SEANCE DU 7 FEVRIER 2002
M. le président.
L'amendement n° 13, présenté par M. Schosteck, au nom de la commission, est
ainsi libellé :
« Après l'article 4, insérer un article additionnel ainsi rédigé :
« Le cinquième alinéa de l'article 199 du code de procédure pénale est
complété par une phrase ainsi rédigée :
« Si la personne a déjà comparu devant la chambre de l'instruction moins de
quatre mois auparavant, le président de cette juridiction peut, en cas d'appel
d'une ordonnance rejetant une demande de mise en liberté, refuser la
comparution personnelle de la personne par une décision motivée qui n'est
susceptible d'aucun recours. »
La parole est à M. le rapporteur.
M. Jean-Pierre Schosteck,
rapporteur.
Cet amendement a pour objet de régler un problème.
Il arrive en effet que certaines personnes, placées en détention provisoire,
multiplient les demandes de mise en liberté, à la seule fin de quitter
l'établissement pénitentiaire. Les escortes sont assurées par les forces de
l'ordre, qui sont ainsi mobilisées des journées entières et ne peuvent de ce
fait se consacrer à des missions qui seraient plus essentielles.
Le présent amendement tend donc à permettre au président de la chambre de
l'instruction de refuser la comparution personnelle si la personne a déjà
comparu devant cette chambre moins de quatre mois auparavant. La décision est
facultative, et la personne devra toujours être présentée au juge des libertés
si elle demande à être mise en liberté.
Néanmoins, en cas d'appel, la chambre de l'instruction pourra se prononcer au
vu du dossier et des observations de l'avocat, si le président estime que la
comparution d'un détenu que la chambre a entendu peu de temps auparavant n'est
pas nécessaire.
Il faut savoir que certains détenus formulent - on les comprend - des demandes
de mise en liberté toutes les semaines, voire toutes les deux semaines.
M. le président.
Quel est l'avis du Gouvernement ?
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Il s'agit, en l'occurrence, non de modifier la loi du
15 juin 2000, mais de revenir sur un principe qui existe depuis 1985, à savoir
la comparution personnelle devant la chambre de l'instruction d'une personne
qui demande sa mise en liberté alors qu'elle est placée en détention
provisoire.
Je reconnais qu'il y a un vrai problème dans la mesure où des personnes en
détention provisoire demandent quasiment tous les jours la mise en oeuvre de
cette possibilité. On a appelé le phénomène, quelque peu malencontreusement, le
« tourisme pénitentiaire » ; c'est une mauvaise expression pour dépeindre une
réalité.
Au demeurant, il me semble que l'amendement répond mal au problème posé. En
fait, il faudrait prévoir une riposte à la demande abusive. Il faudrait
travailler sur une clause de demande abusive. Evidemment, nous ne pouvons y
réfléchir en si peu de temps.
De toute façon, revenir sur une disposition de la loi de 1985, qui a inspiré
directement le texte sur la présomption d'innocence me semble aller tout à fait
à contre-courant.
M. le président.
Je vais mettre aux voix l'amendement n° 13.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole contre l'amendement.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Mme la garde des sceaux et M. le rapporteur ont évoqué à juste titre les
difficultés que peut susciter, pour la gendarmerie notamment, l'obligation
d'escorter un détenu dans le cas de comparution personnelle de ce dernier.
Il n'est pas besoin de rappeler, surtout dans le cadre de l'examen de ce
projet de loi visant à garantir la présomption d'innocence, que le droit d'être
entendu par celui qui décide de votre sort est un droit fondamental.
Un grand progrès a été réalisé en procédure pénale lorsqu'il a été décidé
d'ouvrir au détenu demandant sa liberté, devant la chambre d'accusation, à
l'époque, la chambre de l'instruction aujourd'hui, la possibilité de faire
entendre sa voix.
Dès lors, revenir en arrière au motif que la mesure soulève des difficultés
d'application, que certains détenus abusent du droit, qu'une comparution
personnelle tous les quatre mois est suffisante ne me paraît ni possible ni
envisageable s'agissant, je le répète, d'un droit fondamental, celui de se
faire entendre de son juge,
a fortiori
quand il s'agit de la liberté,
et, au surplus, dans un texte visant à garantir les droits de la personne et la
présomption d'innocence.
Certes, un problème matériel existe, mais on ne peut pas, au regard de cette
seule considération, réduire un droit. Il faut en organiser l'exercice. En
effet, il faut peut-être reconsidérer le problème de l'abus, mais certainement
pas en s'en rapportant à une simple décision motivée qui pourrait n'être,
éventuellement, que clause de style.
Nous sommes donc au regret de ne pas pouvoir suivre la commission.
M. Hubert Haenel.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Haenel.
M. Hubert Haenel.
Je l'ai dit dans la discussion générale, tous les présidents d'une chambre de
l'instruction et tous les greffiers - surtout leurs remplaçants au cours de
l'été - vous diront qu'une telle procédure est avant tout une « niche » à
nullité, qui peut aller jusqu'à entraîner, parfois, la libération de certaines
personnes particulièrement dangereuses.
Voilà pourquoi je considère qu'en cas d'abus de droit le président de la
chambre de l'instruction doit pouvoir, par une décision motivée, ne pas donner
suite à la demande de comparaître à nouveau devant la chambre en vue d'une mise
en liberté en raison de l'absence d'éléments nouveaux, si une telle demande a
déjà été présentée une, deux ou trois semaines auparavant. En l'absence
d'éléments nouveaux, pourquoi aller chercher une personne, parfois très
dangereuse, à Marseille pour la faire comparaître devant la chambre de
l'instruction de Lyon ? Interrogez les présidents de chambres de l'instruction
: tous vous diront qu'il faut vraiment, dans ces cas, trouver des moyens de
lutter contre ces pratiques. C'est pourquoi j'avais proposé cet amendement, qui
a été retenu par la commission des lois.
M. Laurent Béteille.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Béteille.
M. Laurent Béteille.
Je suis tout de même un peu surpris par les positions prises par Mme le garde
des sceaux. En effet, on nous parle de demande abusive, alors que nous visons
ici un détenu qui présente une demande de mise en liberté. Quoi de plus naturel
? Il ne me paraît pas possible d'envisager, ne serait-ce qu'une seconde, de
limiter le droit pour un prévenu de demander sa mise en liberté et de faire
appel d'une décision négative ! Considérer que c'est abusif me paraît
extrêmement dangereux !
La proposition qui a été défendue par M. le rapporteur me paraît constituer
une bonne réponse : c'est naturellement le président de la chambre de
l'instruction qui étudiera la demande de mise en liberté du prévenu, avec le
même intérêt que si le détenu était présent, et qui décidera si cette demande
n'est pas justifiée parce que trop souvent répétée ! Il n'y a pas là de quoi
fouetter un chat !
Quoi qu'il en soit, la mesure qui nous est proposée par la commission me
semble infiniment moins dangereuse que la possibilité de considérer qu'il y a
abus de droit en la matière.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à Mme le garde des sceaux.
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Je comprends bien l'argument qu'ont défendu M. Haenel
et M. Schosteck, selon lequel les chambres de l'instruction sont débordées par
un nombre très important de demandes. La réponse de la commission serait la
non-comparution personnelle de la personne, et vous nous dites, monsieur
Haenel, que, l'été, on peut quelquefois se tromper, parce que les remplaçants
n'ont pas l'habitude de gérer ce genre de dossiers.
M. Hubert Haenel.
Mais oui ! Cela arrive !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Néanmoins, avec votre solution, la personne ne
comparaîtra peut-être pas, mais la demande devra tout de même être traitée !
M. Hubert Haenel.
Bien sûr !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
Or les nullités que nous avons eu à connaître, et que
vous avez eu à connaître aussi, concernaient - vous l'avez souligné à juste
titre - des non-réponses et des non-convocations dans les délais. Ce n'est pas
la comparution personnelle qui a posé problème !
Aujourd'hui, au détour d'un amendement, vous tentez de répondre à la fois aux
deux cas de nullité que nous avons certainement en tête les uns et les autres
et au problème réel que posent les escortes de gendarmes nécessaires pour
conduire les intéressés du lieu de leur détention provisoire jusqu'à l'audience
de la chambre de l'instruction.
Vous avez raison, monsieur Béteille, chacun doit pouvoir demander sa mise en
liberté.
M. Hubert Haenel.
A tout moment !
Mme Marylise Lebranchu,
garde des sceaux.
A tout moment, bien sûr, parce qu'il peut y avoir des
éléments nouveaux.
Je reconnais que les chambres de l'instruction font parfois, l'été, des
erreurs, qu'elles ne répondent parfois pas à la demande dans les délais qui
leur sont impartis - à peine de nullité ! - mais tout cela n'a jamais été un
problème de comparution personnelle, c'était un problème de réponse à la
demande.
Quant aux escortes de gendarmes ou de policiers qui sont trop souvent mises en
place, c'est un autre problème ! Comment voulez-vous qu'on réponde, par le
biais d'un seul amendement extraordinairement fort de sens - le fait qu'un
inculpé puisse ou ne puisse pas être entendu lui-même pour défendre sa demande
de mise en liberté - à tous ces problèmes qui n'en sont pas moins réels ?
C'est la raison pour laquelle je maintiens mon avis défavorable sur cet
amendement.
M. Robert Badinter.
Je demande la parole pour explication de vote.
M. le président.
La parole est à M. Badinter.
M. Robert Badinter.
Je veux rassurer notre collègue Laurent Béteille en lui disant qu'il ne peut y
avoir d'abus de droit s'agissant d'une demande de mise en liberté, ni d'abus de
droit s'agissant de l'appel de la décision qui rejette cette demande. Cela va
de soi !
Mme la garde des sceaux a raison de souligner que c'est un problème purement
matériel qui est posé ici, à savoir la possibilité de se faire entendre par la
chambre de l'instruction. Et la vraie question, qui est très complexe, c'est la
multiplication de ces demandes d'audition. A cet égard, peut-on ou non parler
d'abus ?
Pour ma part, je considère que c'est un droit de la personne que d'être
entendue par ses juges et que, de ce point de vue, on ne peut pas faire plier
ou céder ce droit devant des considérations matérielles. Il faut que
l'intendance suive ! Je sais, mon cher collègue Haenel, que cela ne va pas sans
poser des problèmes, non pas au stade de la nullité - il suffit pour les
magistrats de se référer aux textes - mais sur un plan pratique.
Je sais que c'est difficile, mais il y va de la liberté individuelle et du
droit de chacun d'être entendu par son juge.
M. le président.
Je mets aux voix l'amendement n° 13, repoussé par le Gouvernement.
(L'amendement est adopté.)
M. le président.
En conséquence, un article additionnel ainsi rédigé est inséré dans la
proposition de loi, après l'article 4.
Mes chers collègues, il est dix-neuf heures trente-cinq ; je constate que nous
n'avons examiné que treize amendements en une heure et demie, et qu'il en reste
douze à examiner. Dans ces conditions, il me paraît plus sage d'interrompe nos
travaux.
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Je demande la parole.
M. le président.
La parole est à M. le président de la commission.
M. René Garrec,
président de la commission des lois.
Monsieur le président, ce texte, qui
a été inscrit mardi dernier à l'ordre du jour de la présente séance, a été
examiné en commission hier matin - parmi d'autres sujets, d'ailleurs - et sans
doute trop vite. Voilà qui justifie que M. Badinter, ainsi qu'il me l'avait
dit, ait jugé nécessaire de s'expliquer longuement ce soir en séance
publique.
Afin d'éclairer le travail de la commission mixte paritaire, il me paraît
souhaitable de continuer dans notre voie, d'écouter tout le monde sereinement.
Si nous bâclons le débat aujourd'hui, nous ferons un mauvais travail et la
commission mixte paritaire ne pourra se dérouler dans de bonnes conditions.
Je souhaite donc comme vous, monsieur le président, que nous suspendions nos
travaux.
M. le président.
En conséquence, nous allons interrompre nos travaux ; nous les reprendrons à
vingt et une heures quarante-cinq.
La séance est suspendue.
(La séance, suspendue à dix-neuf heures quarante, est reprise à vingt et une
heures quarante-cinq.)