin, je terminerai par l'outre-mer, puisque j'en suis issu. L'Etat va
consentir un effort considérable pour augmenter les effectifs de police,
encourager les communes à construire des commissariats, voire à conclure des
baux pour loger des gendarmes. Je prendrai l'exemple de ma ville, où j'ai
construit un commissariat voilà quinze ans : j'ai édifié le pont, mais je vois
pas la rivière arriver ! Le commissariat existe, mais il est ouvert seulement
pendant la journée, monsieur le ministre : voilà quinze ans que, dans une ville
de 43 000 habitants, dont la moitié dépend du secteur de la gendarmerie et
l'autre moitié du secteur de la police - la situation est identique dans la
ville de Saint-Louis et dans celle du Port -, nous n'avons pas de policier la
nuit dans le commissariat. Au moment où les voyous sévissent, le commissariat
est fermé ! C'est, me semble-t-il, une façon d'encourager le vice.
Un effort particulier doit être accompli en faveur des départements
d'outre-mer, parce qu'ils sont éloignés, isolés, et que la moitié de leur
population a moins de vingt-cinq ans. Ces départements ne connaissent pas, il
est vrai, certaines formes de banditisme qui existent en métropole, parce
qu'ils ne sont pas, et c'est heureux, contaminés par certains milieux. Mais ils
doivent régler divers problèmes graves. Ils comptent donc sur votre solidarité
et sur l'efficacité de votre action, monsieur le ministre, pour améliorer la
situation.
En conclusion, j'ai pris la parole à la demande de mon groupe pour vous dire
ceci : ayons ensemble le courage, la modestie, mais aussi l'honneur d'agir pour
défendre nos concitoyens. Ne les laissons pas se jeter dans les bras de
l'extrémisme, qui serait, pour notre pays, la pire des choses. Nous disposons
de cinq ans pour travailler : donnons des signes clairs, forts et efficaces,
qui rétablissent les valeurs de la République !
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées de l'Union centriste, du
RPR et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. André Rouvière.
M. André Rouvière.
Le groupe socialiste a examiné sans
a priori
, monsieur le ministre, le
présent projet de loi. Il lui est vite apparu qu'il est difficile de le
qualifier de « modeste ». En effet, 5,6 milliards d'euros sont prévus sur cinq
ans en plus des programmations déjà inscrites.
Par ses ambitions, son ampleur et les crédits annoncés, ce projet de loi est
réellement exceptionnel. Cependant, il n'échappe pas à quelques interrogations
et à quelques remarques, que je souhaite formuler.
Je m'attarderai sur le volet « gendarmerie ».
La gendarmerie doit bénéficier de 7 000 emplois nouveaux, pour un montant de
226 millions d'euros par an. A cela s'ajoute la modernisation et l'acquisition
d'équipements collectifs et personnels. Les logements seront améliorés et leur
nombre sera accru. L'aide aux familles portera notamment sur les crèches, le
soutien psychologique et l'aide à la recherche d'emploi pour le conjoint.
J'arrête là mon énumération, mais je pourrais éventuellement la prolonger.
Aucun de vos prédecesseurs, monsieur le ministre, n'a fait autant de promesses
en une seule fois. Ce n'est pas une critique, c'est simplement un constat.
Aucun syndicat - dans d'autres domaines, bien sûr - n'a été aussi hardi. Vous
donnez là un exemple qui risque d'être repris, imité et - pourquoi pas ? -
dépassé.
Mais, monsieur le ministre, pourrez-vous tenir toutes ces promesses ? C'est
ma première interrogation. Je connais, bien sûr, votre réponse : oui,
évidemment ! Mais mon scepticisme n'en est pas pour autant ébranlé. En effet,
au-delà des coûts, difficiles à inclure dans les budgets à venir, il est des
contraintes quasiment impossibles, me semble-t-il, à surmonter en cinq ans.
Je citerai, par exemple, la formation des gendarmes et des policiers recrutés.
Les écoles actuelles sont-elles suffisantes pour les accueillir ? Comment
envisagez-vous cette formation, monsieur le ministre ? En avez-vous estimé le
coût ? Car, malgré l'importance des crédits prévus, je me demande si vous
n'avez rien oublié dans vos évaluations. En effet, l'amélioration de 3 500
unités logement et la création de 4 000 équivalents unités logement, même
confiées à des tiers, à des communes ou à des départements, comme cela existe
déjà, ou à des particuliers, comme cela s'est également fait, se traduiront par
de sérieures augmentations du budget « loyers ».
Quel budget prévoyez-vous, monsieur le ministre, pour le soutien médical, le
soutien psychologique, les crèches ? Combien et comment seront retribués les
personnels, les organismes chargés de remplacer les policiers et les gendarmes
dans les tâches autres que celles qui sont directement liées à la sécurité ?
Autrement dit, comment et par qui seront assurés les fonctions administratives,
les gardes statiques et les transferts de détenus ? Avez-vous chiffré le coût
de ces mutations vraiment importantes ? Je n'ai trouvé cette précision nulle
part.
Il apparaît donc clairement que les crédits prévus, bien qu'exceptionnellement
importants, seront insuffisants. En toute objectivité, monsieur le ministre,
cela nuit à la crédibilité de votre initiative.
Vous allez loin, très loin, peut-être même trop loin dans l'annonce de crédits
à venir, et vous allez encore plus loin dans l'annonce de programmes et de
mesures à concrétiser. Vous prévoyez quasiment tout ce que l'on peut souhaiter.
(Exclamations amusées sur les travées du RPR.)
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Eh oui !
M. Philippe François.
C'est l'objectif !
M. André Rouvière.
Rien ne paraît échapper au flot stupéfiant de vos promesses, à cette réserve
près que vous passez sous silence la façon dont vous les financerez ! Est-ce
par les privatisations, monsieur le ministre ? Je souhaiterais que vous le
précisiez.
La raison, le bon sens, le réalisme, l'expérience, aussi, m'obligent à penser
que vous allez trop loin et trop vite.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Vous, vous êtes allés doucement !
M. André Rouvière.
Bien évidemment, tout ce que vous proposez est souhaitable,...
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur de la commission des lois constitutionnelles, de législation, du
suffrage universel, du règlement et d'administration générale.
Quand même
!
M. André Rouvière.
... mais vous semblez confondre le souhaitable et le possible.
M. Jean-Pierre Sueur.
C'est vrai !
M. Dominique Braye.
Pas du tout !
Mme Paulette Brisepierre.
Quand on veut, on peut !
M. Roger Karoutchi.
Oui !
M. André Rouvière.
Vous ne faites aucune différence entre vouloir faire et pouvoir faire. Vos
promesses surabondantes portent en elles, je le crains, le germe de grandes
désillusions et de dangereuses frustrations.
M. Dominique Braye.
C'est la volonté qui vous gêne ?
M. André Rouvière.
Sous le gouvernement de M. Jospin, nous avons, malgré ce que vous avez affirmé
tout à l'heure, beaucoup oeuvré contre l'insécurité,...
M. Jean-Patrick Courtois,
rapporteur.
Oh !
M. André Rouvière.
... en ne perdant jamais de vue l'indispensable équilibre entre le souhaitable
et le possible.
Deux autres interrogations m'incitent à la prudence.
Tout d'abord, vous voulez associer davantage les maires à la lutte contre
l'insécurité. Jusqu'où voulez-vous aller, monsieur le ministre ? Quel rôle
nouveau vont, par exemple, assumer les polices municipales ? De quelles
responsabilités et charges nouvelles vont hériter les maires ?
Ensuite, s'agissant des petites brigades rurales, le projet de loi me semble
receler deux types de menaces.
Je traiterai, en premier lieu, des communautés de brigades. La comparaison
avec les communautés de communes me paraît excessive. En effet, ces
communautés-là ont des élus - je ne vous apprends rien - pour défendre les
intérêts des communes adhérentes. En revanche, les brigades membres d'une
communauté de brigades vont perdre leur défenseur naturel, à savoir le
commandant de brigade. Le chef de la communauté de brigades sera tenté, et
c'est bien normal, de regrouper les hommes et les moyens en un même lieu.
Ailleurs, il ne restera que des coquilles vides, c'est-à-dire des casernes
vides ! Ce phénomène sera aggravé par votre volonté, qui figure en toutes
lettres dans le projet de loi, de « remodeler le maillage territorial » en
fonction de l'évolution tant de la population que de l'insécurité.
Les brigades rurales, par leur seule présence, assurent généralement une
prévention réelle, constatée. La tentation sera donc grande de supprimer la
brigade là où ni la délinquance ni la population ne progressent.
Votre texte ne laisse aucune place à la prévention. Il est une préparation, un
préalable au renforcement des interventions, c'est-à-dire de la répression.
Nous, socialistes, nous pensons que la prévention doit occuper une place
importante dans la lutte contre l'insécurité.
M. Jean-Pierre Sueur.
C'est vrai !
M. André Rouvière.
Or votre projet de loi fait l'impasse sur ce sujet.
M. Dominique Braye.
Pas du tout !
M. André Rouvière.
Pis encore, il aggrave la situation existante dans la mesure où il menace la
pérennité des petites brigades rurales.
(Exclamations sur les travées du
RPR.)
Nous condamnons d'autant plus une telle lacune qu'elle n'est en rien
comblée par le projet de loi de M. Perben qui, lui aussi, ne mise que sur la
répression.
Vous voulez développer un partenariat entre la police, la gendarmerie, les
douanes et la justice. Il est regrettable que le secteur éducatif n'y soit pas
associé. Votre texte rejette la prévention.
M. Roger Karoutchi.
En quoi ?
M. André Rouvière.
Il a été élaboré dans la précipitation,...
M. Dominique Braye.
Pas du tout !
M. André Rouvière.
... sans véritable concertation.
M. Roger Karoutchi.
Avec qui ?
M. André Rouvière.
Avez-vous seulement consulté les représentants syndicaux de la police, de la
magistrature et de l'éducation, monsieur le ministre ?
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Justement, oui ! Lisez leurs communiqués !
M. André Rouvière.
Ce n'est pas ce qu'ils nous ont dit !
M. Dominique Braye.
Vous êtes mal informé !
M. André Rouvière.
Si vous l'aviez fait, monsieur le ministre, ils vous auraient certainement
rappelé qu'en matière de sécurité, quels que soient l'époque et le lieu, le «
tout répressif » a toujours échoué.
M. Gérard Delfau.
Eh oui !
M. Jean-Pierre Sueur.
Très bien !
M. André Rouvière.
Pour toutes ces raisons, c'est-à-dire pour le caractère flou du texte, pour
les incertitudes qui demeurent sur le financement, pour l'impasse volontaire
sur la prévention et pour les menaces qui pèsent sur les brigades
rurales,...
M. Dominique Braye.
Caricature !
M. André Rouvière.
... le groupe socialiste ne vous suivra pas.
M. Dominique Braye.
C'est une surprise !
M. André Rouvière.
Nous tenons à rendre hommage à l'ensemble des forces de l'ordre et à rappeler
notre volonté et notre détermination à lutter contre l'insécurité.
(Rires sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
Comme vous l'avez fait ! Nous n'avons pas les mêmes moyens !
M. André Rouvière.
Mais nous restons persuadés que la prévention ne doit pas et ne peut pas être
remplacée par la seule répression.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Vous avez peut-être des leçons à donner, vous !
M. André Rouvière.
De plus, nous vous redisons à vous, monsieur le ministre, ainsi qu'à vos
supporters de droite que les contraintes financières, les contraintes
matérielles...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est du Rousseau !
M. Roger Karoutchi.
Même pas !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Du mauvais Rousseau !
M. Philippe François.
De toute façon, Rousseau était mauvais !
M. André Rouvière.
... les contraintes humaines ne s'effacent pas par la seule volonté de les
ignorer.
M. Philippe François.
Pur angélisme !
M. André Rouvière.
Le réveil, je le crains, sera dramatique !
M. Dominique Braye.
Vous osez dire une chose pareille ? C'est aujourd'hui que c'est dramatique
!
M. André Rouvière.
Nous voterons contre ce texte.
(Applaudissements sur les travées
socialistes.)
M. le président.
La parole est à M. Alex Türk.
M. Alex Turk.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, ne disposant
que de quelques minutes et de nombreux points ayant été abordés, je me
contenterai d'une remarque d'ordre général et d'un commentaire sur un sujet
spécifique.
A titre de remarque générale, je relève que le projet que vous nous présentez,
monsieur le ministre, a pour première qualité de tenir à distance les deux
idéologies qui se sont exprimées durant ces derniers mois : l'idéologie du
laxisme ou de la permissivité, qui a été écartée au premier tour de l'élection
présidentielle, et l'idéologie sécuritaire, qui a été écartée au second tour de
l'élection présidentielle. De ce point de vue, votre projet s'inscrit dans une
belle lignée, puisque notre pays, depuis plus d'un siècle, s'efforce, dans une
conception toute française, de conjuguer les impératifs de l'ordre public et
ceux de la liberté individuelle.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Comme la loi Sécurité et liberté !
M. Alex Türk.
Vous avez fixé le cadre institutionnel et procédural qui garantit la liberté,
et il vous appartient maintenant, à l'intérieur de ce cadre, de déterminer les
instruments spécifiques liés à la diversité que vous pouvez rencontrer sur le
terrain, instrument d'efficacité pour lutter contre l'insécurité. De ce point
de vue, le maître mot que j'ai pu relever après d'autres, ici et à l'Assemblée
nationale, me paraît être celui de « coordination ».
Le temps me manque pour développer, mais, pour connaître un peu mieux ce
sujet-là, je sais que, s'agissant, par exemple, des attachés de police, un
travail considérable reste à faire. En effet, c'est souvent en se déplaçant à
l'extérieur du pays que l'on peut juguler un certain nombre de problèmes de
sécurité à l'intérieur, ce qui suppose aussi d'améliorer la formation et la
préparation de nos attachés de police.
Etant élu du département du Nord, j'attache également une importance extrême
au développement de la coopération transfrontalière, qui a déjà réussi sur un
certain nombre de points. Vous savez que les habitants de ce département sont
très sensibles à cette question. Là encore, il s'agit d'un problème de
coordination. Vous avez d'ailleurs déjà lancé l'opération entre la Belgique et
la France.
On pourrait aussi évoquer - mais ce serait trop long à développer - le
problème d'Europol, qui mériterait à lui seul un débat, puisque c'est un
instrument essentiel de coopération dans la lutte contre le terrorisme, le
blanchiment de l'argent, la traite des êtres humains, à l'échelle européenne.
Je sais qu'il y a quelque grippage auquel il conviendrait de remédier.
Enfin, je m'arrêterai un instant sur les fichiers. On en a parlé en termes
risibles et dérisoires à l'Assemblée nationale : les propos de M. Mamère,
notamment, étaient surréalistes. Il faudrait lui conseiller de lire, une fois
dans sa vie, la loi de 1978...
Premièrement, il y a des précédents en la matière, et l'on ne part pas dans le
brouillard ; certains fichiers sont déjà communs, comme le FPR, le fichier des
personnes recherchées, de même que le FVV, le fichier des véhicules volés, et
d'autres encore, concernant les empreintes génétiques, ou les permis de
conduire. On ne part donc pas sans balises ni repères.
Deuxièmement, l'interconnexion des fichiers est parfaitement encadrée par les
textes et aussi, bien entendu, par la jurisprudence de la Commission nationale
de l'informatique et des libertés qui a notamment dégagé un principe
fondamental, celui de la finalité. C'est au regard de ce principe que l'on
détermine quelles sont les informations qui peuvent figurer dans les fichiers,
quels sont les organismes qui peuvent y accéder, le tout étant de veiller à ce
que l'on ne puisse pas utiliser des informations pour une finalité autre que
celle pour laquelle les informations ont été collectées et réunies dans le
fichier informatisé.
Ici, soyons concrets, il s'agit de fichiers bien connus, les fichiers STIC, ou
système de traitement de l'information criminelle, et JUDEX, ou fichier de
rapprochement judiciaire. Or ces deux fichiers sont extrêmement proches l'un de
l'autre, pour ne pas dire totalement superposables. Ils ont, en effet, la même
finalité - la collecte de documentations et d'informations aux fins de
recherches criminelles -, ils enregistrent les mêmes données et ils concernent
les mêmes personnes, c'est-à-dire les personnes mises en cause ainsi que les
victimes.
En fait, il s'agit d'interconnecter des fichiers qui, de toute façon, sont
quasiment semblables. Autrement dit, il n'y a pas, dès lors, cette synergie
dangereuse pour les libertés que l'on pourrait craindre si, par exemple, il
vous arrivait d'avoir l'idée saugrenue de fusionner le fichier fiscal, le
fichier d'immatriculation de la sécurité sociale et un fichier de police. Nous
serions alors, évidemment, tous vent debout contre vous, mais tel n'est pas le
cas.
Dans le cas qui nous occupe, il s'agit non seulement d'améliorer l'usage du
fichier, mais probablement aussi - je crois pouvoir l'affirmer sans être
démenti par mes collègues de la CNIL - d'améliorer le contrôle sur l'usage qui
sera fait des fichiers, tant il est vrai qu'il est plus facile de contrôler un
fichier commun que des fichiers séparés. J'insiste sur ce point, extrêmement
important à mes yeux, compte tenu de tout ce qui a pu être dit par ailleurs :
il s'agit de coordonner les efforts de la gendarmerie et de la police qui
disposent, chacune de leur côté, d'informations quasiment identiques. Le bon
sens exigeait effectivement de les regrouper, et c'est ce que vous avez
décidé.
Nous nous retrouvons - et c'est ainsi que la boucle s'achève - dans le cas de
figure que j'évoquais tout à l'heure, c'est-à-dire que, une fois de plus, il
vous appartient de conjuguer les impératifs de la sécurité publique et ceux de
la liberté individuelle, monsieur le ministre. C'est à vous qu'il appartient
d'amener le curseur au point d'équilibre précis correspondant à nos aspirations
démocratiques. Et nous avons confiance, car nous savons qu'à ce moment-là votre
main ne tremblera pas !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
M. le président.
La parole est à M. Paul Girod.
M. Paul Girod.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, chacun peut
avoir son interprétation des événements électoraux que notre pays a connus au
printemps dernier. Je vais humblement vous donner la mienne.
Le 23 avril, j'étais aux Etats-Unis, arrivant à Washington, encore sous le
choc du résultat du premier tour de l'élection présidentielle. Mais le choc
était mondial, il faut le savoir. Car, mes chers collègues, la France était
regardée bien curieusement. Si je suis de ceux qui se sont réjouis du second
tour de l'élection présidentielle, je suis également de ceux qui ont observé
que l'extrémisme avait résisté entre le premier tour et le second tour de cette
élection. L'événement est survenu entre le second tour de l'élection
présidentielle et le premier tour des élections législatives : 38 % de
l'électorat d'extrême droite a renoncé au message fou qu'il avait adressé pour
entrer dans la normalité républicaine, nous disant : « Nous avons envoyé un
message, à vous de le comprendre ! »
D'où vient cette perte d'influence de l'extrême droite que certains ont
alimentée comme on lance un
boomerang ?
A mon sens, c'est parce le
Premier ministre avait un langage franc, direct et compréhensible ; c'est parce
que vous-même, monsieur le ministre, aviez commencé à répondre aux Français sur
leur inquiétude profonde. C'est de là, je crois, que découle tout ce qui vient
maintenant.
Ce qui vient maintenant, c'est le projet de loi que vous nous soumettez, que
certains décrient sous prétexte qu'il ne serait pas suffisamment normatif. Mais
depuis quand un gouvernement doit-il s'interdire d'associer le Parlement aux
orientations qu'il fixe à son action pour les années à venir ? Qu'est-ce qui le
lui interdit ? Dieu sait que nous avons voté, ici, sous l'impulsion des uns ou
des autres, des textes qui n'étaient pas plus normatifs ! Quelquefois, ils
étaient même purement incantatoires !
Aujourd'hui, il s'agit de l'approbation, par la représentation nationale, d'un
certain nombre de grandes directions qui me semblent, pour ma part, fort
utiles.
D'abord, on nous propose ici la stabilisation, pour cinq ans, d'une
organisation générale de la sécurité dans laquelle le Président de la
République comme le Gouvernement se réorganisent avec leurs conseils, les
maires retrouvant une place dont on n'aurait jamais dû les priver - et Dieu
sait que, pendant longtemps, ils ont été tenus éloignés par les uns et par les
autres de ce qui se passait sur le territoire de leur propre commune.
Je relève encore dans ce texte le retour d'une notion trop décriée dans notre
pays, me semble-t-il, celle du commandement. On peut tout obtenir des hommes
quand ils se sentent respectés, soutenus et commandés.
M. Jacques Peyrat.
Bravo !
M. Paul Girod.
J'ai le sentiment que c'est cela le tremblement de terre qui se produit depuis
quelques semaines au sein des forces de l'ordre et que c'est en grande partie
votre attitude à l'égard de ces hommes qui leur a permis de retrouver la fierté
de servir et de se savoir commandés, appuyés et respectés.
Est-ce un phénomène nouveau ? En tout cas, un ministre de l'intérieur se doit
d'être auprès des policiers dans leur travail au quotidien, et pas seulement
lorsqu'il s'agit d'épingler des médailles sur des cercueils.
Le projet de loi prévoit des moyens - dans des dispositions qui ne sont pas
toutes normatives, mais, je le redis, pourquoi pas ? - dont certains sont
spectaculaires : 13 500 emplois, 5,6 milliards d'euros... C'est ce qui se voit
et, je l'espère, ce qui se concrétisera. Comme d'autres, j'entends d'ailleurs
être dans les années qui viennent un observateur attentif et critique,
rappelant au besoin les engagements qui ont été pris au moment où notre pays a
hésité sur son destin.
D'autres moyens sont moins spectaculaires, mais ils sont probablement aussi
efficaces ; quelques-uns sont astucieux, certains anecdotiques.
Ainsi, la confiscation des voitures rapides pour les mettre à la disposition
de la police - mesure qui, si j'ai bien compris, va de pair avec
l'externalisation de l'entretien des véhicules, car la flotte sera trop
disparate pour être entretenue par les services administratifs - renforcera
considérablement les moyens d'action de nos forces de l'ordre : ce ne sera plus
la 2 CV après la Ferrari, mais la Ferrari après la Ferrari, et j'espère qu'on
en rattrapera quelques-unes !
Quant au commandement des communautés de brigades, on a, certes, déjà essayé
des formules de substitution qui se sont révélées aléatoires, mais il n'est
absolument pas certain que les concentrations de moyens ne donneront pas un
jour des résultats.
La levée du secret entre certaines administrations, l'harmonisation des
fichiers sont apparemment des mesures de détail, mais c'est par ce biais que
l'on parviendra à une efficacité plus grande.
Bref, c'est par des mesures - qui disait cela ? - « saines et pratiques » que
l'on fait marcher les systèmes, et les systèmes de sécurité ne font pas
exception. Je me réjouis donc de constater que vous envisagez ce type de mesure
avec faveur.
Assouplir les règles de construction quand il y a urgence, pourquoi pas ?
Après tout, comment les régions sont-elles parvenues, lorsque les lycées leur
ont été transférés, à pallier la fantastique gabegie de l'Etat et son inaction
passée si ce n'est en construisant rapidement des bâtiments supplémentaires
?
Tout cela me semble aller dans le bon sens, monsieur le ministre, et je ne
vous surprendrai pas en vous disant que je vous apporterai mon soutien, même
si, par instant, je m'inquiète de voir les collectivités locales à nouveau
sollicitées un peu trop souvent.
M. Gérard Delfau.
Tout de même !
M. Paul Girod.
Cependant, sur un sujet aussi sérieux et aussi important pour nos concitoyens,
je pense qu'il n'y aura pas de réticences excessives de leur part.
M. Robert Bret.
Il y en aura d'autres !
M. Paul Girod.
J'ai cru entendre tout à l'heure un président de conseil général éminent nous
dire qu'il était prêt à appuyer en ce sens.
M. Maurice Ulrich.
Il est riche, lui !
M. Paul Girod.
Monsieur le ministre, je disais tout à l'heure m'être rendu aux Etats-Unis le
23 avril dernier. J'ajoute que je m'y étais déjà rendu en 1994, époque à
laquelle la situation criminelle de ce grand pays était extrêmement
préoccupante - on n'osait pas marcher à Broadway la nuit. Les méthodes
employées pour régler cette situation ont été autrement brutales que celles que
vous nous proposez.
M. Christian Demuynck.
Absolument !
M. Paul Girod.
Je ne souhaite pas que l'on en vienne là, mais je suis sûr que vous avez
raison de redresser la barre de la fermeté et du commandement. Encore une fois,
je vous apporterai mon soutien.
Puis-je encore me permettre deux digressions ?
C'est d'abord le rapporteur de trois statuts pour la Corse qui vous remercie
de ce qui s'est passé dans les dernières quarante-huit heures. Vous avez
rappelé à nos compatriotes de Corse une vérité simple : le bruit ne fait pas de
bien et le bien se fait sans bruit !
Nous devons tous méditer les événements survenus au cours des mois derniers à
la lumière de cette vérité.
C'est ensuite le président du Haut Comité français pour la défense civile qui
attire votre attention sur le fait que tout notre système est orienté vers la
réponse aux menaces d'aujourd'hui ; mais nous sentons bien que d'autres menaces
se lèvent. Au-delà de votre ministère, une coordination gouvernementale
renforcée devra se mettre en place. Il est au sein des ministères des hauts
fonctionnaires de défense civile. Dans le vôtre siège le directeur de la
défense et de la sécurité civiles - c'est assez normal -, mais les autres sont
un peu « en l'air », parfois privés de moyens et souvent d'influence.
Puis-je me permettre de vous demander, à vous qui avez la responsabilité de
veiller sur nos concitoyens, de faire valoir lors des délibérations
gouvernementales cette notion de défense civile - qui dépasse celle de sécurité
pour aller vers la prévention, vers la préparation, vers l'éducation de nos
concitoyens contre les éventuelles menaces de demain - avec vigueur et surtout
avec opiniâtreté, avec modestie, certes, mais en même temps avec fermeté.
Monsieur le ministre, vous nous avez montré des pistes qui nous plaisent. Je
vous soutiendrai aussi longtemps que vous les suivrez.
(Applaudissements sur
les travées du RDSE, de l'Union centriste, du RPR et des Républicains et
Indépendants.)
M. le président.
La parole est à M. Christian Demuynck.
M. Christian Demuynck.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, enfin un
ministre de l'intérieur qui nous expose une politique de lutte contre
l'insécurité ambitieuse, concrète, volontariste, et qui a les moyens financiers
de l'appliquer !
Il était temps, car nous sortons de cinq années où l'idéologie majoritaire de
la gauche plurielle amenait les délinquants à être excusés et les victimes
oubliées.
Durant ces longues années, nos forces de l'ordre se sont senties dévalorisées,
dénigrées et surtout esseulées dans leur effort. Elles n'avaient le soutien ni
des élus de la majorité de l'époque, ni de certains magistrats. Un des
syndicats de magistrats déclarait ainsi récemment : « Les policiers créent plus
de désordre qu'autre chose. »
La suite, vous la connaissez : ce que certains condamnent comme une dérive
sécuritaire des Français n'est que l'expression d'un « ras-le-bol » maintes
fois exprimé mais superbement ignoré, et ce n'est pas faute d'avoir tiré la
sonnette d'alarme, ici même notamment.
Monsieur le ministre, votre projet de loi vise à répondre à la première
exigence des Français : le droit d'être libre, le droit à la sécurité.
Je veux tout d'abord vous féliciter de votre courage.
Merci, monsieur le ministre, de parler de guerre contre l'insécurité quand il
s'agit de lutter contre des bandes armées de fusils d'assaut ! Merci d'affirmer
que « pas un seul centimètre carré de la République ne doit pouvoir être
considéré comme une zone de non-droit » ! Merci de refuser la chape de plomb du
laisser-faire et de l'impuissance. Merci de parler de la peur exprimée par les
Français.
Comme vous, monsieur le ministre, je refuse cette situation qui conduit tant
de nos concitoyens - ce n'est ni un fantasme, ni une idée, ni un sentiment - à
avoir peur de prendre les transports en commun, peur d'apprendre que leur
enfant est victime du racket, peur de se faire voler leur téléphone mobile,
leur carte bleue ou leur voiture, peur de se faire insulter, quand ce n'est pas
de se faire rouer de coups.
Que dire de toutes ces professions placées en première ligne ? Je veux parler
des commerçants qui ne peuvent même plus se faire assurer, de ces chauffeurs de
bus agressés, de ces enseignants en proie à une violence juvénile inouïe dès
l'école élémentaire, ou encore de ces animateurs bénévoles, confrontés à la
violence dans les stades.
Que dire, enfin, des véritables attaques subies par les facteurs, les
médecins, les pompiers et, bien sûr, les policiers, accueillis ici ou là par
des jets de pierres ou, comme ce fut récemment le cas à Pantin, dans mon
département, victimes de véritables lynchages ? En l'occurrence, les
délinquants, dont un mineur, étaient tous multirécidivistes, ultra-violents et
connus de tous.
Cette situation est intolérable et inacceptable. Vous avez raison de vouloir y
mettre fin avec force et détermination.
Je reviens au drame de Pantin. J'espère que la justice condamnera sévèrement
et sans état d'âme ces délinquants. A ce propos, je souhaiterais, monsieur le
ministre, que vous soyez attentif à ce que ces agents, notamment la jeune
stagiaire qui a été la plus touchée semble-t-il, soient soutenus et suivis par
leur administration durant toute leur carrière pour que cette épreuve ne leur
porte pas, de surcroît, préjudice dans leur vie professionnelle.
J'en profite pour rendre hommage aux forces de l'ordre dans leur ensemble et
plus particulièrement à celles de mon département, la Seine-Saint-Denis :
malgré ce qu'elles subissent, elles assurent avec détermination et courage leur
mission.
Vous avez d'ailleurs pu vous en rendre compte puisque vous vous êtes déplacé
sur le terrain. Vous êtes allé à leur rencontre sans prévenir leur hiérarchie,
ce que la police « d'en bas » a particulièrement apprécié.
Enfin, voilà un projet qui prévoit des moyens sans précédent et qui recueille
même le soutien de plusieurs parlementaires de gauche assez honnêtes pour
reconnaître le bien-fondé de vos propositions, contrairement à certains élus,
adeptes de la naïveté et de l'opposition systématique, voyant dans la
prévention l'unique remède miracle pour cette France malade de l'insécurité.
Si la prévention est, certes, indispensable, il faut en évaluer rapidement les
effets. Cela n'a jamais été fait jusqu'à présent. Or les budgets concernés sont
considérables pour un résultat qui, je le crains, est calamiteux.
Votre projet résoudra aussi, je l'espère, le problème crucial des effectifs,
sur l'ensemble de notre territoire et plus particulièrement en
Seine-Saint-Denis, l'un des départements les plus criminogènes de France. On y
déplore un manque de 500 fonctionnaires, dont 150 à 200 brigadiers-chefs, sans
parler, bien sûr, des fonctionnaires qui partent en retraite ou sont mutés. Le
moins que l'on puisse dire, c'est qu'ils ne sont pas remplacés avec
rapidité.
Il est de plus extrêmement difficile de fidéliser les policiers expérimentés.
Nous sommes donc toujours confrontés au problème de l'affectation de jeune,
pleins de bonne volonté mais sans expérience. Ne pourrait-on pas, monsieur le
ministre, encourager des fonctionnaires expérimentés à rester dans les secteurs
difficiles en leur attribuant des primes plus avantageuses ? On favoriserait
ainsi l'encadrement des plus jeunes.
Dans la même optique, l'application réelle d'un décret de 1995 visant à
accélérer l'avancement des policiers affectés dans un même quartier urbain
serait « un plus ».
Enfin, il existe un réel problème de logement. Les services préfectoraux ne
pourraient-ils pas réserver des appartements pour les fonctionnaires de police
- bien sûr, hors des zones sensibles où ils interviennent - et ne serait-il pas
possible de les aider à accéder à la propriété grâce à des prêts à taux plus
intéressants ?
Quant aux moyens, là encore, nous sommes les parents pauvres de
l'Ile-de-France. Prenons l'état du parc automobile, dont plus de 40 % est
immobilisé, parfois pendant plus de six mois. Je partage votre point de vue
selon lequel les policiers ne sont pas des mécaniciens : votre idée de confier
une partie de l'entretien à des entreprises est une bonne solution.
De même, votre projet de remettre à niveau le parc actuel est bienvenu, à
condition que l'on en profite pour acquérir des véhicules permettant
l'interpellation d'individus roulant souvent dans de grosses cylindrées.
Il en va de même en matière de communication avec ACROPOL, pour lequel vous
prévoyez des moyens supplémentaires afin d'étendre les zones de couverture.
Aujourd'hui, de nombreux fonctionnaires pallient les carences du réseau en
usant de leurs téléphones portables personnels.
Enfin, monsieur le ministre, je tiens à vous rendre hommage pour avoir pris en
compte l'expérience des maires dans la conduite de la politique de sécurité sur
leurs communes.
Le maire est toujours en première ligne. Il se voit confier la présidence des
conseils de sécurité. Ainsi, il sera informé en temps réel de la délinquance
sur le territoire communal, ce qui lui permettra de répondre plus efficacement
aux attentes de ses concitoyens, sans aller, comme vous le disiez tout à
l'heure, « à la pêche aux informations ».
En conclusion, monsieur le ministre, toutes ces mesures vont dans le bon sens
et sont bien accueillies par une population qui espère que les choses vont
changer. Elle voit d'ailleurs les prémices du changement dans les résultats
obtenus par les groupements d'interventions régionaux.
Le respect des lois républicaines, garant des valeurs de liberté, d'égalité,
de tolérance et d'intégration, ne peut souffrir de laxisme et de faiblesse.
Vous l'avez compris, monsieur le ministre. C'est pourquoi je soutiens fermement
votre action.
(Applaudissements sur les travées du RPR, de l'Union centriste
et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur certaines travées du
RDSE.)
M. le président.
La parole est à Mme Marie-Christine Blandin.
Mme Marie-Christine Blandin.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, après le
projet de loi d'amnistie, doux pour les automobilistes et pour les chefs
d'entreprise, mais dur pour les usagers des transports collectifs et pour les
syndicalistes, après un projet de loi confondant proximité de la justice et
juges de proximité, fonction publique au rabais, texte qui prévoit d'enfermer
des jeunes, et même des petits, nous sommes saisis d'un projet de loi «
sécurité » qui préfigure les moyens.
Le texte est bref, ramassé, à l'opposé des larges portes qu'il ouvre à la
privatisation, aux transferts de charge et à la répression.
J'évoquerai tout d'abord le bâti. Nous connaissions la mondialisation et le
marché qui rognent les marges de manoeuvre de l'Etat. Voici la loi et la
commande d'Etat, qui tordent les règles classiques des marchés publics. Où sont
la vraie concurrence et la transparence ? N'y aura-t-il pas des liens
privilégiés entre les mêmes entreprises de conception, de construction,
d'entretien et de maintenance et le politique ?
Mais ce sont les annexes qui sont le plus révélatrices. Alors que rôde un
sentiment réel d'insécurité, elles désignent d'emblée comme des coupables
potentiels des groupes d'êtres humains : les racoleuses qui viennent
d'ailleurs, les mendiants qui insistent et les gens du voyage qui
s'installent.
On ne s'interroge pas sur les conditions qui ont amené des hommes et des
femmes à vendre leur corps. Et bizarrement, en toute tranquillité, on voit
toujours des proxénètes surveiller les trottoirs depuis des véhicules aux
immatriculations remarquables, complaisamment délivrées par les préfectures.
M. Dominique Braye.
C'est n'importe quoi !
Un sénateur du RPR.
C'est nul !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Qu'est-ce que cela signifie ?
Mme Marie-Christine Blandin.
Je ne parle pas des élus, monsieur le sénateur, rassurez-vous !
On ne conditionne pas la sanction des gens du voyage à l'existence ou non de
places réelles dans un terrain conforme à la loi Besson. On punit sans
distinction la culture du voyage, les miséreux Roumains et les trafiquants de
handicapés. Mme Boutin leur envoie les GIR. Au fond, on voudrait que les gens
du voyage ne fassent que voyager, mais, dans le même temps, M. Joyandet veut
qu'on leur prenne leur seul bien, leur véhicule ! Soyons sérieux : dites-nous
quel est l'avenir des gens du voyage en France ?
M. Dominique Braye.
Dans le Nord, chez Mme Blandin !
(Sourires.)
M. Louis de Broissia.
La légalité !
Mme Marie-Christine Blandin.
Mendiants victimes de rejets successifs de notre société, sans-papiers rejetés
d'une planète de plus en plus féroce, comme à Sangatte, sont-ils promis les uns
à la prison, les autres à la frontière, avec, sur proposition de M. Mariani, un
renforcement des moyens de reconduite ?
Nous ne nous reconnaissons pas dans ce projet de loi qui diabolise
a
priori,
punit sans perspectives et par lequel le Gouvernement ne semble pas
pressé de s'atteler à ses devoirs.
M. Dominique Braye.
C'est une caricature de discours de gauche !
Mme Marie-Christine Blandin.
Vous écrivez : « Le présent programme vise à mieux garantir le droit des
citoyens à la sécurité en faisant reculer la délinquance. Tous les moyens
humains et matériels nécessaires seront mis en oeuvre. »
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est très bien !
Mme Marie-Christine Blandin.
Mais vous n'en tirez pas toutes les conséquences. Les moyens, c'est aussi la
politique de la ville - nous n'avons entendu aucun projet à cet égard - et ce
sont des moyens pour les quartiers, comme l'avait évalué notre collègue M.
Jean-Pierre Sueur dans un excellent rapport.
M. Dominique Braye.
Avez-vous lu le rapport de la Cour des comptes sur la politique de la ville
?
M. Jean-Claude Carle.
Excellent rapport !
Mme Marie-Christine Blandin.
Je vous prierai de ne pas m'interrompre, mes chers collègues !
Le rapport de la Cour des comptes sur la politique de la ville dans la région
Nord - Pas-de-Calais, et en particulier à Roubaix, est excellent !
Les moyens, c'est aussi la justice sociale, sur laquelle le Gouvernement fait
silence. En effet, l'insécurité des gens, c'est aussi ce que vivent des
salariés, tels ceux de la filature Mosseley, près de Lille, qui ont été
licenciés, ont obtenu à l'arraché un juste plan social et n'ont jamais été
payés par le chef d'entreprise, au point que la Région a dû voler à leur
secours.
Vous évoquez aussi la prévention : « qui recouvre l'ensemble des mesures
d'urbanisme, d'architecture ou technique ». Vous ajoutez : « il est désormais
admis que certains types de réalisations urbaines ou d'activités économiques
peuvent se révéler criminogènes ».
Encore un petit effort et vous pourrez nous proposer des projets contre la
double, la triple ou la quadruple peine qui frappe les plus pauvres : le
chômage, le bruit du périphérique, l'insécurité alimentaire et, en plus, pour
certains, le délit de faciès.
M. Dominique Braye.
Vous avez effectivement laissé de côté les plus pauvres !
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
C'est votre bilan !
M. Dominique Braye.
C'est en effet votre bilan !
Mme Marie-Christine Blandin.
Toutefois, vous en êtes très loin, puisque votre rédacteur s'est même laissé
aller à condamner « les regroupements dans les parties communes des immeubles
»,...
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Et alors ?
Mme Marie-Christine Blandin.
... sans autre commentaire ! J'en ai parlé aux concierges ; elles devront
faire attention.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Attention à qui ?
Mme Marie-Christine Blandin.
Quant aux drogués, bien sûr, point de pardon, pas d'appui, point de médication
: c'est l'abstention ou la prison.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Heureusement !
Mme Marie-Christine Blandin.
C'est votre point de vue. Ce n'est pas le mien, car la vente clandestine - que
vous n'arrêterez pas - et l'interdiction sans distinction amorcent, hélas ! le
lien précoce entre jeunes et dealers.
Je ne vous convaincrai pas.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ah ça non !
M. Dominique Braye.
Elle caricature dans l'espoir de nous convaincre !
Mme Marie-Christine Blandin.
Je vous demande seulement de réfléchir : ceux d'entre vous, mes chers
collègues, qui fument du tabac, dont la nocivité est incontestable, n'ont qu'à
s'imaginer que, pour leur bien, pour leur santé, demain, un gouvernement leur
propose une seule alternative : l'arrêt immédiat ou la prison.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Ça, c'est Staline !
Mme Marie-Christine Blandin.
Je reviens au ton général de ce projet de loi : il ne répond pas à temps à
l'inflation d'interpellations qu'entraîneront vos choix. Il ne prévoit pas
l'accueil qualitatif des victimes. Il punira sans donner à la population le
nécessaire respect pour un Etat qui la respecterait. Oui, l'attente existe
d'une société réconciliée, apaisée.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Apaisée ?
Mme Marie-Christine Blandin.
Oui, il faut enrayer les incivilités et punir les coupables.
M. Charles Ceccaldi-Raynaud.
Seulement les incivilités ?
Mme Marie-Christine Blandin.
Non, la solution n'est pas de sévir dans l'urgence, quitte à cibler des boucs
émissaires.
M. Dominique Braye.
Vous n'avez pas compris que l'angélisme, c'est terminé !
Mme Marie-Christine Blandin.
Ce n'est pas ainsi que se tariront les sources de la délinquance dont, hélas !
votre injustice préparera la relève, contrairement aux légitimes aspirations
des Français.
(Applaudissements sur les travées des socialistes, ainsi que
sur certaines travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
M. Dominique Braye.
L'angélisme, c'est fini !
M. le président.
La parole est à M. Daniel Goulet.
M. Daniel Goulet.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, depuis ma
première élection en ma qualité de député de l'Orne, en 1973, j'ai rencontré
bien des ministres de l'intérieur.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
M. Pasqua, M. Debré !
M. Daniel Goulet.
Aucun d'entre eux n'a suscité autant d'attente et d'espoir que vous, monsieur
le ministre.
M. Michel Dreyfus-Schmidt.
Ce n'est pas gentil pour MM. Pasqua et Debré !
M. Daniel Goulet.
Est-ce en raison de la montée exceptionnelle de l'insécurité ? Est-ce en
raison d'une dégradation générale de nos institutions scolaires ? Est-ce en
raison de la montée des incivilités ?
Pour toutes ces raisons, et pour bien d'autres, nos compatriotes attendent
beaucoup de votre action.
D'ailleurs, il s'agit non pas d'une attente suspicieuse ou défiante, mais
d'une attente positive, confortée par les moyens financiers mis à votre
disposition par le projet de loi dont nous sommes saisis aujourd'hui et par la
farouche détermination dont vous avez, avec le Président de la République et
l'ensemble du Gouvernement, fait montre.
Je sais que vous ne pourrez pas ouvrir tous les chantiers en même temps et
revoir tous les textes qui, à ce jour, ne donnent pas satisfaction.
Je sais également qu'une avalanche d'amendements, dont vous pourriez être
assailli, n'a jamais fait une législation cohérente. M. le président de la
commission des lois ne me démentira sans doute pas, car il partage, je crois,
mon avis.
Aussi, je vous proposerai seulement deux thèmes de réflexion - ils ont
d'ailleurs été souvent évoqués aujourd'hui - qui touchent plus particulièrement
les élus ruraux, dont je m'honore de faire partie et dont je voudrais, une fois
encore, me faire le porte-parole. Il s'agit de l'accueil - j'allais dire
l'écueil - des gens du voyage et de l'insécurité en zone rurale.
D'abord, en ce qui concerne l'accueil des gens du voyage, on constate
quotidiennement que la législation actuelle ne permet pas de mettre un terme
aux stationnements sauvages, et ne donne aux maires et aux élus locaux aucune
sécurité juridique. Il faut savoir, mais vous le savez, qu'en France on compte
chaque jour 27 000 stationnements irréguliers, dont moins d'un tiers sont
sanctionnés. Dans la loi Besson, le Sénat avait proposé le recensement des gens
du voyage de nationalité française. Cette démarche s'est révélée vaine ! Les
schémas départementaux n'ont jamais été opérationnels. D'ailleurs, en
existe-t-il ?
Si nous n'y prenons garde, nous serons confrontés à une déferlante étrangère
provenant des pays de l'Est, que nous pourrions évaluer à plusieurs millions de
personnes. Il est donc urgent d'agir.
Bien entendu, la loi du 5 juillet 2000 a facilité les procédures, mais
celles-ci sont, pour la plupart, inapplicables.
C'est pourquoi je suivrai nos collègues députés, qui ont amendé votre projet
de loi dans un sens plus répressif, mais j'attendrai le projet de loi global
que vous vous êtes engagé à nous présenter en septembre, pour vous faire des
propositions, le cas échéant.
S'il faut accentuer le pouvoir des maires, il faut aussi moderniser une
législation qui articulera la politique de la ville et celle qui concerne les
gens du voyage, en y intégrant un volet social et économique. Il existe de
nombreuses expériences dans ce domaine. Elles sont en voie de réussite pour peu
que l'on veuille bien les reconnaître et les encourager davantage.
En effet, la question des gens du voyage ne peut pas se réduire, par angélisme
ou par faiblesse, pour ne pas dire par lâcheté, à une simple question de
stationnement de véhicules.
Une révision et une modernisation du livret de circulation s'impose. Il faut
une coopération interrégionale accrue pour une meilleure organisation et une
mutualisation des risques et des coûts. Il faut une législation efficace,
enfin, applicable par les élus locaux, seuls, en la circonstance, face à leurs
administrés légitimement exigeants et parfois exaspérés.
Ce sujet me conduit directement au second point que je souhaitais aborder : la
sécurité des biens et des personnes en milieu rural. Elle est primordiale non
seulement si nous voulons conserver l'équilibre entre nos territoires, mais
aussi pour éviter que ne se produise cette explosion que nous redoutons
tous.
La délinquance n'a pas seulement envahi nos villes, elle touche aussi les
campagnes, jadis épargnées.
Nos élus ruraux sont désarmés au sens propre comme au sens figuré : crainte
permanente de la fermeture des gendarmeries, insuffisance des effectifs de
police et - on l'a dit maintes fois - départementalisation des services
d'urgence. Bref, les élus ruraux ne peuvent plus assurer la sécurité et la
sauvegarde des biens de leurs administrés.
Dans le cadre de la grande réforme sécuritaire que vous entreprenez, monsieur
le ministre, les zones rurales ne devront pas, une fois de plus, être laissées
pour compte - mais vous l'aurez compris à la lumière des nombreuses
interventions que nous avons entendues cet après-midi.
Pouvez-vous vous engager, tant que n'auront pas été épuisées toutes les
formules appropriées d'actions, à ne fermer aucune gendarmerie en zone rurale
et à augmenter les effectifs dans ces zones déjà très défavorisées ? En zone
rurale, le gendarme est, effectivement, juste après le facteur, l'ami public
numéro un.
Les polices et les gendarmeries sont en effet, dans certaines zones rurales,
le seul signe de la présence de l'Etat, puisque, bien souvent, les autres
services publics ont déjà fermé leur porte pour des motifs de rentabilité.
M. Gérard Delfau.
Hélas !
M. Daniel Goulet.
En matière de sécurité des biens et des personnes, il ne faut à aucun prix
appliquer ce critère maudit de rentabilité.
L'ordre républicain doit être garanti sur l'ensemble du territoire, y compris
dans les zones rurales. Votre proposition de communautés de brigades pose un
certain nombre de questions. A travers la notion de communauté de gendarmeries,
vous voulez procéder, semble-t-il, à une réforme en profondeur des brigades
territoriales. Votre proposition ne risque-t-elle pas d'affaiblir le rôle du
chef de brigade, ce dernier étant subordonné au responsable de la communauté de
brigades, alors qu'il est l'interlocuteur privilégié des maires ?
A terme, cette concentration ne risque-t-elle pas d'entraîner la fermeture de
lieux d'accueil, celui-ci étant aujourd'hui assuré dans chaque gendarmerie ?
Cette concentration rampante serait contraire à l'intérêt des administrés. Si
elle peut se concevoir en zone urbaine, n'est-elle pas inadéquate en zone
rurale ? Là encore, il ne faut pas donner l'image d'une France à deux vitesses.
Mais peut-être nous apporterez-vous - je crois, d'ailleurs, que vous l'avez
déjà fait - des réponses rassurantes.
Pour ce faire, il faudra veiller non seulement à une bonne répartition des
effectifs mais aussi à utiliser à bon escient les moyens humains dont nous
disposons déjà, ici ou là.
Cela m'amène à parler des gardes champêtres.
Ils sont plus de 3 000 en France. Nos collègues députés du Haut-Rhin ont eu
raison de faire adopter un amendement qui permettra aux maires de s'appuyer sur
les gardes champêtres, qui sont des assistants efficaces de la police mais qui,
également, dans le cadre de la justice de proximité et de la surveillance
permanente de nos campagnes, seront de très précieux auxiliaires.
Il nous faut donc recenser les textes applicables aux gardes champêtres, les
compléter de dispositions nouvelles et originales permettant une meilleure
intégration et un recrutement plus facile de façon à codifier cette profession
qui peut paraître désuète aux yeux de certains élus urbains. Il faut rendre
hommage à la fédération nationale des gardes champêtres qui travaille sans
relâche pour promouvoir une meilleure reconnaissance de cette profession.
Si je m'autorise à donner un avis sur cette question, c'est que je conserve un
souvenir et un attachement particuliers pour ces missions de proximité,
efficaces et d'ailleurs très respectées de tous, que remplissait mon père, qui
a exercé cette fonction pendant de longues années dans mon village du
Perche.
Monsieur le ministre, à propos de proximité, nous apprécions le fait qu'avant
de proposer et d'arrêter des actions fortes et déterminées vous saisissiez
toutes les opportunités de vous rendre sur place afin d'établir par vous-même
un état objectif des lieux et des situations.
Je vous invite, à mon tour, à vous rendre dans un département rural comme
celui de l'Orne et, plus particulièrement, au Mêle-sur-Sarthe, premier SIVOM
créé en France voilà plus de trente-cinq ans, pour y rencontrer des élus,
pionniers en matière d'intercommunalité, qui, confrontés, chaque jour, aux
problèmes que vous souhaitez résoudre, pourront vous exposer quelques-unes de
leurs expériences réussies.
C'est donc de façon très officielle que je vous lance cette invitation en ne
doutant pas que vous trouverez dans votre agenda, pourtant très chargé, le
temps d'y répondre favorablement.
En conclusion, monsieur le ministre, j'indique que je soutiens énergiquement
votre action et celle du Gouvernement en vous rappelant que les zones rurales
doivent jouir de la même considération et de la même attention que les zones
urbaines, même si la délinquance y est moins médiatique quoique tout autant
exaspérante pour les victimes et pour les élus.
(Applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. le président.
La parole est à M. Jacques Peyrat.
M. Jacques Peyrat.
Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues, c'est
vraiment la valse à quatre temps !
Le premier temps est celui des chiffres, terrifiants, de la délinquance. Vous
nous avez dit, monsieur le rapporteur, qu'en treize ans les coups et blessures
avaient progressé de 174 %, les vols avec violence de 188 %. Vous nous avez dit
également, si ce n'est vous c'est l'un de nos collègues, que la part des jeunes
délinquants est en augmentation constante, pour atteindre 38 %. Parallèlement,
un délit ou un crime sur quatre est élucidé et le nombre des victimes a, en
trois ans, augmenté de près de 480 000, soit l'équivalent de la ville de
Lyon.
Le deuxième temps de la valse, monsieur le ministre, mes chers collègues,
c'est celui des articles de presse et des images médiatiques, qui nous
présentent, depuis des années, des exemples atterrants. Je pense à ce vieillard
agressé, passé à tabac, dans son cabanon incendié et détruit pour rire, à ce
vigile brûlé au cocktail Molotov, à ce père tué à coup de batte de base-ball
parce qu'il défendait son enfant, et vous avez parlé tout à l'heure de cette
jeune fille à la mâchoire broyée. C'est la valse des images, monsieur le
ministre !
Le troisième temps de la valse, c'est celui des chiffres non plus de la
délinquance mais de la pulsion du peuple de France. Rappelons-nous cette
journée où, chacun dans notre camp, nous comptions les voix des uns et des
autres, où nous voyions que les chiffres du Président de la République sortant
oscillaient au point d'être presque rattrapés par ceux de M. le Pen, qui, au
passage, avaient dépassé le score de M. Jospin. Ce fut la stupeur, le choc,
l'effarement, la catastrophe ; les mots les plus terribles furent prononcés,
comme Paul Girod le rappelait tout à l'heure. C'était à peine il y a deux mois.
Ne s'en souviendrait-on pas maintenant que les choses sont apaisées ?
Puis, le quatrième temps de la valse, celui de l'apaisement, est venu, celui
de l'élection du Président de la République, de l'élection d'une nouvelle
Assemblée nationale, de la nomination d'un nouveau gouvernement, dont vous
faites partie. Et le temps de l'action, nous a-t-on dit, est venu.
Vous avez décidé, monsieur le ministre, comme M. le Premier ministre, comme le
Président de la République, de mener cette action sans arrêt, sur tous les
terrains. Il y a quelques jours, ici même, on nous a proposé de renforcer les
moyens de la justice, notamment grâce aux juges de proximité. Il est vrai que
le toilettage de l'ordonnance de 1945 ne plaisait pas à tout le monde. Mais
c'était sa dix-septième toilette en 53 ans !
Nous voici maintenant en face de vous.
Que vous reproche-t-on exactement ? Je n'ai pas encore très bien compris.
Vous reprocherait-on d'avoir, avec le ministre des finances, dégagé plus de
5,2 milliards d'euros sur le budget de la nation pour assurer sa sécurité ?
Vous reprocherait-on d'avoir fait ce que nous, les maires, demandons depuis
tellement de temps, à savoir augmenter les effectifs de la police nationale et
de la gendarmerie ?
Vous reprocherait-on d'avoir pensé qu'il était temps - enfin ! - de faire en
sorte que ces services prestigieux travaillent ensemble ?
Vous reprocherait-on d'avoir créé des brigades dans lesquelles seraient
associés, aux gendarmes et aux policiers, d'autres grands corps de l'Etat comme
les services des douanes ou la direction générale des impôts, dont les agents
traquent les fraudes ?
Vous reprocherait-on, par hasard, d'avoir souhaité impliquer les élus dans la
vie quotidienne de leur commune, des villes qu'ils administrent alors qu'ils
peuvent intervenir dans tous les domaines sauf dans celui de la sécurité parce
qu'on ne les a pas jugés suffisamment intelligents ou compétents pour agir sans
le sceau du procureur de la République ou sans les feuilles de chêne de la
police nationale ?
Vous reprocherait-on la responsabilisation des services ?
Vous reprocherait-on de vouloir lutter contre la prostitution - prostitution
des femmes, prostitution des hommes, prostitution des enfants - de vouloir
traquer la drogue partout où elle se cache à l'échelle nationale et
internationale, en développant les moyens de coopération avec les autres
polices frontalières ?
Est-ce tout cela que l'on vous reproche ?
En fait, monsieur le ministre, ce que l'on vous reproche, si j'ai bien
compris, c'est de « bâcler », de « faire trop vite ». Faire trop vite ! Mais il
y a des années que l'on piétine !
(Vifs applaudissements sur les travées du
RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Il y a des années que je sais, moi, ce qu'il faut faire, il y a des années que
je crie partout ce qu'il fallait faire. Croyez-vous que le maire de la ville
que j'administre peut se satisfaire de voir les consuls des Etats-Unis
d'Amérique, de Russie, de Grande-Bretagne, d'Italie ou d'Espagne donner cette
consigne à leurs concitoyens : « Quand vous venez sur la côte d'Azur, faites
attention, premièrement à votre sac, deuxièmement à votre femme, troisièmement
à votre fille, quatrièmement à votre petit garçon. »
(Protestations sur les
travées socialistes, ainsi que sur celles du groupe communiste républicain et
citoyen.)
Ne pensez-vous pas que le maire d'une grande ville, d'une petite ville ou d'un
village peut éprouver une honte légitime en pensant qu'il en est ainsi ?
Monsieur le ministre, vous êtes maire de Neuilly...
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Je l'étais.
Mme Hélène Luc.
Il n'est plus maire, il est ministre !
M. Jacques Peyrat.
En tout cas, vous avez été maire, et je souhaite que vous le redeveniez plus
tard. Vous connaissez donc nos matins de maires, lorsque la lecture du journal
nous apprend, si le téléphone n'a pas sonné durant la nuit, une agression, un
assassinat, un incendie volontaire, un drame survenu dans le service des
urgences. Vous avez cité Nice, où un forcené, conduit pour être soigné aux
urgences, s'est emparé de l'arme du policier qui le surveillait pour tirer sur
le médecin en le blessant, sur l'infirmière en la blessant, sur le brancardier
en le blessant, sur le policier qui est encore, au moment où je parle, entre la
vie et la mort. Devons-nous tolérer tout cela indéfiniment ?
Je vais vous dire mon sentiment, monsieur le ministre, sentiment qui est
partagé par l'ensemble des concitoyens qui me parlent. Je me dis parfois que
ces concitoyens ne sont peut-être pas les mêmes que ceux qui parlent à
d'autres, ou bien que ces derniers ne les entendent pas.
En tout cas, il était temps ! La France était au seuil des ténèbres.
(Rires
sur les travées du groupe communiste républicain et citoyen.)
Les hommes,
les femmes, dans les villes ou dans les villages, avaient peur : l'homme de
travailler la terre quand il était agriculteur, l'homme de travailler dans les
services de soins à la population, le policier d'assurer la sécurité, l'avocat,
quelquefois, de défendre ! Il était temps que vous arriviez, avec ce
gouvernement, pour annoncer le temps de l'espérance, cette espérance grâce à
laquelle nous allons peut-être mieux vivre ensemble.
M. Robert Bret.
Merci Nicolas !
(Sourires.)
M. Jean-Claude Peyronnet.
Avec Le Pen, cela aurait été encore mieux !
M. Jacques Peyrat.
J'attire toutefois votre attention, monsieur le ministre, sur l'existence
d'une vieille loi, datant du temps de l'armée, il est vrai, qui veut qu'à tout
canon on oppose une cuirasse. Vient ensuite un plus gros canon pour enfoncer la
cuirasse. Puis, on construit une plus grosse cuirasse pour résister aux canons
et ainsi de suite.
Aussi, monsieur le ministre, pour bien connaître les délinquants, pour en
avoir défendu pendant quarante ans de ma vie, je crois qu'ils trouveront la
parade à l'organisation que vous êtes en train de mettre en place. Alors tenez
bon ! Nous sommes à vos côtés !
(Rires sur les travées du groupe communiste
républicain et citoyen.)
Cela fait rire la gauche, je me demande pourquoi.
Quoi qu'il en soit, le temps de l'espérance est arrivé. Avec vous, ensemble,
nous la ferons survivre en France !
(« Bravo ! » et applaudissements sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi
que sur certaines travées du RDSE.)
M. le président.
Personne ne demande plus la parole dans la discussion générale ?...
La discussion générale est close.
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le ministre.
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Monsieur le président, mesdames, messieurs les sénateurs, je vais
bien sûr essayer de répondre, brièvement, à chacun des orateurs.
Monsieur Bernard Plasait, si les chiffres officiels sous-estiment la réalité
de la délinquance, c'est parce que nombre de nos concitoyens ne déposent pas
plainte, découragés qu'ils sont, à l'avance, à l'idée que le responsable de
l'ordre public ne prêtera pas une grande attention à la détresse de la
victime.
Je n'ai pas voulu changer le système de calcul car j'ai considéré qu'on ne
pouvait le changer qu'au terme d'un travail consensuel. Que n'aurait-on dit si
je l'avais fait et quel aurait été le jugement porté sur les chiffres publiés !
Sans doute ce travail devra-t-il être fait un jour. Mais il ne pourra l'être
que si toutes les forces politiques y sont associées pour que, ensemble, on
trouve une meilleure solution.
Oui, monsieur Plasait, la culture de l'excuse a fait des ravages. A force de
chercher des causes, à force d'expliquer l'inexplicable, on finit par excuser
l'inexcusable. Face à un certain nombre de faits, il n'y a pas d'explication à
chercher, il y a une réponse à apporter, et la réponse, c'est la sanction.
Je vous remercie, par ailleurs, de l'hommage que vous avez rendu aux
policiers. Croyez bien qu'ils sont plus attentifs qu'on ne le croit souvent aux
débats que nous avons. Forces syndicales, policiers et gendarmes suivent avec
beaucoup d'attention les déclarations des responsables politiques et des
parlementaires, j'en ai de multiples témoignages. Si vous saviez combien un mot
peut blesser, combien un certain discours peut être perçu comme ignorant de la
réalité et combien, à l'inverse, une parole de soutien est vécue comme un geste
de considération !
Monsieur Barbier, la situation à Dole est effectivement préoccupante. Mais
elle l'est partout en France ! Je ne connais pas une ville, une région, un
quartier où l'on puisse dire sérieusement que la délinquance n'est pas un
problème. Et c'est là une nouveauté des dix dernières années.
Il y a dix ans, la délinquance épargnait certaines régions. Aujourd'hui,
aucune région n'est épargnée. En homme de terrain, vous en portez justement
témoignage.
Vous me dites qu'il faut une meilleure écoute du plaignant. Sans doute
savez-vous que nous venons de prendre une décision très importante : j'ai
signé, voilà trois semaines, une circulaire demandant que, dans tous les
commissariats de police, dans toutes les gendarmeries, le fonctionnaire ou le
militaire qui reçoit la victime soit désormais obligé de donner son nom pour
que cette victime sache qui l'a reçue et qui assure le suivi de sa plainte.
Mesdames, messieurs les sénateurs, vous êtes souvent des élus locaux,
notamment des maires : lequel de vos collaborateurs dans vos mairies
accepterait ce que j'ai demandé aux policiers et aux gendarmes ? Pas une seule
organisation syndicale de policiers n'a protesté ! C'est une marque de
responsabilité à laquelle je tiens à rendre hommage.
Désormais, tout plaignant a le droit de connaître le nom du fonctionnaire qui
le reçoit et qui suit sa plainte. C'est là un élément considérable pour le
confort du plaignant et pour l'attention que nous devons aux victimes.
Timide, monsieur Barbier, le projet de loi en ce qui concerne les maires ?
Peut-être. Mais je veux dire clairement devant la Haute Assemblée que, pour ma
part, je n'accepterai jamais la municipalisation de la police nationale.
J'ajoute que, dans un pays où il y a 36 500 communes, il me paraît difficile
d'envisager de confier des responsabilités opérationnelles aux maires. Car il
ne faut pas songer uniquement aux maires des grandes villes ; il faut aussi
penser aux autres maires. Comment imaginer qu'il puisse y avoir des « maires à
deux vitesses », ceux qui auraient des responsabilités opérationnelles et ceux
qui en seraient dépourvus ? Et puis que signifie la responsabilité
opérationnelle d'un maire s'il n'est pas en même temps responsable du
recrutement, de la rémunération et de la formation des personnels ?
Confier aux maires la responsabilité opérationnelle reviendrait en fait à les
désigner à l'opinion publique.
M. Jean-Claude Peyronnet.
Oui !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Elle les considérerait comme responsables, précisément, de la
sécurité, alors qu'ils seraient en réalité dépourvus des moyens leur permettant
d'exercer véritablement cette responsabilité.
M. Dominique Braye.
Très juste !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Il faut donc avancer très prudemment sur ces questions. Non que
M. Barbier ait, à mes yeux, fait preuve d'imprudence ! Je dis simplement que,
si l'on devait aller plus loin dans la recherche d'un consensus entre nous,
tous les arguments devraient être mis sur la table, et il me semble que celui
que j'avance a un certain poids.
Ce dont je suis pleinement convaincu, c'est que le maire doit être au coeur de
la prévention, parce que le maire connaît mieux que d'autres la réalité du
terrain.
Roger Karoutchi, merci pour ce discours en tous points excellent, qui a été
salué d'ailleurs par un silence très attentif de la Haute Assemblée.
Oui, la délinquance marque une crise de la société. Au demeurant, j'ai noté,
quand Roger Karoutchi a dit cela, des marques d'approbation sur toutes les
travées du Sénat.
J'ajoute - mais il aurait pu le dire lui-même - que ce n'est pas parce que
c'est une crise de société qu'il faut se contenter de la regarder béatement,
les bras ballants, et décider de l'organisation d'un colloque chargé de
réfléchir au pourquoi de cette crise de société !
Ce n'est pas parce que c'est une crise de société qu'il ne faut pas agir.
C'est justement parce que la crise est profonde qu'il n'est que temps d'agir
!
Merci aussi de votre soutien sur la réserve civile, monsieur Karoutchi.
Mesdames, messieurs les sénateurs, le service militaire n'existe plus.
Mmes Nicole Borvo et Hélène Luc.
C'est dommage !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Il est donc indispensable de créer les conditions d'une réserve
pour la défense civile ; j'aurai l'occasion d'y revenir en répondant à M. Paul
Girod, qui connaît parfaitement ces sujets.
Si, demain, notre pays est victime d'une série d'attentats exigeant, par
exemple, que nous assurions la sécurité renforcée de toutes nos centrales
nucléaires, nous serons bien contents d'avoir une réserve civile mobilisable
!
M. Paul Girod.
Très bien!
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
De même, si demain se produit une catastrophe, quelle qu'elle
soit, qui implique la mobilisation de 3 000, 4 000 ou 5 000 personnels
supplémentaires, nous seront bien contents d'avoir une réserve civile de la
police nationale !
Je ne vois pas en quoi la création de cette réserve civile pourrait inquiéter
qui que ce soit. Il est même plutôt rassurant qu'un gouvernement se dise : cela
ne va pas trop mal en ce moment, mais, si cela allait plus mal, il faudrait que
nous puissions mobiliser du monde. Je crois que nous sommes vraiment dans notre
rôle en pensant cela.
M. Dominique Braye.
Très bien!
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Quant à la police régionale des transports, monsieur Karoutchi,
je n'oublie pas qu'elle vous doit beaucoup !
Savez-vous, mesdames, messieurs les sénateurs, que 6 millions de Franciliens
prennent chaque jour le RER, le métro ou le train de banlieue ? Et combien y
avait-il de millions de personnes qui, chaque jour, avaient peur en pensant que
leur femme ou leurs enfants rentraient chez eux le soir par les transports en
commun ? Nous avons créé la police des transports, et cela a constitué un
changement considérable !
Avant la création de cette police des transports, la police devait descendre
du RER, du métro ou du train de banlieue après le franchissement de la
frontière administrative de Paris, moyennant quoi les bouts de ligne n'étaient
jamais sécurisés, car ce n'était pas la même équipe qui devait s'en occuper.
J'ai créé cette police des transports à la demande des élus franciliens, avec
Roger Karoutchi au premier rang. Dorénavant, une équipe qui monte sur une rame
va jusqu'au bout de la ligne, la sécurise du point de départ au point
d'arrivée.
La sécurité dans les transports en commun a fait, depuis, des progrès
considérables. Il en reste bien d'autres à accomplir. C'est une illustration
parmi tant d'autres de la nécessité de mettre nos forces sous commandement
commun parce que, actuellement, les frontières ne résistent qu'aux forces de
police, parce que les circonscriptions administratives ne concernent que les
forces de l'ordre.
S'agissant de votre discours sur le malaise d'une certaine gauche face à la
sécurité, monsieur Karoutchi, je dirai simplement qu'il était succulent ! Je
n'ai aucun commentaire à y apporter: il était en soi suffisamment cruel pour
qu'on se contente de le déguster tel quel !
(Rires sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
M. Jean-Pierre Sueur.
Quel mépris !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Oui, Pierre Hérisson, le stationnement des gens du voyage et
l'immigration clandestine méritent des solutions urgentes.
L'immigration clandestine, pourquoi ne pas en parler ? Le mot est-il grossier
?
Parler d'immigration est-il en soi l'expression du racisme ? Ne comprenez-vous
pas, les uns et les autres, qu'à force d'avoir nié ces problèmes, d'avoir
refusé d'en parler, refusé de prononcer les mots, nous avons ouvert un
boulevard à ceux qui n'avaient pas nos idées - je m'adresse là à l'ensemble de
cette assemblée - et qui en ont profité parce que les républicains étaient
absents. Ceux qui ne sont pas des républicains se sont emparés du thème avec
des idées qui n'étaient pas les nôtres. La France est le seul pays où l'on ne
peut pas parler tranquillement de la question de l'immigration.
Je n'ai jamais plaidé pour l'« immigration zéro », car je la considère comme
irresponsable et contraire à la tradition de la France, qui s'est construite
sur la diversité. Mais, à l'inverse, je souhaite que nous choisissions de
maîtriser notre immigration. Dire cela, c'est parler avec calme, pondération et
bon sens. C'est surtout éviter l'amalgame dont sont victimes, de par la lâcheté
de ceux qui refusent d'en parler, tous ces étrangers qui vivent sur notre
territoire et qui méritent notre respect parce qu'ils respectent nos lois.
Merci, Pierre Hérisson, de nous avoir fait partager votre expérience.
Oui, l'activité des gens du voyage doit être contrôlée.
Mais enfin, est-ce que, sous prétexte qu'on fait partie des gens du voyage, on
devrait être au-dessus des lois ? Il ne s'agit pas de les mettre en dessous des
lois. Mais j'aimerais que l'on me dise au nom de quoi, parce que c'est une
délinquance itinérante, on n'aurait pas le droit de la contrôler, de la
poursuivre et de la châtier chaque fois qu'il le faut !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Naturellement, je ne désigne aucune population, et rien ne m'est plus
étranger que le racisme et la xénophobie. Je n'oublie pas mes origines !
M. Christian Poncelet.
Très bien!
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Mais c'est aussi une forme de racisme que de refuser de dire
qu'il y a de la délinquance chez les gens du voyage simplement parce que ce
sont des gens du voyage. Ce n'est pas parce que ce sont des gens du voyage
qu'ils ont moins de droits que les autres, bien sûr, mais ils n'en ont pas
davantage. Eux aussi doivent respecter la loi !
Chaque élu local, sur quelque travée qu'il siège dans cette assemblée, sait
parfaitement qu'il nous arrive de constater des évolutions de la délinquance à
la suite de certains attroupements. C'est clair ! Vous me l'écrivez à longueur
de journée, quelle que soit votre orientation politique. Nier cette réalité,
c'est nier la réalité que vivent les Français.
Oui, il faut travailler avec les associations d'élus locaux, et point n'est
besoin de créer une commission. On en sait déjà beaucoup et, comme l'a dit
Jacques Peyrat il y a quelques instants, après le temps de la réflexion, après
toutes ces années d'immobilisme, les Français attendent que nous inaugurions le
temps de l'action.
M. Dominique Braye.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Je souhaite également dire à M. Robert Bret que je respecte ses
convictions. Nous ne sommes pas d'accord : il est communiste, je n'ai jamais
songé à l'être. Il l'est malgré les enseignements de l'histoire. C'est
respectable.
(M. Dominique Braye rit.)
Mais franchement, pourquoi une telle caricature ? Ai-je, à un quelconque
moment de mon propos, caricaturé l'engagement des uns ou des autres ? Jamais !
Alors, de grâce, ne nous donnez pas de leçon sur ce sujet car, la leçon, elle
risquerait de se retourner violemment contre vous ! Nous n'avons pas de leçon à
donner, mais nous n'en avons aucune à recevoir.
C'est une forme d'insulte pour les élus de la majorité que nous sommes que
d'estimer que, parce que nous voulons garantir la tranquillité de nos
concitoyens, nous aurions moins la considération des pauvres, des modestes, des
sans-grade, de ceux qui souffrent. Vous n'avez aucun monopole !
Vous avez soutenu un gouvernement qui, peut-être avec bonne foi, a essayé de
faire quelque chose, mais qui a échoué, en tout cas au regard des Français.
Deux mois et demi après, c'est peut-être un peu tôt pour que vous donniez des
leçons à qui que ce soit !
(Applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste.)
Nous ne vous faisons pas le reproche d'avoir soutenu un gouvernement qui a si
manifestement échoué, mais nous vous demandons au moins d'attendre un peu plus
de deux mois et demi pour monter à cette tribune et prononcer un discours
définitif désignant ici les mauvais et là les bons.
M. Robert Bret.
Vous, c'est un discours à votre propre gloire que vous prononcez !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Un peu de modestie ne messied pas forcément au parti communiste
français face à un problème de cette gravité !
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
Monsieur Bret, j'apprécie le talent, j'ai de la considération pour les
militants quels qu'ils soient et je respecte l'engagement politique. Mais, de
temps en temps, lorsqu'on a été à ce point désavoué par les électeurs,
peut-être convient-il de se demander pourquoi les Français n'ont plus voulu de
vous, de se demander également si l'on ne pourrait pas faire un bout de chemin
avec ce gouvernement qui essaie de trouver une autre voie pour répondre à une
angoisse des Français, qu'ils soient de gauche ou de droite.
(Applaudissements sur les mêmes travées.)
Il se trouve que, nous aussi, nous avons été battus. Personnellement, j'ai
connu l'échec, au moins à deux reprises, un échec personnel et un échec
spectaculaire. Eh bien, voyez-vous, monsieur Bret, la différence entre nous,
c'est peut-être que, moi, je ne considère pas que c'est le peuple qui se
trompe. Je sais que chaque fois qu'un homme politique veut changer le peuple,
cela se termine mal. Le peuple vous a adressé un message. Peut-être
devriez-vous le méditer, et le méditer avec respect.
M. Robert Bret.
Je dis que ce sont vos orientations qui sont dangereuses !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Méditer le message des Français, c'est ce que nous avons fait
dans le passé. Cela ne nous a pas si mal réussi.
Mais après tout, j'ai bien tort de m'inquiéter pour vous ! Restez dans le même
état d'esprit : la majorité pourrait y trouver son compte.
(Rires sur les travées du RPR, de l'Union centriste et des Républicains et
Indépendants.)
M. Robert Bret.
Nous verrons ce que nous réserve l'avenir !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Monsieur Peyronnet, je vous ai écouté avec attention. Vous dites
: « Aucune des mesures que vous proposez n'aura d'effet. Tout est du vent, tout
est du médiatique ! » Et vous en tirez immédiatement la conclusion que mon
texte est liberticide.
Soit il est creux et, dans ce cas là, il ne présente pas de danger. Soit il
est dangereux, mais alors il n'est pas creux. Choisissez une thèse ! Il n'est
pas interdit, là aussi, de faire preuve de cohérence.
Avez-vous lu ce que Daniel Vaillant, ce ministre de l'intérieur que vous avez
soutenu avec beaucoup de fidélité - et c'est à votre honneur - a déclaré au
Nouvel Observateur
la semaine dernière ? Le titre de l'entretien était
très intéressant : « Daniel Vaillant : Sarkozy me copie » !
Si vous écoutez Daniel Vaillant, si vous l'appréciez, suivez-le ! Puisque je
copie Daniel Vaillant, vous êtes condamné à voter mon texte !
(Rires sur les
travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste.)
Là encore, monsieur Peyronnet, quelle remarquable intuition ! Si j'ai bien
compris, dans un élan spectaculaire, avec un certain talent - car il en faut
pour défendre cette thèse - vous vous apprêtez à défendre un amendement tendant
à supprimer l'article 1er qui fixe les orientations de la politique de sécurité
du Gouvernement, puis, avec une intelligence stupéfiante, après avoir proposé
la suppression de la politique, vous allez m'en autoriser tous les moyens en
votant l'article 2...
J'ajoute que, si vous vous laissez aller - j'en serais honoré - à voter les
moyens sans voter les orientations, je crains de considérer qu'il ne s'agisse
d'un blanc-seing...
M. Jean-Claude Peyronnet.
Vous m'avez mal écouté !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
M. Adnot ne disposait que de trois minutes. C'est peu, mais,
comme elles marquaient un total accord entre nous, j'avoue que c'était
savoureux.
Monsieur Carle, merci de dire qu'il y a des droits et des devoirs ! Où en
sommes-nous, mesdames, messieurs les sénateurs, pour que, quand un responsable
politique utilise le mot « responsabilité » ou le mot « devoir », le silence se
fasse ? Faut-il que nous ayons oublié bien des valeurs qui, pour être
anciennes, n'en sont pas pour autant démodées ? La citoyenneté, ce sont les
droits et les devoirs. Or on parle beaucoup des droits, mais jamais des
devoirs, et nous en payons le prix.
Les violences à l'endroit des élus sont inadmissibles ! Les GIR s'occuperont
des rassemblements que vous avez évoqués, et le Gouvernement étudiera avec
beaucoup d'intérêt vos propositions.
Monsieur Delfau, oui, le vote de l'extrême droite est un avertissement, mais
pas simplement pour la gauche : pour nous aussi, pour chacune et chacun d'entre
nous, il a résonné comme une sanction, car cinq millions de Français se sont
dit qu'il fallait voter pour l'extrémisme. Mais qu'il me soit permis de vous
indiquer que ce n'est pas la montée de la peste brune ! La France de 2002, ce
n'est pas l'Allemagne de 1932 ! Ce sont simplement des hommes et des femmes qui
crient au secours, qui se tournent vers vous, parlementaires, comme vers nous,
membres du Gouvernement, pour savoir si, cette fois-ci, nous allons agir.
Vont-ils réussir, se demandent-ils ? Que vont-ils faire ? Vont-ils, enfin,
tenir compte de ce qu'on leur dit ?
Eh bien, je vous le dis de la manière la plus solennelle, nous n'avons pas
oublié le message des électeurs. Croyez-moi, ce message, nous l'avons bien
présent à l'esprit, parce que nous savons une chose : quand on ne met pas en
oeuvre la politique pour laquelle on a été élu, on perd tous ses amis sans
gagner un seul de ses adversaires !
Mme Paulette Brisepierre.
Absolument !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Nous avons connu cela dans le passé, nous ne sommes pas près de
recommencer la même erreur !
Vous me dites que je joue ma crédibilité, mais croyez-vous que j'en doute ?
Croyez-vous que je pense que l'on m'a mis là parce que c'est facile ?
Pensez-vous que, chaque minute où je suis ministre de l'intérieur, depuis deux
mois et demi, je me dis : mon Dieu, comme c'est facile, quel chemin tranquille
! Croyez-vous que je sois là pour faire de la figuration, pour me faire plaisir
? Je suis là pour obtenir des résultats, et je me battrai pour cela !
Monsieur Delfau, croyez en tout cas que, si jamais je pouvais obtenir ces
résultats au sein du gouvernement de M. Raffarin, chacun d'entre nous, sur
toutes ces travées, en profiterait, parce que c'est de nouveau la République
qui aurait démontré qu'elle peut être efficace.
M. Christian Poncelet.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Je vous remercie en tout cas de me conseiller de ne pas en faire
trop ! Cela me fait plaisir car, chaque soir, lorsque je me couche, je me dis
que je n'en ai pas assez fait. Vous trouvez donc que j'en fais trop ? La vérité
doit se situer au juste équilibre entre nous, et cela me permet d'être conforté
dans mon action.
Quoi qu'il en soit, où avez-vous vu que les policiers et les gendarmes ne
voulaient pas travailler ensemble ? Quel exemple pouvez-vous me citer ?
M. Gérard Delfau.
Je n'ai pas dit cela !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
C'est encore une vieille histoire ! Moi, je les vois travailler
ensemble et je constate qu'ils ont envie de travailler ensemble et d'obtenir
des résultats ! Ils ont envie d'être efficaces ! La France que vous regardez,
c'est une France ancienne ! Celle d'aujourd'hui, elle est faite d'hommes et de
femmes qui sont fiers de leur métier et de leur engagement.
Dans les GIR, policiers et gendarmes travaillent bien ensemble ; dans nos
départements, ils travaillent bien ensemble ! Je n'ai jamais eu - jamais ! - au
niveau de la base et du terrain, à me plaindre de la collaboration entre les
policiers et les gendarmes. Oh, certes, il y a eu cette petite déclaration d'un
petit syndicat : alors que j'avais eu l'idée de mettre un gendarme devant le
ministère de l'intérieur au côté du policier, pour marquer spectaculairement
que, désormais, policiers et gendarmes obéissaient au même commandement, le
communiqué est tombé. J'ai appelé le responsable syndical pour lui dire que,
s'il continuait, ce n'est pas un gendarme qui serait posté devant le ministère,
mais deux ! Il n'y a plus eu de communiqué ! Et il n'y a pas d'autre exemple de
dysfonctionnement : croyez-moi, ils sont plus intelligents qu'on ne l'imagine
parfois, et ils ont le sens du service public.
Quant au scepticisme, monsieur Delfau, je le respecte, mais, moi, je suis payé
non pour être sceptique, mais pour être volontariste : si, moi, je n'y crois
pas, comment voulez-vous que qui que ce soit y croie ? Et, si la Haute
Assemblée se laissait guider ou tenter par le scepticisme, que penseraient les
Français eux-mêmes, selon vous ?
Oui, il faut croire à la force de la volonté, au poids de la conviction, au
rôle des hommes, parce que, monsieur Delfau, les hommes ont aussi une capacité
d'influence sur les événements.
Pardon de parler avec une telle force, mais, si je ne croyais pas que c'était
utile, j'aurais depuis bien longtemps renoncé à mon engagement politique.
Monsieur de Broissia, merci pour votre amitié : venant d'un homme compétent,
expérimenté, elle a son prix.
Oui, vous avez raison : tout cela s'explique d'abord par une formidable
erreur. Ils ont d'abord dit que l'insécurité était un sentiment. Mon Dieu, quel
mépris pour les Français ! Mais le sentiment d'insécurité, selon eux, c'était :
« Vous n'avez pas peur, vous croyez avoir peur ; vous n'avez pas mal, vous
croyez avoir mal »,...
Mme Nicole Borvo.
Vous croyez être chômeur, vous n'êtes pas chômeur !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
... et chacun de se rassurer, parlant sous le manteau de ces 60
millions de Français qui, décidément, n'y comprenaient rien.
Puis, après, quand l'insécurité est devenue une preuve vivante, on a compris
où était l'ennemi : l'ennemi, c'étaient les médias, la télévision. Tout était
créé, rien n'était réel. Heureusement, monsieur de Brossia, il y a les
élections qui révèlent ce qui est vrai et ce qui est faux. Pour nous, ce fut un
rêve...
Mme Nicole Borvo.
Ça alors ! Quel rêve !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
... tandis que, pour d'autres, ce fut un cauchemar.
En matière de sécurité et de prévention, vous avez raison : les départements -
je ne voudrais pas qu'on laisse à penser qu'il n'y a que les mairies - jouent
un rôle irremplaçable. Dans les conseils départementaux, ils auront toute leur
place, et je vous ferai un certain nombre de propositions sur la prévention.
Il est par ailleurs un sujet dont nous n'avons pas le temps de traiter ce
soir, mais qui est très important à mes yeux : je veux parler de la question du
culte musulman, de sa représentation, de la place de la communauté musulmane.
Je le dis, je n'accepterai aucun amalgame, mon idée est de créer les conditions
de l'expression d'un Islam de France et non d'un Islam en France. Je voudrais
que l'Islam sorte de la clandestinité, s'assoie à la table de la République,
sans que jamais le fondamentalisme ait le droit d'y siéger. Cette question est
essentielle, et j'aurai là aussi l'occasion, au mois de septembre, de vous
faire un certain nombre de propositions qui iront, d'ailleurs, bien au-delà,
parce que, selon moi, une vraie réflexion doit être menée sur la place des
religions dans les débats de société, sur le sens que l'on donne à la laïcité.
Ce sont des sujets extrêmement importants qui n'ont pas été débattus depuis
trop longtemps dans notre pays.
Oui, je ferai des propositions sur la question de l'ouverture des coffres de
voitures.
Oui, les établissements scolaires doivent être protégés en priorité de la
violence ; oui, il faut les « sanctuariser ».
En ce qui concerne la délinquance itinérante, nous transformerons la mission
en office, ce qui permettra de donner une compétence aux officiers de police
judiciaire sur tout le territoire national. De surcroît, la délinquance
itinérante, au lieu d'être uniquement l'affaire des gendarmes, deviendra
également l'affaire des policiers.
J'en viens à Jean-Paul Virapoullé : l'expression talentueuse à l'état pur !
Quand il parle de ce département de la Réunion, si français par le coeur, qui
connaît de si près la pauvreté et où l'insécurité frappe d'abord les plus
pauvres qui nous lancent un véritable SOS, il a raison.
Peut-être serions-nous inspirés, de temps en temps - je le dis également à la
gauche - de savoir nous rassembler sur certains textes. C'est justement parce
qu'il s'agit de nos compatriotes les plus faibles que les conditions du
consensus devraient être rassemblées ! Quand Jean-Paul Virapoullé dit avec ses
mots, qui sont les mots de tous les jours, que nous devons nous préoccuper plus
des victimes que des voyous, il le dit à sa manière, mais cette manière,
monsieur Virapoullé, ce sera aussi la mienne. Parce qu'il faut appeler les
choses par leur nom, parce que la sémantique a un sens, le vocabulaire qui est
le vôtre ne choque que ceux qui ne vont jamais sur le terrain.
Bien sûr, il ne faudra pas oublier nos départements et territoires
d'outre-mer, qui rencontrent des problèmes de répartition d'effectifs. J'ai
bien reçu votre message particulier sur l'ouverture des commissariats la nuit.
Oui, il s'agit d'un problème de coordination, notamment dans vos départements,
entre les forces de l'ordre et la police municipale. Il faut reconnaître aux
policiers municipaux la tâche ingrate qui est souvent la leur. Mais cette tâche
est bien utile, parce que, si les policiers municipaux, les gardes champêtres,
et même les agents de circulation n'étaient pas là, les policiers nationaux
devraient accomplir des tâches supplémentaires, à Paris ou à Nice comme
ailleurs.
Monsieur Rouvière, j'avoue que je ne vous ai pas compris. Mon texte est-il
exceptionnel parce qu'il vous plaît ou parce que vous le craignez ?
(Sourires.)
Votre propos était si balancé, si mesuré, si intelligent, que certaines
subtilités ne me sont pas apparues immédiatement. A un moment, je me suis
laissé aller à penser que vous aviez vraiment envie de soutenir mon texte. Puis
j'ai vu que la main devenait plus lourde à la fin du discours, lorsque
l'orateur du parti socialiste a dû se souvenir que, ces quelques minutes, c'est
le parti qui les lui avait données.
M. André Rouvière.
N'exagérez pas !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Allons, monsieur Rouvière : quand c'est l'homme qui parlait, il
était brillant, utile et pragmatique ; quand l'orateur du groupe a pris le
dessus, c'est devenu plus lourd, à la limite du « bourratif ». Je ne vous ai
pas reconnu dans la conclusion. Je ne retiendrai donc que le corps du discours,
mais, celui-là, il était bon, notamment lorsque vous avez dit : « Voilà un
projet d'exception, au sens exceptionnel ! » Merci, monsieur Rouvière, j'en
resterai là. C'est ma façon à moi de garder le meilleur souvenir de votre
intervention.
Pourrai-je tenir toutes mes promesses ? Mais, monsieur Rouvière, ne vous
trompez pas sur moi : si je ne réussis pas, je partirai ! Il est venu le temps
de dire que, lorsqu'on est un responsable politique, on doit accepter de se
soumettre au jugement des résultats ! Croyez-moi, je suis bien de ceux qui
pensent que la performance n'est pas l'apanage du privé. Nous nous engageons
sur une politique, et cette politique doit produire des résultats.
Ai-je consulté les représentants syndicaux ? C'est une plaisanterie ! Trois
réunions plénières ont été organisées, et je dois dire que les réactions des
participants m'ont fait très plaisir. Et, puisque vous n'avez pas eu le compte
rendu de ces réunions, je le porterai à votre connaissance ! Ces syndicats,
souvent réputés de gauche, ont dit du bien de l'action que je menais. Cela me
fera très plaisir de vous informer, car je n'aurais pas osé le faire de peur de
rougir.
Vous dites que mon réveil sera dramatique. Comment pouvez-vous dire cela ? Le
vôtre et celui de vos amis furent-ils si douloureux que vous m'avertissez déjà,
au bout de deux mois et demi ? Nous avons cinq ans, ne l'oubliez pas, monsieur
Rouvière ! Cinq ans, cela passe vite, mais nous n'avons pas l'intention de
faire les mêmes erreurs que celles qui vous ont conduits là où vous êtes
aujourd'hui.
Monsieur Alex Türk, vous avez parfaitement raison de démythifier le problème
des fichiers. Oui, je tiens à distance le laxisme et l'extrémiste, et
permettez-moi de dire que je sais où se trouvent ceux qui ont combattu
l'extrémisme dans les faits ! De ce point de vue, le Président de la République
a toujours joué un rôle irremplaçable pour l'équilibre de notre société en
menant un combat déterminé en la matière.
M. Christian Poncelet.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
C'est parce que la droite républicaine a tenu avec courage
qu'aujourd'hui non seulement nous pouvons, mais nous devons parler sans
complexes.
(Applaudissements sur les travées du RPR.)
M. Dominique Braye.
Très bien !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
C'est justement parce que nous ne sommes pas suspects d'une
quelconque complicité que nous pouvons nous tenir si éloignés du laxisme, de...
comment dit-on ?... de la naïveté qui a été si violemment condamnée par nos
concitoyens.
M. Dominique Braye.
De l'angélisme !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Quel est notre maître mot ? Coopération ! Ainsi, la coopération
franco-belge a été réalisée, avec l'ouverture du centre de Tournai. Voilà un an
et demi que nos amis belges nous demandaient l'ouverture de ce centre. En un
mois, nous l'avons ouvert.
Par ailleurs, le GIR du Nord a accompli un travail exceptionnel la semaine
dernière en démantelant un réseau de trafic de voitures volées et de braquages,
grâce à une compétence exceptionnelle.
Je vous remercie de votre confiance, monsieur Türk !
Monsieur Girod, je partage votre analyse sur le recul du Front national :
entre le deuxième tour de l'élection présidentielle et le premier tour des
élections législatives, ce parti a perdu un million de suffrages.
M. Christian Poncelet.
C'est formidable !
M. Nicolas Sarkozy,
ministre de l'intérieur, de la sécurité intérieure et des libertés
locales.
Laissez-moi penser que le réveil de la droite républicaine, d'une
droite républicaine osant enfin s'assumer telle qu'elle est et telle qu'elle
n'aurait jamais dû cesser d'être, et l'amorce d'un travail gouvernemental ont
permis à un certain nombre d'électeurs qui ne demandaient que cela de revenir
vers nous.
Ce n'est pas par plaisir que les électeurs sont partis au Front national. Ce
n'est pas par plaisir qu'ils se sont « extrémisés ». C'est par désespoir ! Au
moment où ils ont vu que nous étions décidés à nous réveiller et à défendre
leurs idées, une grande partie d'entre eux est revenue. Il faut que cela
continue, et je partage pleinement votre analyse, monsieur Girod.
A propos du commandement, je dirai que je ne suis pas là pour subir, je suis
là pour agir. Le rôle d'un responsable politique n'est pas de suivre
benoîtement ce que les technocrates de son ministère lui proposent à tout bout
de champ.
On me dit : « Rien n'est possible puisque tout a été tenté. Il suffit de
suivre au fil de l'eau. On ne change personne. On ne dit rien. On ne gêne
personne. » Si on écoute ces propos, un jour, on est mis dehors et on ne s'est
même pas rendu compte que l'on n'était plus ministre ! Voilà la triste histoire
de ceux qui acceptent de subir.
Eh bien ! nous, nous voulons changer les choses. Le politique doit avoir une
influence sur les faits. S'il n'en n'est pas capable, alors il n'a pas de
légitimité.
(« Très bien ! » et applaudissements sur les travées du RPR, des
Républicains et Indépendants et de l'Union centriste, ainsi que sur certaines
travées du RDSE.)
.
Nous ne sommes pas là simplement pour gérer, pour commenter, pour subir, pour
refaire ce qui a été fait, pour dire : « je n'y peux rien, c'est difficile,
excusez-moi ! » Nous sommes là pour agir et pour obtenir des résultats. C'est
sans doute ce que vous appelez le commandement, monsieur Girod.
J'en viens à l'utilisation des voitures des délinquants. Pour une fois,
l'histoire des gendarmes et des voleurs se terminera bien !
(Sourires.)
Oui ! le fait d'avoir dirigé la douane pendant deux ans m'a donné des idées.
La douane se paie sur la bête ! Lorsqu'elle saisit des biens, elle les garde.
Je souhaite donc que les policiers et les gendarmes, lorsqu'ils saisissent des
véhicules qui roulent à très grande vitesse, puissent utiliser ceux-ci comme
bon leur semble.
La morale sera sauve. Bien mal acquis ne profite jamais ! Et les gendarmes et
les policiers auront ainsi les moyens de leur politique.
(Applaudissements
sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union
centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
La défense civile, je vous ai déjà dit ce que j'en pensais.
Je remercie M. Demuynck de son soutien. Venant d'un élu d'un département qui
souffre beaucoup de la délinquance, son attitude est méritoire et exprime le
sentiment du terrain.
Oui ! les forces de l'ordre se sentaient démobilisées. Il ne s'agit pas d'un
jugement. A-t-on déjà oublié que les policiers et les gendarmes sont récemment
descendus dans la rue non pas pour lutter contre des délinquants, mais pour
protester contre le Gouvernement ? Je ne porte atteinte à la mémoire de
quiconque en rappelant ces faits.
La crise de la gendarmerie et de la police a atteint des proportions jamais
vues. J'ai été de ceux qui, à l'époque, ont condamné les manifestations de
gendarmes en uniforme. Elles ne sont pas compatibles avec le sentiment que j'ai
de la République.
Mais qui les avait conduits dans cette situation ? Ce n'est tout de même pas
l'opposition de l'époque. On ne va quand même pas porter le péché de la
démobilisation des forces de l'ordre !
La réactivité des forces de l'ordre est formidable. Jugez-en ! Connaissez-vous
les causes de l'accident tragique de Pantin ? Voilà quelques mois, ces trois
jeunes fonctionnaires de police à vélo auraient contourné le problème. Cette
fois, ils ont été au coeur du problème. Ils ont procédé à un contrôle
d'identité parce qu'ils pensaient qu'il y avait de la drogue.
Les policiers et les gendarmes ont obéi aux consignes du Gouvernement : allez
au contact, traquez les délinquants, posez les questions, contrôlez les
identités ; vous n'êtes pas là pour assurer une simple présence conviviale
comme des agents d'ambiance dans la rue ; vous êtes la sécurité de nos
compatriotes.
Si j'ai voulu féliciter cette jeune femme sur son lit d'hôpital, c'est parce
qu'elle a fait son devoir, parce qu'elle est allée au contact des délinquants,
alors que tant d'autres auraient éludé le problème.
Il est très facile, quand on est à vélo, de ne pas avoir de problème. Il
suffit de le contourner ! Ces trois fonctionnaires ne l'ont pas fait, et cela
s'est mal passé. Les conséquences auraient d'ailleurs pu être encore beaucoup
plus dramatiques. Ils avaient la volonté d'aller au fond du problème, et
personne ne peut le leur reprocher.
J'ai lu qu'il existait deux thèses sur cet événement. Permettez-moi de vous
dire que, pour moi, il n'y en a qu'une : une jeune femme a eu la mâchoire
broyée et a été matraquée alors qu'elle était à terre ; or rien ne peut
justifier un acte de cette nature, et certainement pas un contrôle
d'identité.
Monsieur Demuynck, encore trop souvent, nos compatriotes ont peur. C'est
exact, et ce n'est pas dire un gros mot que de l'affirmer. Lequel parmi nous ne
s'est d'ailleurs pas inquiété pour ses enfants sur le chemin de l'école ou dans
un train à une heure tardive ? Lequel d'entre nous n'a pas éprouvé cette
crainte pour ceux qu'il aime ?
Pourquoi voulez-vous que nos compatriotes, qu'ils soient de gauche ou de
droite, aient un sentiment différent ? Ce n'est pas une honte de dire qu'il
arrive aux Français d'avoir peur. C'est la réalité de tous les jours.
En décrivant cette réalité telle qu'elle est, vous n'entretenez pas un
sentiment d'insécurité, vous prenez au contraire la vie telle qu'elle est et
vous rassurez nos concitoyens qui se disent : « décidément on peut être
sénateur, député, ministre, et connaître la réalité de la vie ».
Madame Blandin, je ne veux pas faire de polémique avec vous, car vous êtes
certainement de bonne foi. Mais, franchement, après tout ce qui s'est passé,
dire : « il rode un sentiment d'insécurité » me pousse à vous répondre : «
heureusement que vous le dites ici ! ».
Quand on habite l'un de ces quartiers et qu'on entend un élu dire : « il rode
un sentiment d'insécurité », d'aucuns pourraient s'exaspérer que vous n'ayez
décidément pas compris la leçon des dernières élections !
La vie, madame Blandin, n'est pas faite de colloques, de préjugés, de
mondanités, de présupposés, de grandes déclarations déconnectées des réalités.
Vous n'aidez pas les plus pauvres à vivre en niant ce qu'ils vivent.
Vous vous excusez en permanence de ne pas vouloir agir au service de nos
compatriotes les plus menacés. Pourquoi ces complexes ? Pourquoi serait-il mal
que la sécurité que l'on connaît dans certains de nos quartiers bourgeois ne
règne pas dans certains de nos quartiers les plus pauvres ? Pourquoi refuser à
nos compatriotes les plus faibles, les plus exposés, les mêmes droits que ceux
qui peuvent s'abriter derrière les hauts murs de propriétés calfeutrées ?
Enfin, trente-quatre ans après mai 1968, il est peut-être temps, madame
Blandin, de se réveiller. Le monde a changé !
(Rires et applaudissements sur
les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et de l'Union centriste,
ainsi que sur certaines travées du RDSE).
Vous aviez tort il y a si longtemps. Pourquoi ne pas comprendre ? Ce n'est pas
vous renier que de prendre en compte la réalité.
Je ne dis pas qu'en mai 1968 il n'y a pas eu des choses intéressantes. Mais,
depuis, que d'eau a passé !
Etes-vous autiste au point de ne pas comprendre l'appel de nos compatriotes
?
Vous parlez de Sangatte ! Combien de fois vous y êtes-vous rendu ?
Qu'avez-vous fait, vous et vos amis ? Mme Voynet s'est-elle rendue à Sangatte ?
Mme Guigou a certes participé à beaucoup plus de colloques sur les droits de
l'homme que moi, mais elle n'a jamais mis les pieds à Sangatte ! Mme Aubry aime
beaucoup parler de l'étranger dont elle déclare qu'il a toute sa place à la
table de la République, mais elle n'a jamais mis les pieds à Sangatte ! Pendant
trois ans, 1 800 personnes ont croupi dans des conditions inadmissibles sous un
hangar ! Est-ce que cela vous permet, vous qui êtes une élue de la région, de
nous donner des leçons, de me donner une leçon à moi qui essaie de répondre à
cette question ?
(« Bravo ! » et vifs applaudissements sur les travées du
RPR, de l'Union centriste et des Républicains et Indépendants, ainsi que sur
certaines travées du RDSE.)
Croyez-vous, madame Blandin, que je vais m'abstenir de répondre parce que vous
êtes quelqu'un que je respecte, parce que vous êtes écologiste, parce que vous
êtes une femme ? Est-ce que je dois, moi aussi, ne pas dire ce que je pense,
uniquement parce qu'il y aurait un tabou ?
J'ai été à Sangatte, j'essaie de résoudre ce problème. Je ne dis pas que je
vais réussir. Mais, au moins, personne ne pourra dire que je n'ai pas essayé,
avec le Gouvernement, de trouver une réponse humaine.
Les Britanniques étaient bloqués sur une position, nous les avons amenés à
l'infléchir, et je retournerai à Sangatte en septembre, avec David Blunket, le
ministre de l'intérieur anglais.
Je sais bien qu'une certaine presse observe et qu'elle se frottera les mains
si nous échouons. Au moins, nous aurons tenté quelque chose !...
Tous ceux qui attendaient que ces malheureux fassent une grève de la faim
pensent-ils que cela aurait amélioré leur situation ? Qui a proposé une
solution crédible autre que d'inciter les Afghans à trouver un avenir en
Afghanistan sachant que leur avenir n'est, j'en suis désolé, ni en
Grande-Bretagne, qui ne les veut pas, ni en France, où ils ne demandent pas à
rester, et encore moins à Sangatte sous un hangar surchauffé ?
C'est cela la réalité ! La différence entre nous - et je ne mets en cause ni
vos bons sentiments ni votre honnêteté intellectuelle - c'est que vous, vous
regardez, vous théorisez alors que nous, nous essayons d'agir. Je ne dis pas
que nous agissons bien. Mais la différence entre nous, c'est au moins notre
volonté de l'action.
Enfin, je remercie Daniel Goulet pour son message d'espoir. Je sais que l'on
attend beaucoup de nous, et je mesure le poids de cette responsabilité.
J'entends dans la rue ce que les gens disent, et je vois bien l'espérance
monter. Pour autant, cela ne m'inquiète pas.
Que voulez-vous : s'il n'y avait pas d'espérance trois mois après l'élection
du Président de la République, ce serait à désespérer de tout ! Cette espérance
doit être un moteur pour l'action et certainement pas une peur d'agir.
Sur la gendarmerie, vous avez émis des réserves ou des craintes, monsieur le
sénateur. Je veux vous dire que mon objectif n'est pas de supprimer les
brigades. Je souhaite que l'on conserve au moins une brigade par canton.
J'ai vu un canton qui en comptait trois. Je ne suis pas persuadé qu'il les
conservera toutes ; mais dans l'immense majorité des cas, il n'y aura pas de
fermeture de brigade, tout simplement parce que cela ne s'inscrit pas dans la
politique qui est la nôtre. S'agissant de la législation sur les gens du
voyage, je ne manquerai pas, bien sûr, de vous demander conseil, car je connais
votre expérience.
M. Jacques Peyrat, enfin, dans un discours qui fut un feu d'artifice, a dit
que l'augmentation de la délinquance était terrifiante. Il a raison ! Si nous
n'étions pas terrifiés par cela, par quoi le serions-nous ?
Mais, monsieur Peyrat, il y a autre chose : savez-vous que, de tous les pays
d'Europe, la France est le seul à connaître une telle explosion ? Je suis prêt
à mettre les chiffres sur la table. Lors des dix dernières années, la
délinquance a reculé en Allemagne, elle a reculé en Grande-Bretagne, elle a
reculé en Espagne, elle a reculé en Italie, elle a reculé dans les démocraties
du Nord. Notre pays est le seul, en Europe, à être confronté à une telle
explosion, terrifiante, avez-vous dit ; j'ajoute qu'elle est consternante.
Non, je n'accorde aucune attention aux reproches de ceux qui se sont tellement
trompés, parce que le gouvernement de M. Jean-Pierre Raffarin conduit une
politique pour les Français, non pour tels ou tels observateurs, éternels
sceptiques, éternels immobiles, éternels donneurs de leçons !
Ils se sont exprimés pendant si longtemps au nom des Français, sans les
comprendre, sans les connaître, sans savoir ce qu'ils veulent. Ce gouvernement,
au contraire, a décidé de gouverner pour les Français. C'est pour cela que ces
reproches ne m'impressionnent pas.
On n'aime pas que j'appelle un chat un chat ! Monsieur Peyrat, il faudra s'y
habituer, parce que, moi, je n'ai pas l'intention de changer !
(« Bravo ! »
et applaudissements sur les travées du RPR, des Républicains et Indépendants et
de l'Union centriste, ainsi que sur certaines travées du RDSE.)
Question préalable